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Sciences et
Pratiques
d’Education et
de Formation
Année universitaire
2004/2005
Bernadette MARCHETTI
Sommaire
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1. L’ANALYSE DE LA PRATIQUE
PREAMBULE
1. L’ANALYSE DE LA PRATIQUE
PREAMBULE
De nombreux métiers, notamment ceux qui laissent les personnes souvent en situation
d’isolement ont besoin d’échanges entre pairs. Les expériences permettent d’écouter ce que
ces personnes disent souvent au cours des formations. Pour certains l’échange avec des
personnes ayant les mêmes difficultés, cela permet de rompre l’isolement, une prise de recul
face aux évènements. D’autres disent que l’intervention du groupe, le mélange des
expériences ont toujours des réponses efficaces. Des personnes parlent de lieu déconnecté de
leur lieu de travail où ils peuvent pratiquer un échange, notamment d’expériences, avec des
gens à l’écoute, cherchant à leur trouver des réponses. Les fonctions métier qui ont une
certaine forme d’isolement, ou qui sont des positions d’interface entre différents acteurs, par
une responsabilité de management, ce peut être un bon moyen pour conforter les
compétences.
Si elle est parfois affichée comme objectif dans notre formation de formateurs, l’analyse des
pratiques professionnelles n’est qu’un moyen, une panoplie d’outils, qui vise la (trans)
formation de l’individu. C’est par l’analyse régulière des pratiques, par un examen critique au
sein d’un groupe que le professionnel (et pas uniquement dans le domaine de l’éducation)
devient ce que D.Schön a appelé un praticien réflexif.
Une première forme de pratique réflexive, la réflexion sur l’action, se fait a posteriori. On
peut la conduire seul, en groupe informel ou dans un ensemble structuré. L’échange entre
pairs permet un croisement de regards ; mais, si ce temps réunit des personnes impliquées
dans la même situation, ce ne seront certainement que des subjectivités qui se croiseront.
C’est exactement ce qui se passe dans un regroupement de cadres lorsqu’un groupe de cadres
discutent du blâme que l’un d’entre eux vient d’appliquer dans son équipe. L’extériorité dans
une réflexion sur l’action vient du fait que des participants à la discussion n’ont pas vécu de
l’intérieur l’évènement. Hors de l’analyse des pratiques, les exemples sont multiples. Dans un
groupe d’analyse des pratiques, il me semble opportun de conduire la réflexion sur l’action
dans un cadre éthique bien défini, garanti par l’animateur de séance : aucun jugement n’est
porté, le conseil n’est pas davantage autorisé. Le maître de séance peut interrompre une
hypothèse qui serait un conseil déguisé. Les participants ne connaissent pas le cas énoncé par
l’exposant. L’effort de présentation est une première invite à puiser en soi les éléments
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importants à livrer. Ce temps est une pré-analyse, une prise de recul, un refroidissement des
affects. On peut l’accompagner d’une objectivation due à la présence, à l’extérieur du cercle
des participants, d’observateurs, qui n’interviendront qu’une fois l’analyse terminée, pour
exprimer leur point de vue sur le fonctionnement du dispositif et sur la progression de
l’analyse dans la multiréférentialité.
1.3. L’auto-analyse
Elle peut se réaliser dans la solitude de notre bureau lorsque l’entreprise cesse ses activités ou
dans des circonstances multiples, avec d’autres personnes en relation avec notre entreprise et
à propos de situations concrètes. Nous pouvons alors constater l’existence de perception ou de
position différente de la nôtre qui déclenche chez nous un retour de la situation évoquée.
L’auto-analyse prend des formes très variées. Elle n’est généralement pas construite, c'est-à-
dire sans méthodologie particulière. Elle suit alors la pente des préoccupations du moment.
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Il est plus systématique. Il peut se faire régulièrement entre le chef d’entreprise et ses
collaborateurs. Les faits sont passés en revue et, selon le cas, décrits avec plus ou moins de
précisions. Une appréciation et des commentaires suivent l’exposé. Vient, ensuite, l’énoncé
des dispositions à prendre pour le suivi de l’affaire si elle n’est pas clause.
Il peut se limiter à une revue, en pensée, des activités produites au cours de la journée ou des
jours qui précèdent. Cette activité mentale vise à faire le point sur ce qui a été réalisé et le
suivi qu’elles appellent éventuellement, voire les corrections à apporter. L’analyse est peu
présente dans la mesure où l’objectif correspond à un critère de complétude. Ce type
d’entretien n’est pas sans intérêt car la visée générale est d’agir d’une façon qui ne soit pas
superficielle ou simplement formelle.
Elle appelle une réflexion à posteriori, tout particulièrement lorsque le problème perdure. Il se
peut que les solutions apportées font elles-mêmes problèmes. La réflexion mérite d’être
conduite avec l’ensemble des acteurs directs ou potentiels.
Il advient que certains problèmes qui se présentent de façon récurrente donnent à penser qu’ils
sont reliés à une même cause. Cette hypothèse conduit naturellement à examiner les causes
possibles des différents évènements qui en sont l’objet pour voir le bien fondé de la suspicion.
Il peut apparaître ainsi que la cause de diverses incompréhensions, réactions défavorables
interprétations abusives relève d’un défaut de communication : par exemple un mauvais
ciblage des destinataires.
Elle consiste à reprendre les éléments d’une action pour en mesurer l’impact.
Dans le cadre d’un conflit, elle recherche les enjeux qui opposent les parties pour déterminer
le type d’aménagement qui pourrait les satisfaire chacune.
A priori, le recours à un collaborateur expérimenté est une forme peu employée d’analyse des
pratiques, mais elle devrait se développer dans l’avenir, de façon quasi systématique et
organisée par les organisations sous forme de formation continue au profit de personnes qui
débutent dans leur métier. La personne expose son problème, la difficulté qu’il rencontre, les
réponses qu’il a données ou qu’il s’apprête à mettre en œuvre. Son collaborateur le questionne
pour comprendre la situation et aider la jeune personne à faire une analyse plus détaillée et
plus précise.
Cette aide, si elle se poursuit de façon continue dans un climat de confiance réciproque, est un
moyen d’entraînement à l’analyse des pratiques. Il n’est pas question, dans ce type d’entretien
de fournir des solutions toutes faites mais plutôt d’amener le demandeur à les trouver.
On notera que l’auto-analyse peut se conduire seul ou à plusieurs, qu’elle peut se donner un
objet particulier à examiner ou par rapport à un objectif d’analyse. Elle peut se réaliser à
fréquence régulière ou de façon erratique en raison des circonstances. Dès lors, elle est plus
fréquente qu’il n’y paraît. Mais peut-on assimiler ces démarches à l’analyse des pratiques ?
Ce sont bien des pratiques qui font l’objet d’une analyse, c’est le processus d’analyse qui est
soit escamoté (on peut se presser aux conclusions), soit absent de la démarche intellectuelle
(les faits et les liens qui les unissent, les situations et les éléments qui la composent ne sont
pas retenus systématiquement).
L’analyse des pratiques prend pour support l’analyse des situations de travail. Elles se situent
dans un champ particulier de l’activité d’une organisation. Des processus sont mis en œuvre
pour obtenir le résultat attendu. L’activité étant finalisée, les processus forment comme une
chaîne d’activités qui peut se représenter par des points sur une droite figurant la durée, ou
prendre la forme d’une arête de poisson aux points où deux ou plusieurs processus concourent
à un résultat intermédiaire. Les pratiques mettent en œuvre les processus qui conduisent au
résultat attendu. Ce sont les situations de travail. En résumé, toute pratique est finalisée et
dépend des ressources qui lui sont attribuées, des contraintes qui s’imposent à elle. De même,
toute pratique est liée à son environnement. L’analyse doit nécessairement tenir compte de ces
quatre aspects : ressources, contraintes, objectifs, effets. La première étape de l’analyse
consiste à mettre en évidence les divers processus linéaires ou ramifiés qui s’enchaînent pour
atteindre le résultat. Elle se traduit par une description des processus en œuvre dans le temps.
Ainsi est reconstitué un cheminement composé d’actes en relations les uns avec les autres qui
s’expliquent par les raisons qui les suscitent. Autrement dit, par exemple le rôle d’un chef
d’entreprise (il se traduit par des situations de travail qui lui sont propres), dans l’élaboration
et la réalisation des processus liés à l’activité, fait l’objet d’une évaluation. Il s’agit
d’apprécier la pertinence des choix effectués, des procédures engagées, des modalités mises
en œuvre au regard du but poursuivi. Les questions se rapportent aux compétences mises en
œuvre par le chef d’entreprise. Le chef d’entreprise peut prendre à son compte une part de
l’activité ou faire exécuter l’ensemble du projet à ses collaborateurs. Il peut faire appel ou non
à un consultant, à certains collaborateurs. Se pose donc la question de la validité des choix,
celle des ressources utilisées, des compétences employées. Le rôle du chef d’entreprise
consiste à s’informer, prévoir, organiser, expliquer, vérifier que chacun a bien compris son
rôle personnel, s’assurer du suivi des processus, etc. Se pose également la question de la
façon dont les acteurs sont mobilisés.
2.2. La formation
Un entraînement s’avère certainement nécessaire qui nous donne plus de souplesse et plus de
sûreté. Il existe en conséquence plusieurs méthodes de formation. Celle qui pourrait être
présentée est relativement simple et accessible pour des chefs d’entreprise par exemple ou des
cadres qui peuvent l’organiser à quatre ou cinq collègues sans passer par un organisme de
formation. L’idéal serait d’obtenir d’un organisme de formation l’aide d’un psychosociologue
compétent. Le petit groupe se réunit au moins une fois par mois dans un lieu où il ne sera pas
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dérangé. La séance pourrait se dérouler selon un rite immuable. L’un des participants, à tour
de rôle, a la charge de modérateur (le psychosociologue s’il était présent joue ce rôle). Il veille
à ce que la règle impérative « d’absence de tout jugement porté sur ce qui est exprimé » soit
strictement respectée. L’un des participants volontaire décrit une situation vécue qui a
représentée une difficulté pour lui. Lorsque la situation a suffisamment été décrite, les
collègues posent des questions qui permettent d’identifier tous les aspects qui n’ont pas été
mis en lumière et particulièrement ce que le collègue a fait ou n’a pas fait. Le questionnement
s’arrête lorsque la situation apparaît dans ses différentes articulations, les causes et leurs
effets, les relations et les réactions. Le narrateur est invité ensuite à exprimer les raisons du
malaise qu’engendre son implication dans la situation décrite. Là encore, le questionnement
est destiné à faciliter la prise de conscience du problème rencontré. Il revient à celui qui se
trouve sur la sellette de tirer les conclusions personnelles qu’il analyse. A la séance suivante,
un autre collègue est invité à exposer une situation qui l’a embarrassé. Il est possible de
poursuivre cette méthode pendant plusieurs années. Elle suppose une grande confiance entre
les membres du groupe qui s’interdisent de rapporter à quiconque le contenu des séances. Le
fait d’être questionné et de questionner à son tour sur des cas précis qui mettent en jeu les
pratiques, constitue un excellent entraînement à l’analyse. Il permet également, sous le regard
bienveillant d’autrui, d’apercevoir des manies, des attitudes, des expressions qui ne sont pas
toujours bien perçues dans l’exercice de la fonction.
Le directeur d’entreprise qui gère un ensemble complexe de situations associant des acteurs
aux enjeux différents, a certainement besoin par exemple, pour se perfectionner, d’analyser
ses pratiques. Pour cela, il lui faut gérer son temps, par une discipline personnelle, après avoir
suivi une formation à la méthodologie de l’analyse des pratiques.
Parfois, des situations particulières nous imposent de prendre des décisions délibérées,
réfléchies, en toute connaissance de cause. Il nous faut donc être capable d’identifier des
situations critiques, de statuer sur des enjeux, d’anticiper des scénarios possibles et de décider
en toute lucidité, je pense que c’est à cela que doit entraîner l’analyse des pratiques : elle doit
nous permettre d’interroger les décisions que nous avons prises et de nous faire acquérir plus
de lucidité pour celles que nous avons à prendre. Je crois que en tant que formateur, si l’on
peut en formation, séparer les questions didactiques et les questions transversales, on
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parviendra à mieux les comprendre. C’est justement par l’analyse des pratiques qu’on peut
faire la synthèse entre les deux. C’est là qu’on retrouve et reconstruit l’unité d’un métier. La
posture réflexive nous conduit à développer notre capacité à prendre de la distance avec ses
pratiques, à les analyser pour en concevoir de nouvelles. Elle nous aide à observer l’impact
des méthodes et des outils que nous utilisons, à formaliser les étapes de notre cheminement en
les situant dans un cadre théorique. Elle contribue aussi à expliciter les représentations que
nous avons des conditions de succès ou d’échec de nos actions et des réactions de nos
partenaires. Je pense que l’analyse des pratiques ne saurait se limiter bien sûr à l’entrée dans
le métier. Il existe d’autres moments où elle est utile dans une formation voulue désormais
tout au long de la vie. L’analyse des pratiques professionnelles ne peut pas s’inscrire non plus
dans un dispositif cloisonné, elle doit être intégrée dans un dispositif en réseau, cohérent,
lisible par tous les concepteurs et les formateurs impliqués. En fait, le formateur peut guider
l’analyse et participer à la problématisation de la situation. Je crois que l’analyse des pratiques
pour les formateurs est très importante et encore plus de nos jours. La profession de
consultant formateur est une profession en transformation. Le métier a changé : les publics et
aussi les environnements d’apprentissages humains et techniques ont changé. Le métier est
d’évidence plus complexe. Il demande à chacun une pratique efficace qui exige plus de
flexibilité et plus d’intelligence collective. La question des compétences est donc plus
qu’auparavant une question vive. Elle est discutée, médiatisée, voire politisée. Quelle
formation doit être mise en place et pour quels formateurs ? L’analyse des pratiques se place
probablement dans cette double injonction : transformer les pratiques des formateurs en
changeant les pratiques de formation. Maintenant, je crois connaître ce qu’il ne faut pas faire,
se garder de jargonner, de jouer à l’expert….., de « traiter » l’autre comme un objet, de s’en
moquer, de l’humilier, et puis, je ne sais pas, chercher, chercher un langage intermédiaire, ni
savant ni simpliste, mais au plus près du réel, pour parler de ce qui nous traverse, continuer
d’apprendre, apprendre à supporter l’incertitude, l’imprévisible, l’inachevé inhérent à
l’humain. Apprendre à se faire chercheur de soi, à questionner les évidences, à devenir un
formateur réflexif et surtout chercher ensemble, en équipe, tout ce qui favorise le mouvement
de la vie et de l’apprentissage, le déplacement des points de vue, le décentrage, pour ne pas
rester figés face à autrui, mais pour augmenter les capacités de rencontre, les capacités de
tissage de liens entre formateurs tout en sachant que ces liens ont besoin d’être médiatisés, par
la parole, par des règles, par des activités créatrices afin de favoriser l’émergence de
personnes autonomes et responsables d’eux-mêmes et d’autrui.
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