MICHAEL CARRERAS :
PAR STEVE SWIRES
Les films d’épouvante n’ont pas tou-
Jours été de vagues histoires de teena-
gers morts-vivants et de psychopathes
assoiffés de sang. Rappelez-vous les
monstres populaires qui hantaient
Pécran de nos réves, il n'y a pas si long-
temps : ces savants fous en quéte de
‘eadavres a ranimer, ces vampires con-
‘cupiscents avides de patures nubiles, ces
momies incapable de rester en place et
qui passaient leur mort suivre d’un pas
pesant les impudents profanateurs de
Jeur derniére demeure. Bt tous parlaient
un anglais, impeccable, grace aux bons
LA HAMMER
L’HORREUR, UNE AFFAIRE DE FAMILLE
soins dune petite maison de production
bien tranguille : la Hammer Films...
Pour toute une génération d'amateurs
‘du genre, Hammer aura rimé avec hor-
eur. Suivant les traces des eréatures ter-
rifiantes qui avaient déferlé sur le
monde grace aux productions del"Uni-
versal, Ia Hammer réinterpréta les
méme mythes fantastiques avec une
sensibilité plus moderne, totalement
dénuée de complexes. Et c'est ainsi que
Frankenstein, Dracula, la Momie, le
Loup-garou et méme le mélancolique
Fantéme de Opéra reprirent du serviceet recommencérent & faite frémir tes
spectateurs du monde entier, mais en
couleurs et en gros plan.
Nul r’aurait pu étre plus surpris par ce
suceés sans précédent que les
créateurs et dirigeants de ladite Ham-
‘mer : partie d'un petit fonds de com-
merce oréé par deux familles ambitieu-
ses, les Carreras et les Hinds, la firme
allait devenir une maison de production
prospére spécialisge dans les frissons
gothiques, les épopées préhistoriques,
les thrillers palpitants, les aventures
échevelées et autres films de science
fiction, tous réalisés & peu de frais.
kyrielles de professionnels de talent
devaient s'épanouir dans cette pépi-
niére : des réalisateurs comme Terence
Fischer, Freddie Francis, Val Guest,
John Gilling et Roy Ward Baker, les
sognaristes Jimmy Sangster, Anthony
Hinds alias « John Elder » et Nigel
Kneale, le producteur Anthony Nelson-
Keys, les chefs opératcurs Jack Asher
et Arthur Grant, le décorateur Bernard
Robinson, le virtuose du maquillaze
Roy Ashton, le monteur James Needs,
Je compositeur James Bernard, et les ac
teurs Peter Cushing et Christopher Lee.
‘Au milieu de ces hommes de Vart,
‘Michael Carreras devait suivre un cours
accéléré initiation aux techniques
cinématographiques du jour ob il reioi~
‘gnit son pére et son grand-pére dans
leur entreprise alors balbutiante. C’est
ainsi qu'il gravit_en une trentaine
d’années tous les échelons de la carriere,
dabord comme assistant de produc-
tion, producteur puis producteur exé-
ccutif, avant de devenir directeur, pré-
sident et enfin directeur général de la
Hammer, dans laquelle son nom restera
a jamais associé & plus dune centaine
de films.
Avec la discrétion et la modestie qui le
caractérisent, Carreras, qui a aujour-
@hui soixante ans, a scrupuleusement
évité une publicité qui aurait pu deve-
nir génante depuis qu'il a rompu tous
liens avec la Hammer, en 1979. Et pou-
tant, dans cet interview exclusive en
deux parties ~ la premiére qu'il ait
accordée en prés d'une dizaine d’ années
= C’est avec une grande franchise qu'il
nous a confié sa vision privilégiée de
Phistoire de cette firme et qu’il nous a
révélé les circonstances pénibles qui
Pont amené a quitter la compagnie &
Taguelle i a consacré a plus grande par-
tie de sa vie. Mais Michael Carreras
répugne tant a revivre ces souvenirs
mers qu’il se pourrait bien que ces con-
fidences soient les premiéres et les
demiéres.
‘Comment adémarré ta Hammer Films,
qui fut un temps la compagnie de pro-
duction indépendante la plus dynami-
que de histoire du cinéma ?
‘Au départ, était une petite compagnie
de distribution, appelée Exclusive Films
Ltd., ailleurs, dirigée par deux asso-
ciés, mon grand-pére Enrique Carreras,
exploitant, et un certain William Hinds,
homme d’affaires ct agent a ses heures,
ui jouait dans les piéces de boulevard
sous le nom de Will Hammer.
Ils s'étaient associés en 1935 pour faire
des ressorties de films, dont certains
venaient tout droit du catalogue de la
prestigieuse British Lion. Par ailleurs,
Hinds finanea, dans les années 30, la
production de quatre petits films, sous
lenom, déja, de Hammer Film Produc-
tion Ltd, Détail amusant, un de ces
petits films, The Mystery of the Mary
Celeste, avait pour vedette... Bela
Lugosi. A la fin de ’année 1947, hinds
‘et mon grand-pére décidérent de former
tune véritable petite unité de production
cet de se lancer dans la réalisation, et ils
reprirent le nom de Hammer Films
pour les besoins de la cause.
‘De quelle maniére envisagiez-vous alors
votre avenir ?
J'aurais voulu offrir une imitation satis-
faisante du trompettistes américain
Harry James. J’adorais les grands
orchestres et je passais rigoureusement
tout mon temaps & collectionner les is-
ques de Harry James, Woody Herman
et Artie Shaw. apprenais a jouer de
Ia trompette, mais il ne m’a pas fall
Jongtemps pour comprendre qu'il y
avait un abime entre les sons que je ten-
tais de sortir de certain bout de cuivre
tordu et ce que j'entendais quand je
un disque. Si j’avais
leur a ce jeu-la, ma vie en aurait sans
aucun doute été changée.
Vous avez commencé @ travailler en
1943, @ age de 16 ans, comme direc-
teur de publicité de Exclusive Films...
‘Cétait un titre un pen pompeux pour
un simple boulot de vacances qui
avait té confié par mon grand-pére.
En fait, je me bornais & envoyer des
affiches et des photos aux salles qui pas-
saient les films distribués par la com-
agnie.
Vous avez eu une chance inouie que
votre arrivée dans Waffaire familiale
coincide justement avec la décision de
votre grand-pere de se lancer dans la
production...
Il était un peu réticent a Vidée de met-
tre de Margent dans la production.
Comme il ne comnaissait personne dans
le circuit, ila confié cet aspect des cho-
ses & deux de ses collaborateurs, qui
ayaient déja fait leurs preaves dans
autres domaines : mon pére, James,
et Anthony Hinds, qui était le fils de
son associé, William,
‘Pétais payé pour tenir la caisse pendant
le tournage du premier film produit par
la Hammer et réalisé par une autre
compagnie, la Marylebone Studios.
C’était en 1948, le film s’appelait Dick
Barton, Special Agent, et le studio était
en fait une petite église désaffectée.
C’est Ia que je fis la connaissance dun
gargon qui venait d’étre embauché par
a Marylebone pour le motif qu'il ait
Je moins cher sur le marché: un
dénommé, Jimmy Sangster... *
Qu’est-ce qui a décidé votre grand-pere
4 se risquer @ produire ses propres
films ?
‘C*était une conséquence de 1a loi bri-
tannique des quotas. Le public anglais
préférait, et de loin, les films américains
4 ceux produits sur son propre terri-
{oire, et pour permettre a la produetion
nationale de survivre, les_autorités
furent amenées A promulger_cette
fameuse loi des quotas qui stipulait
qu’un certain pourcentage des films
projetés tous es ans devaient étre pro-
Guits en Grande-Bretagne, d’oi lori-
gine des doubles programmes.
La Hammer eut la chance a ce moment-
1a d'avoir un grand alliéen la personne
de Jack Goodlatte, le programmateur
du circuit ABC. C’est lui qui dit & mon
grand-pére : « Vous avez bien réussi &
distribuer les films des autres, pourquoi
ne feriez-vous pas vos propres films de
complement ? » Bt voila comment, fort
de cet encouragement, mon grand-pére
s'est lancé dans la production.
Les premitres productions de la Ham-
‘mer étaient basées sur des pidces radio-
phoniques de la BBC. Pourquoi ce
choix ?
‘La Hammer cherchait une formule sus-
ceptible de donner lieu & des séries, et
les feuilletons radiophoniques étaient
tués populaires 4 ce moment-Ia. Il faut
dire aussi que la BBC état la seule et
unique station de radio, a 'époque, et
‘que tout le monde écoutait la méme
chose chaque soir. A partir de la, quel
meilleur matériau aurait-on pu utiliser
ue ces histoires qui avaient déia beau-
coup de succes sous une autre forme ?
Tout ce qu'il fallait espérer, c'état que
Jes gens iraient au cinéma voir les hi
toires quills avaient déja entendues.
Vous avez done travailé comme as
tant de production sur 17 films de la
Hammer, de 48 @ 51, puis vous avez
produit votre premier film, The Dark
Light, d Page de 24 ans. Ouels furent
vos sentiments lorsque voas aver été
invest de ces nouvelles responsabiltés ?
Je me suis dit que c’était un grand pas
fenavant, Aulicu d’étre responsable de
Ja distribution une semaine et rafisto-
leur de scénario la semaine suivante, je
pouvais faire la méme chose plusieurs
femaines de suite, et cétait plutot
agréable. Mais The Dark Light se révéla
tellement désastreux qu'on se demande
‘encore comment on avait pu en tirer
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