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Le ministre de l’Ecologie JL Borloo a préconisé que la Boudeuse traite en

premières recherches, à l’occasion de son arrivée en Guyane Française, le


problème de la pratique de l’orpaillage et les effets de la pollution par le
mercure des deux grands fleuves frontières de la Guyane, l'Oyapock à l'est
(Brésil) et le Maroni à l'ouest (Surinam) ( cf le « Bien Public »).

Comment un regard extérieur, loin de ces réalités, pourrait comprendre


l’intérêt et le contenu de cette thématique ? J’ai essayé depuis Bordencre de
faire ce chemin avec toute la naïveté qu’une telle démarche suppose, avec
toutes les erreurs que mes écrits porteront, car ce ne sont pas quelques clics
qui peuvent aider à voir avec intelligence et perspicacité un tel sujet. Aussi
d’avance je ne peux que m’excuser auprès des habitants de la Guyane
Française. J’espère qu’ils voudront bien simplement accepter ma démarche
d’essayer de mieux les connaître, de mieux comprendre leur réalité malgré la
distance et la méconnaissance totale de la thématique.

Je rappelle aussi que Bordencre n’est qu’un site personnel, sans autre lien avec
le site officiel et l’équipe de la Boudeuse que de s’intéresser en toute
indépendance à leur aventure, en ce que ce fil conducteur de leur
déplacement, de leur mouvement, d’une connaissance en errance, peut
m’apprendre, me faire découvrir…et que je mets en partage avec tout ce qui
est écrit précédemment en remarques contigües à ces écrits.

Ce n’est pas par hasard que je tiens à écrire cela en avant propos. La Guyane
est un territoire sous régime administratif d’un département français et il est
grand comme un pays, où vivent des habitants issus de nationalités, de cultures
et d’histoires collectives très multiples. Plusieurs langues coexistent en marge
du français officiel dans les relations interpersonnelles. La Guyane semble donc
être une mosaïque aux équilibres et aux mouvements identitaires en pleine
vivance ou survivance. Dans ces frottements de l’histoire et du présent, la
violence a pris sa place. J’habite sur une île très petite au regard d’un
territoire-pays qui est un département là où, nous, sommes une région sous
statut particulier de collectivité territoriale. Chez nous aussi la violence a pris sa
place.

Or, lorsque notre île est dans l’actualité d’un reportage, inévitablement le
contexte de la violence semble « spectaculariser » le traitement médiatique
dans des jeux d’acteurs binaires d’opposition et de confrontation, des formats
de diffusion, des climats d’urgence ou d’émotion, … qui font que celui qui vit
sur l’île reste un peu désabusé car la réalité est rarement dans le manichéisme
ou l’angélisme et le machiavélisme, elle est souvent complexe, rude à
comprendre et les reportages l’aident peu à se situer, à mieux appréhender la
société dans laquelle il évolue. Par ailleurs l’entrée retenue par le traitement du
sujet peut stigmatiser un phénomène, le rendre plus prégnant dans le
reportage que sa consistance et sa quotidienneté dans la réalité.

C’est pourquoi à mon sens, des reportages comme ceux qui circulent sur le net
sur le thème de l’orpaillage ou de l’insécurité en Guyane, ne peuvent pas être
ce que l’on doit seulement recevoir de la Guyane lorsque l’on veut mieux la
connaître à partir des thèmes comme celui demandé en recherche par le
Ministre de l’Ecologie à la Boudeuse.

On trouve autant de témoignages où des habitants sont fiers de leur territoire,


l’aiment et veulent le donner en partage affectif comme ce clip vidéo posté par
Madrasprod.

Systématiser un territoire dans ses difficultés et ses points négatifs, c’est


commencer un chemin de racisme et non de compréhension. Et cela ne sert
qu’à servir la violence que le regard inquisiteur semblait avoir voulu dénoncer.
La violence devient une économie pour tous ceux qui veulent en faire un
spectacle ou un enjeu de pouvoir depuis leurs camps respectifs du
manichéisme.

Alors comment aborder la Guyane ?

Peut être par cette entrée ; alors que je cherchais des écrivains Guyanais, car
Bordencre me porte souvent à partir, d’abord, de cette sensibilité d’approche,
j’ai trouvé ces mots à l’occasion d’une interview de Serge Patient :

A propos des auteurs Guyanais :

« La nature, forêt; fleuves, écrasent l'individu. Nous n'essayons pas de faire


"joli", nous recherchons avant tout ce qu'il y a de profond »

J’ai bien aimé cette image où, d’une certaine façon, le premier territoire de
l’individu, ce qui est pour lui une sécurité, un refuge qui lui permettra de
construire, d’aller vers l’autre, c’est son monde intérieur, son histoire, sa
mémoire, sa culture, son âme, ses aspirations…

Qu’ainsi, une approche globale d’un territoire à partir de ses composantes


humaines, dès lors que cultures, mémoires, histoires, destins ne sont pas vécus
en étendards, en manipulations imposées, mais en intimité constructives pour
le vivre ensemble, peut être un début de chemin pour mieux comprendre la
réalité de ceux qui la vivent dans leur multiplicité et leur complexité…en allant
au-delà de l’apparence, au-delà des premiers faits, au-delà des préjugés et des
jugements….

C’est donc avec ce long avant propos que j’ai essayé de m’intéresser à ce que la
Boudeuse va, elle, étudier, les conséquences de la pollution au mercure sur les
fleuves du territoire Guyanais. Mercure utilisé à l’occasion de l’orpaillage.

L’Agence française de sécurité sanitaire environnementale a produit en 2004


un document de synthèse à l’occasion d’une journée scientifique sur le
mercure en Guyane.

Pages 6/7 on peut lire ces données :

Les documents de la journée sont accessibles ICI.


Toujours sur les effets du mercure, une étude de 2001 de la population
Sinnamary, remarquait :

(…)

(..)
En 2000, un rapport parlementaire avait été remis au Premier ministre,
Christiane Taubira-Delannon agissant sur lettre de mission ; extraits :
Toujours dans ce rapport parlementaire :

Si je vous ai mis ces extraits, et même si le temps est passé depuis pour
certains, c’est que lorsque j’ai commencé à chercher des documents sur
l’orpaillage et la pollution au mercure, j’ai été intéressée de voir combien on
touchait au cœur d’une humanité.

Dans cette intimité d’un lien à la terre, à l’espace, à l’histoire, à la


mémoire…Dans ces façons de vivre ces liens et dans les conséquences que ces
choix ont plus ou moins directement sur l’intoxication au mercure de
l’individu, sur sa responsabilité d’acteur dans la pratique de l’orpaillage, sur la
violence qu’il va donner ou subir …

En plus je trouvais étrange aussi ces deux présences de terre et de fleuve que
l’on retrouve dans la pratique de l’orpaillage.

Le fleuve, un état de mouvement permanent, où le présent n’est jamais sauf


pour celui qui prend l’eau dans sa main. Un peu comme ces identités qui
s’agrègent et se désagrègent, se cherchent et tourbillonnent, se construisent
et s’emportent plus loin, si difficiles à appréhender, à tenir dans le creux de son
âme pour lui donner un présent, une empreinte de vie où glisser son pas sans
être enfermé par un diktat du passé…

Si je prends un instant l’eau dans le creux de ma main, pour me sentir en lien


avec elle, tout autant je ne la garde pas séparée du fleuve, je la remets dans le
mouvement sauf qu’elle a pris un peu de moi, et que j’ai reçu un peu d’elle…
Peut être que j’aimerais vivre l’identité de mon territoire de cette façon, par
cette mémoire, cette culture partagée, reçue et redonnée mais sans que le
mouvement, la vie ne cesse et transforme, métamorphose dans la continuité
tout autant que dans la rupture des frottements, des obstacles, des dérivations
qui créent la nouveauté sans séparer, oublier ; le mouvement étant ce qui
rassemble, unit, invente, garde en odeurs et en matières, en forces…
Peut-être que ce mouvement me remplirait. Me remplit déjà chaque fois que je
m’intéresse à ce qui m’entoure, que j’essaye de comprendre.

Et puis cette terre. Dans l’orpaillage il s’agit plus de la boue. On n’est pas trop
dans la terre à pétrir, plus dans l’image du froid, du noir, de l’enlisement, de la
peur, de ce qui colle…un peu comme ces mémoires malmenées, ces identités
encore non solidifiées qui se dérobent, qui font le pas lourd…..

Et pour rejoindre cette image de l’identité de l’écrivain Guyanais, rappelée en


début de propos, qui va à ce qu’il y a de profond, l’orpaillage appelle au plus
profond de l’histoire individuelle et collective des habitants de la Guyane dans
toutes ses dimensions de mémoire, de culture, de choix à l’espace, à l’habitat, à
ce qui entoure….

Sûrement qu’aucune des catégories de populations quelque puisse être son


ethnie, ou son travail, son statut ne peut échapper à la nature tellement elle
est présente, au point « d’écraser l’individu ». Peut être de l’écraser du cœur
auquel la nature le ramène, qui est ce centre de lui-même, ce poids du passé,
de la multiplicité, de la complexité à vivre ce mouvement perpétuel de la
multitude des origines, des façons d’arriver sur un territoire qui ne se livre pas
facilement du fait de l’épaisseur, la texture, les composantes de sa nature et
où plusieurs de surcroît sont venus d’abord par la contrainte (l’esclavagisme, le
bagne, la pression économique …).

Et l’orpaillage semble concerner toutes les populations du territoire, celui qui


va extraire l’or, celui qui travaille dans la filière, celui qui va agir en prévention,
celui qui va agir en répression, celui qui va pêcher le poisson infecté par le
mercure ….en cela il devient un dénominateur commun qui met en lien toutes
ces identités, ces mémoires, ces catégories de populations, d’habitants dans
leurs diversités à vivre le présent………d’autant que le territoire a augmenté son
brassage ethnique.

Ces mouvements ethniques font souvent l’objet de recherches.


D’autant que la mosaïque des origines culturelles des habitants prend une
résonnance en plus grande du fait de la « mondialisation » qui est présentée
comme une caractéristique majeure de notre époque. Même si peut être il
conviendrait de modérer cela. Les voyages du néolithique, comme ceux du
XVIIIème siècle pour citer celui des grands navigateurs puisque nous sommes
sur le lien de la Boudeuse, n’étaient-ils pas déjà porteurs de mondialisation de
par l’échange des techniques et des matières, par les conflits, les rapports de
domination….L’Homme n’est jamais qu’un Homme…Peut-être que la rapidité
des échanges, la multiplicité des supports a rendu le sentiment de
mondialisation plus intense, plus urgent dans le soubresaut des identités
multiples qui dans la violence d’un mouvement pouvaient disparaître.

Plus près de nous aussi nos institutions sont en mutation d’identité sans
prendre le temps de le reconnaître, d’en tirer les conséquences. La société de
l’urgence, de l’immédiateté, mais aussi des échéances électorales de plus en
plus rapprochées prend dans son filet celui-là même qui fait évoluer les
données identitaires d’un pays en réformant ses institutions sans toujours
prendre le temps de regarder ce qu’il a transformé…Est-ce que l’identité de
l’Etat n’a pas changé du fait de la décentralisation, de la déconcentration, de
l’européanisation …a-t-il vraiment redéfini sa propre identité, son lien à ce qui
l’entoure, est-il sûr de ses fondamentaux en tant que base commune à tous
ses pas …Ou bien n’est-il pas pris lui même dans la tourmente de l’urgence, de
l’immédiateté, de l’internationalisation des échanges économiques
supranationaux …Est-ce que cela n’ induit pas tout autant une fragilisation
identitaire ?

Est-ce que ce sont tant que cela nos cultures, nos différences qui nous
sépareraient ou bien est-ce que ce n’est pas cette façon de trop regarder vers
ce que l’on devient ou devrait devenir, plutôt que de commencer à
comprendre ce que l’on est dans nos mémoires, nos histoires individuelles et
collectives, nos choix de vie… On est dans la métamorphose immobile en ce
qu’on ne prend pas le temps de se connaître et reconnaître.
Enfin c’est ce que je ressens. Cette fuite en avant du futur alors qu’on a du mal
à seulement maîtriser le présent.

Parmi les études sur la Guyane que j’évoquais tout à l’heure, certaines sont
anthropologiques. A les lire, je me disais que des plis de société n’en finissent
pas de produire leurs effets générations après générations…

Gérard Collomb fait ainsi le point sur l’hétérogénéité des origines culturelles
des populations Guyanaises : les Améridiens, les Blancs (colons, anciens
bagnards, administrateurs), les Marrons, les Créoles, les Indiens de l’Inde, les
Créoles antillais, les Chinois, Les Hmong réfugiés, les Haïtiens, les Surinamiens,
les Brésiliens.

Et à le lire je me dis que le système de domination de la colonisation a façonné


le lien au territoire des arrivants aussi bien que de ceux déjà là. Par la
hiérarchie du groupe, par le lien clientéliste, par une « assimilation » twistée
par les rapports de force…

Et ce qui a été construit par ce pli est très lent à évoluer.

Ainsi les Amérindiens essayent de vivre ce façonnage d’une autre façon, par la
voie du lien démocratique, qui nécessairement dérange les liens clientélistes,
car le lien démocratique veut pour dynamique la reconnaissance, l’accès à
l’expression civique participative, la complémentarité d’existences agissantes.
D’où la montée en puissance des revendications sur les droits arborigènes.

Pour les Hmong ils sont entre les images des missionnaires qui ont façonné
leur arrivée (une communauté artificiellement réunie à partir de ceux qui
devaient pouvoir représenter toutes les composantes d’un peuple en exode
dans l’image des missionnaires), celles de la diaspora Hmong, celles des
Anciens. Et leur capacité à vivre au mieux leur présent semble se trouver dans
l’équilibre à déterminer entre la tradition à maintenir et celle à exploiter pour
en faire une denrée économiquement porteuse pour le groupe sans rupture en
son sein entre les générations.

Pour les Haïtiens, ces rapports de domination classant les populations par
catégories de groupes, les propulse de façon encore plus violente dans la
marginalité économique du fait du phénomène d’immigration clandestine.
Dans cette étude, la solidarité entre nouveaux arrivants et anciens arrivants, le
lien utile gardé avec le pays d’origine, l’habitat vécu comme un lieu
d’attachement affectif par l’entraide, les échanges de travail, arrivent à créer
une expérience sociale commune fondatrice d’une identité.

Aussi à lire ces trois exemples, et en revenant à cette image de notre départ où
le territoire Guyanais oblige d’une certaine façon l’écrivain à aller à ce qu’il y a
de plus profond, il semblerait que sur ces trois exemples chacun est allé à sa
façon à ce qui est pour lui essentiel, c'est-à-dire d’abord le lien à la génération
qui le précède : soit par la tradition, soit par sa culture, soit par l’entraide.

Voilà, je vous ai fait partager mes lectures, je suis partie du thème de


l’orpaillage, de la pollution pour arriver sur cet essentiel du lien à génération,
à transmission. Cette recherche de pas en cohérence avec ceux qui nous
précèdent.

Je ne savais pas comment finir cet article, alors, je suis allée faire un tour sur
mes étagères, glissant les yeux sur les couvertures, les noms d’auteurs…

J’ai souri à cette évidence qui me tendait les bras, surtout si on réfléchit au lien
avec la Boudeuse.

J’ai repris dans mes mains Le chercheur d’or de Le Clézio….. roman aux liserés
de la vie de l’auteur ( Folio, N° 2000):
J’ai sorti de mon sac les papiers du trésor qui me restent encore, les cartes, les croquis,
les cahiers de notes que j’ai écrits ici et à Rodrigues, et je les ai brûlés sur la plage. La
vague qui passe sur le sable emporte les cendres. Maintenant, je sais que c’est ainsi qu’a
fait le Corsaire après avoir retiré son trésor des cachettes du ravin, à l’Anse aux Anglais.
Il a tout détruit, tout jeté à la mer. Ainsi, un jour, après avoir vécu tant de tueries et tant
de gloires, il est revenu sur ses pas et il a défait ce qu’il avait créé, pour être enfin libre

je ne suis pas venu à l’Anse aux Anglais pour laisser une trace, même si ces pages que
j’écris maintenant, ces cahiers du chercheur d’or sont la dernière phase de cette quête
(cette enquête) commencée par mon grand-père il y a plus de quatre-vingts ans. Une
trace ? Plutôt l’effacement d’une trace. En écrivant cette aventure, en mettant mes mots
là où il a mis ses pas, il me semble que je ne fais qu’achever ce qu’il a commencé,
boucler une ronde, c’est-à-dire recommencer la possibilité du secret, du mystère

Ainsi le Trésor est d’abord de trouver son identité. Et pour Le Clézio cela passe
également par un lien très fort, fusionnel avec la nature.

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