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Je rappelle aussi que Bordencre n’est qu’un site personnel, sans autre lien avec
le site officiel et l’équipe de la Boudeuse que de s’intéresser en toute
indépendance à leur aventure, en ce que ce fil conducteur de leur
déplacement, de leur mouvement, d’une connaissance en errance, peut
m’apprendre, me faire découvrir…et que je mets en partage avec tout ce qui
est écrit précédemment en remarques contigües à ces écrits.
Ce n’est pas par hasard que je tiens à écrire cela en avant propos. La Guyane
est un territoire sous régime administratif d’un département français et il est
grand comme un pays, où vivent des habitants issus de nationalités, de cultures
et d’histoires collectives très multiples. Plusieurs langues coexistent en marge
du français officiel dans les relations interpersonnelles. La Guyane semble donc
être une mosaïque aux équilibres et aux mouvements identitaires en pleine
vivance ou survivance. Dans ces frottements de l’histoire et du présent, la
violence a pris sa place. J’habite sur une île très petite au regard d’un
territoire-pays qui est un département là où, nous, sommes une région sous
statut particulier de collectivité territoriale. Chez nous aussi la violence a pris sa
place.
Or, lorsque notre île est dans l’actualité d’un reportage, inévitablement le
contexte de la violence semble « spectaculariser » le traitement médiatique
dans des jeux d’acteurs binaires d’opposition et de confrontation, des formats
de diffusion, des climats d’urgence ou d’émotion, … qui font que celui qui vit
sur l’île reste un peu désabusé car la réalité est rarement dans le manichéisme
ou l’angélisme et le machiavélisme, elle est souvent complexe, rude à
comprendre et les reportages l’aident peu à se situer, à mieux appréhender la
société dans laquelle il évolue. Par ailleurs l’entrée retenue par le traitement du
sujet peut stigmatiser un phénomène, le rendre plus prégnant dans le
reportage que sa consistance et sa quotidienneté dans la réalité.
C’est pourquoi à mon sens, des reportages comme ceux qui circulent sur le net
sur le thème de l’orpaillage ou de l’insécurité en Guyane, ne peuvent pas être
ce que l’on doit seulement recevoir de la Guyane lorsque l’on veut mieux la
connaître à partir des thèmes comme celui demandé en recherche par le
Ministre de l’Ecologie à la Boudeuse.
Peut être par cette entrée ; alors que je cherchais des écrivains Guyanais, car
Bordencre me porte souvent à partir, d’abord, de cette sensibilité d’approche,
j’ai trouvé ces mots à l’occasion d’une interview de Serge Patient :
J’ai bien aimé cette image où, d’une certaine façon, le premier territoire de
l’individu, ce qui est pour lui une sécurité, un refuge qui lui permettra de
construire, d’aller vers l’autre, c’est son monde intérieur, son histoire, sa
mémoire, sa culture, son âme, ses aspirations…
C’est donc avec ce long avant propos que j’ai essayé de m’intéresser à ce que la
Boudeuse va, elle, étudier, les conséquences de la pollution au mercure sur les
fleuves du territoire Guyanais. Mercure utilisé à l’occasion de l’orpaillage.
(…)
(..)
En 2000, un rapport parlementaire avait été remis au Premier ministre,
Christiane Taubira-Delannon agissant sur lettre de mission ; extraits :
Toujours dans ce rapport parlementaire :
Si je vous ai mis ces extraits, et même si le temps est passé depuis pour
certains, c’est que lorsque j’ai commencé à chercher des documents sur
l’orpaillage et la pollution au mercure, j’ai été intéressée de voir combien on
touchait au cœur d’une humanité.
En plus je trouvais étrange aussi ces deux présences de terre et de fleuve que
l’on retrouve dans la pratique de l’orpaillage.
Et puis cette terre. Dans l’orpaillage il s’agit plus de la boue. On n’est pas trop
dans la terre à pétrir, plus dans l’image du froid, du noir, de l’enlisement, de la
peur, de ce qui colle…un peu comme ces mémoires malmenées, ces identités
encore non solidifiées qui se dérobent, qui font le pas lourd…..
Plus près de nous aussi nos institutions sont en mutation d’identité sans
prendre le temps de le reconnaître, d’en tirer les conséquences. La société de
l’urgence, de l’immédiateté, mais aussi des échéances électorales de plus en
plus rapprochées prend dans son filet celui-là même qui fait évoluer les
données identitaires d’un pays en réformant ses institutions sans toujours
prendre le temps de regarder ce qu’il a transformé…Est-ce que l’identité de
l’Etat n’a pas changé du fait de la décentralisation, de la déconcentration, de
l’européanisation …a-t-il vraiment redéfini sa propre identité, son lien à ce qui
l’entoure, est-il sûr de ses fondamentaux en tant que base commune à tous
ses pas …Ou bien n’est-il pas pris lui même dans la tourmente de l’urgence, de
l’immédiateté, de l’internationalisation des échanges économiques
supranationaux …Est-ce que cela n’ induit pas tout autant une fragilisation
identitaire ?
Est-ce que ce sont tant que cela nos cultures, nos différences qui nous
sépareraient ou bien est-ce que ce n’est pas cette façon de trop regarder vers
ce que l’on devient ou devrait devenir, plutôt que de commencer à
comprendre ce que l’on est dans nos mémoires, nos histoires individuelles et
collectives, nos choix de vie… On est dans la métamorphose immobile en ce
qu’on ne prend pas le temps de se connaître et reconnaître.
Enfin c’est ce que je ressens. Cette fuite en avant du futur alors qu’on a du mal
à seulement maîtriser le présent.
Parmi les études sur la Guyane que j’évoquais tout à l’heure, certaines sont
anthropologiques. A les lire, je me disais que des plis de société n’en finissent
pas de produire leurs effets générations après générations…
Gérard Collomb fait ainsi le point sur l’hétérogénéité des origines culturelles
des populations Guyanaises : les Améridiens, les Blancs (colons, anciens
bagnards, administrateurs), les Marrons, les Créoles, les Indiens de l’Inde, les
Créoles antillais, les Chinois, Les Hmong réfugiés, les Haïtiens, les Surinamiens,
les Brésiliens.
Ainsi les Amérindiens essayent de vivre ce façonnage d’une autre façon, par la
voie du lien démocratique, qui nécessairement dérange les liens clientélistes,
car le lien démocratique veut pour dynamique la reconnaissance, l’accès à
l’expression civique participative, la complémentarité d’existences agissantes.
D’où la montée en puissance des revendications sur les droits arborigènes.
Pour les Hmong ils sont entre les images des missionnaires qui ont façonné
leur arrivée (une communauté artificiellement réunie à partir de ceux qui
devaient pouvoir représenter toutes les composantes d’un peuple en exode
dans l’image des missionnaires), celles de la diaspora Hmong, celles des
Anciens. Et leur capacité à vivre au mieux leur présent semble se trouver dans
l’équilibre à déterminer entre la tradition à maintenir et celle à exploiter pour
en faire une denrée économiquement porteuse pour le groupe sans rupture en
son sein entre les générations.
Pour les Haïtiens, ces rapports de domination classant les populations par
catégories de groupes, les propulse de façon encore plus violente dans la
marginalité économique du fait du phénomène d’immigration clandestine.
Dans cette étude, la solidarité entre nouveaux arrivants et anciens arrivants, le
lien utile gardé avec le pays d’origine, l’habitat vécu comme un lieu
d’attachement affectif par l’entraide, les échanges de travail, arrivent à créer
une expérience sociale commune fondatrice d’une identité.
Aussi à lire ces trois exemples, et en revenant à cette image de notre départ où
le territoire Guyanais oblige d’une certaine façon l’écrivain à aller à ce qu’il y a
de plus profond, il semblerait que sur ces trois exemples chacun est allé à sa
façon à ce qui est pour lui essentiel, c'est-à-dire d’abord le lien à la génération
qui le précède : soit par la tradition, soit par sa culture, soit par l’entraide.
Je ne savais pas comment finir cet article, alors, je suis allée faire un tour sur
mes étagères, glissant les yeux sur les couvertures, les noms d’auteurs…
J’ai souri à cette évidence qui me tendait les bras, surtout si on réfléchit au lien
avec la Boudeuse.
J’ai repris dans mes mains Le chercheur d’or de Le Clézio….. roman aux liserés
de la vie de l’auteur ( Folio, N° 2000):
J’ai sorti de mon sac les papiers du trésor qui me restent encore, les cartes, les croquis,
les cahiers de notes que j’ai écrits ici et à Rodrigues, et je les ai brûlés sur la plage. La
vague qui passe sur le sable emporte les cendres. Maintenant, je sais que c’est ainsi qu’a
fait le Corsaire après avoir retiré son trésor des cachettes du ravin, à l’Anse aux Anglais.
Il a tout détruit, tout jeté à la mer. Ainsi, un jour, après avoir vécu tant de tueries et tant
de gloires, il est revenu sur ses pas et il a défait ce qu’il avait créé, pour être enfin libre
je ne suis pas venu à l’Anse aux Anglais pour laisser une trace, même si ces pages que
j’écris maintenant, ces cahiers du chercheur d’or sont la dernière phase de cette quête
(cette enquête) commencée par mon grand-père il y a plus de quatre-vingts ans. Une
trace ? Plutôt l’effacement d’une trace. En écrivant cette aventure, en mettant mes mots
là où il a mis ses pas, il me semble que je ne fais qu’achever ce qu’il a commencé,
boucler une ronde, c’est-à-dire recommencer la possibilité du secret, du mystère
Ainsi le Trésor est d’abord de trouver son identité. Et pour Le Clézio cela passe
également par un lien très fort, fusionnel avec la nature.