Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
AUX ÉTATS-UNIS
OBAMA EN PASSE
> DOSSIER
La réforme du système de santé, voulue par le Le marché privé occupe donc une place de choix. Les
président Barack Obama, doit encore franchir une dépenses de santé n’en sont pas freinées pour autant.
étape : le Sénat. Les membres du Sénat qui, à la fin du Elles représentent, avec 2400 milliards de dollars par
mois dernier, ont finalement accepté de l’examiner, an, 16 % du PIB. Les États-unis emportent largement la
terminent de se pencher sur leur propre version. En palme de la nation la plus dépensière en matière de
soins, loin devant la France qui dépasse de peu les 11 %
trois semaines, ils y ont apporté leur touche. Tous les
du PIB. Le programme Medicare, lui aussi, coûte cher
observateurs s’attendent à ce que leur mouture et prend l’eau. Contrairement à une idée reçue, nul ne
s’éloigne fortement du texte adopté le 7 novembre peut être laissé à la porte d’un hôpital s’il s’y présente
dernier par la Chambre des représentants où le projet en urgence. La loi fédérale contraint les établissements
présenté par la maison blanche avait déjà subi de santé à but non lucratif d’accepter une part des
quelques corrections, et non des moindres, puisque, insolvables, si bien que leur budget s’en trouve grevé.
par exemple, la condition de son acceptation par Tout ceci finit par peser sur les contribuables.
certains démocrates rétifs a été le renoncement à Malgré cela, les indicateurs de santé sont plutôt au
financer l’avortement par le programme fédéral. rouge. Le pays ne se trouve qu’à la 24ème place pour ce
« L’option publique », voulue par la gauche américaine, qui est de l’espérance de vie, le taux de mortalité est de
qui permettrait au programme Medicare de 6,8 pour 1 000 naissances.
concurrencer l’offre des compagnies d’assurances
privées au sein des fameuses « bourses » mises en Ferme sur les principes,
place par la réforme, a toutes les chances d’être
balayée par les Sénateurs. Au final, les deux chambres
souple sur les moyens
du Congrès devront se mettre d’accord sur un texte Une réforme s’imposait donc.
unique et le voter séparément avant qu’il ne soit soumis Mais au pays de la libre
à la signature du Président. concurrence, plutôt allergique par
nature à l’intervention étatique,
pareille entreprise relève des
Un système cher et peu équitable travaux d’Hercule. Bill Clinton
Toutefois le président Barack Obama est en passe de avait du renoncer à son projet.
tenir son pari : faire adopter une loi qui, enfin, offrira Avant lui, d’autres avaient remisé
une couverture maladie à la quasi-totalité de la leur copie au royaume des
population des États-unis. Pour bien comprendre velléités. Barack Obama l’avait
l’enjeu de cette réforme, il est nécessaire de retenir inscrit dans son programme
quelques chiffres. Un peu plus du quart de la population présidentiel. Ce n’est certes pas
(24 %) de la population peut prétendre à un des deux ce qui a été déterminant dans sa
programmes publics, Medicaid réservé aux plus victoire, mais cela a sans doute
pauvres et que chaque État est d’ailleurs libre d’adapter compté. Il ne pouvait pas se
à sa sauce, et Medicare, réservé aux personnes âgées permettre de baisser les bras. C’est la raison pour
et aux handicapés, seul programme que le laquelle, il s’est engagé à fond dans le combat. Son
gouvernement fédéral contrôle totalement. A l’inverse, discours devant le Congrès a été certes un modèle :
16 % des américains ne disposent d’aucune couverture souple pour ne pas effaroucher les tièdes, mais ferme,
maladie, soit parce qu’ils sont justes au dessus du seuil voire cinglant, lorsqu’il le fallait. Rappelant que les
de pauvreté et n’ont guère la possibilité de souscrire primes d’assurance avaient augmenté trois fois plus
une assurance aux primes prohibitives, soit parce qu’ils vite que les salaires, il a émaillé ses propos d’exemples
sont purement et simplement évincés par les d’iniquité auxquels nul ne pouvait rester insensible : tel
compagnies qui les jugent à trop haut risque. Entre les homme de l’Illinois en pleine chimiothérapie exclu de la
deux, 55 % d’Américains bénéficient d’une assurance couverture maladie parce qu’il n’avait pas déclaré qu’il
maladie collective souscrite via leur employeur, mais avait des calculs biliaires ; telle femme du Texas au
risquent de la perdre s’ils sont licenciés, et 5 % moment de subir une mammectomie qui se voit refuser
souscrivent une assurance directement sur leurs sa prise en charge pour avoir omis de dire qu’elle avait
propres deniers au risque d’être évincés s’il s’avère de l’acné ! Sans compter les 14 000 salariés qui chaque
qu’ils coûtent trop cher en tombant malades. jour perdent leur couverture assurance maladie…
Pour Victor Rodwin, professeur à la New York Ainsi, à l’intérieur de toutes les bourses, on interdira
University, titulaire de la Chaire Fulbright- la pratique, courante à l’encontre des non assurés,
de refuser l’assurance maladie aux personnes qui
Tocqueville à l’université Paris Sud 11, et
ont des antécédents de santé, un cancer par
expert des politiques de santé, la réforme de exemple. Il sera également interdit de ne plus
Barack Obama affectera certes les médecins rembourser un assuré au-delà d’un certain plafond
américains. Mais ceux-ci subissent déjà « une de dépenses. Pour la première fois, on instaure une
révolution silencieuse ». réglementation fédérale dans ce domaine. Au sein
de ces bourses, tous les assureurs pourront
Quelles en sont les grandes lignes de la réforme présenter leurs offres à condition de respecter les
du système de santé aux États-unis ? deux points ci-dessus et de proposer une certaine
Victor Rodwin : On peut distinguer plusieurs lignes gamme de services minimale. Le marché pourra
de force à la réforme du système de santé proposée donc s’exercer pourvu que le cahier des charges soit
par Barack Obama. Premièrement, il s’agit d’élargir respecté.
la couverture en assurance maladie à ceux qui n’en
ont pas et de mettre en place une réglementation
fédérale sur les compagnies d’assurance. Ensuite, le Victor Rodwin
président Obama a déclaré que cette réforme devait
être « budget neutral », c'est-à-dire qu’elle ne doit “Si on veut gagner un maximum
pas contribuer au déficit budgétaire. Comment d’argent, il faudrait pratiquer
faire ? La réforme se propose de réaliser sur dix ans aux États-unis où la grande
des économies dans le programme Medicare actuel.
Les Républicains comme les Démocrates ont majorité des médecins sont
toujours été d’accord pour le rationaliser en des spécialistes qui gagnent
essayant de réduite la fraude, de mieux contrôler les un revenu moyen de 140 000 euros.
prix et de réguler les services. Enfin, - troisième Maintenant, pour ce qui est
point -, tout reste en place pour ceux qui bénéficient de l’autonomie dans la pratique,
déjà d’une assurance maladie.
elle est plus grande en France.”
Comment atteindre ces objectifs. Le projet actuel,
que ce soit au Sénat ou à la Chambre des
Représentants, retient deux propositions. Tout
d’abord, il propose d’élargir Medicaid pour les Qu’est-ce qui fait débat ?
pauvres en élevant le seuil d’éligibilité à 133 ou Victor Rodwin : Là-dessus vient se greffer une
150 % du seuil de pauvreté, ce qui accroîtrait le question idéologique : faut-il proposer une option
nombre de bénéficiaires de Medicaid. Ensuite, il crée publique à ceux qui recherchent une assurance ? La
des bourses pour ceux qui ne sont pas assurés. Les gauche le souhaite, la droite crie à l’étatisation du
non assurés actuellement sont trop riches pour système. En réalité, là encore, il y a plusieurs
bénéficier de Medicaid ; les trois quarts d’entre eux modèles. Le modèle dur, conceptuellement très
sont employés dans de petites entreprises de moins important, veut ouvrir le programme Medicare à
de 30 personnes. Une partie d’entre eux seront tous ceux qui sont éligibles à la bourse. En d’autres
éligibles à Medicaid élargi, mais l’autre partie sera termes, dans ce modèle, Medicare entre en
encore trop riche. Pour eux, on va créer une bourse concurrence avec les compagnies d’assurance.
dans chaque État fédéral qui aura la même fonction Cette option concerne les médecins, car aucun
que l’employeur lorsqu’il négocie des primes d’entre eux ne peut se permettre de ne pas soigner
d’assurance avec les compagnies d’assurance. des patients relevant de Medicare. Or, les prix sont
Actuellement en effet, les primes d’assurances fixés par Medicare. Et même si les tarifs des
lorsqu’elles sont souscrites à titre individuel, sont médecins américains sont supérieurs à ceux des
beaucoup plus élevées que celles qui sont payées médecins français, il n’est pas possible, pour un
par les employeurs. Ces primes seront négociées médecin soignant un patient pris en charge par
dans une même région. Les personnes non assurées Medicare de pratiquer des dépassements.
par un employeur recevront une aide fédérale pour Le second modèle est moins dur : il laisse une option
acquérir une assurance maladie. L’État intervient publique, mais locale, ou relevant de chaque état.
donc. Le gouvernement fédéral veut mettre en place Mais ces options n’existent pas pour l’instant. A la
une réglementation très stricte, critiquée par la différence de Medicare, elles auront moins de
droite et soutenue par la gauche. pouvoir sur les médecins. Il se peut même qu’elles
> DOSSIER
avant que ne se déclarent des complications graves.