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Des femmes prophètes en Islam?

Existe-t-il des femmes qui ont été considérées comme prophètes en Islam?

C’est une question qui a depuis toujours partagé les savants musulmans…Entre
ceux qui sont pour, ceux qui sont résolument contre et ceux qui préfèrent ne pas
aborder le sujet, on a déjà une idée sur la complexité du thème et la récurrente
susceptibilité intellectuelle quant à « penser » un concept en islam à partir de sa
perspective féminine !

Le verset le plus utilisé par ceux qui désapprouvent la prophétie des femmes est
celui de la Sourate Youssef, verset 109 :

« Nous n’avons envoyé (arsalna) avant toi que des hommes originaires des
cités, à qui Nous avons fait des révélations »

Le terme utilisé par le Coran, qui est celui d’hommes ou RIJAL a été l’argument
« clé » pour démontrer que seuls les hommes (le genre masculin) ont droit à la
prophétie puisque le Coran a bien utilisé le terme de RIJAL et n’a pas cité les
femmes Nissaa.
L’Imam Fakhr Arrazi affirme en s’appuyant sur ce verset que Mariam- qui a été
considérée la plus favorable à la prophétie- ne peut donc être considérée
comme prophète. Il estime que même si l’Ange Gabriel lui a directement parlé,
on ne peut parler de prophétie mais plutôt d’une KARAMAH –un honneur-
qu’Allah lui aurait accordé en tant que mère du prophète Issa (Jésus)1 .

Le Cheikh Ibn Taymya, reprenant toutes les allégations faites par les savants qui
l’ont précédé, affirme lui aussi qu’il y a eu consensus – IJMAA- sur le fait que
nulle femme ne peut prétendre à la prophétie et ce aussi bien dans le Coran que
dans la Sunna. Il reprend à son compte le verset ci-dessus évoquant le terme de
RIJAL et prenant l’exemple de Mariam, il conforte son argumentaire par le fait
que l’ultime position à laquelle elle peut accéder est celle que lui a octroyé le
Coran est qui est celle de SEDIKKA ou « VERIDIQUE », loyale,vertueuse…
Coran :5 ;75

1
Tafssir el kabir lifakhr Arrazi.
« Le Messie, fils de Marie, n’était qu’un Messager. Des messagers sont
passés avant lui. Et sa mère était une véridique et tous deux consommaient
de la nourriture. Vois comme Nous leur expliquons les preuves et comme
ils s’en détournent ! »

Il y aussi un hadith2 connu qui stipule que « Beaucoup d’hommes ont atteint la
perfection et parmi les femmes seules Mariam fille de Imran et Assiah épouse de
Pharaon ont atteint le rang de la perfection humaine »
L’Imam Nawawi3 affirme que ceux qui croient en la prophétie des femmes
utilisent ce hadith mais il apparaît que la majorité des savants musulmans
(JUMHUR) réfutent le fait que le stade de la perfection (KAMAL) soit l’équivalent
du rang de la prophétie (NUBUWA). La perfection étant une chose et la
prophétie une autre.

Parmi ceux qui ont farouchement défendu la prophétie des femmes on retrouve
en premier lieu le savant andalou Abu Muhammed Ibn Hazm al-Andalusi qui a
une grande contribution en la matière4.
Dans son célèbre ouvrage Al Fisal fi al milal il affirme qu’il n’a résolument trouvé
aucune preuve coranique qui s’opposerait à la prophétie des femmes.
Concernant le verset qui parle de « RIJAL » Coran 12 ; 109, il confirme que
nul n’a prétendu le contraire, car le verset cité parle de Messager et non de
Prophète. Il précise que personne n’a prétendu que les femmes pouvaient être
des Messagers et que le verset parle de (RUSSUL) Messagers et non de
(ANBIYAA) Prophètes. Pour lui, il était évident que les femmes pouvaient
accéder au rang de la prophétie (Annubuwa) tandis qu’elles ne pouvaient être
des Messagers (RUSSUL).
C’est dans ce sens qu’il commence d’abord par préciser le sens de
(ANNUBUWA) la prophétie qui provient de (Al inbaa) qui veut dire (I’lam) ou
REVELATION. Il affirme donc que toute personne qui a été informé par Allah ou
qui a reçu une « révélation », sur un évènement à venir, est sans aucun doute
un prophète. Annubuwa ou prophétie est, selon lui, à différencier formellement
de (AL ILHAM) qui n’est autre qu’une sorte d’inspiration naturelle.
Annubuwa , c’est quand Allah énonce, divulgue ou révèle à une personne, une
information concernant un évènement donné et ce que soit de façon directe, en

2
Sahih Muslim
3
Sahih muslim bi-sharh al Nawawi.
4
Chapitre: Nubuwate anissaa dans son ouvrage : « Al fisal fi al milal wa al ahwaa wa al-nihal »
lui parlant ou bien à travers un Ange Messager de Dieu. Selon Ibn Hazm,
« Annubuwa » peut donc être transmise de plusieurs façons : soit à travers
un ange qui parle à l’intéressé, soit par un message directement révélé par Lui-
même sans intermédiaire ( wa kalama Allah Moussa taklima) Allah a parlé avec
Moise.
C’est dans ce sens de Annubuwa qu’il affirme, preuves coraniques à l’appui,
que certaines femmes citées par le Coran ont effectivement reçu la Révélation
Divine et sont donc à considérer comme des prophètes. Il commence par
rappeler le cas de Oum Isaac à laquelle Allah a envoyé Ses messagers Anges
pour l’informer de la venue de Isaac et de Yacob : (Coran 11 ; 71-72). C’est aussi
le cas de Mariam qui reçoit l’Archange Gabriel et qui reçoit une Révélation en
bonne et due forme : « Nous lui envoyâmes Notre Esprit (Gabriel) qui se
présenta à elle sous la forme d’un homme parfait. Il dit : « je suis un
Messager de Ton Seigneur pour te faire don d’un fils pur » ; Coran 19 ; 18.

Cela va de même pour la mère de Moise –Oum Moussa- qui a été interpellée
par Dieu, afin d’abandonner son nouveau né, Moise, dans le Nil et ainsi de lui
éviter la mort prévue par la sentence de Pharaon, sentence, qui augurait
d’assassiner toute la descendance mâle des Hébreux….Ce sacrifie, ô combien
difficile pour une mère, est comparable à celui du prophète Abraham qui devait
sacrifier son fils, même si, faudrait-il le rappeler, dans le cas de ce dernier, cela a
été une « Rouyaa » ou « rêve » et non pas un ordre direct d’Allah !!! …D’ailleurs
Ibn Hazm précise que Oum Moussa n’aurait jamais osé mettre son fils dans le
Nil, par simple intuition ou pressentiment, cela aurait été considéré comme un
acte de folie ou un crime ! Ibn Hazm s’étonne que l’on puisse douter de la
révélation faite à Oum Moussa et non de celle d’Abraham !!!
Ibn Hazm dans son commentaire sur Mariam insiste sur la véracité de sa
prophétie par le verset qui l’inclut parmi de nombreux prophètes cités dans la
Sourate 19 ; 58. Il s’étonne du fait que l’on puisse, dans cette description
coranique de tous les prophètes, l’exclure, elle, en particulier ?!
Quant à l’assertion selon laquelle certains commentateurs ont prétendu qu’elle
ne pouvait être considérée que comme une Seddika , il y répond en précisant
que tout en étant Sedikka cela ne la privait pas du droit d’accéder aussi au rang
de prophète. Le prophète Youssef a été interpellé par Allah selon la même
dénomination de Seddik « Youssef ayuha seddik » et comme on le sait il a été
aussi prophète.
Ibn Hazm inclut aussi dans sa liste de femmes prophètes, l’épouse de Pharaon,
Assiah, et ce conformément au Hadith la citant comme femme ayant atteint le
plus haut rang de la perfection.

D’autres savants vont avoir à peu près le même genre d’argumentaires


concernant la prophétie des femmes. C’est le cas de l’Imam Al Qortobi qui
critique le fait que certains savants contestent cet honneur aux femmes comme
si elles n’étaient pas à la hauteur de ce rang de la prophétie ! (Istaktarou ala
anissaa hadihi al martaba). Ce savant affirme que Mariam est prophète
puisqu’elle a reçu la révélation divine à travers les anges à plusieurs reprises. Le
Saint Esprit (Rouh al Quduss) lui a insufflé Son souffle Divin, elle est la seule
femme à avoir reçu la révélation de la sorte. Il conteste cependant la prophétie
de Assiah car il n’y a pas assez de preuves, selon lui, qui pourraient confirmer
clairement sa prophétie.
Le Savant Al Ashaari quant à lui affirme qu’il y a eu en tout six femmes qui ont
reçu la prophétie : Eve, Sarah, Oum Moussa, Hagar, Assiah et Mariam. Son
argumentaire tourne autour du fait que toutes ces femmes ont reçu la Révélation,
soit directement soit par l’intermédiaire d’un Ange et le Coran le confirme de
différentes façons.
D’autres ont aussi affirmé la prophétie des femmes comme Ibn Hajjar qui
rapporte les mêmes preuves que celles mentionnées par Ibn Hazm.
Taher Ben Achour quant à lui répond à l’assertion de la prophétie uniquement
réservée aux hommes du fait du verset qui mentionne Arrijal par un argumentaire
différent de celui d’Ibn Hazm. Ben Achour, conteste le fait que le terme Arrijal soit
compris comme hommes ou genre masculin. Il affirme que ce terme est
représentatif du genre humain : Inssan. Il est de ceux qui défendent la prophétie
de Mariam et qui affirme que les femmes peuvent être prophète (Nabi) et non
messager (Rassoul)5.
En conclusion, l’on constate que les arguments contre la prophétie, ne sont, en
réalité, que le résultat d’une interprétation subjective de certains versets
coraniques, alors que le contenu en lui-même de ces textes, ne formule aucune
preuve tangible de l’invalidité de la prophétie des femmes6. Tandis que
l’argumentaire des savants qui ne voient aucune incompatibilité entre les
femmes et leur accès à la prophétie est plus convaincant voire conforté par
plusieurs récits coraniques qui relatent d’une façon claire la « Révélation divine »
transmise à certaines femmes. C’est en tout cas le cas de Mariam et de Oum
Moussa qui ne prête à aucune confusion.
Beaucoup prétendent que le débat est clos car il y a un « Consensus » (IJMAA)
sur le thème, puisque la majorité des savants musulmans (JUMHUR) est contre
le fait que des femmes puissent être considérées comme prophète, il reste,
comme on l’a vu, qu’un nombre de savants non négligeable ont été pour la
prophétie des femmes.
Il faudrait donc déjà aujourd’hui savoir réfuter le fait qu’il y ait un quelconque
Ijmaa,et ce, pour ne pas justement « clore » le débat…
Mais il ne s’agit pas de « polémiquer » autour d’un débat stérile concernant l’avis
divergent des différents savants. Au-delà de la divergence, qui est toujours la
bienvenue car elle reste un indicateur sensible de la vitalité d’une pensée, il
faudrait poser autrement le problème et voir en quoi cela nous avancerait
aujourd’hui de savoir si les femmes ont eu ou non accès à ce rang de la
prophétie en Islam ?
Eh bien cela nous avancerait énormément….

5
Tafssir Attahrir wa atanwir; Imam Cheikh Taher Ben Achour.
6
Cheikh Rached al-Ghannouchi, :El Maraa bayna al-Quor’an wa wakii el muslimin, page 30 ; Maghreb
Center for Researchs & Translation, 2000, London. Excellent livre dont je me suis largement inspirée et
que je conseille vivement aux arabophones !
Tout simplement parce que prétendre le contraire, autrement dit qu’elles n’ont
pas été prophète, cela reviendrait à maintenir cette vision « dévalorisante » de la
femme et renforce cette image de mépris et d’infériorisation de la femme
inhérente aux cultures arabomusulmane.
D’autant plus qu’il n’y a aucun texte prouvant le contraire et que bien au contraire
plusieurs versets concordent dans le sens de la prophétie des femmes.

Nous sommes toujours en face du même problème, à savoir celui de faire


l’amalgame entre une réalité religieuse et la réalité historique en ce qui concerne
la problématique de la femme.

Il est malheureux de constater que ce genre de « reproduction » historique,


perpétuant ce « déni de droits » aux femmes, reste encore très influent sur notre
présent. Elle conditionne encore des mentalités et des comportements,
malheureusement prédisposés à pérenniser la condition précaire du statut de la
femme dans les sociétés islamiques.

Ce débat « tabou » sur la prophétie des femmes, montre à quel point l’étude du
patrimoine islamique se fait de manière archaïque puisque toutes les
interprétations, argumentaires et commentaires élaborés par les anciens sont
pris comme des « vérités absolues » qui ne doivent souffrir d’aucune discussion
encore moins d’une quelconque critique ! Au lieu d’en faire un ressourcement
intelligent, cette vaste production islamique devient en fait un obstacle essentiel
à l’élaboration d’une pensée active réformiste seule capable de promouvoir la
véritable éthique de l’Islam…On assiste au contraire à une prolifération
d’ouvrages qui vont transmettre d’une façon implacable, passive et continue, les
mêmes interprétations, érigées en dogmes et en principes immuables, qui ont
du mal tout le mal, à s’intégrer à notre contexte…

Si aujourd’hui on essaie de revoir cette question c’est parce qu’il est important-
au-delà du débat entre les savants - de voir ce qui disent véritablement les
sources sacrées- ou ce qu’elles passent sous silence- afin de sortir de ces
impasses dogmatiques qui nous imposent le silence et nous empêchent
d’amorcer une véritable réforme de fond.
Or, oui il est important de savoir si en Islam certaines femmes ont été
considérées comme des prophètes, car cela confirmerait l’essence égalitaire et
l’équité qui sont les socles de ce message spirituel.
C’est une quête de justice et un droit légitime que de retrouver dans notre
tradition, ces principes égalitaires, enfouis, camouflés voire escamotés par une
lecture sélective et discriminatoire du « religieux ». Cela fait partie aussi de cette
quête de « revalorisation » du statut de la femme en islam, quête, qui, entre
autres, aspire à faire évoluer des sociétés islamiques fortement handicapées
par cette supposée « dévalorisation » religieuse de la femme.
Il faudrait que l’on puisse dire clairement aujourd’hui que le Coran évoque sans
conteste des modèles de femmes prophètes comme il y a eu des hommes
prophètes…C’est ce genre de message universel que l’on devrait entendre
aujourd’hui, celui des sources, qui ont étaient ensevelies sous la charge d’une
histoire islamique qui s’est figée dans le temps …Revaloriser ce genre de
concept qui redonne aux femmes musulmanes leur véritable place, c’est
permettre aux musulmans d’avancer vers l’avant et de ne plus rester agrippés à
leur histoire sans prendre le temps d’en faire une véritable analyse critique, la
seule à même de les débarrasser du fardeau de cette dépendance historique
maladive.

Asma Lamrabet

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