Recherches en Esthétique
Revue du C.E.RE.A.P, - n°12- octobre 2006 - 21 €
Senin Table a ncsarins ea mae, bois sin objets hauteur | m 5205.
La rencontrePoétique de la rencontre
Jean Khalfa
uand Lautréamont définit la beauté comme rencontre, c'est pour y
injecter,contre la tradition, de 'aléa.On peut aller chercher quelqu'un
‘ou réunir deux objets, mais aller & la rencontre de quelqu’un, fire se
rencontrer deux choses, c'est déja se donner le supplément d'un imprévu, ne
serait-ce que sur le point d'intersection ou sur effet de l'agencement, Mais la
rencontre ne peut se réduire au hasard des trajectoires de deux mobiles. Certes,
est une étrange table de dissection que celle oi se rencontrent fortuitement une
machine & coudre et un parapluie, puisque au liew qu'y soient méthodiquement
‘détachées les partes intégrantes d'un organisme biologique,on y trouve assemblés
des artefacts sans lien aucun. Mais pour étre fortuite,c’est’-dire non préordonnée
dans un esprit il n’en faut pas moins que toute rencontre ait lieu dans un espace
{ui lui soit propre et qui a distingue de Finfinté des coexistences observables
dans le monde. Loin ¢’étre seulement un tiers objet, ustaposé aux deux autres,
la table de dissection délimite un espace précis cliniquement pur de tout tiers
contingent et oli peut s observer une coprésence singuliére. Dans Vespace de la
rencontr,|'étrangeté meme de l'association peut acquerir un contenu déterminé,
et ce de plusieurs points de vue :formel (machine-carré et parapluie-ligne), matériel
(lourd et léger), spatial (intérieur et extérieur),ergonomique (ancré et portable),
fonetionnel (machine productrice et éeran protecteur), psycho-sociologique (mere
et pere), etc.Il n'y a done rencontre que sil y a d'une part distance, difference
et méme opposition (le » contre » de renconire et de contradiction) entre deux
enftés, mais aussi, d'autre part, la possibilité que s'abolissent ou s‘estompent
leurs frontiéres propres au bénéfice <'une démarcation de niveau supérieur,
espace (temporairement) unifié de leurs dférences qui permet la détermination
de chacun des objets. On ne peut done faire ou observer une rencontre, que si
Ton siouore & (ce) qui advient. Une rencontre, comme telle,et a la différence du
simple choc ou de Mintersection, suppose une transformation des termes de la
relation, méme s'il se peut que le résultat de cette transformation soit Foubli de sa
‘contingence initial (c'est le cas ce tous les processus cle familarisation :il n'est
pas facile de se remémorer 'étrangeté ou 'inditférence premiere d'un visage ov
un lieu devenus familiers).L'espace de la table de dissection, tout comme celui
de la galerie ou du musée, pour les ready-made de Duchamp.c’est 'ouverture d’un
champ de conscience qui es la fois condition et effet dune rencontre.
Liidée d'une transformation ou méme d'une auto-production du moi pour
et parla rencontre de Fautre est un theme constant de la modernité. Ainsi, avec
{'empirisme en philosophie,les idées sont congues comme naissant de la rencontre
IH Poétique de ta rencontre
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répétée des événements et le sujet peut alors se réfléchir non comme spectateur
mais comme synthése transitoire d'une histoire dans le monde ; dans la poétique
de Mallarmé le sujet rencontre le réel dans tn acte premier de nomination, mais
cela par la dislocation des structures syntaxiques désormais comme projetées
sur espace de la page - tn espace qui devient l'autre radical de l'intériorité
psychologique — et par la combinatoire des virtualités de sens quien résulte ; avec
le Suréalisme,|imaginaire est pensé non plis comme représentation mais comme
synthese d’ objets aux rapports aussi distants (mais justes) que possible.On pourrait
multiplier les exemples, mais on voit bien qu’au lieu que le monde soit pensé
‘comme spectacle total,ace a un moi préconstitué dans ses structures perceptives,
cconceptuelles et discursives, les subjectvités résultent de rencontres réelles ou
imaginaires « dans » le monde,rencontres qui les font et les défont continuellement
Orce constat,qui d'un cété mene a une pensée du toutmonde ("intériorité comme
un espace ol |'un n'est que par tous les autres), produit aussi, paradoxalement, dans
Ja pratique litéraire ou artistique, la volonté de mattriser ou au moins de susciter
les conditions de la rencontre. Mais peut-on vouloir systématiquement se déprendre
des cadres du familir sans tomber dans I exotique, artfciel ou extravagant, et
du coup recréer presque aussitat la familiarité la plus profonde,celle de laltérité
de lobjet et de Videntté-du sujet,c’esta-dire la différence du non-moi Ilya bien
peu d'avant-gardes qui ne se laissent récupérer comme spectacle,car on a vite fait
@'y percevoir la décision d'un sujet surplombant le plan des rencontes inattendues
qu'il orchestre,et qui se donne en représentation, méme si ce sujet s'attaque aux
structures de la perception des ensembles et de 'espace, la langue, aux rythmes
de la conscience, aux traditions et systemes intellectuels,et en général a toutes les
formes qui organisent la familirité.Du rejet moderne de lontologie substantialiste
du moi (individuel ou collectif) on croit naivement pouvoir passer directement &
une technologie de production de nouvelles identités alors qu’on retrouve en fait
le vieux schéma du génie!
Certains auteurs ont été particuligrement conscients des difficultés de la
dissolution volontaire du moi dans la rencontre, Les remarques qui suivent
envisagent trois exemples, qui la considerent selon trois axes, l'espace ct sa
perception, la conscience et sa vitesse,e a pensée dans sa systématicté Saint-John,
Perse, podte de la dispersion dans espace toujours soucieux d’éviter 'exotisme ;
Michaur, fasciné par lalleurs que les psychotropes révelent au sein du moi mais,
artisan méthodique d'une lucidité supérieure ; Deleuze s‘atlachant paradoxalement
{construire une philosophie de la pensée philosophique comme événement et
non maittise
Lun des premiers écueils d'une poétique de la rencontre, c’est bien entendu
exotisme.La ligne est mince qui sépare exaltation d'un étranger bariolé,auquel
Jes autochtones finissent bien souvent par s'identiferet la dissolution des certitudes
une culture, Montesquieu, dé 'avat bien vu. SaintJohn Perse est 'un des pottes
guises le plus altaqué & Pexotisme:,peutére parce que comme Antillas, il en était,
le plus menacé,
SaintJohn Perse voyait dans la pose la vitalité d'une perspective philosophique
précise, présocratique, visant & resiaurer dans lexpérience du poéme lauthenticitéde la conscience dans son rapport premier ou sauvage au monde, avant les idées.
Sa quéte fondamentle, celle d'un rapport & infin actif en expansion continuée
6u véritable dispersion, implique un questionnement du moi et une écriture qu
essaie structurellement de privilégier le mouvement dans l'espace et le devenir
dans le temps. $i nous sommes loin d'une poésie exotique, qu'il s agisse d'un
exotisme archéologique (les grandes civilisations englouties) ou géographique
(poésie doudou des Antilles), c'est que bien loin d'admirer le spectacle de l'autre,
le moi persien est toujours emporté par son objet. IIs exotise luiméme. Lorsque
espace perd ses bornes, lorsque le déplacerent est sans but, sans origine, sans
claire direction, alors le temps, pensé non comme cadre formel,mais comme « face
breve de la terre » (Vents),peut nous étre enfin restitué.
‘Comment Perse procéde-il pour effectuer une tlle déterrtoralisation ?
Considérons un texte d'apparence particuliérement exotique :
« Jai révé, Pautre soir, d’iles plus vertes que le songe...et les navigateurs
descendent au rivage en quéte d'une eau bleue ;ils voient ~c’est le reflux ~ le
littefait des sables ruisselants:la mer arborescente y laise,s'enlisant, ces pures
empreintes capillaires, comme de grandes palmes suppliciées, de grandes filles
extasiées qu'elle couche en larmes dans leurs pagnes et dans leurs tresses
dénouées.
Et ce sont la figurations du songe [..]
II ne s'agit pas ici d'ornementations ou d’accessoires puisés dans un fond
‘commun de clichés,comme dans la poésie coloniale, clichés qui représenteraient
Failleurs par négation du méme ou par simple convention. C'est plut6t un processus
d élaboration dynamique (x figurations » et non « figutes »), désir construisant,
structurant un champ de conscience (réve, songe, projection verticale du plan
d'eau oii « descendent » les navigateurs).Le déclencheur en est une subversion
‘optique : es empreintes de la mer dans le « lit refait des sables » - modele rhéiste,
sien est, de univers en perpétuelle métamorphose ~, par lintermédiaire de la
{forme des palmes suppliciées, deviennent de grandes filles extasiées. La violence
dun désir donne forme au percu,les métaphores sont phagocytées par image (la
mer arborescente,s’enlisant, les palmes suppliciées). Ce désir n'est pas désir d'un
‘Aute, comme non-moi, l'instar de Yexotisme traditionnel, mais plutdt création
ou altération du moi a partir des virtualités de composition que la conscience
découvre dans le donné sensible. Le désir est done nomade, non pas fixation sur
tune chose en elle meme, mais plutdt composition mouvementée d'un paysage.
Inversement,le paysage n'est jamais seulement un spectacle extérieur,mais suscite
un moi éperdu, matrice de mondes possibles.Lexotisme ne célebre ‘ailleurs que
pour renforcer par contraste les certtudes du Moi & intérieur d'une identité bien
délimitée. Poésie du paysage comme désir la poésie de Perse est un érotisme plus
quiun exotismes.
Plus généralement, on pourrait dire que la poétique de la rencontre se fonde
davantage sur lhetéroclite que sur lexotique. Souvent, chez Perse, il s‘agit de
rassembler des fragments, de choses ou d’événements, pour créer des images
8 la fois familires et inattendues, des configurations semblant témoigner de
imystérieuses civilisations,
BB Postique de to rencontre
4&
2
BB Recherches en Esthétique
A\insi, Amitié du prince semble s ouvrir sur une incise au sein d’une harangue
prophétique
« Ettoi plus maigre qu'l ne sied au tranchant de esprit, homme aux narines
rminces parmi nous,6‘TresMaigre ! 6 Subtil! Prince vétu de tes sentences ainsi
qu'un arbre sous bandeletes,
aux soirs de grande sécheresse sur la terre, lorsque les hommes en voyage
disputent des choses de I'esprit adossés en chemin a de tres grandes jares, ai
entendu parler de toi de ce cdté du monde,et la louange n’était point maigre
[las
Lelfet produit par ce type abrupt d’ouverture est le sentiment de vivre tout a
coup lordinaire d'un monde autre (comme dans P'ileurs de Michaux, mais sans
Vindicateur d'extériorité qu'est la voix du voyageur ou du reporter) Perse n’assemble
pas simplement des faits et des objets étonnants, dignes d'un journal de voyage ou
dun « cabinet de curiosités » et qui témoigneraient par contraste d'une culture
et d'une perspective particuliére, précisément ce qu'il cherche & dépasser.Certes
les fais, es personnes et les objets singuliets sont mesurés en fonction de crteres
‘obscurs, ou sont simplement évoqués, et done détachés d'une chaine ordinaire
de causes et de circonstances qui auraient pu justfier leur présence. Is n'ont de
plus aucune valeur ou signification perceptibles en euxmémes, qui pourrait les
définir comme exceptionnels par rapport & une norme, Mais c'est en cela que
réside précisément leur fonction poétique :'écriture du texte est telle que nous ne
pouvons que les percevoir comme étranges inréluctibies aux abstractions que nous
Utilisons machinalement pour classifier la masse des singularités expérimentées
constamment dans le monde.Si Perse est hétérocite c'est qu'il est héracitéen.
Lorsque est établ le plan absolu, impersonnel,constitué par des réalités et des
mouvements échappant encore & toute mesure commune, alors seulement une
subjectivité créatrice peut étre apercue, mais comme effet, et la voix poétique
sidentifie aux mouvements des vents
« Flairant la pourpre le cilice,flairant ivoire et le tesson, lairant le monde entier
des choses,
Ex qui couraient a leur office sur nos plus grands versets d'athlates,de podtes,
Ceaient de trés grands vents en quéte sur toutes pistes de ce monde,
Sur toutes choses périssables, sur toutes choses saisissables, parmi le monde
entier des choses...»
Loin de célébrer une beauté préexistante dans le monde, Perse met sur le méme
plan « toutes choses »,« pourpre » et «cilice »« ivoire » et «tesson ».Loin d'exhiber
Finhabituel,!'extraordinaire dans le cadre d'un spectacle, et de conforter ainsi le
‘moi et autre dans une relation a la fois spectaculaire et spéculaire,il abandonne
les normes qui permettent de relier toutes les singularités d'un niveau donné sous
des unités de niveau supérieur, concepts ou narrations. Le travail poétique nous
entraine ainsi a percevoir la singularité de ce qui advient (« choses périssables »,
« choses saisissables »),« éventualité » du donné,qu'l soit nature! ou culturel
Cela ne signifie pas que I'at soit rencontre et célébration d'un ineffable, un
‘mpensable, mais quil est conscience continue ou présence & lacte d organisationd'un monde a partir de expérience. En eux-mémes les éléments du poéme n'ont de
signification que comme matériau brut de |'intuition, Méme s'ils ont pour origine la
vie et la culture du poét, ils sont détachés,élaborés, et deviennent le truchement
par lequel peut se révéler la singularité des événements,habituellement dissimulée
Par Iévidence que le langage accorde aux abstractions qui les regroupent. Roger
Caillois nomme élégamment ce processus :Richesse de I unique’, Perse lui écrivt
(28 janvier 1953) :
« {La] deuxidme partie de mon ceuvre publige ne tend pas moins que la
premiére aux transpositions stylisations et créations du plan absolu. [..]
Rien ne me parait d'ailleurs, plus surprenant, comme contradiction, que de
vouloir jamais expliquer un “pote” parla “culture”. En ce qui me concemne
plus personnellement,je m’étonne grandement de voir des critiques favorables
apprécier le poéme comme une cristallistion, alors que la poésie pour moi
est avant tou mouvement ~ dans sa naissance comme sa croissance et son
langissement final».
Cette poésie est uecue?, contre Vabstraction, mais aussi détachée d'impressions
ou d affects personnels. Instrument des créations du » plan absolu w¥ elle permet
Vexpérience du devenir et du mouvement de lintérieur, pour ainsi dire, non &
travers les représentations de leurs objets, de leurs causes at eflets (comme dans
le tradtionnel poéme épique), et avant les concepts qui figent le mouvement.Sa
métrique 1’est pas un out! rhétorique ou un accompagnement, mais une fension
vers le mouvement ou sa féquentation, pas sa représentation. Ce « rhéisme »
héracitéen indique un effort pour aller au-dela de tout point de vue,en particulier
hhumain, mais aussi mythique et divin, sur » et «A propos de » ce qui est, au-dela
done aussi de toute biographie, Ce qui est en jeu n'est pas d'élever le singulier &
"universel.C’est plutdt de rencontrer a nouveau le fonds oi se trace la vie
«Aux porches oii nous levons la torche rougeoyante,aux antres ot plonge notre
vue, comme le bras nu des femmes, usqu’a l'aisselle,dans les vaisseaux de grain
offrande et la fraicheur sacrée des jarres,
Crest une promesse semée d'yeux comme il n’en fut aux hommes jamais fait,
Etla maturation,soudain, d'un autre monde au plein midi de notre nuit,
‘Tout or en féves de vos Banques, aux celliers de Etat, n'acheterait point l'usage
un tel fonds».
«Celui qui a pris une drogue hallucinogéne, et celui qui n'est victime que de
la drogue sécréiée en son corps par ses organes mémes,|'un comme autre il
ne sait quoi de mouvant le traverse, fait de multiples, insaisissables, incessantes
‘modifications, Fini le solide. Fini le continu et le calme. Une certaine infime
danse est partoul +
Autre potte de Ialleurs, Michaux n'a cessé de tenter de résoudre le dilemme
de la rencontre ; comment se déprendre de soi et dépasser les cadres de la
représentation sans tomber pour autant dans le chaos ou le spectacle (qu'il
réunit sous le terme de « foire ») ? Les ceuvres sur et sous divers hallucinogénes
Ii Poetique de ta rencontre4“
tique
El Recherches en Es
traitent peutre plus radicalement du probleme que ses récits de voyages.réels ou
imaginaires,car ¢est a V'ttaque directe de luisméme que partici le soi
Llexpérience de la drogue chez Michaux peut le plus souvent se lite & tos niveaux
tout @abord une fascination un peu ironique pour le miraculeus, le clinquant de
Vimaginaire libéré par Phallucinogéne. Michaux parle souvent de ces images sur
un ton assez réjouissant de distance amusée", un peu comme d’animaux trop
insistants ou de dieux populaires et bariolés. Assez piétre miracle en effet. Puls,
vient un intérét précis, scientifique, non plus pour les formes et matidres de la
représentation, mais pour les rythmes d'apparition et de déiormation des images
‘et des sensations. Ce qui est en jeu alors, fondamentalement, c'est la vitesse des
mouvements de formation et de modification du champ de conscience.Cesic,et
rnon pas dans le bric-abrac imaginatt qu'il trouve la fois le matériau de son art
pictural mais aussi la plus grande proximité de la folie,carla conscience. loin d'étre
seulement spectatrice émervellée, est immédiatement emportée. Mais ils intéresse
aussi finalement au « merveilleux normal » c'esta-dire & cet état de normalité ov
de maitrse oi 'on » revient& soi w,un soi male chez lu, mais & distance, et qui
se pergoit désormais non plus comme un éire, mais comme un ralentissement et
une réllexion de la pensGe sur les processus infiniment rapides qui constituent son
essence.
La premiere étape est la rencontre du réel comme infini proliférant, dans sa
‘matérialté aussi bien que dans a forme. Ainsi, pour la matiére,avec le haschiseh
« Le grés, le schiste (dont je me fiche bien en temps ordinaire), les scories, le
soufte nati le silex, des pépites d'or ou de cuivre,des tuyaux de plomb,|e cu
Ta peau, une couenne,apparaissaient comme au regard d'un géologue ou d'un
artisan. Tapis de haute laine, sabots de cheval ou de brebis,et aussi le grenu, le
piquant, le bosselé, le ligneux, le ridé, le poreux, le noueux,! humide aussi et le
‘crews, le coudé, tout cela revient*nature"»'s
Maintenant domine ce que cactait la conscience ordinaire ou plutot ce quelle
résumait ou intégrait, énorme réservoir présent d'inapercu. Submergé de détails,
le drogué se perd dans lexpérience du monde de la sensation, un contenu dont
Leibniz disait qu'il état infini mais toujours obscur, comme le bruit de chaque
vaguelette, imperceptible dans le grondement de 'océan, et pourtant constituant
indispensable de la perception ’ensemble.
Ou bien, en particulier avec la baroque mescaline, ce sont les formes et les
virtualités de formes qui proliférent
« Des ruines, de fausses ruines tremblantes. Des ornements emberliicotés
(omements dans fornement de Fornement) qui se mettent partout jusque, par
exemple,dans une troupe de coureurs que vous tegardiez et qui, sans raison,
soudain s‘enrubanne, s'enserpentine,s'enroule en boucles, en boucles de
boucles.en volutes inarrétables...»®
Enfin, fourmillement de matiéres et de formes se combinent pour intensifier la
présence des objets,en particulier parla couleur«+ Des palais aux tourelles innombrables qui filent en Tair sous une pression
inconnue, Des arabesques, des festons. De la foire. De l'extrémisme dans la
lumiére qui, éclatante, vous vrille les nerfs.de Textrémisme dans des couleurs
qui vous mordent, vous assaillen, ct brutales, blessantes, leurs associations, (.]
(Quand on rouvre les yeux, les objets que lon voit autour de soi paraissent
parfois fourmiller sur place,n’étre plus une distance précise et permanente.
Ils présentent un aspect plus interessant, comme embués d'une rosée de
punctiformes colorations variées) +
lly a done 462 ici une premiére rencontre du réel de la perception, et l'état
cextréme, 'alignation, loin d'etre illusion, apparait comme présence paroxystique
du monde, du moins & son stade intial. Un tel déréglement du cerveau en révéle
‘par contraste une fonction primordiale,celle d atténuer la perception, d'effacer les
images
« Lhabituelle pensée-association est faite d'une liaison d'images a ce point
ceffacées qu'elles n'arrétent plus mais permettent avec aisance leur glissement
relativement abstrait
La drogue permet donc une premiére « connaissance par les gouffres » en un
double sens de goulfre :absence (absence d'un organe permet den connaitre
la fonction) et vide ou le sujet s'abime. Mais non pas perte car on rencontre ici de
plein fouet ie trop plein de ce qui n’éait jusqu'alors qu’obscurément percu.
‘Au second niveau, c'est une étrange mécanique ondulatoire de Ta pensée qui
se réyele Une foi levée la fonction inhibitrice de la conscience,non seulement les
images, les désits, les concepts les propositions et contre propositions se succédent
4 une vitesse folle (danses internes figurées depuis les premiers dessins ou
callgraphies de Mouvements et jusqu'aux televés ondulatoires de [Iain turbulent),
mais ces successions se font comme par vagues,et dans plusieurs des ouvrages Sur
Texpérience de la mescaline et les états aux limites de la folie, Michaux suggere
{que ce dont on fait 'expérience ici, ces a vibration physique des cellules memes
(perspective ondulatoire, surtout dans Misérable miracle et Connaissance par les
‘goutfres), ou Valternance des décharges 'électricité au niveau des neurones
(perspective corpusculaire surtout dans Les Grandes épreuves de lesprif)®,Dans la