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1
LANGUE SA KRITE
Le Díghanikü,ya, vol. I, A. Maisonneuve.
Anthologie sanskrite, Payot. PAR
Sanskrit et Culture, Payot.
L'Inde classique: Manuel des études indiennes (avec J. Filliozat),
vol. I et II, Payot.
La grammaire de Pal)ini, 3 vol., Klincksieck. LOUIS RENOU
La civilisation de 1'Inde ancienne, Flammarion.
L 'hindouisme, P. U. F.
Introduction au Ved anta, Imprimerie Nationale.
Les littératures de 1'Inde, P. U. F. OUUl'age publié avecle concotl1'S
Lexique du rituel védique, A. Maisonneuve. du Centre National de la Rechel'che Scientifique
Grammaire de la langue védique, 1. A. C.
Religions of Ancient India, University of London, The Athlone Press.
A PARAITRE
vol. V et dernier.
L 'Inde classique, vol. III et dernier.
Brihaspati : texte juridique de 1'Inde ancienne.
Études védiques et paJ)inéennes.
L YON, RUE VICTOR - LAGRANGE
PARIS, 10, RUE DE L'ÉPERON (VIe)
AVANT-PROPOS
Le présent ouvrage vise a grouper les résultats de la recher-
che qui, depuis le début de l'indianisme, s'est concentrée
autour de la langue sanskrite. On n'avait pas encore abordé
avec quelque détail l'ensemble des questions que pose l'évo-
lution de cette langue, les conditions. presque paradoxales
de sa survie.
Sans doute le temps n'est pas venu (s'il doit jamais venir)
pour une CBuvre définitive en ce domaine. Trop de travaux
préparatoires manquent, trop d'éléments resteront inconnus.
Jusqu'ici on a surtout éclairé les débuts, les origines indo-
européennes, la structure des hymnes védiques, certairis
points de l'usage ultérieur. On a laissé plus ou moins dans
l'Olnbre tout ce qu'on attribuait au sanskrit en tant que
« langue morte», comme si l'étude d'une langue morte et
les conditions de la prétendue « mort» ne présentaient pas
d'intéret par elles-memes.
Notre ambition s'est limitée a décrire sommairement les
grandes étapes du développement linguistique, qui sont
nloins d'ailleurs des étapes chronologiques que des modi-
fications internes profondes, partiellement simultanées, et
dont chacune a pour ainsi dire provoqué un type de sanskrit
nouveau. Apres la langue védique et les problemes que
Copyright 1956 by Editions lAC, Lyon. souleve la fixation paI).inéenne, il convenait ainsi de passer
Tous droits de traduction, de reproduction en revue la langue épigraphique, la langue épique et ses
et d'adaptation réservés pour tous pays. prolongements (PuraI).a's, Tantra's, textes en karika's) ,
2 AVANT-PROPOS
la langue du cOlnnlentaire ou (notamluent du commen-
ABRÉVIATIONS
taire philosophique), celle de la narration et du dialogue
dramatique, celle enfin de la haute poésie. A titre d'appendice, Bloch = B. L'indo-aryen.
il était nécessaire de donner un apergu du sanskrit bouddhique DGD. = Dasgupta et De History of Sanskrit Litel'a-
et du sanskrit jaina, d'esquisser l'histoire du sanskrit hors tul'e l.
Keith = K. Sanskl'it Literature.
de l'Inde. Nous espérons en avoir dit assez pour faire le LVP. = La Vallé e Poussin. L'lnde jusque vel's 300 ay.
point des faits connus et laisser voir de quel coté les recherches J. C.
pourraient s'orienter avec fruit. Manuel = L'Inde classique, Manuel des études indiennes,
par Renou et Filliozat.
Le lecteur regrettera que l' exposé linguistique soit si peu ,'fIl. = ,Yackernagel Altindische Grammatik.
nourri de faits sociaux ou historiques. L'auteur ne le déplore 'Yint. = "Vinternitz History of lndian Literature ou
pas moins. Mais on n'a jamais mis en évidence le moindre (pour le tome III) Geschichte del' indischen Litteratur.
indice qui prouverait qu'au cours de son immense duré e la
langue sanskrite a subi dans sa structure, dans son vocabu-
laire meme, l'influence des événements ou des changements BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
de mCBurs qui ont marqué les phases de la vie indienne. Le
Il n'y a d'autre histoire du skt que l'ouvrage utile, mais sommaire et trop
sanskrit a été d'abord une langue purement religieuse, orienté vers la linguistique comparative, de Mansion Esquisse d'une histoire
échappant a tout essai de situation et de datation quelque de la langue sanscrite. Suggestif est l'article de Jacobi "Vas ist Sanskrit?
peu précis, a toute contingence historique en tout caso Quand Scientia 1913 251. Le livre de Kephart (Sanskrit : its Origin, Composition a.
Diffusion 1949) ne répond pas a son titre. On annonce un ouvrage de Burrow
la langue sort des servitudes védiques, c'est pour The Sanskrit Language.
jusqu'a nos jours, l'organe de textes plus mi moins conven- Dans un cadre plus général, des faits de langue ont été abordés chez ,Yüst
tionnels, de disciplines techniques a caractere fortmnent Indisch, BKGhosh Linguistic lntrod. to Skt, NPGune lntrod. to Comparative
Pllilology, SM. Katre Histor. Linguistics in lndo-Aryan. Apergu d'ensemble
normatif. Les divergences de style (puisqu'il s'agit désormais
Manuel 1 52, Ruben Indienkuncle 89. Informations fragmentaires dans les traités
de style bien plus que de langue) sont profondes, nous venons d'histoire, notamment chez Rapson (vol. 1), chez LVP. (vol. 1 et supplément),
de le rappeler; mais rien de ce que nous savons de l'histoire chez RCMajumdar (History a. Culture of lndian People, vol. 1, 2, 3), etc.
Demeure indispensable l'introduction de "V. (2 e éd. en préparation). Cf. encore
indienne, de la société, ne les explique ou meme ne les
les introcluctions de Bloch a Formation de la langue marathe, a Indo-aryen,
éclaire. Le « sanskrit parlé )) nous en aurait appris probable- ainsi que, -du meme auteur, Some Problems of Inclo-Aryan Philology BSOS.
ment davantage; nous en sentons la présence, nous n'en 5 719. Aussi Keith (chap. initial) et SKChatterji Origin a. Development of
Bengalí, Indo-Aryan a. Hindi.
avons aucun témoignage directo C'est le destin d'une langue
Voir la bibliographie plus ancienne chez Mansion 158 et dans ma Biblio-
littéraire, de l'instrument privilégié d'une grande civilisation, graphie Védique chapo 171.
que nous étudions ici.
L. R.
CHAPITRE PREMIER
PÉRIODE VÉDIQUE
SANSKRIT 1 • - Le mot saf(tskl'ta, attesté depuis le RamayaIJ-a
comme terme linguistique, signifie en propre « accompli,
parfait» : il fait allusion implicite aux saf(tskiira 2 , c'est-
a-dire aux procédés d'« achevement» Igrammatical (et plus
tard aussi, stylistique) grace auxquels la matiere brute du
langage, la pl'akrti, est conduite a la perfection formelle;
OU, comme dit poétiquement le plus ancien scrutateur du
langage, l'auteur de l'hymne X. 71 du l}gveda, est « clarifiée »
ainsi qu'« on clarifie le grain a l'aide du crible» (sáktum
iva títaünii punántaJ:¿). Il existe sans doute des l'origine
1. Nous ne traiterons pas ici de la « découverte» du skt, sur laqueIle
renseignent provisoirement Wüst (supra p. 3) ou vVindisch Gesch. d. Skt- Philo-
logie chapo l. Bibliographie spéciale dans ma Bibl. Véd. chapo 200. Cf. aussi,
dans un cadre plus général, Schwab Renaissance orientale, passim.
2. Ce sens de saf(lskára (préludant a l'emploi linguistique de Sa1?1skrta) se
trouve dans Nir. 1 12, littéralement « formation grammaticale conecte ll.
L'interprétation de Sa1?1sk]'ta (n,t.) ou -ta- (fém., scil. : figure par ex. dans
la 4 « on appelle SO la langue qui a été portée-a-la-perfection-
formeIle par les systemes de Kumara, PalJ-ini et autres » ; id. chez Namisadhu
ad Rudrata II 12. Un emploi g'rammatical de saf(lskrta est ébauché des SB.
x 5 1 3 vdcarh hy euaUdlh salfískuruté « c'est la Parole que (le sacrificateur)
paracheve (en l'assimilant) ainsi (a l'Autel) » : Minard Trois Énigmes 159b
souligne avec raison ce passage.
Remarques géliérales PChChakravarti Linguistic Speculations 256 et passim.
La source ancienne principale est Tantravarttika 1 3, adhikar. 9 en entier. --
Définition de sakkata en pali chez HSmith Saddanlti 1132.
LA LANGUE VÉDIQUE ET SES ORIGINES 7
6 PÉRIODE VÉDIQU E
se sont opérées a une date bien plus haute et ont dú exiger
une connotation d'ordre spirituel : Sa7?1skl'ta évoque aussi la
plusieurs siecles .. On s'est demandé si les débuts de cette
suite des purifications religieuses, des sacrements (sa1]1skiira)
activité n'avaient pas précédé l'incursion des tribus « védi-
par lesquels passe I'Hindou de haute caste, entre la naissance
que S » dans 1'Inde. On a le sentiment, bien plutót (a défaut
et la mort. L'idée de la grammaire comme 'instrument de
d'indice positif), qu'il ne faut pas les situer au dela du x e ,
purification est présente dans le plus ancien commentaire
tout au plus du xn e siecle avant notre ere. Tout ce qui
grammatical, la Paspasa du Mahabhai?ya, comme a travers
postulerait dans 1'ceuvre une date antérieure' doit etre simple
toute la MlmaTP-sa.
souvenir.
Le mot « sanskrit» est ainsi l'une des rares désignations
Porteuses de la civilisation védique, ces tribus avaient
de langue qui ne soit pas de provenance ethnique ; en revanche,
envahi l' Inde sans doute peu avant le milieu du second millé-
le nlot « ihyen» (iil'ya) qui aurait pu servir a nomlner le
naire. Elles venaient de Bactriane par le Kapisa et le Gan-
sanskrit (lequel, pour les linguistes modernes, est 1'« indo-
dhara et s' étaient étalées le long du bassin supérieur de l' Indus.
aryen ancien ») s'est limité a désigner une élite dont les droits
Certains pensent que la destruction de la culture dite de
étaient censés reposer d'abord sur la race, ultérieurement
l'Indus (Mohenjo-Daro, Harappa, etc.) a été leur ceuvre;
sur la classe sociale : le tenne n'a pas d'acception directement
il est plus probable que cette culture avait déja disparu a
linguistique 1.
l' arrivée des Áryens 1.
Que1ques faits extérieurs a 1'Inde attestent a haute époque
LA LANGUE VÉDIQUE ET SES ORIGINES. - Le plus ancien
une certaine diffusion du védisme : c'est ainsi qu'on a retrouvé
document qui nous ait été conservé en sanskrit est le nlassif
en Cappadoce un document du XIV e s. énumérant des dieux
recueil d'hymnes aux divinités du Veda qu'on appelle le
garants d'un contrat de mariage royal: les noms sont védiques
J}gveda (le nom précis serait RgvedasaTP-hita). Ce texte
(avec des adaptations de forme) et répondent a des distri-
nous . est accessible a travers la codification et l'adaptation
butions fonctionnelles concordantes a celles du Veda 2 •
ph?nIque que la tradition rattache au nom de Sakalya et
Des mots indiens d'allure védique sont conservés dans des
qUI refletent des préoccupations savantes propres a un age
documents de Mitanni, de Nuzi, de Syrie,parmi 1esquels
plus récent (mettons par hypothese le VIne ou meme le
des noms princiers 3 • Fort importants en eux-melnes, ces
VI e S. avant notre ere). Bien entendu la « rédaction » meme des
HyInnes (rédaction orale), a plus forte raison l'invention des
formules et chaines strophiques sur lesquelles ils reposent, l. Cf. en dernier Foucher Vieille route de l'Inde 180.
2. Cf. notamment Konow Aryan gods oí the Mitani People; en dernier
Dumézil Naissance d'archanges 16; du meme, sur des bronzes cassites du
Louristan antérieurs au xn e s. et attestant des représentations védiques,
l. des textes pa.li n'est rien de plus que la « langue noble» Rev. Hittite 1950 18. Aussi Brandenstein Die alten Inder u. die Chronologie
(en faIt, le palI et non le skt). Les Jaina ont l'expression bhat}al'ya pour désigner des Rigveda. Frühgesch. u. Sprachwiss. (1948) 134, aux termes de quoi le RV.
les ardhamagadhI. Sur le terme al'ya et son origine, v. Thieme ne daterait que de peu avant l'an mille.
Fremdlmg 1m RV. 145. Historique du mot « aryen» dan s l'usage occidental 3. Liste commode PEDumont JAOS. 67 251 ; cf. Keith IHQ. 12 569. Le
Siegert vVSachen 4 75.
-------------------
I
8 PÉRIODE VÉDIQUE L'INDO-IRANIEN 9
faits n'intéressent toutefois pas nécessairement l' expansion de quelque poids, limitée a l'un des deux domaines; les
de la langue védique hors de l'Inde : ce pourraient etre des maintiens de part et d'autre ont eu lieu dans des conditions
enlprunts, dont l'histoire précise nous échappe du reste. analogues. Comme pour la plupart des états de langue indiens
ou iraniens, c'est la phonétique qui souligne le partage.
- Comme pour d'autres langues de la Tout d'abord le ton (ou du moins sa notation) n'est conservé
famIlle lndo-européenne, il s'interpose entre la langue nlere que dans l'Inde. Pour le consonantisme, le sanskrit est bien
et le sanskrit historiquement attesté une unité linguistique plus pro che du systeme ancien que l'avestique ou le vieux-
qu'on appelle l'indo-iranien 1. Cette unité est confirmée par perse, avec la préservation des quatre « efforts articulatoires )
l'analogie des institutions sociales et des croyances entre (sourdes, etc.) dans les occlusives; les cas de désocclusion
l'Inde védique (rgvédique, surtout) et l'Iran prézoroastrien. y sont restreints, la spirantisation, si commune en iranien,
Si les. résultats des récentes recherches en mythologie comparée n'est attestée (approximativement) que dans v. Les inno-
de.vawnt se confirmer, l'hypothese deviendrait plus néces- vations engageant les deux domaines ont imprimé des dévelop-
SaIre encore. pements plus ou moins divergents : ainsi pour la palatali-
Le vocabulaire des giitha de l'Avesta (vocabulaire d'ailleurs sation, la palatale sourde ancienne conservant son arti-
fort limité) et celui des Sa:rp.hita védiques ont des points de culation (sous forme de s) en sanskrit, la perdant en iranien
contact qut dépassent fort en importance les cas OU l'une des (8 ou 8), tandis que la sonore est plus voisine en indien (j)
deux traditions seule a conservé quelque forme, et ceux OU du phoneme originel que le .z avestique ou le d vieux-perse,
l'une et l'autre ont diversement innové. La morphologie tout en se confondant (ce qu'évite l'iranien) avec la palatale
surtout a été conservatrice : il n'est guere de nouveauté récente issue de l'ancienne vélaire. Quant a l'autre grand
.fait du consonantisme, la cérébralisation, il est amorcé en
dialecte indien concerné paralt distinct de celui qui est a la base des SamI r
indo-iranien, mais le sanskrit lui donnera une extension
sans etre iranien pour autant. . 11 a, inattendue.
1. Sur l'unité indo-iranienne, l'exposé le meilleur reste celui de Meillet
La meme oú apparait un parallélisme, il est en surface :
Dialectes 2e chapo 2 et avant-propos 8. Cf. aussi Mansion Esquisse
l'absence de l en iranien rejoint la quasi-absence de l' dans le
JAOS., 17 :3
chapo 7 et blblIographle, Bloch passim. L'enquete jadis amorcée par Hopkins
alle,e s
sur le n'a pas été reprise; la séparation du travail
a mesure qu'on avangait de part et d'autre vers des
J}gveda ancien, mais la suite du développement indien montre
non seulement l'introduction rapide de formes a l, mais le
mterpret,atlOns semantiques en profondeur. Le formulaire a preté a quelques
comparalsons, comme le type súbhrlam bibhárti en face de v, perse ubrlam maintien de l indo-européens qui avaient été temporairement
\'Vackernagel BSOS, 8823 (Mélang'es Grierson) (-Debrunner) 2,2580. masqués par le style rhotacisant du J}gveda.
Cf. d Lommel AO, 10 372, On a tenté autrefois de traduire en védique
passag'es de l'Avesta (Mills, v. Bibliogr. Védique chapo 117).
Le vocalisme a été altéré plus profondément, mais de
! ulllte relIgleuse, v. LVP. 64. - De la nécessité d'inclure tous les dialectes luaniere plus uniforme entre les deux domaines, en dépit
n:alllens dans de l'indo-iranien, et notamment pour l'interpréta- de rares isoglosses qui les séparent. Les anciennes voyelles
tlOn du RV, temolgnent les travaux de H\'VBailey, cf. en particulier sa note
JRAS. 195395. e et o passent a a, lequel représente en outre la nasale sonante
et le (rare) a authentique. Parallelement les anciennes diph-
10 PÉRIODE VÉDIQUE
LA LANGUE DU J;.(GVEDA 11
tongues ei et eu, oi et ou, se ramenent a ai, au (réduits a
Au J}gveda feront suite une D1asse considérable d'autres
e, o du coté indien). Mais l' (r voyelle) est, graphiquement
textes, échelonnés jusqu'aux abords de l'ere chrétienne et
au moins, mieux conservé en sanskrit qu'en vieil iranien,
qui paraissent avoir été rédigés, ou du moins reIIlaniés, dans
de meme que la voyelle instable issue de d. Le traitement
des territoires variés de 1'Inde septentrionale. Tous tant
-o de -as final, similaire en théorie, se présente en fait dans
qu'ils sont, ils n'offrent que peu de prise a une chronologie,
des conditions distinctes de part et d'autre.
lIloins encore a une géographie linguistique. Sotis la diversité
Plus importante est la constatation que la phrase, dont les
des styles on apergoit pourtant les éléments d'une koine
éléments. sont liés les uns' aux autres en sanskrit, a conservé
védique, base de la profusion dialectale du lIloyen indien
en iranien ses mots nettement isolés.
et, parallelement, de la réaction uniformisante lIlarquée
LA LANGUE DU J}GVEDA. - Le sanskrit « védique» (c'est- . par le sanskrit dit « classique ».
a-dire, propre aux textes inspirés par cette somme de La langue du J}gveda est subordonnée a un Canon, non
croyances et de pratiques qu'on appelle le « Veda» ou la seulement dans l'ordre des exigences religieuses (mythologie,
« Connaissance») se présente done, aux origines, comme la rituel), mais meme dans l'ordre formel et poétique. Les
langue d'un texte particulier, le J}gveda ou « Veda des Hymnes servaient d'exorde aux grandes cérémonies : le
strophes » : amvre de datation et de localisation mal définies 1 • recueil s'en est constitué peu a peu, retenant les meilleurs
Connaitrions-nous avec précision le lieu et l' époque que 'nous spécimens, réadaptant peut-etre des pieces anciennes aux
resterions aussi perplexes pour en définir les caracteres conditions créées par la complexité croissante du cérémonial.
linguistiques. Comme tant d'autres documents sanskrits, D'emblée le J}gveda nous présen.te la situation qui se répetera
le J}gveda a été fixé a un certain niveau d'archa'isme, c'est- si souvent dans 1'Inde : le poeme comme résultat d'une joute
a-dire antérieur non seulement a l'usage courant, mais meme savante organisée par les princes ou les cénacles; dans ces
peut-etre a l'état littéraire courant. Bien que dli a des auteurs compétitions, l'ceuvre était soumise a toutes sortes de regles
lIlultiples, préparé dans des localités séparées, il ne présente préliminaires, la création prenait naturelleIIlent l'aspect
guere de diversité dialectale. Autrement dit, nous avons d'une surenchere. De tout temps le sanskrit littéraire a
affaire des l' origine a une sorte de norme linguistique. été l'instrument et, peut-on dire, la victime du panégyrique.
Sur la base d'une stylométrie, on a tenté une chronologie
1. Tout ee qu'on peut dire est que e'est un texte du Nord-Ouest, eomme relative des Hymnes 1 . Les résultats n'ont été qu'en partie
l'indiquent les faits géographiques dominants : région-frontiere OU s'est marqué
probants, paree que les formules - qui sont pour ainsi dire
a plusieurs reprlses eomme un souei d'areha'iser, ef. les réaetions sueeessives
eonstituées par le Mahabharata du N. O., la grammaire de pal).ini, le Pañcatan-
tra du N. O., la poétique kasmlrienne. On a souvent noté aussi eomme
arehaYques les formes m. i. propres au N. O. ehez Asoka et autres instigateurs 1. \Vüst Stilgesehiehte u. Chronolog'ie d. RV. se fonde sur les formations
d'épigraphes. Que l'on eompare avee la situation « avaneée » q.e la langue dans de grammaire ou de style présentant un intéret typologique (e. r. Pisani RSO.
le bassin inférieur du Gange. Meme a l'époque moderne, il y aurait des sur- 12332) ; Poueha Arehiv 01'. 13 103, 125 se fonde essentiellement sur les hapax.
vivanees védiques a u N. O. Sehulze SBBAk. 1916 2 (Kleine Sehriften 224). Les eonelusions d'Arnold Vedie lVletre 28 et passim demeurent en grande partie
valables.
12 PÉRIODE VÉDIQUE
PHONÉTIQUE DU 13
les cellules de cet organisme - ont été empruntées, trans- en est composite, les matériaux sont assez bien amalgalués
portées en tous sens 1 • Il dmueure a coup súr des détails de pour ne laisser déceler nulle part des apports distincts.
facture propres aux « fanlilles )), a certains groupes d'auteurs
(qui parfois inscrivent leur non1 anagramme cours du PHONÉTIQUE DU I}GVEDA 1. - Dans le vocalislue, la perte
poeme). Plus encore, il y a des traIts communs a l. des alternances qualitatives de l'indo-européen, l'ambigu'ité
des Iuorceaux adressés a un meme dieu : l'emphase IndraIque, de l'a et (partiellement) de l'i, ont amené a renforcer les
par exemple, n'est pas semblable a celle des a Agni échanges de quantité : a/a (déja, en partie, en iranien) remplace
ou a celle (la plus unitaire de toutes) des hymne.s a ; largement l'ancien e/o .. dans la série aboutissant a ir (w'),
ceux a Varuna ont une diction plus sobre, parfOls famIhere des doublets tI' (ür) se sont établis. Le souci d'éviter certaines
et empreinte d'affectivité 2 • • "
séquences métriques, IUeme d'en rechercher certaines autres
La plupart des pieces composant le dIXIeme ce cercle )) (rythme iambico-trochaYque des IUots longs) a commandé
(mwyJ,ala) , plusieurs dans le ce cercle)) initial, d'autres plus d'une répartition quantitative ; ainsi se sont accrédités
Iuinés dans le gros du recueil, généralement en des allongements (parfois pré-indiens en leur principe) a la
présentent une facture nettem.ent plus : les IndIces jointure des composés ou dans la syllabe radicale légere de
qu'on a pu tirer de la grammaIre vont de paIr avec ceux divers themes verbaux. Par contre, la vrddhi authentique
livrent le rituel, la mythologie, éventuellement la, géographle, (non rythmique) est d'extension réduite dans le verbe,
plus ce orientale )). Il existe une certaine de. plus réduite encore dans le nom, si l'on excepte la vr ddhi
tionner un hymne a Indra a l'époque du dIxIeme LIvre, qlll spéciale propre a la dérivation secondaire, qui marque
s'oppose trait pour trait a la maniere ancienne : mots ou au contraire un progreso Des voyelles longues se sont créées
sens nouveaux, différences dans la stylisation et le dosage
des formules. Sous ces réserves, la langue du I}gveda est,
en gros, unitaire ; si, comlue tout invite a le croire, le fond l. Sur la grammaire rgvédique, consulter les manuels existants, le derllier
en date, mais non comparatif, par Renou (1952), avec bibliographie. Une
l'évision du Thumb est en cours par Hauschild (vol. 2, textes et glossaire,
eléja paru), ainsi que la continuation du 'V. (-Debrunner), notamment 2,2
(dérivation nominale) qui vient de paraltre (1954). Utile g'lossaire explicatif
1. Sur la question des formules, on n'est guere allé au deHt de l'étude
et élargi de l'Altind, Gr, 1 (phonétique) par Surya Kanta (1953),
de Bloomfield Repetitions (et articles connexes, du meme), avec des resultats
Pour les origines L-e" V. Benveniste Origines ele la formation des noms,
modérés, mais probants. Comme exemple de circuit formulaire on rappeler
Noms d'ag'ent et noms d'action, et les travaux plus anciens cités Bihliogr.
celui qui a pour centre vr- couvrir » vrtrá « résistance»
«
Védique chapo 173. Le védique est traité dans le cadre de l'indo-aryen chez
101 et passim. Sur les formules du g e Livre autour de la nobon du « tamls a
Bloch. Pour les monographies, on se hornera a rappeler parmi une masse
»
soma, v. Vak nO 5. .
d'autres Meillet MSL, 21 193 (rythme quantitatif) Edg'erton Lang. 1983 (semi-
2. Il n'y a que des remarques isolées, noto de Geldner dans sa traducbon
voyelles) Porzig IF. 41 210 (hypotaxe) MLeumann Neuerungen im aL Verbal-
1 61, 86, 175, 237; 2 91 etc. On a noté le caractere unitaire de tel
system (1952). - Sur l'indo-eur., l'exposé le plus récent, mais bref, est par
ainsi du 2 e ,Veber SBBAk. 1900 601 ; du 8 e Hopkins JAOS. 17 23 Cite
Vendryes et Benveniste, Langues du monde, 2 e éd., 5. Sur l'origine des Indo-
ci-dessus p. 11 n. 1 vVüst vVZKM. 34 165 Hillebrandt Alt u. Neu-Ind18n 1 ;
eur., en dernier, Thieme Heimat d. idg. Gemeinsprache (1953) qui, se fondant
du 6 e Hillebrandt Ved. Mytho1. 2 1 519 et passim. Cf. aussi VV, 1 p. XIII.
sur la présence de certains realia, pense a l'Europe septentrionale.
PHONÉTIQUE DU I}GVEDA 15
14 PÉRIODE VÉDIQUE
tant reculé devant la perspective d'avoir a remanier trop
comme une sorte de compensation a la chute d'une sifflante profondément un texte sacré pour l' ajuster aux habitudes
sonore. graphiques d'une époque OU avait cessé l'activité créatrice
Mais c'est la fin de lnot (en y joignant la fin du Inembre de mantra's (formules sacrées).
antérieur, dans un composé) qui offre les phénomEmes les Le consonantisme, en revanche, paralt avoir été noté
plus intéressants : les consonnes sont « comprimées», le exactement, sauf dans quelques finales, et sous réserve
contact avec 1'initiale du Inot suivant entralne des accom-· de ces minuties issues des exigences de la récitation hiératique,
Inodations de sonorité, voire d'articulation, plus étendues minuties que l'écriture ne pouvait guere enregistrer : nasali-
souvent qu'a l'intérieur Incme du mot; la situation de sations accessoires, sons « jumelés», etc. Nous avons parlé
voyelle devant voyelle donne lieu a des contractions, des (p. 9) du maintien des quatre articulations dans les occlusives.
nasalisations, a un traitement typique tel que -o devant Parmi les palatales, des confusions se sont produites entre
sonore en partant de -as (a l'intérieur, il y a des traces, soit les types nouveaux et les types anciens, notamment pour le
de o soit de e). De larges flottements quantitatifs existent h, lequel, résultant en outre de tentatives de désocclusion
pour la voyelle finale 1. de gh dh bh, atteste décidéInent des sources lnultiples 1 •
C'est. précisément le vocalisnle, intérieur ou (plus souvent) Il y a eu aussi quelques variations entre aspirées et nOll-
final, qui a subi l'action des diascévastes. Une édition restituée aspirées, élimination totale (sauf traces indirectes) de la
du Rg'veda faite a la lumiere de la métrique, montrerait sifflante sonore, a peu pres totale de la liquide 1 (d. p. 9).
o ,
que les variations réelles dans la quantité étaient plus consi- Un trait proprelnent rgvédique est le remplacement de
dérables que celles que la graphie révele (et qui parfois ne rJ, (rJ,h) a l'intervocalique par un t (lh),' « fait d'école», qui
sont pas sinceres) ; la graphie a systématisé le sandhi, alors n' a sans doute pas de signification linguistique profonde ..
que la prononciation véritable (d' ailleurs non conservée Dans 1'ensemble, le systeme des occlusives est solide, des;
dans la récitation d'aujourd'hui) exigeait souvent l'hiatus suppléances ont consolidé les points· faibles; une maniere
ou la restauration syllabique : c'est aussi la restauration d'alternance e/k, j/ g ou gh a trouvé place. Les nasales ont
qu'impose ou conseille le metre pour un grand nombre de été sujettes a s'adapter aux phonemes environnants : ainsi,
y ou de v apres consonne. Il y a des cas de synérese a restituer, devant spirante (et, graphiquement au moins, devant occlu-
d' épenthese vocalique; nombre de syllabes longues ou de sive), elles s'affaiblissent en une résonance surajoutée a la
diphtongues, généralement en syllabe finale, comptent pour' voyelle précédente.
deux syllabes, etc. L'adaptation orthoépique a été incomplete,
inégale : ce fut l'amvre d'une école nornlalisante, qui a pour-
1. Il est douteux qu'il faille voir un fait dialectal (Meillet IF. 31 120) dans
la tendance a ouvrir les occlusives intervocaliques. La langue rgvédique regorge
de tendances phoniques incohérentes, qui ne se laissent pas ramener a des
1. Et peut-etre des quantités intermédiail'es, quasi-longues et supl'a-longues
répal'titions de dialectes. Autre, Bradke ZDMG. 40 673. - Faits dialectal.1x
comme le voulait Oldenberg ZDMG. 62486 et ailleurs (confirmé par la théorie
dans le Veda (généralement apres le RV.), Edgerton Mélanges Collitz 29.
indigene, Allen Phonetics in Ancient India 86). Contra, Gauthiot Fin de mot
169 et passim.
16 PÉRIODE VÉDIQUE l\IORPHOLOGIE DU :ij..GVEDA 17
Le fait luaj eur est l' extension des consonnes cérébrales, NloRPHOLOGIE DU -- Nous avons relevé (p. 9)
issues d'une (rétro-)flexion (nati) provoquée soit en contact, le caractere conservateur du ton védique N éanmoins la
. soit a distance. COlunle' pour tant d'autres phénomenes, colnr.idence ent.re apophonie vocalique et alternance accen-
on a voulu voir la l'influence d'un substrat dravidien : mais tuelle a cessé d'etre absolue, surtout dans le nomo D'autre
le principe, nous l'avons vu (p. 9), est nettement indo-iranien, part, 1'enclise du verbe non-subordonné (signe avant-coureur
l'extension demeure phonétiquement motivée ; ce sont bien de la déperdition du verbe en sanskrit post-védique '?) est
plutot les rares formes échappant a la cérébralisation attendue un fait probablement nouveau, tout comme les complications
oú l'on devrait reconnaltre (on n'y a d'ailleurs pas manqué du systeme engendrées par le développement meme de la
non plus) une influence anaryenne. Dans les formules les 1110rphologie.
plus archalsantes, il arrive meme qu'un s initial, un n initial La composition nominale, si l'on met a part la classe des
ou intérieur. soient « fléchis» par 1'effet d'un l' ou d'un dvandva ou « composés copulatifs» - classe rudimentaire,
finals du mot précédent : fait de plus soulignant le caractere fortement archalsante, limitée a la notation des couples
continu du pada védique - caractere continu qui tend a se divins naturels - , comprend les formations suivantes :
relacher a la césure, mais en revanche provoque l'enjambe- d'une part, celles qui répondent a un groupement de deux
luent phonique a la fin des pada impairs, tout au moins dans 1110tS en syntaxe verbale, type dhanaTf1jayá = dhánar{l
le texte nOrIualisé. jayati « gagnant le butin ». D'autre part, celles qui équivalent
L'autononlie du nlot, présumée intégrale pour l'indo- a des épithétes descriptives, a des phrases relatives élémen-
européen, se trouve ainsi fortement entamée, ce qui facilitera type ugrábiihu « aux bras puissants ». L'association
-en sanskritultérieur la prolifération des composés longs. de substantif avec adjectif, celle de deux substantifs apposés
Nombre d'élénlents accessoires deviennent enclit.iques de ou déterminés l'un par 1'autre, n'existaient que dans une
lUOt ou de phrase (( mots seconds» - le principe étant, 111eSUre tres limitée. Il est vrai que ces cadres virtuels s' em-
du reste, de date indo-européenne), d'autres sont proclitiques. plissent peu a peu dans les portions plus récentes du recueil.
Les faits de sandhi, l'harmonisation sporadique dans le les uns par reviviscence de composés hérités, d'aut.res par
timbre des voyelles, les allitérations, etc., tout rappelle que innovations. On ne peut dire, toutefois, que la composition
l'unité véritable est le quartier de vers (piida) pour la réci- nominale dans le soit un outil linguistique vraiment
tation, COlUlne elle est la « formule» pour le sémantisme. Ílnportant; elle ne contribue guere a l'expression de la
JI faut comprendre que ces textes ont été soumis a des regles phrase; le nombre des éléments y dépasse tres rarement
rigoureuses de mémorisation et de récitation : nous avons deux et les procédés vivants sont peu nombreux.
encore des luanuels anciens, relatifs a ce savoir, et le témoi- En revanche, la dérivation est tres productive, qu'il s'agisse
gnage des srolriya modernes confirme le marteIement pho- des suffixes primaires - comme il est normal dans une langue
nique intense qui commandait l' élocution sacrale. oú le sentiment de la racine est intense - , ou bien des suffixes
secondaires, c'est-a-dire tirés d'autres noms. Il y a surabon-
dance de dérivés dans certains cas, ainsi pour 1'expression
18 PÉRIODE VÉDIQUE lVIORPHOLOGIE DU I}GVEDA 19
de la « grandeur)) en partant du theme lnáh, avec lnáhas -i- et en -u- notamment, et en général pour tous les themes
mahÍlnán (nwjmán) nwhitvá mahitvaná * mahis, et· les tenta- terminés en voyelle ; dans ceux en -a-, qui sont en progres
tives isolées lnahiná mahná maháye maháni. lVIais l'abstraction marqué, l'influence pronominale paraít indéniable. Il existe
n'a pas de mode d'expression stable, les dérivés - .abstraits des désinences formant des doublets, parfois utilisés a des
comme adjectifs - de noms divins demeurant exceptionnels ; fins de style, plus souvent a des commodités métriques :
relativement rare aussi est le nom verbal en -ta- dans les signe, entre autres, d'une langue mal fixée, qui n'a pas eu le
couches les plus anciennes. Il y a des essais d'une dérivation temps ou pris la peine d'élaguer 1 . Du reste, les faits de langue
propre aux composés nonlinaux (saméiséinta). Dans l'ensemble, sont malaisés a séparer des faits de style : ainsi leprobleme
la spécialisation sémantique est faible; dans les suffixes des « finales syncopées )) prete a plus d'une solution valable.
primaires, la relation entre les acceptions du verbe et cclles Le centre d'attraction de la langue est constitué par le
du dérivé n'est pas toujours prévisible. Enfin bien des noms verbe 2 , autour duquel s'ordonnent préverbes, enclitiques
conservent un « suffixe zéro )), par rapport auquel d'autres de phrase, adverbes, et qui commande la structure des
finales, notamment -a- et -éi-, sont en fait de simples élar- dérivés nominaux. Les désinences personnelles ont proliféré
gissemen ts. autour des themes verbaux, eux-Inemes multiples; il est
La morphologie nominale continue assez fidelelnent l'état fréquent qu'un meme verbe dispose de trois ou quatre types
ancien, sauf quelques fonnations qui étaient en décadence distincts de présent ou d'aoriste, sans compter les conju-
des la fin de la période indo-européenne, comme celles en gaisons « déverbatives )), causatif, intensif, désidératif. Une
-r/ -nI. Le développeInent des sept cas nominaux, mieux racine telle que kl'- « faire)) n'a pas lnoins de 160 formes
identifiables souvent par la forme que par l' eInploi, a dispensé distinctes (30 en avestique). Le participe conserve ou acquiert
dans une large mesure de l'usage des prépositions : ces der- une certaine autonomie; de meme l'optatif, moins vivant
nieres sont, il est vrai, virtuellement présentes sous l'aspect toutefois que l'impératif 3 ou le subjonctif 4 , modes qui s'adap-
de préverbes, préverbes d'emploi tres souple, partiellement
aut.onomes et pouvant tenir lieu du verbe personnel; ils ]. Si la morphologie donne l'impression d'une langue en formation, l'étude
apportent. les nuances de direct.ion ou nature du mouvelnent, des formules et du style inviterait au contraire a reconnaltre une longue pré-
histoire. On a considéré parfois, non sans raison, les hymnes comme de la poésie
de t.ransitivation, d'aspect. Il n'existe guere encore de cas d'épigones. Il faut se garder de voir des survivances dans un grand nombre de
absolus. Dans les noms neutres, le pluriel n'est pas toujours faits de détail, qui sont des réfections, des formes instantanées, KHoffmann
formellement exprimé. En revanche, l'emploi du duel est lVIünch. Stud. Sprachw. 2 (1952) 115 lVILeumann (supra p. 13 n. 1).
rigoureux, a peu d'exceptions preso Les alternances sont assez 2. Le primat du verbe se marque dans toute la tradition « étymologisante »
qui commence avec les Br., puis le Nir. : cela en dépit des objections de Gargya
bien préservées dans la flexion nominale, qui cependant (Nir. 1 12), dont il se peut que Patañjali se réclame implicitement (Sarup Nir.
comporte des mnénagements massifs pour les thelnes en transl. 212). Sur le plan philosophique, le primat du verbe représente celui de
l'acte, vaco reta{l kal'ma AA. II 1 3, l'un des postulats de la pensée indienne.
3. Avec des finales en -si (parfois refaites en -sal Debrunner Mélanges
1. En dernier Benvimiste Origines 3. - Dénominatifs en -al'yati -anyati et "\iVinternitz 6.
connexes BSL. 37 17. 4. Rapports flottants entre subj. et indico thématique BSL. 33 5; décadence
du subj. Monographies sktes nO 1. Traces de présent en s- Kuiper AO. 12 190.
20 PÉRIODE VÉDIQUE SYNTAXE ET STYLE DU 21
taient élninemnlent aux besoins du panégyrique et qui ont Plus encore qu'une mine de traits de langue singuliers,
conlmencé a créer entre eux un systeme nlixte, du moins le Veda est un répertoire de procédés de style 1, non moins
aux premieres personnes. Il existe en outre un type mal singuliers : les uns a tendance ou soubassement syntaxique
caractérisé, l'injonctif, OU l'on a cru voir un vieil emploi (parenthese, ellipse, anacoluthe, figura etynl0logica), les
indifférencié du verbe personnel. autres, morphologique (créations instantanées, haplologie)
Les formations verbales demeurent largement indépen- ou phonétique (allitération, éventuellement rime). De la
dantes les unes des autres pour une meme racine (la notion surenchere oratoire est né le recours si fréquent a l'hyperbole,
melne de racine ayant fort évolué depuis l'indo-européen ainsi que l'extrapolation a base d'emprunts littéraux. Déri-
le plus lointainement accessible). Il n'y a que l'amorce du vant du précédent, le souci de s'exprimer par voie d'énigmes,
tour périphrastique. Quant aux invariantes, si l'abso- ou du moins en langage voilé - ce qu'on désignera plus
lutif est encore mal établi, l'infinitif ne compte pas moins tarel par les mots pári-hval-, sa1]1Clhéivacana - a contribué
de seize procédés distincts. L'expressiQn passive est peu déve- dans de nombreux passages a créer des mots a double sens,
loppée. La voix moyenne est bien installée dans la plupart eles images inversées, surimposées, bref ce qu'on a appelé,
des themes (y compris dans l'infinitif en -dhyai 1 ), mais elle regarelant les choses du dehors, le « galimatias» védique
n'est pas en harmonie structurelle avec l'actif et la moti- (Bergaigne). lVIais il y a des hymnes ou portions d'hymnes
vatio n nous en échappe souvent. qui sont d'une limpidité parfaite. Ainsi le tout premier
nlorceau du recueil :
SYNTAXE ET STYLE DU l}GVEDA. - En syntaxe, il faut Spécimen 1.
no ter la liberté tres grande (mais non absolue) del'ordre des
mots, l'usage constant de l'asyndete, la rareté du discours agn{¡n [le puróhitaf(l yajíiásya devám rlvljamj hóléirm?1-
direct comme expression de phrase. Les subordonnées com- [ralnadhiÍlamamj j
mandées par des conjonctions (le cas échéant, par le simple agnlJ:¿ purvebhir üJ,yo nulanair uláj sá deviÍm
réveil tonique du verbe) 2 abondent, bien qu'assez mal carac- [éhá j
térisées quant a l'emploi; la relative du type définissant agnlnéi raylm asnaval evá divé-divej yasáSm]1.
est plus fréquente que celle du type attributif. Les particules [v [rávatlmnmn j j
renforgantes, hortatives, généralisantes, sont d'un usage ágne yáf(l yajíiánt adhvará1]1 visválaly, paribhur ásij
considérable et mal discipliné. Il y a une certaine tendance [sá ld gachalij j
a éviter les mots (importants) trop brefs, ainsi que les homo-
nymes morphologiques.
1. Sur le style, outre les études eitées dans notre Gramm. védique 408.
ef. ,Veller ZII. 5 178 (métaphores) Porzig Mélanges Sievers 646 (devinettes)
Gonda AO. 14 161 (homonymie). Plus généralement, Bloomfield Rig-Veda
l. Benveniste Infinitifs avestiques 84. Repetitions, Gonda Similes in Skt Liter. (ubi alía), Diwekar Fleurs de rhéto-
2. Oldenberg ZDWIG. 60 707 Meillet BSL. 34122. rique 7, ,Vüst ZDMG. 80 16l.
22 PÉRIODE VÉDIQUE
SYNTAXE ET STYLE DU l}.GVEDA 23
agnil' hótéi kavikratuJ:t, satyás citl'ásl'avastamaJ:t,j devó-
Voici par contraste un poelue d'expression volontaireIuent
[devébhil' á gmnatjj
ésotérique. Le poete se flatte d'avoir percé le mystere du
yád migá tvám ágne bhadl'áqt távét tát
[satyám aligil'aJ:t,j j l'tá « ordre cosmique» et de l' ánrta « anarchie cosmique»;
il . a compris le bl'áhman, la « fonuulation» par énigmes,
Ílpa tviigne divé-dive dhiyá vayámj námo
dont la maltrise assure le fonctionnement de ces corrélations
[bhál'anta émasijl
et interférences, 'en lesquelles réside précisément le 1}ta 1.
l'ájantam adhval'ár;éil?l gopam rtásya cltdivimj vál'dha-
[miinm]1 své dámej! Spécimen 2.
sá naJ:t, pitéva sünávé ' gne süpiiyanó bhavaj sácasvéi
[naJ:t, svastáyej! YUVál]1 pLvasá vaséithe .yLWÓ1> áchidl'ii mántavo
[ha sál'giiJ:¿j
« J'invoque Agni le chapelain, le pretre divin c1u ávéitil'atam ánrtiini vi sva l'téna mitl'iival'ur;ii sacethejj
sacrifice, l'oblateur qui c.onfere le plus de trésors. etác caná tvo vi ciketad satyó mántl'aJ:t, kavi sastá
Agni a été digne d'etre invoqué par les poetes d'autre- [fghiiviinj
fois et par ceux d'aujourc1'hui : qu'il alu ene les c1ieux tl'il'ásl'il]1 hanti cátul'asl'il' ugl'Ó devanido ha pl'athamá
ici ! [ajül'yanj j
Par Agni que (le sacrifiant) obtienne richesse et apád eti pl'athamá padvátLnii1]l kás tád viim mitl'iivanzr;á
prospérité de jour en jour, glorieuse, consistant en [ciketaj
fils nOlubreux! gál'bho bhiil'ám bhal'aty á cid asya rtám pipal'ty ánrta1]l
O Agni, seul le sacrifice, le rite que tu circonscris de [ni tiidtjj
toutes parts, accede aux dieux. pl'ayántam it pári jiil'ál]1 kanlniim pásyiimasi nópanipá-:
Agni l'oblateur a la force de voyant, le véric1ique, le [dyaméinamj
plus briIlant en renommée, lui le dieu qu'il vienne ánavaprgr;éi vitatii váséinam pl'iyám mitl'ásya vál'U-
ici avec les c1ieux! dhámajj
Quand, ó Agni, tu veux réeIlement faire du bien a ana svó jéitó anabhL sÍll' ál'vii kánikl'adat patayad Ül'dh-
l'adorateur, cela de toi se réalise, ó Angiras. [váséinuJ:¿j
Nous nous approchons de toi, ó Agni, de jour en jour, acittam bl'áhma yíwiinaJ:¿ prá mitré dháma
ó éclaireur des nuits, apportant notre hommage. [vánzr;e gnlántaJ:¿j j
De toi qui régis les rites, gardien de l'Ordre, qui á dhenávo miimateyám ávantLl' bl'ahmapl'iyam pLpayan
iIlumines et crOIS en chaque maison. [sásminn iídhanj
Sois-nous d'acces facile, comme un pere au fils, ó
Agni ! Assiste-nous pour le bonheur ! » (1}gveda I. 1) 1. Interprétation détaillée Journ. Psychol. 1949 266 et BharatIya Vidya
10 133.
í
24 PERIODE VEDIQUE VOCABULAIRE DU l}GVEDA 25
pitvó bhik§eta vayíznani vidvdn asdvivasann áditim (jadis), vont (aujourd'hui) gonfler de lait, a la meme
[w>u§yetj / mameIle, l'ami du mystere. Celui qui sait les voies
d v(71n havyáju§tif!1 nánwsa devav ávasa cachées, qu'il prenne part a la nourriture! Celui qui
veut gagner par sa bouche, qu'il donne libre cours
[vavrtyatnj
asmdkam bráluna pftanasu sahya asmdkaf!1 vf§tfr a Aditi!
[divyd supal'dj! Puissé-je, o VaruIfa, o Mitra, vous induire a agréer
1'offrande avec mon hommage, avec votre concours !
« Vous etes vetus de vetements onctueux. Oui. vos Que notre mystere triomphe dans les cOlnpétitions!
créations sont des pensers infrangibles. Vous' avez A nous la Pluie céleste, 1'heureuse traversée!))
aboli tout ce qui est non-agencé, vous aIlez selon (l}gveda 1 152).
l' agencé, o VaruIfa et Mitra.
lVlaint (etre humain) ne comprend point ceci de ces VOCABULAIRE DU l}GVEDA 1. - Comparativement au cercle
(dieux, a la tete desquels sont VaruIfa et Mitra. d'idées assez restreint OU se meuvent ces vieux poetes, le
- a savoir) la Formule véridique, formidable, vocabulaire est riche, avec une forte proportion d'hapax
par le poete : le Quatre-pointes puissant tue le Trois- (lesquels attestent aussi, il est vrai, les lacunes de notre
pointes. Oui, les ennemis des dieux ont vieilli les pre- information). Le goút des spéculations a empli plus d'un mot,
miers. originairement simple et plat, de nuances plus ou moins
(Et cette autre fonnule) : sans pieds, elle va la prentiel'e « mystiques)) (comme disaient les premiers traducteurs),
de celles qui ont des pieds. Qui comprend ceci de vous, ainsi púrl§a « matériaux de déblai, etc.)) regoit l'acception
o Vanll).a et Mitra? (Et encore :) l' embryon porÚ fuyante de « so urce cosmique des eaux)); de lnelne pour
faix de ce (monde) mime: il sauve l'agencé, il ([. ürvá « caverne)) púraf!1dhi « abondance)) svadhd « impulsion
terrassé le non-agencé. natureIle )) dhi§álJa « acte)) ( ?) et bien d'autres. Des expres-
Nous voyons l'amant des viel'ges s'avancer tout sions aussi banales que padé góJ:¿ « dans le pas de la vache )),
autour, mais non se coucher aupres (d'elles), vétu ele les formes véJ:¿ « oiseau )), rip (rúp) et autres monosyIlabes
tissus sans bonlure. (Voila) l'Institution aimée de sont valorisées de la maniere la plus ünprévue. C'est de la
VaruIfa, de Mitra. sémantique déchainée.
Des forces magiques élémentaires ünpregnent des lnots
(Et encore :) né (comme) non-cheval, non-pourvu ele
comme arká « lumiere)) et « chant)) téjas « éclat)) ára1]1-kr-
,:énes, (il est devenu) un coursier)' criant avec
II vole, le dos au zénith. Les jeunes se sont plu au
1. Il est impossible de citer ici les innombrables études ayant trait au voca-
lnystere incompréhensible, tandis qu'ils chantent
bulaire rgvédique, v. Bibliogr. Véd. chapo 189-194 passim. En tete, Oldenberg,
devant Varul).a et Mitra l' Institution (de ces dieux). passim. Parmi les en date, relevons tout particulierement Thieme
Les va ches laitieres qui ont aidé le fils de Mmnatil Untersuchungen z. \Vortkunde, ainsi que Lüders Varu:t;l.a 1 (passim). Glossaire·
VOCABULAIRE DU 27
26 PÉRIODE VÉDIQUE
« mettre en état » « renforcer »1. Aggravant la polysélnie
des NighaI).tu, ce glossaire d'époque védique tardive, montre
comment s'est constituée la synonymie du : les
naturelle du sanskrit, la tendance a l'énigme est responsable
pour une part de cette sorte d'ambigulté diffuse OÚ se Ineut Nighal).tu ne connaissent pas moins de cent noms de
qu'ils extraient pour la plupart de passages particuliers de
le lexique 2, un meme mot pouvant recevoir par une
acception tantót favorable, tantót sonlbre, InamIcale : la Salp-hita OÚ le contexte évoquait plus ou moins directement
l'Ílnage des eaux l •
ainsi ar{ (quel qu'en soit le sens premier, sans doute «
Les préoccupations majeures des p;;i (auteurs-voyants des
au clan») équivaut tantót a « ami» a « »,
parfois en formules surimposées ; manyú se dIt du zele pIeux Hymnes) dans l'ordre pratique ont aussi laissé leur marque
comlne de la passion funeste, Sár(LSa est la « bonne parole» sur le vocabulaire : bien des termes ont regu ou développé
et la « Inalédiction», Vl'j- s'emploie des méchants qu'on le sens de « force» ou de « richesse», plus d'un verbe a été'
« renverse» et du dieu qu'on « attire a soi», áditÍln
adapté a revetir l'acception de « donner »2; le nom meIne
IV 2 11 est sÍlnultanélnent « protege l'innocence» et « garde- du « don rituel» a été d'abord celui de la vache « située a
nous de la non-possession ». nlain droite» Enfin des vocables destinés a as su-
Mais la majorité des polyvalences séInantiques résulte Iner une valeur tres générale, l'tíz « saison», kc7lá « tenlps »,
de transferts par analogie, comlne il en existe partout certes, ont maintenu dans le leur spécialisation
« répartition fonctionnelle» ou « acte décisif»; le bl'áhl1lCtn
nulle part autant peut-etre que dans ces formules harcelées
par l'invention mythologique : rasm{ « rene .» est en me.me n'est encore qu'un certain type de « formulation», cltmán
un élément indistinct de la personnalité 3 •
tenlps « rayon (du soleil) », les mots pour « dOlgt » ou « maIn »
valent aussi pour « rayon», ceux pour « arIne» valent pour A certains égards, le Veda n'est qu'une Inaniere d'écrire
« foudre» ceux pour « force » ou « élan » désignent la flamme, - constatation qui ne doit cependant pas le frustrer de son
ou L'exemple extreme, presque caricatural, authenticité linguistique. C'est l'illustration du
du langage, du « hors-Ia-vue», notion a laquelle de tous
en cours des Sarphita, avec notes critiques et exégétiques, par Vishvabandhu temps les Hindous ont été attachés. Tout au moins est-ce
Shastri. une pensée dirigée, dans laquelle tout concourt a un objectif
1. Gonda Meaning of Ved. bhü$ati; du meme, sur árarr/. kr-, oú ne permettait pas d'accéder spontanément le matériel
Thomas 97' sur gul'ú (( chargé de poids magique »), BSOS. 12 124; sur utsava
(( fuit de stimuler, d'engendrer »), lVlélanges Vog'el 146; sur bráhman, Notes
séInantique normal.
on bo (1950). - Sur la vitalisation des noms d'action, cf. Thieme Untersuchungen Néanmoins des expressions sans détour, souvent
33; notamment, pour les nOIY1S en -ti-, ,Y. (-Debrunner) 2,2636.
2. Sur l'ambiguIté du vocabulaire rgvédique, J. As, 1939 161; sur des
1. BEFEO. 1951 211 sur les
valeurs secondaires allouées a certains mots, ibid. 321. Cf. aussi Sieg Sagenstoffe
2. Sprache 1 (= Mélanges Havers) 11. '
introd. sur les divergences dans l'interprétation indigEme. Sur des
3. Sur rtú, Archiv 01'. 18 (= lVlélanges Hrozny) 431 ; sur katá, vVackernagel
mantn: cf. entre autres Tantrava. 1 2 49 discutant les formes jarbhál'i tUl'phá-
KZ. 5920; sur bráhman, Gonda supra p. 26 n. 1 Thieme ZDMG. 10291 Renou
ritü (R\T. X 106) et 1 169 3 (passages déja notés par le Mahabhá¡;;ya II 1 1 en
J. As. 1949 7; sur ritmán, Vák no 2 151. Voir aussi sur rtá Lüders ZDMG. 1944
fin du vt. 1), sommets de l'abracadabra védique. La strophe dans X 106 est
1 et VaruI).a passim; sur krátu, Ronnow MO. 26 1; sur virdj; J. As. 1952 141.
souvent moquée par les « ennemis du Veda », ainsi SarvadarS. VI 21.
3
28 PÉRIODE VÉDIQUE ORIGINES DU VOCABULAIRE ij..GVÉDIQUE 29
rappellent aussi le fonds élémentaire de civilisation sur de ces langues l • En réalité les concordances dont on a fait
lequel se sont édifiés les Hymnes : termes de la langue de état sont d'ordinaire peu probantes. Elles gagneront en
l'élevage et de l'agriculture (dont plusieurs ont été haussés force a mesure qu'on avance vers les stades ultérieurs clu
en acceptions abstraites ou spirituelles, ainsi les mots pour sanskrit, quand progressent l'expansion géographique et
« chemin des vaches, paturage» et plus généralement tout celle des genres littéraires. La spécificité du langage n'en
ce qui se rapporte a la vache) ; termes de guerre, de razzias. sera d'ailleurs jamais profondément atteinte. A l'époque
de défense armée (vrtrá « résistance», devenu un non1 de védique, a plus forte raison a l'époque du 1}gveda, elles
démon). Il existait par ailleurs une vie sociale avec des dmneurent exceptionnelles. L'attention est attirée par un
fetes, des jeux - il Y a un argot du jeu, notamment autolll' mot d'aspect étrange, tel uhtkhala 2 «mortier» (1}gv. récent),
des courses de chevaux 1 • instrument propre au culte fmnilier (comme l'indique a
souhait l'hymne 1 28) et fonnant couple avec lnúsala
ORIGINES DU VOCABULAIRE 1}GVÉDIQUE. - Ce vocabulaire « pilon» (AV.), mot a groupe -us-, l'un et l'autre termes
n'est qu'en partie indo-européen, la proportion héritée étant comportant des phonémes l. Mais des cas de ce genre sont
naturellement bien plus forte dans les racines verbales que exemplaires par leur rareté meme.
dans les noms autonomes. Certains mots religieux ou sociaux,
attestés aussi en iranien, sont communs ave e l'italo-celtique 2 , 1. Éléments de la bibliographie (avec analyses) chez Régamey Bibliogr.
rappelant sans doute le fait que les langues marginales des travaux relatifs aux éléments anaryens BEFEO. 34 429 (jusqu'en 1935).
s' étaient sépa,rées les premiéres; sraddhá « confiance (en Cf. aussi LVP. 198 et (supplément) 360. Les positions de Bloch sont données
Indo-al'. 321 et BSL. 25 1 BSOS. 5 730 Some Problems, passim. Pour le mUlJQ.a,
l'effet du rite) »3 OU ráj « roi» sont instructifs a cet égard. v. maintenant Kuiper Proto-IVI. "\Vords in Skt; pour le dravidien, Burrow
D'ou vient la, portion présumée non indo-européenne? BSOS. 9 a 12, passim Trans. Philol. Soco 1945-46 passim. Pour les deux
Si l'on a,dmet par une sorte de postulat que tout ce qui Mayrhofer Mélanges Hrozny 5 (= Arch. 01'. 18) 367 Saeculum 2 54
Ling. 239 Germ.-Roman. Monatschrift 34 (1953) 231 et Étymol. "VB. en cours',
n'a pas d'origine indo-européenne démontrable doit etre Bien entendu, ces travaux intéressent l'ensemble du skt, non le védique ni a
dra,vidien ou mu:r':H;Hi (ou, plus largement, a,ustro- asiatique), plus forte raison le rgvédique seuls.
on sera conduit par une pente naturelle, négligeant l'iriter- On a cru parfois reconnaítre un substrat dravidien ou mUlp;Ia (éventuellement
pan-asiatique) dans l'extension des cérébrales, l'emploi de la phrase nominale,
valle des siécles, a considérer comme autant d'emprunts a de l'expression passive, de l'absolutif, etc., cf. Keith 22 Bloch 328 Poucha
un (pré-)dravidien ou (pré- )mulJ-(;Ui tous les mots qUI Mélanges Hrozny 2 285 EHofmann KZ. 71 27 Mayrhofer précité (Étym. WB,
présentent des accords des sens et de forme avec des lnots 1 p. 10).
Mais les conditions de tous ces faits sont présentes des le Veda; aucun d'eux
n'implique den d'autre que l'évolution prévisible d'une langue littéraire dans
des conditions données. Mayrhofer Germ.-Rom. Mon. 1. c. évoque la possibilité
1. Vedische Studien, passim. Bien des positions ont été d'ailleurs délaissées
d'autres langues-substrats. Mais d'abord il faudrait avoir mieux exploité a
depuis par Geldner, leur principal tenant. Cf. aussi Lanman JAOS. 20 12.
l'aide des dialectes iraniens, la richesse du fonds indo-iranien, supra p. 8 n. l' in
2. Fait noté d'abord par Vendryes MSL. 20 265, repris par d'autres. Il existe fine.
aussi une communauté, moins caractérisée, avec le balto-slave.
2. Bloch BSOS. 5 74l. On a cité aussi sakúnti et (?) pour le RV. ;.
3. Kühler 8raddha (1948). bhrmalá et tüpará pour l'AV. Sur le cas de phaligá, Master BSOS. 11 297. ,
30 PÉRIODE VÉDIQUE IIY:\fNES RÉCENTS DU I}GVÉDA :31
Une autre tentative consiste a déceler des formes In oyen- a joué un role : on a pensé relever l'indice que le Livre 6,
indiennes dans le J}gveda l. De fait, plusieurs noms paraissent par eXeInple, avait été composé en Iran.
offrir un type d'évolution phonique qui fait penser au prakrit :
aillsi víkafa « difforme» jáj jhat[lJ « qui éclatent» HYMNES RÉCENTS DU J}GVEDA. - ParalIeIement a l'intru-
(et « tronc» jyótis « éclat» l1IÍlhu(r} « soudain» et sion dans la Sa:rphita « familia le » de poemes d'un genre
quelques autres. On a meme voulu voir un magadhisme dans nouveau (pieces dialoguées, philosophiques, semi-profanes),
l'idionle sure duhitá « la filIe du soleil». Ici encore les faits on constate un recul général des archa'ismes, tant en phoné-
assurés sont tres rares pour les hymnes les plus anciens; tique (résorption des anciens types de sandhi, des y ou v
seraient-ils plus nombreux qu'il n'y aurait pas moins d'invrai- vocalisés, etc.) qu'en morphologie. Le fait saillant est l'intro-
seInblance a conclure que la langue parlée a l'époque du duction de Inots contenant un 1, et qui présentent d'ordinaire
RO'veda
o b
füt déJ'a au niveau du prakrit. Il faut tenir compte, une valeur familiere, apparemment populaire, sans etre
au surplus, de la facilité avec laquelIe s'obtient une « étymo- pour autant « anaryenne »1. Les hymnes récents mettent
logie» moyen-indienne. en évidence le theIne verbal kuru-, l'absolutif refait en
L'onomastique et la toponynlie du J}gveda ont unaspect -tvaya)' il n'est presque pas de catégorie dont la vitalité
souvent inattendu 2. Ici peut-etre un substrat iranien (insi- ne soit plus ou Inoins modifiée. Le vocabulaire, s'il enregistre
gnifiant comme base d'emprunt pour le vocabulaire général) des pertes, s'est accru de nlots ou de sens nouveaux, certains
destinés a connaltre une grande fortune : citons seulement
1. Bibliographie dispersée, ,v. 1 p. XVIII LVP. 192 :i\Iansion Esquisse 129. ,pralJá « souffle » ásu et iitmán « principe vital », qui indiquent
Fáits particuliers Edgerton Mélanges Collitz 25 (et cf. Vedic Variants 2 20) le progres de la réflexion sur l'etre. En matiere de style,
Ghatage IHQ. 21 223 Bloch Mélanges Schrijnen 371. Les articles de Tedesco
(ci-dessous, p. 203, n. 1) concernent en général des formes post-védiques OH,
les hymnes du Livre 10 traitant de sujets concordants a
tout au plus, du védique tardif. Justes remarques de Mansion contre l'hypothese ceux du J}gveda ancien se présentent COlnme des remanie-
d'un prakrit contemporain du RV. lnents, souvent fort élaborés ; il Y a une maniere « dixienle-
;2,. Macclonell-Keith Vedic Index of Names a. Subjects est la source la plus
commode. Sur des noms éventuellement iraniens (( irano-scythiques »), ,Yüst
Livre» de fabriquer une eulogie d'Indra. Le poelne « deo
Mélanges Geiger 185 (ubi alia ; contra, Charpentier MO. 28) Hillebrandt Ved. ignoto » X 121 est bati, lointainement, sur 11 12 2•
Myth., 2 e éd., passim, Keith Religion of the Veda 7 et 91 (contre le
Hopkins JAOS. 17 73. En clernier, Foucher Vieille Route 185 et 189, qm se
réfere a Hillebrandt. Noms propres divers KHoffmann ,YSachen 21 139.
Le mot títaii « crible » a été présumé omprunté de l'iranien (autres cas, tous l. En dernier, Ammer 'VZKM. 51 131, qui insiste sur l'aspect « rudra-
douteux, Przyluski lVIO. 28 140). Yáska (Nil'. II 2) cite sav- « aller» comme Sivalte » des mots a l. Meme en skt classique OÜ 1 s'est propagé librement, il
terme des Kamboja, alors que le dérivé ('1) sava serait aryen. A cette information, marque volontiers des valeurs péjoratives, comme kalman = aparisamáplal]1.
reprise par Patañjali (clans la Paspasá, qui a été influencée par Yáska), TWl'1na (kárika); cf. aussi le suffixe -la- passim; la forme alayalJ.
s'ajoute une seconde, d'interprétation non moins évasive, concel'nant dah (citée ci-dessous p. 74, n. 2). Patañjali ad Sivasü. 2 connalt [falca comme
« couper qui serait « oriental», alors que datra « faucille » serait du N ord; Oll
)l prononciation des femmes au lieu de [falca.
encore (VI 9) concernant vijiimat[ qui, au Sud, signifiemit « époux d'une filIe 2. Sur le RV. récent, 'V. 1 p. xv. ,Liste de formes Arnolcl Vedic Metre 36.
achetée Cf. ci-dessolls, p. 74 n. 1.
)l. Sur les absolutifs au dixieme Livre, "', (-Debrunner) 2, 2 653 et 654.
32 PÉRIODE VÉDIQUE L 'ATHARVAVEDA 33
L'ATHARVAVEDA 1 • - Quelle que soit la date des poemes résonances linguistiques élémentaires pour renforcer leur
atharvaniques, ils ont été fixés en général a un niveau d'an- efficacité. Les exigences du rituel (le Kausikasiitra) ont aussi
cienneté moins haut que le gros du I}gveda ; ils continuent infléchi le lexique et, le cas échéant, la syntaxe. Au surplus,
la « descente » des mantra védiques, inaugurée par le Livre 10. il faut tenir compte de l'état corrompu dans lequel le texte
Ceci est surtout vrai des poemes spéculatifs formant la nous est parvenu, comme le montre la métrique irrestituable.
seconde portion du recueil. Les morceaux magiques de la La corruption est a son comble dans la version dite kasmí-
premiere moitié sont plus anciens a la fois et linguistiquement rienne (le paippaHida), version précieuse malgré tout, tant
plus singuliers. Dans l'ensemble pourtant les traits rgvédiques par les pieces nouvelles qu'elle apporte que par les legons
sont en recul : ainsi l'autonomie du préverbe, le subjonctif, supérieures qu'elle. a conservées 1 .
l'infinitif autre qu'en -iU1n (lequel progresse au contraire),
les doublets désinentiels, les singularités phonétiques; le Spécinwn 3.
thelne kal'óii « il fait» remplace largement kl'(lófi, le futur
s'étend, ainsi que le passif, le causatif en -payaii, le verbal váiiij jiiió aniál'ik$iid vidyído jyóii$as pál'ij
en -ia- 2 , l'absolutif en -ivii. La modernisation est plus frap- sá no hil'artyaj áJ:¿ saJikháJ:¿ kf sanaJ:¿ piiiv ál]1hasaJ:¿j j
pante dans les mantra empruntés au I}gveda (du moins, yó agl'aió l'ocanánii1]1 samudl'ád ádhi jajíii$éj
dans ceux empruntés par strophes ou quarts de strophe saJikhéna haivá rák$ii1]1SY v{ $ahiimahej j
isolés) que dans les parties indépendantes. On a la tous les saJikhénámlviim ámaiil]1 saJikhénoiá sadánviiJ:¿j
signes d'une évolution linguistique lnassive, ce qui n'exclut pa,s· saJikhó no vi svábhe$ajaJ:¿ kf sanaJ:¿ patv ál]1hasaJ:¿j j
que l' Atharvaveda ne représente aussi un état moins hiéra- div{ jiiiáJ:¿ samudrajáJ:¿ sindhuiás páryiibhriaJ:¿j
tique 3 (nous ne souhaitons pas dire, quoiqu'on l'ait fait : sá no hiralJyaj áJ:¿ saJikhá iiyu$ j
plus populaire), qui se traduirait par le caractere moins samudráj jiiló vriráj jiiió diviikaráJ:¿j
solennel, moins emphatique, ou bien attestant d'autres modes só asmán i sarváiaJ:¿ piiiu heiyá deviisurébhyaM j
d'enlphase. Le jeu des allitérations, des répétitions par
hf¡'alJyiiniim éko 'si sómiii ivám ádhi jajPíi$ej
écho, etc., est plus poussé encore que dans l'autre Veda :
ráihe ivám asi dar saiá i$udhaü rocanás ivál]1 prá lJa
notanlment dans les prieres magiques qui font appel a des
[áYÜ1]1$i iiiri$aij j
1. Pas d'étude satisfaisante sur l'AV. au point de vue linguistique (Negelein
insufIisant). Notes éparses cllez Bloomfield ou vVllitney-Lanman. Pour le style, 1. Aucune étude sur le paipp. (quelques données Écoles Védiques 72 et
Gonda AO. 18 ou Stilist. Studie over AV. I-VII. Harret, passim). Sur les rapports AV.-Kaué., Gonda Similes 103 Edg'erton
2. Sur -fa- comme verbum finitum (en général), V. en dernier W. (-Debrunner) Mélang'es Tllomas 78 et, naturellement, la trad. de Kaué. par Caland (notes).
2,2. 580. Un trait notable, amorcé dans le RV. récent, est l'enveloppement du Mécliocre SJlla J .. Billar Res. Soco sept. 1953 (sur paipp. 1 et 2). - Les mots
sujet (ou d'une épithete) et du régime direct par un prono m relatif qui, de notre nouveaux de l'AV., en nombre assez considérable (citons au hasarcl asfrá
point de vue, est explétif. Ceci se maintienora dans certains Br. «arme) üná « déficient)) ká1)a « grain)) kapála « crane) « corde)) deSá
3. A quoi tenait Bloomfield Atllarv. 46 JAOS. 21 42 et ailleurs. «région ) pÍlccha « queue ») pÍl?pa « fleur ) laghÍl « léger )) lup- « briser)) SQlikhá
PÉRIODE VÉDIQUE AUTRES MANTRA'S
34
deviÍnam ásthi kt sanw?1 babhüva tád ritmanvác cal'aty AUTRES MANTRA'Sl. On peut traiter globalenlent
[apsv antál¿j l'ensemble énorme des mantl'a (( versets») étrangers au
Mt te badhnamy vál'case bálüya dfl'ghüyutvdya l}g- et a l'Atharva-veda, cela en dépit des différences chro-
[ satá sál'adaya kal' sanás tvübh{ nologiques, peut-etre considérables, lnais a coup sur indé-
terminables, qui séparent les textes OÚ ils figurent. On a
« Née du vent, de l'air, de l'éclair, de la lumiere, que fabriqué des mantra jusqu'a la fin de la période védique,
la coquille, fille de l' or, que la perle nous garde de jusque pour les besoins des manuels dOlnestiques, qui ont
l' angoisse ! puisé dans de petites Salphita compilées a leur usage. Tous
Toi qui naquis du sein de l'océan au faite des splen- ces mantra ont des traits qui les distinguent, aussi bien de'
deurs, grace a toi, ó coquille, ayant tué les démons la prose environnante que des timides essais de poésie
nous subjuguons les vampires; gnomique (p. 38) : le caractere invocatoire de l'énoncé, la
Grace a la coquille, la maladie et la détresse; présence d'épithetes ornementales, le jeu des particules -
grace a la coquille aussi les sorcieres. Que la coquille) c'est par les particules que se laisse différencier un état de
toute guérisseuse, que la perle nous garde de l'angoisse ! langue d'un autre en sanskrit. L'allure générale demeure
rgvédique, meme si les archa'islnes les plus voyants ont été
Née au ciel, fille de l'océan ou bien apportée par
éliminés. Ga et la, en guise de survivance authentique, on
le fleuve, puisse la coquille, fille de 1'01', prolonger
trouve quelque singularité de phonétique ou de lnorphologie
notre durée de vie, -'- ce joyau !
qui révele le but souhaité par le versificateur : distinguer
Ce joyau né de l'océan, soleil né du nuage : qu'elle le mantra de telle école du mantra d'une école voisine 2 •
nous garde en tous lieux du trait des dieux et des L'étude des « variantes», au sens bloomfieldien du tenne,
démons! c'est-a-dire des modificatjons qui signalent le passage de la
Tu es l'un des ors, tu es née du soma, tu es belle formule d'un texte a un autre, réveIe aquel point il serait
a voir sur le char, éclatante sur le carquois : qu'elle vain de tenter une chronologie relative d'enselnble. Des
prolonge nos durées de vie ! recueils récents, le Paippalada, la Vajasaneyi, la JaÜninlya-·
L'os des dieux est devenu perle : il se meut, tout
anÍlné, parmi les eaux. Je te l'attache pour la duré e
de vie, pour le prestige, pour la force, pour la longue 1. Sur la langue des mantra (hors RV.-AV.), v. les introduetions de Eeith
a ses traduetions d'AB.-KB. et ele TS., l'étude el'Oertel sur Kap. (ef. aussL
vie, la vie de cent automnes. Que te protege (l'amulette Renou J. As. 1933 fase. annexe 85). Consulter en général les 3 vols parus eles
faite de) perle!» (Atharvaveda IV 10). Vedie Variants, avee les e. r. d'Oertel GGA. 1931 236, 1934 186, 1936 339 ;.
de Renou 1. e. 77. Sur la KaJ).va-SaITlllita, J. As. 1948 21 et Vak, no 5. Sur le
Samaveela, ibiel. 1952 133 et Vak n° 2 100; Brune Zur Textkritik (1909).
2. On rangera iei, par ex., l'infinitif gamádhye TS., les aoristes ajayit et
« eoquille) sUd « pierre) Sl:,?- « sécher)) sátra « fil )), refletent eles dhvanayit, pápayi#a, aV[lJát (en yajus) du meme texte, ainsi que les habitueles.
nouveaux plutot que l'aceession d'une terminologie inéelite. insolites de répartition entre Yliy, entre V/UV.
36 PÉRIODE VÉDIQUE AUTRES .MANTRA'S 37
salP-hita, ont été adaptés a la teneur ou, comme disait Olden- (a-t-on dit) plus ancienne 1 • On pourrait relever le meme
berg, a la dignité rgvédique. S'il y a modernisation sur earactere dans les dialogues de la controverse a énigme,
certains domaines, il y a archa'isation sur d'autres, hypervédi- dans eeux qui accompagnent l'immolation du Cheval sacré 2 •
sation et, répétons-Ie, aberrance, servant de signature d'ate- Mais pourquoi ce qui est moins contraint serait-il plus vieux ?
lier. De la des formes comme lri#úk et (noms de Ce qui est clair est que ces versets moins protégés ont été
metres) chez les TaittirIya, HV (pour la particule H devant ouverts a toutes sortes d'influence; le cérémonial s'ampli-
voyelle) ibid., ym (pour jln) chez les km, (pour fiant, incorporant des éléments profanes ou populaires,
cln) chez les Ka1).va, sváná (pour suváná « pressuré») chez il a fallu élargir les procédés antérieurs. Dans les derniers
les Samavedin. Le plus souvent il s'agit simplement de stades du védisme, il s'introduit des formules de type pura-
faits graphiques ou euphoniques, comme les sandhi inattendus l).ique, comme dans les « reliquats» de l'école Baudhayana.
de l'école Maitraym;dya-Manava, ou bien let « grantha » Déja les khila ou « suppléments », masse mouvante gravitant
des Jaiminlya. Ce sont du reste des points lnineurs - mais autour de la l}ksalP-hita, attestent des faits troubles. Tous
tout importe en matiere de récitation sacrée - , sur quoi ces adaptateurs se sont accordé des libertés qui dépassent
légiferent de préférence les Pratisakhya (p. 37). L'audition, de beaucoup celles qu'admettront les « variantes» de la prose
voire la graphie, ont provoqué des altérations nombreuses, védique, considérées a partir d'un hypothétique Ur-brah-
contre lesquelles mettait déja en garde le l}kpratisakhya, nlal).a.
chapo 14, pa,ssim. La comparaison des « variantes» a fait Peu de recueils de versets ont été préservés par la présence
découvrir des lectiones faciliores, des gloses, de fausses coupes d'un Pratisakhya, manuel d'école enseignant comment on
de nl0ts, des dittographies et haplographies, etc., tout ce passe du mot isolé a la phrase continue dans la récitation
qu'on trouve en somme dans une tradition manuscrite a didactique. Certains de ces manuels donnent aussi des clartés
éloigné 1. sur la prononciation du sanskrit a date ancienne. De leurs
Dans l'ensemble pourtant, les cas de bonne conservation infonnations et de celles des ou tracts phonétiques
l'emportent. Il arrive aussi que des formules empruntées inter-écoles qui les suivent, on a meme cru (imprudemment)
s'averent plus proches du texte original que la moyenne pouvoir inférer des habitudes de prononciation, qui antici-
des lnantra non empruntés. peraient sur la répartition dialectale au niveau du lnoyen-
Dans certaines strophes, celles que présentent les parties indien littéraire 3. Ces ouvrages confirment en tout cas le
autonomes du Mantrapatha des A.pastambin, on a cru prÍlnat de l'élément audible sur l'élément signifiant. Un seul
reconnaltre une composition moins contrainte, partant
1. Ed. vVinternitz, p. XLIII.
2. Avec des formes comme ámbe ámbiké 'mbiílike, asvaká et sÍlbhadl'ikií,
1. Entre des masses de faits, ef. átidyutat VSK. = ádi o VSM. IV 25, yán vaktisakaÍl sakunlikti, iíhálak, nígalgalrti, pl'áliliími (var. osuliími), laltimagu
tÍll'ye tÍll'yam = yantÍll' yantl'Íye IX 30, sivá rtásya = sivd nztásya XVI 49. Dans (( penis ») VS. 23, passim.
les Vedie Variants, vol. 2, passim, mots rimants 390, vaJ'iantes graphiques 400, 3. Du moins d'apres SVarma Phonetic Observations of Indian Grammarians,
haplologies 360, dittographies 362; prakritismes 20. passÍIll.
PÉRIODE VÉDIQUE LES YAJUS 39
livre, inlportant d'ailleurs, s'occupe de sémantique et donne réSlune sous forme piquante la legon d'un épisode rituel,
des fragments d'exégese : c'est le Nirukta de Yaska. 1Vlais eet, fait allusion a quelque fable perdue. Dans l'Aitareyabrah-
ouvrage confirme a sa maniere l'importance allouée a la nlal).a, ces giithii (comnle on les appelle) s'installent résolument
forme, aux co'incidences sonores, lorsqu'il nous propose- ·a coté de la prose dans un ample récit tel que le Saunal,lsepa.
des étynl010gies qui éveillent des associations d'idées valables Enfin elles absorberont toute la substance de l'ffiuvre dans
du point de vue des poetes védiques. Il en est de meme pour les parties versifiées de's Dharmasütra récents. Mais leur
les anályses de mots de mantra qu'on a dans plusieurs présence du meme coup cesse alors d'avoir aucune portée
Brahmal).a et dans les premieres 1. Ceci atteste- linguistique, la prose et les vers étant entrainés dans une
l'intensité de la réflexion sur le langage', réflexion inaugurée- 111enle normalisation.
par l'hymne a énigmes 1 164 (str. 3 10 23-25 39-42 45 4f)) Nous n'avons malheureusement plus les contes et
et par l'hylnne a la Parole X 71. La création du monde est (en prose, ou plus probablement, selon le type de conlposition
d'abord la création ou la révélation du Verbe. privilégié dan s la littérature sanskrite, en prose et vers
,alternants) d'époque rgvédique, auxquels l'hynlne X 28
LES GATHA 2. - D'autres proeédés littéraires commencent se réfere. Les ballades et dialogues pseudo-dramatiques
a se frayer la voie a coté des mantra. Ce sont d'abord des qu'on rencontre par places dans le l}gveda, surtout au Livre 10,
spécimens épars d'une poésie a tendances gnomiques, non ont été réajustés a la diction solennelle, dépouillés de l'entou-
hiératique, telle qu'on la trouve dans la prose de plusieurs .. rage en prose qui les accompagnait pour expliquer la situation
Brahlnal).a, puis, progressivement amplifiée, dans les et servir d'intermede aux éléments dialogué s ; bien des
en prose et dans les premiers Dharmasütra. Il épisodes, parfois des textes entiers en sanskrit post-védique,
n'y a sans doute point la de poésie réellement indiquent comlnent ces vieux récits a dialogue devaient se
nlais plutot une poésie pauvre, pédestre, démunie de l'appareil présenter a l'origine.
des lnantra (sauf, ga et la, des archa'islnes plaqués). Elle
LES YAJUS 1 • - De la prose prinlitive il demeure deux sortes
de télnoignages d'importance fort inégale : les yajus (eux-
1. Sur les étymologies du Nir., Sk5ld Nirukta, qui a noté qu'elles font parfois
appel a des altérations phoniques de type m. i. Le texte est de date inconnue, nlemes parfois métrifiés ou métrifiables) 2 et le cOlnmentaire
probablemellt post-paI).inéen. courant appelé Les yajus (auxquels on doit joindre
2. Ces giithii n'ont guere attiré l'attention que du seul Oldenberg Ai. Prosa les nivid, nigada, etc., ainsi que des formules magiques
53; cf. aussi UNGhoshal IRQ. 18 93 et notre étude (Mélanges ,Yellel'
528). Oldenberg visait a défendre la these, plausible d'ailleurs, du earacterC" seIni-prosa'iques de l'AV.) sont des mantra en prose que
fondamental de la composition mixte versjprose, telle qu'on la retrouve ou le Yajurveda a mis en circulation. Ils consistent en invoca-
qu'on peut la restituer a toutes les étapes de la littérature, tant skte que m. L
Anciennes controverses a ce sujet (théorie dite iikhyiina ») dans notre Bibliogr.
«
Véd. chapo 19, passim. Des l'époque védique, les giithii sont d'un niveau linguis- 1. Oldenberg Ai. Prosa 2. Parmi les « ties ». de ces spécimens littéraires,
tique différent de la prose. Cette disparité sera surtout accusée en bouddhique ligurent par ex. les 2 e pers. d'impératif en -tiit de l'adhrigu.
(pali et hybride) et en jaina (canonique). 2. Formes hybrides, par ex. au début de la VS.
40 PÉRIODE VÉDIQUE LA PROS E BRAHMANA 41
tions, soit aux divinités, soit, plus souvent, aux instrunlents tvii dhüpayantv angil'asvátj ... j tvii devi Vlsva-
ou éléments du sacrifice ; en incitations a agir ; en définitions devyavatl Pl'thivyilJ:¿ sadhásthe angi1'asvát khanatv avataj
irnagées du rite ; en litanies et corrélations tabulaires ; mais ... j jánayas tvilchinnapatl'ii devil' vi svádevyavatlJ:¿
ce ne sont pas des prieres ou des laudations proprernent dites, Pl'thivyilJ:¿ sadhásthe angil'asvát pacantükhej j
domaine réservé a la poésie. Plus que les mantra, ils visent
« (S'adressant au chaudron d'argile appelé ukhii:)
a la concision, usant de l'ellipse, du style de « rubrique »,
tu es la tete de Makha; que les Vasu te fabriquent
sans négliger pour autant les exordes emphatiques, l'allité-
avec le metre giiyatl'l a la mode des Arigiras, ó Ukha !
ration, le parallélisme des membres. On a l'impression de la
Tu es solide, tu es la Terre, conserve-moi progéniture,
matiere prelniere OU ont puisé les poetes-amplificateurs.
richesse, ma'í'trise du bétail, fils et parents, pour ce
L'allure générale est raide, monotone ; cependant les parties
sacrificateur! Que les Rudra te fabriquent avec le
récentes, par exemple les rites de l'agnicayana, ont eles
yajus assouplis, élargis. Linguistiquement, ils sont en principe metre tl'i#ubh a la mode des Ailgiras, ó Ukha! Tu
plus jeunes que les mantra concomitants : la prose" n'a que es solide, tu es l'Espace intermédiaire, (etc.) ! Que les
Aditya te fabriquent avec le metre jiigatl a la mode
faire des vieilles licences qu'imposait le rnetre, et, d'autre
part, la pauvreté du contenu se serait mal accommodée d'une des Arigiras, ó Ukha ! Tu es solide, tu es le Ciel, (etc.) !
lnorphologie exubérante. Que Tous-les-dieux, cornmuns a tous les humains,
te fabriquent avec le metre a la mode des
Spécimen 4. Arigiras, ó Ukha! Tu es solide, tu es les Orients, (etc.) !
lnakhásya stro 'sij vásavas tvii kl'IJvantu Tu es la ceinture d'Aditi, qu'Aditi saisisse ton orifice!
chándasiingil'asvád ukhej dhnwilsij Pl'thivy asij Que les Vasu t'enfument a la mode des Arigiras!
dhiil'áyii máyi prajilffí gaupatyáffí suvtl'yaih Qu'Aditi la déesse, toute divine, associée a Tous-les-
sajiitiln asmat yájamiiniiyaj 1'ud1'ils tvii knwantll dieux, t'ent.erre dans le giron de la terre a la mode
tl'at#llbhena chándasiingi1'asvád ukhej dh1'uvilsij antá- des Arigiras, ó fosse ! Que les Épouses aux ailes intactes,
asij dhii1'áyii máyi pl'ajilffí gaupa- les déesses, associées a Tous-les-dieux, t.e cuisent dans
tyáih suvil'ywñ sajiitiln asmat yájamiiniiyaj iidityils le giron de la terre a la mode des Arigiras, ó Ukha ! »
tvii krIJvantu jilgatena chándasiingil'asvád ukhej dhl'U- (Maitr. Sarp.hita 11 7 6).
vilsij dyaÍl1' asij dhii1'áyii máyi pl'ajilih
gaupatyáffí suvíl'yaifí sajiitiln asmat yájamiiniiyaj LA PROSE 1. - C'est déja a l'intérieur des
vt sve tvii devil vai sviina1'ilJ:¿ knwantv grandes Smp-hita, formant ce qu'on appelle le Yajurveda
chándasiingi1'asvád ukhej dhnwilsij dUo 'sij dhii1'áyii
máyi pl'ajilnl gaupatyáifí suv{l'yam sajiitiln 1. Sur la prose « », outre les travaux anciens de Delbrück (toujours
valables), v. d'abord Oldenberg Ai. Prosa 13; du meme (vocabulaire)
asmat yájamiiniiyaj ildityii l'ilsniisij te bilw?1 \Veltanschauung d. Br.-Texte, passim. Contiennent des descriptions de langue,
gl'bhIJiituj vásavas tvii dhüpayantv angil'asvátj 1'udl'ils notamment, les traductions (supra p. 35 n. 1) par Keith, celle du PB. par Caland,
42 PÉRIODE VÉDIQUE
GRAMMAIRE DE LA PROSE
Noir, qu'apparalt, répartie en larges tranches, une prose
continue, explicative et discursive, celle-la lnenle qui cher- ele -as I • Parmi les innovations nOlnbreuses qui marquent la
chait sa voie tünidelnent dans quelques passages de l' Athar- grammaire brahma1).a, certaines ne présentent pas de progres
vaveda. Elle ne décrit pas les rites directement, mais, les d'un texte a l'autre, ainsi le génitif absolu, les formations
supposant connus, les interprete et les fonde en raison : en -í-kl'- -{-bhü- 2 ; d'autres au contraire, ainsi le parfait
ce sont des manuels de justification liturgique et d'anagogie. p.ériphrastique o.u le futur en -t(7)' les valeurs propres a l'opta-
Cette prose a pu se développer - pure hypothese - entre tlf vont se préClsant. Comme ailleurs, c'est l'allure générale
les VIlle et Vle siecles avant notre ere, en pleine « période » de la phrase, le style, qui différencient plus que la morpho-
logie ou l'elnploi des formes.
de fabrication de nlantra. Elle a varié dans l'enselnble plus
que les portions poétiques du Veda. L'outil linguistique, Au surplus, la succession des textes est loin d'etre parfai-
remarquablement nlis au point des le début, s'est affiné teluent connue. S'il est a peu pres admis que la prose des
peu a peu, précisé, jusqu'a aboutir a ces étonnantes articu- SaI!lhita « Noires» marque le sta de initial et que le Sata-
lations syntaxiques qui lnarquent les tranches yajñaval- patha termine la série des grands Brahma1).a, la position
kyennes du Satapathabrahma1).a. L'évolution proprement respective des textes rgvédiques et samavédiques est incer-
granlmaticale a été, il est vrai, lente; la disparition des taine. Il peut y avoir des couches successives a l'intérieur
archa'ismes - doublets désinentiels, themes verbaux concur- meme traité; comme dans l'Aitareya (oú 1-6 s'oppose
él 7-8) ou dans le Satapatha (1-5, 6-10, 11-13, 14 début, enfin
rents de présent ou d'aoriste, préverbes séparés (limités
désormais a des nuances expressives), subjonctif (confiné a BA U.; la versioIl ka1).vlya étant a part. et. autrement
répartie) 3.
peu pres au discours direct), infinitifs en -tos et en -tavai, etc.
- suit une progression qui n'est pas toujours tres sen-
sible : par exemple, le locatif en -an se maintient jusqu'au GRAMMAIRE DE LA PROSE BRAHMANA. - La syntaxe
bout a coté de -ani. Certains faits ne comportent guere ou devient, de beaucoup, la partie la pius intéressante. A
point d'étagement chronologique, ainsi l'elnploi du parfait l'exaltation luorphologique du RV. succede une exaltation
narratifl, l'usage assez singulier de la finale -ai en fonction syntaxique, progressivement acquise. Les Brahmana de
type aneien font prédominer la parataxe et le discours cÜrect ,.
l'étuele elu meme sur le JB. (Over en uit het JB.), les remarques ele BKGhosh
sur le Saty.-Jaim. dans Lost Br.'s ; enfin, sur le SB., les recherches capitales, en des parfaits narratifs, Valeur elu parfait, passim; mais c'est un inelice inelirect.
cours, ele lVIinarel (Suborelination I, Trois Énigmes I). Cf. aussi la riche intro- la question, cf. \Yhitney Trans. Am. Philol. Ass. (1892) 5 et Olelenberg
eluction a la version Kal).vlya éel. par Calanel, la syn,taxe el'Oertel (inachevée) Al. Prosa 25.
et maints travaux ele détail, en granele partie par Oertel. Bibliogr. récente elans 1. Calanel AO. 5 51 : le phénomEme est sans valeur chronologique.
Trois Énigmes 207 et J. Veelic Stuel. 1 nO 2. 2. Qui paraissent surgir elans l'AV. brusquement. Cf. \Yackernagel Mélano'es
1. Il est normal que le parfait abonele elans les portions narratives ele SB. Saussure 129. b
et JB., riches en mythologie. L'éloignement elu YV. Noir pour cette formation .3. Résumé de la question BSL. 34 89 et, plus ponr le SB.
n'est pas signe el'archai'sme, puisque le RV. le plus ancien présente en masse Mmarel passim et notamment Trois Énigmes § 549 b (translation
vers I'Est).
4
44 PÉRIODE VÉDIQUE GRAMMAIRE DE LA PROSE BRi\HMANA 45
lin1itée a quelques eluplois bien circonscrits, la subordination authentiques en prose qu'ait produites le sanskrit en tant
s'accompagne d'une particule corrélative en tete de la propo- que langue populaire »1.
sition principale, a moins qu'un éléluent de cette proposition, Sans changer de nature, les caracteres linguistiques s'mupli-
tel le verbe, en tienne lieu. Un tour spécifique est bl'áhnw(w dans certaines portions du J aiminlya et surtout du
etád l'Üpá1]l yát (TS.) « la peau d'antilope noire Satapatha. lci la phrase a pris beaucoup plus de volume et
est le symbole concret du pouvoir sacré» : la contre-partie de complexité, les articulations sont plus subtilement agencées,
en est l'usage du relatif explé.tif, enveloppant le sujet ou sans toutefois que se relache, bien au contraire, la rigueur
le régime directo L'ordre des mots est strictement réglé. des procédés. L'usage du pl'aUka ou « contre-pause »
Une habitude assez constante est l'epéxégese, notamment (:NIinard) a entra'iné eles tendances nouvelles dans l'arran-
celle du datif a valeur finale-consécutive, yád etád yájw· gement des mots, modifiant la continuité de l'énoncé. Un
vádaty e$á1]l lokánat[L dhttyai (MS.) « s'il récite cette formule rythme latent, né d'une récitation de type oratoire, disjoint
rituelle, c'est afin que ces n10ndes-ci soient affermis »1. Les la phrase :
particules sont peu nombreuses, mais précises, l'une des Sál'Va1]l vá e$o 'bhi drk$atej yó dík$ate ya¡nam
principales étant tád (qui aboutira, au moins dans le Sata- hy abhí dík$ate ya¡nam hy evedáiñ sál'vam ánu
patha, a un sá figé) 2. Au sortir de l' anarchie des mantra, tál!1- yajíiádí sambhttya yám imám abhídíksate
on a l'impression que les relations syntaxiques sont devenues sál'vam idá1!l- vi srjate (SB. 111 6 3 1, trad. :Nlinard)
un instrument de précision. Des abstraits nouveaux se créent « celui qui se consacre se consacre en vue du Tout, car
pour répondre aux besoins de l'explication rituelle concise, iI se consacre en vue du sacrifice et ce Tout ici-bas est
drk$itátva « fait d' etre consacré » « d' etre délivré a l'image du sacrifice. Ayant rassemblé ce sacrifice pour
de VaruI).a ». Les formules en tad asvanam asvatvam (AB.) lequeI iI se consacre, il produit maintenant le Tout ici-bas »2.
introduisent une pseudo-étymologie par voie de paronomase,
«c'est la raison pour quoi le cheval s'appelle cheval »3. On l. Sacred Books of the East 12 p. xxv. Un passag'e de SB. (cité Minard
ne peut s'empecher de penser que la langue de ces BrahmaI).a Subordino 85) montre bien comment un tour du langage profane a été adapté
a la diction noble: yáthli yébhyal; pa/wá¡1í sydt tdn brüylid v ál1lz mli slista yáthc7
anciens (Aitareya inclus) transpose sur un plan scolastique va lihari§ydmi yáthc7 val; parivek§ydmíty evám evaitád devé§u prasdsanam ichaté
un idiome familier, peu varié en ses moyens, dégagé des 'mz mli slista yáthli vo 'mz§thyd va§atkurydm anu§thyd havyál]1 váheyam {ti 1 5 1
subtilités superflues admises en poésie. On comprend qu'Egge- 26 « comme on dit a ceux pour qui 1'on a mis au four : apprenez-moi comment
je vous 1'apporterai, comment je vous servirai ! Tout de meme ici il demande
ling ait caractérisé les BrahlUaI,la comme « les seules CBuvres instruction aux dieux : apprenez-moi comment saluer correctement, comment
acheminer correctement l'oblation!» (trad. Minard). Le futur apparait ici
l. Oertel Dativi Finales abstI-akter Nomina. comme un trait« familier »; on sait qu'il est rare dans le RV., en dépit des
2. Minard Trois Énigmes § 119 a. Autres singularités, sans lendemain, possibles antécédents L-eur.
táto dfk§itál; pdmano bhávitol; SB. « ainsi le consacré est exposé a devenir 2. Un principe fréquent est la progression numérique des syllabes de membres
lépreux» ak§odhukaT(l.bhávukaT(l. hlisya bhavati yasya ... Vádh. (sütra de type de phrases successifs ou corrélatifs, « wachsende Glieder». Il suffit d'examiner
« bráhmal;ta ») « il n'y a pas risque d'Ctre affamé pour quL .. ». a cet égard le début d'AB. (1 1, 1, 2, 6, 7, 10) etc. De meme en m. i. HSmith
3. Oertel Dativi 41 Minard Trois Énigmes § 376a, 382. SacldanIti 1127, 1137, 1172.
46 PÉRIODE VÉDIQUE GRA:\r:iHAIRE DE LA PROSE 47
C'est dans ces Brahlnal).a plus récents que l'absolutif tápas l'ascese, vl'atá l'observance du jeune, dhál'ma la « tenue »
commence a devenir un élénlent virtuel de subordination: dans l' ordre social-religieux. Les éléments de la personnalité
servant a étager la succession des processus liturgiques; se précisent autour des termes iilJnán et lanú' bándhu , )
il porte volontiers l'essentiel de l'idée verbale. Mais le premier nidana visent certains types de « eonnexion »,
emploi vraiment développé n'apparait que dans un appendice l'üpá est la « contre-partie fornleIle». Les oppositions, les
au Brahmal).a, a savoir Brhad-Ar. VI 3 1. L'enchainement corrélations systématisées mettent en lumiere des valeurs
des propositions se signale souvent. par la répétition du contrastées; d'autres s'accréditent par euphémisme (eomme
verbe (pas encore par celle de l'absolutif), ainsi Ílpa ... pl'á s á 1]1-j íiii- a u ca usa tif « faire consentir [la victime a la mort] »),
vrhasvaj upapl'avrhata SB. III 9 4 22 ; ce n'est pas un enchaí- par tabou 1 .
nelnent fait de nlots arbitrairenlent répétés, COlnme dans Nombre de lnots de nlantra -- ainsi que certaines forma-
les Hymnes 1 • tions grammaticales présumées difficiles - sont glosés dans
Le vocabulaire est plus limité que dans la poésie, malgré les BrahmaI}-a, surtout dans le Satapatha qui donne quelque
l'afflux des notions sacrificielles, composés et dérivés inclus ampleur a cette paraphrase rudimentaire, sans jamais
(types aindl'á, aindl'iisaumyá « relatif a Indra, a Indra et d'ailleurs la poursuivre avee lnéthode : du moins permet-elle
Soma ») ; 1'un des rares procédés dérivatifs a peu pres nouveau de mesurer le ehemin parcouru depuis les Hymnes 2 •
est le type prinlaire en -uka- avec régime accusatif; noter
aussi le suffixe -vant- au sens de « contenant tel ou tel mot »2.
1. Mots nouveaux, áT)U « fin » arj.hya « riche» saline » « épine )'
lVlalgré le caractere technique de l'énoncé, les images ne «
« g'orge ) lcrtsná « entier » gaja « éléphant » eira « robe)) duhkhá « malheur »
manquent pas, comparaisons explicites ou lnétaphores. deha (e corps » « faute)) paT)- « acheter» et « blanc » paga
Certains mots ont connu une majoration comparable a « masse » bahis « dehors )) mithyd « faussement » l'dji ee rangée )) ee marque ))
lavG1;á « sel ) lih- « lécher » lllbh- « confondre » vaT(lsá « famille )) vdma « gauche ll'
ceIle qu'atteste le I}gveda, ainsi kapala « tesson» qui} par « cadavre )) (Up.) « ténu )). Keí « eau )) est sans doute artificiel J. As,
l'entremise de « carapace de tortue», arrive a synlboliser 1939 361. Les termes imag'és ne manquent pas, comme máclantl pour désignel'
la vOlIte céleste ; ánil'ukla « indistinct», qui désigne indirec- l'eau bouillante, lolcar¡lpn1éi dit de certaines briques, mrgatll'tha du chemin
menant a l'endroit Ol! 1'0n satisfait aux besoins naturels, nal'yéipa (Vadh.)
telnent 1'« absolu», comme le terme bl'áhman lui-meme,
« taureau», d'apres le mantra neíl'yapasam - Euphémismes
dans les portions spéculatives du Satapatha. Des mots Oertel SBMünch. Ale. 1942 fasc, 8. Liste de mots dans les éditions d'AB., SB.-K.¡
importants s'adaptent a noter des valeurs ritueIles, rtá est GB., JB., etc.
désormais l'exactitude, kl'alÍl et makhá, l'acte sacrificiel, 2. Une étude manque sur les gloses de mantra dans les Br. Elles sont tres
inégales. Les str. de l'hymne de Purüravas reprises SB. XI 5 1 ne comportent
que gloses élémentaires, parfois inattendues par leur inutilité meme, lÍparama
1. Les textes sont d'une correction inégale; l'AB., qui passe pom le plus pour sáT(lvadéivahai pour váea¡}ísi misrd lcrlJavavahai, cZul'dpa pour dlll'a-
conforme a pal).ini, est un réservoir de singularités, agrahaif;am et analogues, pand, grhdn ihi pour áslam pál'ehi, teít pour ácZha et le sing. sakhyám substitué
nilliyoja, apiihata (3 e plm.), prajiglzyati, aviiksam (sic : « j'ai habité »), anu ... plur .. poétique sakhydni. Il n'en est pas de meme en d'autres passages,
etum (IlI 39 1). Les absolutifs en -tvii apres préverbe sont un trait propre a la pedagoglquement plus marqués. Plus tard aussi Sabara normalise les citations
prose de SaIflhita, cf. Neisser BB. 30 308. védiques qu'il glose. Instructif est le fait que le SB. comprend ná «comme "
2. 'Vackernagel KZ. 43 277 et 'V. (-Debrunner) 2, 2 878. au sens de « oui )) Minard Trois Énigmes § 446.
GRAl\IMAIRE DE LA PROSE 49
48 PÉRIODE VÉDIQUE
« J e veux une faveur : si un homme saerifie sans avoir
Rappelons en fin la préeision toute nouvelIe des nuanees
apportées par le préverbe ; ainsi que les valeurs prégnantes, été autorisé par un brahmane ou sans avoir la foi ,
héritées du substantif afférent, que comporte le verbe dans que la bénédietion de ce sacrifiee soit pour moi!»
des cas eomme ánu-bl'ü- ce réeiter la formule d'invoeation Ainsi done, si un homme sacrifie sans avoir été autorisé
aeeompagnant (telIe réeitation) », úd-gii- ce exereer la fonetion par un brahmane ou sans avoir la foi, la bénédiction
d'udgiitl' », etc!. de ce saerifiee va a Sarpyu Ba. « Cela, e'est pour moi »,
dit-il; « qu'y aura-t-il pour ma descendanee?».
Spécimen 5. « Celui qui l'insulte, on lui fera verser une amende
devá val yajñásya svagiikal'tál'am návindan té sarl1-yúm de cent pieees; eelui qui le frappe, une amen de de
bc7l'haspatyám abl'uvann imá1]1 no yajñám svagá kul'v milIe pie ces ; eelui qui prend de son sang, ne connaítra
{ti so 'bl'avld vál'a1]1 vnwi yád evábl'iilunal;wktó pas le monde des Peres pour autant d'années qu'il
'sl'addadhc7no yájiitai sá me yajñásyiiS íl' asad {ti y a de grains de poussiere atteints par le sang en
tásmiid yád ábl'iihmal;wktó 'sl'addadhiino yájate sa1]1yúln sautant» (telle fut la réponse). C'est pourquoi on ne
evá tásya biil'haspatyál?l yajílásyiisíl' gachaty etán doit pas insult.er un brahmane, ni le frapper, ni prendre
máméty abl'av U k{1]1 me pl'aj áyiiJ:¿j j {ti yo 'pagul'átai de son sang : le péehé est en proporliion. « Voila le
saténa yatayéid yó nihánat sahásl'efJa yiitayiid yó lóhi- bon et le juste que nous voulons pour faveur »,
tal?l kal'ávad yávataJ:¿ pl'askádya piimsún t sa1]1gl'hfJ át dit-il. Il fait done l'appel 'svagii' du saerifiee. Et
távataJ:¿ sa1]watsal'án pitl'loká1]1 ná pl'á jc7niid {ti tásmiid eomme il avait dit « voila le bon et le juste que nous
bl'iihmafJáya nápagul'eta ná n{ hanyiin ná lóhital]1 voulons et le juste
., que nous voulons pour faveur» , on
kUl'yiid etávaUi ha{nasii bhavatij tác cha1]1yól' á Vl'fJ l- pourvoit done Sarp.yu Bo de sa part pro pre. « Sucees
maha Uy iiha yajílám evá tát svagá karotij tátj j Sal?lyÓl' au saerifiee, sucees au maltre du saerifiee ! » availi-il
á vffJlmaha {ty iiha sa1]1yúm evá biil'haspatyál?l bhiiga- dit : telle est la qu'il formule ». (Taitt.
dhéyena sám al'dhayati giitÚl]1 yajliáya giitÚl]1 yajPíápa- Salythita II 6 10).
laya {ty evaítám á siiste.
Spécimen 6.
ce Les dieux ne trouvaient personne pour faire l' appel
, svagc7 ' du sacrifiee. Ils dirent a Sa:rp.yu Barhaspatya : Tan nu haitad eke pÜl'viihfJa eva sa yathii
« fais-nous l'appel 'svagii' du saerifiee !» - Il dit : niiga1]1 hastinam iil'afJyam uddl'utam anviil'i-
l'lpsetaival]1 ha vii eta etii1]1 devalam uddnztiim anvii-
1. Il demeure quelque chose, sur le plan linguistique, de l'appréciation
rirlpsante ye pÜl'viihfJe lam niipnuvanty
littéraire des Br. qu'on trouve SLévi Doctrine du sacrifice 7 « génie ... brutal uddl'uteva hy devala tadiismiil lokiid bhavatij aUtO
chez les adeptes du Yajur Veda Noir, artistique et subtil chez ceux du Yajur yathii viil'afJa1]l niigal]1 hastinam iil'afJya1]l sa1]1Siinta1]l
Veda Blanc, épris de merveilleux chez ceux du Sama Veda, harmonieux et
affiné chez ceux duRig Veda ».
suptam adhil'ohed eva1]l ha vii eta ela1]1 devatii1]1 s a1]1 siin-
50 PÉRlODE VÉDlQUE LA LANGUE DES UPANl:;;AD 51
lárrl suplam adhil'ohanli ye 'pal'ahIJe drk?anlej lam 1-3, se rattache étroitement celle des preluieres :
apnuvanli sa1]'l sanleva hy e?a devala ladasmin loke portions « anciennes» de la Brhad-araIJ-yaka et de la
bhavali laya sahamu1]'l lokam uddl'avati saheITwqL Chandogya. Plus précisément, ces luorceaux
loka1]'l punal' agachali. continuent, en l'élargissant, le theme des brahnwdya ou
« Certains donc subissent la consécration dans la « dialogues a controverse» qu'avaient inauguré plusieurs
matinée. De meme qu'on cherche a s'emparer d'un passages du Jaim. Br. ou du Satapatha X-XII. Non moins
éléphant sauvage qui s'est échappé, de meme ceux proches des Brahlua:r;ta « récents », bien qu'étrangers a ce
qui subissent la consécration dans la matinée cherchent theme, sont de l'école Jaiminlya,
a s'emparer de la divinité que voici (= du soleil) lequel releve du genre dit « aralJyaka », ainsi que les Ara:r;tyaka
qui a monté au ciel; n1ais ils n'y réussissent proprement dits, ou textes « de la foret», qui ont des traits
car cette divinité, c'est de ce monde-ei qu'elle s'est de langue en eommun dominant les différences d 'une éeole
éehappée en montant au eie!. Alors, de meme qu'on a l'autre. Enfin quelques textes portant le titre de « sütl'a »
monte sur un éléphant sauvage qui s'est reposé pour (p. 54) sont en fait, au moins partiellement, de véritables
dormir, de meme ceux qui subissent la eonséeration Brahma:r;ta quant aüx habitudes de langue et de style : c'est.
dans la matinée montent sur eette divinité qui s'est en particulier le eas des manuels « solennels» des éeoles
reposée pour dormir. Ils y réussissent, car cette divi- Vadhüla et Baudhayana. Iei le cOlumentaire « brahma:r;ta »
nité, c'est dans ce monde-ci qu'elle s'est reposée. a pour ainsi dire submergé la description des rites, donnant
De conserve avec elle il monte vers ce séjour la-haut naissance a un gen re littéraire mixte auquel revenait de
et de conserve revient vers ce séjour ici-bas » (Vadhü- droit la dénomination de pl'avacana « exposé développé» =
lasütra, Acta Oro 6 p. 135). ce sont les vaiplllyasütl'a du brahmanisme. Chaeun de ces
manuels a ses habitudes propres : relevons simplement
LA LANGUE DES - A la prose des Brahma:r;ta chez Baudhayana l'extension du tour comportant le verbal
tardifs et plus particulierement de Sato Br. X et XIII-XIV en -ta- impersonnel, la copule bhavati, le sujet (asya) au
génitif.
l. Sur les Up., il n'y a rien que les études anciennes de Liebich, vVeckel', Les en prose décantent, simplifient la structure
Fürst; aussi Kirfel Nominalkomposition, Andersen Verbets Genera (ChU.::.
Il s'agissait surtout dans ces travaux de mesurer la distance par rapport á « brahma:r;ta», sans en altérer profondément l'éeonomie;
PáI}.ini. Sur la SvU., préface a l'éd. Hauschild; sur la lVluU., préface a l'écl. les particules donnent l'impression d'etre usées, en dépit
Hertel. Sur le vocabulaire, Oldenberg AL Prosa 28 Upani:;;adlehre passim,. d'une innovation isolée COlume atha khalu, destinée a un long
Jacobi Gottesidee 20, Wijesekara Univ. Ceylon Rev. 2, Carpani NlA. et lCu.
passim (ChU.). Le monumental ouvrage de vVeller Versuch e. Kritik d. Kathop. avenir en bouddhique. Les archa'ismes ont encore cédé du
(1953) contient peu de discussions de mots. Les étymologies des Up. ont été terrain - surtout apres la Brhadar., qui est conservatrice - ,
recueillies par Tsuji J. lndian a. Buddhist Stud. 1 (1952) 258. tandis que se sont maintenus les apports de l'époque des
Sur l'AA., Keith introduction a son éd. ; sur Vádhüla, Caland notes sur son r
éd. partielle ; sur Baudhayana, du meme, Rituelle Sütra des B. Brahma:r;ta. L'absolutif devient élément de concaténation
(sa tapo' tapyataj sa lapas laplva TU.) ; au datif final
52 PÉRIODE VÉDIQUE LA LANGUE DES SÜTRA 53
abstraits (p. 44) s'ajoute dorénavant, timidenlent il est vrai, sa yathéi tatra na déihyetaitadéitmyam idam sarva1]1
l'ablatif de cause (ávinéisitvat BAU.). L'infinitif en -tavai, tat satyam sa cltméij tat tvam asi svetaketo itij tad
par exemple, n'est employé qu'en un seul passage (BAU. dhéisya vijajñéiv iti vijajñéiv itij /
VI 4 14) et de maniere fautive 1 • La notation de l'accent,
« (Quand), mon cher, on amene un homnle les mains
qui déj a manquait dans une grande partie des BrahmaI,la,
liées (et qu'on dit) 'il a dérobé, il a commis un vol;
ne survit plus que dans la BrhadaraI,lyaka (et dans le Taitt.
faite s chauffer la hache pour lui " - s'il est l'auteur
Ar.), et de maniere passablement inexacte. Les procédés
de l'acte (et qu'il nie), il se montre faux; faisant un
par répétition, parallélisme de phrases successives, séquences
pacte avec la fausseté, s'enveloppant de fausseté,
numériques, se font plus pressants, acheminant· aux habi-
il saisit la hache rougie au feu ; il se brille, il est con-
tudes de la prose bouddhique. Dans l'ensemble, la langue
damné a mort. Mais s'il n'est pas l'auteur de l'acte,
a fait un progres vers une expression plus générale, moins
il se montre vrai; faisant un pacte avec la vérité,
technique, comportant une plus large intelligibilité : ceci
s'enveloppant de vérité, il saisit la hache rougie au
peut cOIncider avec l'intervention (déja sensible dans quelques
feu ; il lle se brille pas, il est mis en liberté.
brahmodya du Jaim. Br. et du Sato Br., mais accrue ici) d'élé-
Aussi vrai qu'il ne s'est pas brillé (par l'effet de la
ments dans les cénacles ou se joue le sort de la
vérité), aussi vrai tous les phénomenes ont leur Soi
société védique. Les représentent un intermede
en cette (vérité meme) : le Soi, c'est la Vérité. Tu es
heureux entre la technique védique finissante et la technicité
Cela, ó Svetaketu. Voila ce qu'il reconnut de lui,
a venir du « conlmentaire» ou du poeme savant de l'age
ce qu'il reconnut». VI 16).
classique.
Spécimen 7. LA LANGUE DES SÜTRA 1. - Les S-o.tra « solennels » (s1>auta)
sawnyota hastagrhUam éinayanty se présentent comme de fideles extraits des
steyam paraswn asmai tapatetij sa yadi tasya ils dépendent, tout en débordant tres souvent I,ImItes o.u
se tiennent ceux-ci 2. Tout se passe commeSl l on avalt
kartéi bhavati tata evéinrtam atméina1[L kUl'utej so ' nrtéi-
bhisamdho 'nrtenéitméinam antanlhéiya parasU1]1 tap- prélevé sur la prose continue des BrahmaI,la une suite de
ta1[L pratigrhf,L6ti sa dahyate 'tha hanyatej atha yadi
tasyéikartéi bhavati tata eva satyam éitméina1]1 kurutej 1. Observations isolées sur quelques sü., ainsi sur Si'iúkhi'iyan_a (Srauta)
trad. Caland (dans l'introduetion, due a Lokesh Chandra), sur Apastamba
sa satyenatméinam antardhéiya para- Garbe Mélanges 'Weber 33 Oertel ZIL 8 '281 Caland (notes a sa trad., passim)
SlD]1 tapta1]1 sa na dahyate 'tha mucyatej Bühler (introd. a l'éd. et a la trad. du Dharmasü. de Pour Vi'idh.
Baudh., v. supra p.50, n. 1. - Un lexique des termes aux su.
« solennels » vient de paraltre ; un autre sous presse a Poona (Srautako$a). . .
1. Un texte tardif, par imitation, fait ressurgir -tauai,' (?ayo uai brahmodyam '2. La dépendanee étroite des sü. « solennels» par rapport aux Br. a ete
ahuayitava ücul:t parasparam ivanubruualJal:t .1\1'$ U. 1 « les sages tinrent done un brillamment démontrée et préeisée par Tsuji (Fukushima) Relations btw.
défi en forme de eontroverse saerée, se donnant mutuellement la réplique ». Br. 's and Srautasü.'s (195'2; résumé en anglais).
-
54 PÉRIODE VÉDIQUE LA LANGUE DES SÜTRA 55
petites notations décrivant pas a pas les rites. Ces notations r riens se bornent a décrire. L'introduction de la dialectique
luises bout a bout - a la fagon, par exemple, de perle8 a pu cOIncider précisément avec la création du genre varttika
enfilées, d'oü le mot sülra « fil » - , puis réaménagées, sounli- (( regle d'interprétation »), sous-produit du sülra, par Katya-
ses a des maximes interprétatoires, enfin complétées, forment yana le grammairien, qui ce faisant nivelait le passage entre
des luanuels continus du cérémonial. Prose strictement les deux grands domaines.
technique, dloü est banni tout excursus, tout développement De part et d'autre, le souci qui a présidé a la confection de
adventice. ces « aphorisnleS» (comme on traduit, faute de mieux, le
Le genre n'a pas du se constituer d'un seul coup. Les. 1110t sülra) a été d'ordre mnémonique. Il s'agissait d'apprendre
traités d'Apastamba ou de HiraI,lyakesin présentent des. par creur des luanue]s aussi condensés que possible. De la
passages en style « brall1nalJa», des citations amples, etc._ gralunlaire et du rituel, le genre a passé ensuite a la philo-
L'apogée du style qu'on peut appeler «sülra» paraít marqué - le nlaxÍluum de concentration étant acquis dans
par le Katyayana, texte probablement récent, affecté au les süll'a du Vedanta - , puis de pro che en proche il a gagné
Yajurveda Blanc ; ou encore, par les Sütra « domestiques »,. d'autres disciplines, jusqu'a l'alchimie
tels le Kausika de l' Atharvaveda, tout chargé de substruc- et le jeu d'échecs (Caturangadlpika). On a fabriqué des sülra
tures. Les auteurs s'évertuent a condenser, en supprimant a toute époque, ainsi au XIIe siecle pour l' Alarp.karasarvasva
les mots non indispensables, non procurables par voie de clu poéticien Ruyyaka (p. 129), au XIIl e siecle peut-elre pour
« reconduction» tacite; ils fabriquent une sorte de style les Sall1khyasütra, qui semblent remanier un nlodele plus
télégraphique qui, hors du Canon védique, connaltra une ancien. Hors du brahnlanislue, dans le Taltvarthadhiga-
diffusion considérable. Katyayana a dll avoir des devanciers. 1112sütra des .Taina. el. bien plus tard dans la Pramal).amI-
(au surplus, la chronologie a l'intérieur des Sütra est plus 111arp.sa de Hemacandra 1, Mais, hor8 du rituel et de la gram-
flottante encore qu'aux autres stades du védisme) : s'il 111aire, ses deux fiefs, le genre « süll'a » a été battu en breche
pouvait etredémontré qu'il est identique au réviseur de la par le val'ttika, sorte de süll'a plus complexe, instrument de
grammaire du PaI,lini, au varttikakal'a l du 'meme nom, c'est dialectique, qui survit notamment dans les systemes du
done que le modele du style « süll'a » renforcé appartiendrait Yoga et du Nyaya (ou le mot d'ailleurs ne désigne souvent
a PaI,lini ou a ses prédécesseurs inconnus, ce qui est assez rien de plus qu'un certain type de « comluentaire»); et
vraisemblable. En fait, il existe de grandes concordances. surtout, par la kal'ika, sorte de sülra versifié 2 qui fournira
entre les sülra grammaticaux et les süll'a rituels', sans que la. luatiere d'aruples traités didactiques (p. 125). Il arrive
l'origine se laisse toujours déterminer 2• La principale diffé-
rence est que les ritualistes justifient, alors que les grammai--
1. lVlais Hem. doit se défendre (commentaire sur les kariki'i initiales, § 2)
contre ceux qui estiment que composer un sil. est faire mon,tre de gloriole,
1. Thieme ICu. -1 189 a démontré l'identité entre le varttika-kara et l'auteur' áhopurll?ikii. Il répond qu'ii ne consulte que son propre g'oüt. -
du Pratisakhya. 2. Les commentaires de poétique apnellent sütra ce qui est en fait des
2. J. As. 1941-42 105. ldirika.
56 PÉRIODE VÉDIQUE LA LANGUE DES SUTRA 57
enfin que le sülta, sans disparaItre, soit comme noyé dans le de nombreux sülra cOluportent un schéma luétrique ou sub-
« commentaire» : c'est peut-etre, des la fin de l'époque métrique (clausules); il a vraiment fallu des conditions
védique, le cas du Nirukta ; plus tard, celui d'une série d'au- défavorables - celles de l'exposé grammatical, par exemple-
tres textes (p. 135). pour qu'une prose didactique non cadencée persiste long-
Pour en revenir aux sülta védiques, c'est-a-dire a ceux du tempsl.
rituel, la présence du verbe personnel (notamment, de La principale nouveauté des Sütra, conséquence directe
l'optatif a valeur nórmativeI, grande innovation de ces textes) de la formulation cOluprimée, a été l'extension des composés
les distingue des aphorismes des autres disciplines, qui font nominaux : moins remarquable, a vrai dire, par la diversité
prévaloir le style nominal. Les Sütra rituels conservent en des formations utilisées que par le nOlubre croissant des
outre des formulés imagés, héritage de la poésie ancienne : éléments en présence. Les composés bimembres, qui préva-
ainsi éijyasyopahalya « prenant du beurre» (Baudh. 11, laient encore tres largement dans les BrahmaI}-a et les Upani-
p. 224), éivapali « il intercale des vers » (Ap. V 12 11), sarrma- :;;ad, cedent la place ici a des composés longs : d'abord,
khw?11nu$!Í1n « une poignée (faite de tout ce qu'on peut saisir) semble-t-il, a l'intérieur de la classe des dvandva (p. 17), OÚ
entre pouce et index» (Ap. 1 3 15). Le souci de concision l'addition de luembre apres membre était facile a opérer 2 •
amene des formules comme prasya ln?éidi Katy. 111 7 16 Un autre facteur important était la raréfaction du verbe
« apres avoir jeté l'herbe et fait les autres actes prescrits» personnel, due a la meme cause. Il n'est pas difficile d'ima-
(c'est le début du tour en °c7di ou °prabhrli, attesté aussi dans giner que la décadence du verbe, si frappante en sanskrit
le Nirukta). On désigne les strophes par les lUOts typiques
(le liliga) qu'elles contiennent. Bien des traits marquent la par ... )) vyánf- Ap. XII 6 1 verser l'eau de la coupe du hotr dans celle du
«
familiarité de l'usage avec des relations concretes, vivantes, maitravarUl).a et inversement )l. Des expressions imagées sont jfvatwp}u[a Ap.
1 7 12 « les grains non moulus)l udyalsu rasmi$u V 10 8 « quand les rayons
et rappellent en sonlme le réalisme védique, dont aucun solaires se dressent)) iíkiísavaUbhil' Asv. V 5 9 .« ave e les doigts
ésotérisme n'a jamais aboli la présence 2 • Signalons enfin que séparés )l. Images sans lendemain dans la littérature post-védique en sütra,
sinon, tout au plus, dans les pseudo-sü.du Sarpkhya. - Sur la l'acine sam-
et ses dérivés (siínti, etc.), Hoens 8iínti (1951), notamment 177; meme sujet
1. Les injonctions (vidhi) de la Mlma1llsa se fondent sur une efficience Thieme Oriens 6 (1953) 395.
(sübdf bhiívanií) dont l'expression linguistique est l'optatif Edgerton Lang. -± 1. HSmith Retractationes rhythmicae (1951) 14 a montré l'existence de
174. L'optativité (lÍlitva) est le mot d'ordre de la NIImarpsa normative. schémas métriques complexes dans plusieurs types d'ouvrages en sütra, notam-
2. On peut citer ativitsay- (ou °vicchay-) Bau. VI 11 Ap. XXI 8 7 « amener ment dans ceux de la Mlmarpsa. Dans son Inventaire rythmique des Pürva-
(la vache) en la faisant passer au dela (de l'ail'e) )) atisrj- Asv. II 3 9 « l'epousser Mim.-sü. (1953) il a donné la liste complete des éléments métriques : elle est
les braises dans le feu II adhipart- Hil'. ad Ap. XVIII 19 2 (Caland) « substituer imposante. La découverte amEmera a reconsidéI'er, entre autres, la question de
du riz aux quartiers de vache mis en enjeu )) abhidyut- Bau. III 5 (ou °jval- la répartition ancienne prosejvers dans les Dharmasütra et analogues. Noter
Vait. VII 3 °tap- Man. I 6 1 17) au causo « éclairer l'offrande a l'aide d'un fétu que la strophe réguliere (vaktra) est évitée dans ces éléments métriques.
enflammé)) avalam- Ap. VIII 18 9 « prolongel' 01]1. jusqu'a ce que le souffle 2. Jacobi Compositum U. Nebensatz ; faits indiens notamment 6, 24, 51, 62,
manque )). Suivant les modalités du mouvement, on a ud upa abhyud vy amwy 69, 75, 83; rapports avec la phrase absolutive, chapo 9. - Ce sont aussi les
pl'ativy etc. avec üh- « pousser (les brandons, les instruments, etc.) )l; de meme clvandva que, par la nature des choses, favorisent les sÜ. énumératifs de paI).ini,
avec nf- « verser )), ainsi anünnl- Bau. VII 18 « emplir les gobe1ets en commengant ainsi que les sloka des lexicographes.
58 PÉRIODE VÉDIQUE LA FIN DU VÉDISME 59
narratif ou explicatif de basse époque, soit due en partie aux On s'approche du Sacrifice par le Nord. Les actes
exigences du style condensé qui avait trouvé son expression se référant aux dieux ont pour nornle l'Est. Ceux
parfaite dans les aphorismes du rituel et de la grammaire. relatifs aux peres ont pour norme le Sud. Ce qui est
du domaine du a pour norme d'etre assis.
Spécimen 8. La position debout n'a lieu que sur spécification.
ya¡l1a7?l vyakhyasyamaJ:¿j sa trayalJar¡l En outre le hotar doit accomplir ce qui n'est pas
vai syasya caj aSa7?lyujya vidh[- assigné (a tel ou tel de ses assistants). Dans les groupes
yamana7?l sa7]1yogad vyavati#hatej yajfw- de trois vers, et au dela, le premier et le troisieme
pav[t[ devakal'mcilJi kal'otij pl'aclnapav[t[ pitl'yalJ i / doivent etre dits trois fois, sauf s'il s'agit de récitation
acamanapl'abhrti yenadhikarcllJena Sa7?lyujyeta na tena lllurmurée. En outre, a la place de la derniere syllabe
vyavartetaj na ca vyaveyat ity avrlar¡l uddesaJ:¿j juste avant sa prenliere consonne, il y a un son o a
uttal'ata pl'annyayani dakf}i- trois lllores, soit puro Soit terminé par la nasale m. On
lJiinyiiyani pitryiilJij cislnanyiiyar¡l biihvrcyamj vacanat appelle cela le A la pause le pl'alJava terminé
sthéinamj hola ca kUl'yiid anadif}tamj tl'iprabhl'tif}v par m se met dans tous les groupes de vers, y compris
l'ggalJef}u pl'athamottamayos trir vacanam anyatra les vers d'invitation. Le a pour norme d'etre
japebhyaJ:¿j uttamasya ca cchandomanasyol'dlwam c7divy- récité a voix haute. La voix basse n'a lieu que sur
aPíjanat sthcina plutas tl'imatl'aJ:¿ suddhaJ:¿1 spécification. Les mots ont pour norme d'etre pro-
makiil'anto val ta7]1 pralJava ity acakf}atej avasiine noncés avec la meme intensité. Et sans différence
makiil'iinta7?l sal'vef}v rggalJef}u sapuro' nzwakyef}uj ... de ton». (Sankhayanasrauta 1 1).
uccail'nyaya s vacaniid Upal]1 sulaj sa7]1svii-
l'anyiiyala ca sabdancim/ aikasval'ya7]1 caj j LA FIN DU VÉDISlVIE. - Certains textes védiques récents,
dans la classe des Sütra « domestiques» ou « juridiques
« Nous allons expliquer le Sacrifice. Il appartient aux
contiennent des aphorismes qui ont fait croire a un usage
trois classes. Bdihlllane, guerrier et artisan. Ce qui
pré-paI).inéen : on pourrait dire aussi bien para-pal).inéen,
est prescrit sans spécification est commun (a toutes cal' jamais la norme grammaticale, ni avant ni apres paI).ini,
les classes). Quand il y a spécification, cela difiere. ne s'est üllposée a tous les domaines littéraires. Ces anomalies
On accomplit les actes se référant aux dieux en mettant se trouvent notamment dans les écoles d'Apastamba, de
le haut de la robe par-dessus l'épaule gauche. Les HiraI).yakesin, d'Agnivesya. Il y a une différence évidente,
actes se référant aux peres en le mettant par-dessus
quant a la « correction » du langage, entre le manuel « solennel )}
l'épaule droite. Depuis le rite consistant a humer
et le manuel « domestique» (gl'hya et dhal'ma). Des vulga-
l'eau, on doit demeurer attaché a l'acte, ne pas s'en rismes, des prakritismes, se font jour ici. Un traité tel que le
libérer. Ne pas s'écarter. Telle est la regle relative
Nidana se plalt a. user de formes verbales en -ayif}lt, -(ay)-
au comportement général. Ainsi que la spécification.
60 PÉRIODE VÉDIQUE LA FIN DU VÉDIS:\IE 61
qu'il met sans grand discernemenV. On a relevé des on trouverait peu de passages védiques entierement exempts
dravidismes de syntaxe dans le Vaikhanasa « domestique ))2. de quelque emprunt!
Sur le plan de la graphie, de l'euphonie, il arrive en revanche La prose a été llloins influengable : exceptionnel est le
que les traits d'école les plus anciennement acquis se perpé- style pseudo-brahmal!a que revetent certaines portions
tuent jusqu'aux documents les plus récents, ainsi chez d'un traité médical de date mal déterminable, la Kasyapa-
Manava ou chez J aiminlya. Mais, hormis ces menus faits SaIl1hita \ avec l'articulation en ya eva1?1 veda qui indique
qui n'intéressent guere le fond meme de l'usage. il n'y a pas la signature « védique )).
trace de diversité dialectale, fut-ce dans les ouvrages qui En somme, le védisme linguistique véritable est celui qui
ont été rédigés le plus loin de la zone primitive OU s'était survit en moyen-indien ou bien qui, transformé en manié-
préparée l'irradiation en écoles. Une certaine norme s'est risllle de vocabulaire, se fait jour dans les po emes savants
conservée partout, laissant place tout juste a quelques inter- de basse époque 2.
polations de type pural!ique (p. 37).
Cependant il faut marquer que certains textes, védiques l. Jolly-Kashikar Indian Medicine (1951) 184, 196.
par le sujet, comme la Brhaddevata, les pari si#a ou prayas- 2. (( Sanscrit védique, langue morte », titre d'un article de Mansion Mélano'es
citta atharvaniques, sont écrits en un style épico-classique, Philol. 01'. 1932 135. - Le Tantrava. I3 adhikar. 9 note eles formes (( incorrect:s II
(apasa bda) propres a la Smrti, telles pratyasitvéi et ajya (absol.) chez Asval.
qui n'a presque rien a voir avec la langue védique. A plus (en fait, il y a eles formes en -tva apres préverbe eles la prose du YV. N oir) ;
forte raison, des pastiches lllaladroits comme le Suparl!a'- le nt. itaram chez Masaka ; bravaJ),a dans le Nir. ; pratyü/je dans la NarSiksa. __
dhyaya 3, ou bien corrompus des l'archétype, comme l'hymne Un axiome connu depuis Pat. est chandovat sütréilJi bhavanti (( les sü.· sont
comme le Veda (en matiere linguistique) ll.
aux Asvin de l' Adiparvan 4, n' ont pas d'intéret pour l'histoire
de la langue. Des l'époque des mantra, le pastiche était a
l'honneur, avec les « khila)) rgvédiques, ou « suppléments )),
les fcaka de l'école Katha, les poemes du type « kunfiipa ))
d'Atharvaveda XX. Il est vrai qu'a presser l'argument,
1. Quant aux Up. métriques, SvU. en particulier, elles attestent bien des
traits post-védiques. Déja (( le traitement du vakira et de la tri#ubh ... met en
évidence les caracteres saillants du sanskrit approximatif de certaines sakha
védiques II HSmith Deux prosodies du vers bouddhique (1950) 2.
2. Caland Med. Amsterd. Ak. 1926 : il s'agit d'un texte transcrit au Suelo
3. En dernier, Charpentier Suparl).asage. La Bai?kalamantra-Up. ne paran
pas etre un pastiche volontaire, mais c'est du véelique, voire elu rgvéelique,
dég'raelé, dont les aberrances surprenantes sont en partie confirmées par la
métrique (éd. sous presse, Paris).
4. Mélanges Thomas 177.
L'ENSEIGNEMENT DE vi)
réelle qu'il n'apparaít d'abord. Il est certain qu'un assez
grand nOlubre de sütl'a grammaticaux visent des faits qui
n'ont de sens que par rapport a la tradition védique 1 • L'CBuvre
du grand granlnlairien a d'ailleurs été englobée de bonne
CHAPITRE 11 heure dans les « mmubres du Veda», la grammaire étant,
comme le soulignera bientót l'introduction au
ET LE PROBLElVIE DE LA LANGUE PARLÉE l'une des nécessités majeures de l'apprentissage religieux.
NIais l' suppose un enseignement bien plus général,
ce séinuinya auquel l'Atharvapratisakhya 1 2 fait allusion :
L'ENSEIGNEMENT DE - De la prose védique a elle décrit vraÍluent une langue commune, étrangere a toute
Pa1).ini le chemin est court. On a remarqué depuis longtenlps lüuitation. pa1).ini nlarque un affranchissement par rapport
que la description pa1).inéenne collait a l'usage de l' Aitareya- au domaine védique, lequel se limitait a un petit nOlnbre
brahnla1).a 1, si l' on défalque de ce texte les survivances et les de genres littéraires.
anomalies. On a fait la meme épreuve pour les deux grandes D'autre part on y trouve mention, ga et la, qué tel ou tel
on pourrait la tenter pour d'autres textes avec détail linguistique est valable « dans le BrahIuana », Fait
les lueIl1es résultats. Nombre de traits de langue enseignés plus notable encore, l'ouvrage cite quantité de f¿rInes qui
par Pa1).ini s'y retrouvent exactement, et la plupart des ne sont pas attestées dans la prose ancienne, soit que leur
formes que contiennent ces CBuvres sont justifiables par la niveau soit décidément plus bas que celui OU se tiennent
théofie grammaticale. S'il est vrai que pa1).ini date' du d'ordinaire les textes religieux, soit, bien plutót, qu'elles
TVe siecle avant notre ere (datation qu'on admet communé- correspondent a un état de langue né plus tard et que cette
luent, sans qu'on puisse la démontrer) 2, on aurait préciséIuent prose ne pouvait encQre connaltre. Ainsi la description minu-
une époque de peu postérieure a la période créatrice de la tieuse que pa1).ini trace de l'absolutif en -aln (le « lJalnul ») 2,
prose védique, achevement des grands Brahma1).a et des vrai répertoire d'ernplois faIuiliers, tourne le dos a l'usage
premiers Sütra, compilation des principales védique (que Pa1).ini note a peine, sur ce point). Sont égale-
N éanmoins cette cOlncidence est a certains égards Iuoins lnent en progres sur cet usage les adverbes en -tal'éim. (-ta-
lnéim) 3, le nom verbal en -tavant- (encore inconnu des Brah-
Ina1).a), le dénOlninatif en okéimyati, le collectif féIninin en
l. Cf. notamment Liebieh pal).ini et, du meme, BB. 10 205, 11 273, qui -l- (dans les cOluposés « dvigu ») 4. ParIui d'autres eInplois
conclut a l'antériorité (toute proehe) d'AB.; aussi vVeeker BB. 30 1 et 177
(selon qui BA. et ChU. sont avant P.). Autres éléments bibliographiques sur P.
dans mon éd. de la Durghatavrtti 1 6 et, plus réeemment, ehez Agrawala India l. J. As. 1941-42 110.
as lmown to pal).ini, passim. 2. MSL. 23 359.
2. Agrawala (préeité), se fondant sur des eonsidérations surtout historiques, 3. IRQ. 14 121.
penehe pour le milieu du ve s. (pp. 455-475). 4. Le fém. sakM « amie ) clonné eomme yalable bhü$üyiím est épieo-rlassique.
64 PAr:HNI ET LA LANGUE PARLÉE DE 65
familiersI, dont la littérature sacrée n'avait guere l'occasion, et celui de la langue commune ; il est vrai que l'accent, qui
citons ehi nwnye a nuance ironique (( je suppose que ... ?), de bonne heure avait cessé d'etre noté, a dú se maintenir
lun[hi lunUdli luniiti 2 « il coupe et recoupe )), ke sake si et quelque temps dans l'usage, car Katyayana et Patañjali
analogues « (lutter) en se prenant aux cheveux )), le futur au enregistrent des faits nouveaux en ce domaine 1 .
sens passé 3 (snwrasi valsyc7maJ:¿ « tu te souviens que nous Palfini ignore des faits de langue que nous voyons s'implan-
[y] habitions ))), les formations impliquant un jugement de ter apres l'époque védique : ainsi l'impératif avec la négation
valeur, ka§tham « excellemment )), golrwn et püli « mal )), ma, le parfait périphrastique avec c7sa et babhCwa, le déno-
kalpwn « assez bien )), a quoi ajouter pacalaki et apacasi 111inatif sans affixe, l'infinitif devant O¡nanas et okc7lTw.
« il cuit (tu cuis) mal )), cités chez Patañjali. Il faudrait noter Peut-etre considérait-il ces emplois comme indignes de la
aussi l'usage étendu de la pluli4, qui dépasse tout ce norme qu'il entendait lnaintenir : c'est le cas probable pour
qu'attestent les ouvrages védiques et ne manque pas non plus ces finales d'optatif en -ayUa qui apparaissent dans les
d'expressions familieres, tout comme l'enseignement sur la Brahmalfa tardifs et se maintiennent jusque vers le Vle siecle
gélninée (orale) dans le tour pulrc7dinz « femme qui dévore de notre ere dans une série de textes de type « épique )) 2.
son fUs )). La Durghatavrtti souligne avec raison que « les regles de
Ces faits sont, il est vrai, largement compensés par d'autres grammaire n'ont pas été faites en considération de Vyasa
qui lnontrent l'adhésion a la prose védique : ainsi l'enseigne- . (1'« auteur)) du Mahabharata) et d'autres ))3.
ment sur les dérivés en -uka- (avec régime accusatif), le Quelle est la distance entre le Veda proprement dit - le
génitif partitif, l'impératif en -tal, l'intensif actif, mainte chandas ou la partie versifiée du Veda - et Palfini? Le
prescription touchant la voix moyenne : toutes données qui Nirukta 1 16 (développé dans le Tantravarttika 1 3 30)
tonlberont plus ou moins en désuétude (sauf reviviscence conside¡:e le Veda comme tres similaire a la langue profane
artificielle) apres l' époque védique. Si les suffixes -as- et (laukika): c'est qu'il se place au point de vue du vocabu-
-man- ne sont pas mentionnés dans le sülrapc7tha, c'est bien laire 4 • Mais, en matiere de morphologie et de syntaxe, Palfini
que ces éléments étaient en décadence apres les mantra. sépare avec soin de son exposé général environ 250 sülra
Mais l'indice le plus remarquable de l'antiquité de Palfini
est la description de l' accent, fort compréhensive et compor-
tant le cas échéant une distinction entre l'accent védique 1. Jacobi KZ. 35 563 Bloch 48 et Mélanges Bhandarkar n° 31. - Les poéti-
ciens tiennent compte du ton védique pour le du moins Ruyyaka 96
1. Keith 9, mais d'abord W. 1 p. XLII. Cf. aussi SPChaturvedi Mélang'es (Jacobi ZDMG. 62 420).
,7\'oolner 46 KBPathak Annals Bhand. 11 59 Agrawala (précité) passim. 2. BSL. 41 5.
2. Pisani RCLincei 1933246. 3. DV. 1329 et ailleurs SLévi J. As. 1910 Z 386.
3. Konow Tidskr. Sprogv. 1937 231 ,Vackernag'el Mélanges Thomsen 134. 4. Le Tantravá. (supra p. 64 n. 4) pose que, si étrange soit l'information
4. SVarma Critical Observations 182. Le Tantravá. éd. 214 considere que sur la vache résultant de tel ou tel passage védique, le mot go ne signifie que
la pluti est lokaprasiddhá, ce qui n'est pas surprenant. - Curieux l'enseignement «( vache» : saisissante anticipation eles theses de Bergaigne. Le meme texte
relatif a la racine sr-, qui serait inusitée au présellt. 1 2 40 reprend aussi l'afIlrmation de Yáska : lokavedayol' abhinnálJ sabdárlhá{l.
66 ET LA LANGUE PARLÉE LA LANGUE (( CLASSIQUE» ET 67
dont la validité est IÍlnitée au Veda 1 : ce n' est pas un trai- agi sur sa description, sinon, tout au plus, en lnarquant une
tement exhaustif de la langue des HyInnes, ce sont des insistance sur le conservatisme linguistique et le purisme.
notations isolées, établies en fonction de l'usage ultérieur D'apres le Br. VII 6, la région du Nord (c'est-a-dire
et qui Inarquent pour ainsi dire la frontiere par rapport a du N.-O.) est celle 011 la langue est parlée avec le plus de
ce dernier. La mention si fréquente balnzlmn « diversement '» discernelnent : « les gens vont au Nord pour apprendre la
souligne le caractere volontairement approximatif de cet langue; qui en revient de la pour l'enseigner, on l'écoute,
enseignenlent. Un cas typique est celui du préverbe séparé car cette région du langage est reconnue (comme exemplaire) ».
(ou postposé) 2 : en refoulant cet emploi dans le Veda: pal).ini pal).ini mentionne quelques devanciers, sans doute honoris
entend spécifier l'usage du préverbe soudé, usage qui s'affirnle causa : ce sont les initiateurs de telle ou telle regle (aucune
ultérieurement aux Srautasütra et aux principales de ces regles n'ayant du reste valeur d'isoglosse) ; illnentionne
(011 survivent, surtout dans la Brhadaral).yaka, des préverbes aussi «ceux (c'est-a-dire les grammairiens) du Nord» et
en tmese). On notera aussi les pronOlns avam et yuvmn, , í
« ceux de l'Est», pour des faits d'inlportance secondaire.
enseignés comlne « chandasi» (et dont les dernieres attes- Notons parmi les traits propres au Nord 1'archaYsant mmara-
tations sont le Vadhüla, la Brhadaral).yaka, l' Apastamba- pitarau « pere et mere » et le dérivé gaudhara; panni ·ceux de
Dharmasütra), en regard de avam. yuvam. 3, enseignés pour la l'Est, l'expression prohibitive almn ou khalu + absolutif
et qui apparaissent timidement dans certaines portions ' (attestée en sanskrit post-védique).
du Satapatha.
Le fait que PalJini soit originaire du N ord-Ouest 4 n' a pas LA LANGUE « CLASSIQUE » ET P Á l':H NI. - Décrire la langue
qu'enseigne pal).ini reviendrait a décrire le sanskrit dans
toute l' extension de l'usage « classique » ; sur bien des points
1. L'ouvrage essentiel est celui de Thieme pal).ini a. the Veda. Thieme SI
considere que l'A:;;tadhyayI normalise un dialecte du Nord « au moment OÚ meme, ce serait aller au dela, car il ne manque pas de regles
il était encore senti comme exemplaire », c'est-a-dire pres de la période pour lesquelles la littérature des ages postérieurs, meme en
védique. - De plus d'une regle de g'rammaire les théoriciens ultérieurs discute- ses plus érudites inventions, n'a pas d'exemple a présenter.
ront sur la question de savoir si elle est védique ou non (tant les faits védiques
sont pro ches de l'usag'e commun), cf. a titre el' exemple la discussion sur VI 1 Un seul chapitre de l'Al?tadhyayI atteste ainsi des formes,.
(flexion padlpada et analog'ues), résumée Durghatav., cf. ma note ad loe. 'en grande partie de type « vivant» et pittoresque, tunda-
2. SLévi MSL. 14276 Renou BSL. 3449. Des préverbes séparés se retrouvent parimr sa (( paresseux »), stam. be1'ama (( éléphan t »), kW'Qe--
en pkt jaina Upadhye IHQ. 9 9S7 et en apabhralpsa Alsdorf Harivarpsapll1'.
1Sl ; en pali Critical Pali Dict. 1 p. XXVI. japa (( dénonciateur »), stambakari (( riz »), sakrtkal'i (( veau»)
3. 'W. (-Debrunner) 3463. nasikarruZhama et analogues (( enfant »), vaharrlliha (( bmuf »),
4, Cette localisation jointe a la date présumée du IV e S. ferait ele P. un sujet le type vyavakl'o sr « InJures mutuelles»; ailleurs léiléitika'
eles Achéménides Filliozat J. As. 1952 321. Il ne elemeure a peu pres rien de
spécifiquement «( N. O. » ou meme ( Norel » en général elans sa grammaire, SI ce et kaukkutika (sens divers) 1.
n'est que tel minime elétail de toponymie est fourlli pour ces régions, dont
l'équivalent manque pour d'autres. Sur l'horizon géographique (englobant
meme sporadiquement le Suel ele l'Inde), Agrawala India as known to P. 37. 1. Autres formes cité es Keith 17 et références, Agrawala 3S1 et
68 ET LA LANGUE PARLÉE LA LANGUE « CLASSIQUE)) ET 69
Décrire le « pa1J-inéen » par rapport au Veda serait insister L'mnpleur donnée a l'enseignement sur telle ou telle forma-
a l'exces sur l'appauvrissement morphologique. Le sanskrit tion ne répond pas nécessairement a la productivité réelle ;
classique n'est pas une langue appauvrie, c'est une langue partout oú il l'a pu, Pa1J-ini a procédé en effet a des énumé-
contenue, endiguée, d'oú' ont été éliminés les archa'ismes, rations completes; alors qu'il se borne a indiquer brievement
les doublets inutiles, mais qui a ses moyens d'expression l'eITIploi pour des faits d'extension tres générale. D'autre
largement suffisants, aptes a répondre aux besoins élargis part, le grand nombre de regles «optionnelles», la liberté
qui vont etre ceux d'une littérature infinünent diversifiée. donnée en plus d'une matiere (hors meme du cadre conven-
La phonétique a peu changé -1' élünination de l, fait dialectal tionnel des « balullaln» védiques), montrent assez que le
propre aux écoles rgvédiques, était accomplie depuis long- grammairien entendait rester pres des faits, ne janlais les
t emps l - , les flottements entre y et iy, v et uv, a et a, se sont contraindre et laisser le choix la oú la tradition autorisait
résorbés, la quantité des voyelles finales s'est fixée. Le des formes concurrentes.
sandhi est simplifié, mais les regles en ont durci : c'est un Les limites de Pa1J-ini proviennent en partie des circons-
des points qui reste malgré tout fragile 2 (comnle aussi, a tances : ainsi la phonétique avait été décrite dans les écoles
d'autres égards, l'enseignement sur la gémination spontanée védiques d'oú émanaient les Pratisakhya et les Pa1J-ini
des consonnes). Il est clair que dans l'usage parlé l'exercice n'en conserve que ce qui est indispensable a l'établissement
du sandhi était bien moins rigoureux. du sandhi ou a l'intelligence des faits lTIorphologiques. La
En morphologie disparaissent la plupart des doubles syntaxe a été traitée succinctement, mais le sanskrit post-
emplois thématiques et désinentiels ; il n'y a plus qu'un seul védique n'a pas de traits syntaxiques tres affirmés, et ce
présent par verbe, et l'aoriste se partage, sauf quelques domaine n'est pas de ceux auxquels ún grammairien de
survivances, entre le type en -s- et le type en -i$-)' les finales l'antiquité pouvait preter la meme attention qu'un moderne,
bhüyiit, dhenvas (et bhuvas) sont normalisées, la voix moyenne qui compare tacitement la langue qu'il décrit a celle qu'il
égalisée a travers toute la flexiono parle 1 • Enfin, si la théorie du gen re grammatical est exclue
La doctrine est précise - trop précise peut-etre - sur de l'exposé, c'est que le genre « s'appuie sur l'usage courant »
certains emplois : qu'on pense aux valeurs serrées de (loka sl'aya) 2.
l'apadana (<< ablation »), du pal'oik$a (<< hors la vue »), de Est-il besoin de rappeler que la port.ée exacte des regles
l'anadal'a (<< n'avoir pas égard a »), plus généralement aux pa1J-inéennes n' est pas touj ours facile a saisir? Certaines
regles relatives aux cas, aux voix, aux temps et modes. critiques des Mlmarp.saka visaient le caractere ambigu et
1. Lüders Mélanges Kuhn 313 lVlélanges '\Vaekernagel 294 : il y a soit retour 1. Barth CEuvres 5 68 releve, a propos de la syntaxe de Speyer, que celle-ci
:a rf, soit poursuite de l'évolution vers l simple. a recueilli « quantité pe locutions ... qui ne figurent ici que paree qu'en allemand
2. Une karika souvent eitée dit que le sandhi n'est absolu qu'a l'intérieur on les tournerait autrement )).
d'un composé, ailleurs il est optionnel Liebich Katantra 16. En récitation il 2. Sur le voeabulaire de P., Keith Mélanges RKMookerji 343 SPChaturvedi
faut faire le sandhi Kavl\fI. VII 39 et 40. Mélanges SVarma 2 144 et maintenant, en grand détail, Ag'l'awala (précité).
70 ET LA LANGUE PARLÉE
KATYAYANA ET PATAÑJALI 71
contradictoire de ces regles I • Les procédés 111emeS de l'exposé, 111airien, conlme il y en avait eu un avant, mais ce sera désor-
avec la distribution subtile en regles générales (utsarga) l11ais un sanskrit ce incorrecto » ; qui veut bien écrire doit écrire
et regles particulieres (apavada), le systeme des reconductions selon PalJini. Ce prestige 1 est dú sans doute aux mérites
tacites (anuvrfti) , les abréviations et indices algébriques, exceptionnels de I'CBuvre, l11érites de la forme d'abord,
tout cela laisse place a des divergences d'interprétation, auxquels les Indiens ont été plus sensibles peut-etre qu'aux
dont les commentateurs devaient tirer le plus habile parti. l11érites du contenu ; la fOrIlle a fait autorité a l'égal du fond,
C'est ainsi que l'elllploi exact du participe parfait, celui des a prévalu l11eme sur le fond, en cas de conflit. L'ésotérisme
noms d'agent en ofwn, sont indécis. Les listes des verbes , relatif du systeme a servi d'exemple aux n10des de présen-
celles de certains n 0111 S relevant d'un meme procédé ele tation qu'on retro uve chez les métriciens, les astronomes,
dérivation, sont versées dans des l11anuels spéciaux qui, les tantristes, parfois meme au dela des lin1ites de la litté-
bien qu'attribués a Pal).ini, n'offrent pas des garanties compa- rature sanskrite. g'a été la grande tentation du génie indien
rables au recueil principal, le sütrapafha 2 • de formuler en expressions quasi-l11athénlatiques le contenn
Quoi qu'il en soit, la norme fixée par pal).ini a été décisive de sciences humaines, C0111me la granlnlaire ou la méhique.
pour les destinées du sanskrit, on ne le répétera ja111ais assez. De la, a coté d'avantages indéniables, toutes sortes d'appro-
II y a certes un sanskrit ce évolué » apres le passage du gram- xímations qui conduisent, il faut le dire, a fausser la présen-
tation des faits.
Les attaques de certains philosophes contre la gralllmaire
1. Cf. Nyayamañj. 418 (trad. Anthologie skte 251). Ces critiques sont se présentent en général comme autant de theses « liminaires »,
injustes quand elles font état ele lllots que le grallllllairien ne pouvait connaitre
propres a etre immédiatement réfutées. Les Hindous n' ont
ou ne voulait reconnaitre, COlllllle na yaU pratibhettum « on ne peut le percer R
jour» (depuis Asvaghoi?a Kielhorn NIélanges Kern 119), matllr anuharati il «
cessé d'attacher une importance exceptionnelle a la gram··
resselllble a sa mere» (enseigné Pat.), phalina « arbre» et « paon » l11aire, a la valeur normative et l11eme purificatrice qu'elle
(enseignés dans un vartt.), kal]u!i8lka « fuyarel) bhraji$1)u « brillant»
recele. D'ailleurs toute norme est a leurs yeux pré-établie ;
« calculable» clr1)a « pratiqué» vareurja (?) dhasi (?) : en revanche, soblza
« beauté )) est déja védique et adlllis par les poéticiens d'apres l'usage Valllana la cOlncidence entre ce qui est et ce qui doit etre commande
V 41. - Cf. KChChatterjee J. Dept Letters Calc. XXIV. plus d'un secteur de la pensée indienne 2,
2. La langue enseignée par P. ne peut etre la bha?a (opposée au chanclas),
comllle on l'affirme ou le laisse entendre souvent. C'est une langue COllllllune
(sarvatl'a, qui englobe le chandas au sens le plus large (eléfalcation KATYAYANA ET PATAÑJALI. - Un ou deux siecles apres
faite des singularités propres aux mantra, citées dans les sütra clzandasi )) et
« paJ).ini se situe Katyayana (originaire du Dekkan ?), qui
la bhc"i.$a. Si P. elécrivait la bha?a, on ne cOlllprendrait pas pourquoi illllentionne dans ses e( éléments d'interprétation» (varftika) propose des
quelques rares cas qui préciséll1ent sont el'apres lui lill1ités au elomaine ele la
bha?a. Le mot bh. est un artifice elu systeme, une autre fagon ele elire « na
clwndasi )l. Autrement clit, ce n'est qu'en des cas exceptionnels et fort peu
significatifs que P. isole des faits que l'usage « védique » ignore (( védique II yasalJ dit le NIhBhai?ya 14 89 « la gloire de P. s'étend
incluant la prose elans son ensemble). - Sur la question de la bh., J. As. 1936 1 jusqu'aux enfants (oujet : jusqu'au cap Comorin) ».
336 (avec bibliogr.) IHQ. 17 245 (s'opposant a Franke BB. 17 54) Agrawala C'est ce que rend bien, par ex., l'all1bigu1té du mot dharma, a la fois
(précité) 351. «norme II et « fait », cf. en dernier Raju Idealistic Thought of India 28l.
72 PAl':HNI ET LA LANGUE PARLÉE KATYAYANA ET PATAÑJALI 73
additifs aux regles du lIlaltre, avec quelques lIlodifications tandis que sekima « fondu (métal)) devance l'usage. En
et suppressions. Ces vartlika ont été ensuite discutés dans son agrégeant ces formes, on peut estimer que le a été
« Grand COlIlIIlentaire» Ier ou n e siecle avant plus libéral que PalJ-ini, comme aussi pour les expressions
notre ere) par Patañjali, natif apparemment de Gonarda familieres assez nombreuses (kuk§i1]1bhari, nakhamuca,
entre UjjayinI (Ujein) et Vidisa (Besnagar). Celui-ci tantót digdhasahasaya, vc7lamaja, sardha1]1jaha) qu'il ajoute aux
accepte, tantót rejette les vartlika, ou encore nous laisse regles antérieures 1 .
dans l'indécision sur sonpoint de vue ultüIle; il propose Ces enseignements et bien d'autres, meme s'ils ne compor-
aussi des additions nouvelles a palJ-ini. Ces deux grands tent pas d'attestations littéraires, indiquent le progres de
témoignages importent au premier chef pour lIlesurer le l'usage ; ils empechent de considérer, comme on a été mala-
progres que l'usage a marqué durant cet intervalle de deux visé de le que Patañjali décrivait une langue morte :
a trois siecles. C'est dans le que se trouve l'adhésion au Mahabharata est sensible sur bien des points
l'enseignement sur le parfait périphrastique en asa et babhüva de détail. Bien entendu, il arrive aussi qu'une regle soit
(encore exceptionnel a la fin du védisme, puis en rapide donnée afin de pallier une évidente omission chez PalJ-ini,
progres), sur l'infinitif devant °manas et okanw (depuis ainsi touchant ekiidasa(n) « onze ».
les et la Brhaddevata), sur la flexion du Patañjali ne manque pas une occasion de se référer a
type dvitlyasnwi, sur le dénominatif sans affixe. Aux composés l'usage ; a propos des formations dites pf§odara (( au ventre
oú la désinence du membre antérieur est maintenue, Katya- bigarré »), impossibles a justifier grammaticalement, il en
yana adjoint devaniil?1priya « cher aux dieux », rappel (dépré- appelle aux « clercs» (si§ta, cf. p. 76) ; ailleurs, il admet le
ciatif) de la fameuse épithete que s'était décernée Asoka .. caractere correct des mots traditionnels, non analysables
C'est la dérivation, bien entendu, qui donne lieu au plus (111 3 1) 2. P articulieremen t importan test le passage de la
grand nombre d'addenda. Les féminins en -iinz- s'augmentent Paspasa intimant que les formes ü§a lera et analogues de
chez Katyayana des mots upiidhyiiyiinz iiryiitd deuxieme pluriel du parfait, étant inusitées, sont a remplacer
il précise qu'iiciiryiinz s'écrit avec n dental et glose par lipi' par les noms verbaux : on dit kva yüyam u§itaJ:¿ « OÚ habitez-
« écriture» le terme yavaniinr. La forme vartakii « caille »,.
émanant des grammairiens orientaux, est confirmée par 1. En revanche, on ne voit pas pourquoi Káty. revendique pour la bh.
vaftakii du Jataka 1. Les dérivés en -ana- avec le sen s de (III 2 171) des formes comme cakl'i (( qui fait » siisahi ce qui supporte », lesquelles
« facile ou difficile a ... », védiques selon PalJ-ini, sont incorporés, ne sont guere connues que par les mantra. Une partie des dérivés enseignés
sous V 2 122, himelu, baliila etc., sont inattestés.
a la grammaire commune, parce qu'en effet plusieurs d'entre' 2. Un papsage curieux de Pat. V 1 16 parle des ce mots mous, onctueux,
eux étaient connus depuis l'Épopée; de meme kuftima laches» qu'ce utilise le sujet parlant, (mots prononcés) d'une langue molle,
onctueuse, lache » : ce serait l'origine phonique des malformations (apabhraT(!.sa,
« paYé » est noté, parce qu'attesté depuis les textes épiques" Pradlpa ad loc.). Le Sabdakaustubha (cité dans mon introd. a la Durghatavrtti
128 n. 1) blame que les modernes emploient des formes fautives a l'imitation
des anciens; la faute réside dans le désir d'utiliser de sa propre inspiration des
1. SLévi J. As. 1912 2 513. incorrections (existant dans l'usage littéraire).
74 ET LA LANGUE PARLÉE
LES GRAMMAIRIENS ULTÉRIEURS 75
vous?», kÍ1]1 yUyal]1 krtavanta(i, « qu'avez-vous fait?»
La doctrine est fixée, la langue est arretée. Les auteurs se
témoignage simultané du déclin du verbe personnel (en un
préoccupent d'aménager les aphorismes de maniere nouvelle,
point, il est vrai, de fragilité exceptionnelle) et du progres
sans rien aj outer ni retrancher d' essentiel (a part les regles
de l'adjectif verbal (-tavant- n'étant précisément attesté
védiques et accentuelles, désormais sans objet, mais que
que depuis l'Épopée et Patañjali meme). Combien nous
COlnmentera encore la Kasika au vn e siecle).
souhaiterions disposer d'autres informations analogues 1 !
Cependant ils introduisent tous des formes nou:elles,
n1ais de maniere subreptice, en affirmant ou en laIssant
LES GRAMMAIRIENS ULTÉRIEURS. - Rien dans l'histoire
entendre qu'elles se laissent déduire de telle ou telle
future - qui est inllnense - des grammairiens indiens ne
pal).inéenne mieux comprise. Ainsi Candragomin, gran:maI-
se cOlnpare au tl'inUlni vyakal'al;tanl-, c'est-a-dire a l'autorité
rien bouddhiste des Vle-vn e siecles, donne une séne de
dont est revetue la triade PaI}.ini-Katyayana-Patañjali.
petites nouveautés : il fait (de maniere bien timorée d' ailleu:s)
l'ünportante observation sur le génitif en valeur de datIf;
l. Pour l'usag'e vivant du sanskrit chez Pat., on peut s'appuyer sur les il admet l'impératif ou le futur avec ¡na prohibitif, l'accusatif
développements la pause et la phrase continue 1 4 109-110, comme
fait SVarma Critical Observo 108. Sur des expressions familieres, V. "Veber 1St. COlnIne régime de l'te « sans »; il connait les formes bhl'a-
13 464. L'anecdote du grammairien et du cocher (infra p. 78) est aussi un iis!1u « brillant» (et reprend av cOlnpte de la
indice concluant du skt « vivant )l,
gomin « maitre» (argument pro dOlno) , sam. ucchl'aya
Il est rare que Pat. impartisse un enseignement dialectal, comme lorsqu'il
signale que « les gens du Dekkan aiment les dérivés secondaires» (Paspasá (terme surtout bouddhique)l.
8 l.8) ; ailleurs, ce sont « les Pál).inéens (qui) sont fous de dérivés secondaires », De's faits analogues se trouvent dans l' école Ineme de
cf. KavMI. 22 l.5 se référant a un axiome connu. De maniere un peu plus paI}.ini, a part.ir de la Kasika qui a justement
pl'écise, Pat. signale que le mot sarasl au Dekkan se dit d'un ( grand lac)l
(Bühler WZKM. 1 3) ou encore que la racine hamm- est en usage au beaucoup a Candra ; a plus forte raison hors de l'école, aInSI
l'a1]lh- chez les Orientaux du milieu », alors que les Árya emploient gam- en
(l dans la curieuse grammaire de Bhoja( deva), Xl e siecle, du
ce meme sens. La Paspasá signale encore la prononciation défectueuse yal' Malava, qui bouleverse l'économie du systeme, et dans
va tal' va lJalJ dans l'usage courant, comparée a la prononciation correcte
avec yad et tael, au cours du sacrifice : « dans l'acte sacrificiel on ne doit pas celle de NarayaI}.abhatta, XVle siecle, du Kerala, imitée de la
parler mal» (11 l.13). L'anecdote souvent cité e sur les Asura qui prononceraient précédente et qui incorpore des éléments inconciliables avec
fautivement arayalJ (en c'est-a-dire he reprend un passage Pal).ini. Les poéticiens eux aussi donnent, depuis Bhamaha
de SB. III 2 1 23 oü figure comme forme fautive he 'lávalJ (Kál}.va ayant la
variante hailál,l). et Vamana, leur point de vue sur bien des détails de gram-
C'est aussi a la prose védique que remonte l'information souvent citée, n1aire et de vocabulaire (p. 166 et 176), surajoutant a la
touchant índl'asatl'u dont le ton, correctement placé, assure seul le sens désiré notion impérieuse de l'usage, celle de la convenance poéti-
« celui dont Indra est le destructeur », cf. 52 Paspasá KavPr. II 19
Sabara ad MISiL IX 4 21 etc. que, del'élégance ou de la vulgarité : l'époque de la haute
Pato ad Sivasü. 2 vt. 2 cite comme corruption de 0datta; ailleurs poésie a passé la.
(1 3 1 vt. 12) alJapayati vaftati vaq4hati et (vt. 13) kasi (pour krsi) disi (sic, pour
elr si ) ; ailleurs encore mañjaka, $a$a, paléi$a substitués a mañcaka, sasa, paléisa.
Sur les citations védiques chez Pat., J. As. 1953427.
1. Études de grammaire sIrte 88.
6
76 ET LA LANGUE PARLÉE L'AUTORITÉ DES SI$TA 77
L'AUTORITÉ DES SISTA. - Le souci dOlninant des granl- ime val']Jéi ilij kaiJ;, ¡junal' upadi#iiJ;,j ke punaJ:¿
mairiens est le purislne : il s'agit de filtrer la langue, COlnnle si#iiJ:¿j vaiyiikal'a]JaJ:¿j kula elalj siisll'apül'vikci hi
dlsait déja l'hymne a la Parole (p. 1). Éviter de jargonner, si#il' ca scisll'ajñciJ:¿j yadi lal'hi siisll'a-
ná lnlechel Sato Br. 111 2 124, leit-lnotiv repris pÜl'vikci ca saSIl'Cl1]l lad ilal'ela-
par Patañjali na mlecchilavai l'a Sl'ayaJ]l bhavalij ilal'elal'a sl'aya]Ji ca na pl'akal-
Paspasa) et par le Mahabharata 11 53 8 nal'ya lnlecchanli panlej eVaJ]1 lal'hi nivasala acarala s caj sa cacal'a
« les Áryens ne jargonnent pas en parlant ». al'yaval'la evaj kaJ:¿ punal' al'ycival'laJ:¿j pl'iig adal'sat
Patañjali connalt (Paspasa) des malforlnations (apasabda, pl'alyak kalakavanad himavanlam
apabhl'a1]lsa) telles que gav[I, gO]Jr, gota, gopolalika en fa ce pcil'iyatl'amj elasminn cil'yanivase ye kwn-
du mot correct go « vache » (le Tantravarttika ajoute nlenle bhrdhanyii alolupa kil]1 cid anlal'e]Ja
glavr, lapsus phonique); l'exemple gavr deviendra n1en1e kasyci s cid vidyayaJ:¿ pal'agcis lall'abhavanlaJ;, si#éiJ:¿j j
typique dans les discussions ultérieures, ainsi dans le Tan- yadi lal'hi si#aJ:¿ kim
trava. 1 3 25 qui explique qu'une pareille forme est due a ayyci kl'iyalej kalhaJ?1 punal'
l'incapacité ou a la négligence des gens qui veulent pronon- sakya vijiiatumj adhr-
cer go, de lneme que l'enfant dit lalla en voulant dire yano 'nyaJ?1 pasyaly anadhryiinCl1]1 ye ' ll'a vihitaJ:¿
devadalla. Le but de l' argumentation est de montrer que la sabdcis lan pl'ayulijcinamj sa pasyalij nünam asya
grammaire - qui est éternelle, en tant que fondée sur le daivanugl'ahaJ:¿ svabhavo va yo 'yaJ]1 na
Veda éternel - ne saurait etre atteinte par ces aberrations. adhlle ye aUra vihilciJ:¿ sabdcis ta1]lS ca pl'ayuñktej
Mais le passage crucia1 2 est celui qui figure dans le BhaE}ya aya1]l nünam anyan api jcinalij evam
VI 3 109 et traite de l'autorité que revet la grammaire et de la lhci#adhyciyrj j
source de cette autorité. Le morceau, bien bref par malheur
et tournant court comme tant d'épisodes indiens, servira « Que signifie ceci : formes - .( Cela veut
en meme temps d'exemple de la prose de Patañjali, si souple- dire) : employées. - Comment cela? - La racine
ment agencée et toute nourrie de controverses implicites. di s- indique l' acte d' énoncer (effectivement). Quand
on a énoncé des phonemes, on dit que ces phonelnes
Spécimen 9. sont - Upadi#a par qui ? - Par les clercs.
alha kim idam uccal'itanij kula etatj - Mais quels sont les clercs ? - Ce sont les graln-
di sil' uccal'ya hi val']Jii, n1airiens. - Comment cela? - clerc (est une
qualité qui) repose sur les traités didactiques ; or les
1. giivl etc. sont cité s aussi par Sabara ad 1 3 24 Nyayarnañj. 419 Ka\':\l1.
grammairiens connaissent les traités. - Si etre clerc
VI '25/'26, cf. Pischel Pkt-Sprachen 274. repose sur les traités et que les traités reposent sur le
2. Passage discuté, notarnrnent par Mansion Esquisse 151 Mélanges Schrijnen fait d'etre clerc, il y a la un cercle vicieux. Or les
381.
opérations cOlnportant un cercle vicieux ne sont pas
L'AUTORITÉ DES SI$TA 79
78 ET LA LANGUE PARLÉE
nii1]1priyo na tv elad rüpam itij vazya-
valables. - Eh bien done (les clercs sont tels) par karalJa éihaj éiho khalv anena dundena béidhyiimaha
l'effet de l'habitat et du mode de vie. Et le mode itij sata éihaj na khalu veíiaJ:¿ sütaJ:¿ suvater eva sataJ:¿j
de vie (qui fait loi), c'est celui de l'Aryavarta. - yadi suvcdeJ:¿ kutséi pl'ayoktavyéi: duJ:¿sateneti vaktavyamj
Qu'est-ce done que l'Aryavarta ? - C'est ce qui est a na tarhldéinlm idctl]1 vii yéiv iti vaktavyamj vaktavyal?l
l'est de l'Adarsa, a l'ouest de la foret de Kalaka, au sud caj ki1]1 prayojanamj neyctl]1 ki1]1 tarhij éideso
du Himalaya, au nord du Pariyatra : dans ce domaine 'ya1]l vidhlyatej vety ayam iideso bhavaly ajer yau
habité par les Áryens, les brahmanes possédant pal'ataJ:¿j véiyur itij j
une provision de grains, exempts de cupidité, dé sin-
téressés, familiers avec telle ou telle science sans meme « L'élément vI est le substitut de la racine aj- « con-
l'avoir pratiquée, voila les clercs. - Si ces gens font duire» a titre optionnel. Et ladite option est diver-
autorité pour la langue, a quoi sert le Traité en huit sement réglée, si bien qu'on aura (vI) dans pl'aveléi
livres (Pa1}ini) ? - Le Traité en huit livres sert a recon- « qui conduira», pravetum « conduire », pravlto ralhaJ:¿
naItre les clercs. - Comment de tels gens peuvent-ils « char conduit», sa1]wlti (sens ?) ; et qu'on n'aura pas
etre reconnus par un Traité ? - Quelqu'un qui étudie (vI) dans saméija « rasselnblement», etc. L'intention
le Traité en voit un autl'e qui, sans l'étudier, emploie est que la forme préijitéi « qui conduira » soit également
les formes qui y sont prescrites. Il observe: sans doute valide. - Cette forme est-elle vraiment admise ? --
est-ce par faveur divine ou don naturel que cet Certes elle est admise. C'est ainsi qu'un gramlnairien
homme, sans étudier le Traité, emploie les formes disait : quel est le conducteur (pl>avelr) de cette
qui y sont prescrites ? Sans doute en connait-il d'autres voiture? Le cocher dit : Seigneur, c'est lnoi le
encore? C' est ainsi que ce Traité sert a reconnaitre conducteur (priijilr). - Le grammairien dit :
les clercs ». (lVIahabha9ya VI 3 109). emploies la) une forme incorrecte. - Le cocher dit :
votre Seigneurie connait (les formes) qui se laissent
Spécimen 10. réaliser (directement par une regle de paI).ini), mais
non (celles qui résultent) d'un desideratum; or cette
ajer vlbhiivo bhavati viij cetij teneha forme (préijill') résulte d'un desideratum. - Le
ca pravetii, pravehl1n, pravlto rathaJ:¿, grammairien dit : nous voici done battus par ce mal-
sarrwltir itij iha ca na samiijaJ:¿ udiijaJ:¿, tissé (durula). - Le cocher dit : le mot sata ne vient
s ctlnajaJ:¿ , udajaJ:¿, sam,ajanam, udajanctln, sam,ajyetij pas de la racine ve- « tisser» (qui donnerait la forme
tatriiyam apy artha: idam api siddhal]1 bhavati: ula que vous employez a tort), il vient de la racine
priijitetij ki1]1 ca bho etad rapamj biidhctln sü- « inciter ». Si vous avez a employer un tern1e de
eVctl?l hi ka s cid vaiyiikal'alJa iihaj ko 'sya rathasya blame (formé) sur la racine sü-, il faut done di re :
pravetetij süta iihaj ahCl1]1 priijitetij vaiyii-
iihaj apasabda itij seda iihaj priiptijlio devá-
80 ET LA LANGUE PARLÉE LE SANSKR1T, LANGUE PARLÉE 81
Dans ces conditions la regle « on a (vl) optionnel- LE SANSKRIT, LANGUE PARLÉE. - La maniere abstruse
lement devant le suffixe « yu » n'est pas nécessaire ? - dont se présentait l'apparente étrangeté de
Si. - Quelle en est la lnotivation ? - Ce n'est pas une quelques formations enseignées (ainsi le type kal'tilhe - a
regle optionnelle. - Qu'est-ce alors ? C'est un élénlent peu pres inusité - oufutur périphrastique de voix moyenne ;
substitut qui s'y trouve enjoint. - On a le substitut la dérivation post-verbale, type pacatitmnaln « il cuit tres
va, pour la racine aj- quand suit le suffixe « ya » : bien »), ont fait naltre des doutes sur l'authenticité de l'ensei-
exenlple vaya « vent ». 11 4 56). nenlent pa1)inéen. On peut sourire en effet de la théorie
systélnatique tardive, celle des KaumudI, qui forge des
Les si#a, proprelnent les « connaisseurs de traités didac-
flexions nominales et verbales completes sur la base de
tiques», sont donc les détenteurs de l'usage. Ils sont tels.
Pa1)ini, flexions comme viltapl'amJ « antilopes» ou bobhoti,
non seulement parce qu'ils ont appris la théorie, mais encore
cladeti (intensifs) ou encore nicchu/nic su (locatif pluriel de
parce qu'ils vivent dans un certain périmetre (équivalent
ni s « nuit ») ; déja Patañjali s'amusait a poser
a une large portion de I'Hindoustan proprement dit) et
a disserter gravement sur ces
qu'ils suivent un certain mode de vie, la classe de naissance
formes : ce sont la jeux de grmnmairiens comme il en existe
n'étant qu'un facteur, a coté des conditions sociales, morales,
en tous pays, particulierement virulents dans l'Inde, terre
intellectuelles. On peut dire que tout le problenle du sanskrit
d'élection du pédantisme. Ils ne doivent pas jeter le discrédit
« classique » est posé en filigrane sous ces phrases elliptiques.
sur les parties solides de la théorie.
Le primat des « clercs » sera d'ailleurs battu en breche plus
De plus de portée demeure le soupgon que le « sanskrit
tard dans les theses lüninaires de la lVIlm aIp. s a , OU est discutée
classique» lui-meme serait une sorte de langue artificielle.
la validité de plusieurs mots propres aux mZeccha OH On rencontre cette affirmation plus ou moins nuancée, depuis
( barbares jargonnant »1. Burnouf jusqu'a nos jours, en passant par Senart et Grierson.
1. Dans toute la tradition skte(Smrti) il est dit ou impliqué que ce qui est « orge » signifie priyaJ]1gu (ou kaJigu?) chez les IvIleccha ; de l11eme Nyayavr tti
non-skt est « mleccha)), et que le territoire mleccha est ce qui est extérieur a 11 1 56 ; le sens el'« orge» est seul a retenir.
l' Aryavarta, cf. par ex. Tantrava. 1 3 8-9. Si les mots mleccha expriment un sens, Le Tantrava. 1. c. elonne pour exemple ele sens « laukika ) le sens ele « triple ))
c'est seulement paree que ce sont des formes corrompues de mots iirya: done arfecté au mot triurt, alors que le sens védique est « nonuple». Ou encore carLl
pUu au sens d'« arbre» (sens « arya))) et pllu au sens d'« éléphant)) (sens n. el'un vas e (sens véelique « riz ))), ou asuauiila « poil ele cheval ) (sens véelique
« mleccha ») n'ont pas meme autorité. "roseau ))).
En un autre passage (1 3 10) le texte dit qu'il y a des mots mleccha usités Les formes vicieuses (apabhrw]lsa) sont comme eles clignerhents d'yeux,
dans le Veda, mais que le sens dérivant de l'étymologie l'emporte en validité clit PUl)yaraja ad Vakyapael. 1 151, c'est-a-dire qu'elles ne comportent pas de
sur le sens que leur attribuent les lVIleccha. signification elirecte. - Cf. en général PChChakravarti Ling. Specul. 296 et
Sabara (p. 137 ci-dessous) signale les mots pika nema sata tiimarasa oü l'emploi passim. - Sur quelques mots dravidiens et lata cité s par Kumarila, v. p. 203.
connu des lVIleccha décidera du sens a leur attribuer, ces mots n'ayant pas de On explique dans les ouvrages de philosophie grammaticale que le barbarisme
tradition en aryen. Ibid. pattrorlJ,a et viirabiilJ,a sont allégués comme notant eles est l'effet el'une imitation imparfaite : théorie el'origine mlmaI11siste, destinée
objets fabriqués en pays mleccha. Ibiel. ene ore Sabara releve les sens ele variiha a sauver la face, et qui, comme il arrive souvent, remonte a Pat. (acl Sivasü.
« corbeau » chez les lVIleccha, ainsi que vetasa « jambü )); il signale que yaua :{, vt. 3) ; cf. aussi Nirukta, introd.
82 PAl;HNI ET LA LANGUE PARLÉE SANSKRIT ET MOYEN-INDIEN 83
Senart par exemple (Piyadasi 2 482) parle d'une « langue courante peut etre apprise par l'usage (lokát) , luais il est
scolastique... réforme d'une langue littéraire antérieure» nécessaire d'apprendre la grammaire, du fait que les formes
ou bien (J. As. 1886 2 318) d'une « construction savante vicieuses sont bien plus nombreuses que les correctes. La
des brahmanes en partant du prakrit ». Autant dire que le mention anabhidhánát, si fréquente chez les conlmentateurs,
sanskrit n'aurait jamais eu d'existence authentique, cal' revient a dire que l'usage décide de l'opportunité de tel
si l'on dénonce l'artificialité de la langue de l'Épopée, du enseignement ; d'apres le Nyasa II 2 24 il est inutile d'inter-
Pañcatantl'a, du dialogue dramatique, ne devrait-on pas El dire le composé car nul ne songe a rendre ainsi le
plus forte raison nier le caractere naturel de la langue védi- sens qu'exprime deve gaiaJ:¿ « il partit comme il
que l ? pleuvait »1. Nombre de regles du Trimuni n'ont de sens,
Cette vue souleve des objections d'ordre général. Il serait nous l'avons rappelé (p. 67 et 73), que si elles s'appliquent
sans exemple qu'un idiome aussi bien accrédité, aussi persis- a un sanskrit parlé. '
tant (jusqu'a servir, aujourd'hui encore, de de commu-
nication éventuel, précisément parmi ces dont parlait SANSKRIT ET MOYEN-INDIEN. - Il est vrai que le sanskrit
Patañjali), put résulter d'une invention. S'il y a en effet classique paraít au premier abord n'avoir pas sa place dans
un usage artificiel du sanskrit classique, avec les kéivya l'évolution linguistique indo-aryenne. Du védique poétique,
tardifs, il ne manque pas, en revanche, de textes qui compor- puis du védique en prose, on peut passer directement au
tent une expression linguistique aussi directe, aussi saine, moyen-indien, notamment au pali, qui atteste, tant en morpho-
que n'importe quelle littérature. Pa1).ini, Yaska et d'autres logie que dans la phrase, le style, la luétrique, des affinités
auteurs opposent a la langue védique la c'est-a-dire avec l'état védique. Au point qu'on a voulu considérer le
la langue parlée, littéralement la « parlure ». Ils se réferent, sanskrit « classique» comme une branche collatérale, éma-
comme nous avons vu, a l'usage, prayoga, abhidhéina; le nant d'un état voisin du védique, mais épuré et simplifié 2 •
mot le plus instructif ici est loka, laukika « luonde, usage Mais on a exagéré les concordances globales entre védique
mondain», mot qui exclut tout a -fait l'acception livresque. et moyen-indien; d'autre part le dialecte qui est a la base
Les gens croient, dit en substance la Paspasa, que la langue du « classique» ne se distingue guere du védique que par
des traits négatifs, par des retranchements, comme en
comporte tout idiome en voie de s'affiner, de se classiciser.
1. Sur la controverse ancienne relative au skt parlé, vV. p. XLII, Keith 7
Abstraction faite de la forte poussée « Nord-Ouest » que luar-
Mansion Esquisse 143 Wint. I 45 et 512 DGD. p. CXXI 'Vüst Indisch 38 etc.
L'intervention décisive semble avoir été celle de Rapson JRAS. 1905 435, quait le 1}gveda, aux origines memes de la tradition, c'est
posant qu'une interruption dans l'usage du skt apres le védisme était exclue, un glissement progressif qui mene du 1}gveda récent a la
mais que, a coté du skt littéraire, il avait dü exister une Umgang'ssprache, peu
a peu développée en langue de civilisation. Cf. encore L VP. Mélanges Schrijnen
32.7 DKBanerji Mélanges Pathak 319; en dernier Agrawala India as lmown to
pal).. 350. Sorensen On Sanskrits Stilling (résumé en frangais) admet comme 1. Cf. notre éd. de Durghatav. 1 130, 135.
langue usuelle un skt incorrecto 2. 'Vüst Indisch 42 se référant notamment a Thumb.
84 PANINI ET LA LANGUE PARLÉE SANSKRIT ET lIIOYEN-INDIEN 85
nornle classique ; il n'y a pas de rupture. N[ais la difficulté eifervescences sectaires se produire en vernaculaire, voire
lllajeure n'est point la. contribuer a la diffusion du vernaculaire. Asoka est devenu
On sait que le nl0yen-indien fait son apparition dans bouddhiste quand il édite ses proclamations ; il a sans doute
l'épigraphie antérieurenlent au sanskrit : c'est le grand des bouddhistes dans son administration; il poursuit les
paradoxe linguistique de l'Inde. Les inscriptions d' Asoka, habitudes de la prédication canonique, bien plus qu'il ne
les premieres qui nous soient conservées (vers 250 avant vise a noter - avec « une relative sincérité ))1. - un usage
notre ere), reproduisent sous forme stylisée un choix de réel. Aucune de ces données, si importantes soient-elles en
parlers localement différenciés et de type moyen-indien; elles-lllemes, n'oblige a considérer que le sanskrit serait
l'habitude épigraphique ainsi amorcée se poursuivra durant ce qu'on voudrait parfois nous faire croire, le produit. d'une
plusieurs siecles. Ce sont aussi, des dialectes llloyen-indiens sanskritisabion du moyen-indien. '
qui servent de langue canonique au bouddhisme et au jainis- Il Y a d'abord le témoignage de l'Épopée. On a pensé,
me. Nous savons que la prédication du Buddha (évidmllment il est vrai, le liquider en supposant (Barth 2 397 et autres)
aussi celle du Mahavlra) avait eu lieu dans un parler maga- que l'Épopée avait été traduite d'un original prakrit2. On
dhI ou pré-magadhI; un passage souvent cité montre le a fait la meme hypothese pour le Pañcatantra et pour d'autres
Buddha prohibant l'usage du chanclas et réclamant que cycles narratifs échappant au genre « kiivya ))3. Naturellement
chaque disciple enseigne « dans son mode d'expression il n'existe pas le moindre indice en faveur de cette suppo-
propre)) (sakiiya nirutliyii)I. Meme au dehors des écrits sition, qui se heurte a plus d'un obstacle. Les priikritismes
canoniques, les ceuvres narratives des bouddhistes et de sont en nombre fort limité dans l'Épopée, qui a aucun égard
jaina ont été rédigées d'abord en llloyen-indien ou en « hybri-
de)) et ont précédé assez nettement les ceuvres brahma-
1. Bloch 5. - Asoka est un (( épisode) Jacobi SBBAk. 1911 957.
niques en sanskrit. 2. Contra, Jacobi ZDMG. 48 407 avec de bons arguments. Cf. '?\Tint. 1 512.
Il n'est pas question de sous-esbmer l'extension de dialectes 3. Edgerton Pañc. 2 185 repousse avec raison l'idée d'un Pañc. pkt. La
llloyen-indiens, dans de vastes portions du territoire, depuis meme prudence s'impose pour Sukasaptati, Vikramacarita et autres cycles 01'1
1'on a présumé sans preuve un original m. i. Les seuls textes qui paraissent avoil'
au moins le ve siecle avant notre ere. Mais cette perspective été traduits du m. i. sont ceux qui remontent a la Brhatkatha; ene ore faut-il
conlporte une part de trompe-l'ceil. Il est normal que des faire des réserves sur 1'authenticité de la tradition « paiSad » (en dernier, sur ce
réfornlateurs religieux aient usé, par réaction, de langues probleme, Upadhye Annals Bhandarkar 21 1 .Master BSOAS. 1943 34, 217).
Encore KSS. et autres versions sktes ont le standing d'CBuvres parfaitement
régionales, tout comme on yerra au Moyen Age les grandes originales. -- Analogue le cas de l'AryasaptasatI de Govardhana, libre adapta-
tion de Hala, ou celui du Padmacarita de Ravif?eIJa, en partant du Paümacariya :
l. C'est-a-dire dans son dialecte propre Passage discuté, ave e des inter-
« )j. les Jaina ont été les initiateurs de ces versions doubles ou secondairement
prétations divergentes, depuis au moins SLévi J. As. 1915 1 441. Cf. "Vint. portées d'une langue dans une autre (cf. le Dhürtakhyana avec sa trad. skte).
2 602 LVP. 200 Lin Li-kouang Aide-mémoire 235 Filliozat Manuel 2 326 Sur le probleme spécial du Kathakautuka et elu Delarama, v. 'Vint. 3 78, 79.
Edgerton Buddhist Hybrid Skt Grammar 1 § 1,7. Noter que le Buddha rejette, La grammaire pIde de CaIJ<;la, rédigée (comme les autres) en skt, passe pour
non la bhii$ii skte, mais le chandas : seule forme de parler connue a cette époque, reposer sur un original pkt; toutefois Nitti Grammairiens pkts 209 fait eles
en dehors des dialectes m. i. réserves.
86 PAl':HNI ET LA LANGUE PARLEE
87
SANSKRIT ET .MOYEN-INDIEN
ne donne l'in1pression d'etre traduite ; les survivances védi-
parlé au sens OU l'a été le latin. Mais il a dti l'etre, et le demeu-
ques, et surtout la diversité, la liberté des recensions leur
rer longtemps, dans des éléments assez vastes et différenciés
diffusion dans le temps et l'espace avec ce qu'elle com'porte
de la population : englobant suivant les temps et les lieux
de flottements et d'inégalités, tout cela exclut la possibilité
ceux qui, par droit de naissance, avaient part a la « langue
d'un original étranger. Rien du reste ne ressemble luoins
des dieux» (daiv[ véik, expression du Kavyadarsa I 33)\
aux types littéraires de moyen-indien dont nous disposons
les dvija ou « deux-fois nés » au sens large, les pal,ldits, plus
que le style épique dans son ensemble, hormis peut-etre
généralement les « clercs» ou quelle qu'ait été leur
les passages gnomiques, de provenance insaisissable, qu'on
naissance 2 • Éléluents de population qui sont allés s'amenui-
retro uve dans les traditions les plus diverses de l'Inde.
sant, mais dont il y a d'autant moins sujet de contester l'exis-
Le probleme du théatre classique - dont la sLructure
tence qu' en somlue ils survivent partiellement jusqu' a nos
remonte au moins au n e siecle, témoins les fragn1ents boud-
jours. D'un bout a l'autre du territoire, plus encore en pays
dhiques d'Asie Centrale - est une autre pierre d'achoppe-
dravidien qu'en pays indo-aryen, le sanskrit est parlé ou
luent. Si le mélange dialectal que ce théatre révele a jamais
peut l' etre par des groupes plus ou moins compacts ; il est
répondu (ce qui est tout de meme probable) a un usage
con1pris par un plus grand nombre 3.
défini, il prouve du moins que le sanskrit a été parlé par une
Il ne faut pas raisonner d'apres les habitudes de nations
relativement étendue, qu'en outre, fait plus
oú la langue comluune a tout absorbé, reléguant les autres
slgnlficatIf encore, il était compris par tous, apte le cas
expressions linguistiques au rang de patois ou d'argot.
échéant a etre employé par tous. Il n' est pas arbitraire de
Il faut penser a un cas comme celui de la Suisse alémanique
croire qu'a ses origines ce théatre était plus sanskritisé qu'il
(peu importe en l'occurrence l'écart entre les superficies),
ne nous apparaiV. D'ailleurs la bigarrure moyen-indienne
oú le véhicule normal de communication est le dialecte, OU
meme si elle repose en son principe sur une
néann10ins l'allemand a la position d'une langue parlée,
sincere, n'est guere, en fait, qu'une transpo-
dans une large mesure. Sans doute le sanskrit littéraire
sItlOn phonetIque du sanskrit. Ce n'est pas dans le théatre
était-il trop difficile pour avoir été parlé en dehors des cercles
qu'on trouvera des dialectes moyen-indiens réels.
de spécialistes ; toute norme tend a précipiter vers le déclin
En fin de compte, tout revient a s'entendre sur la notion
meme de langue parlée. Le sanskrit n'a peut-etre jamais été
1. Fondée sur l'expression devllF vdcam RV. VIII 100 11. Le MhBhár. 1 78 13
1. Keith 11 e,t, .du Skt 46, 71 : argumentation dirigée spéciale- a bl'ahml véik.
ment .SLevl qm avaIt suppose que le drame avait pris naissance en pl,t. 2. Nombreux sont les auteurs skts non brahmanes; outre une grande quantité
Sur le duo e.n. général, Jacobi ZD1VIG. 48 410. On sait par ele princes, il y eut des hommes de basse extraction comme Kálidása (d'apres la
Bharata que la repartItlOn des ldlOmes pkts n'était pas conforme a celui de la tradition) ; en outre, une série de femmes (références dans notre trad. de IüivMt.
pratique classique, mais que les fragments pré-classiques vont dans le sens de 155 n. 75). Bloch Mélanges Febvre 7 parle (de fagon beaucoup trop restreinte)
Bharata Lüders Bruchstücke 42. - A une date lardive, il existe des drames tout el 'une « traelition de spécialistes rassemblés autour des princes ».
en skt ou tout en pkt. . 3. Entre autres, Bühler éd. de Vikramaúk. 17 Deussen cité chez \Vint.
1 45 Renou Skt et Culture 17.
88 ET LA LANGUE PARLÉE SUR L'USAGE DU SANSKRIT 89
le langage qu'elle affecte. Mais l'utilisation d'un sanskrit que les poetes font jouer tout le clavier dont ils disposent,
semi-littéraire, discursif, lnelé sans doute de fonnes « incor- la conversation relevée a pu passer assez aisément d'une
rectes», a dú se maintenir longten1ps (je dirais volontiers : langue a l'autre. Aujourd'hui encore, le lexique du nouveau
jusqu'au temps des invasions musulmanes) a titre de langue hindI proposé par certains pour langue nationale est dupur
seconde, de langue d'appoint : c'est celui-Ia lneme qui se sanskrit, les tenninaisons seules attestant le changement
reflete, a peine lnodifié, dans bien des passages de l'Épopée d'idiome ; c'est pourquoi, dans l'antiquité, des genres mixtes
et des contes, dans les dialogues du théatre, dans les con1me le bouddhique hybride ont pu se constituer sans
exemples des cOlnmentaires grammaticaux l • difficulté. La notion de « genre littéraire» est bien plus
Ilfaut tenir compte du fait que le sanskrit et les divers importante dans l'Inde que la différence propren1ent linguis-
dialectes con1posant le lnoyen-indien sont souvent fort tique ou l' étagement chronologique des faits.
proches, que les correspondances phonétiques sont aisées 2.
TÉMOIGNAGES SUR L'USAGE DU SANSKRIT. - - Le caractere
En poétique, les illustrations sont prises indistinctement
dans l'un et l'autre dOlnaine, les memes regles valent de part peu réaliste de la littérature classique est cause que nous
et d'autre. Il ne lnanque pas, lneme hors du théatre, de avons fort peu de témoignages directs sur l'usage du sanskrit
poemes mixtes, jusque dans les ceuvres apabhra:rp.sa qui comme langue parlée l . Il vaut mieux laisser hors du débat
sont souvent bourrées de portions sanskrites 3 • De n1en1e les passages du RamayaI).a faisant allusion a un « sanskrit
hUn1ain» saf?1skl'tam) opposé au « sanskrit
des brahlnaneS», ainsi V 30 17 2 •
1. Une bonne illustration du mélange des lang'ues est fournie par SKChaherji
(cité Bloch 10) et antérieurement par Grierson lA. 30 556 (cité 'Vint. 1 43 n.).
Keith p. XXVI compare assez judicieusement avec des faits propres au « standard l'auteur (Rajasekhara) se décerne ailleurs le titre de
English ». Sur les poetes de village, Pandian lndian Village Folk 105. Sur les meme les amis du poete doivent posséder ce clon, ibid. chapo 10. - La katlzcí
mCBurs des étudiants étrangers (spécialement « gali(;Ia») venus au Kasmlr, est composée en toutes langues d'apres Kavyad. 1 38. passe pour avoir
v. le Desopadesa de Kl?emendra chapo 6. été, comme bien d'autres, ublzayakavi (a savoir, auteur en skt et en tamoul). -
2. Cf. le chapitre appliquant le bllli?éisama (= strophes a la fois sktes et Les poéticiens ont toujours considéré qu'on avait affaire a trois langues équi-
pktes) dans le BhaHik. XIII, et les observations de Jacobi Bhavisatta 87*. pollentes, skt, pkt, apabhra:q1sa; parfois ils en ajoutent une quatrieme, la
L'un des pkts décrits dans le Srilgaraprak. (Raghavan 14) est appelé « semblable paisaci. Il flotte peut-etre la le souvenir des 4 langues du bouddhisme Un
au skt ». Li-kouang Aide-mémoire 176.
3. Cf. notamment le Kllmarapalapratibodha éd. AIsdorf 5 avec son mélano'e 1. Pour la période védique, il y a tout juste a retenir le fait que le rituel
de d'apabbralTlsa et de skt (Schubring Jacobi 89). prévoit l'exercice d'un langage profane, a titre de clérivatif, a certains il1stants
Kumarapalacarita de Hemacandra a les vingt premiers chants en skt, les du culte; cf. JAOS. 69 16, et plus généralement RKMookerji Ancient lnd.
huit derniers en pkt. Il semble que ce soient les Jaina surtout qui aient aimé Educ. 139. Sayal).a, plutOt stupidement, note ces passages (que signalent les
ces pots-pourris (moins, les bouddhistes, qui présentent seulement un hymne verbes bhü?- vyavavad- vyühr-) comme étant de l'apabhra:q1sa !
pkt dans le KapphiI).a, des versets apabhramsa dans le Candamaharosana' 2. Autres références pour le Ram. chez Jacobi Ram. 115 et plus lointaine-
les strophes pIdes de la KalpanamaI,l<;Iitika ne que des de ment Hopkins Great Epic 364. Cf. aussi Tantrakhyayika III 52 (( qui parle
qu'ils furent les initiateurs de la campCl. Il existe des ?arjblzéi?éistotra en jaina. skt est un orateur en toutes choses ») et Parisil?taparvan IX 18, OU Asoka est
Le théatre au surplus habituait, incitait a ces mélanges. « Le prince des poetes censé écrire a son fils en pkt pour en etre mieux compris. Le GarPur. I 98 17
est celui qui compose a son gré en toute lang'ue KavNIí. V 18/19, texte dont
»
exhorte les gens des trois premieres classes sociales a éviter le pkt.
90 ET LA LANGUE PARLÉE SUR L'USAGE DU SANSKRIT 91
Les informations chez Caraka (lI e siecle ?), 111 8, semblent Au début du Xe siecle, l'auteur de l'Upamitibhavapra-
bien indiquer que le sanskrit était en vigueur (ou l'avait pañca katha, ouvrage jaina (p. 6 vers 51), que le
été?) dans les controverses médicales, comme celIes chez sanskrit est « cher aux gens fiers de leur SaVOlr», les
Kautilya ou le pseudo-Kautilya (lIle siecIe ?) 11 28 1 (dans hOlnmes cultivés méprisent tout autre langage, mars que
le sasanadhikara) , qu'il servait (ou avait servi ?) dans l'admi- lui-meme usera d'un sanskrit simple, a
nistration royale. Plus instructive est la donnée du Natya- (sCll'vajanocita) , compris de ceux-la préférerarent
sastra (date ?) XVI 128, aux termes de quoi il faut utiliser le prakrit. « Simple» signifie P?ur IUI « pOlnt obscur, sans
pour le drame une langue « sans acceptions obscures des phrases longues ni synonymes ».. T
mots, propre a etre aisément gOlltée par le commun peuple » Au Xle siecIe, BilhaI,la, kaSmIrIen (VIkram. XVIII 6)
(gürJ,hasabdiirlhahlnaf!1 ianapadasukhabhogyam). Un passage affirme qu'« en chaque maison les femmes memes parlent
du Kamasütra (date ?) 1 4 explique que « c'est en ne conver- sans1UI't , praAkrl't et la lang'ue maternelle _. ».
sant dans les réunions mondaines, ni excIusivement en Un peu apres, également KalhaI,la
sanskrit, ni exclusivement en parler local, qu'on acquiert V 206) parle d'un roi dont 1 extractlOn,
un renOln dans le monde» (néilyanlaql. sm?1skrlen aiva au fait qu'il n'usait pas de « la langue dIvIne, maIS de l apa-
nalyanlaf!1 de kalhaf!1 kalhayaml loke bhralp.sa propre aux ivrognes »1,
bahumalo bhavel); or les assistants de ces étaient les
vita (( bel esprit») et autres courtisans de condition modeste,
1. Les pélerins chinois (en dernier, Manuel 1 149 et 2 399) .ne connaissent
qui dans le drame parlent prakrit : indice que le théatre avait la « langue de Brahman ) dans les territoires, surtout bouddhlques pourtant,
cessé de rendre la distribution sincere des róles. ont traversés' sans doute pensaient-ils d'abord a la langue des contro-
e qu 1 s d" ole ne sommes pourtant point étonnés d'apprendre qu'au
Au VlIl siecle, le poéticien Bhamaha 11 3, définissant verses ec , 't e skt Cf
tem s de Hiuan-tsang cette controverse bouddhique se menal '.'
l'CBuvre littéraire « cIaire», dit : « c'est celIe dont le sens est Barrh CEuvres 4 452 (sur Yi-tsing) et (résumé
accessible depuis les gens cultivé s jusqu'aux femmes et aux Ind, Educ, 498, 505, 537 ; aussi (sur Hiuan-tsang et PaI)..) Agrawala India as
enfants» (avidvadaJiganc7balapralltal'lham) 2. known to P. 13. 1'1 d d' ,.t
D eme al-Biruni (xr e s,), au début de son grand ouvrage sur n e, eCll
(p, 17)em ,.
« ce langage rIche en vocables e t en d"esmence s. . .qui
. . dénomme . de .
noms
,
1. OStein ZII. 6 45.
', ehme obJ' et et d 'un nom unique des obJ ets dIvers, ... dlfficIle a
2. Au contraire, le bouffon du raille les femmes parlant skt. varres un m , 1 d' fl T d
comprendre si ce n'est par le eontexte ) (trad. ; e e mI IOn u
Mais la $a<;lbhal?acandrika 4 étend l'usage du skt (pensant évidemment au 1 t) Un peu plus loin il distingue « le vernaculaIre neghg'e) en usage dans le
drame) « aux dieux etc., aux ascetes, aux héros, aux pretres, guerriers, mar- et un classique en usage seulement les hautes
chands, südra's (sic), conseillers, préposés aux g'ynécées, adeptes de sectes et cultivé es tres soigné, sujet aux regles de la flexion et de 1 etYU:0logIe, a
(lingin's), bel-esprits et autres, s'ils ne sont pas de basse condition (ou : les subtilités de la grammaire et de la rllétorique », Sur la COIl,narSSance qu. al-B,
conduite)). Cf. déja Natyas. XVII 37 et 40 Sarasvatlk. 121 et 122 KavMi. avait de la littérature skte, SKChatterji in al-B. Commemor, Vol.
chapo 10, début, etc.
Chatterji cite l'UktivyaktiprakaraI).a, ceuvre de posterIeure . .
Le masseur du Mrcchakat. moque son maitre sans culture, qui ne comprend " 1 . la mort d'al-B et qui vise a enseigner le skt a travers le vernacularre .
pas du skt simple. Au début du KSS. (VI 108 et paralleIes), la reine s'amuse SIeC ea " , "
« comme une brahmalfI déchue qui a accomph. la. c.eremome expI ,
. r 'atoire et est
de voir son époux - qui est un Satavahana, cf. p. 92 _ prendre l'expression rendue a son état originel de brahmalfI», ainsl l'IdlOme apabhra:rp.sa courant,
ma udakai1;t au sens de modakail:t « gateau »,
7
92 ET LA LANGUE PARLÉE r SUR L'USAGE DU SANSKRIT
Le refoulelnent progressif du nloyen-indien par le sanskrit,
93
Cela dit, il est permis de n'attacher qu'un intéret relatif \
au passage souvent cité de la KavyamlmaIP-sa (xr e siecle) d'abord dans l'épigraphie (p. 94)\ puis dans la littérature
qui nous décrit (chap. 10 début) le roi Sisunaga du Magadha (ou cependant des ceuvres prakrites ont été fabriquées de
proscrivant dans son gynécée les phonemes difficiles a pro- lnaniere disséminée jusqu'au lnoins au xvn e siecle), est un
noncer (ce qui évoque les jeux du kiivya OU tel phénOlnene de prestige littéraire plus encore qu'un fait
est exclU des paroles attribuées a tel personnage); le roi naturel qui révélerait la pression d'une langue· encore vivante.
Kuvinda du Sürasena appliquant la meme mesure; le roi Mais si l'on condamne le sanskrit comme « artificiel »2
Satavahana du Kuntala ordonnant dans son gynécée la au profit du moyen-indien, ne risque-t-on pas de condalnner
langue prakrite - donnée qui recoupe la tradition tenace pour les memes motifs le moyen-indien lui-meme? La
alléguant le goút des souverains Satavahana pour le· prakrit. diverBité dialectale de ce dernier répond mal a des reperes
La KavyamlmaIP-sa oppose ces comportements a celui de chronologiques et géographiques, l'artifice n'y est pas moindre
Sahasanka, roi d'UjjayinI, qui accordait sa faveur a la langue dans le style et la phraséologie que celui du sanskrit ; il est
sanskrite, ce qui évoque le phénomene bien connu qu'on pire lnenle : car, a l'exception du pali et, dans une lnesure
appelait jadis abusivement la « renaissance sanskrite» sous plus faible, de l'ardhamagadhI, langues de propagande
Candragupta 11 et plus généralmnent sous les premiers situées sur un plan « réaliste)) voisin de la langue védique,
Gupta. Le Sarasvatlka1).thabhara1).a 11 15 (p. 123) reprend l'enselnble du moyen-indien, apabhraIllsa compris, est sur-
ces données, en ajoutant que sous Adhyaraja (c'est-a-dire tout fait de kiivya (poésie raffinée) et de semi-kiivya. On y
Satavahana) on parlait prakrit et qu'au contraire, a l'époque cherche en vain des documents comparables pour l'ingénuité
de Sahasanka, on pouvait dire « qui ne parle pas sanskrit ? )1
en restaurant les formes pleines, est rendu a l'état de bon skt. Chatterji note notre ere) qui est, partiellement au moins, prakritiqlié. Mais on trouve des
avec raison que, « comme dans l'usage indien contemporain, la ligne de dé mar- assimilations de consonnes des les emprunts préhistoriques d'Asie Antérieure
cation entre le skt correct des livres et les formes vel'naculaires n'est pas stricte- (PEDumont JAOS. 67 251) : va-t-on etre amené a conclure que du pkt existait
ment observée par al-B. ». déja en ce temps? Autant dire que les vulgarismes de Plaute montrent
1. Il Y a peu a tirer des informations que donne la KavMi. VII 48 sur la l'existence du roman a cette époque ! - En Indonésie, le nombre des éléments
répartition géographique des habitudes de langue, car il s'agit dans la pensée m. i. passés dans les langues locales est faible, comparé aux éléments provenant
de l'auteur de récitation plutot que de pratique courante. Il parle ainsi des du skt (soit directement, soit a travers le tamoul), Gonda Skt in Indonesia 115.
Lata comme de gens « détestant le skt )), alors que les les Travalfa Un passage des contes du Bharataka (cité p. 225 ci-dessous) laisse voir
(?) et autres « récitent habilement les phrases sktes assaisonnées de mots apa- qu'on écrivait au ministre en skt, non en pkt ; mais le chef des moines ne parvient
bhrarpsa». Ailleurs (str. 43), « certaines gens a l'Est de Bénares, ceux du a rédiger que du skt barbare .
.Magadha etc. récitent excellemment le skt )), tandis que (str. 50) « les Kasmiriens 1. Oil les inscriptions pIdes ont des formes en pur skt, ga et la, ainsi que des
récitent désagréablement )). Enfin (X 2) « les Gaw;la et autres tiennent au skt, citations versifiées en skt.
les Lata ont l'habitude et le goüt du pkt (etc.) )) (Anthol. skte 303). 2. La notion d'artifice n'a pas le meme sens pour les usagers d'une langue
Les emprunts faits par les langues extérieures, notamment par le grec, et pour les étrangers. Cf. la protestation de DGD p. XVI contre vVinternitz qui
renseignent insuffisamment sur l'original; cf. sur le Périple Bloch Mélanges avait usé de l'expression, bien modérée pourtant, « ornate poetry )), pour carac-
Lévi 1. Le plus anden emprunt daté est le nom propre Sandrakottos (300 ay. tériser le kéiuya.
94 PAI;HNI ET LA LANGUE PARLÉE LE SANSKRIT ÉPIGRAPHIQUE 95
a la tradition épique ou narrative d'expression sanskrite 1 • elle reflete l'évolution du style ; enfin elle autorise quelques
Tout se passe comme si les langues néo-indo-aryennes hypotheses sur l' origine meme du sanskrit profane. Cepen-
avaient hérité d'une sorte de koine populaire, a terminaisons dant, ici con1me ailleurs, l'utilisation des sources est freinée
réduites, imprégnée de prakritismes 2 sans etre a proprement par leur earactere souvent conventionnel et de pure tradition.
parler du prakrit. De ce quasi-sanskrit il n'est pas étonnant Nous avons rappelé que l'épigraphie la plus anciennement
qu'on n'ait pas de témoignages, puisqu'il s'agissait d'une attestée, celle de l'empereur Asoka, était rédigée en n10yen-
langue parlée 3 • indien .. Apres Asoka viennent d'autres inscriptions, égalmuent
llloyen-indiennes, en écriture qui s'échelonnent
LE SANSKRIT ÉPIGRAPHIQUE 4 • - L'épigraphie a un jusqu'a la fin de la période des (fin du lIle siecle de
témoignage important a fournir, non seulement.. paree qu'elle notre ere) et sont surtout localisées dans le Nord-Ouest;
comporte le plus souvent des datations et des localisations dans l'Inde centrale apparait aussi, sous les Saka, l'écriture
précises qui font défaut ailleurs, mais paree que, se confor- brahmL Avec le prakrit coexiste, tout au moins sous les
mant a la mode littéraire avec une minutie parfois pédante, du sanskrit mixte, notamlllent dans les inscriptions
bouddhiques et jaina de Mathura - c'est-a-dire sans doute
1. Sans aborder id la question des récitations de textes épiques, lyriques du prakrit imparfaitement sanskritisé comme celui des
(et védiques) dans l'Inde ancienne, rappelons seulement que les grandes c:euVl'es Gextes littéraires bouddhiques (p. 221) 1.
théatrales ont été jouées longtemps apres la mort de leurs auteurs, comme
Damodara (vme s., Kasmlr) le confirme pour RatnavalI a la fin du KuttanI-
Le sanskrit fait son apparition avec une inscription de la
mata. Ki?emendra (Kavikal).thabhar. 15) incite les jeunes poetes a aller voir région d'Ayodhya mentionnant le « sixieme (successeur?)
jouer les drames pour se former le goüt. de ce qui semblerait marquer la fin du 1el'
Keith 8 releve l'importance considérable de l'éducation, du cycle d'études
organisé par les brahmanes sur la base du üistra,' prérogative qui n'a jamais été
siecle avant notre ere. Mais les débuts réels se situent plus
mise en question, meme par les bouddhistes ou les jaina. Q'a été sans doute le tard, avec l'inscription du « Rudradan1an
facteur prépondérant pour le maintien du skt. Au reste une notable partie des a Junagadh (Girnar), 150 de notre ere 2 : texte dont l'allure
auteurs bouddhiques et jaina ont été des brahmanes de naissance et de forma-
tion. - Sur l'analogie entre skt et pkt en matiere d'« artifice ), Pischel Pkt 4.
]. Pour le skt mixte, cf. notamment El. 1 239, 2 242. Les inscriptions jaina
2. Et notamment de mots deS[ ou « régionaux », mots qui ne sont ni identiques
de lVIathura (2 195, éditées par Bühler) sont en pkt pur, les sktismes apparaissent
au skt (tatsama) ni n'en dérivent par les voies habituelles (tadbhava), bien
depuis Kanii?ka seulemel1t. De meme, moins nettement, pour les
qu'a notre point de vue une certaine partie s'avere d'origine skte; références
bouddhiques oü le skt s'est répandu de bonne heure en domaine kharoi?tlli
Pischel Pkt 6 Keith 415 n. 5 et ajouter Bloch 11 et 15. Ce sont des « mots non
Konow Khar. Inscriptions p. LXXIX (il Y a quelques textes ou fragments tout
dérivables ni explicables métaphoriquement » Deslnamamala, début.
skts, ibid. p. xcv). - L'épigraphie hybride, qui est a la fois bouddhique et
3. Sur l'origine des langues néo-indo-aryennes, Alsdorf ZDlVIG. 91 423
jaina, n'est d'ailleurs pas identique a celle des textes littéraires. Description
Bloch 16.
récente lVIehel1dale Histor. Grammar of Inscr. Prakrits, passim. - Dans les
4. L'article de base est celui de Bühler Ind. Inschriften (trad. anglaise lA.
monnaies, le pkt cede aussi la place au skt, a partir des successeurs de Rudra-
42). Plus récemment DChSircar IHQ. 15 38 et, du meme, Successors of the
daman (done, de bonne heure), apres un stade intermédiaire (sous les premiers
Satavahanas 379 (chapitre repris ICu. 4). Sur les inscriptions dekkanaises,
ki?atrapa) en hybride; cf. Bloch Mélanges SLévi 16. Ces faits devraient aider
Naik Bull. Deccan College 9 1. - Plus généralement Keith 48 Lüders Bruch-
a préciser la position de l'hybride en littérature (bouddhique).
stücke 62 OStein IHQ. 9 215 (( formal elements ») :lVIal1uel 1 156 et 2 203.
2. OStein IHQ. 9 220 ; en dernier DChSircar Select Inscriptions 1 169.
LE SANSKRIT ÉPIGRAPHIQUE 97
96 ET LA LANGUE PARLÉE
générale est semi-épique (avec, de fait. des épismes linguis- panégyriques (pl'asasti, viruela). Les premiers sont d'aspect
tiq.ues), mais dont le style est a prétention «kiivya», du type plus technique, en une langue souvent voisine de celle des
vazdarbha: phrases alambiquées, figures de rhétorique, eOlllmentaires juridiques, avec des eitations littéraires et,
composés longs. Le roi y est vanté pour ses mérites litté- le cas échéant, des expressions imagées, vite stéréotypées
raires 1 : c'est le premier patron datable des lettres sanskrites. d'ailleurs, comme l'immanquable « tant que (dureront)
Dés lors, tandis que le prakrit suit une courbe descendante le soleil et la lune »1 ou. bien « pour assurer notre prospérité
pour disparaltre au lIle siécle dans l'Inde du Nord, le sanskrit en ce monde et en l'autre». Le formulaire est relativement
se pousse en avant avec les débuts de la dynastie Gupta stable. Les seconds, plus intéressants sur le plan littéraire,
(IV e siécle). L'un des grands documents de cette époque est
eonlportent toute la gamme des inflexions de langue et de
le panégyrique de Samudragupta, par Allahabad, vocabulaire qu'atteste la poésie savante ; ils vontmeme par-
fois au dela, dáns leur souci de condenser, de frapper l'esprit,
vers 375-390 : le texte, presque entierement en prose, déroule
souci qui n'est pas au meme degré celui des biographies
une phrase unique - une succession de propositions relatives
romancées. Parmi les documents anciens de eette catégorie,
décrivant les hauts faits du souverain - en style vaielal'bha
qu'on a comparé a celui de BaI).a ; il Y figure un composé de les plus notables sont le texte versifié de Vatsabhatti a
133 syllabes et des spécimens variés de figures, allitérations, (Dasapura), 473/474, en style gaug,a, avec force
doubles sens 2. figures « de mot» et une applieation a imiter I{alidasa (le
Dans la série inépuisable des inscriptions qui font suite inclus); le panégyrique, également versifié
jusqu'a l'époque llloderne, les documents relatifs a des et a Mandasor, de Yasodharman par Va sula (non daté);
donations terriennes, érections de teIllples, etc., sont en eelui de Pulakesin 11 par Raviklrti a Aihole, 634/635, 011
prédominance; mais a aucune époque ne font défaut les sont mentionnés Kalidasa et Bharavi par un auteur qui se
flatte (non sans quelque raison) d'avoir rivalisé heureusement
avee ces grands maltres 2 •
1. DGD. 14. Le développement a été long et lent a se décleneher,' mais
.2. Un verset, le 4 e , de l'inscription donne une bonne idée du style épigra.:. .au fond la vietoire du sanskrit a été plus prompte et plus
pIngue noble : .
totale qu'en littérature. Rares sont les épigraphes hybrides
éiryo hUy upaguhya bhéivapiSunail' utkarnitai rom,abhih
sabhye$ücclwasite$u / . tardives, comme eelles de l'Orissa des Xle-XlI e siécles 3 • A l'ori-
snehavyalulitena béi$pagurulJ,éi taltvek$ilJ,éi cak$u$éi gine, le mouvenlent était indéeis ; avec le texte de Rudra-
ya!; pitréibhihito nidk$ya nilchiléirrl. péihy evam urvLm iti/ / danlan eoexistait l'inscription importante, en prakrit archaY-
« Voila un noble I C'est avec ces mots que l'embrassa son pel'e, dont
les frissons de joie révélaient ses sentiments; il considérait son (fils),
que, de Nasik (Siri Pulumayi), également a longs composés
d'un regal'd qui voit le vrai, (l'egard) lourd de larmes et frémissant
d'amour; les courtisans poussaient des soupirs de joie, cependant que ]. Anticipé RV. VII 88 4 yán nÍl dydvas tatánan ydd u$ása!;.
les princes de meme lignage le regardaient avec des mines assombries . 'Z. Kielhol'n El. 6 l. Cette inscription comporte seize metres distincts.
- protege la terre entiere ¡lui disait-il )) (Anthol. Skte 383 donnant
3. Kielhorn El. 3 312.
trad. de cette inscription et de ce He de Ravildrti).
98 ET LA LANGUE PARLÉE LE SANSKRIT ÉPIGRAPHIQUE 99
et de facture élaborée. Telle qu'elle est, la présence du sans- encore un peu avant, on a des dranles allégoriques d'inspi-
krit suffit a improuver la vieille théorie de Max Müller sur ration bouddhique, qui ne sont pas tres différents par la
l'effacement de cette langue, puis sa renaissance au Vl e siecle technique du drame classique, mais attestent déja un prakrit
avec le Vikranladitya d'UjjayinI (qu'on identifiait faussement influencé par le kavya, autrement dit par la tradition sans-
a Yasodharman) et sa cour illustrée de « neuf joyaux )). krite.
Dans le sud, le prakrit, né plus tard, a persisté un peu plus L'Épopée lnise a part, nous n'avons pas, il est vrai, de
longtemps (jusqu'au lV e siecle), lnais la diffusion du sanskrit survivances directes d 'un sanskrit profane antérieur a cette
n'a pas été moins conlplete, bien qu'endiguée plus vite par date; mais les citations poétiques, a metres savants, les
l'épigraphie dravidienne et maratho-korikanaise. Les inscrip- allusions disséminées dans le 1 (texte du ler
tions des Vakataka (Ve-Vl e siecle), qui décrivent des ou du n e siecle avant notre ere), révelent une technique
sont en prose élégante, avec de bons spécimens de style « kavya)) indéniablement sanskrite, en meme temps qu'elles
« savant )), point élaboré a l'exces ; de melne celles des Visnu- prouvent l'existence de représentations dramatiques a sujets
kU1).din, des Kadamba antérieurs (celle notamment du épico-pura1).iques. Il serait imprudent de continuer a soutenir 2
Kubja). Dans l'ensemble l'épigraphie est plus simple, plus que le sanskrit « profane )), et plus particulierement le drame,
réaliste que dans le N ord. On notera que la premiere inscrip- aurait pris naissance au n e siecle de notre ere, dans une
tion Vakataka est en sanskrit suivi d'une portion prakrite région circonscrite de l'Ouest, et qu'il aurait été vulgarisé
elle-nleme sanskritisée ; il Y a peu de traces de langue hybride dans cet emploi par une administration étrangere, les
dans les documents dekkanais l. (( satrapes ))) d'origine saka. Il se peut que ces souverains
Les inscriptions dans l'ensemble révelent done, pour le
lnilieu du n e siecle, la présence d'un sanskrit profane a 1. Kielhorn lA. 14 326; cf. encore 'Weber 1St. 13 483 PCChakravarty IHQ.
caractere hautement ljttéraire. L'élaboration du 2 464 Keith 45 DGD. 11. Pat. parle du Uéiral'llCa7]1. kéiuyam. Instructifs sont
aussi les noms des metres classiques dans le traité védique (ou pseudo-védique ?)
en dépit de bien des maladresses et approximations, rencl de Pingala.
improbable qu'il s'agisse d'un début absolu. Le ténl0ignage Z. Avec SLévi J. As. 1902 95, approuvé par Konow Ind. Drama 48 (qui
va de pair avec celui des textes écrits. Sans attacher trop de voudrait posel' l'origine du drame a lVIathura) et L VP. 295. Bons arguments
contra, chez Keith Skt Drama 69. Filliozat Manuel 1 244 estime avec raison
poids a l'existence du théatre attribué a Bhasa (théatre que « les souverains étrangers ont consacré la vogue du s8nskrit littéraire plutot
indatable, mais sans doute largement pré-kalidasien), on qu'ils ne l'ont suscité e ». Il y a peu a tirer des tl'aditions (p. 92 ci-dessus et L VP.
constate a coup sur pour le n e siecle - plutót meme pour la Inde aux temps des Mauryas 219) qui veulent que les Satavahana aient été
prakritisants en regard des Salea sanskritisés. Tout cela a pu etre fabriqué
fin du lel' siecle - une poésie épico-Iyrique pourvue de apres coup d'apres des déductions fondées sur l'existence du Katantra et de
moyens raffinés, celle que la tradition place l'anthologie de Hala. Filliozat 1. c. releve que le Suhrllekha attribué a Nagal'juna
a la cour de Pour la meme époque et peut-etre et adressé a un Satavahana était en skt; de meme une inscription de KaI).heri
(liste de Lüders nO 994). Inversement il y a des épigraphes et monnaies de
« satrapes » en pkt ou en hybride. Enfin il faut no ter que le style de Rudradaman
1. El. 26 151. Tantot les vers (exorde) sont en skt, la partie teclmique étant, est poétique, alors que celui des Satavahana est ]mreaucratique et officieL
en dravidien, tantOt (moins souvent) l'inverse. Onne peut les mettre sur la meme ligne.
100 PAt;.TINI ET LA LANGUE PARLÉE
a.ient été les premiers a user du sanskrit dans les dOCUlllents
officiels, mais le fait n'a du avoir aucune importance pour la
propagation du sanskrit littéraire, héritier des genres profanes
qui étaient sous-jacents au Veda et a l'Épopée.
Cela posé, l'histoire détaillée du style dans l' épigraphie
.sanskrite, avec les différences selon les temps, les provinces,
CHAPITRE 111
les genres, reste a faire l • Peut.-etre n'en doit-on pas attendre
LA LANG UE ÉPIQUE ET SES PROLONGElVIENTS
tous les résultats que se promettait. Bühler. Du moins infor-
merait-elle mieux que les textes sur les échanges et les riva-
lité s de langue a langue, sur la phraséologie des différentes
CARACTERES GÉNÉRAUX Í . - Bien plus que la prose védique
dynasties, éventuellement sur les aires a partir desquelles
on que les exemples des commentaires gramnlaticaux, c'est
.s'est effectuée la diffusion d'une épigraphie indienne au
l'Épopée, et au premier chef le Mahabharata, qui constitue
dela des frontieres 2.
le témoignage fondamental du sanskrit « naturel )).
Le Mahabharata s'est formé peu a peu vers la fin de la
l. Sans parler de la titulature, de la terminologie technique, il y a des })ériode védique, dans des milieux d'ailleurs tout différents
expressions propres a l'épigraphie : la plus saillante peut-etre est le (lal)pada-
.nudhyiila final, dont le sens est controversé (NIA. 3 36 ICu. 9 115, 118 IHQ .. de ceux des ritualistes. Le gros de l' CBuvre ne saurait avoir
18 63, 20 288). Cf. aussi af!1.halifaf!1.hili « donation» dans les viruda Zachariae pris forme avant le lIle ou le Il e siecle précédant notre ere;
WZKM. 3547; klrli « monument» (etc.) Vogel Bijdragen 1906344; nlvi « dota- il a été gonflé de matieres adventices, tout en se répartissant
tion fonciere » pralyaya « revenu » udrañga « taxe » catabhata « troupes régulieres
et irrégulieres» adhikaralJ.a « préfecture» (et « cour de j ustice ») vrUi I( part progressiveIllent en versions distinctes, deux ou trois versions
d'un bien foncier concédé en don » pürva au sens de prasasli Chhabra lVIélanges suivant les pal'van ou « Livres)) : du Nord-Ouest, ou
.8arup 14 vllhl, bhukU, lnwyüU, kulyavapa et autres noms de divisions territo-
riales ; noms de fonctionnaires PVKane Hist. of Dharmas. 3 975. Formules de l. Il n'y a pas de description indépendante de la langue épique. Pour le
,donation (puisées dans la Smrti) ibid. 2 1271. RámayaT,la, anomalies et archaYsmes sont décrits par B6htlingk BerSachs.
2. Notes linguistiques éparses dans les grands recueils, en tete Épigr. Indica 39 (1887) 213 et ZDMG. 43 53 Roussel J. As. 1910 1 1 (se sur le
.(aussi Ind. Antiquary), passim; ainsi que dans les répertoires spécialisés, en mentaire de Rama) j"Iichelson JAOS. 25 89 (soulignant les vedlsmes) Hoplnns
tete South-Indian Inscriptions (Hultzsch et autres); inscriptions du Bengale JAOS. 222 389 (id.) Keith JRAS. 1910 1321 (restreignant la notion de védisme,
.(NMajumdar), de Bharhat (BMBarua), du Chamba State (Vogel), des Gupta d'oü la controverse ibid. 1911, 169, 177). Plus récemment, les études tres dili-
(Fleet), du NépaI (SLévi), etc. Choix commode et fort bien exécuté DChSircar gentes de NMSen J. Baroda 1 119 (sur les recensions) et 301 (temps), 118 et
.8elect InscriptioTis (vol. 1 seul paru). 311 (emploi des cas) Yak 1 11 (formes verbales) 1 53 et 2 26 (vocabulmre) Ind .
Ling. 12 21 (infinitif) Poona 01'. 1489 (intensif, etc.) J. As. Soco Beng. 1950 13,
1951 225 (phonétique) etc. - Remarques générales Jacobi Ram. 112.
Pour le MhBh., les études anciennes de Ludwig SBB6hm. 1896 nO 5 5, 105
et Rigv. 6 249, de Holtzmann Grammatisches aus d. lVIhBh. et Das MhBh. 1
159 sont dépassées. Recherches en cours (notamment sur la base des « variantes »)
Kulkarni NIA. 6 130 Bull. Deccan College 1 318, 2 (appendice), 8 73 Annals
Bhancl. 24 83 et ailleurs; Mehendale Bull. Deccan Coll. 1 71 (absolutif). SUI"Jt
T GRAM.i'dAIRE DE L'ÉPOPÉE 103
102 LA LANGUE ÉPIQUE ET SES PROLONGEMENTS
des chanteurs et acteurs ambulants, du type des kus[lava
plus généralement du N ord; celle du Sud; éventuellenlent
dont parle la tradition, qui ont diffusé des épisodes rama'iques
celle de l'Est.La masse, qui comportait a l'origine une
:sur les tréteaux de villages, dans les réunions populaires,
certaine fixité, a passé par des états fluides, ouverte comme
dans les temples et les pelerinages.
elle l'est devenue a nOlnbre d'additions, de suppressions,
La langue épique est impossible a définir globalement.
de changements, durant les prmniers siecles de notre ere; on
Sous une apparence assez monotone, c'est un mélange compo-
a remarqué des interpolations isolées jusqu'a l'époque des
site comme il est naturel pour des textes qui ont été soumis
Gupta. La zone d'activité donlinante a été le
portion occidentale du bassin gangétique. Les auteurs - et
a long brassage et représentent des apports successifs.
Il faudrait distinguer aussi l'une et l'autre épopée, qui
en meme temps les colporteurs et amplificateurs de l'CBuvre
donnent les melneS faits dans des proportions assez diffé-
par récitations, chants, mises en- scene - ont été les bardes.
de cour, sata, milgadha, bandín, qui représentaient en marge· rentes.
du Veda les traditions de la classe des guerriers. Les traces GRAMMA1RE DE L'ÉPOPÉE. L'Épopée, le Mahabharata
que nous avons de récits légendaires (ítíhilsa) d' époque védi- surtout, contient certains traits de langue analogues a ceux
que, les panégyriques (néirilsCll?1sl) , les gilthil (p. 38) sont que nous avons constatés dans les mantra védiques.
autant d'essais épiques ou proto-épiques. traits sont inégalement répartis; ils sont - comme aUSSl_
L'autre grand texte, le Ralnaya:r;ta, a utilisé plus nettmnent les traits, védiques ou non, qu'on peut taxer de proprement
que le Mahabharata des ballades, des themes de folklore « épiques)) - plus apparents dans les traditions d:l Nord-
préexistants, auxquels un habile adaptateur, Valmlki, aura Ouest, que l'édition critique du Mahabharata a for-
donné une forme sanskrite en les remaniant dans un cadre tement en évidence ; les versions du Sud, qui amphfient et
nouveau. Cette adaptation a pu se faire des le lIle siecle avant diluent, celles du Centre et de l'Est, qui normalisent et
notre ere, mais de grandes portions de l'ouvrage, les Livres 1 atténuent, ont éliminé la plupart des archa'ismes, comme en
et 7, ont été ajoutés bien plus tardo La région intéressée est général les irrégularités et les anomalies les plus voyantes.
la zone orientale du bassin gangétique, le pays de Kosala Pour le Ramaya:r;ta au contraire, les versions méridionales,
proche du Magadha. Conlme pour le Mahabharata, ce sont surtout celles de Kataka et Tilaka, sont supérieures a la
version bengali et a celle, a peine meilleure, du Nord-Ouest ;
en outre, dans toutes les traditions, le Livre 1 et une grande
grammaire de la GUa, plus no rnmle ou normalisée que le gros de
cf. Rajwade Mélanges Bhandarkar 327 KMSarma Annals Bhand. 11 284 partie du Livre 7 se rapprochent pour le style du Mahabha-
(insuffisants). Généralités (surtout, sur le style) Oldenberg Das MhBh. 129 et rata-vulgate. Aucune recension ne saurait prétendre repré-
145 Jacobi MhBh., passim. Sur l'intéret linguistique que présente l'édition senter le texte de Valmlki.
critique de Poona (texte moins « correct », plus « primitif») '\Veller Mélange8.
'\Vinternitz 37. Les survivances morphologiques n'apparaissent que dans
Sur les deux épopées, Hopkins Great Epic 262 et passim Kirfel Zur Gesch. des conditions déterminées. Il n'y a pas ;reviviscence des
d. Nominalkomposition Keith JRAS. 19062. - Notes et introductions de l'éd. formes qui maintenues jusque dans la prose védique
critique (en cours) du MhBh., spécialement S.K.De et Edgerton.
104 LA LANGUE ÉPIQUE ET SES PROLONGEl\IEXTS GRAi\HIAIRE DE L'ÉPOPÉE 105
et dont certaines se retrouvent en paji : subjonctif, préverbe a l'athématislne, notamment au participe moyen en -ayana-.
séparé, infinitif (autre qu'en -tUln); l'archalsme ne concerne Le flottement entre les formes fortes et faibles dans le nom
que des fOrInes isolées, conlme pl'iyayase MhBh. II 56 5 OH comme dans le verbe (ainsi, entre autres, au participe féminin
comnle l'absence d'augment ga et la, l'absence de redouble- ou duel en -antll -atl) ; flottement aussi entre les désinences
ment dans quelques parfaits ; ce sont des singularités retrou- actives et lnoyennes (notamment a l'impératif moyen, qui
vées, plutot que des anciennetés maintenues. Il est difficile,. alterne -a et -[aJsva), en partie sans doute sous la pression
au surplus, de déterminer dans quelle mesure on a affaire du metre ; pénétration de la flexion active jusque dans le
a d'authentiques survivances. Le style, de son coté, évoque- présent passif, type sakyati (( pouvoir »). n y a des confusions
par certains points les mantra : ordre des mots aberrant), étendues entre les finales verbales -mas et 1na, entre les
insertion de vocatifs, parentheses; allure générale absolutifs en -tvcl et -ya: une forme telle que grhya « ayant
voire violenlment elliptique, de l' énoncé éclatant soudain saisi» est courante. On rappellera aussi les optatifs moyens
parmi une longue suite de phrases coulantes et laches. La en -(ay) lta (p. 65), dont la distribution textuelle est du reste
encore les versions du Nord-Ouest, pour le Bharata, ont fait tres inégale. Le futur en -tcl présente, pour la forme et l'emploi,
lnieux ressortir ce caractere abrupt et rude. toutes. sortes de déviations par rapport aux regles classiques.
Dans 1'ensemble pourtant, plutot qu'un langage archalque,. Les valeurs casuelles et temporelles sont sujettes a une
on définira l'Épopée comme un langage a pureté anl0indrie,. certaine fluidité : ainsi le génitif absolu (qui est fréquent)
ouvert aUx facilités qu'entraine l'exercice d'un idiome popu-· est employé sans restriction de sens ; le génitif par ailleurs
laire 1 , Sur bien des points elle est en marge, autant de l'usage, s'étend en substitution du datif et de l'ablatif, encore que,
védique que de l'usage palJ-inéen. Sans vouloir ici tenter de: dans les pronoms personnels, le datif se maintienne et lneme
distinguer les diverses provenances, nous notons parmi les'. empiete sur le génitif ; il Y a disparité dans la syntaxe du
faits saillants : le progres de l' -i-de liaison et de l' -a- théma-- comparatif et du superlatif. Pour le verbe, extension des
tique (au moins dans le verbe, types dadati, kUl'vati, hanati;: présents narratifs, des parfaits en toutes nuances de prétérit
dans le nom, apahal'ta, kanlyasa, Ram. svana, (et, par suite, des parfaits a la premiere et a la deuxieme
yavlyasa) - ' mais il existe a l'inverse une tendance marquée· personnes), des aoristes également sans grande discrimination.
Le causatif est d'un emploi peu strict, l'optatif figure éven-
tuellement en expression du passé (ainsi dans iyai) 1. Les
1. Le mot {l7'f;a équivaut a « archalque )) chez les commentateurs de l'Épopée,.
mais en fait le terme désigne les traits de langue caractérisant la Smrti au sens
particules ne sont fort souvent que des expédients métriques,
large, comme l'indique le Spigaraprak. (Raghavan 14). La composition de type des chevilles, ainsi ha ou tatha en fin de pada ; parallelement,
éir§a laisse le primat au sens (ibid. 19), 310rs que la composition védique le·
donnait au moto « Dans les PuraI).a et les !tihasa (= les récits épiques), il n'est.
pas de fin aux incorrections (apasabda) )) Tantrava. 1 3 7) la Durghatav. 1 3. 1. Pisani IF. 50 21. Spécialement sur iyéit, référenees citées ehez Edgerto'n
29 VI 4 74 VII 1 93 précise que Vyasa et Valmlki suivent des voies autonomes. Buddhist Hybrid Gr. 161 § 32 (85). - Du Ram., note!' l'infinitif bhéivitum
et que la grammaire n'est pas faite pour eux. (fait sur bhéivayati). Un bon exemple d'emploi épique est le dérivé en -tr- figurant
La KavMI. Il 1/2 appelle bhéi§éi les textes de Smrti. eomme membre ultérieur, type vrtrahantr, ef. "\V.(-Debrunner) 2,1 188; 2669.
106 LA LANGUE ÉPIQUE ET SES PROLONGEMENTS
PHRASE ET STYLE ÉPIQUES 107
les préverbes souvent indistincts quant a l' enlploi.
Il y a des confuslOns entre les formes pleines et les formes faits qui est remarquable. D'autres apparaissent pour la
enclitiques, par exemple des débuts de vers en enam. l)reIniere fois au niveau épique, ou du moins y regoivent une
Il est incertain s'il faut voir des védismes dans les infractions extension toute nouvelle : ainsi le nom verbal en -tavant-
lnultiples - d'ordinaire masquées par quelque expédient (enlployé généralement comIne prédicat, et pourvu d'un
dans inf.érieures - aux regles classiques du augnlent adventice dans ahmn ... XII 279 20 Bo.) ;
sandhI, InfractlOns qUI ne recouvrent pas nécessairement le tour sakyate kartum « il peut etre fait» (rares antécédents
les habitudes védiques. Des traits plus probablement anciens dans le Sato Br.) ; le pronom de politesse bhavan (rares exem-
sont la présence du pronom relatif explétif, l'usage de certaines pIes Sat. Br.) ; le type -tu-kama -tu-manas (cf. p. 65 et 72) ;
prépositions, éventuellement, d'une finale syncopée comme le conditionnel ; les périphrases verbales avec as- stlta- bha-
S11'wran = .snwrantl MhBh. 111 280 32 V 88 2 (cf. p. 19) ; et surtout kr- (c{ babhava gantwn MhBh. I 57 1 « il allait »),
noter aUSSI les particules vieillies u, vai, sma (sans influence y compris le tour comportant un abstrait en -tva- régime
temporelle), nu, svicl. d'un verbe de mouvemenV ; le nom en -su- comme participe
Au total, c'est le verbe qui présente le plus d'anomalies : du désidératif (emploi rare en védique); les composés OU
le RamayaI).a atteste plus d'une fois des formes comme le Iuembre ultérieur est de type classificatoire ou généralisant,
(( »), kurnli (( faire' »), claclmi (( donner »), smahe -ainsi les composés en °acli (oprabhrti, rare en védique) Danta
(( etre ») ; Il rIsque meme (= IV 3 27 et °pl'aya (ces deux formes rares en védique) °parva °pradhana
ahmn ... bhaveJ:¿ IV 17 49. Le Mahabh. a socimi III 60 10 ° °matra okalpa (quelques cas dans les BrahmaI).a) °rapa,
°clarsivan X 17 11 (cf. Ram. osm]1sivan) kr dhi II 60 30 [ji- et.c. (( cOlnmengant ou terminé par, consistant surtout ou
twn (?) II 30 26 (cf. Ram. paritwn) aclrsyate (a privatif) exclusivement en, ressemblant a, etc»); ainsi que °bhata
XIII Bo .. bien. d'autres. Le seul cinquieme parvan, explétif. Un autre trait peu fréquent, mais plus typique,
dans 1 edItIon crItIque, hvre une longue série de formes ver- est l'emploi du participe parfait comme verbe personnel,
bales inconciliables avec la grammaire l • [yivan « il alla ».
Si l'on se place dans la perspective de l'évolution du
il n'y a que de faits morphologiques qui signa- PHRASE ET STYLE ÉPIQUES. - Nous avons dit par
lent Irrecusablement l'Epopée. C'est plutót la densité de ces avance (p. 85) la rareté relative des prakritismes 2. Certes,
tout sanskrit qui se relache est du moyen-indien en puissance,
1. Ainsi (= adriik§lt) 29 33 asmal] (= smalJ) 36 3 8asati (= 8asti)
et l'on ne peut s'étonner de certaines concordances entre
37 3 apak¡tua 38 8 (et upa o 44 11) grhya 42 12 et ailleurs drsyati 4421 krdhuam la langue épique d'une part, le pali, les prakrits ou l'hybride
56 60 ahiisma (= ahéisi§ma) 70 10 °patsua 76 8 104 23 et
giinti (= 9 ajlyanta (= ajayan) 125 8 uadhyale (= hanyate)
136 21 et aIlleurs brauihi 160 9 dhyámi 172 14 et ailleurs kurmi 180 26. Hors l. Sur ces périphrases, au stade épique et ailleurs, Vale Verbal Composition
du verbe, on a la flexion en -a- de duhitr (passim), nastalal] (= niisikiibhyiim) 254! qui donne de nombreux exemples.
V 129 11 sakhil] (au nomin.) cité Durghatav. VII 1 93, etc. Z. Contra, Hopkins Great Epic 262 (et incidemment Kielhorn JRAS,
1898 18) ..
8
108 LA LANGUE ÉPIQUE ET SES PROLONGEl\IENTS
PHRASE ET STYLE ÉPIQUES 109
de l'autre : un bon exemple, s'il est avéré, serait visatum bahuvrIhi ornementaux, qui prédominent toujours, se
« entrer» MhBh. I 222 10. Mais dans l'ensemble l'Épopée
trouvent des formations a valeur verbale soulignant le
donne une tout autre inlpression que le Inoyen-indien, le progres de l'énoncé ; ainsi dans l'épisode de SavitrI, le corps
style est nettement différent. Ajoutons qu'elle a été assez du roi pres de mourir est décrit par les composés samud-
peu soumise aux ajustelnents quantitatifs ou syllabiques gatasvasa, hataprabha (III 281 17), pour signifier
qu'on trouve aussi bien dans les 'mantra que dans la poésie que la vie s'était retirée de lui, que le souffle s'était arreté,
paJi; la notion de « licence poétique » n'y joue certainelnent que l'éclat du visage était aboli : tout ceci aurait été rendu
pas le me me role. a date ancienne par des relatives ou des phrases indépendantes.
Sur le plan de la phrase, la liaison entre les propositions La diction épique est alourdie par les épithetes, généra-
est souvent lache, tout au moins dans le Mahabharata : lement bimembres (avec une forte proportion de vocatifs),
la corrélation est partiellement déficiente, le discours direct par les incidentes et les répétitions : c' est la répétition qui
(comportant des emplois aberrants de la particule iti) est rend l'allure tra'inante, non seulement dans le dialogue OU
volontiers impliqué dans la subordination (usage de yad le nouvel interlocuteur reprend les mots du précédent, Inais
ou yatha explétifs) ; il Y a quelques essais d'une proposition elans le récit OU figurent toutes sortes de reprises et d' enchaí-
infinitive. La phrase relative s'est étendue depuis le Veda, nements, jusqu'au refrain caractérisé. Mais ces répétitions
avec des cas de double relatif (type yasya ya Ram. II 29 18), ne ressemblent que superficiellement a celles de la prose
insertion de l'antécédent dans la subordonnée, avec attraction paJi; en particulier, celles par l'absolutif (type dadarsa/
casuelle, etc. sont lo in de jouer le meme role qu'en moyen-indien 1.
Le « style nOlninal» a marqué des progres, sans entanler Les passages en style orné sont rares dans le Mahabha-
toutefois la vitalité du verbe 'personnel ; combiné avec l'expres- rata; on peut citer la breve description des guerriers dormant
sion passive, qui est elle-Ineme en progres sensible!, il se apres la bataille (VII 185 37Bo). Ils sont plus nombreux
présente de maniere plus massive dans plusieurs parties du dans l'autre ouvrage. Le RamayaI,la el'ailleurs présente
RamayaI,la et dans les morceaux' en prose de l'autre épopée. beaucoup plus d'images et de plus développées 2 ; il a des
Ici se marque l'avance linguistique, ailleurs mal saisissable, traces de préciosité, jeux de mots, allitérations, qu'on cher-
que montrent ces passages par rapport au gros du Mahabha- cherait vainement dans le Bharata : c'est bien l'adikavya
rata. « le poeme premier (en date et en importance, des poemes de
La composition nOlninale demeure dans des limites moelé- style classique) ». .
rées, un composé a quatre melnbres étant chose rare, du
Inoins dans le Bharata. Pourtant les cOlnposés participent 1. V. le Tipitaka:rp. Concordance de ';Voodward-Hare, en cours.
2. Ainsi Diwekar Fleurs de rhétorique 119 Subrahmanya Iyer J. 01'. Res. 3
a la phrase plus activement que dans le Veda. A coté eles 292, 4 32, 127, 341, 5 147 etc. En général, sur le Ram. en tant que kiivya, Jacobi
Ram. 119 Keith 42. Le theme des saisons (cf. Skt et Culture 145), a peine indiqué
1. Sur le passif en général, Gonda On Skt Passive, notamment 55-60, 102 ; dans le Veda, ébauché dans le MhBh., est déja utilisé largement dans le Ram ..
cf. aussi Sehgal éd. du l}tus. p. XXII. I
108.
T
110 LA LANGUE ÉPIQUE ET SES PROLONGRi\IENTS VOCABULAIRE ÉPIQUE 111
VOCABULAIRE ÉPIQUE 1 • - Les mots nouveaux abondent, dans une large mesure 1 . Le procédé le plus en faveur est
surtout dans le Mahabharata (il y a d'ailleurs une grande l'épithete, simple ou composée, qui en vient a désigner
communauté de vocabulaire de l'une a l'autre épopée). l'objet qu'elle est faite pour qualifier ; la terre est la «porteuse
C'est la que font irruption une masse de termes ou d'accep- de richesses» (ou la « porteuse» tout court), la « vaste »,
tions, dont la plupart se maintiendront, soit dans le langage 1'« immuable», la « toute nourriciere»; l'oiseau est « l'ailé ».
du dharma, avec lequel l'Épopée a beaucoup d'affinités le « circulant dans l'air», le « né de l'muf», le « deux fois
naturelles, soit dans l'usage général de la littérature ultérieure. né »; l'arbre, le « buveur par le pied», le « poussé du sol»,
Rien que pour les noms de 1'« eau», l'Épopée met en circu- le « non-marchant »2. Ce procédé était certes en vigueur dans
lation a/nbu jala toya nlra et vari (ce dernier, développant le Veda, mais il atteint ici des proportions considérables,
le védique val') , sans renoncer pour autant aux termes plus ouvrant la voie aux fantaisies sémantiques de la poésie
anciens ap, payas, uda(ka), ambhas. Le fait que ces acqui- savante.
sitions soient noté es dans les NighaI,ltu ne doit pas empecher
Spécimen 11
de croire qu'elles ont l'Épopée pour origine. Le nombre des
(en style « mou »).
combinaisons nouvelles entre préverbe et verbe est inépui-
sable. Cependant les termes vraiment techniques sont évités atha sa phaliiny iidaya vlryavanj
kathina/'{t pürayam asa ka§thany apatayatjj
tasya patayataJ:¿ ka§tha/'{t svedo vai sa/najayataj
1. Choix de mots nouveaux (presque tous du MhBh.) : anala « feu » anila
« vent» ambal'a au sens de « costume» aliita « brandon» utsuka « anxieux »
vyayal1wna ca tenasya jajíie sirasi vedanajj
kaccha « marais » katu « acide » ka1Jtha « gorge » kathá « récit» kanda « racine » so 'bhigamya priyal'{t bhiiryaln uvaca sramapliJ,itahj
kandara (Ram.) « cave » « mauvais » kála « noir » kusuma « fleur » kedál'a vyiiyamena mamanena jata sirasi vedanajj
« champ » koti « pointe» « joue» gw!a « boule» ghat- « s'efforcer» ghata
angani caiva savitri hrdayal'{t düyat[va caj
« jarre» « nez» (pktisme) cál'a « espion» cint- « penser» (et cinW) chala
. « fraude » tal'u « arbre » tal'k- « réfléchir » (et tal'ka) twiga « haut » nayana et netr asvastha/n iva catmana/]l lak§aye
« mil» nipu1Ja « habile » padma « lotus» piitl'a au sens de « personne digne» sülair iva Siro viddham idal'{t sal'{tlak§ayamy aha/nl
picclw « plume» puta « creux» pota « petit» d'un animal» m[na « poisson »
yati « ascete » l'avi « soleil » lajj- « avoir honte » latá « plante» vandhya « stérile »
tat svaptum icche kalyalJi na SthatU1]1 saktir asti mejj
vali « ride» vallabha « cher» vastu « chose» váp[ « étang» vidhul'a « solitaire » samasadyatha savitrl bharliiram upagühya caj
vUh[ « rue» vrnda « masse» Sruti au sens d'« oreille» sundal'a « beau» hatha utsange ' sya krtva ni§asada mahltalejj
« violence» heman « 01' »; plusieurs sont des variantes de mots plus anciens.
La plup8rt des acquisitions sont incorporées dans les lexiques depuis Amara-
siIflha (date inconnue), patron de la lexicographie skte. - Noter que certains
mots se fondent sur des acceptions sous-jacentes a l'acception normale dans 1. Certains termes teclmiques ont été étudiés par Hopkins JAOS. 20 18
le RV. : d[dhiti « éclat», sens secondaire de RV. dídhiti; de meme go « terre )1 Agrawala Annals Bhand. 21280,2319,26283. Mots notables de l'Udyogaparvan
(ainsi que dhenu) et « parole», gabhasti et kil'a[la « rayon », ainsi que (Ram.) Bull. Deccan College 8 1. Remarques sur le style des portions philoso-
ar¡lsu, kulisa « foudre » ibha « éléphant » ; al'i§ta au sens de « malheur » est aussi phlques Strauss ZDMG. 62 661. Glossaire (inégal) de mots et formes du Ram.
un sens secondaire, déduit de véd. de meme camü « armée »; dáva» du N. O. dans plusieurs des vol. de l'éd. Vishvabandhu Sastri.
« foret » résulte du composé dávágni mécompris, etc. 2. Oldenberg Das MhBh. 129 et notamment 133.
VOCABULAIRE ÉPIQUE 113
112 LA LANGUE ÉPIQUE ET SES PROLONGEMENTS
Alors SavitrI mit son mari tout contre elle et s'assit
tatal; sa naradavaco vilnrsantf tapasvinfl
par terre, le tenant dans ses bras et mettant sa tete
ta1]1 muhürtal]1 k$arW7]1 vela7]1 divasa7]l ca yuyoja hall
sur son sein. Et comme elle réfléchissait, la pieuse
muhürlad iva capasyat purU$al]1 pUavasasaml
femme, a la parole de Narada, elle comprit que c'était
baddhamauli7]l vapu$mantam adityasamatejasaml I
le jour, l'heure et l'instant meme. Soudain elle vit
syamavadatal]1 raktak$a1]1 pa sahasta1]1 bhayavahalnl
un homme : vetu de jaune, un turban sur la tete
sthital]l satyavataJ:¿ par sve nirfk$antal]1 tam eva cal I
il était beau, éclatant comme le soleil' son teint
tal]1 d[,$tva sahasotthaya bharlur nyasya sanaiJ:¿ siraJ:¿1 . '
étalt sombre, mais' brillant, ses yeux rouges ; il avait
krtañjalir uvacarta' hrdayena pravepatal I
en main une corde; il était effrayant. Il se tenait
daivatal]1 tvabhijanami vapur etad dhy amanu$am/
aux cótés de Satyavant et le regardait.
kamaya brühi me deva kas tva7]l ki1]1 ca cikfr$asi/ I
Quand elle l'eut vu, elle déposa doucmuent son
(yama uvaca): époux, se leva a la hate et, joignant les luains, dit,
pativralasi savitri tathaiva ca tapo' nvilal
oppressée, le cceur tremblant : 'J e sais que tu es
atas tvam abhibha$ami viddhi ma1]1 tVal]1 subhe yamam/ /
une divinité, ta forme n'est pas celle d'un humain.
ayal]1 te satyavan bharta k$flJayuJ:¿ parihivatmajaJ:¿/
Fais-moi cette grace, dis-moi qui tu es, ó dieu, et ce
ne$yamy enam aha7]l baddhva viddhy etan me cikfr$itam/ /
que tu veux faire '.
ity uktva pit['rajas la1]1 bhagavan SVal]1 cikfl'$itam/
, SavitrI, tu es une épouse fideIe et riche en austé-
yathavat sarvam akhyatu7]1 tatpriyartha1]1 pracakrame/ /
Jete parlerai donc. Sache, ma belle, que je
aya1]1 hi dharmasa1]1yukto rüpavan gU7J asa ga l'aJ:¿1
SUlS Yama. Le prince Satyavant ton mari a épuisé
narho matpul'u$ail' netum ato 'smi svayam agcdal;/ I
son temps de vie. Je vais l'emmener dans mes liens :
tataJ:¿ satyavataJ:¿ kayat pasabaddhal]1 vasal]1gcdam/
c'est cela que je veux faire, sache-le'.
angu$thamatl'al?l pUl'u$a1]1 ni scakal'$a yamo balat/ I Parlant ainsi, le roi des Morts, le Bienheureux
« Alors, en compagnie de sa femlue, plein d'ardeur se mit a lui exposer en toute vérité ce qu'il allait faire'
il cueillit des fruits et en emplit un pot, puis se mit pour lui montrer sa faveur. ' Cet homme est vertueux'
á fendre du bois. Et comme il fendait du bois, une beau, un océan de mérites, dit-il. Il n' était pas
sueur s'empara de lui et par suite de l'effort qu'il na?le qu'il flit emmené par mes serviteurs. Aussi je
faisait il eut mal a la tete. Accablé de fatigue il vint SUlS venu en personne'.
vers sa chere femme et lui dit : 'SavitrI, par suite Puis Yama tira avec force du corps de Satyavant
de l' effort que j' ai fait j' ai eu mal a la tete; les membres l'homuncule, de la dimension du pouce; il le lia au
et le cceur me font souffrir. Femme aux paroles mesu- moyen de sa corde et le souluit a son pouvoir».
rées, il me semble que je ne vais pas bien. J'éprouve (Mahabharata 111 296).
comme si ma tete était transpercée de piques. J e
désire dormir, ó belle, je n'ai pas la force de rester
debout ' .
114 LA LANGUE ÉPIQUE ET SES PROLONGEMENTS LES 115
Spécimen 12 LES 1. - Le style épique a été déterminant pour
(en style « dur »). une masse énorme de textes versifiés (avec forte prédomi-
nance du Sloka, le metre « épique» par excellence) : textes
unmaltaham anunmallaf(L kan la m anvavasaf(L ciJ'amj
anonymes, non datables, non localisables, qui ont été compi-
anlike ramalJaJ?l sanlar¡l nainam adhyagamaf(L pU1'Clj (
lés jusqu'aux abords de l'époque moderne. Les origines de
ekaslhülJaJ?l navadvaram apidhasyamy agarakam(
\cette littérature rmnontent aussi haut peut-etre que l'Épopée,
ka hi kanlam ihayanlam ayaf(L kanleli maf(Lsyale (/
mais les recueils tels que nous les lisons, apres les transfor-
akamaJ;¿ kamarüpelJa dhürta narakarüpÍJ.laJ;¿j
lnations et les additions qu'ils ont subies, ont pris forme bien
na punar pralibuddhami jagrmij j
plus tardo Les plus anciens spécünens sont, d'une part, le
anarlho 'pi bhavaly arlho daival pürvakrlena vc7/
Harival11-sa, dont on a fait une maniere d'appendice au
saf(Lbuddhahar¡l nirakara naham adyajilenclriyaj j
Mahabharata; d'autre part, l'ensemble des PuraI,la, traités
sukhaJ?l nirasaJ;¿ svapili nairasyaf(L paramal?l sukhalnj /
plus ou moins volumineux, matériaux composites lachement
a sam anasaf(L krlva hi sukhaJ?l svapili piligalclj j
agglomérés autour d'un noyau primitif, ce qu'on appelle
« J'ai. vécu longtemps, enivrée que j'étais, aupres le ou les « cinq caractéristiques» (création du
d'un amant qui n'était, lui, nullement enivré. Je lnonde, re-création du lnonde, généalogies divines, eres des
n'avais pas abordé jusque-la le Bien-aimé situé tout Manu ou dynastes fabuleux, généalogies royales).
pres de moi. Maintenant je vais boucher la nlaison L'appréciation linguistique de cette littérature est rendue
(= le corps) a une colonne et a neuf portes. Quelle difficile par le fait que la transmission orale est en général
femme pourrait se dire ' voici mon amant ! ' en voyant défectueuse. Ces textes ont subi les memes normalisations
venir un tel amant? Les fourbes, forme incarnée que l'Épopée, sans que la comparaison de versions distinctes
de l'enfer, qui sont en réalité sans amour, ne l1le permette d'aller au dela du témoignage des lnanuscrits.
tromperont plus avec les apparences de l'amour; je nle S'il y a eu des scissions internes ayant abouti a des amvres
suis éveillée, je veille. Le malheur meme devient séparées - comme dans le cas du BrahlnaI,lQ.a et du Vayu
bonheur par l'effet du destin ou des actes antérieurs ; qui paraissent remonter a un meme original - , dans l'en-
je suis éveillée, j'ai rejeté les apparences, j'ai cessé semble on n'oserait soutenir que la tradition ait évolué
désormais d'avoir les sens invaincus. Qui est sans a partir d'un PüraI,la unique, tant la diversité est grande,
espérance dort heureusement; etre sans espéranee, non seulmnent dans le contenu, mais dans la fonne.
voila le bonheur supreme. PingaHi dort heureusenlent
quand elle a eu fait de l'espoir un non-espoir ». 1. Pas d'étude d'ensemble. Quelques remarques sur le vocabulaire chez
(Mahabharata XII 168 48). Abegg' (trad. du Pretakalpa, notes), Jahn (analyse du Saurapur.), Pargiter
(Pural).a Text et ailleurs). Il existe une étude consciencieuse sur les archalsmes
du Bhagavata (surtout dans le verbe) par FJIVleier ZII. 8 33. Cl. en général
Michelson JAOS. 29 284. Certains Pural).a, comme le s'inspirent,
forme et fond, du MhBh.
116 LA LANGUE ÉPIQUE ET SES PROLONGEMENTS LES 117
Il ne manque pas de passages qui, par leur densité, par le 471 62 « il est délivré de tous les maux », ou l'usage persistant
souci relatif de présentation artistique, rappellent les meil- du dérivé en -tr- commemembre ultérieur, type sargakartr
leures portions de l'Épopée 1 : ainsi l'épisode de la visite aux 11 38 « faiseur de la création ». On hésite a taxer d'archa'islne
Bnfers dans MarkaI).Q.eya ; quelques-uns meme évoqueraient, la position répétée d'une particule explétive comme vai
mutatis mutandis, les Upani 9ad, ainsi le récit de Bharata ou celle, plus sporadique, de la vieille formule ya eva1?l veda
dans ViglU 11 13-16. Le Mahabharata est d'ailleurs exploité 125 64 « celui qui sait ainsi »1.
directement dans nombre de morceaux, généralement pour La structure de la phrase, le style, nlarquent un glisselnent
aboutir a des amplifications : ainsi l'épisode de Yayati, par rapport au niveau moyen des textes épiques. Le pada
reproduit dans plusieurs PuraI).a, le dialogue du pere et du est bourré d'épithetes ornementales, de vocatifs et autres
fils chez MarkaI).Q.eya, la légende de SavitrI dans Matsya, etc 2 • chevilles; le procédé de la répétition peut se dégrader en
En gros, la langue puraI.üque n'est autre que -la langue de écholalie, faisant penser aux formules rituelles (yajus) du
l'épopée privée de ses archaYsmes et, en majeure part, de Veda : ainsi la séquence jayananta jayavyakta jaya vyak-
ses singularités lnorphologiques. Ceci ne veut pas dire que les tamaya prabho 17 18 et suivants, ou la suite d'adverbes
PuraI).a soient écrits en correct, il s'en faut, mais ekadlul sa dvidha caiva tridha ca bahudha punaJ:¿ 57 25 ; dans
seulement que les anomalies sont moins voyantes. Ce qu'il les panégyriques ou stotra, on a de longues litanies d'épithetes
en reste est de type plutót banal, comme l'emploi abusif assonantes, comme celles de l'hymne a Siva qui occupe les
de la voix moyenne dans bhavasva 406 39 3 et analogue, du pages 502 a 506 incluso
theme fort dans l'accusatif pluriel apas, dans l'impératif On craindrait de parler de sanskrit populaire - nous ne
bravrhi, un trait de syntaxe tel que sarvapapaiJ:¿ pramucyate l'atteindrons décidément jamais - , cal' la phraséologie est
guindée et emphatique. Il faudrait dire plutót : sanskrit
l. Cf. aussi Brahmavaiv., XLVII 50-161 (( la parade des
vulgaire, au nloins par la syntaxe, qui est extraordinairmnent
fourmis » trad. Zimmer). - Si l'on admettait que l'Épopée émanat d'un original relachée, sanskrit désentravé par rapport a PaI).ini. L'évo-
pkt, il faudrait envisager la meme hypothese - eonséquenee absurde - pour lution linguistique a partir de I'Épopée n'est pas fort accusée :
les Pural).a; ef. la diseussion entre Pargiter et Keith ehez "Vint. 1 524 n. 2. -
Seuls le et le Bhagavata-Pur. présentent des garanties textuelles, paree
le style « verbal » continue a prédominer, avec une abondance
qu'une suite de eommentaires renforee, a partir d'un eertain moment, la tradi- extreme de parfaits narratifs que favorise, il est vrai, le
tion verbale. En outre le Bhag. donne l'impression d'une eomposition unitaire récit mythologique. La composition nominale en est au
et « personnelle ».
2. La KavMI. ehap. 7 début a le sentiment de la diversité des styles quand
lneme point, si ce n' est le progres des finales dites samasanta)'
elle distingue, apres la « langue de Svayalp.bhü » (le Veda), celle « des Seigneurs »
puis « des Sages », « des », en fin « des », chacune avec ses carac- l. Les « tics » de phonisme ou de morphologie sont peu nombreux, rüpadhrk
téristiques, et ajoute que « des exemples (de cette quintuple langue de et analogues 10 33, 18 24 pour odhrt; babhau (déja épique) pour babhüva 93
Brahman) se rencontrent dans les Pural).a» : tableau fantastique, mais tout 88, 502 156, 544 55 etc. Pischel KZ. 41 184. Pargiter Pural).a Text, passim,
de meme, comme souvent dans l'Inde, a base réaliste. Analogue releve des formes incorrectes dans les noms de nombre. De fait, on a saptii-
III 4. vilpAati (Hariv.) catural; (nomin.) vi1]1sat etc., mais des faits de ce genre ne font
3. Citations par pages et versets de Kirfel Pañcalalqml).a. défaut a aucune époque.
118 LA LANGUE ÉPIQUE ET SES PROLONGEMENTS
LES 119
progres aussi de l'mnploi du pronom la comme article défini lavada no 'bhavalj dvitlyo' pi pralikriyal]l
et comme équivalent d'un pronom personnel de 3 e personne. te uklvanlanlhana1]1 jagamaj kalena
En revanche, les formations compliquées sont évitées, plus yacchata sa sal,ldaso yajiiam ayajalj
encore que dans l'Epopée, si ce n'est le précatif, qui tend .cacarye lad
d'ailleurs a se confondre avec l'optatif pour l'elnploi 1. ,aslhaya ya¡navasane mama Samal]lSal]l bhojana1]l
deyal?l tal sal]lskriyata1]l uklva
Spécimen 13 bhüyas ca kl'lva rajajiiaya
sl,ldaséit saudaso mitrasahanama yo 'sav atavyaITc mal]1Sal]1 sal]lskl'lya rajiie nyavedayalj asav
ml'gayagalo vyaghradvaYaln apasyalj labhyaITL ca tael' api hira(lyapéitraslhila1]1 ma1]lsam adaya
vanam apaml'ga1]l kl'lamj sa caika1]l layor 'bhavalj agataya ca
j ag han a j lnriyama(la S casav ati bh ka1'Cl- nivedilavanj sa cacintayalj aho rajiio' sya dauJ:¡,-
sllyam yenailan mal]1sam asmakal]1 pl'ayacchatij kim
eiad dravyajéitam iti dhyanaparo 'bhütj apasyac ca
1. Si nous prenons l'épisode de Purüravas dans les PurillJ.a, comparé a la
version du SB. XI 5 1, nous constatons une série d'expressions tan ma1]1samj la la s ca
faeilitées, et d'autre part un progres du tour passif et de l'expression nominale. taceta ra¡ana1]1 prali sapam ulsasarjaj yasmad
En face de mo sma tva nagnárr/. darsam, le Puro 356 11 sqq. a anagnadal'sanam abhojyam asmadvidhanal]1 tapasvinam avagacchann
(et l'expression akamállí sma ma nlpadyasai est ehangée en sakamayc71F ca
maithunam). En face de dvyurmJa sáym:w úpabaddhasa, le PUl'. a dvau meiJau-
api bhavan mahYal]l dadéiti tasméit lavaivéitra lolupa
sayanc7bhyc7se tadc7 baddhau ca tiiJthataJ:¡. En faee de putrálfí harantlti,' putl'O me buddhir
'hriyateti (et plus loin putra mama hrtau). En faee d' avrráJ:¡,' anéithc7yaJ:¡. En faee
de sá nagná ev'dn{¡tpapéita,' nagno rc7ja pradhc7vitaJ:¡. En facede gandhal'vtt « De Sudas a naquit Saudasa, alias Mitrasaha. Celui-ci,
vidyútm]l janayá1l1 Cakl'u{l,' gandhal'vail' vidyud apy athajutpc7dita... yayau.
En faee de tá1l1 yátha dlvaivál?/. nagnál]l dadal'sa táto haiveyál]l tiróbabhiiva,'
étant allé chasser dans les bois, vit un couple de
nag na 1l1 driJtva til'obhiitéi (mais ef. SB. aussi, plus loin, ét til'óbhiitéim). En faee tigres, qui avait fait le vide de tout gibier dans la
d'ayál?/. val sá mamliJyo yásminn ahám áuc7tsam lti,' sa eiJa pUl'uiJottamaM yasminn foret. Il en abattit l'un des deux avec une fleche.
aham avéitsal?/. vai. Plus loin le mantra hayé j áye mánasa tliJtha ghol'e uácc7lfísi ...
est cité sous la forme corrompue jc7ye 71.0 (ou : c7yc7hi) tiiJtha manasa ghol'e vacase
Au moment de mourir celui-ci se changea en un
(sic). En face de swlívatsal'atamíll¡ rátl'im ágaclzatéit tán ma élcc71lí l'átl'im ánte d'aspect effrayant, au visage hideux. Le second tigre
sayitáse jéitá u te 'yál]1 tál'hi putl'Ó bhavitéti, le Puro a sal?/.vatsaréit lcwnc7N/s te disparut de son coté en menagant le prince de sa
bhaviiJyanti ... nisc7m elcc7l?/. ca ... niuatsyasi maya saha. En face de gandlzal'ud'
val te préitál' uárm]1 déitáraJ:¡,' gandharvc7 val'adc7s tava. En faee de tál]l vn u /sai ,'
vengeance. Apres quelque tmnps Saudasa accomplit
tal?/. UnÚiJva (le SB. plus 10in a aussi tál?/. val me tuám euá Vr1JriJua). En faee de un sacrifice. Le sacrifice étant tenniné et le maitre
tásmai ha silzalydm ópyagnll?/. pl'ádaduJ:¡,' piirayituc7gninc7 sthallm. Mais ceci ne (de la cérémonie), étant déja parti, le
donne qu'une faible idée de la différenee profonde entre les réeits védique et
purillJique, eette désartieulation que présente le texte le plus jeune, avec bourrage·
qui avait pris la forme de dit au prince :
d'éléments adventices dans les parties disjointes. Des comparaisons sont 'tu dois, maintenant que le sacrifice est fini, me
possibles grace aux éléments que dispose Sieg Sag'enstoffe, passim; ou depuis,. donner de la viande a manger. Fais-la préparer;
Hariyappa Legends through the ages (1953).
je vais revenir '. La-dessus, il s'en alla; il prit le
120 LA LANGUE ÉPIQUE ET SES PROLONGEMENTS LE BHAGAVATA 121
déguisenlent . d'un cuisinier, prépara de la viande dh[mahi (et adldmahi) , [mahi, qui rappellent les fornles
humaine sur l'ordre du roi et la présenta au roi. similaires ou analogues du 1}gveda, l'adjectif dita au sens
Celui-ci, prenant la viande nlise sur un plat d' or de « réparti», le participe etc. ; il use des racines
attendit le retour de Quand revint, plus ou moins obsoletes [g,- nij- yabh- rá- ribh- vidh-, il manie
il la lui présenta. se dit : quelle inconvena,nce les locatifs singuliers en -an, les nominatifs pluriels en -is,
de la part du roi de m'offrir de la viande ! Quelle peut les infinitifs en -tave (dont il ne redoute pas de faire le régime
en etre la nature ? Et il se voua a la lnéditation, et de sak- 111 5 47 na saknUlnas tat pratihadave te « nous ne
vit que c'était de la viande humaine. L'esprit agité pouvons te le livrer » ; ou bien le membre final d'un composé
de colere, il langa alors une lnalédiction au roi : XI 5 50 bhabhál'ásul'arájanyahantave « pour détruire démons
'puisque vous nle donnez une nourriture qui n' est et fardeau de la terre »). Il affectionne des mots
pas propre a etre consomnlée, insultant ainsi les ou des sens vieillis, suga « qui chante bien », mahi « grandeur »,
saints hOlnnles que nous sommes, vous n'aurez vous- « organe des sens», pl'atna « ancien», asutrp « qui se
nleme d'appétit que pour cette nourriture ! ' » réjouit de vivre», pUl'U o « beaucoup » parus (pour pal'van)
puraJ).a IV 4 19). « articulation», etc., et cf. les particules ud id vává l • Dans
tel ou tel cas, plutót qu'un archa'isme délibéré, on observera
LE BH.AGAVATA. - Un PuraJ).a se détache nettement du le souci d'adhérer a la théorie grammaticale en posant une
lot, le Bhagavata, l'un des plus récents sans doute dans la forme rare, lnais classique, comme l'impératif en -tat. Sans
série des dix-huit PuraJ).a (on l'attribue sans preuve décisive doute s'agissait-il de confirmer par le choix du langage
tantót au x e , tantót au xnr e siecle) ; il a pu subir l'influence l'ambition d'un texte visant a rassembler les forces vives
directe des poemes savants qui avaient atteint depuis long- du et a diffuser la bhakti ou « dévotion» a base
temps leur apogée. Le style du Bhagavata est chatié, recher- te.
ché meme, avec de longues phrases oratoires,· des inlages
somptueuses, un déploiement de moyens linguistiques qui,
sans etre précisément du « kávya », dépassent pourtant les 1. Le tout cité d'apres Meier (supra p. 115 n. 1). Des erreurs a prétention
prétentions ordinaires de la Smrti. On dirait par endroits pédantesont les aoristes araudi?lt ahárasU akiiraslt (inauthentiques sva-
une anlplification de la Bhagavadglta, épisode spirituel inséré rabhakti), ainsi qu'abha7ikta (de bhaj-). Cf. enfin le sens de eau » donné a go·
«
1 10 36 XI 7 50 et J. As. 1939 321, passim.
dans le Mahabharata et qui participe au style épique tout en Il n'est pas étonnant qu'il se soit glissé des pseudo-védismes, comme l'impé-
visant a plus de lnesure et de surveillance. L'auteur du ratif avajña (= °jiinfhi) X 89 46, le parfait (?) sayire (refait sur véd. saye)
Bhagavata, imitant les habitudes d'une certaine poésie X 66 25. Un cas typique est VI 1648 yal]1. vai svasanlam amz viSvasrjaJ; svasanti/
yal]1. cekitiinam anu cittaya uccakanti celui a la suite duquel, quand il
«
savante de basse époque, parseme son texte de formes védi- respirent les dieux, a la suite duquel, quand il pense, pensent les organes de la
ques, rgvédiques meme, plus d'une fois employées a contre- connaissance (?) », OU le premie!' pada paraphrase KauU. III 2, et le second
sens ou nl0rphologiquement suspectes. Il a ainsi les optatifs adapte le meme cadre a une expression cekitiinamjocakanti tirée de la juxta-
position (mécomprise) cakiinálJlcékitiinaJ; RV. VI 36 5.
TANTRA 123
122 LA LANGUE ÉPIQUE ET SES PROLONGEi\IENTS
LES TANTRA. - Aux Pural).a succedent les Upapural).a de la (cf. le Padukapañcaka, le
ou « Pural).a secondaires »\ plus récents en principe, mais de presque en leur entier). La phrase est ici littéralement asservie
facture exactement cOlnparable. Les innombrables stotl'a a la pensée occulte. Sans qu'il y ait renouvellement véritable
{( louanges » et Jnahat111ya « glorifications » gravitant autour de du lexique, on trouve des acceptions modifiées, bouleversées
cette littérature ont en généralle meme style que les portions (coexistant parfois avec les acceptions normales). C' est a
hymnologiques des Pural).a. Seuls les stotl'a attribués a de peine si ces tendances extremes intéressent l'histoire de la
grands noms, a Sankara entre autres (telle l'AnandalaharI, sélnantique, a plus forte raison celle de la langue. C'est
en metre sikhal'iT:d) , sont en style « kavya »,' c'est meme le la ou « langue conventionnelle »1. Il s'est créé
redressement linguistique qui a sans doute provoqué l'attri- un alphabet mystique OU chaque lettre est chargée d'évo-
bution. Il serait vain de circonscrire des faits de langue, cations sémantiques; a ceci s'ajoute l'usage (connu ga et la
d'autant plus que ces textes ont été sujets conlme les précé- dans le Veda, cf. 01]1, hit{t, etc.) de syllabes vides de sens
dents a des inter-influences et des normalisations. propre, comportant une résonance nasale et donnant lieu
La teneur pural).ique se poursuit dans les grands a des acceptions et équivalences variées 2.
inaugurant les canons sectaires, c'est-a-dire les Agama Dans une tout autre direction, on notera le prolongement
siva'ites, les Sarphita vi¡;;l).uites et les Tantra proprenlent, dits, de la phraséologie épique pour plusieurs ouvrages que leur
lesquels se sont associés de fait avec le culte de la Sakti.
Aucun de ces textes n'a été étudié de pres quant a la forme, 1. Sur la notion de Vidhusekhara SastrI IRQ. 4 287 peh.
et les conditions dans lesquelles ils se présentent ne rendent Bagchi IRQ. 6 389. Il s'agit ici, il est vrai, de textes d'inspiration bouddhique,
guere l'approche encourageante. Dans les Tantra, les portions mais les caracteres linguistiques sont les memes. - La remonte
a l' AV. ou l' on trouve des formules comme vrás ca eirás ca XI 7 3 et passim.
didactiques sont sur le plan de la versification pural).ique, 2. A propos de textes tantriques du bouddhisme, Filliozat Manuel 2 593
tandis que les prieres, les eulogies divines, rappellent les note que « d'apres la symbolique érotique, non seulement upáya désigne le
tendances des stotl'a; certaines reflétent menle, de maniere yogin, prajñá la yoginI, mais encore la mudrá (sceau, geste ou opération corpo-
relle de Yoga) est la femme qui fait fonction de yoginI, le vajra et le padma
fort approximative, des usages de la poésie védique (Athar- (foudre et lotus) sont respectivement les org'anes masculin et féminin, le bodhi-
vaveda). D'autre part il y a dans les Tantra une préoccupation cilla (produit de la conjonction de l'upáya avec la prajñá) est la semence,
forcenée d'ésotérisme, qui se traduit par un style contourné, ma1J.i (joyau) peut aussi désigner l'organe male (d'ou la possibilité d'une inter-
prétation érotisante de la formule 01'(1. ma1J.i padme lnl1'(1.), etc. De plus, le symbo-
,débordant d'expressions symboliques, tel qu'on l'a par lisme peut etre réciproque, les désignations crues servent dans le Tantra soit
,exemple dans les « réalisations» d'images divines (Mahanir- enleur sens propre, soit en leur sens symbolique )l. Et plus loin, un symbolisme
«
val).atantra XIV 32-39 Prapañcasara XVII 5-17), ou bien phonique représente encore la praji'íá et I'upáya, la syllabe a, di te áli, corres-
pondant a la premiere, la syIlabe ka, dite káli, au second », - Il Y a fort peu a
,dans les descriptions de l'anatomie mystique, de l'ascension tirer, pour la langue, des notes d'Avalon (diffus et inexact) et autres éditeurs
de Tantra. Les lexiques spécialisés, ainsi l'Uddharakosa de DalqlÍI).amürti,
proposent des équivalences et synonymes, glosent les lettres de l'alphabet, etc.
1. Une note de Gonda Skt in Indonesia signale incidemment l'apport lexical
Qu'on pense aux résonances multiples qu'éveillent dans le tantrisme des mots
,qui est a tirer de tel de ces upapurá1J.a (en fait, de la Kalika, texte semi-tan-
de caractel'e banal comme bindu « goutte » ou ncída « son ».
trique).
9
124 LA LANGUE ÉPIQUE ET SES PROLONGEMENTS
AUTRES TEXTES VERSIFIÉS ET STYLE « KARIKA» 125
affabulation rattache plus ou rnoins directement a l'Épopée : poésie, 111eme peu exigeante, du sastra, est décidément rebelle
l'Adhyatmaramayal).a, que la tradition considere d'aille:lrs a la paraphrase, a l'explication littérale nourrie de grammaire
comme partie intégrante d'un Pural).a, est une adaptabon et de lexicologie.
symbolique du poeme valmIkien; le .Yogavasü¡;tha ,est une Le traité linguistiquement le plus intéressant est la Manu-
compilation de type pural).isant relabvel11ent relev.e; en fin smrti 1. Le style épique, décelable notaI11ment par l'el11ploi
le J aÜ11inibharata, en style plus élaboré, brode hbrm11ent des particules, a été ici appliqué avec soin, elans un souci
sur l' a sValnedhika de la grande épopée. visible ele purisme. La nécessité d'avoir a enseigner eles
choses importantes sous un volume restreint, la survivance
LA SMRTI. - Un autre donlaine qui, par bien des aspects, aussi peut-etre el'anciens sütra, oní amené une relative
est insép;rable de la matiere épique, est la Smrti al: _sens fermeté ele l'énoncé, elans les portions techniques; dans les
étroit du terme, c'est-a-dire l'ensemble des Dharmasastra portions initiales et finales au contraire, notamment dans
versifiés qui, des la fin de l'époque védique, avaient .succédé le granel exposé cosmogonique elu elébut, le style penche
aux Siltra, les parties en vers empiétant progresslvenlent vers le Pural).a. Mais les épisl11es linguistiques ne font pas
sur la prose qui ne comportait a l'origine que des v.ersets eléfaut (il y a elu reste eles concorelances nombreuses avec les
isolés ou en petits groupes 1 • Seul le Gautal11a, peut-etre le parties elielactiques de l'Épopée), la versification est négligée.
plus ancien du genre, avait maintenu la prose de en Plus technique, la Yajñavalkyasmrti a les memes caracteres
bout. A partir de la qui marque la translbon, de présentation serrée, parfois jusqu'a l'obscurité 2 • Les
les vers se massent en fin de chapitre, apportant une affabu- exigences de l'enseignement jurielique ont provoqué la diffu-
lation-cadre en style pural).ique. Dans les Smrti classiques, la sion de l'optatif prescriptif a partir eles vieux Dharmasiltra ::
prose a disparu : ainsi dans l'reuvre qui marque l'ap.ogée du l'importance en est soulignée par la MImamsa quand elle:
genre, la Manusmrti ou « Lois de Manu ». Meme 11lbandha, intime que l'injonction a pour mode d'expression l'optatif
ces compilations juridico-religieuses du Moyen Age conser- kuryat kriyeta kartavyalF bhavet syad itipalicamam etat syiit ...
veront la forme versifiée, y compris l'énorme Caturvarga- vidhilak§alJaln (Sabara ad IV 3 3) « on doit faire, il doit y
cintamal).i qui est un peu en Ínarge : le processus de versi- avoir (etc.), telles sont les cinq formes caractéristiques de
fication a contaminé maint texte ancien, poussant a en donner l'inj onction »3.
des « traductions» en verso La préface en prose du Narada,
rare survivance, est sans doute apocryphe. Seuls dm:neurent AUTRES TEXTES VERSIFIÉS ET STYLE « KÁRIKÁ». - Peu
fideles a la prose, ici comme ailleurs, les commentaIres : la de disciplines normatives ont échappé a la versificabon.
1. Sur la teneur versjprose des textes anciens de Smrti, les 1. Rien sur la :Manusm!'ti, sinon des notes anciennes, fragmentaires, de
plus récentes sont celles de PVKane History of 1,. Cf. aUSSl B6htlingk SBSachs. 48 250; sur la métrique, Oldenberg ZDMG. 35 181.
JJMeyer Gesetzbuch U. Pur., passim, pour le vocabulmre, amSl que 2. Sur les portions « ultérieures » de Yiijñ., Losch die YSmr ti p. LVIII.
Sühnezeremonien, passim. . 3. Edgerton Language 4 171.
126 LA LANGUE ÉPIQUE ET SES PROLONGEMENTS AUTRES TEXTES VERSIFIÉS ET STYLE (( KÁRIKA» 127
Nous venons de voir les versets s'introduire peu a peu dans et les difficultés supplémentaires qu'impose la fornle métrique.
la Smrti ancienne. La OU ils demeurent isolés ou que, rnenle Des la fin de l'époque védique, alors que la généralité des
en série, ils révelent. une intention mnémonique, Pratisakhya avaient conservé la présentation aphoristique,
on les appelle des káriká ou « versus »1. en celui du 1}gveda adoptait le vers, sans doute secondairement :
rencontre déja dans le plus ancien commentaIre grammatIcal, signe de la popularité plus grande de ce texte, qu'envahissent
le Mahabha9ya, a l'état dispersé, a coté de varttika du meme coup diverses matieres adventices. La poésie a
dits Slokavártlika 2 • I1s sont bien plus nombreux dans certalnes toujours été dans l'Inde moins protégée que la prose contre
ceuvres en prose qui paraissent émaner de la combinaison les interpolations.
de süira et d'une glose de type archa'ique, en sorte qu'ils La métrique elle-meme est enseignée sous forme versifiée,
ont l'air d'avoir remplacé les anciens süira noyés. Toutefois, du moins postérieurement aux Chandal,lsiitra, qui sont censé-
¡'
conformément a la tendance premiere, ils se massent en ment de date védique et participent a la tendance ancienne
petits groupes, en fin de chapitre, et reprennent en le vulga- vers une structure « süira ». Est également versifiée la lexi-
risant l'exposé donné en prose. C'est l'arrangement qu'on cographie, depuis les origines, c'est-a-dire depuis l'époque,
observe dans le Kautillya ou le Kamasiitra, ou encore dans inconn ue, d' Amarasil1lha. Versifiées les ma théma tiques et
les premieres Sa:rp.hita médicales (cf. p. 136). 11 est vrai_ l'astronomie : ainsi l'Aryabhatlya condense ces deux disci-
la In eme disposition (style süira/ avec des plines en 123 strophes de metre árya, tan di s que le Siiryasid-
groupées en fin de chapitre) se dhanta, le classique de l'astronomie, est rédigé en sloka
dans la I{avyamlmarp.sa (xr e sIecle). Mals 11 s aglt lCl d une (les aphorismes de base, s'il y en a jamais eu, sont indiscer-
imitation flagrante de modeles anciens, comme le montre nables). Un traité de mathématiques postérieur, la LHavatl,
entre autres la longue citation de Patañjali enkystée au se pique, au moins dans les exemples, de style littéraire,
chapitre 6 (25/26). . hautement imagé.
Qu'il s'agisse ou non d'anciennes káriká gonflé.es en ceuvre Dans l'Économie, COlnme en Érotique, les ouvrages qui
autonome la versification didactique a envahl la plupart ont fait suite a ceux des fondateurs sont égalenlent en vers
des domaines normatifs. Si la grammaire est restée fidele - sans qu'il y ait, par exemple, grand-chose de comlnun
aux aphorismes (y compris la grammaire p_rakrite rédigée entre les strophes fluentes et molles de Kamandaki et la
en sanskrit; exception isolée pour le densité du Nltivakyamrta, qui garde le reflet de la facture
xvne siecle), en revanche la « philosophie grammabcale», kautilyenne. 11 en est de meme pour toutes les disciplines
a commencer par le Vakyapadlya, est versifiée : strophes que la tradition rattache a l' Arthasastra, comme la musique,
ardues, qui ne sont que du modifié, avec les elhpses la peinture, l'architecture (Silpa). Les ouvrages d'architec-
ture sont ceux peut-etre qui offrent la forme la plus basse,
1. Définition de la káriká NátyS. VI 11 et 14 ; plus tard Nyáyamañj. 418 etc. la plus « vulgaire» qu'ait atteinte le sanskrit didactique.
C'est ce que les Jaina appellent nijjutti. . .
2. Singularités de forme dans les kár. grammatIcales, Krelhorn lA. 15 232. La composition en süira n'aurait jamais pu des cendre si
baso Sans doute ces lnanuels étaient-ils dus a des gens de peu
128 LA LANGUE ÉPIQUE ET SES PROLONGEMENTS AUTRES TEXTES VERSIFIÉS ET STYLE « KÁRIKA» 129
de culture, malgré les exigences que la Vastuvidya 1 12-15 dans l'introduction amplement cosmogonique), plus serrée
(entre autres) pose pour l'exercice du métier. Il n'y a pas de dans les parties didactiques. On y rencontre des traces de
trace décisive de substrat moyen-indien, c'est simplement lnorphologie et de vocabulaire épiques. La encore, il se peut
du sanskrit « incorrect», ou foisonnent les approximations, que le texte ait noyé d'anciens sütra, les ait d'emblée enrobés
fautes d'accord, de genre, de sandhi, composés mal ajustés, de paraphrase. Quoi qu'il en soit, les traités de poétique
aux 111eInbres inversés, confusions dans l'emploi des cas, ultérieurs, a partir de DaI).Q.in, sont rédigés en versets concis,
des voix, des temps, morphologie peu súre, sans parler de la souvent abstrus (le modele du genre est le Kavyaprakasa
métrique, fort défectueuse 1 • ou encore les dhvanikarika), mais rigoureusement «corrects )).
Au contraire, les lnanuels versifiés dans l'ordre de la philo- Le genre « sütra)) a été rarement maintenu : on le trouve
sophie sont soignés, lneme la populaire PañcadasI (XIV e chez Vamana, chez Hemacandra, chez Ruyyaka, sans doute
siecle), compendium du Vedanta sailkarien, qui contient par influence des écoles grammaticales (cf. p. 55).
d'ailleurs des passages non exempts de recherche littéraire.
Seulle Vedanta, sans doute en raison de son extreme diffusion, Spécimen 14.
a produit des manuels poétiques 2 • Les autres systemes n'ont trayl varita s ceti vidya/Jj trayl
abandonné le sütra que pour s'engager dans le 11 est varita dalJg,anJti s ceti lnanava/Jj traylvi hy anv[-
exceptionnel que, comme dans le Sarp.khya, les sütra primi- vartta s ceti barhaspatya/Jj sarrwa -
tifs,· qui ont été perdus, aient été remplacés ou traduits hi trayr lokayatl'avida itij dalJg,anltir
par des « versus nlenloriales)) (des le lIle siecle ?), rivalisant eka vidyety ausanasa/Jj tasyal[L hi sarvavidyarambha/J
d'ailleurs de concision avec la langue aphoristique, mais non pl'atibaddha itij catasra eva vidya iti kautilya/Jj tabhir
sans maintenir ga et la des images frappantes et meme des dhal'mal'thau yad vidyát tad vidyanaJ?1 vidyátvamj
développements romancés. saJ?1khyaJ?1 yogo lokayata1]l cety dharma-
En poétique-drmnaturgie, l'ouvrage de base, le Natyasas- dhal'mau tl'ayyam arthclnarthau varitayaJ?1 nayapa-
tra de Bharata, de date indéterminable, est de teneur pura- nayau dalJg,anltya1]l balábale caitasal[L hetubhir anvrk-
l).isante, plus relachée dans les parties descriptives (ainsi lokasyopakaroti vyasane ' bhyudaye ca buddhim
avasthapayati prajñavaleyakriyavai saradYa7?l ca karotij
1. Aeharya Indian Arehitecture 199 note pour le Manasara, le « elassique »
pradrpa/J sarvavidyanéim upaya/J sarvakal' ma lJ am j
du genre pourtant, une série de fautes grossieres. Relevons eomme eas typiques
kal'masya I 7 namam II 3 tl'ayaligulam VIlO silpi = silpa passim, prathame asraya/J sasvad mata/!
palikte et antye pmiktyam VI 25-26, dadet, passim, sal've (loe.), passim. Le
bulaire de l'arehiteeture est enregistré par Aeharya Eneyel. of Hindu Arehi- « La philosophie, le Veda, l' économie et la politique
teeture. . sont les sciences. L'école de Manu dit : le Veda, l'éco-
2. Aussi les dérivés, meme lointains, du Vedanta. Ainsi dans le Sivalsme nomie et la politique, la philosophie n'étant qu'une
kasmirien, les Spandakarika et l'lSvarapratyabhijñasütra (qui, bien que
dénommé sütra, est versifié); de meme, un aménagement en strophes arya,
subdivision du Veda. L'école de Brhaspati dit :
par Abhinavagupta, d'un texte en karika plus ancien vVint. 3 446. l'écononlie et la politique, lé Veda n'étant qu'une cou-
130 LA LANG UE ÉPIQUE ET SES PROLONGEMENTS AUTRES TEXTES VERSIFIÉS ET STYLE « KARIKA l) 131
verture pour celui qui se connait en matieres telnpo- Ztlda 1]1 nadrtal?l gau4air anuprasas tu
relles. L'école d'Usanas dit : il y a une seule science, la anuprasad api prayo vaidarbhair idam ipsitamj j
politique, car c'est en elle que se nouent les débuts de oja'f¿ samasabhüyastvam dad gadyasya jivitamj
toutes les sciences. Kautilya dit : il y a quatre sciences padye 'py adak$ilJatyanam idam ekal]1 parayalJalnj j
au total : on les appelle de ce nom paree que c'est iti padye 'pi paurastya badhnanty ojasvinlr gil'a'f¿j
par elles qu'on reconnaít les domaines du juste et anye tv anakulal?l hrdyam icchanty ojo giral]1 yathaj j
de l'utile. La philosophie, c'est le Sarpkhya, le Yoga idam atyuktir ity uktam etad gau40palalitamj
et le Matérialisme. Du fait qu'elle recherche le juste prastlulnal?l prak pra{lUal]l tu saram anyasya val'tmanalJ/
et l'injuste dans le Veda, l'utile et le nuisible dans
l'économie, la bonne et la mauvaise conduite dans « Le sanskrit est la langue divine, ainsi l'ont énoncé
la politique, en déterminant les causes de la force les grands Sages. Diverse est la gradation du prakrit :
et de la faiblesse de ces divers éléments, elle rend service dérivé du (sanskrit), identique au (sanskrit) ou régionaL
aux hommes, tient l'esprit ferme dans l'adversité La langue des Abhlra et autres s'appelle l'apabhrarpsa
comme dans la prospérité et confere l'habileté dans dans les CBuvres mais dans les CBuvres
la connaissance, la parole et l'action. didactiques, tout ce qui est autre que le sanskrit
Lumiere de toutes les sciences, lnéthode pour tous porte le nom d'apabhrarpsa. Cohésion, limpidité,
les actes, réceptacle de toutes les vertus, telle est unifonnité, harmonie, douceur, sens explicite, noblesse,
considérée toujours la philosophie». (KautilIya I 2). force, grace, transfert (d' épithetes), telles sont les dix
qualités considérées comme 1'ame du style vaidarbha.
Spécinwn 15. Les qualités contraires s'observent en général dans le
style gau4a. Les GauQ.a préferent ce qui n'est pas
Sal?lSkl'tal?l nama daivl vag anvakhyata conventionnel a l' exces, paree que (les mots ayant
tadbhavas tatsamo de sUy aneka'f¿ prakrtakrama'f¿j j cette qualité) se laissent analyser. Ainsi « l' astre
abhiradigil'alJ kavye$v apabhl'al]1sa iti smrtalJj aux rayons blancs, avec sa tache qui ressemble a un
sastre tu sal?lskrtad anyad apabhl'al]1 satayoditamj j lotus point tres blanc );. Le style poétique des gens
Sle$alJ prasadalJ samata madhuryal]1 sukumarataj de l'Est a pris du volume; il ne tient pas compte
arthavyaktir udal'atvam ojalJkantisamadhayalJj j de l'inégalité et considere la pompe du sens et des
iti vaidarbhamargasya pralJa da sa gUlJa'f¿ figures. Les GauQ.a, eux, ne font pas attention a ces
e$al]1 prayo lak$yate gau4aval'tmanijj (similitudes de son), ils aiment 1'allitération, tandis
vyutpannam iti gau4iyair natirü4ham apl$yatej que les Vaidarbha les préferent a l'allitération.
yathanatyarjunabjanmasadrk$al1ko valak$agulJjj La force consiste en une abondance de composés ;
ity analocya vai$amyam arthalal]1kara4ambarauj c'est la vie meme de la prose. En poésie, c'est l'unique
avek$amalJa vavrdhe paurastya kavyapaddhatilJj j objectif des gens qui ne sont pas du Sud. Ainsi, en
132 LA LANGUE ÉPIQUE ET SES PROLONGE:L\IENTS
poésie meme, les gens de l'Est cultivent les expressions
pleines de force; les autres préferent la force quand
elle est gracieuse et exempte de trouble. Les GauQ.a
se plaisent exagérément a l'hyperbole. Le mode
précédemment décrit (= la grace) est l'essence de CHAPITRE IV
l'autre style » (Kavyadarsa I 33 et passÍln).
Dans cette masse considérable de texte, il faudrait signaler LE SANSKRIT CLASSIQUE : LE A
séparénlent : a) la Brhatsarp.hita, recueil encyclopédique LA KATHA, LE KAVYA
(a base d'astrologie) 'de Varahamihira, donc du Vl e siecle :
l'ouvrage contient des passages en « kilvya» approximatif,
avec de longs composés, des phrases intriquées, des formes LE COMMENTAIRE DE TYPE ANClEN. - Les
recherchées; ainsi les intensifs pepfyale jegfyale bobhüyale commentaires classiques dérivent, pour la fornle, de la prose
dans la description des saisons - theme il est vrai privilégié des Brahmal,la, qui par son contenu était déja une sorte de
pour l'entrainement a la poésie savante 1 . La présence d'environ eomlnentaire appliqué tantót au rituel tantót aux hymnes.
64 metres distincts atteste le souci d'art ; il yen a déja 33 dans l\1ais l'aspect extérieur en a été durci par le long entrai-
le Brhajjataka du meme auteur, dont un troisieme ouvrage, 11elnent au genre « sülra», par l'accentuation progressive
la Y ogayatra, est lui aussi rédigé en style élaboré; du « style nominal». Ce qui, a l'époque védique, était Ilbre
b) la RajataraIiginI de Kalhal,la (xn e siecle, Kasmir) : jeu de formes analytiques, en dépit de la rigidité, du schéma-
l'allure sévere et dense de la chronique historique est entre- tislne du contenu, a abouti lnaintenant a etre un instrument
coupée d'épisodes descriptifs, de stances gnomiques qui monotone lnais puissant de raisonnenlent, d'interprétation,
atteignent sans effort une sobre et hautaine élégance. Les de dialectique, approprié a servir d'expression doctrinale
récits pathétiques ne nlanquent pas : on a l'inlpression, a tous les types de problemes et de disciplines. Les caracteres
rare dans l'Inde ancienne, d'un auteur qui a laissé sa lnarque linguistiques « abstraits ». se sont intensifiés : alternance
propre dans le style, et dont en somme le langage est devenu des noms d'agent en -aka- et des noms d'action en -ana-,
indissociable de l'émotion contenue qu'il traduiV. dérivés abstraits en -ta- ou en -lva-, composés longs, raré-
des formes personnelles du verbe.
l. Keith 532 ; ci-dessus p. 109 n. 2.
Le littéralement la « chose propre a etre parlée»
2. Notes de la traduction d'A. Stein, passim (termestechniques) ; apprécia- (souvenir de l'enseignement oral), cOlnprend non seulement
tion cl'ensemble ibid. 1 38 et Keith 169. Terminologie aclministrative Ranjit des commentaires au sens strict, par eXelnple des « expli-
,Sitaram Pandit (trad. de Rájatar.) 610.
cations» d'ceuvres littéraires en « kilvya», mais encore des
Bxposés plus ou moins indépendants en partant d'un texte
de base rédigé en sülra ou en vilrttika. Il y a diverses sortes
LE BHA$YA DE TYPE ANClEN 135
134 LE SANSKRlT CLASSlQUE
j'Hais le style de Patañjali (spécimens p. 76 et 78) est ene ore
de . , l' donnée Kavyamlm. 11 6/7) assez « primitif)) : les composés sont modérés, la phrase comporte
malS ces detmls n'llltéressent guere la typologie linguistique. ,des articulations variées, la subordination se marquant
L'ouvrage formant transition entre la prose archaYque et aussi bien par les conjonctions que par l'oratio recta (avec
le est le Nirukta de Yaska (lIle siecle ?), qui conserve iti, dont l'usage subtil se pergoit a plein pour la premiere
encore bien des traces de la raideur védique, tout en étant, fois), enfin par l'emploi d'abstraits aux cas obliques. Si le
sur le plan lnorphologique, du « classique )) a peu pres pur l • raisonnement est difficile a suivre, la fornle est toujours
C'est aussi une impression de raideur que donne au prenlier d'une admirable limpidité : elle transcrit pour ainsi dire
abord le Mahabha9ya (p. 72) 2, qui est le plus ancien texte les étapes de la discussion savante, d'une maniere « immé-
reposant sur un soubassement de controverses 3 , tel qu'en di ate )), dont le secret n'a guere été retrouvé depuis lors.
somme les élérnents dialogués des grandes Upanü;iad en avaient Cependant le style de Patañjali a été imité dans une série
le modele. Le débat est ici, le plus souvent, ünplicite : d'ouvrages, dont la date de rédaction n'est sans doute pas
11 se Joue entre un défenseur des varttika, un adversaire ou fort éloignée de celle de leur modele. Ce sont la Susruta-
la décision étant donnée (lorsqu'elle est donnée) et surtout la Caraka-sarp.hita, textes de base de la médecine,
par le ou « argumentation conclusive )) ; on dit aussi l' Arthasastra de Kautilya, inaugurant les domaines de
salnadhana « le-yée des doutes ))4. C'est le schéma qui se l' économie et de la politique,' le Kamasütra, traité fonda-
perpétuera dans la plupart des commentaires philosophiques. lnental de l'érotique, le Sabarabha9ya, premier commentaire
qui nous soit conservé sur les aphorismes de J aimini; il
1. a été traité comme un sütra (cf. ci-dessus, p. 56) et pourvu semble qu'on doive y joindre encore le Nyayasütrabha9ya
d'un varttIka (au sens de « exposé critique »), dont il subsiste des frao'ments de Vatsyayana l. Si différents qu'ils soient par le sujet,
cités chez Durga, Bishnupada Bhattacharya IHQ. 26 159. b
2. Sur la langue du MhBhaf?ya, notes éparses dans l'étude de ,Veber 1St. 13, ces ouvrages donnent plus ou moins l'impression d'une prose
328. La question serait a reprendre. Aucune étude sur la 1angue du mnplifiant d'anciens süira disparus ou partiellement disparus
Nnukta, pourtant d'un intéret capital. - Sur la terminologie grammaticale (p. 56). Le style en est plus direct, plus vivant que celui du
et para-gramm., v. mon Lexique et celui de KChChatterjee (1948).
3. Exemple de controverse érudite dans le Prabandhacintamani trad. 102 classique, les phrases plus courtes, il y a des traces
ou le disputant « expose 84 dilemmes captieux du grand su; d'archaYsme ga et la ; le contenu étant voisin de la prescription
l'Uttaradhyayana, en mots pareils aux vagues amoncelées de l'Océan ao'ité plus que de l'explication, la forme demeure incisive. Le
par les vents sauvages de la fin du monde » etc.
viigbhir
Sabarabha9ya 2 conserve dans une large nlesure l' allure
cahlrasllLVlkalpa¡alopanycísaprakrame ...
Sur les controverses a l'époque de Hiuan-tsang (vn e s.), Demiéville Manuel 1. Cf. vVindisch Úber d. Nyayabhaf?ya. Le vocabulaire technique a été étudié
2 406. Les plus anciennes attestations sont celles qui gravitent autour du nom par Spitzer Begriffsunters. z. Ny. Bhaf?ya. A basse époque, le style bhaf?ya semi-
du roi Janaka et sortent du cadre des brahmodya rituels, SB. 10-12 et BAU.- aphoristique, avec karika insérées ou postposées, a été délibérément imité par
ChU. (portions centrales). Rajasekhara (KavML).
4. !hieme GN. 172 parle (198) de la joie de « démolir» 2. Cf. Garge Citations in S.-Bhaf?ya (1952), passim. Une étude linguistique
les theses adverses, d ecarter les objections par des « arguties interprétatoires » serait souhaitable.
(phakkikii).
136 LE SANSKRIT CLASSIQUE LE DE TYPE ANClEN 137
dégagée, élégante, de la phrase patañjalienne ; le Kamasütra ndecchas tu kasnÚl]lS cit prayw1jate yatha pika nema
au contraire, et surtout le KautilIya 1, sont abrupts, denses, sata tamal'asaeli sabelas sal]ulehaJ:¿j kif!l nigama-
l' expression y est plutót rude et lnalhabile. Le texte linguiE:- sena elhatuto 'rthaJ:¿ kalpayitauya
tiquenlent le plus renlarquable est assurément ce dernier·, uta yatra mleccha acaranti sa sabelartha itij
avec son vocabulaire rare, néologique, la succession des pramalJyaJnuktaJ?l tasman nigama-
propositions sur le nleme patron, dominées par l'optatif , divasenelrthakalpanaj nigamael[nal?l caivam arthauatta
prescriptif, 011 alternent des composés longs et des résolutions anabhiyogas ca
analytiques : on dirait un grossissement du style « satra », abhiyogas tasmael elhatuto ' rthaJ:¿ kalpayita-
parfois presque une caricature. Quant aux traités médicaux, uya ity eVaJ]1 prapte bl'LlmaJ:¿j coelitam api
pour lesquels nous avons déja relevé (p. 126) cette insertion pratlyeta yat pl'amalJenaviruelelhaJ]1 tad
significative de versets, qu'on retro uve du reste aussi chez auagamyamanaJ?l na nyayyaJ]1 tyaldumj yat tu
Kautilya et chez Vatsyayana, la langue en est nettement iti tat ' rthej yat tv abhi-
archa'isante, celle de Caraka surtout, qui a conservé plus que yuktaJ:¿ itij tatrocyate abhiyuktata1'ClJ:¿
la Sarp.hita rivale l' équilibre entre la prose donlinante et les banelhane ca mlecchaJ:¿j
vers résomptifs ; l' élément « controverse», inspiré des VleUX yat tu nigamanil'LlktavyakaralJanam al'thavattetij
dialogues védiques, y est également mieux maintenu. arthavatta na yedra mlecchair apy
auagataJ:¿ sabelal'thaJ:¿j api ca nigamaelibhir arthel
SpécÍlnen 16. kalpyamane 'vyavasthitaJ:¿ sabelartho bhavetj tedl'ani s-
cayaJ:¿ syatj tasmat pika iti kokilo grahyaJ:¿ nemo ' l'elhaqt
coditaf!l tu pl'atlyetauirodhat pramJilJenaj
tamarasaJ?l paelmaf!l sata iti dal'umayaf!l patl'al]l
atha yali chabdan arya na kaSlnir(d cid artha acarantí
pal'imalJg,alaJ]1 satacchiell'amj j
1. Sluzkiewicz Roczn. Oro 5 108 caractérise la langue de K. comme compo- « Le sens imparti (a un lnot par les Mleccha ou
site, avec des élémen,ts anciens et des éléments de facture épique. Sur le vocabu- Non-aryens) peut etre admis, s'il n'est pas en contra-
laire, outre les notes, souvent précieuses, de JJMeyer, v. les recherches de diction avec une autorité.
Breloer (3 vols), de VaI1auri, de Jolly (citées 'Vint. 3509, ubi alia) et, en
de Konow Kautalya Studies, ainsi que Keith Mélanges BChLaw 1 477 (avec Quant aux mots que· les Áryens n' emploient pas,
conclusions chronolog'iques opposées). Agrawala India as lmown to Pan. discute quel qu'en soit le sens, lnais dont se servent les Mleccha,
nombre de termes administratifs et autres, qu'il trouve identiques ou ainsi pika, nema, sata, tamal'asa, "la question se pose
a des mots cité s par le grammairien. - Sur des formes en -ima-, type pravartima
« activité ) chez K., V. Mélanges V,Tinternitz 23. ' de savoir s'il faut déduire le sens de la racine verbale,
Le style archalsant de la KavML se marque par le début en athatas, par le en s'aidant du contexte, de l'étymologie, de la gram-
tour vidyanaTfl, vidyatvam, etc. - Rien sur les Sa:rp.hita médicales dont la syntaxe maire ; ou s'il faut accepter le sens tel que les Mleccha
est partiellement et peut-etre inauthentiquement archalsante. - Traces de
facture sütrajbhat}ya dans les portions en pros e du Natyas., ainsi aux chants 67 l'emploient.
7, 14 etc. Ce qui fait autorité, a-t-on dit, c'est l'usage des
138 LE SANSKRIT CLASSIQUE
clercs, non pas la tradition orale des non-clercs. Il
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