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Comptes rendus des séances de

l'Académie des Inscriptions et


Belles-Lettres

Un bas-relief votif consacré à Anaïtis


† Franz Cumont

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Cumont Franz. Un bas-relief votif consacré à Anaïtis. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres, 59ᵉ année, N. 4, 1915. pp. 270-276;

doi : 10.3406/crai.1915.73576

http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1915_num_59_4_73576

Document généré le 18/05/2016


270 BAS-RELTEF VOTIF CONSACRÉ A ANAÏTIS
MM. Salomon Reinach, Pottier, Collignon et Babelon
présentent quelques observations.

COMMUNICATION

UN BAS-RELIEF VOTIF CONSACRÉ A ANAÏTIS,


PAR M. FRANZ CUMONT, ASSOCIÉ ÉTRANGER DE L'ACADÉMIE.

Le bas-relief que reproduit la figure ci-contre n'est pas


une trouvaille récente. Découvert il y a plus de trente ans,
il est conservé, depuis une date peu postérieure, au Musée
de Leyde ; l'inscription gravée sur sa base a été publiée et
republiée1, mais le monument lui-même n'a été que
sommairement décrit, bien qu'il soit loin d'être dénué d
intérêt. Si je puis réparer ici l'injustice de ce dédain ou de
cet oubli, je le dois à l'obligeance dé M. J. H. Holwerda,
directeur du Rijks-Museum van Oudheden, qui, avec une
libéralité dont je me plais à le remercier, m'a envoyé de
Leyde une excellente photographie de ce curieux bas-relief
en m'autorisant à la reproduire.
Ce marbre fut trouvé avec plusieurs ex-voto, provenant
manifestement d'un temple d'Anaïtis, à Kioelnté près de
Koula, dans l'ancienne Méonie ~. C'est, comme on le voit,
une stèle trapézoïdale, surmontée d'un fronton garni d'acro-
tères et qui porte en son milieu une rouelle solaire ou une
patère de sacrifice. Les angles de ce fronton sont occupés
par des sortes de cornets dont l'interprétation m'échappe.
Au-dessous, une niche cintrée est divisée par une moulure
en deux tableaux, qui contiennent chacun l'image d'une

1. Tsakouroglou, Moucretov tîjç eùayy. a/oXfj; de Smyrne, V, 1884-1885,


p. 155, n° uXT' = Reinach, Chroniques d'Orient, I (1883-1890), p. 216; Lee-
mans, Verhandelingen der k.Akad. Amsterdam, XVII, 1886, p. 3 sqq., n° 1.
2. Il faut probablement lire Gjeuldé, qui est situé un peu au Nord de
Koula, près de l'ancienne Nisyreôn katoikia.
iSÀS-RÈLIEf* VO'T'lf' CONSACRÉ A A NAIT l S Ûii

divinité. Plus bas, sur la plinthe, munie d'un fort tenon,


destiné à fixer la pierre, on lit l'inscription :

oi 'Avas(i)xt

<r/QÙffa -/.ai è^a


ôzb tyjç tepEtaç

La dédicace a donc été faite à la déesse Artémis Anaïtis


par une femme, Charité, fille d'Apollonius, qui « ayant eu
un accident », fut « désenchantée » par la prêtresse. De
quel accident s'agit-il ? Probablement de quelque brusque
maladie, accès de fièvre ou attaque de paralysie. Dans un
passage de Platon où apparaît le mot rare TrspiTï-w^a, il est
joint à vôffo; ', et'plusieurs autres dédicaces, de Kioelnté et
d'ailleurs, rappellent des guérisons obtenues d'Anaïtis 2.
Mais ici nous apprenons que la cure avait été opérée à
l'aide d'incantations (è^aSw). La prêtresse en modulant des
exorcismes a chassé du corps de la patiente les démons
qui la faisaient souffrir, a rompu le charme qui la tenait
livrée aux puissances du mal. Le détail est d'autant plus
curieux, que c'est la première fois qu'apparaît une prêtresse
dans le culte d'Anaïtis. Dans les temples d'Hypaepa et de
Hiérocésarée, c'est un « mage » que Pausanias vit offrir
des sacrifices à la déesse perse conformément au rituel
mazdéen3.
D'après la forme des caractères, l'inscription doit
remonter, comme les monuments datés de Kioelnté, au 11e ou au

1. Protag. 345 B : Otto vùqou r\ aXXou Ttvoç nsptjirwjxaTOç.


2. Cf. Reinach, l. c, p. 215 ss., not 1, 2, 3 (uTcèp &yeta? xôiv ô^OaXjjiûv, uîièp
ttJç ôXozXïjpta; twv 7io8f7)v), etc.
3. Pausan., V, 27, 5 (ivï)p ixotyo;). A Hypaçpa, un àp/ipctyoç, Kaibel, Epigr.
903 a. — MM. Buckler et Robinson (American Journal of archeol., XVII,
1913, p. 369) se sont même appuyés sur cette différence supposée entre les
deux clergés, l'un masculin, l'autre féminin, pour combattre l'assimilation
proposée par M. Radet {Cybébé, 1909) entre l'Artémis de Sardes et Ana-
hita.
272 BAS-RÈLtÈF VOTIF CONSACRÉ A ANAITÎS

Bas-relief votif consacré à Anaïlis.


(Musée-de Leyde.)
SAS-RÊLlEfr VOflf CONSACRÉ A ANA1TIS 273
commencement du me siècle de notre ère. C'est l'époque
où le syncrétisme règne en maître et où le culte solaire
tend à dominer dans le paganisme. Notre bas-relief trahit
cette double influence. La déesse Anaïtis n'y ressemble
nullement à l'Anahita iranienne, dont l'Avesta décrit en
détail le costume pompeux ] : une robuste jeune fille à la
ceinture haut liée, portant un manteau d'or, un collier, de
gros pendants d'oreille carrés, sur la tête une couronne
d'or en forme de roue, à longues bandelettes, et un
vêtement fait de trente peaux de loutres.
En Méonie, au contraire, Anaïtis se montre à nous sous
l'apparence d'une femme debout, engainée dans une robe
étroite, qui est divisée en carrés, où l'on discerne des
reliefs sommairement indiqués. Sa poitrine est couverte de
mamelles et sa longue chevelure bouclée surmontée du
kalathos.
Déesse lunaire, elle a la tête entourée, comme d'une
gloire, d'un disque orné d'un large croissant-. Ses deux
mains, qui s'écartent de son corps par un geste symétrique
d'orante, sont ouvertes et semblent bénir deux cerfs placés
à droite et à gauche de la grande « maîtresse des fauves ».
Ces mains paraissent être soutenues par des sortes de
bâtons noueux, posés sur le sol, qui pourraient être des
reproductions des supports assurant la solidité de la statue
adorée dans le temple3. Mais d autres représentations
permettent de les interpréter plutôt comme des bandelettes
tenues en mains par la déesse et qui pendraient jusqu'à
terre 4.

1. Yasht, V, 29, §132 sq^. (Darnicsteter, Avesta, t. II, p. 205).


2. Le croissant se retrouve sur un ex-voto MTjTpt 'Avasixt de
Philadelphie, publié par Keil et von Premerstein (Bericht ùber eine Reise in Lydien,
dans les Denkschr. Akad. Wien, LUI, 1907, p. 24).
3. Cf. Bôttichcr, Archâol. Zeilung, 185", p. 70.
4. Les archéologues et les numismates ne sont pas d'accord sur
l'interprétation des tiges ou bandes placées sous les mains ouvertes de l'Artémis
d'Éphèse. Hogarth (Excavations at Ephesus, The archaic Artemisia, 1908,
'2*1 1 ÉAS-RELIEF VOTIF CONSACRÉ A ANAlTlS.
Ce type sculptural est, en effet, bien connu : c'est celui
de l'Artémis d'Ephèse, et il est reproduit encore à l'époque
impériale sur les monnaies d'une quantité de villes de
Lydie et de Phrygie1. Son adoption, comme la dédicace
qui l'accompagne ÇAp-é\uh 'Avaem), prouve qu'en Méonie
la déesse persique avait été complètement assimilée à la
grande divinité d'Ionie. Il n'en était pas de même à Hypaepa,
ni à Hiérocésarée, les deux centres de son culte, où les
statues de son temple offraient une apparence différente 2.
La partie supérieure du bas-relief de Kioelnté nous
montre, au-dessus du groupe que nous venons de décrire,
l'image bien connue du dieu solaire : un jeune homme, la
tête ceinte d'une couronne radiée et vêtu du costumé
oriental, longue tunique à manches, retroussée dans une
ceinture, grand manteau agrafé sur l'épaule, anaxyrides et

p. 331-334) a récemment repris la question d'après l'ensemble des


monuments conservés, et il conclut qu'aucune des deux explications proposées
n'est entièrement satisfaisante : On the whole the most reasonable infe-
rence appears io be that thèse Unes represented a traditional survival, pre-
serving some feature of cult-representation no longer understood, and
therefore susceptible of diverse interprétation. Ce serait pour lui une
dégradation des animaux que saisissaient les mains étendues de la xoxvt'a
0Tipwv primitive. Je doute que cette hypothèse soit accueillie par une
approbation générale. M. Maxime Collignon m'a suggéré l'idée que, comme
d'autres statues archaïques, le xoanon d'Ephèse aurait été fixé à son socle
par des liens destinés à empêcher la déesse de quitter son temple. Cette
opinion semble corroborée par la glose d'Hésychius : KXTjTSeç' Tzxpk 'Ecps-
oriotç t% 6eo3 zk aiijjiaxTa- Ces a clefs » auraient enfermé Artémis dans sa
demeure sacrée.
1. Je me borne à renvoyer à Barclay Head, Catal. of greck coins in the
Brilish Muséum, Lydia, index, p. 385; Phrygia, p. 43 4. — Cf. sur ce type
l'article récent de Meurer (Rômische Mitt., XXIX, 1914, p. 200 sqq.), qui
prétend démontrer que les mamelles n'étaient qu'une pièce du vêtement
(lediglich Bekleid ungsschmuck).
2. Head, Lydia, p. 102 ss., 111. Cf. Hôfer dans Roscher, Lexikon, s. v.
« Persikè », col. 2061 ss. — L'image vénérée à Hypaepa paraît seule
remonter à une haute antiquité : Anaïtis y est figurée debout, coiffée du calathos,
vêtue d'un double chiton à longs plis, et, par-dessus calathos et chiton,
d'un ample voile: ses deux mains sont étendues comme celles de l'Artémis
d'Ephèse.
BAS-RELIEF VOTIF CONSACRÉ A ANAÏTIS 275
brodequins. Sa main droite élevée paraît avoir saisi un
sceptre, autrefois indiqué au pinceau, et la gauche tient un
objet ovale, qui me paraît être une pomme de pin. Celle-ci
est l'attribut ordinaire d'Attis et de Mèn, les grands dieux
lydo-phrygiens avec lesquels Hélios serait ici identifié1, ce
qui n'aurait rien de surprenant à une époque de
syncrétisme comme le me siècle.
Anaïtis est d'ailleurs associée à Mèn dans d'autres
inscriptions de Kioelnté et des environs 2. Ailleurs on la
trouve unie à Sabazius 3. Ces couples sont des substituts de
celui de Mithra et Anahita qui apparaît déjà dans les
inscriptions des Achéménides. Mithra est devenu dans
l'empire romain le Sol invictus, et au-dessous de celui-ci notre
marbre place Anaïtis regardée comme une déesse lunaire.
Le paganisme à son déclin a penché partout vers l'astro-
lâtrie.
Rien d'étonnant à ce que nous retrouvions à cette époque
tardive sous un aspect nouveau le vieux couple iranien de
Mithra et d' Anahita. Nous savons combien l'antique
liturgie mazdéenne s'était fidèlement conservée en Lydie où les
mages serviteurs d'Anaïtis continuaient à lire dans un livre
incompréhensible aux Grecs leurs hymnes barbares4. Bien
que la déesse ait été assimilée à l'Artémis anatolique, une
inscription de Silandos l'invoque comme ttjv 'AvaeîTtv xrjv
àrcb Upou uâaxoç 5. L' Anahita avestique n'est-elle pas la

1. Sur Attis dieu solaire à la fin du paganisme, cf. Pauly-Wissowa, Re&lr


enc, s. v., col. 2250.
,

2. ©sa 'Avaet-ri xaî Myjvi Ttajxou à Kioelnté (Reinach, l. c, p. 215, n. 1).


Les autres textes dans Roscher, Lexik., l. c, p. 2063. Cf. Wright, Harvard
classical studies, VI, 1895, p. 54 ss.
3. A Divlit : àXoouç 8év8pa Atàç 2a(3aÇtou xat 'Apx!fju8oç 'ÀvaetTij (Reir
nach, op. cit., p. 157).
4. Pausan., V, 27,5.
5. Buresch, Ans Lydien, p. 118, n° 56 : "Etouç <joy)' (— 153 ap. J.-C.)
[AT)vôç rcpîîiatou os' 'AtaXavir) 'Ovrjofçopov tôv ufàv Ç^aavia ett) xe' mtfAT|-
«v iX tiç 8è 7capa|j.apTT] tw ta^w (xe-rà tôv Bdîvaiov {iou ttjv 'AvaetTiv ttjv
«to Upou ilôatoç X£^oXto(j.évY|v i'Çei.
1915. 18
276 SÉANCE DU 23 JUILLET 1915
source surnaturelle située dans la région dés étoiles, la
déesse des eaux fécondantes et purificatrices? Les croyances
mazdéennes se sont ainsi perpétuées à travers les siècles
dans un milieu hétérogène avec une singulière ténacité.

LIVRES OFFERTS

Le Secrétaire perpétuel présente l'ouvrage suivant :


, The Illinois whigs before 4846, by Charles Manfred Thompson"
Ph. D. (Published by the University of Illinois, Urbana).

M. Cagnat présente, de la part de M. G. Mercier, de Constantine,


trois brochures intitulées : V Homme de Mechta-Châteaudun
(Algérie) » ; — Note sur Vétymologie du nom Rusucurru ; — Les -Mines
antiques de la région de. Collo.

SÉANCE DU 23 JUILLET

PRESIDENCE DE M. EDOUARD CHAVANNES.

M. TJiéodore Reinach envoie une note sur un bronze de


Smope, conservé dans la collection numismatique de Marseille,
Où la têle de Jupiter des pièces similaires est remplacée par celle
de Mithridate Eupator.

M. Paul Fournier achève la lecture de son étude sur les coK


lections canoniques de l'époque de Grégoire VII. Il en fait
connaître deux, et montre que ces collections furent composées au
moyen de matériaux fournis par de vastes compilations
entreprises à l'instigation Ou tout au moins de l'aveu du pape. Les
recherches qui furent poursuivies dans les archives du Saint-
Siège et dans les bibliothèques des églises et monastères né
contribuèrent pas peu à renouveler le droit canonique.

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