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Louis CBC 17 PDF
Louis CBC 17 PDF
de Jean iv de Constantinople
Catherine Louis
E n , E.A. Wallis Budge publiait, parmi ses Coptic Homilies1, le texte
d’une homélie de Jean IV de Constantinople (le Jeûneur)2, « on repentance
and continence »3, tirée d’un manuscrit de papyrus conservé à la British Library
de Londres4. Dans son édition de 1910, Budge accompagnait son texte copte de la
version syriaque de cette homélie et de sa traduction, insérées en annexe5.
Le codex copte dont est tirée notre homélie fut découvert en 1896, soigneusement
protégé par un coffre de pierre dissimulé sous les ruines d’un couvent de Haute-
Égypte. Il se composait d’un ensemble de 175 feuillets de papyrus écrits sur deux
colonnes, que Budge date du septième siècle. L’examen de ce codex par Budge lui
fit poser l’hypothèse, plus que probable, qu’il n’était pas dans son état d’origine.
En effet, outre les erreurs habituelles de pagination, il présente des irrégularités qui
permettent de penser qu’à l’origine, le livre comprenait deux volumes, qui furent, à
un moment donné, désolidarisés pour être à nouveau reliés en un volume unique,
mais d’une manière différente de celle qui était au demeurant la leur. Ce codex se
présente en effet aujourd’hui comme suit : paginé d’abord de 181 à 191, puis de
211 à 348, « as if ten leaves had been omitted »6, la pagination repart ensuite à 1
et s’achève à la page <141>7. On peut donc supposer que les deux volumes furent
assemblés de telle sorte que le second se retrouva finalement en première position.
En 1974, T. Orlandi, de son côté, identifiait et publiait une série de 12 fragments
de papyrus conservés à l’Österreichische Nationalbibliothek de Vienne sous la cote
K. 7602-7613, contenant le début de cette même homélie8.
1
Budge 1910, p. 1-45 (texte), et p. 147-191 (traduction).
2
Qui fut archevêque de Constantinople de 582 à 595.
3
Correspondant au texte de la PG vol. 88, col. 1937-1978 ; CPG 7555 (De Pœnitentia, et Continentia,
et Virginitate).
4
Or. 5001.
5
Budge 1910, p. 289-338 (texte syriaque), p. 339-379 (traduction).
6
Budge 1910, Introduction, p. xvi.
7
Pagination manquante sur le dernier feuillet, restituée par Budge (loc. cit.).
8
Orlandi 1974, n°VII, p. 83-109 et pl. 12-14.
Études coptes XI, Treizième journée d’études (Marseille, 7-9 juin 2007),
éd. par A. Boud’hors et C. Louis
(Cahiers de la Bibliothèque copte 17), Paris 2010
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L’écriture est une onciale copte qui semble relativement tardive, sans être toutefois
une onciale penchée, et que l’on peut dater grossièrement des douzième-treizième
siècles13. L’ornementation, plutôt sobre, se limite à des traits rouges doublant parfois
des traits noirs en fin de paragraphe, à l’ornementation des capitales en début de
paragraphe, ou à celle de la pagination, toujours uniquement en rouge. La panse des
v est également emplie de rouge. Sur le plan des diacritiques, l’usage standard est
régulièrement suivi, à l’exception d’un certain nombre d’omissions usuelles, avec la
seule particularité que les iota portent la surligne de manière presque systématique
(celle-ci est, exceptionnellement, remplacée par un tréma). La ponctuation consiste
en principe dans un ou deux points servant à délimiter les segments de phrases
ou les phrases, et dans des lignes plus ou moins longues en fin de paragraphe.
On notera toutefois que, dans de rares occasions, les points (souvent deux points
superposés) sont placés de manière quelque peu arbitraire, allant parfois jusqu’à
séparer le préfixe verbal du verbe qu’il régit, ce qui tendrait à prouver, me semble-t-
il, que les copistes de l’époque n’avaient plus qu’une compréhension imparfaite de
ce qu’ils écrivaient. Par ailleurs, le texte lui-même présente souvent des irrégularités
orthographiques, notamment dans les mots grecs, mais également dans les préfixes
verbaux, ce qui m’a souvent amenée, dans ma traduction, à suivre les leçons du
manuscrit publié par Budge.
Enfin, il faut signaler que le premier feuillet, composé des deux fragments de la
BNU de Strasbourg (Copte 35-36), a conservé, dans la partie inférieure de sa marge
interne, des traces de lettres qui, de toute évidence, ne font pas partie du texte de
l’homélie de Jean IV. Leur position sur la page me semble pouvoir évoquer les traces
qu’aurait pu laisser une bande de restauration dont l’encre aurait déteint et se serait
imprégnée dans le papier du feuillet, avant que ladite bande ne se décolle.
Le musée du Louvre conserve encore, sous la cote SN 502, un fragment copié
par la même main que les feuillets mentionnés ci-dessus, et qui a probablement
appartenu au même codex. Ce fragment, peu exploitable étant donné sa taille et le
fait qu’il contient surtout une suite de préfixes verbaux dont les verbes eux-mêmes
sont la plupart du temps en lacune, ne contient pas l’homélie de Jean IV, mais un
texte qui jusqu’à présent a résisté à toute identification. Peut-être s’agit-il du même
texte que celui contenu dans un feuillet conservé à la Bibliothèque nationale de
France sous la cote Copte 131(7), fol. 52, lui aussi copié par la même main. Son
contenu, clairement homilétique, est une incitation au jeûne, prenant Daniel pour
aurait dû représenter le dernier du cahier 2 ; mais, dans la mesure où nous sommes en présence d’un
codex de papier, l’usage du quinion serait peut-être plus probable. La lacune rend malheureusement
impossible toute affirmation en ce domaine.
13
Ce type d’onciale se retrouve toutefois jusqu’au quatorzième siècle : voir notamment les scalae
coptes-arabes (BnF, Copte 43), dont certains passages sont datés de 1296 et 1310 apr. J.C., ou encore
la fragment de papier conservé à l’Ifao du Caire sous la cote 282, et qui porte la date de 1338 AD. Ce
dernier fragment montre toutefois une écriture en onciale légèrement penchée.
254 catherine louis
14
Tous les fonds de manuscrits coptes n’ayant pas pu être explorés, il reste possible qu’il se cache
encore dans certains d’entre eux d’autres fragments copiés par la même main.
15
Budge détaille cette erreur d’agencement dans son introdctuion, op. cit., p. xxiii-xxv.
Tableau comparatif des versions grecque et coptes
codex B
codex V codex P
Texte grec (texte copte,
(texte copte, papyrus, Vienne, (texte copte, papier,
(PG 88) papyrus, Londres, Or
K 7602-7613, éd. Orlandi) Strasbourg/Paris)
5001, éd. Budge)
Traduction
([25]) Regarde (qewrei'n) (comment) certains (d’entre eux), attachés comme de
l’ivraie, sont jetés dans la fournaise de feu ardente (cf Mt 13,30), tandis que d’autres,
attachés par les pieds et les mains, sont jetés vers l’obscurité extérieure (Mt 22,13).
Certains sont livrés (paradidovnai) au ver qui ne dort jamais (cf. Mc 9,48) et
au grincement de dents (cf. Mt 22,13). L’un (mevn) est condamné parce qu’il a
ricané (swbe kakw'") au mauvais moment (parav peuouoeiÒ) ; un autre, pour
avoir commis un outrage (skandalivzein) ou (h[) parce qu’il a fait violence à son
voisin de quelque manière (katav laau ısmot). Un autre (dev) est jugé (krivnein)
pour des péchés qu’il a commis secrètement. Un autre est condamné (oJrivzein) aux
tourments (timwriva) à cause de
([26]) paroles stériles (ajrgov") qu’il a prononcées ; un autre est jugé (katakrivnein)
pour une mauvaise pensée (gnwvmh), un autre se voit fermer (la porte du) Royaume
pour avoir proféré des insultes. À un autre aussi (dev), on impose un châtiment
(kovlasi") éternel à cause de sa moquerie (mšntref skwvptein). Un autre subit la
raillerie et la honte éternellement. D’autres, totalement dépouillés de la connaissance
(gnw'si") de Dieu, s’entendent dire : « Je ne vous connais pas (Mt 25,12) ; d’où venez-
vous ? », parce qu’ils ont commis une action, parmi celles que le Christ abhorre.
Ceux-ci se comportent ainsi. Nous, de quelle manière convient-il que nous nous
comportions, si ce n’est en versant chaque jour des torrents de larmes, et en disant
nous aussi
([27]) avec le prophète : « Qui versera de l’eau sur ma tête, et une fontaine (phghv)
de larmes sur mes yeux ? » (cf. Jér. 9,1). Je pleurerai jour et nuit sur mes péchés, pour
pouvoir échapper au châtiment (kovlasi") qui adviendra. Hâtons-nous de confesser
(ejxomologei'n) nos péchés avant (de nous rendre) dans ce lieu-là du jugement.
Implorons (ejpikalei'sqai) la pitié de Dieu, tant que (o{son) nous sommes des
habitants de ce lieu-ci, car (gavr) (l’Écriture) dit : « Qui te louera dans l’Amenté ?»
(Ps 6,5). Sachons ceci, mes bien-aimés : Dieu nous a donné en double tous les
membres (mevlo") de notre corps (sw'ma) matériel17.
17
Litt. « tous les membres (mevlo") de la nature (fuvsi") de notre corps (sw'ma) ».
fragments coptes d’une homélie de jean iv de constantinople 265
([28]) En effet (kai; gavr), Il nous a gratifiés (carivzesqai) de deux yeux, de deux
oreilles, de deux mains ; s’il arrive que l’un d’entre eux soit frappé par une maladie,
nous comblons (paramuqivzein) nos besoins18 (creiva) grâce à un autre. Mais (dev)
Il ne nous a donné qu’une seule âme (yuchv) ; or (dev), si nous la détruisons19 par
négligence (ajmevleia), comment vivrons-nous ? Prenons soin de celle-ci, et ne
plaçons rien d’autre devant nous au-dessus de son salut, car c’est elle20 qui sera mise
en jugement21, et qui devra (se) défendre (ajpologei'sqai) devant ce bêma (bh'ma).
Si tu dis à ce moment-là en face de celui qui rend la justice : « Ce sont les richesses
(crh'ma) qui m’ont trompé (ajpata'n) », ce juge (dikasthv") te répondra : « Tu ne
m’as donc pas entendu, lorsque je te criais :
([29]) “ Quel profit l’homme retirera-t-il, s’il gagne le monde (kovsmo") entier, mais
(dev) qu’il perde lui-même son âme (yuchv) ? Ou (h[) que pourra donner l’homme en
échange de son âme (yuchv) ? ” (Mt 16,26) ». Et (dev) il te dira encore : « Ève n’a rien
gagné lorsqu’elle a dit : “ C’est le serpent qui m’a trompée (ajpata'n) ! ” » (Gen 3,18).
Maintenant, mes frères, que nous avons mis cela dans nos cœurs, allons nous-
mêmes réveiller notre joie22 ! Allons rendre gloire à Dieu tant que l’obscurité n’est
pas encore arrivée, et tant que ce jour n’est pas encore venu sur nous, le grand (jour)
brillant, celui dont le prophète (profhvth") a dit : « Voici que le Seigneur vint ! Qui
soutiendra (uJpomonhv) le jour
([30]) de son arrivée ? » (Mal 3,1-2). C’est un jour de terreur, ce jour-là ; c’est
un jour d’obscurité et de tempête, car (gavr) c’est un jour obscur et ténébreux, un
jour de cris et de trompette (savlpigx). Mais (ajllav) peut-être diras-tu : « Quel est
celui qui sera capable d’échapper à cela ? ». Écoute, et je t’instruirai. Ne crois pas en
effet (gavr), frère, que si tu veilles à ce que ton corps (sw'ma) soit pur, tu pourras
accomplir les commandements (ejntolhv) ; mais (ajllav) lorsque (o{tan) quelqu’un
t’accuse (diabavllein), toi, au contraire, (agis) avec sagesse (filosofiva) ; si
(o{tan) des gens t’invectivent, toi, au contraire, prie pour eux ; lorsque (o{tan) tu
jeûnerais (nhsteuvein), ne t’en glorifie pas, car (kai; gavr) ce n’est pas le fait que tu te
détournes de la nourriture qui constitue le jeûne (nhsteiva) véritable, mais (ajllav)
le fait que tu te détournes aussi
(31) des péchés. Il convient que nous explorions les Écritures (grafhv), car
(gavr) prête aussi (dev) attention (au fait que) c’est un bâton en bois d’amandier
(karuva)23 que le prophète (profhvth") a d’abord vu, et après cela, c’était un
18
Litt. au singulier.
19
J’ai choisi de lire ici eNÒantakoS comme dans B, plutôt que eSÒantakoS.
20
Le texte du fragment strasbourgeois donne ici ebol ∂e t[ai te] qe etounatajos eratšs.
J’ai suivi pour la traduction la leçon de B et de V, celle du fragment strasbourgeois me semblant
erronnée.
21
Litt. « qui sera placée pour être jugée (krivnein) ».
22
Ici encore, j’ai suivi dans ma traduction la leçon de B (ourot) au lieu de erht.
23
nkaroia : lire karuva. La même orthographe apparaît aussi dans B, ainsi que dans le texte même
de Jérémie (cf. Feder 2002, p. 113).
266 catherine louis
chaudron de bronze (calkivon) brûlant24 (cf. Jér 1,11-13), pour lui montrer que
celui qui n’endurera pas (ajnevcein) le bâton de l’enseignement en ce lieu-ci, c’est
le feu de la géhenne (gevenna) qui le mettra à l’épreuve (dokimavzein) dans l’autre
lieu. C’est aussi de cette même manière qu’instruisait Moïse, au sujet d’une colonne
(stuvlo") de nuée et d’une colonne (stuvlo") de feu (cf. Ex 13,21-22), en criant à
chacun : « Celui qui obéira à la Loi (novmo") jouira (ajpolauei'n) de la lumière,
mais (dev) celui qui désobéira sera livré (paradidovnai) au feu ». Lisez les évangiles
(eujaggevlion) saints,
(32) et vous saurez que lorsque nous quitterons ce monde (kovsmo"), personne
ne pourra nous venir en aide (bohqei'n) : aucun frère ne pourra sauver un frère des
supplices (bavsano") sans fin ; aucun ami ne pourra secourir (bohqei'n) son ami, ni
(oujdev) des parents leurs enfants, ni (oujdev) des enfants leurs parents. Mais pourquoi
parlerais-je simplement (aJplw'") des hommes ordinaires25 ? Noé lui-même, et
Daniel, et Job, ne (oujdev) seraient26 pas capables de délivrer un fils ou (oujdev) une fille.
Mais (ajllav) souvent (pollavki"), tu me diras : « Quelle est la preuve (ajpovdeixi")
de ces paroles ? ».Considère cet homme, qui n’a pas sur lui le vêtement de mariage
(cf. Mt 22,12-13) : lorsqu’on l’eut chassé de la chambre nuptiale, personne, parmi
les convives, n’intercéda (presbeuvein) pour lui.
Références bibliographiques
Aldama de, J.A. , Répertoire pseudochrysostomien (Documents, études et répertoires publiés par
l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes X), Paris.
Budge E.A.W. 1910, Coptic Homilies in the Dialect of Upper Egypt, Londres.
Crum W.E. 1905, Catalogue of the Coptic Manuscripts in the British Museum, Londres.
Feder Fr. 2002, Biblia Sahidica. Ieremias, Lamentationes (Threni), Epistula Ieremiae et Baruch (TU
147), Berlin, New-York.
Orlandi T. 1974, Papyri copti di contenuto teologico, Vienne, 1974.
24
Litt. « un chaudron de bronze, une brûlure étant sous lui ».
25
Litt. « des hommes de cette manière, simplement ».
26
Litt. « seront ».