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Daniel BARESTE

TOME 3

TROISIEME VOYAGE MISSIONNAIRE

Actes chapitre 18 : 23 à chapitre 21 : 19


2

Que le lecteur me permette au préalable ces quelques précisions avant de


poursuivre avec le troisième voyage missionnaire de l'apôtre Paul.

Sans doute avez-vous lu les TOMES 1 et 2 ( "Premier" et "Deuxième


voyage de Paul" ). Cependant les rappels ci-dessous ne seront peut-être
pas superflus :

- Bien que sujettes à discussion, les appellations Ancien Testament ( A.T. )


et Nouveau Testament ( N.T. ) ont été conservées.

- La plupart des biblistes n’étant toujours pas d’accord sur la date de


naissance de Jésus, il sera utilisé "avant notre ère" et "après notre ère".

- De nombreuses versions françaises du livre des Actes des apôtres - plus


d’une douzaine, et bien d’autres sur Internet - ont été consultées.
- voir par exemple le site Internet "La référence biblique".
- vous maîtrisez l'anglais ? Alors allez sur le site "Biblos" ( nombreuses
versions en parallèle ).

- On trouvera souvent entre crochets [….] des expressions différentes mais


complémentaires pour mieux saisir certaines nuances ( paroles, descriptions,
etc..).

- Cependant, mon conseil sera de toujours consulter une Bible sur papier ( ou
au moins le N.T. ). Lire le contexte d'un passage éclairera souvent celui-ci.

- Les versets donnés en référence se lisent ainsi : Matthieu 4:4 signifie


Évangile de Matthieu, chapitre 4, verset 4.

- La carte et les illustrations libres de droits viennent principalement des sites


-Contenido ( la carte )
-Clip Art-bredsite.org
-Thebiblerevival.com/clipart

- Les pièces de monnaies sont à voir sur :


-fredericweber.com

- Traduction du géographe Strabon : mediterranées.net/géographie/strabon

- Un grand merci à tous.


3

"Et après y avoir passé quelque


temps ( à Jérusalem ), il partit..."

A la page 63, un voyage Éphèse Troas par voie de terre a été retenu
4

"...et alla de lieu en lieu à travers le


pays de Galatie et de Phrygie...

"... fortifiant tous les disciples


5

Toujours la même préoccupation majeure : prendre soin des nouveaux


chrétiens. D'autant plus qu'il vient d'écrire à ceux de Galatie en apprenant
que des judaïsants continuent d'enseigner l'exigence de la circoncision et
l'observance de la Loi mosaïque.

Déjà le souci de Paul et de Barnabas au cours du Premier voyage:


"Ils retournèrent à Lystres et à Iconium et à Antioche ( de Pisidie ), fortifiant les
âmes des disciples, les encourageant à demeurer dans la foi " - Actes 14:21,22

Avec cet objectif à cœur, en repartant de son point d'attache habituel,


Antioche de Syrie, il "alla de lieu en lieu" .
De ville en ville : Tarse, Derbé, Lystres, Iconium, Antioche de Pisidie.
Ses compagnons de voyage ? Luc n'en nomme aucun. Peut-être Éraste
(voir page 64).

Pour convaincre, reprend-il de vive voix la comparaison déjà utilisée dans


sa lettre aux chrétiens Galates ? Celle entre la Loi mosaïque et un précepteur
( qui n'était pas à cette époque un enseignant au sens donné plus tard ).

Quel était en ce temps-là son rôle ? Paul a pu le voir à Athènes lors du


précédent voyage. L'homme accompagnait l'enfant à l'école où sa formation
commençait à l'âge de 6 ans, et ce jusqu'à la puberté. Voire plus longtemps.
Il devait aussi le protéger de toute atteinte physique ou morale.
6

Ses devoirs touchaient également au domaine de la discipline. On lui


demandait parfois d'inculquer avec sévérité à l'enfant des règles de conduite.
Qu'il soit un esclave de confiance ou rémunéré pour ce travail, c'était un de
ses rôles et il s'en acquittait avec sérieux. Peut-être accompagnait-il même
son protégé dans d'autres activités. Or, que dit Paul dans cette lettre ?

" La Loi est devenue notre précepteur [ un gardien ] menant à Christ [ nous
conduisait à l'école, celle du Christ] , [ nous servit-elle de pédagogue ] , pour que
nous soyons déclarés justes en raison [ de la révélation ] de la foi. Mais maintenant
que la foi est arrivée [ est là ] , nous ne sommes plus sous un précepteur [ un
pédagogue ] , [ nous n'avons plus à suivre celle qui nous mène à l'école ] ."
- Galates 3 : 24,25.

Le terme grec traduit par précepteur est païdagôgos ( étymologiquement :


"celui qui conduit des enfants" ). Litt. : "pédagogue".

Ce faisant "Paul traversa l'intérieur du pays", l'Asie Mineure, se dirigeant vers


l'ouest - Actes 18 : 23.
................................................

Pendant que l'apôtre se rend d'un lieu après l'autre pour mettre les choses
au clair et affermir les chrétiens dans leur nouvelle foi, listons quelques points
forts du Deuxième voyage missionnaire avec son itinéraire ( voir Tome 2 ).

- Départ d'Antioche de Syrie ( vers 49 ) en compagnie de Silas, après une


houleuse discussion avec Barnabas.
- Derbé.
- Lystres ( ils emmènent Timothée avec eux ).
- Iconium.
- Troas : Paul a une vision ( direction la Macédoine ). Ils prennent la mer.
- Philippes : Lydie et sa maisonnée se convertissent. Paul et Silas sont
arrêtés, battus, emprisonnés. Dans la nuit, le geôlier impressionné par un
événement surnaturel demande aux deux hommes de l'instruire sur la voie à
suivre, lui et les siens.
- Thessalonique : beaucoup deviennent croyants, mais les ennuis
recommencent ; départ précipité de Paul et de Silas.
- Bérée : Franc succès. Et surprise : une majorité de Juifs réceptifs ! Aussi
leurs coreligionnaires de Thessalonique accourent-ils pour jeter du trouble.
Paul s'embarque pour la Grèce ( une traversée d'environ 500 km ). Quelques
nouveaux convertis l'accompagnent.
- Athènes : Discours à l'aréopage ( beaucoup de moqueries mais peu de
résultats positifs ).
- Corinthe : Automne 50. Paul a déjà parcouru environ 2000 km ( la plupart
du temps à pied ). Il effectue dans cette ville un travail manuel ( confection de
7

tentes et réparation de voiles de bateaux ) avec Aquila et Priscille tout en


prêchant. Après l'arrivée de Silas et de Timothée porteur de subsides, il
s'adonne plus à fond à la propagation de la bonne nouvelle concernant le
Christ ressuscité et la venue du Royaume de Dieu.
Puisqu'il n'est plus le bienvenu à la synagogue, pour plus de commodités il
s'installe dans une maison mise à sa disposition par un nouveau croyant.
Mais les opposants ne désarment pas. A la suite de la nomination d'un
nouveau gouverneur, les accusations les plus mensongères sont proférées à
son encontre. En pure perte. Paul séjourne 18 mois à Corinthe, jusqu'au
début 52. Il y écrit aussi une deuxième lettre aux chrétiens de Thessalonique.
- Départ pour Éphèse en compagnie de Priscille et Aquila ( au début du
printemps 53, à la reprise de la navigation ).
- Éphèse : Paul n'y séjourne pas longtemps. Il laisse ses deux amis et lui
s'embarque pour Césarée.
- De Césarée il monte saluer la congrégation de Jérusalem, puis retourne
à son domicile habituel, Antioche de Syrie. Probablement en été 53.

..................................................

Quand Luc fait part au lecteur du nouveau périple de Paul à l'intérieur du


pays mais toujours en direction de l'Ouest - vers 52 - peut-être début 53 -, il
n'est pas bien difficile de deviner sa destination. Éphèse, bien sûr. Au retour
du voyage précédent, il était bien trop préoccupé par les agissements
néfastes des judaïsants pour s'y attarder.
Il fallait sans plus tarder leur faire front et tenter de remettre sur la bonne voie
les victimes de ces gens prônant la différence entre Juifs et Gentils. Parmi
elles, on s'en souvient, deux chrétiens en vue : Pierre et Barnabas.

Mais voici que Luc se lance dans une assez longue et inattendue
parenthèse pour nous parler d'un certain Apollos. Qui est-il et pourquoi cette
digression du narrateur ? Lisons :

"Or un certain Juif nommé Apollos, originaire d'Alexandrie (*), un homme


éloquent [ un bon orateur ], arriva à Éphèse" ; il était versé dans [ connaissait très
bien ] les Écritures." ( Il arrive à Éphèse vers 52 de n. ère, quelque mois avant Paul )

(* - Alexandrie )
Le grand port de l’Égypte sur la Méditerranée. Son nom lui vient d'Alexandre
le Grand qui ordonne sa construction en 332 av. n. ère.

Sous les Ptolémées, rois hellénistiques de l’Égypte, elle devient la capitale


du pays. Et le reste après la conquête par Rome en 30 av. n. ère.
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Une ville cosmopolite ( Grecs, Syriens, Italiens ... ), mais les Juifs sont
aussi très nombreux. Du temps de Tibère, environ un tiers de la population,
selon certains commentateurs. Ils descendent de réfugiés ayant fui en Égypte
après la destruction de Jérusalem par les Babyloniens, au 7ème s. av. n. ère.

Dans la liste "Les 7 merveilles du monde", deux sont cataloguées en


Égypte. Aujourd'hui restent les Pyramides. L'autre n'est plus. Il s'agit du
Phare d'Alexandrie, toujours présent au temps de Paul. Le mot "phare" vient
du nom de l'île de Pharos ( aujourd'hui une péninsule ) sur laquelle il était
construit.

Mais Alexandrie est surtout un haut lieu de l'érudition, fer de lance de


l'hellénisme, centre culturel réputée pour sa prestigieuse bibliothèque. Dans
cette ville a été réalisée la traduction en grec de l' A.T. ( la Septante ) - voir
Premier voyage de Paul, "en bref", page 105. D'ascendance juive, rien
d'étonnant si Apollos "connaissait très bien les Écritures". De plus, Philon (*),
un éminent enseignant vit dans cette ville. Apollos a-t-il fréquenté ses cours ?

(*- Philon )
Un philosophe juif, à peu près contemporain de Jésus. Non seulement
influencé par Platon dont il adopte la pensée - mais aussi sur certains points
par Aristote et par les stoïciens -, il incarne la synthèse de la philosophie
grecque et du judaïsme. Il défend une théologie négative, où Dieu est
l'indicible et l'incompréhensible. C'est avant tout un penseur allégorique. Une
méthode prônée par les écoles grecques et adoptée par les Juifs. Ces
derniers l'utilisent pour justifier aux yeux des Grecs l'étrangeté de certains
préceptes de la Loi. D'où une exégèse allégorique du Pentateuque.

Philon, un représentant typique du judaïsme hellénisé d'Alexandrie


9

Apollos ( nom abrégé d'Apollônios )

"Cet homme avait été instruit oralement dans [ la doctrine chrétienne ] , [ de ce qui
regarde le chemin pour aller au Seigneur ] , [ la Voie ] et, comme il était brûlant de
l'esprit, il parlait [ avec enthousiasme ] , [ ferveur ] et enseignait avec exactitude [ de
façon correcte ] les choses qui concernaient Jésus ".

Apollos a-t-il été un disciple du renommé Philon, de celui que Flavius


Josèphe appelle un "homme illustre en tout" ? - Antiquités Judaïques, Livre
XVIII, 8, § 1.

Luc dit que cet homme était "brûlant" de l'esprit. Paul utilise lui aussi cette
expression dans la lettre qu'il écrira plus tard depuis Corinthe aux chrétiens
de Rome : "Soyez brûlants de l'esprit" - Romains 12 : 11.
D'après les biblistes, le mot rendu par "brûlants" signifie littéralement
"bouillants" - ( Nouveau Testament interlinéaire grec/français, M. Carrez ).

Autrement dit, Apollos est très zélé dans l'expression de sa foi. Un bibliste
suppose qu'il était peut-être un marchand itinérant et a ainsi pu rencontrer
des prédicateurs chrétiens dans un des nombreux endroits où il s'est arrêté.
Mais ce n'est qu'une hypothèse.

Quoi qu'il en soit, Luc précise cependant : " il ne connaissait [ seulement ] , [ ne


savait pas plus loin ] que le baptême de Jean [ Jean-Baptiste ] ".

Printemps 29

Il disait aux foules qui venaient à lui pour être


baptisées par lui : "Produisez donc des fruits
qui conviennent à la repentance".
10

"Allez donc dans le monde entier, faites des


disciples parmi tous les peuples, baptisez-les
au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit".

Printemps 33

Note de la version Parole vivante au sujet des disciples qui doivent être
baptisés: "C'est-à-dire ceux qui le sont devenus ; ceux qui croiront à la Bonne
Nouvelle. C'est ainsi, en tout cas que les apôtres ont compris cet ordre du
Seigneur".

Apollos a peut-être entendu parler du christianisme soit par des disciples de


Jean-Baptiste, soit par des chrétiens avant la Pentecôte.

Sur ce qu'on connaissait de Jésus au sein de la population juive, des


historiens écrivent : "Leur christianisme en était resté au stade où il se
trouvait lors du commencement du ministère de notre Seigneur. Ils ignoraient
la pleine signification de la mort de Christ ; peut-être n’étaient-ils même pas
au courant de sa résurrection." - W. Conybeare et J. Howson.

Cependant, motivé par l'ardeur de ses convictions :


" Il commença à parler hardiment [ très librement ] , [ avec assurance ] dans la
synagogue".

Aquila et Priscille se rendent eux-aussi à la synagogue, peut-être pour y


prêcher la Bonne Nouvelle, comme le fait souvent Paul ( voir les deux premiers
11

voyages ). Mais peut-être aussi pour écouter ce prédicateur qui suscite tant
de commentaires élogieux.

Effectivement, quel fougueux orateur ! Ses propos reflètent une profonde


conviction et nul ne doute de sa sincérité. Il fait penser au poème chanté
appartenant au recueil de la confrérie de Qorah ( Coré ) :
"Je me sens bouillonnant d'inspiration pour le beau discours que j'ai à faire " -
Psaume 45 : 1a ( Bible en français courant ).
Il s'exprime avec enthousiasme pour parler de Jésus, mais il a de sérieuses
lacunes puisqu'il ne connaît que le baptême de la repentance - celui
administré par Jean pour préparer les cœurs à la venue du Christ. Il a besoin
d'être éclairé sur l’œuvre du Christ et ce qu'elle implique pour ceux qui
veulent réellement devenir un de ses disciples.
"Quand Priscille et Aquila l'entendirent, ils le prirent avec eux [ pour lui expliquer ]
plus exactement [ précisément ] la voie de Dieu" .
Aquila et Priscille sont restés à Éphèse au départ de Paul pour Césarée,
probablement pour jeter les bases d'un travail d'implantation d'une
congrégation en attendant son retour ( voir Actes 18:20,21 ).

Ils le prirent à part et lui exposèrent le Chemin plus en détail

Note de La Bible des peuples : "Il semble qu'Apollos a été présent en


Palestine au temps où Jésus déjà était connu, mais il en était resté au
baptême de Jean en ce sens que pour lui cette nouvelle prédication de Jésus
12

n'était qu'un écho de l'appel de Jean à la conversion ; il n'avait pas reconnu la


nouveauté de l'Evangile".

Apollos n'avait évidemment rien à se reprocher. Il restait simplement des


"blancs" à combler.

Ils l'invitèrent chez eux. Sans doute ont-ils abordé le sujet avec tact et
bienveillance pour ne pas lui donner l'impression d'une critique. Aquila et
Priscille ne manquent pas de délicatesse, mais ils trouvent de plus un homme
tout disposé à se laisser instruire. Eux-mêmes ont sans doute beaucoup
appris au cours de leurs entretiens avec Paul, tandis qu'ensemble ils
confectionnaient des tentes. En vrais compagnons d’œuvre, ils partagent
généreusement ce qu'ils ont reçu. Apollos, désireux d'apprendre, ne se
contente pas d'entendre. Il écoute, et s'imprègne "point par point" de la
Vérité.
Par la suite, jugeant sans doute être plus utile ailleurs, il décide de partir
d’Éphèse pour se rendre en Achaïe. Une région située dans le sud de la
Grèce actuelle et devenue depuis 27 av. n. ère province sénatoriale.
Ses compagnons chrétiens éphésiens, désormais tout à fait confiants en sa
capacité d'enseigner correctement le christianisme, écrivent une lettre de
recommandation aux disciples ( probablement de Corinthe ), les exhortant à
lui faire bon accueil. Et lui, leur a-t-il donné satisfaction ?
"[ Dès son arrivée là-bas ], il aida beaucoup [ fut très utile à ] ceux qui avaient cru à
cause de la faveur imméritée de Dieu ; car avec force et en public, [ avec des
arguments solides ] il prouvait pleinement que les Juifs avaient tort, [ réfutait
publiquement les objections des Juifs ] tandis qu'il démontrait par les Écritures que
Jésus était le Christ [ le Messie promis ]".
Nous reparlerons d'Apollos quand Paul écrira sa Première lettre aux
Corinthiens, dans environ 2 ans. Pour l'instant, intéressons-nous à l'arrivée
de l'apôtre dans cette ville d’Éphèse, vers 53 de n. ère.

Éphèse

Fondée vers 1000 av. n. ère, cette ville sur la côte ouest de l'Asie Mineure,
au débouché du fleuve venu de Lydie, le Caÿstre ( auj. küçük Menderes ),
connaît les mêmes vicissitudes politiques que les autres cités grecques de la
région dans leurs rapports avec les royaumes et empires continentaux.
Au milieu du 7ème siècle av. n. ère, les Cimmériens ( des nomades venus
de la mer Noire ), pillent l'Asie Mineure.
13

Aux alentours de 55O av. n. ère, la voilà vassale de la Lydie ( roi Crésus ).
Puis de l'Empire achéménide. Le roi Cyrus soumet les villes ioniennes,
Éphèse comprise.
En 334 av. n. ère, Alexandre au cours de sa campagne contre la Perse
devient son nouveau maître.
Ensuite elle est mêlée à la bataille pour le pouvoir que se livrent les
successeurs d'Alexandre après sa mort en 323.
Incorporée au royaume de Pergame, le roi Attale III, sans descendant, lègue
la ville à Rome. Elle est englobée dans la province romaine d'Asie.
Éphèse est une ville prospère grâce à son intense activité commerciale et
bancaire - monnaie d'électrum (alliage or-argent ) - dès la fin du 7ème s. av.
n. ère ).
Son port, situé sur la principale voie reliant Rome à l'Orient et la proximité
de celui-ci de l'embouchure du Caÿstre ( et ses bassins fluviaux ), fait d'elle le
point de jonction de plusieurs voies commerciales terrestres d'Asie Mineure.
Des routes la relient aussi aux principales villes du district d'Asie

IONIE- Éphèse , Drachme, 550 av. IONIE - Éphèse, Cistophore,133-132

D'après des écrits du géographe grec Strabon et de Pline, auteur romain - et


puisque les ruines de la ville se trouvent aujourd'hui à plusieurs kilomètres à
l'intérieur des terres -, on peut imaginer qu'un golfe de la mer Égée pénétrait
autrefois bien plus avant à l'intérieur des terres ( des fouilles semblent l'avoir
démontré ).
Dans cette hypothèse, au temps de Paul les navires s'engagent dans un
long chenal étroit creusé dans les alluvions du Caÿstre et qui relie l'océan au
ports fluviaux bien abrités d’Éphèse. On le drague constamment pour qu'il
reste navigable.
Mais progressivement, au fil des siècles, les sédiments charriés par le fleuve
( et les accidents sismiques ? ) finissent par provoquer l'ensablement des
ports de la ville et de l'embouchure du fleuve.
14

Paul à Éphèse ( son site se trouve sur le territoire de Selçuk, la ville


moderne du district, sur la côte est de la mer Égée, à environ 60 km au sud
d'Izmir - l'antique Smyrne -, sa grande rivale).
Reprenons le récit de Luc :
"Par la suite, pendant qu'Apollos était à Corinthe, Paul [ après avoir traversé le
haut-pays ] , [ l'intérieur du pays ] , [ la région montagneuse d'Asie Mineure ]
descendit [ arriva ] à Éphèse". - Actes 19 : 1.

On se souvient de son séjour volontairement écourté à la fin du deuxième


voyage. Mais le voici de retour, comme promis. A la grande joie, sans nul
doute, de ses deux amis : Aquila et Priscille.
En consultant la carte ( celle de la page 5 ), cette traversée "de l'intérieur du
pays" - représente un périple d'environ 1500 km !
Bien évidemment le tout à pied. De nos jours où on prend sa voiture pour
aller acheter du pain au bout de la rue, il y a pour le moins de quoi en rester
songeur. Pour reprendre l'expression d'une publicité "nous n'avons pas les
mêmes valeurs". Ou de moins en moins. Peut-être sont-elles devenues tout
simplement trop matérialistes. Tandis que celles de Paul étaient largement
pétries d'un amour plein d'abnégation pour son prochain.
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Quand Paul arrive à Éphèse, loge-t-il chez Aquila et Priscille ? Est-ce par
eux qu'il fait la connaissance du petit groupe de disciples à qui il demande :
"Avez-vous reçu de l'esprit saint quand vous [ avez embrassé la foi ] êtes devenus
croyants ?"
Leur réponse doit sans doute tout d'abord le déconcerter :
"Mais nous n'avons même pas entendu dire qu'il y ait un esprit saint ".
Il craint alors de comprendre :
"Quel baptême avez-vous donc reçu ?"
"Le baptême de Jean", répondent-ils.
Comme Apollos. Encore des disciples de Jean-Baptiste. Il faut leur expliquer
la signification de ce baptême et à quoi il devait conduire.
Note de Parole vivante : "Étant disciples de Jean-Baptiste, ces hommes
avaient dû entendre leur maître prédire que le Messie baptiserait du Saint-
Esprit, mais ils ne savaient pas que cette prophétie était déjà réalisée".
Paul leur dit alors :
"Jean baptisait ceux qui acceptaient de changer de comportement [ de conduite ] ,
[ en symbole de repentance ], et il disait [ aussi ] au peuple d'Israël de croire en
celui qui allait venir après lui, c'est-à-dire en Jésus ".
En entendant cela, ils se font baptiser au nom du Seigneur Jésus.

En tout, il y avait environ douze hommes

"Et quand Paul posa les mains sur eux, l'esprit saint vint sur
eux, et ils se mirent à parler en [ diverses ] langues et à
[ donner des messages reçus de Dieu ] prophétiser".
16

Puisque Paul va séjourner un assez long temps à Éphèse, essayons de


nous faire une idée de la splendeur de cette ville au premier siècle.
De l'antique Éphèse, il ne reste que des ruines. De plus, plusieurs édifices
ont été construits ( comme la bibliothèque de Celsus et le petit théâtre érigés
au 2ème siècle de n. ère ) ou reconstruits bien après cette époque . Je
propose donc de nous intéresser principalement à trois d'entre eux dont il
sera ensuite parlé : le stade du théâtre ; le théâtre lui-même ; et le temple
d'Artémis.
Le voyageur arrivant par mer, après avoir emprunté le long chenal qui relie
l'océan au port fluvial, voit d'abord les remparts de Lysimaque entourant la
ville depuis le 3ème s. av. n. ère. Il débarque et franchit une monumentale
porte ( le propylon du port . Elle donne sur une avenue longue de 500 mètres
et large de 11. Elle est dallée et bordée de colonnades larges de 4,50 m
derrière lesquelles se trouvaient des boutiques et d'autres constructions. Le
gymnase (stade ) du port et celui - il sera reconstruit sous Néron - du théâtre
s'élèvent aussi le long de cette voie.
Avançons. Voici le théâtre. Le plus vaste d'Asie Mineure. Sa façade est
richement décorée de colonnes, de reliefs et de statues. Agrandi à l'époque
de la Rome impériale, il peut accueillir 25 000 spectateurs. L'acoustique y est
si bonne que du haut des gradins on peut entendre quelqu'un parler à voix
basse sur la scène. Nous reparlerons de lui plus loin.

Théâtre : 66 rangs de gradins de marbre


disposés en hémicycle .

Poursuivons la visite. Au bout d'environ 1,5 km, quel émerveillement pour


les yeux. Le nouveau temple d'Artémis se dresse, majestueux, imposant.
17

En bref
Le temple archaïque
Avant le règne de Crésus de Lydie, la déesse-mère Cybèle est la figure
principale de la vie religieuse de la région centrale de l'Asie Mineure. Dans le
but de créer un emblème religieux qui conviendrait tant aux Grecs qu'aux
non-Grecs, ce roi déduit fort à propos qu'un lien généalogique existe entre
Cybèle la phrygienne et le panthéon grec de la mythologie.
Sur l'emplacement d'un sanctuaire plus ancien ( ce site a déjà été plusieurs
fois un lieu de culte ), entre 560-540 av. n. ère est bâti un temple dédié à la
déesse prenant désormais la succession de Cybèle : Artémis. Le roi
richissime lui apporte tout son soutien financier.
Ses dimensions colossales, sa double rangée de colonnes périptèrale pour
laisser un large passage cérémonial autour de la cella, la richesse de sa
décoration en font un chef-d’œuvre de l'architecture grecque. Jamais
auparavant on n'avait utilisé d'aussi gros blocs de marbre pour édifier un
bâtiment de ce genre et de cette taille. On dit même que l'or aurait été utilisé
au lieu du mortier pour remplir les joints entre les blocs de marbre ! Son
classement comme l'une des Sept Merveilles du monde n'est pas usurpé.
Mais le temple est incendié par un malade mental dénommé Érostrate.
Obscur citoyen d’Éphèse, le pyromane voulait laisser son nom dans
l'Histoire. Chose faite. Les dates diffèrent selon les sources. Le doigt de la
légende pointe le 21 juillet 356 av. n. ère - le jour même de la naissance
d'Alexandre !
Le temple hellénistique
Une vingtaine d'années plus tard, Alexandre le Grand propose de financer la
restauration du temple. Les Éphésiens refusent poliment. Là aussi les motifs
supposés diffèrent. Par superstition, parce que la date de naissance du
conquérant coïncide avec celle de l'incendie ? Ou pour l'obligation qu'il met
s'il se charge des dépenses ? Lisons à ce propos, avec précaution, l'historien
grec Strabon : "à condition que son nom figurerait dans l'inscription
dédicatoire du nouveau temple". - Géographie de Strabon ( XIV, 1, 22 )
La reconstruction est financée par plusieurs cités auprès desquelles le
temple fait fonction de banque. "Les Éphésiens [ ... ] y contribuèrent tous par
l'abandon des bijoux de leurs femmes ou de leurs biens particuliers et par la
mise en vente des colonnes de l'ancien temple". - ibidem.
On confie cette tâche à l'architecte Dinocrate de Rhodes( celui de la ville
d'Alexandrie ). Pour l'intérieur du temple "restait à se procurer toute la partie
décorative, tous les objets d'art : les Éphésiens y réussirent grâce à un rabais
énorme consenti par les artistes : c'est ainsi que l'autel principal se trouve
décoré presque exclusivement d’œuvres de Praxitèle". - ibidem , 1, 23.
18

Achèvement des travaux dans le courant du 3ème siècle. Mais le temple se


retrouve isolé après que Lysimaque, en 287 av. n. ère, transfère la ville plus
au sud. Ce qui explique la distance à parcourir pour s'y rendre.
L'édifice reconstruit est large de 50 m et long de 105 m. Il compte 100
colonnes de marbre de presque 17 m de haut. Elles mesurent 1,80 m de
diamètre à la base et au moins certaines d'entre elles sont sculptées sur une
hauteur d'environ 6 m. L'extérieur du temple est orné de peintures éclatantes
et de sculptures et son toit recouvert de grandes tuiles de marbre blanc.

L' Artémision, nom donné par les Grecs au temple d'Artémis

Entrons. Dans le sanctuaire d'environ 32 m de long et 21 m de large se


dresse un autel d'à peu près 6 m de côté !
Non seulement un sanctuaire, mais un lieu d'asile pour les malfaiteurs. Une
fois à l'intérieur, peut importe le délit, nul ne peut être arrêté.
Strabon écrit à propos de ce droit d'asile : "Alexandre en étendit le rayon à
un stade (environ 158 m ) et Mithridate à la portée d'une flèche lancée d'un
des quatre angles de la terrasse supérieure du temple, distance qui, à son
idée, devait dépasser un peu le stade ; à son tour, Antoine en doubla
19

l'étendue de manière à comprendre dans les limites de l'asile tout un quartier


de la ville, mais on ne tarda pas à reconnaître les inconvénients d'une
mesure qui livrait la ville en quelque sorte aux malfaiteurs, et César Auguste
l'abrogea". Mais il précise que ce droit d'asile, certes désormais restreint dans
ses limites territoriales, subsiste cependant intact. - Géographie, ( XIV, 1,
23 ).
Aussi voleurs, meurtriers et gens du même acabit s'installent-ils à proximité
immédiate.
...............................................

Que fait Paul pour toucher le plus grand nombre de personnes à la fois ? Il
n'est pas difficile de répondre, puisqu'il suit l'exemple de Jésus ( voir Luc 4:16
et Matthieu 4:23 ), devenu une habitude pour le missionnaire :
"Paul se rendit régulièrement à la synagogue et, pendant trois mois, il y prit la
parole [ parla avec hardiesse ] , [ librement ], faisant des discours [ avec une grande
assurance ] , [essayant de persuader ] , [ convaincre ] , [ses auditeurs ] au sujet du
royaume de Dieu".
Dans une aussi grande ville ( plus de 250 000 habitants ! ), peut-être ne se
contente-t-il pas de la synagogue la plus proche de son habitation mais fait-il
le tour de tous ces lieux de culte dont le nombre reste inconnu. Ce qui ne
surprendrait pas chez un homme aussi déterminé.
On ne sait pas si quelques-uns de ses auditeurs prennent position pour le
christianisme. Mais comme dit le proverbe " Tant va la cruche à l'eau qu'à la
fin elle se casse". Ce que confirme Luc :
1 : "Mais plusieurs [ un certain nombre de Juifs ] s'entêtaient, refusaient de croire
[ fermaient leur cœur au message ] , [ s'endurcissaient ] et se moquaient [ parlant en
mal de la Voie ] , [ allant jusqu'à calomnier le Chemin ] devant l'assemblée. Alors
Paul finit par les quitter [ se sépara d'eux ] ...
2 : " ... il emmena les disciples avec lui".
Peut-être des disciples de fraîche date, venus de la (ou des ) synagogue (s)
où Paul a donné un témoignage régulier. Ce que semble confirmer cette
précision :
" ... et leur parla [ poursuivit son enseignement ] chaque jour dans l'école d'un
certain Tyrannus".
Note de Parole vivante : "Certains manuscrits ajoutent : de la cinquième à la
dixième heure, c'est-à-dire de 11 h à 16 h".
Pourquoi continuer à perdre son temps avec des gens qui non seulement
sont hermétiques à la Bonne Nouvelle, mais s'opposent vivement en utilisant
la calomnie. Ce serait comme "jeter des perles aux pourceaux", selon
20

l'expression même utilisée par le Christ. Ces animaux dépourvus de raison


les piétineraient malgré leur grande valeur. Ce que fait la majorité de la
communauté juive des paroles de Paul. Avec pour objectif évident de
discréditer le message.
En bon organisateur, l'apôtre prend alors des mesures radicales. D'abord il
instruit en privé ces personnes aux oreilles attentives. Mais il prend aussi des
dispositions pour que ses élèves puissent se rassembler. Ce groupe de
chrétiens doit s'organiser pour devenir une église locale, une assemblée se
présentant comme une entité distincte mais sous la conduite de personnes
responsables ( à former ), les anciens. Ce qui assurera une cohésion dans la
pratique régulière du culte.
Tyrannus lui accorde l'usage de ses locaux pour plusieurs heures par jour,
soit gratuitement, soit parce qu'il les loue afin d'ajouter à ses revenus. Peut-
être, par exemple, à des rabbins itinérants en quête de prosélytes. Cet
arrangement ressemble à celui pris avec Titius Justus, à Corinthe, quand ce
dernier offrit sa maison comme lieu de réunion et de culte lorsque l'opposition
de la communauté juive s'intensifia ( voir Tome 2 - Deuxième voyage ).
Ce qui fait dire à des commentateurs que la plupart des assemblées
( églises, congrégations ) des chrétiens sont nées à partir des synagogues.
Et en effet les premiers chrétiens d'origine juive n'auront pas de mal à tenir
des réunions ordonnées et instructives consacrées à l'étude des Saintes
Écritures, car avec les synagogues ils possédaient un modèle de base qu'ils
connaissaient bien.
Paul enseigne dans cette école de la cinquième heure ( 11 h ) du matin
jusqu'à la dixième heure ( 16 h ). Le mot "école" vient du grec skholê, dont le
sens premier est "loisir". Par extension, ce à quoi on emploie le temps du
loisir : discussion, lecture, instruction ... Une première évidence saute aux
yeux : seule la classe aisée, oisive, privilégiée, a "le loisir" d'apprendre, donc
peut aller à l'école. L'autre, la classe laborieuse, demeure généralement
ignorante. Or, nous avons noté que Paul utilise l'école de 11 h à 16 h.
Pourquoi ?
Le travail manuel commence au lever du soleil jusqu'à 11 h du matin, heure
à laquelle Paul s'installe dans la salle de Tyrannus. Les disciples et d'autres
curieux de l'entendre arrivent. La plupart ont cessé leur activité pour manger
et se reposer pendant les heures les plus chaudes de la journée. Ils mettent à
profit ce temps de repos pour s'instruire. De 11h à 16 h, le missionnaire
prononce des discours pour tous les assistants, puis discute avec ceux qui
s'intéressent au christianisme. A 16 h, la salle se vide car le travail manuel
reprend et se poursuivra jusqu'au coucher du soleil.
Alors Paul s'en va par les rues de la ville évangéliser de "maison en
maison" ; ou s'entretient en privé avec ses collaborateurs les plus proches,
21

fait des projets pour l'extension de l’œuvre dans toute la région. Et ce jusque
très tard dans la soirée, voire de nuit. Ce qu'il rappellera un jour :
"Je ne me retenais pas de vous annoncer toutes les choses qui étaient profitables
[ utiles ] et de vous enseigner ... [ de vous conseiller un à un ] pendant trois ans,
nuit et jour ..." - Actes : 20 : 20, 31.
Mais que fait-il le matin, depuis le lever du soleil jusqu'à 11h ? Il travaille de
ses mains, comme la plupart de ceux qui viendront l'écouter, pour subvenir à
ses besoins. Peut-être à la fabrication de tentes avec ses amis Aquila et
Priscille :
" Vous savez vous-mêmes que ces mains ont pourvu à mes besoins [ assuré le
nécessaire pour moi et ceux qui étaient avec moi ] " - Actes 20 : 34.
Pendant deux ans, il répond présent pour apporter à tous la Bonne Nouvelle
du Royaume de Dieu avec Jésus-Christ ressuscité à sa tête. S'il a conservé
ce rythme quotidien rigoureux pendant deux années entières, le calcul est
vite fait : il a passé plus de 3 000 heures à enseigner dans cette école.

En bref
Les bibliothèques :
Ninive, en 650 av. n. ère : palais d'Assourbanipal ( appelé Asnappar dans la
Bible ), souverain de l'Assyrie, de l’Égypte et de la Babylonie. Des charriots
lourdement chargés reviennent des quatre coins de l'Empire. Ils transportent
de grosses jarres en terre remplies de tablettes d'argile rectangulaires. Des
documents sur des transactions commerciales, ou la relation de coutumes
religieuses, couverts de textes législatifs, lexicographiques, administratifs,
médicaux, de problèmes ou de formules mathématiques ...

"Cunéiforme" indique une écriture en forme


de coin ou de clou. Le scribe les trace à
l'aide d'un calame ( stylet ) enfoncé dans
l'argile fraîche Ensuite on laisse sécher les
tablettes au soleil mais on cuit au four les
plus importantes. Les jarres les contenant
sont placées sur des étagères installées
Tablette de
terre cuite en dans les pièces prévues à cet effet. Une
écriture plaque sur les montants de leur porte indique
cunéiforme le thème traité sur les tablettes entreposées.

Ninive, une vaste bibliothèque riche de plus de 20 000 tablettes !


22

Alexandrie. Fondée au début du 3ème siècle avant notre ère, largement


financée par la dynastie grecque des Ptolémée, la bibliothèque royale est
devenu un centre d'érudition du monde hellénistique. De grands penseurs y
travaillent. On attribue à des savants ayant vécu à Alexandrie des traités
illustres de géométrie, de trigonométrie, d'astronomie, de linguistique, de
littérature et de médecine. D'après la tradition, c'est ici que 72 érudits juifs ont
rédigé une traduction grecque de l' A.T., la version dite des Septante ( voir le
Tome 1 - Premier voyage ).
Les dirigeants égyptiens tenaient tant ( comme ceux de Ninive ) à enrichir
leur collection qu'ils envoyaient des soldats fouillaient les navires faisant
escale à Alexandrie. Ils confisquaient les originaux et retournaient des copies
aux propriétaires. Selon certaines sources, lorsque Athènes lui prêta les
inestimables manuscrits originaux des tragédies grecques classiques,
Ptolémée III versa une caution comme garantie et promit d'en faire la copie.
Au lieu de cela, il préféra abandonner la caution, conserva les originaux et
renvoya des reproductions.
La bibliothèque comptait déjà entre 200 000 et 490 000 rouleaux au 3ème
siècle, quand Callimaque établit un guide bibliographique (en 120 volumes !).

Le papyrus, originaire d’Égypte


Le cœur fibreux du roseau est
découpée dans la longueur en
lamelles larges et minces. Étalées
dans le sens vertical en les faisant
chevaucher légèrement, enduites
de colle liquide, on les recouvre
d'un deuxième lit de lamelles mais
dans le sens horizontal. A l'aide
d'un maillet, les deux couches
croisées sont ensuite martelées
pour assurer leur adhésion. Elles Le Cyperus papyrus.
forment alors une longue bande Grande plante aquatique de
bien homogène. Après séchage au 2 à 6 m. Pousse en eau
soleil, découpage des feuilles aux stagnante et peu profonde.
dimensions voulues. Un polissage Sa partie immergée fournit
à la pierre ponce, et les voilà prêtes la matière première la plus
à l'usage d'écriture. large et la plus blanche.
23

La bibliothèque de Pergame, en Asie Mineure, l’œuvre du roi d'Eumène II,


Sôter ( 197-159 ), a pu compter jusqu'au 400 000 volumes.
On suppose que lors de sa disparition la bibliothèque d'Alexandrie était
riche d'environ 700 000 rouleaux de papyrus. En comparaison, au 14ème
siècle, la Sorbonne, fière de posséder une très importante collection pour
l'époque, comptait à peine 1 700 ouvrages dans la sienne. Mais il ne faut
évidemment pas oublier que si, par exemple, le Banquet de Platon tient dans
un rouleau de 7 m ( 70 pages ) - l’Évangile de Luc en occupe environ 10 m -,
celui relatant les événements du règne de Ramsès III fait 40,50 m de long.
Beaucoup d’œuvres ont donc été fractionnées en plusieurs rouleaux.
En 47 av. n. ère, beaucoup de ses ouvrages inestimables ont été
irrémédiablement perdus quand Jules César a incendié une partie de la ville.
Il existe aussi des bibliothèques privées. Dans sa comédie satirique,
Grenouilles, Aristophane, le poète comique grec du 5ème siècle av. n. ère,
raille le tragique Euripide ( même époque ) parce qu'il pille ( plagie )des livres
pour ses propres pièces. A Athènes, au 4ème siècle av. n. ère apparaissent
les bibliothèques "scolaires", comme celle de l'Académie et du Lycée. On
conserve aussi un texte officiel des œuvres théâtrales jouées aux grandes
fêtes, ainsi que dit plus haut.
On a découvert au 18ème siècle dans une des maisons d'Herculanum
( anéantie en 79 par le Vésuve ), une chambre agencée en bibliothèque. Elle
contenait près de 1800 manuscrits - sans compter tous ceux détruits par les
ouvriers avant que leur valeur en soit connue. Ils étaient posés sur des
rayons tout autour de la pièce, avec au centre de celle-ci une case
rectangulaire ouverte sur ses quatre côtés et remplie de la même manière.
Peu cher, presque blanc, disponible en de nombreux formats, support
d'écriture aisée, relativement durable, souple, le papyrus se répand partout
en Grèce à partir du 7ème siècle av. n. ère. On écrit du côté où les lamelles
sont horizontales, mais aussi parfois aussi du verso pour terminer un texte.

On peut aussi former un rouleau


de ces feuilles jointes les unes
aux autres en les collant sur les
bords. Revêtu d'écriture, il
prendra plus tard le nom latin de
volumen. Un rouleau mesure
entre 4 et 6 m de long, mais on en
a trouvé un de plus de 40 m. C'est
autour d'une baguette de cèdre,
de buis ou d'ivoire fixée à la
dernière feuille, que la bande de
bluesperans.blogspot.com
papyrus s'enroule.
24

Le lecteur commençait à lire le rouleau à une extrémité en le tenant avec la


main gauche et en l'enroulant autour du bâton avec la main droite ( s'il lisait
l'hébreu ; l'inverse s'il lisait du grec ).
Pour un rouleau très long, on plaçait un bâton à chaque extrémité de la
bande et on l'enroulait sur ces deux bâtons en allant vers le milieu. jusqu'à la
partie du texte recherchée.

A l'origine le mot grec biblos désignait la partie intérieure de la tige du


papyrus. Le port phénicien de Guébal, d'où l'on importait le papyrus venant
d’Égypte, en vint même à être appelé "Byblos" par les Grecs. La Septante
traduit d'ailleurs l'hébreu séphèr ( livre, registre, lettre ... ) par biblos et biblion
( son diminutif ).
Et les auteurs du N.T. utiliseront ces mots pour désigner leurs œuvres ou
d'autres écrits. Tout en ignorant bien entendu que leur livre figurera un jour
dans une collection nommée biblia : littéralement "petits livres". D'où est
dérivé le mot "Bible". A noter que le mot français "papier" vient de "papyrus",
par un simple changement de suffixe ( - ier ).

Pas facile d'écrire sur cette surface rêche et fibreuse. Les raccords des
lamelles guident la main du scribe. Il utilise avec précaution un calame, ou
plume en roseau, pour ne pas faire un accroc au papyrus, la feuille pouvant
ensuite se déchirer. Son encre est faite à partir d'un mélange de suie et de
gomme. Sous forme de bâton, il faut la délayer avec de l'eau dans un encrier.
25

Textes en écriture ancienne

Holyland Photos

Calendrier de Guézer ( tablette calcaire de 11 cm x 7 cm ),


10ème siècle av. n. ère Un des plus vieux spécimens
d'écriture hébraïque ancienne -
Musée archéologique d'Istanbul.

Les ostraca ( ostracon au


singulier). Des éclats de
calcaire, morceaux de poteries,
de plats, utilisés comme
brouillon avant d'écrire ou de
peindre.
26

la-vérité-sur-la-bible.skynetblogs.be/archive

Deux des "huit lettres de Lachis", messages sur ostraca


adressés par un officier commandant un avant-poste judéen à
son supérieur établi dans cette ville forte pendant l'invasion par
les forces babyloniennes au 7ème siècle av. n. ère ( sous le roi
Neboukadnetsar )

Le nom divin, composé de 4 lettres


( consonnes ) : YHWH .
Le tétragramme.
Lire de droite à gauche.

Les quatre lettres en


phénicien
hébreu archaïque
écriture carrée ( la plus
récente ).
27

Le papyrus Nash ( 2ème siècle av. n. ère )

Il contient une portion du texte


*
massorétique , en particulier les Dix
commandements.

Le mot hébreu séphèr ( livre, lettre,


écrit ) est apparenté au verbe saphar
(compter ) et au nom sophér ( scribe,
copiste ). Ce dernier, par un excès de
piété, pour écrire le nom de Dieu sous
sa forme des quatre consonnes, se
lavait d'abord les mains et cassait
ensuite le calame utilisé.

* Les Massorètes ( hébreu : ba'alé hammasôrah ), signifiant "maitres de la


tradition" ), créeront, dans la 2ème moitié du 1er siècle, un système de
points-voyelles et d'accents.
1 Rois 6, partie a du verset 1

yossef-abehssera.over-
blog/categorie

Fac-similé d'un texte hébreu massorétique avec points-voyelles et marques


d'accentuation, écrit en lettres carrées, style oriental.

L'alphabet hébreu se composait de 22 consonnes dont plusieurs pouvaient


sans doute représenter deux sons, ce qui donnait environ 28 sons. Le lecteur
devait ajouter lui-même les voyelles en fonction du contexte, tout comme un
francophone insère les voyelles dans des abréviations telles que "vx" (vieux),
"bd" (boulevard) ou "fg" (faubourg).
28

En bref

Le parchemin :

Selon la tradition - et Pline -, ce serait l'embargo instauré sur le papyrus par


le roi égyptien Ptolémée Épiphane (205-182 av. n. ère ) qui poussa Eumène
de Pergame à développer la fabrication du parchemin ( le mot "parchemin"
vient du latin pergamena). Les historiens situent son apparition bien plus tôt,
dans le courant du 5ème siècle av. n. ère.

Les peaux de bêtes ( principalement de moutons ) sont raclées au couteau,


poncées. Les procédés de fabrication seront constamment améliorés.

A partir du 3ème siècle de n. ère, un produit plus fin, le vélin, fait son
apparition. Ce parchemin, souple, très solide et léger, se répand très vite et
supplante progressivement le papyrus. De bonne conservation, il a aussi
l'avantage d'être réutilisable ( l'encre pouvant être grattée, lui rendant son
aspect d'origine ). Grâce à son épaisseur et à sa contexture, il a l'avantage
de pouvoir recevoir de l'écriture des deux côtés. De plus, il présente assez de
résistance et de solidité pour servir à la confection de livres de forme
analogue aux nôtres, c'est-à-dire composés de feuilles distinctes, de
moyenne ou de petite dimension, et réunies par une couture dans la marge
du fond. Ce seront les codices ( singulier codex ).

Avec leur couverture plate de bois ou de cuir, bien plus maniables que les
rouleaux et si commodes à consulter, le succès ne tarde pas. Les chrétiens
joueront à cet effet un rôle en le privilégiant.

Le parchemin s'implantera en Occident et deviendra irremplaçable comme


support de l'écriture jusqu'à l'arrivée du papier.

Manuscrit de la Mer morte


On voit la couture au centre

Les plus anciens manuscrits


connus de la Bible, écrits entre
le 1er s. av. n. ère et le 1er s. de
n. ère, en hébreu ou en araméen,
se présentent sous la forme de
rouleaux de cuir très dégradés.

bluesperans.blogspot.com/p/cartes
29

Les manuscrits se multiplient mais le parchemin reste cher. Comment faire ?


On utilise plusieurs fois le même en grattant une écriture pour la remplacer
par une autre. C'est le palimpseste ( du grec ancien "gratté de nouveau").
Une méthode utilisée surtout au Moyen Age entre le 7ème et le 12ème siècle
par les copistes.

Le Codex Ephremi Rescriptus


Manuscrit en vélin ( 20,5 x 15,2 cm ) en écriture
grecque onciale - on peut voir le grattage de la
première écriture datée du 5ème s., pour y
retranscrire un autre texte au 12ème.
Bibliothèque Nationale de France - Paris

Nul besoin d'être agrégé de latin pour comprendre le terme "rescriptus":


réécrit. Quand à l'écriture dite "onciale", ce terme s'applique à une graphie
particulière des alphabets latin et grec utilisée du 3ème au 8ème siècle.

Créée à partir de la
majuscule et de
l'ancienne cursive
romaine, l'onciale est
l'écriture des codex,
idéalement adaptée à la
plume.
30

Lire et écrire aux temps bibliques

En Égypte et Mésopotamie, savoir lire et écrire était exclusivement réservé


à une élite privilégiée, ou une classe de professionnels comme les scribes et
les prêtres versés dans les écritures cunéiformes et hiéroglyphes abstruses.

Dans l'ancien Israël, tous étaient encouragé à apprendre à lire et à écrire.


Le système d'écriture alphabétique ( voir plus haut ), favorisait l'instruction.
Quelles preuves en avons-nous ? Voici l'injonction reçue à ce sujet parmi les
commandements divins transmis par Moïse :

"Tu les écriras sur les montants de la porte de ta maison" - Deutéronome 11:20.

Et cet autre en arrivant au Jourdain, le seuil de la Terre promise :

" Lorsque tu auras traversé le Jourdain pour entrer au pays que Yahvé [ Jéhovah ]
ton Dieu te donne, tu dresseras de grandes pierres et tu les enduiras de chaux [ ... ]
et tu écriras dessus toutes les paroles de cette Loi [ torah ]" - ibidem 27 : 2 et 3.

Même si on prend le commandement d'écrire sur les montants des portes


pour symbolique, aurait-il eu un sens quelconque pour l'Israélite moyen si
celui-ci n'avait su ni lire ni écrire ?

En Israël, tant le père que la mère enseignaient leur progéniture dès son
plus jeune âge :

"Ces paroles que je vous dis [ ... ], enseignez-les à vos enfants" - ibidem 11:18et19.

Lire et écrire au premier siècle

Que fait le prêtre Zekaria ( Zacharie ) quand on lui demande quel nom il
veut donner à son fils ? Comme il a perdu l'usage de la parole, il réclame par
gestes une tablette sur laquelle il écrit "Jean est son nom".

La tablette

Une planchette de bois recouverte de cire d'abeille. Connue des Hébreux et


des Grecs depuis l'époque antique, il semble que les Romains l'ont fait entrer
dans la pratique journalière pour les besoins de la vie courante. Elle sert aux
comptes, aux devoirs des écoliers, aux notes fugitives. La cire permet
d'effacer et de remplacer facilement les caractères tracés. Le petit tableau
31

blanc d'aujourd'hui - si vilainement appelé "pense-bête", et sur lequel nous


écrivons au feutre toutes sortes de choses pour nous en souvenir ne lui
ressemble-t-il pas étrangement ?
Fresque d'une maison de Pompéi, 1er s.

Tantôt en forme de livre


ou de portefeuille, des
rebords en saillie
retiennent la cire sur
chaque feuillet.
En buis, if, érable et
autres bois durs ; les
plus précieuses en
citrus ( une sorte de
Cyprès venant
d'Afrique ).

On écrit sur la tablette de cire des textes d'usage éphémère avec un petit
instrument d'os, de fer, de cuivre ou d'argent, long d'une dizaine de cm,
mince, pointu à une de ses extrémités ( pour tracer l'écriture ), et l'autre
aplatie ( pour lisser la cire et faire disparaître la lettre ou le mot réprouvé ).
C'est le style ( stylet ). La surface rendue unie, un autre mot peut se
substituer au précédent. Commerçants et fonctionnaires s'en servent
couramment.

Et les premiers chrétiens ?

Les synagogues possédaient, sous la forme de rouleaux, les écrits de


Moïse ( la Torah ), ainsi que ceux des prophètes. Dans celle de Nazareth,
Jésus a lu un jour une portion du rouleau d'Isaïe - voir Luc 4:16,17. Dans celle
d'Antioche de Pisidie, Paul a écouté "la lecture publique de la Loi et des
Prophètes" - voir Actes 13:14,15 et Premier Voyage de Paul, page 93". Au concile
de Jérusalem, le disciple Jacques a rappelé que Moïse était lu à haute voix
dans les synagogues chaque sabbat - voir Actes 15:21 et Deuxième Voyage.
32

Et les particuliers ? Possédaient-ils, eux aussi, des rouleaux des Écritures ?


Prenons l'eunuque éthiopien, ce fonctionnaire à la cour de la reine Candace.
Que lit-il quand le disciple Philippe le rencontre sur la route de Gaza ?

Il était assis sur son char et lisait à haute voix le


prophète Isaïe - voir Actes 8:26-30

Un spécialiste des langues sémitiques pense que parmi les Juifs seuls les
notables lettrés de Palestine, quelques Pharisiens et des enseignants comme
Nicodème ( et bien sûr Gamaliel - voir Premier Voyage de Paul ), possédaient
leurs rouleaux personnels. Une question de coût. Il estime de six à dix
deniers le prix d'un exemplaire du prophète Isaïe. D'après lui les Écritures
hébraïques au complet représentaient 15 à 20 rouleaux. Pour la totalité, il
fallait débourser l'équivalent d'une demi-année de salaire. Inaccessible aux
plus pauvres.

Dans une lettre adressée à Timothée depuis Rome, Paul demandera à ce


fidèle compagnon de lui apporter "les rouleaux [les livres] , [les volumes],
surtout les parchemins". Sans doute des portions des "écrits sacrés [ saintes
Écritures], comme il les appelle dans cette même lettre.
33

Au premier siècle, la plupart des Juifs - sinon tous - savent donc lire et
écrire. Pour enseigner le christianisme, les disciples ont besoin non
seulement de savoir ce que Jésus a dit et fait, mais aussi de comprendre
comment la Loi et les prophéties s'appliquent au Christ. La lecture de
documents anciens ainsi que celle de la version en grec des Écritures
saintes, la Septante, leur est indispensable. Rappelons-nous comment à
Bérée, beaucoup sont devenus croyants en compulsant de tels écrits.

Loin de s'en remettre à la seule transmission orale, souvent peu fiable, les
disciples s'emploient beaucoup à étudier, lire et écrire. De plus, le Christ lui-
même leur avait promis une aide. Laquelle ? Lisons :

"l'Esprit de vérité [...] demeurera avec vous ; l'assistant [ le Conseiller ] , [ le


souffle sacré ], l'Esprit-Saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera
toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit" - voir Jean 14 : 17et 26.

Peut-on trouver meilleur guide ? Avec lui aucun obstacle ne devient


insurmontable. Les manuscrits sont peu nombreux et il est impossible de les
conserver après lecture ? L'esprit saint de Dieu stimule la mémoire de ces
lecteurs assidus des Écritures. Ils deviennent des enseignants hors pairs.
L'hébreu et l'araméen sont encore en usage en Palestine, mais dans le reste
des vastes provinces de l'Empire romain on parle la koinè ( grec populaire ) ?
On apprend par cœur de nombreux passages de la Septante. Idem par la
rédaction en grec des Évangiles - excepté Matthieu rédigé en hébreu puis
traduit -, et autres écrits du N.T. Les huit rédacteurs citeront librement la
Septante plus de 800 fois et emprunteront nombre de ses expressions.

On peut essayer d'imaginer la façon dont se déroule la réunion quotidienne


de cinq heures ( de 11h à 16h ) tenue par Paul dans cette salle d’Éphèse
mise à sa disposition.

Après un exposé sur la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu avec Jésus-


Christ ressuscité à sa tête - citations des Écritures à l'appui -, peut-être en les
lisant dans ces rouleaux personnels dont il parle à Timothée, la discussion
s'engage. Beaucoup de questions. Paul et ses collaborateurs présents
s'efforcent de répondre de leur mieux. Les auditeurs ont-ils écrit avec un
stylet les références bibliques et griffonné des pensées difficiles à
comprendre sur leur tablette de bois recouverte de cire ? Qu'ils laissent peut-
être ensuite dans la salle pour la retrouver la prochaine fois. Un historien
avance aussi l'hypothèse d'une copie des textes bibliques à l'encre sur des
ostraca, ( tessons de poterie ), la tablette du pauvre. Il est vrai qu'on pouvait
ensuite les emporter chez soi, les étudier à loisir, les faire lire à d'autres
membres de la famille, à des amis, les conserver pour un usage personnel.
34

Reprenons le récit de Luc :


"Cela eut lieu pendant deux ans, de sorte que tous ceux qui habitaient dans la
district [ province ] d'Asie entendirent la parole [ message ] du Seigneur, tant Juifs
que Grecs [ Hellènes ]".

Question : comment tous ces gens en Asie pouvaient-ils entendre ?

Réponse : les auditeurs éphésiens de Paul se sont forcément déplacés pour


diverses raisons pendant tout ce temps : commerce, famille hors de la ville.
De même, des non-citadins ou des étrangers en visite ( ne pas oublier l'attrait
exercé par cette grande ville dotée de magnifiques édifices - comme le
temple d'Artémis ), ont pu rencontrer Paul prêchant en public, ou être invités
par des amis à venir écouter ses discours chez Tyrannus.

Question : qu'ont-ils fait de retour chez eux ?

Réponse : comme les éphésiens se déplaçant hors de leur ville, les


étrangers ont certainement parlé à d'autres de ce qu'ils ont entendu. Tous ne
sont pas devenus croyants, mais le fait de raconter l'incroyable message a
sans doute porté du fruit. Des membres de leur famille, des voisins l'ont peut-
être pris à cœur. Qu'a fait André après avoir fait la connaissance de Jésus ?

"Il alla d'abord trouver son frère Simon ( Pierre ) et lui dit : Nous avons trouvé le
Messie" - voir Jean 1 : 41.

Vers la fin de son séjour à Éphèse, Paul écrira aux chrétiens de Corinthe :

"Les congrégations [ églises ] , [ assemblées ] d'Asie vous envoient leurs


salutations" - 1 Corinthiens 16:19.

Question : de quelles communautés chrétiennes parle-t-il ?

Réponse : probablement celles de Colosses, de Laodicée et de Hiérapolis.


Une supposition des biblistes : ils ajoutent les villes de Smyrne, Pergame,
Sardes et Philadelphie. Toutes dans un rayon de 190 km autour d’Éphèse et
reliées entre elles par un excellent réseau routier. Le sud et l'ouest de l'Asie
Mineure. Une vingtaine d'années seulement après la Pentecôte de 33 !

Peut-être avez-vous noté dans cette liste cinq villes sur les sept citées dans
le livre rédigé par l'apôtre Jean vers la fin du premier siècle - voir Apocalypse
( ou Révélation ) chapitres 2 et 3 . Celles de Colosses et d'Hiérapolis sont
absentes de l'écrit johannique ; mais Laodicée ainsi qu’Éphèse y figurent.
Que sait-on de ces villes ? Où se situaient-elles exactement par rapport à
Éphèse ?
35

bleublancturc.com

Conservons l'ordre utilisé par l'apôtre Jean pour les énumérer :

Ephèse ( voir pages 12-19 )

Un peu plus loin, quand un événement inattendu mettra Paul dans une
situation particulièrement délicate, nous ajouterons quelques données à ce
que nous savons déjà sur cette ville.

Smyrne ( aujourd'hui Izmir, à 55 km au nord des ruines d’Éphèse ).

Son nom ne figure dans aucune des lettres de Paul.


D'abord colonie grecque, envahie vers 580 av. n. ère par les Lydiens, puis
par les Perses. Ravagée, la cité décline. Selon la légende, Alexandre projette
de restaurer la cité. Après sa mort deux de ses successeurs ( Antigone le
Borgne , puis Lysimaque ) reconstruisent la cité mais en un autre endroit. En
302 av. n. ère, elle passe sous la domination de Lysimaque, puis sous celle
des Séleucides. Elle devient une ville commerciale florissante.

Intégrée à la province romaine d'Asie, on l'admire pour ses magnifiques


édifices. Un temple est dédié à l'empereur Tibère. Les adorateurs devaient
36

brûler une pincée d'encens en proclamant "César est Seigneur".

Polycarpe naîtra dans cette ville aux environs de 69, de parents chrétiens.
Instruit, selon Irénée, entre autres par les apôtres, il sera nommé surveillant
de l’Église de Smyrne et mourra en martyr sur le bûcher le 23 février de l'an
155.

Pergame ( Bergama, près du site de la Pergame antique ).

Elle se trouvait à environ 25 km de la mer Égée. Absente dans les lettres de


Paul. A l'origine une forteresse sur une colline escarpée et isolée entre deux
cours d'eau, la cité s'étend dans la vallée, la colline devient l'acropole, et en
420 av. n. ère la ville frappe des pièces de monnaie. Sous le règne des
Attalides ( dynastie hellénistique ), la voilà une ville riche et importante.

Avec Eumène II, son immense bibliothèque rivalise avec celle d'Alexandrie
( voir plus haut ). Il bâtit un autel monumental en marbre pour commémorer
sa victoire sur les Gaulois.

Au temple d'Asclépios, dieu des guérisons et de la médecine, affluent les


malades de toute l'Asie. En 133 av. n. ère, le roi Attale III lègue Pergame à
Rome. Un temple somptueux est consacré à l'empereur Auguste. On rend
aussi un important culte à Aphrodite ( Vénus ), déesse de l'amour sexuel, et à
Zeus ( le Grand Autel de son temple est au Pergamon Museum, sur l'île aux
Musées de Berlin ).

Thyatire ( aujourd'hui Akhisar ).

Reconstruite au début du 3ème siècle av. n. ère par Séleucus Nicator, la cité
se trouvait à l'intérieur des terres, à environ 60 km de la mer Égée, sur un
affluent du fleuve Gediz ( l'ancien Hermus ).

Elle devient un centre industriel prospère, réputé pour ses nombreux métiers
et pour son commerce de teinture. Mentionné par Luc à propos de Lydie, une
marchande de pourpre de cette ville et qui se convertit au christianisme à
Philippes de Macédoine - voir Deuxième voyage de Paul, page 37.

On suppose que le message parvient dans cette ville pendant les deux
années ( vers 53-55 ) où Paul prêche à Éphèse, à quelque 115 km au sud-
ouest. Une seule certitude, environ 40 ans plus tard, on peut y voir une
congrégation chrétienne assez dynamique.
37

Sardes ( aujourd'hui en ruines ).

Capitale antique de la satrapie de Lydie. Centre du culte d'une déesse


asiatique correspondant soit à Cybèle, soit à Artémis. Fabrication d'étoffes et
de tapis de laine. Ville riche par son activité commerciale. Au 6ème siècle av.
n. ère, Cyrus est vainqueur de son dernier roi, Crésus. Elle devient la capitale
de l'Ouest de l'Empire perse. Alexandre s'en empare en 334 av. n. ère sans
rencontrer de résistance. Ensuite convoitée par les diadoques, la voilà sous
la domination séleucide, puis annexée par Pergame. Puis de Rome en 133
av. n. ère. D'après l'historien Josèphe, une grande communauté juive est
installée dans la ville - voir Antiquités Judaïques, XIV, 259 [ X, 24 ]. Un
tremblement de terre la détruit presque en 17 de n. ère. L'aide généreuse de
Rome permet de la rebâtir. Absente des lettres de Paul, mais on peut
avancer la même supposition que pour les trois précédentes.

Philadelphie ( sur son emplacement s'élève Alaşehir ).

Peut-être construite au 2ème av. n. ère par le frère du roi Eumène II de


Pergame, Attale II ( surnommé Philadelphe ), d'où son nom. Perchée sur un
plateau montagneux, dans une région fertile, elle domine une large vallée qui
s'étend vers l'ouest jusqu'à Smyrne, sur la côte. Des routes la relie aux autres
villes importantes de la région et elle tient lieu en quelque sorte de porte
donnant accès au cœur de la Phrygie - voir la carte.
Centre viticole prospère - pas étonnant de trouver Dionysos le dieu de la
vigne comme divinité protectrice de Philadelphie. Comme Sardes, en 17 de
n. ère elle est détruite par un séisme. Rebâtie avec l'aide financière de Rome,
elle prend le nom de Neocasearea ( Nouvelle César ) et plus tard ( sous
Vespasien ) on le changera de nouveau pour Flavia.
Elle connaît une grande prospérité quand Jean rédige le dernier livre du N.T.
Mais Paul n'en parle pas. Même commentaire que plus haut pour l'époque de
l'arrivée du christianisme dans cette ville.

Laodicée ( aujourd'hui en ruines, près de Denizli ).

Antiochus II, souverain séleucide, la rebâtit au 3ème siècle av. n. ère et lui
donne un nom dérivé de Laodice, son épouse. A environ 150 km d’Éphèse,
cette ville phrygienne se trouve dans la fertile vallée du Lycus, à la jonction
de grandes voies commerciales.
38

Productrice de biens manufacturés ( vêtements confectionnés avec la belle


laine douce et noire de ses moutons, tapis ), on pense que l'art de la broderie
y a pris naissance, ce que semble corroborer le terme latin qui signifie
"brodeur" ( phrygio ). Elle prospère, se fait connaître par ses transactions
bancaires. Sa richesse est telle que sous Néron ( nous y serons à partir du
13 octobre 54 ), après un tremblement de terre dévastateur, on la
reconstruira sans l'aide de Rome - voir Tacite, Annales, XIV, XXVII.

La ville possède une école de médecine renommée. Asclépios, dieu de la


médecine est une des divinités vénérées. On y prépare aussi le collyre connu
sous le nom de poudre phrygienne.

Un souci cependant : il faut faire venir l'eau de très loin au moyen d'un
aqueduc puis à travers des canalisations faites de pierres cubiques forés en
leur milieu et cimentés ensemble. Elle est probablement tiède quand elle
arrive dans la ville.

De nombreux Juifs vivent à Laodicée et sont même autorisés à observer


sans difficulté leurs sabbats et autres rites religieux - voir Josèphe, Antiquités
judaïques, XIV, 241-243 [ X, 20 ].

De Rome, Paul écrira vers 60-61 une lettre aux chrétiens de Colosses, la
ville voisine. On apprend par lui que des coreligionnaires se réunissent à
Laodicée dans la maison d'une chrétienne nommée Nympha. De plus, les
efforts déployés par Épaphras, originaire de cette ville, ont sans doute
contribué à la formation d'une congrégation. Paul ne se rendra pas en
personne à Laodicée mais le bonheur de cette assemblée lui tient à cœur.
Comment le savons-nous ? A propos de sa lettre adressée aux Colossiens, il
donne cette recommandation :

"Lorsque cette lettre aura été lue chez vous, faites en sorte qu'elle soit aussi lue
dans la congrégation [ assemblée ] , [ communauté ] des Laodicéens. Lisez à votre
tour celle qui vous arrivera [ sera transmise ] de Laodicée" - voir Colossiens 4 : 16.

Pour expliquer l'absence d'une lettre de l'apôtre aux chrétiens de Laodicée


dans le corpus paulinien, certains biblistes avancent l'hypothèse suivante :
celle de Laodicée que Paul recommande de lire serait une copie de son
épitre aux Éphésiens ( même époque ).
Dans ce cas il faudrait comprendre l'apostille comme suit : "et que vous,
vous lisiez également ( la copie de la lettre aux Éphésiens ), celle ( reçue par
la congrégation ) de Laodicée". Pourquoi pas ? Cette lettre inconnue
contenait peut-être simplement des instructions nécessaires à l'époque ( une
sorte de circulaire ). Ou répétait des idées déjà suffisamment développées
dans d'autres lettres canoniques.
39

Paul aborde parfois un même thème pour des destinataires différents. Par
exemple, on peut voir non seulement des similitudes entre la lettre aux
Colossiens et celle aux Éphésiens, mais selon un bibliste dans celle aux
Colossiens figurerait près de la moitié du contenu de celle aux Éphésiens,
sous une forme plus ou moins identique. Comme il écrira les deux épitres à
peu près en même temps et que les problèmes vécus par les destinataires lui
sembleront analogues ( sans oublier la proximité des deux villes ), il jugera de
donner le même genre de conseils. Nous en reparlerons quand il sera à
Rome.

..........................................................

Voilà pour les 7 villes nommées par l'apôtre Jean vers la fin du 1er siècle.
Toutes ont-elles bénéficié de la longue présence de Paul à Éphèse ? Difficile
de ne pas le croire. D'autant plus que deux autres villes à proximité
immédiate de Laodicée, mais où il semble n'avoir jamais mis les pieds, sont
implicitement ou directement citées dans une de ses lettres : Hiérapolis et,
bien sûr, Colosses.

Hiérapolis ( sur son emplacement se situe Pamukkale ).

Cette ville de la province romaine d'Asie se situe à environ 15 km au nord


de Laodicée est nommée par Paul (lettre aux Colossiens 4 : 12,13 ).

Fondée vers la fin du 2ème siècle av. n. ère par Eumène II, roi de Pergame
( son nom viendrait de Hiéra la femme de Téléphore, fondateur légendaire de
Pergame ). La cité située au sommet de la colline de Pamukkale est mise en
valeur par deux phénomènes naturels :

1) Une eau naturellement chaude censée rajeunir et guérir bien des maux.
Cléopâtre se serait baignée dans une des piscines thermales.

2) Le dieu chthonien Pluton ( l'Hadès des grecs ) avait un oracle dans les
sous-sols du temple d'Apollon bâti sur une faille d'où sortaient des vapeurs
délétères. L'historien romain Dion Cassius rapporte que ces exhalations
naturelles ( en fait au dioxyde de carbone ) tuaient tous les êtres vivants sauf
les eunuques préposés au rite.

La ville sera détruite par un violent séisme en 60 de n. ère, puis reconstruite


et embellie par les Romains et plus tard les Byzantins.
40

Colosses ( le site antique n'est plus habité ).

"Dans un site d'une beauté alpestre, que domaine le Mont Cadmus


couronné de neiges éternelles", dit un bibliste, dans la haute vallée du Lycus,
à environ 18 km de Laodicée et quelque 200 km d’Éphèse, voici Colosses.
C'est là que passe la principale route menant de la côte égéenne vers l'Est,
jusqu'à l'Euphrate.

Autrefois très importante ( Hérodote en parle même dès le 5ème siècle av.
n. ère comme d'une "grande ville de Phrygie", au 1er siècle, en raison des
modifications du système routier, elle n'est plus qu'une petite cité. Les villes
voisines, Laodicée et Hiérapolis l'ont supplantée. Elle reste cependant
renommée pour sa belle laine d'une teinte rare désignée par l'adjectif
kolossénos.

Un terrible tremblement de terre détruira la ville au début des années 60,


comme sa voisine Laodicée. Mais si cette dernière se relèvera de ses ruines,
Colosses ne parviendra jamais à retrouver sa vitalité. La ville a même été
déplacée à l'endroit où se tient de nos jours la ville moderne de Honaz.

L'historien Josèphe dit que la population phrygienne avait un caractère "en


rapport avec la nature volcanique du sol" - voir Antiquités judaïques XII, 3.

Ce tempérament, notamment marqué par une tendance au mysticisme et


aux excitations orgiaques par le culte frénétique de Cybèle et de Dionysos,
offre un terrain propice aux rites de la mythologie gréco-romaine et autres.
Informé du danger couru par la jeune communauté chrétienne de Colosses,
nous verrons comment Paul traitera de ce danger dans cette lettre qu'il leur
écrira depuis Rome.

Petit Quizz

. question : qui a fondé la congrégation de Philippes ?


. réponse : Épaphras ...............
Paul ....................... X

. question : qui a fondé la congrégation de Corinthe ?


. réponse : Épaphras ...............
Paul ....................... X
41

. question : qui s'efforce de fonder une congrégation à Éphèse ?


. réponse : Épaphras ...............
Paul ....................... X

. question : qui a travaillé à établir celles de Colosses, de Hiérapolis


et de Laodicée ?
. réponse : Paul .........................
Épaphras .................
X

Épaphras !

Épaphras

Comme préambule à un très beau commentaire sur ce compagnon de Paul,


un auteur écrit :

" 'Énoch marcha avec Dieu, et il ne fut plus, parce que Dieu le prit ' ( Genèse 5:24 ).
Que c'est bref ! et pourtant que c'est vaste, que c'est complet ! Combien de
volumes les hommes auraient remplis des détails d'une telle vie ! Marcher
avec Dieu, cela comprend tout ce qu'il est possible de dire d'un individu. Un
homme peut faire le tour du globe, il peut prêcher l'évangile sous tous les
climats, il peut souffrir pour la cause de Christ, il peut nourrir ceux qui ont
faim, vêtir ceux qui sont nus, visiter les malades ; il peut lire, écrire, imprimer
et publier des livres d'édification ; en un mot, il peut faire tout ce qu'il serait
possible à l'homme de faire ; et avec tout cela, sa vie entière pourrait être
résumée en cette courte phrase : 'il a marché avec Dieu'".

Après d'autres vérités toutes aussi profondes, il poursuit ainsi :

"Il y a quelque chose de particulièrement touchant dans la manière dont le


nom d' Épaphras est, pour la première fois, présenté à notre attention, dans
le N.T. Les allusions à ce frère sont des plus brèves, mais en même temps
des plus suaves. [...] Ses travaux - du moins quant à ce que l'écrivain inspiré
nous en a rapporté - ne paraissent pas avoir été bien apparents ni bien
remarquables. Ils n'étaient pas de nature à attirer les regards ou les louanges
des hommes, et n'en étaient pas moins les travaux les plus précieux, je dirai
même : des travaux inappréciables". - extraits d'un très long texte reproduit
par Biblequest et dont vous pourrez retrouver l'intégralité sur son site.

Le nom "Épaphras " n'apparaît que trois fois dans l'Écriture. Il est en effet dit
peu de chose de lui, suffisamment, toutefois, pour dépeindre son caractère
42

moral et souligner la valeur de son service.


Voici comment Paul parle de lui, au verset 7 de Colossiens 1 :

"Épaphras, notre cher compagnon de service [ bien-aimé ] , [ notre ami ] vous a


instruits ; il nous représente [ nous supplée ] fidèlement comme ministre du Christ".

Aux versets 12 et 13 du chapitre 4 :


"Épaphras, votre compatriote, vous salue … il se donne beaucoup de peine pour
vous, ainsi que pour ceux de Laodicée et ceux de Hiérapolis ''.

Et dans sa lettre à Philémon, verset 23 :


"Épaphras mon compagnon de captivité en union avec Christ t'envoie ses
salutations".

Épaphras, originaire de la région, est-il devenu chrétien après avoir entendu


Paul prêcher à Éphèse ? Les Écritures ne le précisent pas.

Colosses
Hiérapolis
Laocicée
Philadelphie
Sardes
Thyatire

Paul vise Éphèse comme un centre urbain clé, aussi bien pour les voies
maritimes que terrestres. Le nœud de communication par excellence vers
toutes les parties de l'Asie. En faisant connaître la Bonne Nouvelle à
l'intérieur des terres, Épaphras agit en qualité de représentant de l'apôtre et
le message chrétien a pu donner naissance à des "églises filles" comme les
appelle un commentateur - les six situées sur la route principale partant
d’Éphèse -, au cours des années où Paul a certainement organisé et
supervisé le témoignage non seulement dans la ville mais aussi extramuros.
43

On comprend mieux pourquoi vers la fin de son séjour, Paul écrira aux
Corinthiens :

"Les assemblées [ églises ] de l'Asie vous saluent affectueusement ".

Qu'en sera-t-il des autres parties de cette vaste région ?


Quelques années plus tard, entre 62 et 64, l'apôtre Pierre écrira sa première
lettre à l'adresse des chrétiens du Pont, de Galatie, de Cappadoce, d'Asie et
de Bithynie. Nous ne savons pas comment le christianisme est entré dans les
régions où Paul n'a pas évangélisé - la Bithynie et le Pont, par exemple -,
mais peut-être y a-t-il été introduit par des Juifs ou des prosélytes revenus de
Jérusalem après la Pentecôte de l'an 33. En tout cas, quand Pierre écrit, une
trentaine d'années plus tard, il ressort que "toute l'Asie Mineure était
parsemée" de congrégations, pour reprendre les termes d'un bibliste. Dès
lors, loin d'être de la fanfaronnade, les termes utilisés par Paul quand il écrira
bientôt aux chrétiens de Rome, depuis Corinthe sa prochaine étape, prennent
toute leur signification. Citant le Psaume 19 : 4, il l'applique à la prédication
des chrétiens et dit :

" Par toute la terre est sorti le bruit qu'il font [ leur voix a retenti ], et jusqu'aux
extrémités de la terre habitée leurs [ paroles ] discours " - Romains 10:18.

A Éphèse, tout semble aller pour le mieux :

"Dieu continuait d'accomplir des œuvres de puissance [ faisait des miracles


extraordinaires ] , [ des prodiges ] par les mains de Paul, si bien qu'on portait même
des tissus et des tabliers qui avaient touché [ de ] son corps [ pour les appliquer ]
aux malades, et les maladies les quittaient [ ils étaient guéris ], et les esprits
méchants [ malins ] sortaient".

Les tissus : peut-être des mouchoirs noués sur son front pour empêcher la
sueur de couler dans ses yeux. Est-ce déjà l'été 54 ?
Les tabliers : comme ceux portés par des artisans. Le mot grec simikinthion
désigne souvent quelque chose qui se noue au niveau de la ceinture pour
couvrir une partie du corps sous la taille. D'où la déduction qu'il exerçait bien
son métier de fabricant de tentes durant son temps libre, peut-être tôt le
matin. Confirmation de "ces mains ont pourvu à mes besoins".

Les gens viennent les chercher ( probablement à l'insu de l'apôtre ) et en les


touchant ils trouvent la guérison. Tous, on le comprend aisément, ne peuvent
pas arriver au contact direct : de là l'espérance et le désir de pallier à ce
manque par celui d'objets qu'il a porté. On pense à cette femme sujette à des
abondants écoulements de sang depuis douze ans et espérant la guérison en
touchant simplement le bord ( la frange ) d'un vêtement de Jésus. Sa foi ne
44

l'a pas déçue. - voir Luc 8: 43,44. A retenir que ces bouts de tissus n'ont
évidemment aucune puissance magique en eux-mêmes. Ils sont la preuve
que Dieu bénit, confirme et endosse le ministère de Paul. L'apôtre ne fait
donc pas ces prodiges de son propre chef. Dieu accomplit ces œuvres
extraordinaires en se servant de Paul.

Un proverbe espagnol, d'après une pièce du dramaturge ibérique Lope de


Vega dit : "Le chien du jardinier, même s'il néglige sa pâtée, gronde quand un
autre s'approche de l'assiette". Ce qui se vérifie :

"Mais quelques-uns parmi les Juifs itinérants, qui faisaient métier de chasser les
démons [ des exorcistes ambulants ], entreprirent de nommer [d'invoquer ] ,
[ essayèrent d'utiliser ] , eux aussi, le nom du Seigneur Jésus sur ceux qui avaient
des esprits méchants, en disant : 'Je vous ordonne solennellement par Jésus que
Paul prêche'".

Au premier siècle, des Juifs ont fait de l'exorcisme un métier lucratif. Flavius
Josèphe rapporte même cette croyance de ses compatriotes à propos de
Salomon :
"Comme il avait composé des incantations pour conjurer les maladies, il a
laissé des formules d'exorcisme pour enchaîner et chasser les démons, de
façon qu'ils ne reviennent plus. Et cette thérapeutique est encore très en
vigueur jusqu'ici chez nous"...

Puis il décrit comment un nommé Éléazar pratiquait ( la scène se passe en


présence de l'empereur romain Vespasien et de sa cour ) :
" ... il approchait du nez du démoniaque un anneau dont le chaton enfermait
une des racines indiquées par Salomon, puis, le faisant respirer, il effrayait
l'esprit démoniaque par les narines ; l'homme tombait aussitôt et Éléazar
adjurait le démon de ne plus revenir en lui, en prononçant le nom de
Salomon et les incantations composées par celui-ci".
- Antiquités Judaïques, livre VIII, 2, 5.

Au sujet de cette racine, il ajoute :


"On la recherche pour une propriété qui la rend précieuse : les êtres
appelés démons - esprits des méchants hommes qui entrent dans le corps
des vivants et peuvent les tuer quand ceux-ci manquent de secours - sont
rapidement expulsés par cette racine, même si on se contente de l'approcher
des malades".
- Guerre des Juifs, livre VII, 6, 3.

Ces exorcistes se servent manifestement d'une variété d'incantation mais un


ouvrage sur la question révèle aussi une autre caractéristique de l'exorcisme
juif, celle de prononcer des noms auxquels on prête une certaine efficacité.
45

Sans doute cette superstition a-t-elle incité les jaloux à utiliser pour leur
propre compte la même formule que Paul, puisqu'ils sont témoins de son
succès.
Ce que s'empressent de faire les sept fils de Scéva, un prêtre en chef juif.
Luc nous relate avec une certaine ironie leur cocasse mais tragique
aventure :
"Mais l'esprit mauvais [ méchant ] leur répondit : "Je connais Jésus et je sais qui
est Paul ; mais vous, qui êtes-vous ?".

Surprise ! D'habitude ce sont les exorcistes qui cherchent à connaître le


nom du démon avant de l'expulser, ici, c'est le contraire. Ce renversement de
situation a de quoi désemparer. Mais la suite plus encore :

"Et l'homme possédé de l'esprit mauvais se jeta sur eux".

"Il les maltraita avec


une telle violence
qu'ils s'enfuirent de
sa maison nus [ les
vêtements en
lambeaux] , [roués
de coups] et
couverts de
blessures".

Quel est le problème ? Les fils de Scéva ont pourtant utilisé le nom de
Jésus. Mais ce n'est pas suffisant. Pourquoi ? Parce qu'ils n'ont aucune
relation avec le Christ. Cette lacune est un gouffre. Ils prononcent alors des
mots vides de puissance et d'autorité. Ils comptent sur une méthodologie et
non sur Jésus lui-même. L'esprit méchant leur conteste leur droit d'invoquer
l'autorité que ce nom représente et pousse le possédé à les attaquer et à les
brutaliser. Par contre, les apôtres fidèles du Christ ont été autorisés à se
servir de son nom avant comme après sa mort ( voir Luc 9:1 ; 10:17 ; Actes
46

16:16-18 au Deuxième voyage, page 40 ). Pendant l'enfance de la congrégation


chrétienne, ses premiers pas, il fallait de puissants miracles pour prouver que
la main du Dieu Tout-puissant leur accordait sa protection. Par la suite, les
dons miraculeux venant de Dieu cesseront.

La mésaventure des imposteurs engendre la crainte et un plus grand


respect de la populace pour le nom du Seigneur Jésus ( tant des Juifs que
des Grecs ). Alors se produit une réaction, comme une secousse, chez la
plupart des nouveaux croyants : ils viennent d'abord avouer publiquement
leurs pratiques occultes. Mais la démarche suivante a réellement de quoi
surprendre quand on sait que la culture éphésienne baignait dans les arts
magiques. Bon nombre d'entre eux ont certainement pratiqué une forme ou
une autre de magie. Avec des incantations souvent sous forme écrite. Pour
démontrer qu'ils s'amendent vraiment :

"Un grand nombre de ceux qui avaient pratiqué la magie apportèrent leurs livres
[ de sorcellerie ] et les brûlèrent devant tout le monde". - Actes 19 : 19.

"On calcula la valeur de ces livres et l'on trouva qu'il y en avait


pour cinquante mille pièces d'argent".

Une pièce d'argent ( soit la drachme grecque : 3,40 g ; ou le denier romain


au poids presque identique : 3,85 g ) représente à l'époque le salaire
quotidien d'un ouvrier agricole ( cf Matthieu 20:2 ). Partent en fumée 50 000
journées de dur labeur !
47

Note de la Bible des peuples : "La conversion vraie de ceux qui confessent
leurs pratiques de magie et brûlent des livres extrêmement chers vaut bien
des guérisons"

Dans une ville saturée d'arts magiques et où la vie du peuple est gouvernée
par les superstitions, la divination et la recherche des présages, comment ne
pas rester bouche bée en voyant tout ces gens renoncer ainsi publiquement
à de précieux ouvrages sur des pratiques occultes.

Par exemple, "les lettres éphésiennes" - une combinaison de lettres et de


mots à prononcer dans un certain ordre et sur un certain ton - avaient,
croyait-on, le pouvoir de chasser les maladies ou les esprits mauvais. On les
écrivait aussi sur une feuille de parchemin qui opérait ensuite comme
amulette.

Définition du dictionnaire "Littré" :

"anciennes lettres magiques qui étaient écrites sur la couronne, la ceinture


et les pieds de la statue de Diane d’Éphèse, et qui passaient pour avoir la
vertu de faire obtenir à celui qui pouvait les lire et les prononcer tout ce qu'il
désirait".
Diane la romaine = l'Artémis éphésienne.

Après l'humiliation publique des fils de Scéva avec leur tentative manquée
d'exorcisme, puis le feu de joie des ouvrages contenant formules magiques
et mots incantatoires :

"la parole du Seigneur [ de Dieu ] , [continuait à croître ] démontrait sa puissance


[ se répandait et se fortifiait ] , [ s'affermissait ] , [ devenait de plus en plus efficace ]
remportant partout des victoires [ produisait de grands effets ]".

Dans le livre des Actes d'apôtres, on ne rencontre que deux autres fois cette
expression "la parole de Dieu continuait à croître" (voir Actes 6:7 ; 12:24). Dans
ces trois passages, "la parole de Dieu" désigne bien sûr la Bonne Nouvelle,
autrement dit le message exaltant de la vérité divine. Un message si vivant et
puissant qu'il parvient à transformer la vie de ceux qui l'acceptent. Quand il
écrira aux chrétiens hébreux de Judée, Paul dira d'une belle façon imagée
que la parole de Dieu, plus acérée qu'une épée à double tranchant, pénètre
jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit, des jointures et de leur moelle.
Ajoutant qu'elle possède la faculté de discerner les pensées et les intentions
du cœur. Inutile de chercher plus loin la motivation de ces nouveaux croyants
pour faire si joyeusement un autodafé de leurs dangereux parchemins.
Le temps passe. Depuis combien de temps Paul enseigne-t-il de 11 heures
48

du matin jusqu'à 4 heures de l'après-midi dans cette salle mise à sa


disposition par Tyrannus ? Sommes-nous à l'automne 54 ? Le mois d'octobre
touche-t-il à sa fin ? Si tel est le cas, un nouvel homme gouverne l'Empire
romain depuis une quinzaine de jours. Il s'appelle Néron.

En 49, l'empereur Claude épouse

Agrippine la jeune, sa nièce

Et adopte son fils, sous le nom de


Tiberius Claudius Nero

Claude le nomme César au


détriment de son propre fils
Britannicus

Le 12 octobre 54, Claude est


empoisonné par Agrippine
Le 13 octobre, Néron
devient empereur
Il a 17 ans
49

Si Paul avait besoin d'être accrédité publiquement par les marques d'une
autorité supérieure, c'était bien dans cette ville d’Éphèse superstitieuse entre
toutes, où théurgie et goétie font bon ménage. Après l'échec notoire des
exorcistes juifs, suivi de la destruction par le feu de leurs livres de magie par
les nouveaux chrétiens désormais résolus à suivre fidèlement la Voie ( sans
doute des rouleaux, des feuilles volantes couvertes de formules incantatoires,
et des amulettes ), le missionnaire forme de nouveaux projets.

Le texte nous donne l'esquisse générale de son plan de voyage:

"Après ces événements, Paul forma le projet [ se proposa ceci dans son esprit :
après avoir traversé la Macédoine et l'Achaïe ] d'aller à Jérusalem. "Quand j'y serai
allé, disait-il, [ il faut ] aussi que je me rende à Rome". - Actes 19 : 21.

Un vaste dessein : se détourner de l'Orient et se consacrer à l'Occident,


particulièrement à Rome. Ses entretiens avec Priscille et Aquila lui ont sans
doute révéler les besoins immenses de la capitale romaine. Se sent-il destiné
à y répondre ? Pour lui, c'est une nécessité : il faut ! En répondant à l'appel
du Macédonien, il a franchi une première étape vers ce but. Pourtant cette
fois aucun ordre direct de Dieu ne semble justifier cette obligation. Mais peut-
être y en a-t-il eu un dont Luc ne nous informe pas. Néanmoins, si l'apôtre
acquiert au fil de ses voyages une indépendance croissante, il n'en reste pas
moins placé sous l'action continuelle de l'Esprit saint. Il lui attribue sans doute
ce désir d'arriver un jour jusqu'à Rome. Un devoir confirmé dans quelques
temps par le Seigneur lui-même ( voir Actes 23:11 ). Souhait exprimé par
l’intéressé dès son arrivée à Corinthe. Nous y reviendrons. Avant Rome, il
doit d'abord retourner à Jérusalem pour y porter le produit des collectes
fidèlement continuées au cours de ses voyages.

Donner corps à son dessein exige un préparation préalable. Paul décide


d'envoyer en Macédoine deux messagers, ses associés et compagnons de
voyage : Timothée et Éraste. Le premier, laissé à Corinthe au départ de
l'apôtre en compagnie de Priscille et Aquila pour un premier très court séjour
à Éphèse, a évidemment rejoint son mentor dans cette ville en apprenant son
retour ( peut-être sur son invitation, compte tenu du travail prévu ). Qui est
Éraste ? Celui appelé trésorier de Corinthe par Paul ? A-t-il quitté sa charge
d'économe pour suivre l'apôtre à la fin de son deuxième voyage ? Certains le
pensent. Mais rien ne permet ni de confirmer ou d'infirmer cette hypothèse.
Nous retrouverons encore Éraste avant la fin des voyages de Paul.

Ses deux auxiliaires s'apprêtent à prendre la route quand une nouvelle


donnée vient modifier le plan de Paul. Pour le finaliser, l'apôtre doit d'abord
régler un problème urgent suscité par les chrétiens de Corinthe
50

On se souvient sans doute des 18 mois où Paul a déployé une grande


activité dans cette ville de Corinthe ( voir Deuxième voyage ). Avec d'heureux
résultats. Par une encourageante vision, le Christ l'avait laissé prévoir à
l'apôtre : "j'ai beaucoup de personnes dans cette ville" - Actes 18:10.

Fin 54 ou début 55, des nouvelles alarmantes lui parviennent au sujet des
chrétiens corinthiens. Parmi celles-ci figure la formation de clans. Certains
voient en l'éloquent Apollos leur chef, tandis que d'autres lui préfèrent Paul ou
Pierre, ou se réclament exclusivement du Christ ( en niant par là l'autorité de
ses représentants ).

Chloé : Il apprend l'existence de telles dissensions par ceux de la maison


de Chloé. Cette femme est-elle une chrétienne habitant Corinthe ou
Éphèse ? Seule certitude : puisque Paul appelle cette maisonnée ( membres
de la famille de Chloé ou esclaves à son service ) par son nom en
s'adressant aux Corinthiens, c'est qu'elle est connue d'eux.

De plus, pour montrer qu'il ne s'agit pas de rumeurs non fondées, l'apôtre
fait aussi mention de trois hommes de Corinthe très inquiets de l'influence
d'un climat aussi malsain sur la spiritualité de leurs frères et venus exprès le
voir pour lui fournir des renseignements précis sur la situation: Stéphanas,
Fortunatus et Achaïcus.

Peut-être même sont-ils porteurs d'une lettre dans laquelle la congrégation


soulève des questions en rapport avec ces nouvelles troublantes. Sa réponse
concernera principalement "les choses dont vous avez écrit" - 1 Corinthiens 7:1.

Stéphanas : Paul a baptisé personnellement la maisonnée de cet homme


pendant son séjour à Corinthe et il en parle comme des "prémices" de son
ministère en Achaïe. Il s'agit donc d'un des premiers chrétiens corinthiens. Un
homme d'expérience.

Achaïcus et Fortunatus: Le premier étant un nom latin couramment porté


par les esclaves, et le deuxième celui d'un affranchi, certains spécialistes en
déduisent que ces deux hommes font peut-être partie de la maisonnée de
Stéphanas.

L'arrivée des trois messagers le réjouit, " parce qu'ils ont suppléé à votre
absence [ vous me manquiez ]" écrit-il. Leur rapport l'aide à se faire une idée
précise de la situation. Après tout, les choses ne sont pas réellement
dramatiques. Profondément soucieux du bien-être spirituel des croyants de
cette grande ville, Paul rédige cette lettre connue comme la première aux
Corinthiens, en précisant :"Mais je reste à Éphèse jusqu'à la fête de la Pentecôte".
51

"Paul, appelé à être apôtre de


Jésus Christ par la volonté de
Dieu, et Sosthène notre frère à la
congrégation [ église ] de Dieu qui
est [ établie ] à Corinthe"
- versets 1et 2.

Sosthène : Mentionné dès l'introduction, peut-être écrit-il la lettre sous la


dictée de l'apôtre. On peut le penser du fait que vers la conclusion, on peut
lire : "Voici ma salutation, celle de Paul, de ma propre main". Président de la
synagogue de Corinthe au moment du séjour de Paul dans la ville - le
successeur de Crispus devenu chrétien ? La foule se saisit de lui pour le
battre quand le proconsul Gallion refusa d'écouter les accusations des Juifs
touchant l'enseignement religieux de Paul - voir Deuxième voyage, page 89. A la
suite de cette mésaventure, il semble s'être lui aussi converti au
christianisme. A-t-il par la suite rejoint l'apôtre à Éphèse ?

Après son départ, Paul a déjà envoyé au moins une lettre aux Corinthiens
pour traiter une affaire d'importance. Il en parle très nettement par ce rappel :
"Dans ma lettre je vous ai écrit ... Mais maintenant je vous écris de ... " - voir 5:9,11.

Cette lettre antérieure n'existe plus. Apparemment perdue. Comme celle


adressée aux Laodicéens ( voir p. 38 ). Les apôtres et les premiers chrétiens
recourent indiscutablement à l'écriture pour répandre la Bonne nouvelle. Ils
adresseront de nombreuses lettres à différentes congrégations pour garder
un contact avec leurs coreligionnaires. Certaines figurent aujourd'hui dans le
canon du N.T., d'autres n'ont pas été préservées dans ce but. Pourquoi ?
Tout simplement parce que l'esprit saint de Dieu ne l'a pas jugé nécessaire.
D'un usage purement local, immédiat et temporaire, inutile de conserver ce
genre d'écrit. Il existait par ailleurs bien d'autres documents consultés par les
rédacteurs de l'ensemble des Écritures sacrées : registres généalogiques
officiels et publics, annales historiques. Mais ils n'étaient pas considérés
comme divinement inspirés ni placés au même niveau que les écrits
reconnus canoniques. Le mot "canon", rappelons-le brièvement, vient du grec
kanôn, signifiant "règle, modèle", lui même emprunté à l'hébreu qaneh
( "roseau, mesure, canne"). Il désigne dans toutes les religions l'ensemble
des textes considérés comme sacrés et régissant le culte. Nier la possibilité
de la perte de documents apostoliques non indispensables pour acquérir la
foi s'attacherait à une raison bien trop dogmatique pour y souscrire.
52

Comme déjà précisé précédemment pour les deux lettres écrites par Paul
aux chrétiens de Thessalonique et celle envoyée à ceux de Galatie, cet
ouvrage en quatre volumes a pour principal objectif de couvrir les trois
voyages missionnaires de Paul et son dernier déplacement à Rome en tant
que prisonnier de l'Empire. Donc d'éviter de longs commentaires sur son
œuvre épistolaire ( 14 lettres ). D'autant plus qu'il faudrait pour elles seules
au moins un volume de 200 pages ! Néanmoins, puisque Apollos ( celui dont
les lacunes sur le christianisme ont été comblées par Priscille et Aquila ) se
retrouve mêlé à des divisions, on peut s'interroger sur ses actions réelles à
Corinthe. Est-il coupable de fomenter des clans ? Pendant la rédaction de
l'épître, il doit se trouver à Éphèse ( invité par Paul pour s'expliquer ? ) ou non
loin puisque l'apôtre déclare :

"Quand à notre frère Apollos, je l'ai beaucoup encouragé [ prié ] à venir aussi chez
vous avec les frères, mais ce n'était décidément pas sa volonté [ il ne veut pas du
tout le faire ] maintenant ; il viendra quand il en aura l'occasion [ cela lui paraîtra
opportun ]". - voir 1 Corinthiens 16:12.

Notons dans ces phrases au moins deux points importants :

1) - Paul appelle Apollos "notre frère". Pas de brouille entre eux.


2) - Le peu d'empressement ( la réticence ? ) d'Apollos à se rendre à
Corinthe. Peut-être parce qu'il appréhende de rallumer des dissensions où
d'autres l'ont impliqué, bien malgré lui .

Les deux hommes prêche le même message, mais leurs personnalités sont
différentes. De son propre aveu, Paul est "inexpérimenté quant à la parole".
Apollos, lui, est un "homme éloquent". ( voir 2 Corinthiens 11:6 et Actes 18:24 ).
Grâce à ses aptitudes d'orateur, il trouvait des oreilles attentives dans la
communauté juive de Corinthe. Alors que Paul, peu avant, avait dû quitter la
synagogue. Selon une hypothèse avancée par des commentateurs, la
passion innée des Grecs pour les discussions philosophiques ( colorées et
émaillées d'allégories ) a pu les amener eux-aussi à préférer la démarche
plus stimulante d’Apollos. Sans que ceci ne signifie que Paul et Apollos soient
en désaccord. Ni ne se disputent l'affection des Corinthiens. Loin de s'ériger
en chef de faction, Apollos avait d'ailleurs quitté la ville. Pas de désunion ni
de rivalité entre eux. Paul connaît bien les hommes. S'il a des doutes sur
quelques Corinthiens - il le dira ouvertement -, par contre cette simple phrase
prouve comment les deux prédicateurs travaillent en complète harmonie :

"Qu'est-ce donc qu'Apollos ? Oui, qu'est-ce que Paul ? Des ministres [ des
serviteurs ] grâce auxquels [ par le moyen desquels ] vous êtes devenus croyants.
J'ai planté, Apollos a arrosé, mais Dieu faisait croître; si bien que ni celui qui plante
n'est quelque chose ni celui qui arrose [ le semeur ni l'arroseur ], mais Dieu qui fait
53

croître. Or celui qui plante et celui qui arrose sont un ..." - 1 Corinthiens 3:5-8.

Paul met ici l'accent sur leur complémentarité. Il dit clairement que tous
deux sont "un", ou littéralement "une (chose)", en grec hén, neutre, pour
indiquer l'unité dans la coopération.

Dans sa lettre, Paul aborde de nombreux sujets bien plus inquiétants à ses
yeux que cette supposée rivalité entre lui et Apollos. Impatient de savoir
comment elle sera accueillie et quelle suite ses correspondants vont lui
donner, au moment où il en dicte à Sosthène la première partie il leur
annonce l'arrivée de celui à qui, cinq ans plus tôt, il a demandé de se rendre
à Thessalonique ( voir Deuxième voyage, page 56 ) pour y fortifier les nouveaux
croyants : Timothée :

"Je vous envoie Timothée [...], il vous rappellera mes méthodes pour ce qui est de
Christ Jésus [ mes règles de vie chrétienne ], comme [ qu'elle est la manière dont ]
je les enseigne partout [ en touts lieux ] dans chaque [ église ] congrégation " -
1 Corinthiens 4:17.

Pour avoir déjà collaboré cinq ans avec Paul, le jeune Timothée connaît bien
ses méthodes d'enseignement. Il a prêché avec l'apôtre et Silas à Philippes,
avec Silas à Bérée, puis seul à Thessalonique. Et avec Aquila, Priscille, Silas
et Paul à Corinthe. Il est de même aux côtés de l'apôtre à Éphèse. Malgré sa
jeunesse, on le considère comme un chrétien expérimenté et il peut à coup
sûr apporter une aide remarquable.

Mais pour une raison non précisée, Paul se ravise vers la fin de sa lettre. Il
met carrément ce voyage au conditionnel, voire à l'hypothétique :

"Cependant, SI Timothée arrive [ vient ], faites en sorte ..." - 1 Corinthiens 16:10.

Ce premier projet ne se concrétisa en effet sans doute pas. Ce que laisse


entendre le fait que, dans sa deuxième lettre aux mêmes intéressés, Paul ne
mentionnera Timothée que pour avoir prêché en sa compagnie à Corinthe
pendant son premier séjour dans cette ville ( ou Deuxième voyage ).

On trouve aussi une autre preuve de l'annulation du projet initial de Paul


dans l'envoi depuis Éphèse - aussitôt la lettre expédiée - de Timothée avec
Éraste en Macédoine. En fait, son idée première ( voir page 49 ).

Effectivement, quand cette très longue épître est terminée, son auteur la
confie aux trois membres de la congrégation de Corinthe en visite ( voir page
50 ), afin de la remettre à leurs coreligionnaires.
54

De plus, il envoie aussi Tite avec pour mission principale d'organiser la


collecte des fonds en faveur des chrétiens de Judée dans le besoin mais
aussi, assurément, pour noter la réaction des corinthiens à sa lettre. Ce
chrétien grec a toute la confiance de Paul. On pense qu'il est devenu chrétien
- un de ses enfants spirituels - lorsque l'apôtre est passé à Chypre tout au
début de son premier voyage missionnaire. Peut-être la raison pour laquelle il
l'appellera dans une lettre : "mon véritable enfant selon une foi qui nous est
commune". Le voici depuis au moins six ans un fidèle compagnon d'activité
et un précieux collaborateur ( voir Le concile à Jérusalem, tome 2 ).

Paul dépêche Tite à Corinthe depuis Éphèse par la mer Égée, avec
l'instruction de revenir lui donner des nouvelles dès que possible. S'il achevait
sa mission avant que la navigation cesse pour l'hiver ( vers la mi-novembre ),
il pourrait prendre le bateau pour Troas où ils se retrouveraient alors. On se
souvient que Paul envisage de séjourner à Éphèse jusqu'à la fête de la
Pentecôte ( fin du printemps, mois de Sivân, mai-juin). Lequel projet sera
brutalement contrarié. Nous verrons bientôt dans quelles circonstances.

Au chapitre 15, Paul fait l'une après l'autre deux citations. La première, au
verset 32, est tiré du prophète Isaïe ( 22:13 ). A propos du verset suivant (33):

"Ne vous abusez point [ ne vous y trompez pas ] , [ ne vous égarez pas ]. Les
mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs [ les bonnes habitudes ] ",
un bibliste écrit :

"La parole citée par Paul a été retrouvée dans les fragments de la Thaïs, de
Ménandre, poète comique qui fleurissait au III e siècle avant Jésus-Christ. […]
Nous ignorons si peut-être Ménandre n’avait point emprunté cette sentence à
l’usage commun et en a simplement fait un vers, ou si elle a passé de sa
comédie dans l’usage ordinaire, comme une sorte de proverbe. Paul lui-
même peut l’avoir empruntée soit à l’une, soit à l’autre de ces sources.[…]
Vraie déjà dans son application à la vie morale ordinaire, cette parole l’est
plus encore au point de vue religieux et chrétien. La vie spirituelle s’éteint
dans l’atmosphère d’une société charnelle, et une sorte d’enivrement
surprend bien vite celui qui fréquente celle-ci.
- "Commentaire sur La Première épître aux Corinthiens", par Frédéric Godet,
1902 ( ouvrage publié par Soleil d'Orient en 2008 ).

Pour en terminer avec cette première lettre aux chrétiens de Corinthe, lisons
une partie de la phrase qui a fait ( et fait toujours ) couler beaucoup d'encre -
beaucoup plus, c'est certain, que la quantité utilisée pour l'écrire :

"j'ai combattu contre des bêtes sauvages à Éphèse". - 1Corinthiens 15:32.


55

"L'apôtre emploie sans doute cette expression au sens figuré car, étant
citoyen romain, il ne pouvait être condamné à ce supplice". - Note de La
Bible du Semeur :

"Il rencontra une opposition féroce. Il est peu probable que Paul fut jeté aux
lions dans le stade comme on le ferait plus tard à d'autres chrétiens ; en tant
que citoyen romain il était exempt de tels traitements".
- Commentaire de Barry Baggott sur "combattu contre les bêtes" ( voir le
site Internet "chemindeverite.com/media" :

Dans le "Commentaire sur La Première épître aux Corinthiens", par Frédéric


Godet, cité plus haut, on lit :

"Le θηριομαχεῖν, combattre contre les bêtes féroces, est pris par presque
tous les interprètes modernes [...] dans le sens figuré : lutter avec une
multitude furieuse ameutée contre lui. C’est dans le même sens qu’Ignace
(Ad. Rom., c. 5) parle des dix léopards (ses gardiens) avec lesquels il a à
combattre jour et nuit durant son voyage (θηριομαχῶ δέκα λεοπάρδοις). En
faveur de ce sens il ne faudrait pas citer le tumulte excité par l’orfèvre
Démétrius ; car cet événement n’eut lieu qu’après la composition de cette
lettre, et Paul ne fit rien alors qui pût justifier l’expression de combattre. Mais
il pourrait s’être passé à Éphèse dans les premiers temps du séjour de Paul
quelque scène analogue [...] A moins d’attribuer à Paul une emphase peu
conforme à son caractère, il sera toujours plus naturel d’appliquer cette
expression au supplice des bestiarii, dans le sens propre du mot.

Puis à propos de la citoyenneté romaine de Paul censée le protéger, il dit :

"Mais si la chose s’est passée dans un soulèvement populaire, les


réclamations de l’apôtre ont pu ne pas être écoutées. L’on dit aussi qu’il
n’aurait pu échapper à la mort, et qu’en tout cas un pareil fait ne pourrait
manquer d’être mentionné dans les Actes. Mais de combien de faits de ce
genre n’est-il pas fait mention dans la liste de 2 Corinthiens chapitre 11 dont
nous ne trouvons pas trace dans le récit des Actes ? Et quant à la délivrance,
elle a pu provenir d’une circonstance providentielle quelconque que nous ne
pouvons deviner. Le fait est que ce ἐθηριομάχησαι désigne pour l’apôtre
l’apogée du "Je meurs tous les jours" et que cette gradation ne permet que le
sens littéral".

Enfin, le bibliste fait une citation :

"Si ce combat n’était rien d’extraordinaire et de particulier, Paul ne l’aurait


pas ainsi mentionné dans ce contexte" - Holsten.
56

Y a-t-il eu rencontre avec des bêtes féroces dans une arène ou opposition
d'adversaires éphésiens au comportement bestial ? Deux interprétations,
littérale et figurée. Luc ne dit pas un mot sur une mésaventure aussi
dramatique - ce qui ajoute à l'interrogation - et aucun repère ne permet de la
situer. Par contre, après avoir confirmé le départ de Timothée et d’Éraste
pour la Macédoine, le narrateur enchaîne par ces mots :

"A cette même époque il se produisit des troubles assez graves [ sérieux ] , [ une
grande agitation ] , [ une véritable émeute ] à propos de la Voie [ du Seigneur ] ".

Puis en quelques courtes phrases Luc explique qu'un orfèvre nommé


Démétrius dirige une affaire florissante grâce à la fabrication de temples
d'argent en miniature d'Artémis, la déesse protectrice de la ville. Il procure
donc aux artisans de sa corporation des gains très appréciables en les
utilisant pour ce travail. L'homme les convoque ainsi que tous ceux dont
l'activité dépend de la bonne marche de son affaire. Voici l'intégralité de sa
harangue, si savoureuse dans la version de Parole vivante :

"Camarades ! Vous savez bien que nous devons notre prospérité à l'exercice de ce
métier d'art. Or, vous voyez et vous entendez ce qui se passe, non seulement à
Ephèse, mais dans presque toute la province d'Asie. Ce Paul, avec sa propagande,
a endoctriné les foules pour les persuader que les divinités fabriquées par des
hommes ne sont pas de vrais dieux ; et il a déjà réussi à gagner un tas de gens à
ses vues. Vous vous rendez compte des conséquences ? Il ne s'agit pas seulement
de notre corporation qui risque d'être dénigrée, et de notre gagne-pain qui se voit
menacé, mais, pensez-y, le temple même de la grande déesse Artémis court le
danger de perdre sa renommée. Pire que cela : avant longtemps, la déesse elle-
même, celle que toute l'Asie - que dis-je : celle que le monde entier adore, sera
dépouillée de sa grandeur et de son prestige ".

Tous les ans, entre mars et avril, des foules de pèlerins affluent à Éphèse
pour participer aux fêtes organisées en l'honneur de la déesse. Ce flot de
visiteurs s'accompagne d'une demande importante d'objets de culte, autant
de souvenirs, d'amulettes, d'accessoires pour le culte familial une fois de
retour chez soi. De très vieilles inscriptions retrouvées à Éphèse parlent de la
fabrications de statues d'Artémis en or et en argent. D'autres mentionnent
précisément cette corporation des orfèvres.

Le discours de Démétrius est un modèle du genre. Astucieux mélange d'un


plaidoyer pour la défense d'une activité profitable à tous grâce à la vente
d'idoles, d'une violente accusation visant Paul parce que son message risque
de contrarier la prospérité de leurs affaires, et d'un vibrant panégyrique en
faveur de la déesse menacée par cette nouvelle religion, il fait mouche. Les
auditeurs deviennent furieux et se mettent tous à scander :
57

Vive la grande Artémis d’Éphèse !

Déesse de la fécondité
On la représente parée de ce qui
a été diversement identifié à
de multiples mamelles,
des œufs,
des testicules de taureaux
La partie inférieure du corps,
gainée telle une momie, ornée de
symboles et d'animaux

Musée de Selçuk - Turquie

" 'La Grande Artémis', reine incontestée de la ville qui expose aux regards
troublés sa singulière bisexualité. Pomme d'Adam légèrement saillante,
visage ambigu, tout son corps exalte à la fois la fécondité des femmes et la
fertilité des hommes". [...] Dans ce grand sanctuaire de la Méditerranée
orientale, Artémis Prothée, 'source de toutes choses', mère des dieux, de la
Terre et de la nuit, déesse des astres, du Soleil, de la Lune et des étoiles,
mais aussi thaumaturge, déclenchait les transes. Les initiés à ses mystères
orgiaques avaient sans doute éprouvé son étreinte dans le bois sacré
d'Ortygia, ponctué de statues ...
- Quentin Florence ( Le Monde des Religions n° 24, juillet 2007 ).

L’Artémis adorée par les Grecs : une déesse vierge de la chasse et de


l’accouchement.

L’Artémis vénérée à Éphèse : une déesse de la fécondité. Elle a la


renommée de guérir les maladies les plus diverses. On vient, de toutes parts,
la combler d’offrandes. Ses prêtres eunuques et de jeunes vierges sont à la
base de toute une hiérarchie de serviteurs religieux dévoués à son culte.
58

Les cérémonies débutent par une grande procession pour fêter la naissance
de leur déesse. et les étrangers accourent en foule à Éphèse pour y assister.
Les réjouissances durent un mois. La ville entière se porte aux jeux
athlétiques disputés au stade, aux représentations théâtrales, aux concerts.

Quelque part entre Pygéla ( un port ) et Éphèse débouche sur la mer la


vallée d’Ortygia, où, d’après la légende locale, Létô aurait jadis donné
naissance à Artémis et à Apollon. Dans le bois sacré décrit par Strabon ( XIV,
20 ) et mentionné par Tacite ( Annales, III, 61 ), des initiés se réunissent et
sacrifient selon des rites millénaires. Les mystères orgiaques de la déesse y
sont célébrés avec le faste le plus recherché.

Certains prétendent que le culte d'Artémis, son temple et sa hiérarchie


religieuse ont été créés en s'inspirant de l'organisation des abeilles.

L'abeille symbolisait Éphèse et


elle figure très fréquemment sur
les monnaies et les statues de
cette ville.

Drachme, vers 480-460 av. n. ère


coinarchives.com

Comme à Philippes ( voir Deuxième voyage, page 40 ), cette émeute a une


raison commerciale. Mais avec une différence importante.

A Philippes, ce sont justes les propriétaires de la pythonisse dépossédée


par Paul de son démon de divination qui ont cherché des ennuis au
missionnaire en se voyant ainsi privés de cette source de revenus.

A Éphèse, tout un secteur économique risque de dépérir, et, plus encore, la


ruine assurée si l'influence et le rayonnement du temple d'Artémis
périclitaient.

On comprend pourquoi, après cette analyse, Démétrius le porte-parole de la


guilde des orfèvres et des boutiquiers réagit avec une telle virulence. Il
discerne la menace de la foi chrétienne pour les importants profits générés
par le culte d'Artémis sous ses diverses formes. Il faut la réduire à néant.
Comment ? En chassant la personne considérée comme responsable de ce
malheur. Tout rentrera dans l'ordre, pense-t-il.
"Bientôt, toute la ville fut en effervescence [ remplie de confusion ] ... "
59

Un commentateur fait le parallèle avec une manifestation populaire à notre


époque et observe combien il est facile de manipuler les gens par des
discours enflammés sur des revendications faites d'une indéniable part de
vérité, mais aussi d'habile "manipulation" et de subtile "simplification" pour
faire porter le message. Comme le disait déjà un sage plus de mille ans avant
la naissance de Paul : "Il n'y a rien de nouveau sous le soleil" ( Ecclésiaste 1:9 ).

"... et ils coururent tous ensemble [ se précipitèrent ] au théâtre ... "

Le théâtre à ciel ouvert ( voir photo page 16 ) se trouve à moins de 800 m au


sud du stade, dans un renfoncement du mont Pion.
Pourquoi ce lieu ? On y donne des représentations dramatiques, des
concerts, des spectacles, mais il sert aussi à des rassemblements publics
d'autres natures. L'endroit idéal pour faire entendre sa voix là où l'acoustique
est exceptionnelle.

"...emmenant de force avec eux Gaïus et Aristarque, des Macédoniens, des


compagnons de voyage de Paul".

Au moment le plus chaud de l'émeute, les deux hommes sont trainés au


théâtre par une foule hystérique de plusieurs milliers d'individus. On ne sait
pratiquement rien sur Gaïus, mais peut-être est-il celui cité avec six autres
compagnons de Paul qui l'attendront dans quelques mois à Troas. Dans ce
cas, il résidait ordinairement à Derbé.
Par contre, nous retrouverons plus tard au moins deux fois Aristarque,
originaire de Thessalonique. Nous verrons en quelles circonstances.

Comme les émeutiers ne parviennent pas à trouver Paul, ils se vengent sur
les deux Macédoniens, ses compagnons de voyage, lesquels se retrouvent à
la merci d'une foule surexcitée sans même pouvoir présenter leur défense.
Une épreuve des plus effrayantes ! Sans doute se demandent-ils même s'ils
vont s'en sortir vivants.

On ne sait pas où se trouvait Paul quand les meneurs l'ont cherché en vain
et, par dépit, ont emmené ses deux amis. Mais aussitôt prévenu de ce
déferlement de violence à leur encontre, l'apôtre veut s'expliquer devant
l'assemblée du peuple en se rendant à l'amphithéâtre. Bel esprit d'abnégation
auquel les disciples présents à ses côtés s'opposent fermement. Si Paul,
désigné par l'orfèvre Démétrius comme le principal responsable de leurs
déboires, se présente devant ces enragés, il risque non seulement d'être
méchamment molesté mais aussi le lynchage.
Aquila et Priscille sont-ils intervenus physiquement pour le soustraire à la
vindicte et le mettre à l'abri ? Faut-il comprendre ainsi la phrase suivante :
60

"Ils ont risqué leur vie pour sauver la mienne" - Romains 16:4, Bible du Semeur.

Quelques notables bien disposés à son égard, commissaires des fêtes et


des jeux organisés à Éphèse pour la province d'Asie, appelés asiarques, lui
font de même parvenir la recommandation de ne pas s'aventurer à courir ce
danger. Par amitié et considération, ils lui conseillent sans doute de laisser ce
mouvement de foule s'apaiser de lui-même.

Des Juifs de la ville, présents parmi cette marée humaine vociférante, ont-ils
peur d'être confondus avec les chrétiens, eux qui vivent tranquilles parmi les
païens ? Ils veulent se mettre à l'abri de la vindicte éphésienne. Ils poussent
vers la tribune un des leurs pour qu'il s'exprime devant la multitude en leur
faveur et prenne la défense de ses coreligionnaires. Alexandre, c'est son
nom, fait un grand signe de la main pour réclamer le silence. Mais dès que la
foule s'aperçoit qu'il est Juif une clameur s'élève, l'empêche de parler, et tous
se remettent à crier en chœur :

"Grande est l'Artémis des Éphésiens !" - pendant deux heures !

Le greffier municipal ( gr. : grammateus ) attend-il qu'ils aient tous la bouche


sèche à force de vociférer pour intervenir à bon escient ? L'homme a
beaucoup d'autorité. Ce haut fonctionnaire dirige le conseil de la cité libre
d’Éphèse. Il écrit les décrets municipaux après les débats et veille à leur mise
en application. Représentant direct du proconsul romain chargé de
l'administration provinciale, il gère aussi la trésorerie municipale. Dans les
villes d'Asie, Rome le tient pour responsable du maintien de la loi et de l'ordre
dans sa juridiction. D'où son sévère avertissement rapporté ci-après in
extenso ( toujours selon la version de Parole vivante ) :

"Citoyens d’Éphèse, quel homme au monde ignore que notre cité d’Éphèse est la
gardienne du temple de la grande Artémis et de sa statue tombée du ciel ? C'est là
un fait incontestable. Il faut donc vous calmer et garder votre sang-froid. Ne faites
rien d'irréfléchi ! N'agissez pas avec précipitation ! Vous avez amené ici ces
hommes, mais ils n'ont commis aucun sacrilège dans le temple, ils n'ont dit aucun
mal de notre déesse.
Si donc Démétrius et les artisans de sa corporation ont des griefs contre quelqu'un,
ils n'ont qu'à porter plainte en bonne et due forme ! Il y a des tribunaux et des
magistrats pour cela ! Et si vous avez encore d'autres réclamations à formuler, ou
d'autres affaires à régler, on peut les examiner dans une assemblée légalement
convoquée.
Mais notre attroupement d'aujourd'hui risque de nous faire accuser d'avoir voulu
nous révolter, car en fait, nous ne pourrions alléguer aucune raison valable qui
nous permette de justifier une telle manifestation ".
La réprimande pleine de bon sens du greffier municipal met en relief
plusieurs points importants :
61

1) Les artisans et Démétrius le défenseur de leur confrérie peuvent porter


leurs accusations les jours d'audience devant les magistrats nommés par
Rome ( des proconsuls habilités à prendre des décisions judiciaires). Mais
pourquoi ce pluriel pour Éphèse ? Lisons Tacite :

" Le premier meurtre du nouveau règne fut celui de Junius Silanus, proconsul
d'Asie ". L'historien explique ensuite l'assassinat de ce haut fonctionnaire par
la volonté d'Agrippine qui avait déjà tramé la perte de son frère Lucius et
craignait un vengeur. De plus, ajoute-t-il " Silanus descendait aussi au
quatrième degré de l'empereur Auguste : ce fut la cause de sa mort. Le
chevalier romain P. Celer et l'affranchi Hélius, tous deux intendants des
domaines du prince en Asie, en furent les instruments.Ils empoisonnèrent le
proconsul à table". - Tacite, Annales, livre 13.

S'appuyant sur ce fait historique daté de 54, plusieurs commentateurs


avancent que l'expression "proconsuls" au pluriel pourrait désigner Hélius et
Celer comme proconsuls intérimaires jusqu'à la nomination du successeur de
Silanus. Si tel est bien le cas, la chronologie adoptée pour dater la présence
de Paul à Éphèse (de l'hiver 52/53 jusqu'au début 55) s'en trouve corroborée.

2) Les plaignants peuvent aussi voir leur affaire tranchée par une "assemblée
légalement convoquée" de citoyens éphésiens.

3) Par contre cette foule tumultueuse, assemblée illégalement et qui trouble


l'ordre public, pourrait même donner lieu à une accusation de sédition.
Menace voilée d'une intervention de l'autorité romaine pour désamorcer une
nouvelle émeute.

4) D'autant plus qu'on ne peut rien reprocher aux chrétiens. En aucune façon
sacrilèges envers le temple, ni blasphémateurs de la déesse Artémis. Ni de
"sa statue ( ou image ) tombée du ciel", comme on le croyait, et qui était
pieusement conservée dans le temple. A noter que cette expression signifie
littéralement "tombée de Zeus ( Jupiter )".

Sa remontrance exprimée, le haut fonctionnaire ordonne à la foule de se


disperser. Peut-être Paul se rappellera-t-il la ferme et honnête conduite du
magistrat en écrivant aux chrétiens de Rome :
"Car ce sont les malfaiteurs, et non ceux qui pratiquent le bien, qui ont à redouter
les magistrats. Tu ne veux pas avoir peur de l’autorité? Fais le bien, et l’autorité
t’approuvera " - Romains 13:3, Bible du Semeur.
Les fortes tensions s'apaisent. Les chrétiens respirent grâce à cet heureux
dénouement. Mais il faut bien se rendre à l'évidence : Paul doit se résoudre à
partir. Son projet de demeurer à Éphèse non seulement jusqu'à la Pentecôte
62

( mais sans doute bien au-delà ) ne peut être maintenu dans son intégralité.
Il se voit dans l'obligation d'abréger son séjour. Il peut cependant s'en aller
l'esprit en paix et le contentement au cœur.

Bilan : à son arrivée, Priscille et Aquila avec une poignée de chrétiens pour
l'accueillir ; deux ans et quelques mois plus tard, un changement de vie
radical d'une partie de la population, jusqu'à se détourner publiquement de
leurs pratiques occultes. Démétrius a bien compris l'enjeu à long terme de la
puissante percée de la foi chrétienne dans sa ville. Si ce message continue
de se répandre, ce sera la fin du prestige d’Éphèse. Nous en reparlerons au
moment où Paul écrira une lettre à la congrégation éphésienne. Ce sera dans
quelques années, depuis Rome.

Il voulait rester jusqu'à la Pentecôte de 55 ( 6 Sivân : mai/juin ). Part-il vers


la fin du premier trimestre de la même année puisque les réjouissances en
l'honneur de la déesse Artémis avaient lieu, on s'en souvient, en mars/avril ?
Ou prend-il le risque de s'en tenir à son premier objectif ?

"Quand les esprits se furent


apaisés et que les troubles
eurent cessé, Paul convoqua
[ réunit ] les disciples et, après
les avoir encouragés [ exhortés ]
et leur avoir adressé ses
dernières recommandations
[ leur fit ses adieux ], il [ partit ]
prit congé d'eux ...".

Paul part assurément à contre-


cœur après plus de deux
années pleines passées auprès
d'amis très chers comme Aquila
et Priscille, auxquels il est tout
particulièrement attaché.
Auprès d'eux Apollos a comblé
ses lacunes sur le
christianisme. Chez eux une
congrégation se réunit.
63

Paul prend le chemin de la Macédoine.


Son but : Troas, où il espère retrouver Tite à son retour de Corinthe.
Avant l'hiver.

Macédoine Philippes
Philippes

Adramyttium

Samos
Direction du nord par voie de
terre jusqu'à Adramyttium
(ou Adramytte), auj. Edremit,
puis vers l'ouest pour
atteindre Troas
64

Un bref rappel des projets formés par Paul un peu de temps ( mois,
semaines ? ) avant de quitter la ville permettra peut-être de se faire une idée
de sa préoccupation au moment où il s'éloigne en direction du nord :

Pendant l'écriture de la première lettre aux chrétiens de Corinthe, en


réponse aux difficultés de ces derniers, Paul parle d'envoyer Timothée pour
les aider. Puis il se ravise. Pour quelle raison ? Avait-il déjà en gestation le
dessein de visiter la Macédoine en sa compagnie ? A Tite est confiée la
mission d'organiser chez les corinthiens la collecte des fonds en faveur des
chrétiens nécessiteux de Judée. Avec pour instruction de le rejoindre ensuite
à Troas.

La lettre expédiée, le voyage en Macédoine pour visiter les congrégations


en place et fortifier les nouveaux croyants semble définitivement décidé.
Timothée et Éraste sont chargés de préparer les différentes étapes, avertir de
sa venue et récolter des informations sur la réaction des gens à l'annonce de
la Bonne Nouvelle par les prédicateurs locaux. Ensuite, il ira à Corinthe pour
y passer l'hiver. Mais il veut rester à Éphèse jusqu'à la fête de la Pentecôte
car, dit-il, une grande porte qui donne accès à l'activité a été ouverte pour lui
dans cette ville.

L'émeute suscitée par Démétrius modifie sans doute son plan initial et le
force peut-être même à partir d’Éphèse plus tôt que prévu. Cependant, le
rendez-vous à Troas demeure très important. A son retour de Corinthe, Tite le
renseignera sur la réaction des chrétiens de cette ville à la lecture des fermes
instructions que contenait sa lettre. En fonction de ce rapport l'itinéraire
même du voyage sera changé.

Le récit de Luc sur l'activité de Paul après Éphèse se résume à quatre


phrases ou versets (Actes 20:1-4) : l'abrégé de pratiquement un an de travail
missionnaire ! Difficile de faire plus court ! Heureusement, en recourant à la
lecture de ses lettres ( les deux aux Corinthiens et celle aux Romains ), il est
possible de retracer au mieux l'itinéraire de l'apôtre et de se faire une idée
assez claire quant à la peine prise pour accomplir l’œuvre chrétienne dans
ses différentes facettes.

Paul à Troas

"Quand je suis arrivé à Troas ... je n'ai pas connu de soulagement dans mon esprit,
[ je n'avais pas l'esprit en repos ] , [ tranquille ] parce que je ne trouvais pas Tite
mon frère". - 2 Corinthiens 2 : 12a,13a.

Tite pouvait revenir de Corinthe ( port de Cenchrée ) en bateau ou prendre


65

la voie terrestre, plus longue, passant par l’Hellespont ( le détroit des


Dardanelles ). Paul arrive probablement à Troas bien en avance sur la date
présumée, puisque l’émeute provoquée par les orfèvres lui a fait quitter
Éphèse plus tôt que prévu. En attendant son collaborateur, deviner ce que
fait l'apôtre n'est pas bien difficile :

"Pour annoncer l’Évangile de Christ [ la Bonne Nouvelle ] , une porte m'a été
[ largement ] ouverte [ à mon activité ]". - 2 Corinthiens 2 : 12b.

Le temps passe. Dans cette ville portuaire, les occasions de faire des
disciples ne manquent pas. Mais les bons résultats n'apaisent pas
l'inquiétude de Paul. Elle augmente même au fil des semaines. Toujours pas
de Tite. Il réalise alors qu'il lui faut rejoindre au plus vite son mandaté avant le
"mare clausum", la fermeture de la navigation en mer vers la mi-novembre.
Par peur des tempêtes, on évite de prendre le bateau l'hiver. Si Tite ne peut
plus s'embarquer, il se mettra en route par la voie terrestre, plus longue,
passant par l'Hellespont pour rejoindre Paul à Troas. Ce qui allongera
d'autant plus le temps passé dans cette cruelle expectative. Ne pas savoir le
ronge. De plus, il faudra ensuite retourner en Macédoine par le même
chemin. Trop long ! Comment pourra-t-il visiter les communautés des frères
de cette région et séjourner l'hiver à Corinthe comme indiqué dans sa lettre.
Atermoyer plus longtemps serait bien trop risqué :

"C'est pourquoi j'ai pris congé d'eux [ des frères ] et je suis parti pour la
Macédoine". - 2 Corinthiens 2 : 13b.

Macédoine
Philippes

Paul s'embarque promptement et fait voile pour Néapolis. Une traversée de


quelques jours. Arrivé sur le sol européen pour la deuxième fois ( voir Tome 2
pour son premier séjour) il se dirige vers Philippes, la ville toute proche.
66

Philippes, où Paul et Silas ont été battus puis emprisonnés après la plainte
déposée par les maîtres de la servante devineresse dépossédée de son don
lucratif par l'apôtre environ 5 ans plus tôt. Se rend-il chez quelqu'un de notre
connaissance ? Lydie, la marchande de pourpre à la généreuse hospitalité y
vit-elle toujours ? Et Luc, le médecin qui a échappé à l'arrestation ? On peut
le penser en ce qui le concerne. La façon dont il s'impliquera plus tard dans
le récit qu'il fera du retour vers Jérusalem ( au printemps de l'année
suivante ) semble permettre de répondre par l'affirmative. Peut-être est-il
resté sur place après le départ précipité de Paul et Silas pour diriger l’œuvre
chrétienne, tout en exerçant son art pour soulager et guérir les malades. Mais
si Paul s'est arrêté chez lui à Philippes pour se renseigner sur un éventuel
passage de Tite, Luc ne l'accompagne pas dans son voyage en Macédoine. Il
ne le retrouvera qu'au retour non prévu de l'apôtre dans cette ville ( on verra
pourquoi ) pour alors se joindre à lui et à d'autres compagnons.

Une route commerciale ( la via Egnatia ) permet de se déplacer rapidement.


Elle est la principale artère romaine allant vers l'est avec Philippes comme
avant-poste important. Quel itinéraire Paul a-t-il suivi pour retrouver Tite ? Le
même que celui du deuxième voyage ?
Après Philippes, s'est-il arrêté à Amphipolis rapidement traversée cinq ans
plus tôt ?
Et à Thessalonique, le grand port où une congrégation a été fondée à la
même époque, a-t-il une nouvelle fois logé chez ce Jason malmené par la
foule ? On se rappelle sans doute la belle lettre d'encouragement écrite aux
nouveaux chrétiens depuis Corinthe moins d'un an plus tard - peut-être le
premier des écrits canoniques de Paul. Il semble que Jason soit ensuite venu
rejoindre l'apôtre à Corinthe puisqu'il est l'un de ceux qui envoient leurs
salutations aux chrétiens de Rome quand Paul leur écrira une lettre.
Puis voici Bérée la populeuse. L'empressement des Béréens à écouter la
Bonne Nouvelle mais surtout à examiner de près les Écritures pour obtenir
confirmation du message chrétien a tellement réchauffé son cœur après
l'incertitude sur le devenir des nouveaux croyants de Thessalonique ! Souci
fort heureusement disparu depuis. Parmi ceux qui accueillent Paul à Bérée,
trouve-t-on un nommé Sopater ? Il sera l'un des sept compagnons de route
du missionnaire au retour de Corinthe.
Mais cet itinéraire est-il suivi d'aussi près ? Rien n'est moins sûr. Il ne serait
pas étonnant de voir Paul sillonner les alentours de ces villes ( peut-être en
compagnie de Timothée et d’Éraste retrouvés en cours de route ). A-t-il
même poussé jusqu'en Illyrie, comme le laissera peut-être entendre un
passage de sa future lettre aux chrétiens de Rome ? Ou veut-il dire en
Dalmatie, la partie méridionale de cette province romaine située le long de la
côte de la mer Adriatique ? Que d'inconnus ! Que de questions orphelines de
réponses ! Luc dit simplement :
67

" Il parcourut cette région [ contrée ] , [ ces parages ] en adressant de nombreuses


paroles d'encouragement [ d'exhortation ] aux croyants [ disciples ] et se rendit en
Grèce".
On consulte Paul sur des points précis, il conseille ou se prononce puis
encourage ses interlocuteurs à mettre les instructions en pratique. Le mot
grec traduit par "encouragement" exprime l'idée de réconfort, d'exhortation et
de consolation.
Bien que Luc n'y fasse même pas allusion, tout ne s'est pas sereinement
déroulé en Macédoine au cours des mois passés à prêcher aux autochtones
et à édifier les nouveaux chrétiens. Paul écrit ( au pluriel, peut-être parce que
Timothée et Éraste sont avec lui ) :

"... en Macédoine, nous n'avons [ notre chair ] connu aucun repos ; nous étions au
contraire pressés [ affligés ] , [ avec des épreuves ] de toutes parts [ de toutes les
manières ] : luttes [ conflits ] , [ affrontements ] , [ combats ] au-dehors, craintes au-
dedans [ inquiétudes ] , [ en nous-mêmes ] ". - 2 Corinthiens : 7 : 5.

Des luttes "au-dehors" ; sous entendu : de la communauté chrétienne. Une


sévère opposition. Mais dans quelle mesure, jusqu'à quel point, avec quelle
intensité ? Faut-il corréler avec "tribulation" ? A propos de ce terme, un
commentateur dit que ses principales significations son "afflictions, troubles,
angoisses, persécutions, fardeaux pesants, oppressions, pressions,
détresses, situations désespérées". Les deux premiers voyages de Paul et
une large partie du troisième ne corroborent-ils pas cette analyse ? Pour lui et
ses compagnons, les tribulations ont pris le plus souvent la forme
d’incompréhensions, d’animosités, de médisances, de calomnies, de haine
assortie de traitements injustes, de persécutions plus ou moins violentes,
pouvant aller jusqu'à l’emprisonnement et la mort.

Mais que veut dire Paul par l'autre expression : "craintes au-dedans" ? Fait-
il allusion à des dissensions du type corinthien ( décrites plus haut ) et
rencontrées parmi les différents groupes chrétiens visités ? Ou incertitude sur
la réaction de la communauté chrétienne de Corinthe à la lecture de cette
lettre en réponse aux problèmes rapportés par leurs envoyés ? Certaines
phrases ont peut-être pu paraître trop virulentes ( cet écrit est d'ailleurs
appelé - excessivement ? - "la lettre sévère", par les biblistes ). Or, incertitude
et doute sont proches parents. L'incertitude au sujet d'une question
importante devient vite une cause majeure d'anxiété et d'inquiétude. Non
apaisé, elle suscite parfois l'appréhension. Et l'absence de Tite, une "crainte
au-dedans" ? Paul connaît l'apophtegme réaliste du sage roi Salomon sur les
circonstances, favorables ou non, auxquelles les humains sont assujettis :

"Temps et événement imprévisible leur arrivent à tous" - Ecclésiaste 9 : 11.


68

Une longue route depuis Corinthe, des dangers omniprésents pour tout
voyageur non accompagné. Le jeune homme a-t-il pris des précautions pour
le retour ? On imagine l'angoisse de l'apôtre. Son abattement, pour reprendre
ses propres paroles. Mais un jour :

Tite, mon enfant !

Après les joies des retrouvailles, de longs entretiens, des nouvelles vingt
fois répétées - on ne se lasse évidemment ni de les raconter, ni de les
entendre puisqu'elles sont bonnes - rassurent complètement Paul.

Édouard Barde commente : "Les renseignements apportés par Tite sont, en


effet, satisfaisants ; beaucoup plus que l'apôtre ne l'avait pensé. [...] Faisant
front contre les calomniateurs de l'apôtre, ils ne voient plus dans les termes
les plus vifs de sa première épître que le zèle pour la maison de Dieu. Ils
comprennent, ils acceptent, ils cèdent - et c'est cela même que Tite vient dire
à son maître. Heures bénies! N'entendez-vous pas Paul répéter: Est-ce bien
vrai ? Se peut-il ? Tu n'exagères pas ? Puis il aboutit à sa conclusion
ordinaire : Grâces à Dieu pour son don ineffable ! [...] Au reste, avec cette
69

finesse de sentiments dont l'apôtre nous a déjà fourni tant de preuves, il fait
éclater la joie de Tite plus haut encore que la sienne. Car Tite, élevé à son
école, savait aussi pleurer sur le péché et se réjouir de la sainteté. Son
allégresse donc, au retour de Corinthe, fut complète".
- Édouard Barde, Paul Apôtre : études sur la seconde épître aux Corinthiens,
Lausanne/Paris, Bridel/Fischbacher,1905 .

Paul s'empresse d'écrire aux Corinthiens :

"Dieu [...] nous a réconfortés avec l'arrivée de Tite, [...] non seulement par sa venue,
mais encore par la consolation que lui-même ressentait à votre sujet ; il nous a
raconté votre ardent désir [...], votre dévouement à mon égard ... "- 2 Co. 7:13.

Il dicte cette deuxième lettre canonique vers le début de l'automne 55. Dans
celle-ci, il rappelle à ses destinataires son projet initial annoncé dans la
précédente écrite depuis Éphèse fin 54 ou début 55 de venir en Achaïe
( province romaine du sud de la Grèce dont Corinthe était la capitale ) pour la
deuxième fois - sa première visite date de 50 jusqu'à 52, période où une
congrégation a été fondée dans cette ville. Probablement pensait-il arriver par
mer depuis Troas et débarquer à Cenchrée. D'où il avait pris le bateau au
printemps 52 pour rejoindre Éphèse. Ensuite, il se proposait de se rendre en
Macédoine. Puis de revenir à Corinthe et de faire voile vers la Judée depuis
le port de Cenchrée en compagnie de quelques-uns.

On comprend dès lors pourquoi vers la fin de cette nouvelle lettre, il utilise
l'expression "troisième fois" quand il annonce sa venue aux Corinthiens.
Dans son esprit, une première présence effective ( à partir de 50 ) ; une
deuxième planifiée depuis Éphèse vers la fin 54 ou au début 55 mais non
concrétisée ; et cette troisième ardemment souhaitée depuis son arrivée en
Macédoine. Ainsi qu'il le dit : "je suis prêt à venir".

Paul et ses compagnons ne sont pas les seuls prédicateurs itinérants. Au


premier siècle, beaucoup voyagent dans tout l'Empire pour faire connaître
leurs points de vue religieux ou philosophiques. Mais ces déplacements sont
onéreux : transport, droits de passage, frais de navigation, nourriture,
logement, vêtements, soins médicaux ... Des imposteurs et d'autres individus
essaient de profiter de la généreuse hospitalité des vrais chrétiens.
Pourtant les instructions données par Jésus à ses disciples excluent
d'enseigner pour de l'argent. Dans une de ses paraboles, un intendant
s'exclame : "Mendier ? J'en aurais honte". Paul et tous les disciples fidèles
vivent donc suivant ce principe énoncé dans sa deuxième lettre aux
Thessaloniciens ( chapitre 3, verset 10 ) :
"Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus".
70

Règle de vie chrétienne mise en pratique par l'apôtre en subvenant par lui-
même à ses besoins matériels pendant son premier séjour à Corinthe. Cette
ligne de conduite ne s'oppose évidemment pas à accepter une hospitalité
offerte spontanément, à condition de ne pas en vivre exclusivement.

Le prédicateur chrétien ne désire pas tirer un avantage personnel de sa


position d'enseignant. Ce qui reviendrait par ce commerce de la parole de
Dieu à dénaturer sa force et sa pureté. Respectant cette leçon, des
traducteurs, pour qualifier l'attitude de tels individus, utilisent les expressions
suivantes : "des revendeurs de la Parole de Dieu" ; "qui accommodent la Parole de
Dieu pour en tirer profit" ; "des colporteurs de la parole de Dieu " ; "qui corrompent
la parole de Dieu" ; ou encore : "frelatent la parole". - voir 2 Thessaloniciens 2:17.

" Que quiconque vient au nom du Seigneur soit reçu. Si l'arrivant est de
passage, aidez-le autant que vous pouvez; mais il ne restera chez vous que
deux ou trois jours, s'il y a nécessité. S'il veut, ayant un métier, se fixer parmi
vous, qu'il travaille et qu'il mange; s'il n'a pas de métier, veillez selon votre
intelligence à ce qu'un chrétien ne vive pas parmi vous sans rien faire. Mais,
s'il ne veut pas agir ainsi, c'est un trafiquant du Christ; tenez-vous en garde
contre de tels gens " - La Didachè, XII ( environs de l'an 100 ).

Faisant sans doute allusion à son travail dans l'atelier de Priscille et Aquila
où il confectionnait des tentes pendant son long séjour de 18 mois à
Corinthe, Paul peut rappeler avec franchise que " sans qu'il vous en coûte rien
[gratuitement], je vous ai annoncé volontiers la bonne nouvelle [l'évangile] de Dieu ".
Pourquoi alors serait-il inférieur à leurs "super-apôtres" ( comme il surnomme
avec ironie ces enseignants qui se vantent d'apporter le message
authentique de la communauté chrétienne de Jérusalem ). Ce sont de faux
apôtres, des ouvriers trompeurs, déguisés en apôtres de Christ.

Paul a dans l'esprit non seulement la défense de son apostolat mais


s'inquiète sur les conséquences de leur enseignement. Peut-être s'agit-il
encore de judaïsants toujours attachés à la Loi et venus troubler les
nouveaux chrétiens, puisque l'apôtre dit : " Sont-ils Hébreux ? Moi aussi. Sont-ils
Israélites ? Moi aussi. Sont-ils la semence [ descendants ] d'Abraham ? Moi aussi ".
Autrement dit, s'enorgueillir de son origine devient incongru quand Christ
accepte des gens venus de nations non juives.

Pour le discréditer, ses adversaires à Corinthe l'accuse de versatilité dans


ses résolutions et de contradictions avec lui-même. Ils le dépeignent comme
plein de hardiesse dans ses lettres et de faiblesse quand il est présent. On
critique son manque d'éloquence. En fait ces gens ne peuvent tolérer la
pureté de la doctrine chrétienne. Pourtant beaucoup dans la communauté ont
71

fait bon accueil à cet autre évangile et " vous le prenez très bien [ supportez
aisément ]" constate-t-il avec tristesse. Sont-ils plus éloquents que lui ? Sans
doute et il en convient volontiers:
"Je suis bien ordinaire pour le beau langage [ pas un 'brillant orateur' ] , [ inhabile
sous le rapport de la parole ]". Mais il ajoute aussitôt :
"Je ne le suis certainement pas quant à la connaissance".

Malhabile du point de vue de l'éloquence, peut-être, mais il cherche à


toucher le cœur de ses auditeurs et à les gagner au Christ. C'est là son
salaire. Des commentateurs ont qualifié cette deuxième lettre aux Corinthiens
comme l'une des plus personnelles de Paul. Il ouvre son cœur, révèle ses
mobiles et sa tendre affection pour la congrégation fondée par lui dans cette
grande ville grecque.

La lettre terminée, l'apôtre confie à Tite - le genre d'homme courageux et


ferme à qui on peut confier des missions délicates - le soin de l'apporter à
ses destinataires. Un commentateur suppose que, sans édulcorer la force du
blâme de Paul dans la première épître, Tite avait supplié les Corinthiens avec
habileté et doigté, leur assurant que Paul n'avait en tête que leur bonne santé
spirituelle. D'où cet encourageant changement d'attitude de leur part, pour lui
source d'encouragement et de joie.

Puisque Tite a commencé la collecte en faveur des chrétiens de Judée dans


le besoin, Paul désire qu'il termine cette tâche "accomplie de bon cœur".
Il lui adjoint "le frère qui est apprécié dans toutes les Églises pour son travail au
service de la Bonne Nouvelle ". Qui est-il ? Tychique ? Aristarque ? Un autre ?
Les biblistes n'arrivent pas à le déterminer avec certitude. Cependant
quelqu'un de bien connu et en qui tous ont une entière confiance.

De plus, l'apôtre envoie aussi, "avec eux notre frère dont nous avons souvent
éprouvé l'empressement [ le dévouement ] , [ le zèle ] en beaucoup de
circonstances". Même interrogation pour lui ? Même réponse. Il recommande
Tite comme son collaborateur auprès d'eux ; et les deux autres comme les
"envoyés [ apôtres ] des assemblées [ congrégations ]". - 2 Corinthiens 8:18,22,23.

Tite, porteur de la précieuse lettre et accompagné des deux auxiliaires,


prend le chemin de Corinthe. Cette épître est une suite tellement évidente à
celle appelée 1 Corinthiens, sa lecture montre de tels rapports étroits entre
les deux, qu'on peut s'étonner que quelques biblistes supposent l'existence
d'une lettre intermédiaire aujourd'hui perdue. Si on s'en tient aux seuls faits
connus, cette hypothèse ne tient pas. Par contre une lettre ( non incluse dans
le corpus paulinien ) a sans doute précédé celle écrite depuis Éphèse
quelques mois plus tôt ( voir page 51 ).
72

Paul à Corinthe ( voir la carte page 63 ).

Il séjourne trois mois chez Gaïus, (baptisé par lui - 1 Corinthiens 1:14 - ne pas
confondre avec le Macédonien d’Éphèse). Paul apprend ( on l'a peut-être
déjà porté à sa connaissance pendant son activité en Macédoine ) qu'à
Rome existent des divergences d'opinion entre les chrétiens d'origine juive et
ceux d'origine gentile. Désireux de les amener à l'unité, il décide de leur
écrire.

Tertius, le seul des ' secrétaires'


de Paul dont le nom soit précisé,
écrit sous sa dictée - voir 16 : 22.

Des milliers de mots écrits sur


plusieurs feuilles de papyrus.
Collées les unes aux autres le long
de la marge, elles forment
probablement un rouleau d'environ
3 à 4 mètres de long.

QUELQUES PENSEES FORTES

Impartialité de Dieu à l'égard du Juif et du Gentil

Tous sont déclarés justes par la foi

Le chrétien n'est plus esclave du péché mais


de la justice par Christ

Morts à la Loi, vivants par l'esprit


en union avec Christ

L'homme sauvé par la foi et grâce à


la miséricorde divine
73

Le dernier chapitre de la lettre est presque exclusivement consacré aux


salutations. Bien trop nombreuses et précises pour suivre l'avis de quelques
biblistes sur l'absence d'une communauté chrétienne organisée à Rome.
Peut-être fondée par les Juifs et les prosélytes venus à Jérusalem à la
Pentecôte 33. Convertis au christianisme et porteur de la nouvelle foi dans la
grande ville ( plus de un million d'habitants ! ), difficile de ne pas croire à la
formation d'une assemblée de ses nouveaux croyants et de leurs disciples.

On peut aussi noter que par d'affectueuses salutations, Paul appelle


Andronicus et Junias "mes parents"- voir 16:7. Le sens premier du mot grec
employé ici est "parent par le sang de la même génération". Ils avaient donc un
lien de parenté avec l'apôtre. Les deux hommes avaient fait de la prison avec
lui ( on ne sait pas quand ni où ) et s'étaient convertis au christianisme avant
lui. Que dire du nommé Hérodiôn ? De Jason, de Sosipater ? - voir 16:11 et 21.
Aussi des membres de sa famille ? En tête de liste des personnes saluées
figurent deux très chers amis : Priscille ( il l'appelle Prisca ) et Aquila.

En Romains 15:23, Paul écrit : "Je n’ai plus de territoire vierge [ de champ
d'action ] , [ plus rien qui me retienne ] dans ces régions [ contrées ] et, depuis
quelques années, un vif désir de venir chez vous ", et il ajoute dans le verset
suivant que son intention est d’étendre son œuvre missionnaire à l’ouest,
vers l’Espagne.

Le manuscrit
soigneusement enroulé et
scellé, Paul le confie à
Phœbé, une chrétienne
vivant à Cenchrées, la ville
portuaire de Corinthe
située à environ 11 km.
Sur le point d'embarquer
pour un voyage à Rome,
elle se charge de le
remettre aux destinataires.
74

L'hiver s'achève à Corinthe. Ainsi que Paul l'a écrit : " maintenant je vais me
rendre à Jérusalem [...] car [ les Églises ] de Macédoine et d'Achaïe ont bien voulu
partager leurs ressources par une contribution [ collecte en faveur des frères
[ croyants pauvres ] de Jérusalem qui sont dans la détresse ] ". - Romains 15:25,26.

Printemps 56 ( ou 57 ?). Après trois mois dans cette ville, plus rien ne retient
le missionnaire en Grèce. Il est temps de rassembler quelques bagages et
de retourner au plus vite en Judée - avant de se rendre à Rome -, comme
déjà projeté pendant son séjour à Éphèse près d'un an plus tôt ( voir Actes
19:21 ). Avec une plus lointaine destination annoncée dans sa lettre :
"Lorsque [ dès que ] je me serai acquitté de ce service [ mis le point final à cette
affaire ], je prendrai le chemin de l'Espagne et je passerai donc par chez vous ". -
Romains 15:28.

Paul ne doute évidemment pas de la profonde reconnaissance de ceux à


qui il remettra les secours matériels. Il semble cependant inquiet des troubles
que son retour à Jérusalem pourrait causer, non seulement parmi les Juifs en
général mais aussi chez les nouveaux croyants d'origine juive ( surtout les
judaïsants ). Aussi demande-t-il aux chrétiens de Rome de prier pour qu'il
'soit délivré des incrédules de Judée et que son ministère soit agréé des
saints'. - voir Romains 15:30,31.

Puisque la navigation en mer reprend, s'embarquer à Cenchrées et faire


voile pour la Syrie ( Antioche ) semble le plus sage. Le trajet le plus sûr ( on
longe la côte ) mais pas le plus court quand on est pressé d'arriver ( voir la
carte page 3 ). Peut-être le souci de ne pas risquer la perte du produit de la
collecte si un naufrage survenait en pleine mer dicte-t-il cette prudence.
Cependant, alors qu'on se prépare à partir un complot ourdi par des Juifs de
Corinthe parvient aux oreilles des voyageurs. Le dessein des conspirateurs
consistait-il à tendre une embuscade à Paul sur le chemin menant au port ?
Ou de s'embarquer en catimini sur le même bateau et de supprimer l'apôtre
en mer ?

Voir les Juifs de Corinthe exprimer une telle animosité n'est pas surprenant.
Nourrie de déconfitures successives pendant la première présence de Paul
quatre ans plus tôt ( Crispus, président de la synagogue devenu chrétien
avec toute sa maisonnée ; Gallion le proconsul refusant non seulement de
leur donner raison mais les chassant aussi du tribunal quand ils accusèrent
l'apôtre de faire illégalement du prosélytisme ...), cette inimitié ne pouvait que
s'amplifier avec sa deuxième présence et laisser la rancune se muer en désir
de vengeance.
Leur néfaste projet heureusement découvert à temps contrarie néanmoins
le plan initial. Il faut vite le modifier et prendre d'autres dispositions pour
protéger l'argent confié à l'apôtre.
75

D'abord, abandon de l'itinéraire prévu. Au lieu de prendre le risque de


tomber dans un piège sur les quelque onze kilomètres entre Corinthe et le
port de Cenchrées, Paul décide un replie par la Macédoine. Donc d'utiliser
cette même route empruntée pour venir en Achaïe depuis Néapolis (le port
de Philippes). Des mesures adéquates s'imposent pour assurer une plus
grande sécurité pendant ce long trajet terrestre - carte page 63 - des brigands
rendant les routes dangereuses. D'autant plus que les auberges elles-aussi
sont peu sûres.

Un bibliste suppose considérable la somme réunie pendant la collecte. Ce


qui explique la forte escorte mise sur pied non seulement pour protéger Paul
et les fonds recueillis, mais aussi pour le mettre à l'abri d'un éventuel
soupçon injurieux quant à l'emploi de cet argent. Sans doute est-ce pour
cette dernière raison qu'il avait envoyé trois hommes munis de
recommandations finir la collecte. Les mandatés représentent non seulement
les congrégations de Macédoine et d'Achaïe ayant participé aux secours,
mais la présence de délégués venus du district d'Asie, au moment où les
dons sont transportés, semble indiquer que celles de cette région y prennent
aussi part.
De Corinthe à Philippes, sept hommes l'accompagnent ( citons-les en
suivant l'ordre utilisé par Luc, lequel, après l'abrégé d'un an d'activité du
missionnaire, entre tout à coup dans des détails minutieux, donnant non
seulement leurs noms mais aussi leurs lieux d'origine ) :

Sopater le fils de Pyrrhus de Bérée ( ville de Macédoine ) ;


Aristarque ( le Macédonien de Thessalonique traîné de force au théâtre
d’Éphèse au plus chaud de l'émeute par une foule hystérique ) ;
Secundus ( lui aussi de Thessalonique ) ;
Gaïus ( peut-être l'autre chrétien de Macédoine pris à parti au cours de
l'émeute fomentée par Démétrius, à Éphèse ) .Réside à Derbé, Asie Mineure.
Timothée ( de Lystres - Asie Mineure ; un collaborateur régulier de Paul
depuis près de 6 ans ) ;
Tychique ( originaire du district d'Asie ). Il deviendra un fidèle lieutenant à
qui Paul en détention à Rome confiera une lettre pour les chrétiens d’Éphèse,
une autre destinée à ceux de Colosses et aussi celle adressée à Philémon
qui appartenait à la même communauté ) ; et
Trophime ( d’Éphèse, d'origine non-juive ). Est-il devenu chrétien au cours
du long séjour de Paul à Éphèse ? Il sera bientôt la cause involontaire de
l'émeute déclenchée contre l'apôtre à Jérusalem.

En remontant vers le nord, Paul et son équipe arrivent à Philippes avant la


Pâque 56 - ou 57 -, apparemment sans encombre. Tandis que son escorte
continue sa route, l'apôtre reste dans cette ville ( où il retrouve Luc ).
76

La Pâque ( héb : pèsah ; gr : paskha ), célébrée le 14 Nisan - mars-avril -,


après le coucher du soleil, est suivie de sept jours de fête, celle des Gâteaux
sans levain ( azymes ). Voilà une des précisions ( bien trop rare ) dont le
rédacteur nous fait la grâce et qui permet de dater au plus juste le moment où
les deux amis repartent de Philippes : le 22 Nisan 56 - ou 57, après les sept
jours de festivités.
L'emploi de la première personne du pluriel par Luc indique aussi qu'il se
joint à Paul pour le voyage par mer jusqu'à Troas en cinq jours ( alors que
deux ont suffi quelques années plus tôt pour le trajet inverse. La longueur de
cette navigation peut s'expliquer soit par des vents contraires, soit par des
haltes dans quelques îles pour diverses raisons. L'arrivée a donc lieu le 26.

Troas

On imagine la joie des chrétiens de la ville portuaire en revoyant Paul.


Rongé d'inquiétude au sujet de Tite quand il a pris le bateau pour la
Macédoine à l'automne de l'année précédente, le revoilà plein d'entrain et il
s'empresse auprès d'eux aussitôt débarqué afin de pourvoir à leurs besoins
spirituels. Il y consacre une semaine entière. Un arrêt un peu prolongé
malgré le désir de l'apôtre de se trouver à Jérusalem pour la fête de la
Pentecôte ( 6 Sivân : mai-juin ). On peut facilement le comprendre quand on
se souvient avec quel bonheur la Bonne nouvelle a été accueilli à l'automne
précédent dans cette ville ( voir page 65 ).

Le dernier soir, la réunion convoquée doit être une séance d'adieux.


L'apôtre, ses compagnons de voyage et d'autres chrétiens se retrouvent dans
une pièce au troisième étage d'une maison de la ville pour partager un repas.
Comme Paul va repartir dès
le lendemain et qu'il ne
pense pas les revoir avant
longtemps, il converse avec
ses amis, leur adresse des
exhortations, en profite pour
leur parler longuement. Et il
prolonge l'entretien jusqu'à
minuit dans cette chambre
bondée où de nombreuses
lampes ajoutent à la chaleur
ambiante une atmosphère
enfumée.
Un jeune homme, Eutyche, assis sur le
rebord d'une fenêtre, cède au sommeil,
s'endort et tombe vers l'extérieur, trois
étages plus bas.
77

On se précipite dans la rue. Luc le médecin examine le malheureux : il est


mort ! Dans sa relation du drame, ce précieux témoin oculaire écrit :

"Alors Paul est descendu, il s'est


penché [s'étendit] sur lui et l'a pris
dans ses bras [ l'a étreint ]"

Ensuite il a dit :
"Ne vous affolez pas
[cessez de pousser des
cris], son âme [être] est en
lui".

hopingtsaidevotion.blogspot.com - idem page précédente

Les disciples, encore bouleversés par l'annonce de la mort du jeune


Eutyche, n'en croient pas leurs yeux. Le voilà qu'il se relève, ramené à la vie
par l'apôtre. Une résurrection ! La deuxième et dernière rapportée dans les
"Actes d'apôtres" - l'autre a été accomplie par Pierre plusieurs années
auparavant ( voir Actes 9:36-41 ).
Luc, observateur comme l'est en général un médecin, n'a sans doute pas
mis bien longtemps à reconnaître la nature miraculeuse de ce retour à la vie
grâce à l'esprit saint de Dieu - sa force agissante.

L'acte accompli par l'apôtre ( s'étendre - s'allonger - sur le jeune homme en


l'environnant de ses bras ) rappelle celui des prophètes Élie ( Éliya ) et Élisée
( Élisha ) - lire 1 Rois 17:21 et 2 Rois 4:34 .

Leur épouvante envolée, tous remontent au troisième étage où Paul


continue à converser avec le groupe jusqu'à l'aube.

Ce même jour le voyage reprend. Tous les délégués poursuivent par mer
jusqu'à Assos. Paul a décidé de s'y rendre à pied, seul et par la route pour on
ne sait quelle raison. Édouard Barde écrit dans son Commentaire sur les
Actes des Apôtres : "Assos, où le rendez-vous a été donné, était une ville
maritime de la Mysie, au sud de Troas, à laquelle une bonne chaussée pavée
la reliait. Si l'apôtre fait ce trajet à pied, c'est peut-être par besoin de solitude,
ou par désir de s'entretenir plus librement avec quelques frères, ou encore
pour faire des visites sur son chemin". S'isole-t-il le temps du parcours pour
78

méditer sur sa détermination à assumer pleinement son rôle d'apôtre des


nations alors qu'il ressent, au fur et à mesure qu'il approche de Jérusalem,
qu'il va au devant de possibles grandes difficultés ?

Assos : ville portuaire de Mysie sur la côte nord du golfe d'Adramyttium


(carte page 63). Le site se trouve aujourd'hui près de Behramkale. La cité
connaît son apogée au 4ème siècle av. notre ère. Le philosophe Aristote ( le
précepteur d'Alexandre) arrive ( vers 347 av. n. ère ), poursuivre ses
recherches biologiques et commence à observer la faune marine. Il ouvre
aussi une école de philosophie ( une sorte de filiale de l'Académie
d'Athènes ). A l'époque hellénistique sous la coupe des Séleucides, ensuite
intégrée au royaume de Pergame, Assos rejoint l'Empire romain en 133 av. n.
ère.

Pour faire escale à Assos ( située de l'autre côté du promontoire qui la


sépare de Troas ), le bateau doit doubler le cap Baba ( Lectum ). L'apôtre
coupe donc à travers les terres ( environ 32 km ). Il arrive après les autres
( ce que laisse comprendre l'expression grecque du texte traduite par
"rejoints" , "retrouvés" ). Ses compagnons le prennent à bord et l'équipe
réunie fait voile pour Mitylène, vers le Sud.

Mitylène : la principale cité sur la côte orientale de l'ile de Lesbos ; dès


l'Antiquité un des centres majeurs de la poésie lyrique ( Alcée et Sappho ).
Né à Mitylène, Pittacus, l'un des "Sept Sages" ( de la Grèce ), tyran de la cité
( 589-579 ) est connu pour ses nombreuses pensées sur la conduite de la
vie. Tel cet apophtegme : "En commandant aux autres, sache te gouverner
toi-même". Dévastée par les Romains, rebâtie par Pompée, elle devient
célèbre pour la beauté architecturale de ses édifices - dont un théâtre de la
période hellénistique dotée d'une excellente acoustique et pouvant accueillir
10 000 spectateurs. L'île s'appelle aujourd'hui Metilino.

Un commentateur suppose une journée entière de trajet total par mer de


Troas à Mitylène, et pour lui l'arrivée aurait eu lieu le deuxième jour à compter
du départ de Troas. Ne pas oublier d'ajouter le parcours terrestre de Paul
entre Troas et Assos. Même sur une bonne chaussée pavée à la romaine,
franchir les plus de trente kilomètres a certainement demandé beaucoup plus
de temps que présumé. D'autant plus si l'apôtre a fait quelques haltes pour
parler aux autochtones.

Le bateau mouille peut-être dans ce port parce que les vents du Nord font
défaut pour la poursuite du voyage. Rien n'indique en effet que Paul soit
même pas descendu à terre dans l'attente d'une reprise de la navigation.
Le lendemain, par vent favorable, direction Chios à quelque 100 km au Sud.
79

Philippes

Mitylène Lesbos

Chios

Samos

Cnide

Chios : une des plus grandes îles de la mer Égée, séparée de la côte
occidentale de l'Asie Mineure par un détroit de 8 km de large en son point le
plus étroit. Longue d'environ 50 km, sa largeur varie entre 13 et 29 km.

La tradition en fait le lieu de naissance du poète Homère. Plus certainement


celui du mathématicien Hippocrate ( appelé aussi sous le nom d'Ibicrate le
Géomètre pour ne pas le confondre avec son homonyme, père de la
médecine né à Cos ).

L'ile doit sa richesse principale à son "mastic", une résine très aromatique
de couleur jaune extraite par incision d'un arbuste à feuillage persistant, le
pistachier lentisque. Ses "larmes" servent à la fabrication d'un baume aux
propriétés hautement adoucissantes et apaisantes. Réputée depuis
l'Antiquité, où elle faisait office de chewing-gum, la résine mastic de Chios
80

explique en partie les invasions multiples tout au long de son histoire.

Une gomme résineuse aux


propriétés thérapeutiques
antibactériennes et antiseptiques.
greece-aegean-chios-mastic.1

Une substance convoitée par les Romains. Aussi Chios est-elle sous leur
domination mais cependant considérée comme une cité-État libre de la
province romaine d'Asie. Un statut qu'elle gardera jusqu'au règne de
Vespasien. De nos jours, l'île et sa ville portent le même nom.
Arrivé sans doute au coucher du soleil, le bateau mouille " devant Chios [ face
à l'île ]" pour la nuit.

Le lendemain, le navire poursuit sa route le long de la côte jusqu'à Samos, à


environ 100 km plus bas.

Samos : une île montagneuse d'environ 43 km de long et 23 km de large.


Un détroit long d'environ 1,5 km la sépare du promontoire asiatique appelé
Samsun Dagi.

L'île est célèbre pour le culte rendu à Héra ( la Junon romaine), déesse du
mariage et de l'enfantement ). Un temple lui est voué. Il rivalise de splendeur
et de renommée avec le temple d'Artémis à Éphèse.

Le narrateur dit " Nous avons touché [ abordâmes ] à Samos ". Sans doute
entrent-ils dans le port de sa ville principale ( elle se nomme aussi Samos ).
Paul y fait apparemment une courte escale.

Le lendemain, ils arrivent à Milet en Carie. Certains manuscrits ajoutent : "


après une escale [ nous étant arrêtés ] à Trogylle". Une leçon suivie par
plusieurs anciennes versions. D'où la déduction que le bateau n'a pas jeté
l'ancre dans le port de Samos, mais a traversé le détroit et mouillé à l'abri de
ce promontoire, au pied du mont Mycale. Dans ces parages, Grecs et
Perses s'affrontèrent en 479 av. n. ère avec de lourdes pertes de part et
d'autre ( deuxième guerre médique ). Les manuscrits les plus anciens
81

omettent cependant cette précision géographique, et l'interpolation se trouve


de ce fait absente dans la majorité des versions les plus récentes. Il semble
donc plus probable que le bateau se met à quai à Samos pour un peu de
temps ( peut-être pour décharger des marchandises ), puis repart ensuite
pour Milet sans s'arrêter à Éphèse. Depuis le départ de Troas, au moins cinq
ou six jours se sont ainsi écoulés. Sommes-nous déjà dans les derniers jours
du mois de Nisan ?

Milet : Il semble que la ville antique se trouvait sur un promontoire partant


de la rive sud du golfe Latmique. Aujourd'hui en ruines, le site archéologique
est situé à près de 8 km à l'intérieur des terres à cause de l'ensablement de
la baie, et ce qui était autrefois le golfe est un lac. Envasement de ses
installations portuaires dû aux alluvions apportés par le fleuve Méandre qui
se jette dans la mer Égée.

Au 7ème siècle av. n. ère, Milet devient un centre commercial prospère


avec de nombreuses colonies sur la mer Noire et en Égypte ( Pline l'Ancien
en cite plus de quatre-vingt ). Les articles en laine de Milet sont réputés.

Maquette du port et du marché de Milet - Pergamon_Museum_Berlin 2007077.jpg


82

Au 5ème siècle av. n. ère, les Perses prennent Milet et la détruisent parce
qu'elle a participé à une révolte. Les travaux de reconstruction sont confiés à
un natif du lieu, l'architecte Hippodamos. Il conçoit un plan d'urbanisme très
strict, quadrillant la ville en îlots carrés ( la maquette ci-dessus en donne un
aperçu ). Appelé tracé "hippodamien", ce plan orthogonal sera repris par
d'autres cités et colonies. Il inspirera même le modèle d'urbanisme utilisé par
les Romains.

Parmi les personnages célèbres de Milet, on peut citer le scientifique Thalès


(vers 625-547 av. n. ère), considéré comme le père de la géométrie ( un
théorème porte son nom ), de la physique et de l'astronomie. Thalès fonda
aussi une école de philosophie dans sa ville natale ( l’École milésienne ), où il
aurait prononcé la fameuse formule "Connais-toi toi-même".

D'après son récit, Luc dit que Paul a décidé de passer au large d’Éphèse,
afin de ne pas s'attarder dans le district d'Asie. Et il donne comme explication
la hâte de l'apôtre d'être présent à Jérusalem le jour de la fête de la
Pentecôte. A-t-il pris cette décision dès son embarquement à Néapolis? Et en
affrétant alors le bateau à ses frais ? On peut pencher pour cette explication
puisqu'il commande à l'équipage d'éviter Éphèse, alors que d'habitude les
bateaux qui font le cabotage mouillent dans ce port. S'il jetait l'ancre, une
attaque comme celle fomentée par l'orfèvre Démétrius environ un an plus tôt
serait-elle possible ? Dans ce cas, les huit hommes ( en comptant Luc )
chargés de la délicate mission du transfert des offrandes destinées aux
chrétiens nécessiteux de Jérusalem pourraient-ils assurer sa protection ?

L'apôtre ne veut pas tarder d'aller à Jérusalem, il ne prend pas la peine ( ou


le risque ) de remonter jusqu'à Éphèse, mais il désire cependant prendre
officiellement congé. Pendant l'escale à Milet il envoie un courrier pour
demander aux anciens ou hommes d'âge mûr ( grec : présbutérous ), les
responsables de l’Église ( congrégation, communauté, assemblée ), de venir
le rejoindre. Peut-être même ne les connaît-il pas tous personnellement. De
quelques termes du discours de Paul, il paraît en effet résulter que quelques-
uns des anciens accourus à son appel ne sont pas venus uniquement
d’Éphèse mais aussi de localités circonvoisines. On se rappelle que la
diffusion de la Bonne Nouvelle en Asie a été effectuée par bien d'autres ( voir
la page 34 et la carte page 35 ). Depuis son absence, certains se sont-ils
installés à Éphèse ? Paul désire les rencontrer au complet pour leur
transmettre exhortations et conseils fort utiles à la poursuite de leur mission
chrétienne. Un discours d'adieu. A-t-il déjà compris qu'en allant à Jérusalem,
il risque sa vie ?
Il faut certainement un jour au messager pour se rendre à la métropole ,
distante de quelque 50 km, et au moins le triple ou plus en comptant la
83

convocation des anciens et leur petit voyage.

Les voici enfin tous groupés autour de l'apôtre. Il leur adresse alors une
allocution touchante, admirable même par ses accents émus.
Le professeur de théologie et bibliste genevois Édouard Barde, dans son
étude "Commentaire sur les Actes des Apôtres" , cite Reuss :

"Nous lisons ici le plus beau de tous les discours insérés dans notre livre et
qui, même sous la forme abrégée sous laquelle il nous est parvenu, révèle
une profondeur de sentiments et une conception du devoir apostolique telles
qu'il peut être comparé aux plus touchantes pages des épîtres. Tout nous fait
sentir que nous avons ici un résumé fait par un auditeur immédiat."

Cette allocution est rapportée par Luc, au chapitre 20, des versets 18 à 35.
Soit bien plus courte que celle prononcée dans la synagogue d'Antioche
(voir Tome 1 "Premier voyage"). Comme nous l'avons fait pour cette dernière,
essayons de revoir les quelques points majeurs mis en relief par Paul, mais
en choisissant de regrouper les passages aux pensées analogues :

1) le passé ou souvenirs du ministère à Éphèse :


(versets 18-21, 26, 27, 31b, 33-35) :

a) v. 18 : "Vous avez été témoins de ma façon d'agir [ comment je me suis conduit ]


tout le temps que j'ai passé avec vous "
( Par exemple à Éphèse, tous les jours pendant deux ans, de 11h à 16h dans la salle
de l'école de Tyrannus ).

b) v. 19 : "J'ai servi le Seigneur en toute humilité [ sans me faire valoir ], avec des
larmes, au milieu d'épreuves suscitées par les complots des Juifs "
( Dans la synagogue et durant tout le temps de son séjour ; ajoutons les
manœuvres païennes comme pendant la folle journée où l'orfèvre grec Démétrius a
soulevé une foule entière contre les chrétiens ).

c) v. 20: " ὡς οὐδὲν ὑπεστειλάμην τῶν συμφερόντων τοῦ μὴ ἀναγγεῖλαι ὑμῖν


καὶ διδάξαι ὑμᾶς δημοσίᾳ καὶ κατ’ οἴκους "
- Texte grec : 26° édition de Nestle-Aland ( pour les mots mis en rouge, voir fin de page ).

v. 20: " Vous savez que je n'ai rien caché de ce qui vous était utile, et que je n'ai
pas craint de vous prêcher et de vous enseigner publiquement et dans les maisons "
- Texte français : version Louis Second 1910 , Soleil d'Orient, 2004.

A propos de l'expression "de maison en maison", littéralement "et selon les


maisons" ( grec : kaï kat' oïkous ) - où ici kata est employé avec l'accusatif
pluriel au sens distributif -, notons ces deux commentaires d'exégètes :
84

"À Philippes, Paul découvre l’efficacité de l’évangélisation de « l’oïkos »


(l’oïkos de Lydie : Actes 16:15 ; l’oïkos du geôlier : 16:31,34). Le mot grec
oïkos désigne la famille entendue comme l’ensemble des consanguins,
esclaves, clients et amis. Il était l’un des fondements de la société gréco-
romaine. Paul découvre l’importance de la conversion de tous ces foyers
domestiques qui devenaient des phares par lesquels l’Évangile pouvait se
diffuser. Nous pouvons donc raisonnablement souligner le rôle fondamental
tenu par l’oïkos (la maisonnée ou le foyer domestique étendu) dans le
développement de l’Église".

" 'Par (selon les) maisons'. Il est intéressant de remarquer que ce


prédicateur, le plus grand de tous, prêchait de maison en maison et que ses
visites n’étaient pas que de simples visites amicales".

d) v. 21: "Prêchant aux Juifs et aux Grecs"


( Paul a non seulement rendu visite à ses anciens coreligionnaires pour les instruire
"sur la repentance envers Dieu et la foi en notre Seigneur Jésus", mais aussi aux
non-croyants ).
Les deux pôles de la prédication apostolique.

Luc avait précédemment écrit : " Tous ceux qui habitaient dans le district d'Asie
entendirent la parole du Seigneur, tant Juifs que Grecs ." (Actes 19:10).
Paul veut mettre l'accent sur la méthode et le sérieux avec lequel le
témoignage doit être rendu pour obtenir de bons résultats.

e) v. 26 et 27 : "C'est pourquoi je vous prends aujourd'hui à témoin, que je suis pur


[ net ] du sang de tous les hommes [ dégagé de toute responsabilité ], puisque je
n'ai rien négligé pour vous annoncer toute la volonté [ le plan ] de Dieu [ sans rien
passer sous silence ]."
( Si des anciens d’Éphèse devenaient infidèles et tordaient le sens des Écritures,
pour leur propre perte spirituelle et au détriment de leurs frères, Paul ne pourrait en
être accusé. La dette de sang retomberait sur eux ).

f) v. 31b : "Pendant trois années, le nuit comme le jour, je n'ai cessé de vous
conseiller [ exhorter ] , [ avertir ] un à un, et parfois même avec larmes. "
( Les trois ans sont un chiffre rond pour indiquer le temps passé à Éphèse ; loin
d'être arrogant et tyrannique, jamais Paul n'a réprimandé vertement ses frères ni ne
leur a donné des ordres autoritaires ; au contraire il les a exhorté avec chaleur, ce
qui entraînait sans doute une certaine tension émotive ).

g) v. 33-35 : "Je n'ai attendu [ désiré ] de personne argent, or ou vêtements. Ces


mains ont pourvu à mes besoins et à ceux de mes compagnons. Toujours et
partout, j'ai voulu vous montrer, par l'exemple, comment il fallait travailler pour
pouvoir soutenir les faibles [ ceux qui sont en difficulté ]. Rappelons-nous ce que le
Seigneur Jésus lui-même a dit : ' Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir'. "
( Ses efforts en faveur de ces frères ne visaient pas un profit personnel ; aussi a-t-il
85

travaillé pour assurer sa propre subsistance ; il peut donc en toute bonne foi
encourager les anciens à faire preuve d'abnégation ).

2) l'avenir ou partie prophétique sur le voyage en cours


(versets 22-25) :

a) v. 22 et 23 : "Et maintenant, lié [ enchaîné ] par l'Esprit [ parce que l'Esprit m'y
pousse irrésistiblement ], je vais à Jérusalem, ne sachant pas [ ignorant ] ce qui
m'y arrivera ; si ce n'est que le Saint-Esprit m'avertit de ville en ville, que des liens
[ chaînes ] , [ la prison ] et des afflictions [ tribulations ] m'attendent "

L'expression "lié par l'Esprit" ne veut pas dire "en imagination", mais signifie
que Paul obéit à une force intérieure, dont l'Esprit de Dieu a, sans aucun
doute, la direction, et à laquelle l'apôtre ne peut résister. "Tel un prisonnier,
Paul doit aller où l'Esprit le conduit." - Note marginale dans Le Nouveau
Testament, Osty/Trinquet. Sa liberté lui est soumise pour un voyage dont le
terme est Jérusalem. Il a "de ville en ville", au fil de son avance, une
révélation fragmentaire des péripéties dangereuses qui l'attendent, peut-être
par des prophéties particulières - comme celles que nous rencontrerons au
chapitre 21 -, mais absentes du récit de Luc.

b) v. 24 : "Et pourtant je n'attache aucun prix à mon âme [ peu m'importe ], pourvu
que j'accomplisse ma course avec joie et le ministère [ la mission ] que j'ai reçu du
Seigneur Jésus pour annoncer la bonne nouvelle de la grâce [ faveur imméritée ] de
Dieu"
( Ici, le verbe grec traduit par 'attacher', poïoumaï, est au "moyen" - voix moyenne ,
avec une valeur intensive ). "La voix moyenne exprime une participation plus
directe, une implication plus spécifique, ou même une forme de bénéfice
quelconque pour le sujet qui fait l'action" - Le grec biblique sur Croixsens.net .
Ce qui signifie que Paul ne dit pas qu'il n'accorde aucune valeur à sa vie, mais que
l'accomplissement de son ministère est beaucoup plus important ).

c) v. 25 : "Désormais, je le sais, vous ne verrez plus mon visage, vous tous ".
( Si Paul est retourné dans cette contrée ( pas nécessairement à Éphèse ), nous
n'avons pas de récit scripturaire à ce sujet ).

3) exhortations et adieux, ou partie parégorique


(versets 28-30, 31a, 32) :

a) v. 28 : "Faites attention à vous-mêmes et à tout le troupeau, parmi lequel l'esprit


saint [ le souffle sacré ] vous a établis surveillants [ évêques ] , [ gardiens ], pour
[ gouverner ] faire paître la congrégation [ l'assemblée ] de Dieu, qu'il a achetée
[ acquise ] avec le sang de son propre Fils".
(Le terme grec pour "surveillant", épiskopos - pluriel, épiskopous - est apparenté
au verbe épiskopéô, qui signifie "veiller avec soin" et au substantif épiskopê,
"inspection". Fondamentalement, le terme grec évoque la notion de surveillance
protectrice et les "épiskopoï "correspondent aux "présbutérous", les "anciens"-
86

singulier, présbutéros". Les deux mots désignent donc la même fonction, à ceci
près que présbutéros se rapporte à la maturité de celui qui est établi à une telle
fonction, alors qu'épiskopos fait plutôt allusion aux devoirs propres à cette charge).

b) v. 29 et 30 : "Je sais qu'après mon départ des loups rapaces [ tyranniques ]


viendront [ se glisseront ] chez vous et mettront à mal le troupeau. Certains [ de vos
propres rangs ] d'entre vous se mettront à enseigner une doctrine falsifiée
[ tiendront un langage pervers ], dans le seul but de détacher les disciples pour
qu'ils les suivent [ se faire des disciples personnels ]".
( Au nombre de ses déviations, il y aura la distinction entre les termes présbutéros
"ancien" et épiskopos "surveillant". Ils cesseront d'être interchangeables. Plus
immédiat, dans environ cinq ans, Paul demandera à Timothée de rester à Éphèse.
Pour quelle raison ? Certains chrétiens étaient devenus des ferments de discorde ;
ils introduisaient dans la congrégation des enseignements mensongers ).

c) v. 31a : "C'est pourquoi tenez-vous éveillés [ vigilants ]".


(Dans la Bible, le sommeil peut symboliser la mort ou l'assoupissement au sens
spirituel - voir Romains 13 : 11 et 1 Thessaloniciens 5 : 6).

d) v. 32 : "Et maintenant je vous confie à Dieu et à la parole de sa faveur imméritée,


parole qui peut vous bâtir [ a le pouvoir de vous faire grandir dans la foi ]".

L'heure est venue de se séparer. Cela ne se passe pas sans douleur.

"Bien des larmes coulèrent, et il


se jetèrent au cou de Paul et
l'embrassèrent tendrement.
Puis ils le conduisirent jusqu'au
bateau".

"Les pasteurs d’Éphèse ne furent pas seuls à ressentir la douleur de ce


départ. Paul aussi l'éprouva; l'auteur nous la dépeint par le choix du terme
ἀποσπᾶν ; cette séparation fut un déchirement. Et un chagrin pareil
marquera d'autres adieux encore, même dans des Églises dont Paul n'a
point été le fondateur". - Commentaires sur les Actes des apôtres, Édouard Barde.
87

On rencontre ce terme grec "apospao" au premier verset du chapitre 21 où il


est souvent rendu par l'expression plutôt adoucie de "séparés". Mais d'autres
traductions utilisent "arrachés", son sens naturel qui implique un effort violent.

Par vent arrière, le bateau file tout droit et atteint l'île de Cos ( à quelque 75
km au sud de Milet ) dans la même journée ( voir carte page 79 à Chios ). Des
commentateurs ont estimé qu'avec les vents dominants de N.-O. habituels en
mer Égée, il est en effet possible de parcourir cette distance en six heures à
peu près.
Le bateau mouille pour la nuit au large de la côte est de l'île. Sa ville
principale porte le même nom.

Cos ( ou Kos ) : Une île, longue de 40 km sur 8 km de largeur, citée au


chant II de l'Iliade d'Homère ( Catalogue des vaisseaux ).
D'après la mythologie, Kos est l'île sacrée d'Asklépios, dieu de la guérison.

Les Perses conquirent l'île au 5ème siècle av. n. ère, mais les Athéniens en
prennent le contrôle après les avoir vaincus ( bataille de Salamine en 480 ).

Vers 460, naissance d'Hippocrate. Il appartient aux familles des Asclépiades


vouées à l'exercice de la médecine. Elles prétendent descendre du dieu
Asclépios ( l'Esculape romain ). Considéré comme le père de la médecine ,
Hippocrate fonde la première École pour l'enseignement de cette discipline. Il
rejeta l'idée que la maladie était un châtiment divin, affirmant qu'elle avait une
cause naturelle. Il posa ainsi les bases d'une approche rationnelle de la
médecine. Après sa mort, les habitants de Kos construisent l'Ascklépeion
( un temple de guérison en l'honneur du dieu Asklépios ) qui sert d'hôpital et
accueille des patients auxquels les médecins appliquent la thérapeutique
hippocratique.

Pendant la guerre du Péloponnèse ( 431-404 ), Kos s'allie à Athènes. Les


Spartiates l'envahissent en 411. En 394, redevenue l'alliée d'Athènes, elle
institue un régime démocratique. Il s'ensuit une intense période de
développement culturel et économique.

Conquise par Alexandre en 336, après sa mort les Ptolémées en prennent


le contrôle ainsi que de l'ensemble du Dodécanèse.

A l'époque où on jette l'ancre pour la nuit, l'île est un État romain libre de la
province d'Asie et, d'après Tacite, exemptée d'impôts par Claude en 53, soit
depuis peu. Pour cette période les historiens parlent de décadence.

Le lendemain, on reprend la navigation.


88

Rhodes : La plus grande île du Dodécanèse. Elle a la forme d'un fer de


lance d'environ 80 km de long pour 38 km de large.

D'après Thucydide, la cité antique serait née en 408 av. n. ère grâce au
synœcisme ( unisson ) de trois cités indépendantes. Devenue ville principale,
située à l'extrémité nord de l'île, elle en porte aussi le même nom. Les rivages
sont rocheux, l'intérieur possède de larges bandes de terres arables.

A la mort d'Alexandre en 322, l'île retrouve son autonomie. Elle adopte une
stricte neutralité dans ses relations avec ses successeurs ( les diadoques ),
mais entretient néanmoins des relations commerciales étroites avec l’Égypte
ptolémaïque. Sa prospérité économique s'accroît : ses vins sont exportés
jusque dans les cités grecques de mer Noire ( Pont-Euxin ).

Puis Antigone le Borgne en lutte contre Ptolémée - il dirige déjà Chypre -


souhaite s'emparer de la ville. Vu son importante géostratégique, il pourrait
ensuite contrôler l'ensemble des communications en Méditerranée orientale
et en Égée.

En 305, son fils Démétrios s'attaque à Rhodes. Il commande une flotte de


plusieurs centaines de navires et utilise de gigantesques machines de siège
comme l'hélépole - une tour bardée de fer, de 40 m de haut et 21 m de large.
Le siège dure une année mais s'achève sur un échec grâce à la résistance
farouche des assiégés. Un accord est signé : Rhodes s'engage à devenir
l'alliée d'Antigone, sauf contre Ptolémée.

En souvenir de leur résistance victorieuse, les habitants construisent vers


292 une monumentale statue en bronze à Hélios ( le dieu du Soleil ). Le
fameux Colosse. Plus de 30 m de haut ! Il sera renversé en 226 par un
tremblement de terre. C'était la sixième des sept merveilles du monde
antique.

En 220, l'île fait la guerre à Byzance qui veut établir un péage sur le
passage des navires vers la mer Noire ( Polybe, IV, 45-52 ).

Son attitude volontairement réticente à s'engager pendant la Troisième


Guerre macédonienne ( conflit opposant de 172 à 168 la République romaine
au Royaume de Macédoine dirigé par Persée ) lui vaut l'hostilité de Rome.
Aussi doit-elle renoncer à une partie de ses possessions après la victoire
romaine. Touchée économiquement par la création du port franc de Délos en
167, le traité qu'elle signe avec Rome deux ans plus tard marque la fin de sa
puissance. En 142, un autre tremblement de terre met à mal le reste de la
cité.
89

Un siècle plus tard, en 42, elle est pillée par les troupes de Cassius parce
qu'elle a soutenu Jules César lors de la guerre qui l'oppose à Pompée.

Cnide : Bien que cette ville ne soit pas nommée dans le récit du retour,
Paul y passe probablement en cette année 56 de notre ère ( comme il l'a fait
en rentrant de son deuxième voyage, en 52 ). Nous reparlerons d'elle dans
environ deux ans quand l'apôtre effectuera son voyage à Rome pour
comparaître devant Néron.

Patara : On identifie aujourd'hui ce port de Lycie à des ruines antiques dans


le village de Djelemish, à environ 10 km à l'Est de l'embouchure du Xanthe
( Koca ). Des navires en provenance d'Italie, d’Égypte, de Syrie et d'ailleurs y
faisaient escale. Comblé depuis par la vase et réduit à l'état de marais.
Depuis 43, la Lycie est incorporée à l'Empire par Claude et réunie à la
province romaine de Pamphylie. Le port sert de réserve pour les produits
agricoles en attente d'expédition vers Rome.

Nous lisons en Actes 21:1 : "à Rhodes, et de là à Patara". Certains manuscrits


anciens ajoutent "et à Myre" après Patara. Ce qui ne serait pas incompatible
avec le reste du récit ; toutefois, on n’a pas suffisamment d’éléments pour
déterminer si le nom Myre figurait vraiment dans le manuscrit original.

Myre ( ou Myra ) : Son site est occupé aujourd'hui par la ville turque de
Demre. Cette ville de Lycie se trouvait sur une colline au bord de l'Andracus,
à quelque 3 km à l'intérieur des terres. La Myre antique englobait
apparemment la ville et son port. Strabon la cite dans sa Géographie.

Au début de notre ère, elle doit en grande partie sa prospérité au commerce


du murex et de la pourpre qui en est extraite.

Comme pour Cnide, quand nous suivrons Paul emmené prisonnier à Rome,
il sera nécessaire de reparler d'elle.

"Pendant notre escale ( à Patara ) nous avons trouvé un navire en partance


[ faisant la traversée ] pour [ vers ] la Phénicie ", raconte Luc ( Actes 21: 2 ).

Commentaire du bibliste Édouard Barde : "Il était, dit notre historien,


« traversant -- διαπερῶν -- en Phénicie, » donc absolument sur le point de
partir ; encore le cachet du témoin oculaire".

Paul et ses compagnons montent donc à bord non plus d'un caboteur mais
sur un gros navire marchand qui va les emmener directement à Tyr, en
Phénicie.
90

Les vents ordinaires dans ces parages, à cette époque de l'année -


printemps -, soufflent du Nord-Ouest. Les plus favorables à un navire
marchant vers le Sud-Est. Trois ou quatre jours devaient suffirent pour ce
dernier trajet par mer.

Voici nos voyageurs arrivés en vue de Chypre, l'île où Paul a commencé


son activité de missionnaire en compagnie de Barnabas et de Jean Marc.
En 47. Neuf ou dix ans plus tôt ! ( voir Tome 1 ).
Paul raconte-t-il à ses amis des anecdotes de son séjour ? Sa rencontre
houleuse avec le sorcier Élymas ? Sa joie quand le proconsul Sergius Paulus
l'a écouté avec attention parce que cet homme cherchait réellement à
entendre la Parole de Dieu. Luc prend-il note de ces souvenirs ? Quand il
écrira le récit des aventures chrétiennes de l'apôtre, il leur donnera vie pour
le plus grand plaisir du lecteur.

Cependant, Luc précisera à propos de Chypre : " nous l'avons laissé sur notre
gauche". Autrement dit "sur bâbord". On n'accoste donc pas l'île. On la relève
seulement et on vogue vers la Phénicie et le but de ce voyage maritime : Tyr

Tyr : La ville antique de Tyr était bâtie sur un îlot rocheux entouré par la mer
de tous les côtés - d'où son nom phénicien signifiant "rocher". En face - à une
distance de 600 m - se trouvait une deuxième bourgade continentale où les
insulaires allaient puiser l'eau potable qui était transportée à Tyr par bateau.
Cette île-ville au milieu de la mer était fortifiée, avec une muraille de 4,50 m
de haut.

L'antique cité est mentionnée pour la première fois après la conquête de la


Terre promise. Depuis le début et tout au long de son histoire, Tyr reste une
voisine plutôt amicale - le roi Hiram de Tyr et Salomon fondent une sorte de
compagnie de navigation pour l'importation d'or, de pierres précieuses et de
matériaux pour le temple de Jérusalem - mais indépendante en dehors des
frontières d'Israël. Les marins phéniciens se constituent une flotte de
commerce prospère. Leurs charpentiers construisent des navires capables
d'effectuer de lointains voyages. Après Chypre, la Sardaigne et les Baléares,
ils suivent la côte nord-africaine en direction de l'ouest, jusqu'en Espagne. Du
fait de ces deux ports, un au Nord, "le port Sidonien" et l'autre au Sud, "le
port égyptien", la ville possède une extraordinaire puissance maritime où se
croisent toutes les marchandises connues dans l'Antiquité. Elle est aussi
connue pour la production d'une rare et très coûteuse sorte de teinture
mauve connu sous le nom de violet Tyrien.

En 332 av. n. ère, Alexandre porte son attention vers Tyr qui refuse de lui
ouvrir ses portes.
91

Sur son ordre ses hommes


raclent les ruines de la
ville continentale et les
jettent dans la mer, afin de
bâtir une chaussée jusqu'à
la ville insulaire tandis que
ses forces navales
bloquent le port.

( cf. prophétie Ézékiel 26:4 )

Après sept mois d'assauts


terriblement meurtriers, les
assiégeants s'emparent
enfin de la ville.
Les représailles sont
terribles. Furieux,
Alexandre se montre
impitoyable et fait
massacrer ou réduire en
esclavage la population.
dessin d'André Castaigne 1898-1899

Totalement détruite par Alexandre, mais rebâtie pendant la période des


Séleucides, au premier siècle Tyr est redevenue un important port d'escale
sur la Méditerranée. "C'est là que le [ navire ] devait [ livrer ] sa cargaison ", et où
Paul et le groupe l'accompagnant descendent à terre. Pour quelques jours.
Le temps pour le vaisseau de faire relâche. Il faut décharger la marchandise.

Ces cargos de 300 tonneaux et plus (sachant qu'une amphore grecque


"standard" faisait 19.4 litres) pouvaient atteindre un port en lourd de 5000 à
10 000 amphores.

Navires, relativement rapides, ils disposaient souvent d'échelles servant de


coupée pour accéder au quai. Une voile supplémentaire à la proue leur
servait pour les manœuvres portuaires. Les avirons furent progressivement
abandonnés avec les progrès dans l'utilisation de la voilure.
92

Cargo grec ponté

navistory.com

Les premiers cargos grecs usaient largement de l'aviron, et leur rapport


largeur/longueur relativement faible les rendaient aptes à un usage militaire
aussi bien que civil.

Les amphores convenaient


aussi bien au transport de
pondéreux (blé en
provenance de l'Asie
Mineure, de l’Égypte et de
la Sicile, Orge venu du
Nord), mais aussi de vin,
d'huile d'olive et de miel,
largement exportés dans
tout le bassin
méditerranéen.

Quelques jours seront nécessaires pour procéder au déchargement du fret


puis à l'embarquement de nouvelles marchandises. Le navire venant de
l'Ouest, s'agit-il d'une importante cargaison de vin ? Peut-être faudra-t-il aussi
vérifier la voilure et procéder à une inspection de la mâture et du gréement.
93

Les céréaliers construits à Alexandrie à l'époque des Ptolémée furent les


plus vastes. Leur but étaient d'alimenter en blé Rome et une bonne partie du
Latium ( région de l'Italie centrale ) qui n'étaient plus autonomes en la
matière. La corbita romaine ( un navire de forte taille, tirant d'eau et tonnage )
dérive directement de ces grands cargos.

Lorsque nous accompagnerons Paul devenu prisonnier de l'Empire jusqu'à


la capitale romaine, d'autres précisions sur l'armement des bateaux et la
navigation seront donnés.
Pour l'heure, ils débarquent et, dit Luc : " nous nous sommes mis à la recherche
de disciples". - Actes 21:4.

Jésus en personne est venu dans cette région ( voir Matthieu 15:21 ). Une
femme cananéenne ( les premiers occupants de la Phénicie étaient issus du
premier-né de Sidon, premier-né de Canaan - voir Genèse 10:15 ) lui demande
son aide. Il est tellement impressionné par cette non-Juive qu'il guérit sa fille
possédée d'un démon.
Note de La Bible en français courant : "L'appellation cananéenne désigne
cette femme comme appartenant à la population autochtone de cette partie
de la Phénicie". De ce fait, en Marc 7:26 cette version la dit "née en Phénicie, de
Syrie". D'autres traducteurs utilisent "phénicienne" ou "syro-phénicienne" ( la
Phénicie faisant partie de la province romaine de Syrie ).

Un an avant cette courte visite du Christ , certains habitants de la Phénicie


( "des alentours de Tyr et de Sidon" - cf Marc 3:8 ) c'étaient déplacés jusqu'en
Galilée pour écouter Jésus et le supplier de guérir leurs maladies.

Après le martyre d’Étienne et face à la persécution qui éclata en Judée, des


chrétiens s'enfuirent en Phénicie - cf Actes 11:19. Au début, ils partagent leur
foi avec des Juifs mais après la conversion de Corneille, à Césarée - pas très
loin de Tyr -, des églises ( congrégations ) composées de Juifs et de non-
Juifs naissent le long de la côte phénicienne.

Voilà pourquoi Paul et ses compagnons de voyage trouvent rapidement des


coreligionnaires à Tyr et sont accueillis avec cette hospitalité qui fait honneur
à celui qui l'exerce. Ils demeurent sept jours dans cette ville, le temps comme
dit plus haut de préparer le cargo pour un nouveau départ.
Or, Luc fait à cet endroit de son récit un curieux commentaire concernant les
disciples :
"Sous l'inspiration [ l'action ] de l'Esprit, ils déconseillaient à Paul de se rendre [ de
mettre le pied ] à Jérusalem". - Actes 21b.
Pourquoi cette recommandation de leur part ? Quelle était leur motivation ?
Dieu avait-il changé d'avis et le faisait-il savoir à Paul par leur intermédiaire ?
94

Qu'avait dit exactement ce même esprit saint à l'apôtre en s'adressant à lui ?


Aux anciens de Milet, en les quittant Paul s'est attardé un assez long moment
pour leur expliquer cette confidence (que le lecteur veuille bien remonter
jusqu'à la page 85, sous-titre n°2). L'esprit lui a indiqué une maltraitance à
venir mais pas de s'abstenir d'aller à Jérusalem.
Les disciples possèdent l'esprit - au moins en une certaine mesure - mais
Paul aussi, bien certainement. Apprenant les ennuis qu'il aura à Jérusalem,
par sollicitude ils insistent pour qu'il s'abstienne d'y monter. Sans se laisser
ébranler, il passe outre, déterminé à poursuivre comme prévu.

"Nous mettant à genoux sur la plage, nous avons prié et nous sommes dit adieu les uns les autres ;
puis nous nous sommes embarqués sur le bateau, tandis qu'ils retournaient chez eux "- Actes 21:5b,6

Leur bienveillance s'exprime pleinement le jour du départ. Le bibliste


Édouard Barde fait ce commentaire sur l'émouvante description qu'en fait
Luc. Il dit que cet historien : " nous dessine une rapide esquisse de la famille
chrétienne dans ce milieu corrompu. Les disciples ne sont pas seuls à
accompagner jusqu'au rivage l'indomptable missionnaire ; leurs femmes se
joignent à eux, leurs enfants ... Toutes ces familles s'associent à la prière
d'adieu, dite à genoux sur la grève ... et le départ est un nouveau
déchirement. L'écrivain semble en ressentir encore la douleur. Son regard, à
l'heure où il trace ces souvenirs, suit ses amis en pleurs, retournant
lentement chez eux ".
95

"Notre voyage par mer se termina [mettant un terme à notre navigation ] , [ nous
avons achevé ] par la traversée [ avec cette étape ] de Tyr à Ptolémaïs" Actes 21:7.

Le terme grec hapax utilisé par le narrateur pour indiquer la fin du voyage
maritime signifie "achever, arriver au terme". Quelques cartes censées retracer
l'itinéraire du troisième voyage semblent cependant ignorer ou mettre en
doute cet indice.

Ptolémaïs : L'ancienne Akko ( aujourd'hui Acre ), à environ 39 km au Sud


de Tyr et 150 de Jérusalem.
Son nom apparaît dans le livre biblique des Juges ( cf Juges 1:31 ). La cité se
situe alors sur un tertre identifié à Tell el-Foukhkhar ( Tel 'Akko ), distant
d'environ 1 km de la baie et de 1,8 km à l'Est des murs actuels de la vieille
ville.
Sous les Perses ( 6ème siècle av. n. ère ), la ville s'étend vers l'Ouest et elle
englobe la péninsule qui forme l'extrémité nord de la baie d'Haïfa. Le port est
implanté à partir de cette époque. Il restera le plus important de ceux ( peu
nombreux ) de la côte palestinienne jusqu'à l'aménagement de celui de
Césarée. Il n'a pas la qualité de Tyr, n'offre qu'un abri médiocre contre les
vents marins, mais plusieurs routes commerciales le relient à la Galilée, à la
vallée du Jourdain et à d'autres villes importantes à l'Est. On exporte depuis
Akko du bois, des objets d'art et des céréales.
Son nom sera changé en celui de Ptolémaïs par Ptolémée II Philadelphe, roi
roi d’Égypte.
Sous l’empereur Claude, la ville est devenue une colonie romaine.

Une halte d'un jour chez les chrétiens du lieu pour les ... saluer ( c'est le
terme utilisé par Luc ). Cette action ne consiste pas seulement à donner une
rapide marque d'attention de civilité, de respect.
Note de La Bible des peuples : "... on avait soif de ces contacts avec les
frères venus d'ailleurs en un temps où les communications étaient limitées.
Mais c'était tout autre chose quand il s'agissait d'apôtres ou de prophètes, car
alors on avait droit à des manifestations de l'Esprit, à une connaissance
nouvelle de la Parole ...".
On a pu le constater à Tyr où pendant sept jours tous se sont empressés
autour de Paul pour l'écouter expliquer - expliciter serait plus exact - la foi
chrétienne. Car son objectif permanent, invariable - et on le voit clairement à
travers ses lettres, n'est pas de marteler un rébarbatif prône homélitique ni de
s'en tenir à cette proclamation publique que nos savants biblistes appellent
"kérygme" ( du verbe grec Kèryssô ), un terme qui signifie au sens large
"proclamer" ( comme le héraut le faisait à voix haute ), mais dès qu'il en a
l'opportunité Paul se livre à une consolidation de la foi de ses auditeurs par
l'apport de son propre témoignage.
96

Le lendemain, départ, et, cette fois par voie de terre - environ 55 km -, ils
arrivent à Césarée. Puisque Paul sera sous peu emprisonné pour deux ans
dans cette ville - capitale de la province romaine de Judée, siège de son
gouverneur et le quartier général de son corps militaire -, nous essaierons
d'en donner une description aussi fidèle que possible dans le quatrième et
dernier tome des voyages de l'apôtre ( celui de sa captivité vers Rome ).

Ci-dessous la photo d'une dalle de pierre portant le nom latin Pontius


Pilatus - 2ème ligne encadré de droite - découverte en 1961 lors du
déblaiement des ruines d'un théâtre romain.

Une preuve que Ponce Pilate était gouverneur ( ou préfet - 3ème ligne de
l'encadré ) de Judée quelques années plus tôt. Nommé par l'empereur Tibère
César en 26 de n. ère, il exerça cette fonction pendant dix ans.

Pourquoi cette halte à Césarée ? Il semble que Paul souhaite rencontrer


Philippe l'évangélisateur - grec tou euaggélistou -, "un de ses devanciers sur
le terrain missionnaire", comme l'appelle un bibliste. Puisque le terme grec
euaggélistês (évangélisateur) est étroitement apparenté au mot euaggélion,
qui signifie "bonne nouvelle" ou "évangile", un évangélisateur est donc un
prédicateur de l'évangile ou bonne nouvelle ; le porteur d'un bon message.
Ce mot revêt cependant dans certains cas un sens bien particulier. Paul le
livrera dans sa future lettre aux Éphésiens où il nomme l'évangélisateur ( ou
le missionnaire ) après l'apôtre et le prophète, mais avant le berger et
l'enseignant - cf. Éphésiens 4:11.

A Jérusalem, une vingtaine d'années plus tôt, Philippe a été l'un des sept
hommes de confiance chargés par les apôtres de superviser la distribution
équitable de nourriture aux disciples ( cf Premier voyage, page ... ). Puis la
persécution survenue, il est allé dans un territoire ( la ville de Samarie et sa
région ) faire œuvre d'évangélisateur ou de missionnaire. Il s'y était installé et
peut-être y avait-il fondé une famille. Le narrateur ne dit rien de sa femme
mais indique la présence de quatre filles vierges, et précise qu'elles étaient
prophétesses.
97

Rien de bien étonnant puisque le jour de la Pentecôte ( en 33 de n. ère ),


vers 9 heures, dans son discours adressé à ses concitoyens, l'apôtre Pierre a
fait l'application d'une promesse très ancienne ( écrite au début du 9ème
siècle av. n. ère ) en ces termes :
"Et dans les derniers jours , dit Dieu, je répandrai une partie de mon esprit ( grec
pneumatos - c'est-à-dire une force agissante invisible ) sur toute sorte de chair, et
vos fils et vos filles prophétiseront [ prononceront les paroles que je leur inspirerai ]
, [ transmettront les messages que je leur donnerai ] ...".
- voir Actes 2:17 - Pierre cite Joêl ( Yoêl ) 2:28 ou 3:1 selon les versions.

Déjà, voici bien longtemps, après la traversée de la mer Rouge pour fuir
l’Égypte, on appelait une femme, Miriam, "la prophétesse". Puis à l'époque
des Juges, ce fut Débora. Sous les rois, Houlda. Quand Jésus était enfant, il
y eut Anne - cf. Exode 15:20; Juges 4:4; 2 Rois 22:14; Luc 2:36.

Difficile d'évaluer avec précision le séjour chez l'évangéliste à Césarée. Il se


prolonge néanmoins d'après la brève indication de Luc. Or, si notre décompte
du temps depuis le départ de Philippes, le port de Macédoine - c'est-à-dire au
lendemain des sept jours consacrés à la fête des azymes suivant la Pâque ,
ne comporte pas de grossière erreur, une quarantaine de jours se sont déjà
écoulés. Pourtant, on se souvient que Paul avait décidé de passer au large
d’Éphèse, car il se hâtait pour se trouver, si possible, à Jérusalem le jour de
la Pentecôte. Mais il reste encore environ dix jours ! C'est donc toujours
faisable. Pourquoi reste-t-il là au lieu de continuer ? Est-ce l'arrivée inopinée
chez son hôte d'un visiteur de marque particulièrement estimé : Agabus ?
Nous avons fait la connaissance de cet homme l'année où Paul se trouvait à
Antioche de Syrie. Il annonça qu'une grande famine allait survenir. Cette
prophétie se réalisa vers 46, sous le règne de Claude ( cf. Premier voyage,
page ). D'où, sans doute des interrogations : Pourquoi est-il descendu de
Judée ? Apporte-t-il un message ? Si oui, à qui est-il destiné ? On ne tarde
pas à le savoir. Il prend la ceinture de Paul, se lie les pieds et mains et dit :

« L'homme à qui appartient cette


ceinture, les Juifs le lieront de cette
manière à Jérusalem et le livreront
aux mains des gens des nations »
98

Agabus vient d'exécuter devant des yeux attentifs une action symbolique et
particulièrement solennelle à la façon des anciens prophètes.
- cf. Isaïe 20:1-6; Jérémie 13:1-11; Ézékiel 4:1-17.

Les personne présentes sont assurément bouleversées, atterrées par cette


représentation imagée des souffrances à venir si Paul termine son voyage
comme prévu. Tous - y compris Luc et les sept autres compagnons de route -
s'empressent et cherchent à le dissuader, le supplient de renoncer. Certains
laissent couler leurs larmes.

Difficile de résister à une telle démonstration d'affection, de ne pas être


remué par leur sollicitude au point de se laisser fléchir dans sa première
résolution. Sa réponse ? "Que faites-vous en pleurant et en m'amollissant [ à me
briser ] , [ déchirer ] le cœur ? Je suis prêt, soyez en certains, non seulement à être
lié [ enchaîné ] , [ emprisonné ], mais encore à mourir à Jérusalem pour le nom du
Seigneur Jésus" - Actes 21: 13.

Plusieurs auteurs - et non des moindres - passent sous silence cette


prophétie Agabus ( involontairement ou l'occultent-ils à dessein ? ) Pourquoi
cet oubli ? Leur flagrant désir de démontrer un divergence de vue entre Paul
et Jacques l'aurait-il motivé ? Or, qu'avait dit le Christ lui-même à propos de
l'apôtre ? Je cite : qu'il lui ferait savoir ( ou montrerai ) clairement les choses
qu'il devrait subir. - cf. Actes 9:16.

Depuis Milet, puis Tyr, Paul va où l'esprit saint le conduit.

"Dans le récit des Actes, tout le trajet de Milet à Jérusalem tient à la fois
d’une procession triomphale et d’un cortège de deuil. Partout les Églises
accueillent Paul avec chaleur, dans une atmosphère de fête mêlée
d'inquiétude. À chaque étape on voudrait l'empêcher de monter à Jérusalem
mais toujours en vain."- Le dernier voyage à Jérusalem - chronique 49 - cursillo.ca

Les événements de Jérusalem à venir ne seront qu'une étape cruciale d'un


long voyage chrétien commencé en cette année 34 de sa conversion. Qu'on
me permette donc de ne pas "surfer" sur des hypothèses ( même si on peut
parfois s'interroger à bon droit ), et de m'en tenir au récit de Luc sans essayer
de "lire" ce qu'il n'a pas écrit. Nous y reviendrons.

Une vie d'abnégation au service de Dieu. Peu en importe l'issue. Voilà


pourquoi il reste inébranlable. Cette aspiration force le respect et contraint au
silence. Plus personne n'insiste. Tous comprennent sa motivation et disent :
"Que la volonté de Jéhovah [ du Seigneur ] , [ de Dieu ] , [ de l'Adôn ] se
fasse [ que son plan s'accomplisse ]". Et en leur for intérieur peut-être
99

ajoutent-ils : "Même si c'est difficile".

"Avec le calme, assurément, les prières. Elles n’auront pas manqué


d’accompagner l’apôtre, et sa vie conservée pendant quatre ans au moins en
aura été l’exaucement."- Édouard Barde.

On achève les préparatifs pour la dernière étape. Des vivres et d'autres


objets nécessaires en prévision de la fête prochaine ? Peut-être. La ville de
Jérusalem n'est pas très peuplée, en temps ordinaire. Par exemple, quel
pouvait être le nombre des habitants de la ville pendant la vie de Jésus ? Il
est très difficile de le dire. Les témoignages antiques font, pour Jérusalem,
presque entièrement défaut. Cicéron, dans une de ses lettres à Atticus,
appelle dédaigneusement Jérusalem " une bicoque ". Par contre, Hécathée
d'Abdère, qui vécut auprès de Ptolémée, fils de Lagos, cité par Josèphe -
Contre Appion I, 22 - évaluait le nombre des habitants sous Alexandre le Grand
à cent vingt mille. Ce chiffre paraît très peu exagéré.

Au moment des grandes fêtes - comme celle de la Pentecôte -, le chiffre de


la population augmentait dans une proportion énorme. Flavius Josèphe parle,
sous Néron, de 2 600 000 pour la Pâque. Un bibliste arrondit à trois millions.
Ces nombres semblent un peu excessifs. Il est certain que la foule affluait, à
ce moment de l'année, de tous les points du territoire. On dressait des tentes
dans les rues, dans la campagne, les environs immédiats étaient encombrés.
Ce détail expliquerait pourquoi Jésus, dans les derniers jours de sa vie
terrestre, sortait de la ville tous les soirs et allait passer la nuit à Béthanie,
village situé à environ 3 km de Jérusalem. C'est là qu'habitaient trois amis
chers à son cœur, sans doute, mais il ne trouvait peut-être pas à se loger
dans une ville surpeuplée.

La petite caravane se met en route. En plus de la collecte en lourdes pièces


de monnaie ( à l'époque pas de billets ! ), un bagage pour neuf hommes
( chacun emporte au moins un vêtement de rechange, un manteau pour se
prémunir de la pluie et du froid, et peut-être aussi quelques rouleaux des
Écritures ), des denrées ( mieux vaut les acheminer depuis Césarée plutôt
que d'en manquer en arrivant dans la capitale ), le tout chargés à dos
d'hommes ou sur des mulets ? De plus, quelques disciples de Césarée les
accompagnent.

S'ouvre ici, avec Actes 21:16 et 17, une sorte de préambule utilisé par certains
auteurs auxquels je faisais allusion plus haut. Ils qualifient ce passage
d'obscur. Or, nonobstant mon peu d'empressement à souscrire, il faut bien
reconnaître que sa lecture n'est pas d'une clarté évidente. Voici cette phrase
d'après une vingtaine de versions :
100

Lisons. Il est dit que ces accompagnateurs " vinrent aussi avec nous, et
amenèrent [ emmenant avec eux ] , [ pour nous amener à l'homme chez qui nous
devions loger ], Mnasôn de Chypre, un disciple des premiers jours ". -
Les expressions jugées douteuses sont en rouge et soulignées. Qu'énonce
ce passage ?
D'abord une certitude : un logement est prévu chez Mnasôn.
Ensuite, de Mnasôn lui-même nous apprenons deux choses :

1) Sa nationalité, il est Cypriote et par conséquent concitoyen de Barnabas ;


2) Sa foi, c’est un disciple "des premiers jours", converti peut-être dès la
Pentecôte 33 - ou plus tard par l'entremise de Barnabas, ou lors du premier
voyage missionnaire à Chypre. La première supposition paraîtrait la plus
crédible.
3) Son nom semble le désigner comme un helléniste (Juif de langue
grecque).

Puis viennent les conjectures :

1) Cet homme est un des membres de la caravane ( d'où la tournure


"emmenant avec eux"). Dans ce cas il serait venu jusqu'à Césarée offrir son
hospitalité au groupe des voyageurs pour repartir ensuite avec eux. De lui-
même ou sur demande ?

2) Selon d'autres commentateurs, Mnasôn faisait partie comme Luc du


groupe nommé en Actes 11:19,20 ( les disciples dispersés après l'assassinat
d’Étienne - voir Premier voyage). Les voyageurs ne pouvant effectuer d'une
seule traite le chemin de Césarée jusqu'à Jérusalem ( un parcours long - une
centaine de km - et montueux ), Luc aurait désiré revoir Mnasôn et incité Paul
à s'arrêter chez lui pour une nuit dans un village à mi-chemin entre ces deux
villes (raison pour laquelle Luc nomme ce disciple plutôt que la ville).

Le texte occidental (D, version syriaque.) présente ici une adjonction


intéressante. Elle corroborerait l'explication ci-dessus:
"Ceux-ci nous conduisirent auprès de ceux chez qui nous devions loger ; et étant
arrivés dans un certain village, nous fûmes chez Mnasôn, de Chypre, ancien
disciple. Et sortant de là, nous vînmes à Jérusalem, où les frères nous reçurent
avec joie."
D'autant plus que le verset 17 ( l'arrivée à Jérusalem ) est présentée comme
un fait postérieur à l'arrivée chez Mnasôn.

3) Ou alors le "amener à" signifie tout simplement accompagner, conduire les


voyageurs jusqu'à la métropole, puis leur offrir sa maison pour gite.
101

Quoi qu'il en soit, ils montent.

À près de 750 m d’altitude au-dessus du niveau de la mer, Jérusalem est


une des capitales les plus hautes du monde de l’époque.

Cependant, malgré son altitude, elle ne domine pas la région d’alentour. En


fait, le voyageur n’embrasse du regard l’ensemble de la ville que lorsqu’il en
est assez près.

Un rendu d'artiste de Jérusalem et le mont du temple à l'époque -welcometohosanna.com

À l’Est, le mont des Oliviers s’élève à environ 800 m. Au Nord de ce dernier,


le mont Scopus atteint 820 m, et les collines encerclant la ville au Sud et à
l’Ouest, culminent à 835 m.

À quelque 55 km de la Méditerranée, à l’intérieur des terres, et à environ 25


km plein Ouest de l’extrémité nord de la mer Morte, Jérusalem se situe dans
les collines de la chaîne montagneuse centrale.

Paul et ses compagnons de voyage entrent dans la métropole de Judée au


plus tard la veille de la Pentecôte. Ce sera pour l'apôtre, depuis son départ
de Damas ( voir Premier voyage ), la cinquième et dernière fois ( d'après les
données canoniques dont nous disposons ).

"A notre arrivée à Jérusalem, les frères nous reçurent [ nous accueillirent ] avec
joie."- Actes 21:17.
102

Qui sont-ils ? Peut-être des amis et parents proches ( comme sa sœur et


son neveu ), ou de nouveaux chrétiens désireux de voir ce missionnaire dont
les plus anciens font l'éloge. Luc se plaît à noter cette bonne réception. Elle
réconforte sûrement Paul et ses compagnons.
Ils en ont bien besoin car le lendemain, chez Jacques, où les voyageurs au
complet se rendent, la rencontre est certainement plus amère qu'il n'y paraît.
Tous les anciens, les responsables de la communauté chrétienne ( ou :
hommes d'âge mûr" ; grec : présbutérous ) sont présents. Certaines versions
traduisent par "se rassemblèrent aussi". Une réunion donc très officielle.
Jacques étant le seul nommément désigné, cela signifie une absence des
apôtres. De facto il les représente ( voir Concile de Jérusalem au Deuxième
voyage ), ayant pris de bonne heure une place prépondérante au sein du
collège chargé de superviser l'expansion du christianisme depuis la
Pentecôte 33.

Le récit de Luc ne laisse pas l'impression d'une réception de prime abord


très chaude. De plus, pas un mot de gratitude pour la riche collecte apportée
depuis une si lointaine contrée en bravant mille dangers. Mais cette omission
peut s'expliquer par ce qui va ce produire un peu plus tard.
Quand il écrira sur cet épisode, encore imprégné du souvenir des énormes
difficultés doctrinales bouleversant la communauté des judéo-chrétiens ( au
point qu'on va demander à Paul d'accepter une sorte de compromis ),
l'historien s'en tiendra à ce sujet majeur. Rien d'étonnant pour le lecteur
habitué à sa narration des voyages de Paul, où d'incompréhensibles silences
sur des situations importantes sont suivis de surprenantes descriptions
détaillées.
Il serait donc fallacieux de rattacher à ce mutisme le désir délibéré d'occulter
une quelconque animosité de Jacques ou des anciens à l'égard de Paul.

Il tombe mal, sans doute - nous verrons plus loin pourquoi -, mais peut-être
"après les avoir salués [embrassés]" – Actes 21 :19a -, et avoir remarqué leur
embarras, leur dit-il, reprenant quelques vérités de ses lettres:

"Les communautés de la Macédoine et de l'Achaïe ont décidé d'organiser une


collecte en faveur des chrétiens pauvres de l’Église de Jérusalem ".
"Malgré leur extrême pauvreté, ils ont trouvé moyen de donner généreusement ".
"Ce sont eux qui m'ont plusieurs fois demandé, avec beaucoup d'insistance, la
faveur de prendre part à l'assistance destinée aux chrétiens. Leurs dons ont
dépassé tout ce que nous aurions pu prévoir ".
- Romains 15:26 ; 2 Corinthiens 8:2b ; 8:5a. Parole Vivante.

Comme préconisé lors de la conférence de 49 dans cette ville, il apporte


une forte somme d'argent pour les chrétiens démunis de Judée.
103

Ils [ Jacques, Pierre et Jean ] n'ont


exprimé qu'un souhait : que nous nous
souvenions des pauvres, ce que je n'ai
jamais manqué de faire -Galates 2: 9,10

Paul, depuis le concile de Jérusalem, a parcouru des milliers de kilomètres,


traversé plusieurs fois les mers, noué de nombreuses et solides amitiés et
soulevé autant de tenaces inimitiés. Il sait qu'à Jérusalem beaucoup lui
reprochent d'exhorter les judéo-chrétiens à ne plus suivre la Loi et les
coutumes mosaïques. Pourtant, comme il en a pris l'engagement, il remet au
disciple Jacques, un des anciens de l’Église-mère, les offrandes faites
principalement par des chrétiens d'origine païenne, des incirconcis, des gens
des nations. Belle leçon d'impartialité !

Puis nous lisons en Actes 21 : 19b que l'apôtre "se mit à exposer en détail tout
ce que Dieu avait accompli par son ministère [ activité ] parmi les païens [ les
Gentils ] , [ chez les non-Juifs ]".

Combien de temps pour ce rapport d'une activité de quatre ans ? Sans doute
un très long moment. Comment a-t-il été reçu par les anciens de l'assemblée
de Jérusalem ? Quelle suite lui a été donnée ?
104

Dans le Tome 4 intitulé

« L'arrestation et le voyage à Rome »,

nous suivrons les dernières aventures


de Paul racontées par Luc.

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