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ENTREVISTA

Cuadernos de Trabajo Social


ISSN: 0214-0314 EDICIONES
COMPLUTENSE
http://dx.doi.org/10.5209/CUTS.55353

De l’invention du social à la ville assiégée. Entretien avec


Jacques Donzelot

[en] From the promotion of the social to the city under siege:
an interview with Jacques Donzelot
César Rendueles Menéndez del Llano; Sergio García García

Jacques Donzelot, professeur à l’Université la ville aux États-Unis et en France» (2003,


Paris X Nanterre, s’est fait connaître en 1977 en collaboration avec Catherine Mével et An-
après la publication de «La police des fami- ne Wyvekens); «Quand la ville se défait: que-
lles», un essai à forte empreinte foucaultien- lle politique face à la crise des banlieues?»
ne qui suivait la trace des origines des politi- (2006), «Vers une citoyenneté urbaine: la vi-
ques sociales de l’Etat depuis la philanthropie lle et l’égalité des chances» (2009);» La vi-
du XIXème siècle et d’autres projets histori- lle à trois vitesses (2009) o «La France des
ques de contention du conflit social. Depuis cités. Le chantier de la citoyenneté urbaine»
cette perspective, les initiatives hygiénistes (2013).
auraient joué un rôle essentiel dans la failli-
te des modèles traditionnels de famille basés —Nous souhaiterions, avant tout, vous in-
sur l’autorité patriarcal et sur l’établissement viter à poser un regard rétrospectif sur votre
de nouvelles formes de lien social individua- trajectoire scientifique. Il semble qu’il y ait
lisatrices, susceptibles de gérer de façon ra- deux étapes bien différentes dans votre réfle-
tionnelle à partir de différentes instances cli- xion. Un premier moment focalisé sur les
niques, politiques, éducatives ou mercantiles. questions historiques qui circulent dans l’or-
Son second travail, «L’invention du social» bite de Foucault de la généalogie des méca-
(1984), prolongeait ce trajet moyennant une nismes disciplinaires, et une seconde étape
généalogie de l’attribution à l’Etat d’un rôle qui commence dans les années quatre-vingt-
social qui l’habilitait à construire un exosque- dix, d’analyse des politiques urbaines. Que-
lette de solidarité collective que limite les af- lle est l’histoire de cette évolution? Et a-t’il
frontements ayant trait au nouvel ordre sala- une cohérence conceptuelle ou biographique
rial qui traversent la société moderne. Par entre les deux étapes? En quoi a changé tout
contre, à partir des années quatre-vingt, son au long de ces années votre manière de com-
intérêt se focalise sur les politiques urbaines prendre les sciences sociales ou la politique?
et les conflits émergents dans le contexte de —Il y a bien deux mouvements dans mon
la crise de l’Etat keynésien et l’essor de la parcours que je résume généralement en di-
globalisation néolibérale, avec des essais tels sant que j’ai été d’abord historien du social
que «L’État animateur: essai sur la politique puis sociologue de l’urbain. Le premier co-
de la ville» (1994, en collaboration avec Phi- rrespond à une généalogie de ces deux faces
lippe Estèbe), «Faire société: la politique de du social que sont l’intervention corrective
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de la vie familiale («la police des familles», té (au double sens de remise en mouvement
1977) et l’introduction de la protection socia- des individus et de valorisation du collectif,
le dans les relations de travail («L’invention de sa fonction unificatrice face à la mondia-
du social», 1984). Le second part d’une lisation). Il s’agit ainsi s’appeler à la forma-
analyse de la politique d’intégration des mi- tion de ce que j’ai appelé un «Etat animateur»
norités ethniques dans la société (qui a reçu, à la place de l’Etat social classique, de sortir
en France, l’appellation euphémistique de po- d’un social de pure compensation pour un so-
litique de la ville) dans mon ouvrage intitulé cial que l’on dira plus tard d’activation et de
«l’Etat animateur» (1994 pour conduire à une production de la cohésion sociale.
comparaison avec la politique américaine sur C’est en lisant ce chapitre final de «l’in-
ce sujet («Faire société: la politique de la vi- vention du social» qu’un responsable des mis-
lle aux Etats-Unis et en France», 2003) et à sions qui allaient donner naissance à la poli-
un moment où l’on voit une logique de sépa- tique de la ville me dit: «Un Etat animateur!
ration urbaine déterminer de plus en plus les C’est exactement ce qu’on essaie de faire: ve-
rapports sociaux («Quand la ville se défait», nez donc voir!» Il y avait alors, en ce début
2006. «La ville à trois vitesses», 2009. «La des années 80, trois missions réunies dans le
France des cités», 2012). même immeuble: la mission dirigée par Hu-
On peut distinguer ces deux moments sur bert Dubedout sur le développement social
le plan théorique en disant que le premier des quartiers, la mission de Gilbert Bonne-
trouve son principal appui dans la démarche maison sur la sécurité et la prévention dans
généalogique d’analyse des technologies de ces mêmes quartiers s d’habitat social et, en-
gouvernement de Michel Foucault tandis que fin, la mission de Bertrand Schwarz sur l’in-
le second puise plus son inspiration dans sertion socio-professionnelle des jeunes. Je
l’œuvre d’Hanna Arendt et son analyse de répondis d’autant plus volontiers à cette of-
l’essence du politique comme «association fre que je n’avais pas l’impression de m’é-
pour l’action». C’est à l’aune de cette exigen- loigner de ma thématique du social puisque
ce que je compare l’art de «faire société» aux cette politique dite de la ville se présentait
Etats-Unis et en France et que je conduis mon comme une nouvelle politique sociale, char-
analyse du séparatisme à l’œuvre de maniè- gée de résoudre les problèmes d’exclusion
re croissante dans la société urbaine. des populations des banlieues que, précisé-
Mais la continuité de fait et de fond entre ment, les politiques sociales classiques (tra-
ces deux moments me parait aussi importan- vail social, logement social et protection so-
te à souligner que leur différenciation. De fait: ciale) ne réussissaient pas à traiter. L’analyse
parce qu’il n’y a à aucun moment une ruptu- de l’urbain s’est ainsi progressivement insta-
re, une décision de changer d’objet d’analy- llée dans le champ de mes préoccupations
se, de passer d’une préoccupation théorique comme une manière de prendre en compte les
à une autre. Le passage d’un moment à un au- déficiences des politiques sociales classiques.
tre s’effectue comme l’effet du prolongement De fond aussi car la continuité entre les
de l’un par l’autre. A la fin de «l’Invention deux moments n’est pas seulement d’objet
du social» (1984) je m’emploie à décrire les mais aussi de problématique. Tous deux relè-
deux lignes qui transforment l’Etat social vent bien d’une même question posée dans
classique depuis la fin des années soixante: des contextes différents. Une question que
la revendication, par le bas, d’une plus gran- l’on pourrait résumer ainsi: comment faire
de autonomie des individus et l’injonction, vivre la démocratie en contenant les tendan-
par le haut, d’une exigence de responsabili- ces qui, depuis son origine, portent à son an-
sation de leur comportement. Ces deux lig- nihilation au profit de formules dictatoriales
nes convergent pour faire passer le rôle de ou populistes? Durant le premier moment, ce-
l’Etat de promoteur du social à des fins de pa- lui correspondant à l’émergence du social, le
cification de la société, de stabilisation de ce- danger qui menace le plus la vie démocrati-
lle-ci... vers celui de mobilisateur de la socié- que tient à l’intensité des affrontements dans
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le domaine de la production. Dans le second l’octroi de moyens financiers et éducatifs).


moment, celui qui apparait, depuis une qua- Vous montrez comment ce chantage semble re-
rantaine d’années, avec la mondialisation, les culer avec la diffusion de la psychanalyse, à
menaces sur la vie démocratique découlent partir des années trente, qui fournit une aide
plus nettement des logiques de séparation de en principe non tutélaire, mais reconduisant
la société révélées par les dissociations affec- tout de même cette injonction normative ou
tant de plus en plus nettement la trame urbai- l’assistant par l’encadrement des travailleurs
ne. Il y a ainsi les lieux où vit la population sociaux dans l’exercice de leurs tâches tuté-
issue de la mondialisation par le bas(les mi- laires. Que diriez-vous alors du devenir ac-
grants dans les cités sociales en France). Ces tuel du Travail Social dans le cadre du néoli-
migrants du lointain vit à distance de la clas- béralisme? Celui-ci maintient-il ce mode de
se dite créative, celle de la mondialisation par fonctionnement que vous aviez décrit dans les
le haut qui occupe les espaces centraux et pé- années 70 ou bien introduit-il de nouveaux
ricentraux des métropoles. Mais ces deux ca- éléments dans l’exercice de leur rôle norma-
tégories sont vécues comme également étran- lisateur par ces professionnels?
gères aux habitants des villages et des villes —Dans «La police des familles», j’avais
petites ou moyennes qui s’estiment décon- voulu montrer comment la famille passait du
nectés des opportunités de la ville, rejetés par statut de sujet de gouvernement à celui de mo-
la classe créative et devenant invisibles pour yen de gouvernement. Sujet de gouverne-
une action publique uniquement préoccupée ment: c’est ce qu’elle était sous l’ancien ré-
par la propension émeutière des jeunes mi- gime, quand le père exerçait une autorité
grants dans les banlieues. Soit ce que j’ai ap- tutélaire sur chacun de ses membres. Ayant
pelé «La ville à trois vitesses». Autant la lut- fait des enfants, il avait accompli l’essentiel
te contre la tentation populiste passait, dans de son devoir: apporté de nouveaux sujets au
le premier temps, par l’institution d’une ci- roi. Et ce devoir accompli lui valait des droits:
toyenneté sociale, offrant des droits protec- une autorité légitime, du moins, sur tous les
teurs contre les aléas de la vie et de l’écono- membres de sa famille. Il pouvait ainsi de-
mie, autant cette réponse, dans le second mander au roi l’enfermement de tel ou tel de
temps, se révèle insuffisante et inadaptée, né- ceux-ci qui menaçait son honneur. Avec la
cessitant qu’on lui adjoigne une formule de démocratisation du pouvoir central au XIX
citoyenneté urbaine qui rende possible le pas- siècle, ce pouvoir du père parait de plus en
sage entre ces mondes urbains différents et plus suspect d’arbitraire. Il est soupçonné de
permette de les accorder. servir de moyen pour celui-ci de se débarras-
ser des bouches inutiles, soit en les laissant
—En 1977, vous avez écrit «La police des ses enfants vagabonder au péril de leur vie,
familles», un livre qui a beaucoup influencé soit en les plaçant abusivement dans des
la recherche durant les décennies suivantes et structures d’assistance ou de sanction. La fa-
qui montrait la genèse progressive des dispo- mille se trouve incriminé à travers ce droit
sitifs de gestion de la vie familiale à travers abusif du père. Mais, en même temps, elle se
des discours, normes et institutions sur l’édu- trouve valorisée comme ressource à travers
cation des enfants, les relations conjugales, la mère perçue comme un relais positif pour
l’économie familiale... L’action sur la famille les normes médicales et hygiénistes qui as-
apparait précisément comme un mécanisme surent une bonne éducation des enfants.
de moralisation et de normalisation mettant Le couplage de ces deux stratégies —d’in-
en balance la formule du contrat (donc du res- crimination et de valorisation— permet alors
pect des normes sociales de comportement et de faire de la famille un moyen de gouverne-
d’éducation en contrepartie de la liberté ac- ment en invitant les familles à combiner les
cordée à ses membres)et celle de la tutelle conseils moraux venus de l’incrimination
(donc de la soumission contrainte des fami- (ceux d’épargne pour échapper à la suspicion
lle, la privation de leurs droits conditionnant de négligence coupable et d’abandon) et les
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normes hygiénistes et éducatives associées à tion entre le père et la mère, mais aussi de les
la valorisation de la famille comme ressour- mettre sur le même plan que les beaux-pa-
ce et transitant par le médecin ou l’enseig- rents, les grands parents, les homoparents...
nant. Quand la famille incorpore bien cette et d’inscrire tout ce monde dans des réseaux
injonction morale et ces conseils hygiènistes, d’écoute, d’aide et d’appui aux parents des-
c’est comme si la société passait avec celle- tinés à encourager les parents de toutes sor-
ci un contrat faisant d’elle une ressource po- tes, à leur redonner confiance, à les consei-
sitive. Elle accroît son autonomie et celle de ller plutôt que dicter leurs conduites en
ses membres pour le bien de chacun de ceux- énonçant des normes précises.
ci en particulier et de la société en général. Si Alors, y va-t-il, avec ces changements
elle ne se soucie pas de préserver son auto- dans l’attitude à l’égard des parents d’une in-
nomie financière par l’épargne ou bien si elle flexion conjoncturelle ou structurelle des pra-
néglige les normes sanitaires et éducatives, tiques du travail social? Quand on regarde l’é-
elle porte préjudice à ses enfants et justifie sa volution des pratiques des travailleurs sociaux
mise sous tutelle, la perte d’autorité du père dans ce domaine de la famille, on voit bien
et l’assistance éducative de la mère. C’est qu’il y va d’un souci déclaré de réduire la di-
donc cette menace de la tutelle qui rappelle mension tutélaire de leurs pratiques. Avec la
aux parents les conditions de son autonomie loi de 2007, toute décision concernant une fa-
: le respect du contrat qu’elles ont passé avec mille doit se faire à travers la recherche d’un
la société en formant une famille. C’est le res- accord avec le détenteur de l’autorité paren-
pect du contrat ou la tutelle sous l’autorité du tale (homme ou femme, ou les deux). Et les
juge et par le biais des travailleurs sociaux documents qui présentent ces décisions doi-
ainsi que des psychiatres. vent le faire comme résultant d’un contrat
Est-ce que cette démarche, ce chantage à passé avec la famille. La pratique judiciaire,
la tutelle est encore valable depuis que le né- seule capable de priver la famille de son au-
olibéralisme domine la gestion des rapports torité n’a plus qu’un rôle estimé «subsidiai-
sociaux? Quand on regarde la littérature con- re», pour les cas où aucun accord n’aurait pu
sacrée à la famille et à la gestion de ses com- être trouvé. Alors, subsidiaire, cela signifie-
portements durant les dernières décennies, on t-il dire résiduel, secondaire? On voit bien
retrouve bien les deux lignes porteuses, l’u- que la justice n’est plus placée en surplomb
ne de l’incrimination, l’autre de valorisation, de l’activité préventive dans les familles. Elle
de la famille, quoique avec des nuances sen- lui est associée plus latéralement que verti-
sibles. L’incrimination se retrouve avec la calement.
montée de la thématique de «la démission des Mais est-ce que cette latéralité diminue
parents». Soit une manière de retrouver la cri- son rôle et celui de la tutelle? On dira plutôt
tique de la propension des familles à laisser que cette discrétion du rapport que les travai-
les enfants errer à l’aventure. Mais, cette fois, lleurs sociaux entretiennent avec la justice
ce n’est pas pour ne pas avoir à les élever... leur permet de se comporter de manière plus
par un abus flagrant de leur pouvoir. Ce se- intrusive, comme si leur action n’était que le
rait plutôt par l’incapacité d’exercer ce pou- produit d’une sollicitude horizontale. La vo-
voir, le renoncement devant la difficulté que lonté déclarée de faire jouer la dimension
cela représente parce qu’ils ne sont pas suf- contractuelle, de respecter la part d’autono-
fisamment reconnus par leurs enfants qui se mie des parents, fussent-ils déficients à leurs
retrouvent entre bandes plutôt qu’en famille. yeux dans l’exercice de leur fonction, autori-
De même, la valorisation de la famille appa- se les travailleurs sociaux à exercer une «dou-
rait aussi, quoique d’une manière qui parais- ce» pression sur eux, en faisant valoir com-
se dissoudre quelque peu ses limites puisque bien ils souhaitent préserver le rôle des
l’on parle de «parentalité» pour désigner cet- parents, éviter de recourir aux duretés des dé-
te ressource irremplaçable que constitue la cisions judiciaires. Cela met de fait les pa-
famille. Soit une manière d’effacer la distinc- rents en situation d’accepter les propositions
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qui leur sont ainsi faites sur un mode contrac- capacité d’entreprendre qu’il faut promou-
tuel sauf à apparaitre comme des gens bru- voir selon ces réformistes (et non l’autono-
taux, refusant délibérément une aide pourtant mie revendiquée par les gauchistes).
nécessaire... dans l’intérêt de leurs enfants et Ne faudrait-il pas voir alors une relation
même le leur! Tant de rigidité se retourne entre, d’une part cette critique des institutions
alors contre eux et justifie le recours à l’in- de l’Etat social, les dénonciations dont il a été
tervention judiciaire. L’autorité judiciaire sort l’objet dans ces années 60/70 par le courant
de l’ombre où on l’avait laissée comme un re- gauchiste et le courant dit réformiste et l’es-
mède à leur mauvaise volonté jugée alors sor régulier du Front National en France de-
comme la preuve de sa nécessité et non com- puis les années 80? Quelle évaluation faites-
me une mesure brutale et abusivement néga- vous aujourd’hui des critiques des institutions
trice des droits des parents. Le contrat se ré- de l’Etat Social par la part de la gauche des
vèle comme la figure avancée du complexe années soixante et leur prolongement jusqu’à
tutélaire et non pas son alternative. aujourd’hui? ne peut-on pas dire qu’elles ont
renforcé involontairement le néolibéralisme
—Dans le dernier chapitre de «L’inven- ou les courants néo-autoritaires?
tion du social» (1984), vous souteniez l’idée —L’idée d’un enchaînement causal entre
d’un déclin inévitable du social dans sa ver- les critiques (de gauche et de droite) de l’E-
sion keynésienne pour une double raison. tat social classique et la montée du Front na-
D’une part, la vie économique ne se déroule tional n’est pas très crédible. Il faut voir que,
plus dans le seul cadre national comme le dans sa période d’émergence (les années
postulait Keynes dans sa justification de la 80/90), le front national ne se pose pas du tout
relance économique par une politique de re- en défenseur de l’Etat social mais plutôt en
distribution sociale. Elle se trouve mondiali- dénonciateur de ses excès de bonté! Son fon-
sée et la redistribution seule risque de servir dateur, Jean-Marie Le Pen, affirmait des con-
l’achat de produits venus d’autres nations et victions libérales classiques, dans la foulée
d’accroître la dette de l’Etat plutôt que sou- du poujadisme défendant les commerçants
tenir l’économie nationale, D’autre part, les contre les prélèvements imposés sur les
politiques sociales classiques se trouvent cri- échanges. L’Etat social, il le dénonce, de sur-
tiquées aussi bien par la gauche que par la croît, pour sa propension à venir en aide aux
droite. Par le courant gauchiste des années immigrés. C’est seulement avec la «dédiabo-
60/70, qui voit dans le social et dans le sta- lisation» du FN, dans les années 2000, quand
tut qu’il procure aux salariés, une ombre pro- la fille, Marine le Pen, remplace son père, que
jetée de l’Etat sur les individus, une compen- ce parti se pose en défenseur des droits so-
sation au renoncement à leur autonomie. A ciaux des travailleurs pauvres (augmentation
travers ce « social de compensation», ils ne du SMIC, diminution de l’âge de la retraite)
sont plus des sujets historiques mais des su- pour se distinguer de la droite, tout en gar-
jets de l’Etat. Les nouveaux mouvements so- dant son hostilité aux immigrés pour se dis-
ciaux (écologie, féminisme, régionalisme), se tinguer de la gauche. La fusion des extrêmes,
développent contre les certitudes des élites, selon le modèle du fer à cheval, est un clas-
des corps constitués quant au cours de l’his- sique du populisme, une manière de nier le
toire. Avec le courant réformiste, ce n’est pas besoin du débat démocratique entre droite et
la domination de l’Etat qui est dénoncée, gauche au profit d’une identification entre le
mais le blocage de la société (dixit Michel peuple et ces élus qui prétendent l’incarner
Crozier), un blocage qui résulte des crispa- en se montrant le plus proche possible de ses
tions statutaires des individus uniquement oc- craintes et de la tentation de se contenter de
cupés à défendre les privilèges que l’Etat leur trouver un bouc émissaire à ses malheurs plu-
a accordés au prix d’une inertie économique tôt que le représenter pour délibérer avec la
et d’une irresponsabilité des individus. C’est distance nécessaire par rapport aux représen-
cette responsabilisation des individus, de leur tés que requiert la capacité de discussion, de
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transaction entre les partis... On trouvait dé- velle conception qu’en requiert le contexte
jà cette logique de fusion des extrêmes dans de la mondialisation. Il n’y va pas du tout d’u-
la naissance du fascisme et du nazisme. La ne remise en cause du principe de l’Etat so-
défense de l’Etat social par la fermeture na- cial, ni du montant du budget nécessaire pour
tionale (donc l’idée du repli sur la formule le faire tourner. Il n’a d’ailleurs pas cessé
keynésienne de cet Etat social posée comme d’augmenter depuis les «belles années» que
solution au maintien inchangé de celui-ci) furent les trente glorieuses 1945/1975) de l’E-
s’entend à la fois contre la mondialisation tat social classique. Il y va plutôt d’un recy-
économique... Et contre la mondialisation dé- clage de celui-ci, de son adaptation à un nou-
mographique (l’arrivée croissante de mi- veau contexte.
grants dans les pays développés). Reste effectivement ceci que la difficulté
On peut donc bien dire que le Front natio- de ce recyclage de l’Etat social se paie dans
nal devient ainsi le défenseur d’une figure de nombre de pays européens par une croissan-
l’Etat social: celle des années 50/60, quand ce rapide des partis populistes mêlant inéga-
les échanges marchands internationaux res- lement, selon les lieux, les formules d’extrê-
taient faibles et que les immigrés étaient clai- me droite et d’extrême gauche. Là où le
rement destinés à retourner dans leurs pays «social de compétition» se développe le
d’origine, une fois terminé le travail pour le- mieux, c’est dans les pays d’Europe du nord.
quel on avait été les chercher... Mais c’est pré- Parce que le dialogue entre la droite et la gau-
cisément parce que cette figure de l’Etat so- che les porte à évoluer ou/et à s’allier pour
cial est devenue de plus en plus caduque que opérer les mutations en question. Dans un
l’on a vu, depuis le début des années 80, se contexte de croissance réglée, L’alternance
développer des lignes de transformation de permet de réguler le rythme de la redistribu-
celui-ci qui prennent leur origine dans ces cri- tion sociale par rapport à l’investissement
tiques gauchiste et réformiste des années 70 économique. Dans un contexte difficile com-
que j’ai évoquées à la fin de «l’invention du me celui de la mondialisation, il ne s’agit pas
social» quand je parle de «mobilisation de la seulement d’adapter les dépenses mais aussi
société» pour désigner l’effet conjoint de ces la conception des politiques sociales, de leur
deux types de critiques. La mobilisation de rôle. Et cette adaptation est d’autant plus dif-
la société désigne deux préoccupations: ficile qu’il s’agit de rendre le social efficace
rendre les individus plus mobiles, rendre les à la fois pour la compétitivité économique et
salariés et les entrepreneurs capables de s’en- pour contenir les inégalités sociales qui ont
tendre par rapport à des objectifs de compé- tendance à augmenter du fait du comporte-
titivité externe de ce qu’ils produisent. Ren- ment des banques qui renforce le poids du pa-
dre les individus plus mobiles revient à trimoine sur le destin des individus. C’est ain-
prendre appui leur aspiration à plus d’auto- si qu’apparait la nécessité de développer des
nomie pour qu’ils acquièrent une formation politiques d’égalité des chances et pas seule-
leur permettant d’acquérir un autre emploi ment de redistribution. Cela surtout à raison
que celui devenu caduque qu’ils occupent... de l’impact des séparations sociales introdui-
Plutôt que vivre de la seule indemnisation du tes par l’évolution de l’urbain.
chômage. C’est le rôle de la formation dite
permanente. Mobiliser les acteurs sociaux, —Justement: puisque, depuis la fin des an-
c’est les amener à passer des accords permet- nées 80, vos recherches et votre théorisation
tant aux entreprises de faire face à des situa- se sont concentrées sur les politiques urbai-
tions où leur compétitivité change rapidement nes, pouvez-vous résumer votre réflexion dans
plutôt que rester «bloqués» sur des droits ac- ce domaine? En quoi consiste le concept de
quis et voulus intangibles. C’est passer ainsi «citoyenneté urbaine» que vous proposez?
d’un «social de compensation», automatique Quels déficits ou problèmes détectez-vous
et passif dans son principe, à un «social de dans les politiques urbaines européennes? Et,
compétition», comme on peut appeler la nou- puisque vous évoquez beaucoup le modèle
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américain, est-ce à dire qu’il y a quelque ap- lifiés comme l’entretien et la sécurité. Le dé-
prentissage à faire de l’expérience d’Améri- partement de la Seine Saint-Denis fournit une
que du Nord dans ce sens? parfaite illustration de cette évolution. Con-
—On peut dire que la nouvelle question çu, au départ, pour accueillir l’industrie et ses
urbaine apparue dans les années 80 en Euro- salariés, on voit ses anciens locaux de pro-
pe, du nord du moins, prolonge et aggrave la duction devenir des lieux pour le dépôt des
question sociale classique, celle apparue avec produits avant leur diffusion commerciale via
la société industrielle au XIX siècle. les aéroports et les gares, tandis que les loge-
La question sociale était née de la concen- ments sociaux se peuplent de migrants que
tration en ville de la population attirée par les l’on invite à s’y installer pour éviter leur va-
emplois industriels et des affrontements que cance.
cette coprésence dans un même espace ren- Le résultat de cette évolution est une dis-
dait inévitables au point de menacer l’ordre persion de la production dans le périurbain
politique, la démocratie naissante, en l’occu- profond, là où elle se confond avec la produc-
rrence. Certes, les riches, les pauvres et les tion agricole et les activités indépendantes de
classes moyennes ne vivaient pas dans les mê- faible rapport, une concentration de la classe
mes quartiers. Mais ils se retrouvaient sur les créative et mondialisée dans les quartiers pé-
lieux de production, même s’ils y arrivaient ricentraux des grandes villes, un remplissa-
à des horaires différents. Et la ville, ses pla- ge des cités d’habitat social des banlieues des
ces et ses rues, servait de lieu de manifesta- grandes villes par les migrants (la mondiali-
tion des mécontentements des plus mal lotis sation par le bas). Du coup, une logique de
dans les espaces clefs de la vie en commun. séparation s’installe entre ces espaces inéga-
Et la proximité relative des quartiers ouvriers lement urbains et qui ne sont plus unis par des
et des quartiers de classe moyenne autorisait mécanismes d’interdépendance directe com-
pour les premiers le rêve de faire un jour par- me ceux qui allaient de pair avec les grandes
tie de la seconde. manufactures de l’ère industrielle classique.
Une nouvelle question urbaine apparait, à Chacun de ces mondes urbains vit séparément
partir des années 80, avec la délocalisation des autres, ses habitants ayant un horizon qui
des lieux de production loin des grandes vi- en dépend et qui le rend indifférent aux au-
lles. Soit du fait de leur départ à l’étranger, là tres mondes, sauf à travers des manifestations
où la main d’œuvre est moins coûteuse. Soit de ressentiment. Mais on passe bien de la lo-
par leur installation à distance conséquente gique de l’affrontement —et du rêve de pro-
de la ville, là où les terrains sont moins chers motion sociale à celle de la séparation et de
et conviennent donc mieux pour des entrepri- la culture de l’entre soi. Pour le coup, on voit
ses de production nécessitant une forte em- bien que le principe de la citoyenneté socia-
prise foncière pour un faible rapport compa- le, en l’occurrence, la garantie de satisfaire
ré à celui des structures de conception. Les les besoins élémentaires de chaque individu
ouvriers et les employés suivent cette délo- (se nourrir, se loger, s’instruire, travailler) ne
calisation dans le périurbain profond, les vi- suffisent plus pour les mettre tous sur un plan
llages, les villes petites et moyennes, d’au- d’égalité suffisante tant cette logique de sé-
tant plus volontiers que ce foncier moins cher paration institue des mondes où l’éducation,
leur permet d’acquérir une maison individue- le logement, l’emploi, quand il y en a, parti-
lle et de quitter donc les logements sociaux cipent de cette séparation plus qu’ils ne par-
de la ville. Les grandes villes deviennent donc viennent à l’enrayer. La nécessité d’inventer
les lieux où s’établissent les firmes, avec leurs une «citoyenneté urbaine» apparait à raison
équipes de conception et tous les services de cette insuffisance de l’Etat social stricto
qualifiés, banques, design, publicitaires, etc... sensu. Par cette expression, je désigne la né-
tandis que les anciennes banlieues ouvrières cessité de former un monde social unifié à
se peuplent de migrants et de pauvres des vi- partir de ces mondes distincts, de faire en sor-
lles destinés à y fournir les services peu qua- te que l’égalité des chances entre les indivi-
268 Entrevista. Cuad. trab. soc. 30(2) 2017: 261-284

dus ne disparaisse pas avec cette séparation teurs d’opportunité). Soit une façon de pren-
plus ou moins forte des mondes urbains. dre acte de la séparation des groupes sociaux
Face à cet enjeu, les américains ont une mais en faisant de ces groupes une force plu-
expérience plus ancienne. La ghettoïsation tôt qu’une prison (bonding capital) et de la
des minorités ethniques, le déplacement des séparation l’occasion de développer volon-
activités de production dans les suburbs, la tairement des liens (dits faibles) avec les au-
gentrification des centres anciens, sont des tres groupes plus riches (bridging capital) en
tendances des villes américaines depuis les sachant que, in fine, la force des liens faibles,
années cinquante. Ils ont mis en place des so- porteurs d’opportunités scolaires, universi-
lutions qui ne sont évidemment pas parfaites, taires, professionnelles, etc, reposera sur l’u-
cela se saurait, mais qui ont l’avantage de la tilisation des liens forts (le soutien que l’en-
durée. Pour lutter contre la ghettoïsation, ils tourage apportera aux individus tentés par ces
ont développé des formules incitant les habi- chances qu’on leur offre via les liens faibles.
tants des quartiers défavorisés à constituer Il y a, dans ce mélange de réalisme et de prag-
des corporations de développement commu- matisme une façon de positiver les groupes
nautaire qui deviennent des interlocuteurs des séparés pour qu’ils aident leurs membres dans
élus métropolitains au même titre que les élus les mouvements qui leur sont offerts par la
des quartiers aisés. Ils établissent des liens ville et les réseaux de contact qu’elle institue
méthodiques entre les opportunités de la vi- qui diffère profondément du volontarisme
lle-centre et les ces quartiers. Plus qu’une for- abstrait à la française qui proclame la mixité
mule institutionnelle précise, c’est, en fait, et ne la réalise que fictivement par la rénova-
l’esprit de ces politiques qui peut servir d’ins- tion urbaine.
piration pour les politiques européennes. Un
esprit qui tient à l’art de «remettre en mou- —Comment appréciez-vous l’effet de l’en-
vement» les habitants des quartiers défavori- semble des politiques publiques conduites sur
sés plus qu’à prétendre imposer de manière les quartiers pauvres des banlieues des villes
volontariste une mixité sociale, à «accorder dans le cadre de cette politique dite de la vi-
les mouvements» qui décomposent la ville de lle? Quel rôle a joué, par exemple, l’accent
façon à ce que ceux-ci deviennent des parties mis sur la «participation citoyenne»? Et puis,
d’un même ensemble et non des mondes sé- Comment interpréter la radicalisation isla-
parés. mique d’une partie des jeunes de ces quar-
Il y a une vraie différence d’approche en- tiers?
tre la manière américaine et la manière fran- —Pour analyser l’effet d’ensemble de cet-
çaise d’aborder cette question de la sépara- te politique en direction des zones urbaines
tion sociale par l’urbain que l’on peut illustrer défavorisées, il faut distinguer plusieurs ni-
par la façon dont la question du «lien social» veaux: celui des moyens mis en œuvre (en
se trouve traitée dans les deux pays. En Fran- financement et en personnel), celui de la mé-
ce, la défaillance du lien social signifie qu’un thode (du type de relation que cette action éta-
individu ou un groupe perd le contact avec les blit avec les habitants, celui du contexte (les
institutions, scolaires ou d’aide sociale, etc... guerres avec et entre les pays du Moyen-
Et refaire le lien social signifie rétablir le con- Orient et la montée en radicalité de l’Islam,
tact entre les individus et les institutions. La particulièrement avec l’apparition de l’Etat
politique de la ville a inventé pour cela la for- islamique-Daech). Vos trois questions (l’ef-
mule des «relais»: adultes-relais, parents-re- fet d’ensemble, la participation citoyenne, la
lais, etc... Aux Etats-Unis, depuis les travaux radicalisation islamique d’une partie des jeu-
de Mark Granovetter (1973) et ceux, plus ré- nes des quartiers) renvoient, de fait, à chacu-
cents de Robert Putnam (2001), on distingue ne de ces entrées.
deux sortes de liens: les liens forts (ceux du Les moyens mis en œuvre ont toujours un
proche, de la communauté, et les liens faibles double effet, l’un positif, l’autre négatif. S’a-
(ceux qui s’établissent avec le lointain et por- gissant des moyens en personnel, dans le do-
Entrevista. Cuad. trab. soc. 30(2) 2017: 261284 269

maine de l’éducation, par exemple, l’effet po- débuts. Que peut-on alors dire des effets de
sitif tient, bien sûr, à une augmentation du celle-ci? Dans un premier temps, durant les
nombre d’enseignants par élèves, permettant années 80, cette politique mit effectivement
un meilleur encadrement de ceux-ci. Mais cet l’accent sur les moyens d’agir que consti-
effort en personnel dans les zones dites «d’é- tuaient les habitants. Ils constituaient la res-
ducation prioritaire» se paie d’un effet de stig- source qui pouvait permettre aux politiques
matisation sociale de ces écoles qui va pous- publiques d’atteindre les mêmes résultats que
ser, en fait, les quelques familles des classes dans les autres quartiers parce qu’ils connais-
moyennes qui devraient y placer leurs en- saient mieux que les agents de celles-ci les
fants, à les inscrire plutôt dans des écoles pri- particularités de cette population de migrants
vées, supprimant du coup le peu de mixité so- qu’ils étaient. Il suffisait donc de savoir as-
ciale dont elles bénéficiaient et dont on socier les habitants à ces politiques pour sur-
connait l’effet bénéfique qu’elle peut présen- monter les difficultés qu’elles rencontraient
ter pour les élèves. L’effet négatif de cette as- dans ces quartiers. Ce fut le rôle, par exem-
similation des zones d’éducation prioritaire ple, des régies de quartier qui attribuaient aux
à l’échec scolaire est même apparu tel que le habitants la charge de veiller sur l’entretien
souci de sauver les meilleurs d’entre eux s’est des lieux et les petites réparations qu’il fallait
traduit par la création d’internat d’excellen- y faire. Il suffisait pour cela de former les jeu-
ce, en dehors des quartiers en question! S’a- nes en conséquence, formation qui pouvait,
gissant des moyens financiers, le programme par la suite, leur permettre de trouver un em-
de rénovation urbaine constitue certainement ploi en dehors. J’avais théorisé positivement
le plus gros effort. Il consiste en la destruc- cette première phase de la politique de la vi-
tion d’une partie des tours et des barres qui lle dans «L’Etat animateur» (1994), en expli-
composent ces quartiers sociaux pour édifier quant qu’ainsi, on faisait passer la participa-
à la place des formules variées de logement tion du registre classique jusqu’alors de la
dont une partie faite de maisons individue- consultation (qui n’engage que les consultés,
lles offertes en accession à la propriété. Soit selon la formule classique) à l’implication.
un moyen d’attirer les classes moyennes dans Mais la persistance des émeutes amena les
ces quartiers populaires et d’y rétablir une mi- responsables à changer d’orientation pour
xité sociale jugée salutaire pour l’image du mettre l’accent moins sur les moyens des ha-
quartier. Mais les rénovateurs s’aperçoivent bitants que sur ceux de l’Etat et du marché.
vite que, s’ils veulent attirer lesdites classes Ceux de l’Etat à travers l’augmentation des
moyennes, il faut construire les maisons in- personnels des services publics, ceux du mar-
dividuelles à une distance convenable du ché avec la création des zones franches urbai-
quartier et disposer d’une offre de collège à nes ‘qui dispensaient les employeurs de char-
distance également... Sans doute cette réno- ges fiscales et sociales dans les quartiers les
vation urbaine a-t-elle par ailleurs, un effet plus pauvres), à travers aussi la rénovation ur-
positif pour les habitants grâce à l’installa- baine qui, par la diversification de l’habitat y
tion de lignes de tramway qui le reconnectent réintroduisait une offre marchande. Cette po-
avec la ville. Reste que l’usage des opportu- litique interventionniste relégua au second
nités de la ville ne nécessite pas seulement un plan la dimension participative. Et son retour
lien physique avec elle, mais aussi un lien so- récent de celle-ci avec les «conseils citoyens»
cial, ces fameux liens faibles dont on a déjà (2015) et l’évocation méthodique du déve-
parlé... Tour est alors fonction du changement loppement du «pouvoir d’agir» des habitants
d’attitude que l’on produit ou pas quant à la apparait plus rhétorique qu’effective;
confiance que les habitants acquièrent en eux. Quand on essaie de comprendre pourquoi
Augmenter la confiance en eux des habi- la participation citoyenne arrive aussi peu à
tants, c’est bien l’objectif implicite de la di- prendre place en France, il faut partir de l’i-
te «participation citoyenne» qui figure dans dée que ladite participation est toujours stric-
le programme de cette politique depuis ses tement fonction de la capacité des prestatai-
270 Entrevista. Cuad. trab. soc. 30(2) 2017: 261-284

res de l’action publique à se placer sur un plan —Il y a une dizaine d’années, vous vous
d’égalité avec leurs destinataires. Cela ne sig- étiez très critique envers l’incapacité de la
nifie pas que les élus doivent remettre en jeu gauche à inventer une gouvernementalité de
leur légitimité et les dirigeants de l’adminis- gauche capable de s’opposer à la gouverne-
tration leurs responsabilités. Mais qu’ils doi- mentalité néolibérale. Comment imagineriez-
vent prendre l’habitude de rendre des comp- vous celle-ci?
te sur leur action et les difficultés qu’elle —L’idée d’une gouvernementalité de gau-
rencontre, l’exposer aussi aux critiques des che, et même d’un néolibéralisme de gauche,
intéressés s’ils veulent obtenir leur implica- pensé en alternative à sa version droitière qui
tion. C’est cette pratique de l’accountability s’impose, au début des années 80, avec Rea-
qui parait littéralement impraticable en Fran- gan et Thathcher, a été suggéré par Michel
ce. Parce qu’elle est toujours vécue comme Foucault et l’a amené à discuter de cela avec
une remise en cause de la légitimité des res- Michel Rocard (incarant en France la néo-so-
ponsables et non comme un condition de l’ef- cial (démocratie) par opposition à François
ficacité de l’action. Mitterand qui incarnait, lui, plutôt un paléo
Sans doute cette difficulté de l’action pu- (socialisme.
blique à faire une place effective place aux Tout est parti de la lecture que Michel Fou-
habitants dans la gestion des quartiers les plus cault proposait, dans son cours au Collège de
pauvres et les plus peuplés de migrants ex- France, du néolibéralisme tel qu’il apparait
plique-t-elle, en partie, la montée de cette ra- avec l’école de Friburg en Allemagne durant
dicalité islamique. En partie seulement, bien l’entre-deux guerres. Il montrait comment l’i-
sûr, celle concernant la réapparition des ap- dée néolibérale est apparue en réaction par
partenances religieuses. C’est à partir du mi- rapport aux déceptions apportées par la seule
lieu des années 90 que l’on assiste à la mon- logique de marché selon Adam Smith. Pour
tée ostentatoire des coutumes et des costumes celui-ci, la main invisible du marché devait
des pays d’origine, quand la politique cher- permettre de satisfaire tous les besoins qu’il
che moins à aider les gens dans les quartiers suscitait. Les objets de plus en plus désirés par
où ils vivent qu’à les fondre en invisibilité leur offre sur le marché voyaient leur prix
dans le reste de la ville. Mais la radicalisation monter d’une façon qui les rendait inaccessi-
va emprunter, bien sûr, l’essentiel de sa légi- ble. Mais cette montée même motivait des pro-
timité aux structures terroristes qui s’insta- ducteurs à en fournir toujours plus jusqu’à ce
llent au Moyen-Orient et en Afrique, là où la que leur prix baissent assez pour satisfaire les
fureur contre l’Occident se traduit par une en- consommateurs. Or, cette théorie smithienne
vie de revanche au nom de l’Islam, cette fi- se trouvait contredite par un détournement
gure dernière du monothéisme qui s’est trou- croissant vers l’Etat de la demande de satis-
vée comme reléguée dans un passé défunt. La faction des besoins suscités par le marché. Et
radicalité islamique se développe quand les cette attente montante du rôle de l’Etat géné-
déçus de l’immigration rencontrent les frus- rait ses versions fascistes et communistes, né-
trés de l’histoire. Les déçus en question se gatrices des libertés. Si l’on voulait éviter ce-
trouvent toujours parmi la seconde généra- la, dirent les néolibéraux, il fallait penser le
tion des migrants: ceux qui n’ont pas déplo- rôle de l’Etat comme celui d’un soutien à la
yé leur énergie pour arriver et pu saisir tout concurrence et non pas d’un organisateur de
emploi accessible pour eux comme une chan- la production. Cela signifiait qu’il devait, sur
ce. Ils se trouvent élevés dans une société où le plan matériel, faciliter les échanges en dé-
ils ne comprennent pas pourquoi leurs chan- veloppant les structures de transport, par
ces ne sont pas égales à celle des autres jeu- exemple, et sur le plan social, limiter son rô-
nes. Ils vivent le marquage de leurs origines le à la lutte contre l’exclusion, dans la mesu-
comme infâmant et l’e retournent contre cet- re où celle-ci constitue une mise hors concu-
te société comme une identité pour laquelle rrence d’un grand nombre d’individus et une
ils sont prêts à mourir. perte conséquente en capacité du marché.
Entrevista. Cuad. trab. soc. 30(2) 2017: 261284 271

La version de gauche de ce néolibéralis- tion entre riches et pauvres débouchant sur


me est une néo-social-démocratie qui s’est des émeutes mettant en péril le régime démo-
traduite en Allemagne par la politique de cratique. C’est pour réduire les risques de cet-
Schrôder, au Royaume-Uni par celle de Tony te confrontation que les cités sociales furent
Blair et aux USA par celle de Bill Clinton. A édifiées à la marge des villes, les déconnec-
la différence des politiques social-démocra- tant de celles-ci autant que possible. Ce mou-
tes classiques qui augmentaient les revenus vement se continue bien, depuis les années
et surtout la protection statutaire des salariés, 80, mais il concerne surtout les minorités eth-
ces nouvelles politiques fluidifient les statuts niques venues de campagnes lointaines et ser-
pour éviter l’auto-blocage dans des situations vant à peupler ces cités sociales désertées par
sans issue et surtout font de la lutte contre les classes populaires autochtones devenues
l’exclusion non pas le résidu des politiques des classes se vivant comme moyennes, mê-
sociales mais le socle à partir duquel doit s’o- me quand elles sont ouvrières de profession
pérer leur recyclage, leur adaptation à la mon- mais bénéficient d’une résidence individue-
dialisation. Reste que cette néo-social-démo- lle du fait de leur éloignement dans un espa-
cratie, si elle a eu des résultats en termes de ce rural au foncier moins onéreux. Car, à ce
dynamique socio-économique globale des mouvement du village à la ville, s’en sont
pays concernés, n’a pas pour autant enrayée ajoutés deux autres. Celui, d’abord, de la vi-
vraiment la remontée des inégalités qui a lle au village avec ce départ des entreprises
commencé au début des années 80. Elle a ac- de production vers les villes petites et moyen-
compagné l’entrée des démocraties dans la nes ou les villages, mais aussi avec la recon-
mondialisation économique sans procurer quête des villages par les classes aisées ou les
une claire perspective d’unification politique retraités, ou les vacanciers à raison des «amé-
des sociétés. Autant les affrontements dans la nités campagnardes» qu’ils y trouvent: le pay-
sphère de la production permettaient à l’Etat sage, une sociabilité douce... timide dans les
de dégager des arbitrages à l’échelle nationa- années 80, ce mouvement s’est accéléré de-
le, autant la logique de séparation qui affec- puis et fait même du village un lieu où l’on
te les sociétés contemporaines entretient les fuit les duretés de la ville en termes de coût,
inégalités et peine à trouver un remède. de nuisances, quitte à y disposer d’un revenu
plus faible. Celui aussi qui conduit de la vi-
—Quelle évaluation faites-vous, alors, lle à la ville et qui concerne la fameuse clas-
des tentatives de repenser la reconstitution se créative, celle qui va donner le ton à la vie
du lien sociale et de l’égalité à travers l’idée en ville, par sa jeunesse, sa culture, sa tolé-
des biens communs (Ostrom) ou du commun rance, sa manière de faire monde entre gens
(Laval y Dardot)? Croyez-vous que cela cons- venus de villes lointaines où prêtes à y partir
titue une alternative au communautarisme ré- pour exercer leurs talents. Ces mouvements
publicain envers lequel vous avez été critique induisent une logique de séparation dans la
à maintes reprises? société à raison des mondes propres qu’ils
—La question du commun mérite préci- forment et qui induisent une sorte de repli vo-
sément d’être posée par rapport à cette logi- lontaire ou non de leurs membres. Un repli
que de séparation qui affecte les espaces so- qui n’empêche pas une hostilité sourde ou
ciaux des sociétés développées à partir des violente de se manifester entre eux. Le popu-
années 80. Jusqu’alors, un seul mouvement lisme, avec le vote front national en France,
affectait les sociétés: celui qui conduit les ha- est comme le produit de cette «France péri-
bitants du village à la ville, attirés comme ils phérique» (expression de Christophe Guilluy
l’étaient par les opportunités d’emploi qu’of- qui s’ est fait le héraut de cette population),
frait l’industrialisation. Et l’enjeu principal celle des villages, des villes petites et moyen-
pour les politiques était de contenir les mé- nes, déconnectée de la métropole où vivent
faits de cette attraction: une concentration ex- les bénéficiaires de la mondialisation (la clas-
cessive dans l’espace urbain, une confronta- se créative sans esprit national et celle des mi-
272 Entrevista. Cuad. trab. soc. 30(2) 2017: 261-284

grants pauvres qui viennent profiter des ri- qu’à proclamer l’égalité des territoires, la-
chesses dont les autochtones se trouvent du quelle, prise à la lettre, revient à nier les rai-
coup, privés. Mais les émeutes des banlieues sons pour lesquelles ces mondes ont chacun
sont aussi une manière pour ce monde de la leur originalité, leurs préoccupations propres.
relégation de s’affirmer à part, en refusant l’i- Les quartiers de migrants sont des espaces
rruption de la police et l’ordre qu’elle veut tremplins pour leurs membres. Ils doivent y
imposer. Et l’hostilité peut aller plus loin trouver le moyen de se donner mutuellement
comme on l’a vu avec ces jeunes terroristes la force d’arriver pour partir ensuite à la con-
issus pour la plupart du quartier de Mollen- quête des opportunités de la ville. Les villa-
beek attaquant les spectateurs du Bataclan, ges urbanisés sont des lieux où l’on veut pou-
ce haut lieu de la jeune classe créative dans voir fuir le bruit et la fureur de la ville, jouir
Paris. du paysage campagnard sans perdre le con-
Comment poser la question du commun tact avec les opportunités du centre. La ville
entre des mondes qui se définissent par leurs village de la classe créative doit lui permet-
manières différentes de vivre la mondialisa- tre de multiplier les rencontres par sa concen-
tion (par le haut, par le bas, à côté)? Com- tration tout en offrant les plus grandes facili-
ment... sinon par le fait que, même s’ils oc- tés de mouvement avec les autres villes du
cupent une région entière, ils se définissent monde. Cette division existentielle de l’espa-
par leur rapport à la métropole qui régit cet- ce repose in fine sur un partage des opportu-
te région. C’est celle-ci qui fait du commun nités de la ville centre. Mais un partage qui
parce que c’est autour d’elle, par rapport à ne peut se faire sur le mode d’une distribu-
elle, que s’organisent ces différents mouve- tion égalitaire compte tenu des spécificités
ments qui composent la population de cette de chacun de ces mondes urbains. C’est pour-
entité aux frontières forcément floues. C’est quoi il nécessite une association volontaire
elle qui constitue le point de référence de cha- des représentants de chacun de ceux-ci pour
cune de ces populations, le moyen de les as- débattre des contenus et des formes à donner
socier par une action politique. Mais au nom à ce commun. La recherche du bien commun
de quoi conduire cette association? Au nom suppose un art d’accorder les mouvements
de la formule française de l’intérêt général? pour qu’ils produisent une entité la plus har-
Celle-ci ne peut conduire, par son abstraction monieuse possible...
ENTREVISTA

Cuadernos de Trabajo Social


ISSN: 0214-0314 EDICIONES
COMPLUTENSE
http://dx.doi.org/10.5209/CUTS.55353

De la invención de lo social a la ciudad asediada


Entrevista a Jacques Donzelot

[en] From the promotion of the social to the city under siege:
an interview with Jacques Donzelot
César Rendueles Menéndez del Llano; Sergio García García

Jacques Donzelot, profesor en la Université de la ville aux États-Unis et en France (2003,


de Paris X Nanterre, se dio a conocer en 1977 en colaboración con Catherine Mével y An-
con la publicación de La policía de las fami- ne Wyvekens); Quand la ville se défait: que-
lias, un ensayo con una fuerte impronta fou- lle politique face à la crise des banlieues?
caultiana que rastreaba los orígenes de las po- (2006), Vers une citoyenneté urbaine: la vi-
líticas sociales estatales en la filantropía lle et l’égalité des chances (2009); La ville à
decimonónica y otros proyectos históricos de trois vitesses (2009) o La France des cités. Le
contención del conflicto social. Desde esta chantier de la citoyenneté urbaine (2013)
perspectiva, las iniciativas higienistas habrí-
an desempeñado un papel crucial en la quie- —Nos gustaría, en primer lugar, invitar-
bra de los modelos familiares tradicionales le a realizar una mirada retrospectiva sobre
basados en la autoridad patriarcal y en el es- tu propia trayectoria científica. Parece haber
tablecimiento de nuevas formas de vínculo dos etapas bien diferenciadas en tu reflexión.
social individualizadoras susceptibles de ges- Un primer momento centrado en cuestiones
tión racional desde distintas instancias clíni- históricas que circulan en la órbita foucaul-
cas, políticas, educativas o mercantiles. Su tiana de la genealogía de los mecanismos dis-
segundo trabajo, La invención de lo social ciplinarios y una segunda etapa que se ini-
(1984), prolongaba este trayecto mediante cia en los años noventa de análisis de las
una genealogía de la atribución al estado de políticas urbanas. ¿Cuál es la historia de esa
un rol social que lo capacita para construir un evolución? ¿Hay alguna coherencia concep-
exoesqueleto de solidaridad colectiva que li- tual o biográfica entre ambas etapas? ¿En
mita los enfrentamientos relacionados con el qué ha cambiado a lo largo de estos años su
nuevo orden salarial que atraviesan la socie- manera de entender las ciencias sociales o la
dad moderna. A partir de los años ochenta, política?
en cambio, su interés se centra en las políti- —Ciertamente en mi trayectoria hay dos
cas urbanas y los conflictos emergentes en el movimientos, que suelo resumir diciendo que
contexto de la crisis del estado keynesiano y primero he sido historiador de lo social y lue-
el auge de la globalización neoliberal, con en- go sociólogo de lo urbano. El primero respon-
sayos como L’État animateur: essai sur la po- de a la genealogía de las dos fases de lo so-
litique de la ville (1994, en colaboración con cial que suponen la intervención correctiva
Philippe Estèbe), Faire société: la politique de la vida familiar (La police des familles,
Cuad. trab. soc. 30(2) 2017: 273-284 273
274 Entrevista. Cuad. trab. soc. 30(2) 2017: 261-284

1977) y la introducción de la protección so- miento a los individuos y el de valorización


cial en las relaciones de trabajo (L’invention de lo colectivo, de su función unificadora
du social, 1984). El segundo parte del análi- frente a la globalización. Se trata de una lla-
sis de la política de integración de las mino- mada a la formación de lo que he denomina-
rías étnicas en la sociedad —denominada en do «Estado animador» —en vez del Estado
Francia eufemísticamente «política de la ciu- social clásico— que se sale de la mera com-
dad»— en mi libro titulado L’Etat animateur pensación de lo social para ir hacia otro, en
(1994) que pretende ser una comparación con el que esta definición de social se denomina-
la política americana sobre este tema (Faire rá, posteriormente, de activación y de produc-
société: la politique de la ville aux Etats-Unis ción de cohesión social.
et en France, 2003) y en un momento en el Al leer el capítulo final de L’invention du
que parece que la lógica de separación urba- social fue cuando un responsable de las comi-
na está determinando cada vez más las rela- siones —que darían lugar a la política de la
ciones sociales (Quand la ville se défait, ciudad— me dijo: «¡Un Estado animador!
2006; La ville à trois vitesses, 2009; La Fran- ¡Eso es exactamente lo que tratamos de ha-
ce des cités, 2012). cer! ¡Venga usted a verlo! A principios de los
En el plano teórico se pueden distinguir años ochenta había tres comisiones que se reu-
dos momentos: el primero, cuyo principal nían en el mismo edificio: la comisión dirigi-
apoyo se sitúa en el enfoque genealógico de da por Hubert Dubedout para el desarrollo so-
análisis de las tecnologías de gobierno de Mi- cial de los barrios; la comisión de Gilbert
chel Foucault; mientras el segundo se inspi- Bonnemaison para la seguridad y prevención
ra en la obra de Hanna Arendt y su análisis de en esos mismos barrios de vivienda social; y,
la esencia de lo político como «asociación pa- por último, la comisión de Bertrand Schwarz
ra la acción». Con este criterio es con el que para la inserción socioprofesional de los jó-
comparo el arte de «hacer sociedad» en Es- venes. Respondí a la oferta con entusiasmo
tados Unidos y en Francia, y así voy analizan- porque no me daba la impresión de que me
do el segregacionismo, cada vez más activo alejara de mi temática de lo social, puesto que
y creciente, en la sociedad urbana. esta política —llamada de «la ciudad»— se
Pero me parece también importante subra- presentaba como una nueva política de lo so-
yar tanto la continuidad —de hecho y de fon- cial, que se iba a encargar de resolver los pro-
do— de estos dos momentos como su dife- blemas de exclusión de las poblaciones de los
renciación. De hecho, no se produce en suburbios que, precisamente, las políticas so-
ningún momento una ruptura, una decisión ciales clásicas no conseguían afrontar: traba-
de cambiar de objeto de análisis, de pasar de jo social, vivienda social y protección social.
una preocupación teórica a otra. El paso de Así, el análisis de lo urbano se fue instalando
un momento al otro tiene lugar como si fue- progresivamente en el campo de mis preocu-
ra el efecto de la prolongación de uno en el paciones, como una manera de contemplar las
otro. En L’invention du social me centro en deficiencias de las políticas sociales clásicas.
describir las dos líneas que han transforma- En el fondo también, porque la continui-
do el Estado social clásico desde finales de dad de los dos momentos no es solo de obje-
los años sesenta: la reivindicación desde aba- tivo sino también de problemática. Ambos
jo de una mayor autonomía de los individuos afrontan la misma cuestión, pero la plantean
y el mandato exigente desde arriba de la res- en contextos diferentes. Una cuestión que se
ponsabilización de su comportamiento. Es- podría resumir así: ¿cómo conseguir que per-
tas dos líneas han de converger para que el sista la democracia y a la vez contener las ten-
papel del Estado —como promotor de lo so- dencias que, desde su origen, conducen a su
cial, con objetivos de pacificación de la so- aniquilación con la ayuda de fórmulas dicta-
ciedad, de estabilización de la misma...— pa- toriales o populistas? En un primer momen-
se al de movilizador de la sociedad, en un to —el que corresponde a la emergencia de
doble sentido: el de volver a poner en movi- lo social— el peligro que más amenazaba la
Entrevista. Cuad. trab. soc. 30(2) 2017: 261284 275

vida democrática era la intensidad de los en- nología encuentra su declive con la extensión
frentamientos en el terreno de la producción. del psicoanálisis —liberador en lugar de dis-
En el segundo —el que emergió hace unos ciplinador—, lo cierto es que en el Trabajo
cuarenta años con la mundialización— las Social parecieran persistir las lógicas asis-
amenazas a la vida democrática procedían tenciales hasta nuestros días. ¿Qué observa
con mayor claridad de las lógicas de segrega- en el devenir del Trabajo Social y demás pro-
ción de la sociedad que han surgido por las fesiones de lo social? ¿El neoliberalismo ha
disociaciones que afectan cada vez con ma- introducido elementos nuevos en estas profe-
yor claridad al tejido urbano. Así, hay luga- siones o simplemente ha reactualizado las
res en los que vive la población que son el re- viejas técnicas liberales?
sultado de la globalización por abajo (los —En La police des familles quería demos-
migrantes en las ciudades sociales de Fran- trar cómo pasaba la familia del estatus de su-
cia). Estos migrantes de lejanía viven distan- jeto de gobierno al de medio de gobierno. Su-
ciados de la llamada «clase creativa», la de la jeto de gobierno: es lo que era bajo el Antiguo
globalización por arriba, que ocupa los espa- Régimen, cuando el padre ejercía una auto-
cios centrales y pericentrales de las metrópo- ridad tutelar sobre cada uno de sus miembros.
lis. Pero estas dos categorías siguen siendo Al tener hijos cumplía con lo esencial de su
ajenas a los habitantes de los pueblos y de las deber: aportar nuevos sujetos al rey. Cumplir
pequeñas o medianas ciudades, que se consi- con este deber le otorgaba ciertos derechos:
deran desconectadas de las oportunidades de una autoridad legítima, cuanto menos, sobre
la ciudad; rechazadas por la clase creativa; e todos los miembros de su familia. Podía pe-
invisibles para una acción pública que se pre- dir al rey el encarcelamiento de este o de
ocupa únicamente por la propensión de los aquellos que amenazaran su honor. Con la de-
jóvenes migrantes a los disturbios en sus ba- mocratización del poder central en el siglo
rriadas: es decir, lo que he llamado «la ciu- XIX, este poder del padre era cada vez más
dad a tres velocidades». Así como, en un pri- sospechoso de arbitrariedad y de servir para
mer momento, la lucha contra la tentación deshacerse de bocas inútiles, ya sea dejando
populista pasó por la institución de una ciu- a sus hijos vagabundear con riesgo de sus vi-
dadanía social, que ofrecía derechos protec- das, ya sea colocándolos abusivamente en las
tores contra las vicisitudes de la vida y de la estructuras de asistencia o de punición. La fa-
economía, esta respuesta demostró, en un se- milia se puede ver incriminada por este dere-
gundo momento, que era insuficiente e in- cho abusivo del padre; pero a la vez se en-
adaptada, y que precisaba añadir una fórmu- cuentra valorada como un recurso a través de
la de ciudadanía urbana que hiciera posible la madre, percibida como un relevo para las
la travesía entre los mundos urbanos diferen- normas médicas y de higiene que aseguren
tes y su adaptación. una buena educación de los hijos.
La articulación de estas dos estrategias
—En 1977 publicó La policía de las fami- —incriminación y valorización— permite,
lias, una genealogía tremendamente influyen- por lo tanto, que la familia se convierta en un
te en las décadas siguientes acerca del sur- medio de gobierno, y le invita a combinar los
gimiento progresivo de dispositivos de consejos morales procedentes de la incrimi-
ordenación de la vida familiar a través de dis- nación —aquellos que permitían escapar de
cursos, normas e instituciones sobre la crian- la sospecha de negligencia culpable y de
za, la educación de los niños, las relaciones abandono— con las normas educativas y de
conyugales, la economía familiar... La asis- higiene —asociadas a la valoración de la fa-
tencia social surge precisamente como me- milia como un recurso— pasando por el mé-
canismo de moralización y normalización a dico y el profesor. Cuando la familia asume
través de las ideas de contrato (exigencia de bien este orden moral y los consejos de higie-
contraprestación en las ayudas económicas ne, es como si la sociedad firmase con ella el
a los pobres) y de tutela. Pese a que esa tec- contrato que la convierte en un recurso posi-
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tivo. Aumenta su autonomía y la de sus miem- Entonces, ¿qué pasa con estos cambios de
bros, por el bien de cada uno de ellos en par- actitud respecto a los padres, de inflexión co-
ticular y de la sociedad en general. Si no se yuntural o estructural de las prácticas del Tra-
preocupa por mantener su autonomía finan- bajo Social? Cuando se observa la evolución
ciera a través del ahorro o si se muestra ne- de las prácticas de los trabajadores sociales
gligente con las normas sanitarias y educati- en el campo de la familia se ve claramente
vas, perjudica a sus hijos y justifica que se les que se trata de una preocupación explícita por
ponga bajo tutela, la pérdida de autoridad del reducir la dimensión tutelar en sus prácticas.
padre y la asistencia educativa de la madre. En Francia, con la Ley de 2007 [relativa a la
Por lo tanto, esta amenaza de tutela es la que protección de la infancia], toda decisión re-
les recuerda a los padres las condiciones de lativa a la familia debe tomarse buscando el
su autonomía: el respeto del contrato que han acuerdo con quien detenta la autoridad paren-
suscrito con la sociedad cuando forman una tal (varón, mujer o ambos). Los documentos
familia. Es o el respeto del contrato o la tute- que muestran estas decisiones deben ser el re-
la bajo la autoridad del juez y por medio de sultado de un contrato suscrito con la fami-
los trabajadores sociales y los psiquiatras. lia. La práctica judicial, que es la única capaz
Desde que el neoliberalismo domina la de privar a la familia de su autoridad, solo tie-
gestión de las relaciones sociales, ¿sigue sien- ne una función que podríamos considerar
do válido este procedimiento, este chantaje «subsidiaria» para los casos en los que no se
por la tutela? Cuando se echa un vistazo a la llega a ningún acuerdo. Pero, subsidiario,
literatura consagrada a la familia y a la ges- ¿significa residual o secundario? Está claro
tión de sus comportamientos de las últimas que la actuación de la justicia no se halla por
décadas, se ven claramente estas dos líneas encima de la acción preventiva de las fami-
básicas: la de incriminación y la de valoriza- lias, y se la asocia con algo más tangencial
ción de la familia, aunque con sensibles ma- que vertical.
tices entre ellas. La incriminación reaparece Pero esta consideración tangencial, ¿mer-
con el auge de la temática acerca de «la di- ma su función y la de tutela? Diríamos más
misión de los padres». Es decir, una manera bien que la discrecionalidad de la relación que
de retomar la crítica de la propensión de las mantienen los trabajadores sociales con la
familias a dejar a sus hijos a la aventura. Pe- justicia les permite comportarse de manera
ro ahora ya no se trata de no haberles educa- más intrusiva, como si su intervención fuera
do por un abuso flagrante de su poder, sino solo producto de una solicitud horizontal. La
más bien por la incapacidad de ejercer este voluntad declarada de que la dimensión con-
poder, por la renuncia ante la dificultad que tractual desempeñe su papel, de respetar la
representa, porque no están suficientemente parte de autonomía de los padres por defi-
reconocidos por sus hijos, lo cuales prefieri- cientes que sean a sus ojos en el desempeño
rían frecuentar las bandas antes que su fami- de sus funciones, autoriza a los trabajadores
lia. La valorización de la familia también sociales a ejercer una «suave» presión sobre
aflora, pero como si se disiparan un poco sus ellos, haciendo ver cuánto desean valorar el
límites, puesto que se habla de «parentalidad» papel de los padres y evitar, así, tener que re-
para designar un recurso tan insustituible co- currir a la dureza de las decisiones judiciales.
mo es el de la familia. Una manera de borrar De hecho, coloca a los padres en situación de
la distinción entre padre y madre, pero tam- aceptar las propuestas contractuales que se
bién de ponerlos en el mismo plano que a los les hacen para no parecer como una gente
suegros, los abuelos, los homopadres, etc., y brutal que rechaza deliberadamente una ayu-
de incluirlos a todos ellos en las redes de es- da que, por otro lado, necesitan..., en interés
cucha y apoyo para animar a los padres, de de sus hijos y en el suyo propio. Tal rigidez
todo tipo, a recobrar la confianza y aconse- se vuelve entonces contra ellos y se justifica
jarles más que dictarles conductas basadas en el recurso a la intervención judicial. La auto-
normas precisas. ridad judicial sale de la sombra en la que la
Entrevista. Cuad. trab. soc. 30(2) 2017: 261284 277

habíamos situado, como un remedio ante su trabajadores pobres (aumento del salario mí-
mala voluntad, juzgada entonces como prue- nimo interprofesional (SMIC), disminución
ba de su necesidad y no como medida brutal de la edad de jubilación) para distinguirse de
y abusivamente negadora de los derechos de la derecha, pero también sin perder su hosti-
los padres. El contrato aparece, pues, como lidad contra los inmigrantes, que le diferen-
el modelo avanzado del complejo tutelar y no cia de la izquierda. La fusión de los extremos,
como una alternativa suya. según el modelo de herradura, es típico del
populismo, una manera de negar la necesidad
—En el último capítulo de La invención de del debate democrático entre la derecha y la
lo social sostenía la inevitabilidad del declive izquierda en provecho de una identificación
de lo social en su versión keynesiana debido entre el pueblo y los elegidos, que pretenden
al doble ataque que ha sufrido el Estado del encarnar, mostrándose lo más cercanos posi-
Bienestar: tanto a nivel económico por una ble a esos temores y a caer en la tentación de
globalización que desdibuja el Estado nación contentarse con encontrar el chivo expiatorio
(territorio propio de las políticas sociales re- de sus desgracias, antes que de deliberar, con
distributivas), como a nivel político por la do- la suficiente distancia respecto de los repre-
ble crítica recibida desde la izquierda (meca- sentados, que es lo que requiere la capacidad
nismo de control social) y desde la derecha de discusión, de transacción entre partidos...
(neoliberalismo que ve en el Estado social el Ya conocíamos esta lógica de fusión de los
debilitamiento del espíritu emprendedor). extremos desde el nacimiento del fascismo y
¿Cree que guarda alguna relación este decli- del nazismo. La defensa del Estado social me-
ve de las instituciones del bienestar con el au- diante el cierre de filas nacional (por lo tan-
ge del Frente Nacional en Francia? ¿Cómo ha to la idea de repliegue sobre la fórmula de ese
operado la mutación ideológica del keynesia- Estado social planteado como solución para
nismo en forma de Estado Nacional del Bien- que todo siga igual) se extiende contra la glo-
estar? ¿Qué valoración hace hoy de las críti- balización económica... y contra la globali-
cas antiinstitucionales del Estado Social zación demográfica (la creciente llegada de
procedentes de la izquierda de los años sesen- migrantes a los países desarrollados).
ta y su prolongación en la actualidad? ¿Cree Por lo tanto, se puede decir que el Frente
que han reforzado involuntariamente el neo- Nacional se convierte en defensor de una cier-
liberalismo o las corrientes neoautoritarias? ta forma del Estado social: la de los años
—La idea de un encadenamiento causal 1950-1960, cuando los intercambios comer-
de las críticas (de izquierda y de derecha) del ciales internacionales eran débiles y los in-
Estado Social clásico y el auge del Frente Na- migrantes estaban destinados claramente a
cional no es muy creíble. Hay que fijarse en volver a sus países de origen una vez finali-
que, en su periodo de emergencia (años 1980- zado el trabajo para el que habían sido llama-
1990), el Frente Nacional no se posicionó en dos... Pero precisamente porque esta forma
absoluto como defensor del Estado social, si- del Estado social es cada vez más obsoleta,
no más bien como denunciante de ¡sus exce- es por lo que hemos visto desarrollarse, des-
sos de bondad! Su fundador, Jean-Marie le de principios de los años 1980, las líneas de
Pen, mostraba convicciones liberales clási- transformación que tienen su origen en estas
cas, al amparo del poujadismo que defendía críticas izquierdistas y reformistas de los años
a los comerciantes contra los impuestos so- 1970, que evoqué al final de L’invention du
bre el comercio. Para más inri, denunciaba al social, cuando me refería a la «movilización
Estado social por su propensión a acudir en de la sociedad» para designar el efecto con-
ayuda de los inmigrantes. Sólo con la «des- junto de estos dos tipos de críticas.
demonización» del Frente Nacional, en los La movilización de la sociedad se refiere
años 2000 cuando su hija, Marine Le Pen sus- a dos preocupaciones: hacer que los indivi-
tituyó a su padre, este partido se posicionó duos sean más móviles, que los asalariados y
como defensor de los derechos sociales de los hacer que los empresarios sean capaces de
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entenderse sobre los objetivos de la compe- que refuerzan el peso del patrimonio sobre el
titividad externa de lo que producen. Hacer destino de los individuos. Así surge la nece-
que los individuos sean más móviles equiva- sidad de desarrollar políticas de igualdad de
le a apoyarse en su aspiración a una mayor oportunidades y no sólo de redistribución y
autonomía para adquirir una formación que esto es así sobre todo por el impacto de las
les permita acceder a un empleo no tan anti- disgregaciones sociales, introducidas por la
cuado como el que desempeñan antes que vi- evolución de lo urbano.
vir de la mera prestación por desempleo. Es
la función de la denominada «formación con- —Precisamente desde finales de la déca-
tinua». Movilizar a los actores sociales es lle- da de los ochenta, sus investigaciones han gi-
varlos a firmar contratos que permitan a las rado en torno a las políticas urbanas. ¿Có-
empresas hacer frente a situaciones en las que mo resumiría su intervención en este campo?
su competitividad se transforma rápidamen- ¿En qué consiste el concepto de «ciudadanía
te, antes que quedarse «bloqueadas» por unos urbana» que ha propuesto? ¿Qué déficits o
derechos adquiridos e intangibles. Es pasar problemas detecta en las políticas urbanas
de lo «social de compensación», automático europeas? ¿Hay algún aprendizaje importan-
y pasivo en principio, a lo «social de compe- te que realizar de la experiencia norteameri-
tición» como podemos denominar a la nueva cana en ese sentido?
concepción que requiere el contexto de la glo- —Se puede decir que la nueva cuestión ur-
balización. No se trata en absoluto de cues- bana, que surge en los años 1980 en Europa
tionar el principio del Estado social ni la del norte, prolonga y agrava la cuestión so-
cuantía del presupuesto necesario para que cial clásica, la que irrumpió con la sociedad
siga funcionando, que tampoco ha cesado de industrial en el siglo XIX. La cuestión social
aumentar desde los «bellos años» (los Trein- nació con la concentración en la ciudad de
ta Gloriosos, entre 1945 y1975) del Estado población atraída por los empleos industria-
social clásico. Se trata más bien de su reci- les, y los enfrentamientos derivados de esta
claje, de su adaptación al nuevo contexto. confluencia en un mismo espacio eran inevi-
Lo cierto es que, efectivamente, la dificul- tables hasta el punto de que amenazaban el
tad del reciclaje del Estado social se paga en orden político o, incluso, la democracia inci-
numerosos países europeos con un crecimien- piente. Ciertamente, los ricos, los pobres y
to rápido de los partidos populistas, que mez- las clases medias no vivían en los mismos ba-
clan de manera desigual, según los lugares, rrios, pero se encontraban en los lugares de
fórmulas de extrema derecha y de extrema iz- producción, aunque llegaran a distintos ho-
quierda. Donde lo «social de competición» rarios. La ciudad, sus plazas y sus calles eran
se desarrolla mejor es en los países del norte espacios donde podían manifestar sus males-
de Europa, porque el diálogo entre la derecha tares numerosos desgraciados, espacios cla-
y la izquierda les ha llevado a evolucionar o ve de la vida en común. La proximidad rela-
a aliarse para llevar a cabo dichas mutacio- tiva de los barrios obreros y de clase media
nes. En un contexto de crecimiento regulado, les permitía soñar a aquéllos que un día for-
la alternancia permite pautar el ritmo de la re- marían parte de ésta.
distribución social en relación a la inversión Emerge una nueva cuestión urbana, a par-
económica. En un contexto difícil como es el tir de los años 1980, con la deslocalización
de la globalización, no se trata sólo de adap- de los lugares de producción lejos de las gran-
tar los gastos sino también el concepto de las des ciudades; bien por su traslado fuera del
políticas sociales, de su función. Esta adap- país, donde la mano de obra es más barata, o
tación es mucho más difícil cuando se trata bien porque se instalan bastante lejos de la
de hacer eficaz lo social, ya sea para la com- ciudad, allí donde los terrenos son más bara-
petitividad económica, ya sea para contener tos y les convienen más a unas empresas de
las desigualdades sociales que tienden a au- producción que necesitan una fuerte inver-
mentar por el comportamiento de los bancos, sión en solares a cambio de un débil desem-
Entrevista. Cuad. trab. soc. 30(2) 2017: 261284 279

bolso. Los obreros y empleados se trasladan dogámica. Se ve claramente que el principio


con esta deslocalización hacia el espacio pe- de la ciudadanía social, es decir, la garantía
riurbano más profundo, los pueblos, las ciu- de la satisfacción de las necesidades elemen-
dades pequeñas y medianas, con el aliciente tales de cada individuo (alimento, vivienda,
añadido al precio del terreno de que podrán instrucción, trabajo) ya no basta para situar-
adquirir una vivienda individual y abandonar los a todos en un plano de igualdad suficien-
las viviendas sociales de la ciudad. Las gran- te, puesto que la lógica de separación institu-
des ciudades se convierten, entonces, en los ye mundos en los que la educación, la
lugares donde se establecen las firmas, con vivienda, el empleo —cuando lo hay— con-
sus equipos de proyectos y todos los servi- tribuyen más a esta separación de lo que con-
cios cualificados, bancos, diseño, publicidad, siguen frenarla. La necesidad de inventar una
etc.; mientras que los antiguos suburbios «ciudadanía urbana» surge por esta carencia
obreros se pueblan de migrantes y de pobres del Estado social en sentido estricto. Con es-
de las ciudades, destinados a proporcionar ta expresión, designo la necesidad de formar
servicios poco cualificados, como el mante- un mundo social unificado a partir de estos
nimiento o la seguridad. El departamento del mundos distintos, de obrar de manera que la
Seine Saint-Denis ilustra perfectamente esta igualdad de oportunidades entre los indivi-
evolución. Concebido en un principio para duos no desaparezca con la separación más o
acoger la industria y a sus asalariados, sus an- menos profunda de los mundos urbanos.
tiguos locales de producción se han conver- Frente a este desafío, los americanos tie-
tidos en naves de almacenamiento de produc- nen una experiencia más antigua. La guetiza-
tos previos a su distribución comercial por ción de las minorías étnicas, el desplazamien-
medio de los aeropuertos y las estaciones, to de las actividades de producción hacia los
mientras que las viviendas sociales se pue- suburbios, la gentrificación de los centros his-
blan de migrantes a los que se invita a insta- tóricos, son tendencias de las ciudades ame-
larse para evitar que queden vacías. ricanas desde los años cincuenta. Han encon-
El resultado de esta evolución es una dis- trado soluciones que, evidentemente, no son
persión de la producción en el espacio periur- perfectas —se sabría— pero que tienen la
bano profundo, allí donde se confunde con la ventaja de que son duraderas. Para luchar
producción agrícola y las actividades inde- contra la guetización han desarrollado fór-
pendientes con lazos débiles, una concentra- mulas que impulsan a los habitantes de los
ción de la clase creativa y globalizada en los barrios desfavorecidos a construir corpo-
barrios centrales de las grandes ciudades y la raciones de desarrollo comunitario, que se
ocupación de las barriadas de vivienda social convierten en interlocutores de los represen-
de los suburbios de las grandes ciudades por tantes metropolitanos con el mismo recono-
los migrantes (la globalización por abajo). cimiento que los miembros elegidos de los
Como consecuencia, se implanta la lógica de barrios acomodados. Establecen vínculos me-
separación entre unos espacios desigualmen- tódicos entre las oportunidades del centro de
te urbanos, que dejan de estar unidos por la ciudad y las de esos barrios periféricos. De
aquellos mecanismos de interdependencia di- hecho, el espíritu de esas políticas, más que
recta que caracterizaban a las grandes manu- una fórmula institucional precisa, es lo que
facturas de la época industrial clásica. Cada puede servir para inspirar las políticas euro-
mundo urbano vive de espaldas a los demás, peas. Un espíritu que tiene el arte de «volver
sus habitantes sólo tienen un horizonte del a poner en movimiento» a los habitantes de
que dependen y que les deja indiferentes res- los barrios desfavorecidos, en vez de preten-
pecto a los demás mundos, salvo en el caso der imponer de manera voluntarista una di-
de las manifestaciones de resentimiento. versidad social; de «armonizar los movimien-
Pronto se pasa de la lógica de enfrentamien- tos» que descomponen la ciudad de manera
to —y de aspiración a la promoción social— que éstos formen parte de un mismo conjun-
a la de la separación y a la de la cultura en- to y no de mundos separados.
280 Entrevista. Cuad. trab. soc. 30(2) 2017: 261-284

Hay una diferencia de aproximación real empeñado, por ejemplo, el acento puesto en
entre la manera americana y la manera fran- la «participación ciudadana»? Finalmente,
cesa de abordar la cuestión de la fragmenta- ¿cómo interpreta la radicalización islámica
ción social a través de las dinámicas urbanas, de una parte de los jóvenes de estos barrios?
que se puede ilustrar por la manera como se —Para analizar el efecto de conjunto de
trata la cuestión del «vínculo social» en am- esta política hacia las zonas urbanas desfavo-
bos países. En Francia, el fallo del vínculo recidas hay que distinguir varios niveles: el
social significa que un individuo o un grupo de los medios aportados (en financiación y
pierden el contacto con las instituciones es- personal), el del método (el tipo de relación
colares, de ayuda social... Restablecer el vín- que esta acción establece con los habitantes)
culo social significa retomar el contacto en- y el del contexto (las guerras con y entre los
tre los individuos y las instituciones. La países del Medio-Oriente y el auge de la ra-
política de la ciudad para ello ha inventado la dicalidad en el Islam, particularmente con la
fórmula de los «relevos»: adultos-relevo, pa- aparición del Estado Islámico o Daesh). Sus
dres-relevo, etc. En Estados Unidos, desde tres cuestiones (el efecto de conjunto, la par-
los trabajos de Mark Granovetter (1973) y los ticipación ciudadana, la radicalización islá-
más recientes de Robert Putnam (2001), se mica de una parte de los jóvenes de las ba-
distinguen dos clases de vínculos: los fuertes rriadas) tienen relación, de hecho, con cada
(los de proximidad, de la comunidad) y los uno de estos asuntos.
débiles (los que se establecen a distancia y Los medios aportados tienen siempre un
que aportan oportunidades). Es una manera doble efecto: uno positivo, otro negativo.
de entender la separación de los grupos so- Cuando se trata de los medios en personal, en
ciales, convirtiéndolos en una fuerza y no en el campo de la educación, por ejemplo, el
una cárcel (bonding capital o capital cohesi- efecto positivo depende naturalmente de una
vo) y haciendo de la separación una ocasión mejora de la ratio profesor/alumno que per-
para desarrollar voluntariamente los víncu- mita un mejor encuadramiento de estos últi-
los (los llamados débiles) con otros grupos mos. Pero este esfuerzo en personal, en las
más ricos (bridging capital o capital inclusi- zonas llamadas «de educación prioritaria»,
vo) sabiendo que, al final, la fuerza de los vín- va acompañado por un efecto de estigmatiza-
culos débiles que conllevan oportunidades es- ción social de estas escuelas que, en la prác-
colares, universitarias, profesionales, etc., tica, empuja a algunas familias de clase me-
descansa en la utilización de los vínculos dia, que deberían mandar a ellas a sus hijos,
fuertes (el apoyo que el entorno da a los in- a matricularlos en escuelas privadas, acaban-
dividuos tentados por las oportunidades que do por consiguiente con la poca diversidad
se le presentan por la vía de los vínculos social de la que se beneficiarían los alumnos
débiles). En esta mezcla de realismo y prag- de las escuelas públicas. El efecto negativo
matismo hay una manera de positivar a los de esta asimilación de las zonas de educación
grupos separados para que ayuden a sus prioritaria es el fracaso escolar, que ha lleva-
miembros en los movimientos que les ofrece do al extremo de querer salvar a los mejores
la ciudad y las redes de contactos que crea y alumnos, creando internados de excelencia
que se diferencian profundamente del volun- fuera de dichos barrios.
tarismo abstracto francés, que proclama la Cuando se trata de los medios financie-
mezcla pero que solo la lleva a cabo de mo- ros, el programa de renovación urbana cons-
do ficticio con la renovación urbana. tituye, sin duda, el mayor esfuerzo. Consiste
en la destrucción de una parte de las torres y
—¿Qué opinión le merece el efecto del los bloques que configuran estos barrios so-
conjunto de políticas públicas llevadas a ca- ciales para edificar en su lugar diversas fór-
bo en los barrios pobres de los suburbios de mulas de vivienda, parte de ellas casas indi-
las ciudades en el marco de la denominada viduales que se ofrecen con la posibilidad de
«política de la ciudad»? ¿Qué papel ha des- acceder a su propiedad. Es decir, una mane-
Entrevista. Cuad. trab. soc. 30(2) 2017: 261284 281

ra de atraer a las clases medias hacia estos ba- sultados, según la fórmula clásica— a la im-
rrios populares y de restablecer una diversi- plicación. Pero la persistencia de las revuel-
dad social que se considera saludable para la tas condujo a los responsables a cambiar de
imagen del barrio. Pero los renovadores se orientación y a poner mayor énfasis en los
dan cuenta rápidamente de que si quieren medios del Estado y del mercado que en los
atraer a estas clases medias, hay que construir medios de los habitantes: los del Estado a tra-
casas individuales, a una distancia apropiada vés del aumento de personal de los servicios
del barrio y disponer de una oferta de cole- públicos; los del mercado con la creación de
gios a la misma y conveniente distancia... Sin zonas francas urbanas que exoneraban a los
duda, esta renovación urbana tiene también empleadores de cargas fiscales y sociales en
un efecto positivo para los habitantes, que es los barrios más pobres; y también a través de
la instalación de líneas de tranvía que los re- la renovación urbana que introducía una ofer-
conectan con la ciudad. Pero el acceso a las ta mercantil con la diversificación de la vi-
oportunidades de la ciudad no necesita sólo vienda. Esta política intervencionista relegó
un vínculo físico con ella, sino también un a segundo plano la dimensión participativa.
vínculo social, los famosos vínculos débiles Y su vuelta reciente parece más retorica que
de los que hemos hablado anteriormente. efectiva, con los «consejos ciudadanos»
Todo está entonces en función del cambio de (2015) y la evocación metódica del desarro-
actitud que se produzca o no, de la con- llo del «poder de actuar» de los habitantes.
fianza que los habitantes depositan en esos Para entender por qué la participación ciu-
vínculos. dadana está tan poco arraigada en Francia,
Aumentar la confianza de los habitantes hay que partir de la idea de que la participa-
en ellos es, sin duda, el objetivo implícito de ción tiene que ver con la capacidad de los
la llamada «participación ciudadana» que fi- prestatarios de la acción pública para situar-
gura en el programa de esta política desde sus se en un plano de igualdad con sus destinata-
comienzos. Entonces ¿qué se puede decir de rios. Esto no significa que los representantes
sus efectos? En un primer momento, duran- deban cuestionarse su legitimidad ni los diri-
te los años 1980, esta política puso efectiva- gentes de la Administración sus responsabi-
mente el acento en los habitantes como me- lidades. Pero tienen que acostumbrarse a ren-
dios para la acción. Constituían el recurso que dir cuentas de su acción y de las dificultades
podía permitir que las políticas públicas al- con las que se tropiezan; exponerlas también
canzaran los mismos resultados que en otros a la crítica de los interesados si quieren con-
barrios porque conocían mejor que los agen- seguir que se impliquen. Esta práctica del ac-
tes de esas políticas las particularidades de la countability parece literalmente impractica-
población de migrantes. Por lo tanto, basta- ble en Francia, porque se vive siempre como
ba con saber asociar a los habitantes a estas un cuestionamiento de la legitimidad de los
políticas para superar las dificultades con las responsables y no como una condición para
que se tropezaba en estos barrios. Por ejem- la eficacia de la acción.
plo, era función de las administraciones de Sin duda, la dificultad de la acción públi-
barrio atribuir a los habitantes el encargo de ca para resultar efectiva en la gestión de los
velar por el mantenimiento de los lugares y barrios más pobres y más poblados de mi-
las pequeñas obras de reparación que había grantes explica, en parte, el aumento del ra-
que hacer. Para ello, bastaba con formar a los dicalismo islámico. Desde mediados de los
jóvenes, formación que podía permitirles pos- años 1990 asistimos al aumento espectacular
teriormente encontrar trabajo fuera. Teoricé de costumbres y vestimentas de los países de
positivamente sobre esta primera fase de la origen, a la vez que la política se preocupa
política de la ciudad en L’Etat animateur, menos por ayudar a la gente de los barrios
cuando explicaba que así se haría pasar la par- donde viven, que por sumirlos en la invisibi-
ticipación del registro clásico hasta entonces lidad en el resto de la ciudad. Pero la radica-
—de consulta que no compromete a los con- lización claramente obtiene su legitimización
282 Entrevista. Cuad. trab. soc. 30(2) 2017: 261-284

en las estructuras terroristas que se instalan necesidades que engendraba. Los objetos
en el Medio-Oriente y en África, allí donde cada vez más deseados en la oferta del mer-
la rabia contra Occidente se traduce en de- cado veían aumentar su precio hasta conver-
seos de revancha en nombre del Islam, esta tirlos en inaccesibles. Y este mismo auge
última figura del monoteísmo que se vio re- motivaba a los productores a producir cada
legada a un pasado extinto. La radicalidad is- vez más, hasta que los precios bajaran lo su-
lámica se desarrolla cuando los decepciona- ficiente como para satisfacer a los consumi-
dos de la inmigración se encuentran con los dores. Pero la teoría de Smith se vio contra-
frustrados de la historia. Estos frustrados se dicha por el desvío creciente de la demanda
encuentran siempre entre la segunda genera- hacia el Estado para satisfacer las necesida-
ción de migrantes: los que no han desplega- des generadas por el mercado. Esta expecta-
do su energía para llegar y poder conseguir tiva creciente del papel del Estado originaba
un empleo como una oportunidad accesible. sus versiones fascistas y comunistas, que ne-
Se han criado en una sociedad en la que en- gaban las libertades. Si se quería evitar esto
tienden que sus oportunidades no son las mis- —dijeron los neoliberales— había que pen-
mas que las de otros jóvenes. Viven su mar- sar en el papel del Estado como apoyo a la
ca de origen como una infamia y su viraje competencia y no como organizador de la pro-
contra esta sociedad como una identidad por ducción. Esto significaba que, en el plano ma-
la que están dispuestos a morir. terial, tenía que facilitar los intercambios, des-
arrollando las estructuras de transporte, por
—Hace algunos años se mostraba usted ejemplo, y en el plano social, limitar su papel
muy crítico con la incapacidad de la izquier- a la lucha contra la exclusión, en la medida en
da para idear una gobernabilidad de izquier- que ésta lleva a un gran número de individuos
das capaz de oponerse a las técnicas de go- a situarse fuera de la competencia y a una pér-
bierno neoliberales. ¿Cómo imagina, a través dida consiguiente de mercado.
de qué manifestaciones concretas, esta pro- La versión de izquierdas de este neolibe-
puesta? ¿Ha cambiado en algo la situación ralismo es la neosocialdemocracia que, en
en los últimos años? ¿Cree que la crisis está Alemania, se ha plasmado con la política de
poniendo en marcha una reacción antimer- Schröder; en el Reino Unido con la de Tony
cantilizadora más propositiva? Blair; y en Estados Unidos en la de Bill Clin-
—La idea de una gobernabilidad de iz- ton. A diferencia de las políticas socialdemó-
quierdas e incluso de un neoliberalismo de cratas clásicas, que aumentaban las rentas y
izquierdas, como alternativa a la versión de- sobre todo la protección estatutaria de los asa-
rechista que se impuso a principios de los lariados, estas nuevas políticas difuminan los
años 1980 con Reagan y Thatcher, la sugirió estatutos para evitar el autobloqueo ante si-
Michel Foucault, y le llevó a discutir de ello tuaciones sin salida, y sobre todo hacen de la
con Michel Rocard (que encarnaba en Fran- lucha contra la exclusión no ya el residuo de
cia la neosocialdemocracia), en oposición a las políticas sociales, sino el soporte sobre el
François Mitterand, que encarnaba más bien cual debe operarse su reciclaje, su adaptación
un paleosocialismo. a la globalización. Lo cierto es que esta neo-
Todo partió de la lectura que Michel Fou- socialdemocracia, aunque obtuvo buenos re-
cault propuso, en su curso en el Collège de sultados en términos de dinámica socioeco-
France, sobre el neoliberalismo, tal y como nómica global en estos países, no ha puesto
aparece con la Escuela de Friburg, en Alema- fin al aumento de las desigualdades que co-
nia, durante el periodo entreguerras. Demos- menzó a principios de los años 1980. Acom-
traba que la idea neoliberal surgió como re- pañó la entrada de las democracias en la glo-
acción contra las decepciones que trajo balización económica sin aportar una
consigo la única lógica de mercado, según perspectiva clara de unificación política de
Adam Smith, para quien la mano invisible del las sociedades. Igual que los enfrentamien-
mercado debía permitir satisfacer todas las tos en la esfera de la producción permitían
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que el Estado fuera el árbitro a escala nacio- antes, motivada por el «entretenimiento cam-
nal, así también la lógica de separación, que pesino» que encuentran: el paisaje, una so-
afecta las sociedades contemporáneas, sigue ciabilidad dulce... Este movimiento, lento en
manteniendo las desigualdades y no les pone los años 1980, se ha acelerado e incluso con-
remedio. vierte al pueblo en un lugar al que escapar de
los inconvenientes de la ciudad, en término
—Entonces ¿qué evaluación hace usted de costes y molestias, aunque sea a cambio
de los intentos de repensar en la reconstitu- de un salario más bajo. También está el mo-
ción del vínculo social y de la igualdad a tra- vimiento que conduce de la ciudad a la ciu-
vés de la idea de los bienes comunes (Ostrom) dad y que tiene que ver con la famosa clase
o de lo común (Laval y Dardot)? ¿Cree que creativa, que dará un cierto tono a la vida de
constituye una alternativa al comunitarismo la ciudad por su juventud, su cultura, su tole-
republicano con el que ha sido tan crítico en rancia y su manera de conectar con otras gen-
numerosas ocasiones? tes llegadas de otras ciudades lejanas o dis-
—La cuestión de lo común merece plan- puestas a llegar a éstas para poner en práctica
tearse precisamente en relación con esta ló- sus talentos. Estos movimientos llevan a una
gica de separación que afecta a los espacios lógica de separación de la sociedad en razón
sociales de las sociedades desarrolladas a par- de los mundos propios que forman e inducen
tir de los años 1980. Hasta entonces, a las so- un tipo de repliegue, voluntario o no, de sus
ciedades les afectaba un solo movimiento: el miembros. Un replegarse que no impide que
que conducía a los habitantes de los pueblos existan una hostilidad sorda o violenta de co-
hacia la ciudad atraídos por las oportunida- municación entre ellos. El populismo, con el
des de empleo que ofrecía la industrializa- voto del Frente Nacional en Francia es el pro-
ción. El reto principal de las políticas era con- ducto de esta «Francia periférica» (expresión
tener los perjuicios de esta atracción: una de Christophe Guilluy que se ha convertido
concentración excesiva en el espacio urbano, en el heraldo de esta población), la de los pue-
una confrontación entre ricos y pobres que blos, de las ciudades pequeñas y medianas,
desembocaba en revueltas que ponían en pe- desconectadas de la metrópolis donde viven
ligro el régimen democrático. Las barriadas los beneficiarios de la globalización (la cla-
sociales en los márgenes de las ciudades se se creativa sin espíritu nacional y la de los mi-
construyeron para reducir los riesgos de esta grantes pobres que vienen a aprovecharse de
confrontación, para desconectarlas lo mejor algunas riquezas de las que se ven privados
posible. improvisamente los autóctonos). Pero, por su
Este movimiento sigue así desde los años lado, las revueltas de los suburbios son tam-
1980, pero ahora tiene que ver sobre todo con bién una manera de afirmarse de este mundo
minorías étnicas que llegaron de lugares le- relegado, que rechaza la irrupción de la poli-
janos para poblar unas barriadas sociales que cía y el orden que quiere imponerles. La hos-
las clases populares autóctonas habían aban- tilidad puede ir más lejos, como se vio con
donado para convertirse en una clase que con- esos jóvenes terroristas procedentes en su ma-
sideraban media, incluso aunque por profe- yoría del barrio de Mollenbeek que atacaron
sión fueran clase obrera, y disfrutaban de una a los espectadores del Bataclan, esa meca pa-
vivienda individual en un espacio rural don- risina de la joven clase creativa.
de la tierra costaba menos. ¿Cómo plantear la cuestión de lo común
A este movimiento del pueblo a la ciudad entre mundos que se definen por maneras di-
se han añadido otros dos: el primero, de la ferentes de vivir la globalización (por arriba,
ciudad al pueblo con la marcha de las empre- por abajo, de lado)? Cómo... si no por el he-
sas de producción hacia ciudades pequeñas y cho de que, incluso cuando ocupan una re-
medianas o pueblos; pero también con la re- gión entera, se definen por su relación con la
conquista de los pueblos por las clases aco- metrópolis que gobierna esa región. Es ella
modadas, por los jubilados o por los verane- quien acomuna, porque alrededor de ella, en
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relación con ella es como se organizan los di- los que se puede llegar para escapar del rui-
ferentes movimientos que componen la po- do y del furor de la ciudad, gozar del paisaje
blación de esta entidad de fronteras forzosa- campestre sin perder el contacto con las opor-
mente difuminadas. Ella es la que establece tunidades del centro. La ciudad-pueblo de la
el punto de referencia de cada una de estas clase creativa debe permitirles multiplicar los
poblaciones, el medio que las asocia para la encuentros a la vez que les ofrecen las máxi-
acción política. Pero, ¿en nombre de qué se mas facilidades de movimiento con otras ciu-
establece esta asociación? ¿En nombre de la dades del mundo. Esta división existencial
fórmula francesa del interés general? Por su del espacio reposa, en fin, en el reparto de las
abstracción, esta no puede conducir más que oportunidades de la ciudad-centro. Pero es un
a proclamar la igualdad de los territorios que, reparto que no puede pensarse como una dis-
si se toma al pie de la letra, viene a negar las tribución igualitaria, habida cuenta de las es-
razones por las que estos mundos mantienen pecificidades de cada uno de estos mundos
cada uno su originalidad, sus propias preocu- urbanos. Por ello se necesita una asociación
paciones. Los barrios de migrantes son espa- voluntaria de cada uno de los representantes
cios-trampolín para sus miembros. Deben en- para debatir sobre los contenidos y las for-
contrar allí el medio de infundirse fuerzas mas que ha de poseer este común. La búsque-
mutuamente para llegar y para después salir da del bien común supone el arte de acompa-
a la conquista de las oportunidades de la ciu- sar los movimientos para que produzcan una
dad. Los pueblos urbanizados son lugares a pieza lo más armoniosa posible.

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