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L’argumentation indirecte

Je vais désormais vous parler de l’argumentation indirecte. Les formes que nous
connaissons le mieux de cette argumentation sont la fable et le conte philosophique,
qui sont deux types de textes qui, tout en racontant une histoire ludique, délivrent un
message et suscitent la réflexion du lecteur. Il y a donc une double visée : à la fois
didactique et argumentative. Cette argumentation passe par le biais d’histoires. Plus
généralement on les appelle « apologues ».

1. Explication de la notion d’argumentation indirecte

L’apologue cherche à convaincre et à faire réfléchir, mais de manière détournée. On


utilise un récit qui met en scène des valeurs et des idées.

Cette argumentation s’exprime le plus souvent à travers une allégorie qui permet
d’incarner des principes à des personnages à valeur symbolique. Prenons un
exemple assez connu : le Loup et l’Agneau de Jean de la Fontaine. On remarque
directement que le Loup incarne le mal et l’Agneau l’innocence. Cependant, il reste
un travail d’interprétation de la part du lecteur pour saisir le message que l’auteur
veut faire parvenir.

L’auteur choisit des personnages le plus souvent antithétiques, afin qu’il n’y ait pas
trop de risque que le lecteur ne s’éloigne du message de l’auteur. Les textes
d’argumentation ont souvent recours à l’ironie et débordent de message cachés, qu’il
faut repérer pour en comprendre le sens. La morale n’est d’ailleurs pas toujours
explicite, comme dans les œuvres de Voltaire par exemple. Ainsi, la célèbre fable de
La Fontaine « La Cigale et la Fourmi », qui ne comporte pas de morale, peut
apparaître comme une critique de l'insouciance (incarnée par la cigale) ou au
contraire de la mesquinerie (incarnée par la fourmi).

2. Pourquoi est-elle utilisée ? Avantages, inconvénients

L’une des idées principales du mouvement des Lumières est d’instruire par le
divertissement. Les fictions argumentatives remplissent parfaitement ce rôle.

Allant dans le mouvement novateur et révolutionnaire des lumières, les œuvres


peuvent se montrer très critique à l’encontre du Roi. La censure étant encore très
forte, l’argumentation indirecte permet de contourner ce contrôle en dénonçant
implicitement et délivre son message une fois l’interprétation faite.

Le conte comme la fable peuvent aborder tous les sujets et livrer des enseignements
dans toute sorte de domaines. La leçon peut aussi bien être morale que sociale,
politique ou philosophique. Ce qui met en valeur les principes des lumières qui sont
de prôner une égalité humaine.

La fonction ludique des fictions argumentatives rend l’œuvre plus agréable à lire que
des essais par exemple. C’est ainsi que l’argumentation indirecte se développa
énormément au 18ème siècle, avec ce besoin de renouveau et de liberté, pour
contester le pouvoir établi. Cependant, il demeure un risque que le lecteur ne
saisisse pas le message que veut faire parvenir l’auteur. C’est pourquoi
l’argumentation directe était également beaucoup utilisée pour pallier ce problème.

Exemple d’argumentation indirecte :

Florian, Fables,
« La fable et la vérité » ?

La Vérité toute nue


Sortit un jour de son puits ;
Ses attraits par le temps étaient un peu détruits,
Jeune et vieux fuyaient sa vue :
La pauvre Vérité restait là morfondue,
Sans trouver un asile où pouvoir habiter.
À ses yeux vient se présenter
La Fable richement vêtue,
Portant plumes et diamants,
La plupart faux, mais très brillants.
Eh ! Vous voilà ! bonjour, dit-elle :
Que faites-vous ici seule sur un chemin ?
La Vérité répond : vous le voyez, je gèle :
Aux passants je demande en vain
De me donner une retraite,
Je leur fais peur à tous. Hélas ! je le vois bien,
Vieille femme n’obtient plus rien.
Vous êtes pourtant ma cadette,
Dit la Fable, et, sans vanité,
Partout je suis fort bien reçue ;
Mais aussi, dame Vérité,
Pourquoi vous montrer toute nue ?
Cela n’est pas adroit. Tenez, arrangeons-nous ;
Qu’un même intérêt nous rassemble :
Venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble.
Chez le sage, à cause de vous,
Je ne serai point rebutée ;
À cause de moi, chez les fous
Vous ne serez point maltraitée.
Servant par ce moyen chacun selon son goût,
Grâce à votre raison et grâce à ma folie,
Vous verrez, ma sœur, que partout
Nous passerons de compagnie.
Florian, Fables,
« La fable et la vérité »
Une allégorie

Conformément au genre de la fable en tant qu’argumentation directe, il y a ici une


allégorie de la fable et une allégorie de la vérité. La fable et la vérité sont des termes
qui s’opposent. Chaque terme est représenté par une femme. Ces deux femmes
sont opposées par l’âge et par leur apparence. L’allégorie est double ici : elle se
présente sous la forme d’une double personnification de la fable et de la vérité, c’est-
à-dire d’un genre et d’une valeur en apparence opposés.

Cette fable, comme toutes les autres, est dotée d’une morale. Les hommes fuient la
vérité à son passage. On comprend ici que les hommes n'aiment pas « la vérité toute
nue », toute vérité n'est pas belle à voir. La vérité dérange. L'homme préfère la
beauté de la fable. La fable dit à l’homme ce qu'il a envie d'entendre et ménage son
orgueil. Florian fait ici un éloge de la fable capable selon lui de corriger les hommes.

Candide de Voltaire :

Candide de Voltaire est une autre forme d’argumentation indirecte. Il s’agit d’un
conte philosophique dans lequel Candide traverse une multitude de péripéties aux
côtés d’un philosophe Pangloss, savant qui ne semble ne s’inquiéter de rien car il est
convaincu qu’il faut accepter le monde tel qu’il est, étant qu’il ne pourrait pas être
meilleur. Voltaire fait ici référence à l’optimisme de Leibniz qui pense que c’est le
meilleur monde possible, car c’est Dieu qui l’a créé et que Dieu est parfait. Pangloss
est en quelque sorte une caricature de Leibniz, car il demeure optimiste en toutes
circonstance, malgré tout ce qu’il subit. Voltaire préfère l'idée selon laquelle le monde
est horrible, comme on peut le constater avec les mésaventures de Candide et ses
compagnons, mais que les hommes sont capables de surmonter l'adversité. Il défend
l’idée que chacun est capable d'améliorer sa condition humaine aussi déplorable
soit-elle.

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