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Communication et langages

Le dictionnaire de l'Académie et les quarante « Pénélope »


Claude Brévot Dromzée

Résumé
Le premier tome de la 9e édition du Dictionnaire de l'Académie française vient de paraître. Le 26 mai 1994, une séance
solennelle a eu lieu sous la Coupole pour commémorer le 300e anniversaire de la remise à Louis XIV de la première
édition du célèbre dictionnaire. Il avait fallu 59 ans pour l'établir. À l'occasion de cette commémoration, cinq discours furent
prononcés, consacrés au rôle de l'Académie et au travail sur le dictionnaire effectué par les quarante « Pénélope » qui le
composent et le contrôlent. Ce corpus est analysé dans l'article ci-dessous par Claude Brévot
Dromzée, enseignante à l'Université de Reims Champagne-Ardennes.

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Brévot Dromzée Claude. Le dictionnaire de l'Académie et les quarante « Pénélope ». In: Communication et langages,
n°102, 4ème trimestre 1994. pp. 34-41.

doi : 10.3406/colan.1994.2543

http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1994_num_102_1_2543

Document généré le 15/10/2015


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Claude Brévot Dromzée

Le premier tome de la 9e édition du Dictionnaire de discours furent prononcés, consacrés au


l'Académie française vient de paraître. Le rôle de l'Académie et au travail sur le dic-
26 mai 1994, une séance solennelle a eu tionnaire effectué par les quarante
lieu sous la Coupole pour commémorer le « Pénélope » qui le composent et le
300e anniversaire de la remise à Louis XIV contrôlent. Ce corpus est analysé dans
de la première édition du célèbre diction- l'article ci-dessous par Claude Brévot
naire. Il avait fallu 59 ans pour l'établir. À Dromzée, enseignante à l'Université de
l'occasion de cette commémoration, cinq Reims Champagne-Ardennes.

Le 24 août 1694, veille de la saint Louis, Louis XIV reçoit


Jacques de Tourreil - alors directeur de l'Académie française -
accompagné d'un petit nombre d'académiciens dont François
Charpentier, l'auteur de la Préface et (vraisemblablement2) de
YEpistre au Roy dans le Dictionnaire de l'Académie françoise. Il
s'agit de remettre au roi cet ouvrage attendu depuis si
longtemps3.
Le 26 mai 1994 est célébré sous la Coupole de l'Académie
française, en présence du Premier ministre, le troisième centenaire
de la publication du Dictionnaire. Au cours de cette séance
exceptionnelle sont lus cinq discours visant à honorer la langue
^ française et à rendre compte de la principale activité : l'élabora-
^ tion de la neuvième édition du Dictionnaire dont le premier tome
<8 vient de paraître4.

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Le dictionnaire de l'Académie et les quarante « Pénélope » 35

Plus de 350 ans après sa fondation, quelle image l'Institution pro-


pose-t-elle au public ? Comment se définit-elle ? Comment
s'emploie-t-elle à remplir sa fonction ? Comment se situe-t-elle,
en cette fin de siècle, par rapport aux statuts de 1635 (revus en
1816) ? Telles sont les questions5 posées pour lire de manière à
la fois interdiscursive et intertextuelle les cinq discours du corpus.
Les numéros qui accompagnent les extraits de ces textes du 26
mai dernier renvoient à l'ordre des lectures (de 1 à 5) donné par
M. Jacques de Bourbon Busset, directeur en exercice.

UNE ASSEMBLÉE DE COMPÉTENCE


Les statuts du 21 juin 1816 rappellent (article premier) que
« l'Académie française sera composée de quarante membres ».
Même si ce nombre n'est pas celui des débuts (1635), il est
aujourd'hui volontiers cité : « quarante « Pénélope » [...]
quarante funambules © »... « lettrés qui se mettent à quarante pour
répondre aux questions © ». Ce nombre laisse supposer « une
grande diversité des compétences © », des sensibilités,
rassemblées autour de l'œuvre commune. « Quel dictionnaire bénéficie-
t-il d'un tel concours de compétences © »? « Hommes éminents
[...] écrivains célèbres © », « philosophes, historiens,
dramaturges, médecins ou romanciers ® », il est difficile de citer les
qualifications de tous ; l'article défini singulier (équivalent à
« ille ») peut être l'expression d'un vibrant hommage ©.
« [...] un tel concours de compétences, où le théologien et
prédicateur fameux, le grand philosophe, l'illustre médecin, le savant
qui fit progresser la biologie, la plus haute autorité en langue
ancienne, le romancier qui fut universitaire, l'historienne d'un
quart de la planète, le grand reporter qui a parcouru cette
planète en tous sens, l'écrivain qui se souvient d'avoir été
diplomate, le critique non seulement des livres mais des mœurs, le
mystique qui est aussi pamphlétaire, le juriste qui se cache sous

© • M. Maurice Druon, Secrétaire perpétuel, Une histoire d'amour.


® • M. Bertrand Poirot-Delpech, Vivre avec les mots.
.

(D • M. Jean Bernard, Chancelier en exercice, La langue et la science (discours


lu par M. Jacques de Bourbon Busset).
® • M. Jean-Louis Curtis, L'art du mot juste.
© • Mme Jacqueline de Romilly, La langue et la liberté.

5. Qui ? Quoi ? Comment ? Pourquoi ? Pour qui ? Avec quel résultat ? H. D. Laswell et
N. Leites, The Language of Politics, 1949.
36 Sémantique

l'essayiste, confrontent et unissent leur expérience et leur savoir


afin de conserver son ordre au langage. »
Cette forme de célébration, propre à la littérature d'apparat,
caractérise les discours académiques : l'institution « attend de
l'orateur qu'il développe les valeurs qu'elle cautionne et qu'il
donne d'elle une image qui la satisfasse6». C'est le sens de la
péroraison suivante © : « C'est une belle tradition que celle qui
veut que des hommes éminents s'emploient, semaine après
semaine, à cet exercice que l'évolution de la langue rend
incertain et toujours à refaire. »
L'esprit de corps apparaît dans renonciation - que l'axe soit syn-
chronique ou diachronique - et se traduit par un sentiment
d'appartenance assez régulièrement marqué : Furetière fut « exclu de nos
rangs [...] nous n'avions guère été précédés [...] nous savons bien
que l'ordre n'est jamais établi © » ; « le but est de vous révéler nos
méthodes de travail [. . .] notre compagnie © » ; nos travaux du
dictionnaire © » ; « une compagnie comme la nôtre [...] nos
expériences © ».

On peut remarquer - dans les cinq discours du 26 mai dernier -


que le corps académique se reconnaît à travers de nombreuses
citations et allusions (plus de 40 dans le discours ®). La mention
des auteurs contribue à définir, au fil de l'histoire et de la
culture7, la notion de mérite8 chère à l'institution.

PRINCIPALE FONCTION : LE DICTIONNAIRE


L'article XXIV des Statuts et règlements de l'Académie françoise
(1635) stipule : « La principale fonction de l'Académie sera de
travailler avec tout le soin et toute la diligence possibles à
donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, élo-
^ quente et capable de traiter les arts et les sciences. » L'article 6
S des Statuts de 1816 reprend, en chiasme et de manière plus
w concise, ce double objectif : « travailler à épurer et à fixer la
|) langue ». Aussi est-il logique de rappeler, notamment en cette

X:
I
® magistrat
6. P. Zoberman,
et autorité
« Éloquence
de l'orateur
d'apparat
» in Romanic
et représentation
Review, vol.institutionnelle
LXXIX, mars: 1988,
pouvoir
n° du
2,
§ p. 262.
a, 7. « Les attributs de l'identité ne sont ni stables ni fixés une fois pour toutes. Ce ne sont
•^ pas des attributs substantiels prédéterminés, mais des traits produits par l'histoire et la
^ culture et définis en fonction du point de vue projeté sur la personne ou l'institution »,
| Jean Caune, in Les cahiers du LERASS, n° 23, 1 991 , p. 1 1 1 .
| 8. Claude Brévot Dromzée, François Charpentier (1620-1702), Discours (1664-1693) :
O genres délibératif et épidictique, Thèse 1 992, Reims, p. 1 87 et suiv.
Le dictionnaire de l'Académie et les quarante « Pénélope » 37

année de célébration, le principe directeur, « l'impératif moral ou


la profession de foi © » : « Veiller sur ce trésor monumental © »
qu'est la langue française. Les dénominations relèvent de l'utile
et du beau, se référant à la notion première de « bon usage ».
« Instrument, moyen incomparable pour [...] vivre mieux © »,
« la langue a le pouvoir de conférer la plus fine et à la fois la plus
riche justesse aux mots les plus communs et les plus
simples © ». La langue doit rester « simple et claire ® » ; le
« bon et beau français <3> » est, par analogie avec la Préface 9 de
1694, une manière d'évoquer la règle : « L'usage commande :
ce qui ne signifie pas qu'il ait toujours raison ©. »

L'objectif de l'Académie se confond avec la réalisation de son


œuvre - le Dictionnaire - objet de la séance du 26 mai et
métonymie de l'institution : « Si l'on ne pouvait se passer du
Dictionnaire, cela prouvait bien qu'on ne pouvait se passer non
plus de l'Académie qui l'établissait ©. » La valorisation de cette
œuvre s'explique d'autant plus qu'au fil du temps les objectifs se
sont réduits. En 1635, il devait être « composé un dictionnaire,
une grammaire, une rhétorique et une poétique » (article XXVI).
En 1816, l'article 6 précise que les travaux consisteront en « des
discussions [...] des observations [...] et la composition d'un
nouveau dictionnaire de la langue ».
Le dictionnaire est défini selon des critères de distinction et de
différenciation. Le glissement du déterminant indéfini à l'article
défini10 est intéressant à relever dans quelques-uns des
discours. Avant d'être le Dictionnaire, c'est l'outil de travail auquel
tout lettré rend hommage : « II n'est pas de jour où je n'aie eu
l'occasion de me reporter à un dictionnaire pour combler une
ignorance, en vérifiant un sens, une orthographe, un emploi ©. »
De tout (bon) dictionnaire au Dictionnaire de l'Académie, il n'y a
qu'une loi - le bon usage11 - principe fondateur de l'institution.
L'entrée en scène de l'ouvrage est alors attendue : « Le
Dictionnaire de l'Académie française venait de voir le jour ©. »
« Construit de matériaux premiers et solides, (il) est le mur
porteur de tous nos échanges © », il devrait constituer « le

9. « il faut recognoistre l'usage pour le Maistre de l'Orthographe aussi bien que du choix
des mots » (Dictionnaire de l'Académie françoise, 1694).
10. Article défini ou article « notoire » selon J. Damourette, éd. Pichon, Des mots à la
pensée. Essai de grammaire de langue française. P. d'Artrey, 191 1-1950, 7 vol. + 1
vol... : compléments 1971.
1 1 . Discours 5 : « Vous le voyez, j'ai glissé du dictionnaire au bon usage de la langue. »
38 Sémantique

Dictionnaire de l'an 2000 © », se différenciant des autres


ouvrages qui s'ouvrent parfois « un peu vite au vent des
modes © ». Au même titre que, depuis les origines, l'institution
se construit en s'opposant à un monde frivole, voire hostile12, le
dictionnaire est présenté comme un outil pédagogique soucieux
du « mot juste ® », refusant un « jargon fait pour intimider les
naïfs © ».
Ainsi objectif et objet se rejoignent dans le même « soin » (au
sens classique du terme) qui consiste à « veiller » tant sur la
langue française (« ce trésor monumental : © ») que sur
l'élaboration du dictionnaire (« notre bien commun : © »).

RIGUEUR ET LENTEUR
Comment est réalisé le dictionnaire ? Comment est-il présenté
au public ? Ces questions sont abordées dans les cinq discours
du 26 mai. L'un des orateurs a même pour rôle de « révéler (les)
méthodes de travail © » dans un souci de transparence,
conforme (selon O. Ducrot) à la loi dite de sincérité13. Les
indications sont précises : « chaque jeudi, à quinze heures [...] durant
une bonne heure, notre Compagnie relit à haute voix, retouche
et adopte [...] les articles préparés par nos agrégés de service et
par la Commission du Dictionnaire, réunie chaque matin et
chaque après-midi de ces mêmes jeudis © ». Le travail s'inscrit
dans la continuité de l'histoire, « mandat © » ininterrompu,
preuve en tout cas « que la langue est vivante et qu'elle évolue
de génération en génération © ». Cette persévérance, à laquelle
il est fait allusion dès le dix-septième siècle, a pour corollaire
l'exigence et pour conséquence la lenteur. La rigueur concrétise
l'objectif d'excellence (« Par ses refus, le travail de l'Académie
peut sauvegarder, avec le bon usage du français, le droit des
^ gens à la clarté © ») et concerne « ce ballet acrobatique des sor-
S ties et des entrées de mots <s> ».
^ L'image des « quarante "Pénélope" © » retournant inlassable-
o> ment à leur « tapisserie » est évoquée à travers de nombreux

~2 12. « Le nom d'Académie sonne mal aux oreilles de plusieurs personnes, et particuliere-
o> ment de ces nobles imaginaires, qui demeurant sans vertu et sans action, prétendent
§ autoriser leur oisiveté par la vaine ostentation de leur naissance, ou de ces riches
'■J5 Plebeïens et de ces hommes nouveaux, qu'un caprice de la fortune élevé en des places
•y qu'ils n'occupent que pour se rendre mesprisables. » (F. Charpentier, Réponse au
§ Discours prononcé par Monsieur De la Chapelle le jour de sa Reception, 1 2 juillet 1 688).
| «... à l'abri des vacarmes de la ville et des vanités » (B. Poirot-Delpech, 26 mai 1994).
§ 13. Lois de sincérité, d'intérêt, d'informativité, d'exhaustivité. O. Ducrot, « Les lois du
O discours » in Langue française, n° 42, 1 979.
Le dictionnaire de l'Académie et les quarante « Pénélope » 39

verbes d'action : « Les propositions sont discutées [...] avant


d'être rejetées ou admises © » ; la « Compagnie relit [...]
retouche et adopte © » ; « nous pesons ces termes
d'appréciation, nous ne sommes pas toujours d'accord, nous en discutons,
nous cherchons à accorder nos expériences © ». Ainsi
l'institution se caractérise-t-elle - depuis sa fondation14 - par un principe
de fonctionnement démocratique. « Les propositions de chacun
sont examinées par tous, discutées avec courtoisie mais fermeté
© » ; le débat sur les « minuties grammaticales15 » et les
controverses sur l'orthographe s'inscrivent dans une longue tradition.
L'ampleur de la tâche (« donner leur juste sens aux 50 000
mots » prévus dans la neuvième édition) inspire de l'humilité,
jadis commandée par le rôle du protecteur (Louis XIV),
aujourd'hui liée à une forme de dépassement intellectuel (« le
plaisir le plus vif [...] de poursuivre l'effort de toute une vie vers
une expression moins imparfaite © »). L'humilité se reconnaît
aussi à travers la lenteur, inhérente à l'histoire du Dictionnaire, la
première édition ayant été publiée 59 ans après la fondation de
l'Académie. Aussi n'est-il pas étonnant, d'une Préface à l'autre16,
d'y trouver des allusions ! Quand F. Charpentier reçoit l'abbé
Bignon et La Bruyère (le 15 juin 1693), il affirme : « Sa Majesté
ne s'est point lassée de nos retardements et [...] elle ne les a
point imputez à nostre negligence17. » Trois siècles plus tard, ce
principe de lenteur est réaffirmé comme gage de qualité,
d'exigence. Le « souci de la stricte exactitude © » montre l'enjeu de
ce travail lexicographique qui « appelle de longs délais © ». « Le
culte d'une syntaxe correcte et du mot juste © » est à ce prix.

Si les membres de l'institution se définissent aujourd'hui encore -


dans la lignée de Vaugelas - comme des « greffiers de l'usage »,

14. « Celui qui présidera fera garder le bon ordre dans les assemblées le plus
exactement et le plus civilement qu'il sera possible, et comme il se doit faire entre personnes
égales » (article XV des Statuts de 1 635).
15. « Tous ceux qui la composent [l'Académie] disent successivement leurs avis sur
chaque mot et la diversité des opinions apporte nécessairement de grands
retardemens », p. 8, Préface, 1694.
16. Préface, F. Charpentier, 1694 (Première édition) : « L'Académie auroit souhaité de
pouvoir satisfaire plustost l'impatience que le Public a tesmoignée de voir ce Dictionnaire
achevé. »
Préface, M. Druon, 1 985 (neuvième édition) : « Les doléances et les plaisanteries que
suscitent les lenteurs du Dictionnaire sont presque aussi anciennes que l'Académie elle-
même. »
17. On peut lire un peu plus loin : « Louis le Grand a conquis plus de villes en sept ou huit
ans que nous n'avons expliqué de mots en cinquante. »
40 Sémantique

les temps ont changé. La langue n'est plus cette « princesse


échevelée © » que Richelieu souhaitait contrôler en devenant le
premier protecteur de l'Académie. Elle a été, sous le règne de
Louis XIV, un puissant instrument destiné à louer le monarque.
L'image royale a parfois envahi le discours académique, «
effaçant » le mérite personnel du récipiendaire, détournant ainsi la
finalité des exercices académiques18. Aujourd'hui, le souci d'une
« langue pure, éloquente19 » s'apparente à « cette ferveur
jalouse, pointilleuse, face aux menaces © ».

MENACES SUR NOTRE LANGUE


La perception d'un danger pesant sur la langue affleure - selon
des tonalités différentes - dans les cinq discours prononcés ce
26 mai dernier.
Si l'on affirme que ce thème relie - de manière intertextuelle - les
discours entre eux, il peut être intéressant de montrer la gradation.
« Notre langue n'est plus à l'abri des incertitudes © » ; ce procédé
d'atténuation est confirmé par l'énoncé du problème : « Nous le
savons tous, la langue française est menacée ©. » Nul n'est
épargné : certains « hommes de sciences n'écrivent plus en français © ».
Avant d'être longuement caractérisé, l'ennemi est nommé :
l'école, les médias (notamment la télévision), la publicité. Le
constat s'exprime ainsi : « Les incorrections pullulent ©. » Le choix
des termes d'accusation exprime une certaine véhémence : « les
horreurs produites par la langue orale © » ; « le laisser-aller
médiatique © » ou « la jactance audiovisuelle © » ; « les jargons
pseudo-savants © » ou « détestables © » ; « les barbarismes
volontaires de la publicité © » ou « racolage publicitaire © » ; « la
dictature de l'image, le leurre de l'irrationnel, la barbarie de la
paresse © ». Signe des temps ou tradition académique ? Quoique
^ le contexte politique soit différent, Vaugelas - déjà au début du
S dix-septième siècle - se proposait de « nettoyer la langue des
^ ordures qu'elle a contractées 20 ».
|> « Nettoyer la langue » c'est la « rendre pure et éloquente » pour
g> tous les usagers. C'est pourquoi au seuil du Dictionnaire de
5 1694 est exprimé - en hommage à la langue française - le prin-
c cipe d'universalité 21. En 1994, il convient de réaffirmer l'unité de

•y 1 8. C. Brévot Dromzée, op. cit., p. 200.


§ 1 9. Article XXIV, Statuts et règlements û
19.
20. Expression rappelée dans le discours (1).
Le dictionnaire de l'Académie et les quarante « Pénélope » 41

la communauté francophone : « Je saluerai [...] les


représentants diplomatiques ou académiques de vingt-huit pays, et qui
nous prouvent, certains venus de très loin, leur attachement à un
mode d'expression qui leur est familier et qui reste, grâce à eux,
universel ©. »
Relevons aussi le principe de cohabitation harmonieuse entre
langues « dominantes », notamment dans le domaine
scientifique : « II serait très raisonnable pour la science de défendre
ensemble la langue française et la langue anglaise <s>. » Si
« Panglo-sabir » est condamné, c'est encore au nom du principe
d'excellence.

LA RÈGLE DU « BON USAGE » TOUJOURS AU CŒUR


DU TRAVAILACADÉMIQUE
Elle définit l'institution et en legitimise les principes de rigueur et
de lenteur, le travail s'inscrit dans une tradition de continuité,
d'autorité et d'autonomie 22. La séance du 26 mai dernier
témoigne d'une volonté de communication sur l'objet et les
méthodes de travail : l'amour de la langue n'exclut ni l'humour 23
ni l'humilité. Le rêve d'immutabilité de la langue - cher aux
premières générations d'académiciens, dans un contexte de
modernité et de promotion de la langue française - a fait place à
un autre constat. Si aujourd'hui la langue « se délite, se
pollue © », il faut plus que jamais faire face aux risques
« d'usure » et réaffirmer la quête de la qualité. Il s'agit moins de
proclamer l'excellence de la langue française que de maintenir
ce souci au sein de la langue. Serait-ce là, pour reprendre le
dernier mot du secrétaire perpétuel, « l'exploit » ?
Claude Brévot Dromzée

22. « Le péché, sans cloute, tenait à ce que cet époussetage était d'inspiration
gouvernementale [...] Nous n'aimons pas que d'autres que nous-mêmes s'occupent de vêtir ou
dévêtir notre belle ». (discours 1)
23. « J'aimerais que vous imaginiez avec quel sérieux non dénué de gaîté nous
disputons de ces mouvements et définitions » (discours 2) ; « Ils s'y livrent avec amusement,
certes, mais aussi avec passion, depuis trois siècles ». (discours 5)

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