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Helen

Moss

ADventure IslanD
Le Mystère des grottes du Vent-Huant

Traduit de l’anglais par Anouk Journo-Durey


À Mac
1

Bienvenue sur
l'île De Castle Key

J ack Carter n’avait encore jamais vu de maison aussi lugubre que le


cottage des Roches1. Les murs ? Gris. La toiture ? Grise. Il tombait une fine
pluie grise d’un ciel gris…
Même les pigeons – gris –, rassemblés autour de la cheminée, semblaient
mourir d’ennui.
Et c’était là qu’ils devraient passer l’été ?
Ils avaient quitté Londres en voiture pour gagner la Cornouailles, au sud de
l’Angleterre : une région en bord de mer, rocheuse, sauvage…
« Et sinistre », songea Jack en jetant un coup d’œil à son grand frère Scott.
Lui aussi faisait la tête.
Alors qu’ils empruntaient la route-digue menant de la côte jusqu’à l’île de
Castle Key, leur père avait, quant à lui, essayé de leur communiquer son
enthousiasme :
– À votre âge, on s’amusait vraiment beaucoup lorsqu’on venait ici avec
votre oncle Tim et votre tante Kate ! Entre les plages, les criques, les rochers
à escalader et la lande sauvage… Et sur le front de mer, il y a une crêperie-
buvette sensas qui propose des frites franchement délicieuses !
Sensas ? Qu’est-ce que c’était que ce mot ?
Jack regarda de nouveau Scott… qui affichait une mine de plus en plus
dépitée. Du moins est-ce ce que Jack imagina : le visage de Scott était en
partie masqué par une longue frange brune. Il se laissait pousser les cheveux
depuis qu’il avait fêté ses treize ans.
Ces vacances s’annonçaient… nulles. Pourquoi leur père ne leur avait-il
pas plutôt proposé de l’accompagner en Afrique centrale, où il repartait
travailler ? Là-bas, il y avait une forêt tropicale… Là-bas, ils auraient pu
découvrir plein de choses pendant que M. Carter poursuivait ses fouilles
archéologiques : il cherchait les vestiges d’une cité ancienne. Bon, d’accord,
la guerre sévissait aux alentours, et on risquait peut-être de contracter la
malaria ou d’être mordu par un serpent venimeux…
Mais ce n’était rien comparé à l’ennui mortel qui s’apprêtait à les
foudroyer.
Souriante, tante Kate les attendait sur le seuil de son cottage. Ses cheveux
étaient blancs et floconneux, maintenus par de petites pinces.
– Venez vite vous mettre à l’abri !
Elle se hâta de les faire entrer et les contempla l’un après l’autre par-
dessus ses lunettes.
– Mes chéris, que je suis contente de vous voir ! J’ai préparé un de ces
gâteaux à la confiture que vous adorez tant…
Jack acquiesça poliment. Tante Kate ne devait pas réaliser qu’on était au
xxie siècle. Si ça se trouve, elle croyait qu’ils étaient des copains de son
frère…
– À la confiture ? Sensas ! s’exclama M. Carter au même instant, en se
frottant les mains.
Encore sensas ? Genre il ne goûterait jamais rien de meilleur… Ce qui, au
fond, était probable sur cette île du bout du monde.
Après avoir examiné les lieux – la maison avait de vieilles poutres et plein
de coussins fleuris –, Jack mangea du gâteau en s’efforçant de ne pas penser à
ce qu’il pourrait faire en ce moment même, chez lui, à Londres : retrouver
Josh et Ali au parc, aller voir un bon film d’action, manger une pizza…
Ce n’était pas juste !
Scott rongeait déjà son frein. Ils venaient de dire au revoir à leur père… Et
maintenant, évidemment, Jack et lui tournaient en rond !
En général, il passait ses soirées de vacances entre amis, ou il répétait
avec son groupe, les Banners, ou il jouait à des jeux vidéo… Manque de
chance, son ordinateur portable, qu’il voulait apporter, était tombé en panne
la veille de leur départ. Comme par hasard ! Son PC n’avait sans doute pas
plus envie que lui d’être coincé sur cette île maudite !
Il y avait bien un ordinateur chez tante Kate : une espèce de brontosaure,
énorme, qui trônait sur une table-bureau, dans le salon. Mais en supposant
que l’appareil possède suffisamment de mémoire pour télécharger des jeux,
ce dont Scott doutait, il était de toute façon strictement réservé au travail de
tante Kate. Elle était écrivain, ce qui aurait pu être intéressant…
Malheureusement, elle n’écrivait que des histoires d’amour !
Scott dénicha quelques jeux de société dans un placard sous l’escalier.
Après une brève inspection, il se rendit compte qu’il n’y avait rien de plus
palpitant qu’un jeu de Serpents et Échelles. Il alluma la télévision… et
l’éteignit presque aussitôt. L’écran était ridiculement petit.
– … faudrait un télescope pour y voir quelque chose, grommela-t-il.
Et de toute façon, question programme, il n’y avait qu’un documentaire sur
les tritons.
– On n’a plus qu’à aller se coucher, décréta Jack, de très mauvaise humeur
lui aussi.
Ils grimpèrent à l’étage. Les marches craquèrent sous leurs pas, le parquet
également… Et la porte grinça.
Leur chambre se trouvait sous les combles. Jack s’affala sur le premier des
deux lits, hauts et étroits.
– Il est hors de question qu’on reste ici. On va s’enfuir et retourner à
Londres. Josh nous hébergera !
Debout devant la fenêtre, Scott pinça distraitement les cordes de sa guitare
tout en regardant, dans le jardin, les rosiers secoués par le vent et la pluie.
– Tu crois vraiment qu’on pourrait faire ça ?
Jack se redressa en flanquant un coup de poing dans son oreiller. Ses épais
cheveux blonds étaient hirsutes, et ses yeux étincelaient de colère.
– Tu vas nous la jouer grand frère trop sage, c’est ça ?
Scott ramassa une chaussette en boule par terre et la lança sur son frère. Il
n’avait qu’un an de plus que Jack mais, parfois, ce léger écart lui produisait
le même effet qu’une décennie. Peut-être parce qu’il était beaucoup plus
grand en taille ? À moins que ce ne soit parce qu’il se rappelait leur mère, ce
qui n’était pas le cas de Jack. Elle avait perdu la vie dans un accident de
voiture lorsque Scott avait quatre ans. Il se souvenait de ses baisers quand
elle leur souhaitait bonne nuit, d’un parfum de savon au citron, de
promenades dans un parc, quelque part… Ces souvenirs, fragiles comme des
ailes de papillon, Scott les gardait précieusement au plus profond de sa
mémoire.
Il jeta un coup d’œil à Jack. Comment lui expliquer que ce n’était pas
parce qu’il restait calme qu’il était satisfait de la situation ?
– Papa m’a demandé de lui promettre qu’on ne causerait aucun problème à
tante Kate.
Jack lui renvoya la chaussette d’un geste rageur.
– Quel genre de problème on pourrait avoir dans ce trou perdu ? Hein ?
Sans répondre, Scott alla se coucher. Une fois blotti sous les couvertures
de laine superposées façon couches géologiques, il contempla longuement les
craquelures du plafond. Jack avait raison. Il n’y avait rien à faire ici… Rien
du tout.
Ils s’apprêtaient à passer le pire été de leur vie.

Jack fut réveillé par une appétissante odeur de bacon grillé…


Et par le soleil qui filtrait à travers les rideaux. Waouh !
Il sauta de son lit et secoua son frère.
– Lève-toi, flemmard ! Moi, je descends, je meurs de faim !
Une minute plus tard, Scott dévalait les marches derrière lui.
Le sourire aux lèvres, tante Kate leur servit un copieux petit déjeuner. Jack
regarda ses œufs brouillés avec gourmandise. Au moins, ici, ils mangeraient
bien !
Hum… Mieux que bien, constata-t-il dès la première bouchée. C’était trop
bon ! Voilà qui changeait des simples céréales dont ils se contentaient chez
eux.
OK, à la réflexion, peut-être attendraient-ils un peu avant de s’enfuir…
Tante Kate s’essuya les mains sur son tablier à rayures bleues et blanches,
puis elle déclara :
– Mes chéris, le dîner sera prêt tous les jours à 19 heures. Pour le
déjeuner, je vous ai préparé un pique-nique : j’imagine que vous brûlez
d’envie d’explorer l’île ! De mon côté, je dois travailler, je commence un
nouveau livre… Mais je suis certaine que vous trouverez de quoi vous
occuper.
Après un court silence, elle ajouta avec une pointe d’inquiétude :
– Surtout, ne vous blessez pas… Ou ne vous faites pas arrêter ! II n’y a ni
hôpital ni commissariat à Castle Key : il faut se rendre jusqu’au littoral, à
Carrickstowe… Et je n’ai pas de voiture.
Jack échangea un coup d’œil stupéfait avec Scott. Se faire arrêter ?
Comment une telle chose serait-elle possible sur l’île de l’Ennui mortel ?
– « Mauvaise haleine sur la voie publique », c’est un bon motif, marmonna
Scott.
Jack éclata de rire.
– Ou « Éternuement non contrôlé sur la voie publique » !
Scott rit à son tour.
Occupée à laver la vaisselle, tante Kate ne parut pas les entendre.
– Oh, et surtout, évitez de trop vous approcher du bord des falaises et du
château en ruine. C’est très dangereux !
Jack sentit soudain son cœur battre plus vite. Dangereux ? Elle avait bien
dit « dangereux » ? Enfin quelque chose d’intéressant !
– D’accord, on sera prudents, dit-il.
Mais il croisa fermement les doigts dans son dos.

1. Un cottage (prononcer « cottèdge ») est une petite maison souvent en pierre de taille, qui fait
penser à une chaumière moderne.
2

Le TrÉsoR
De CarriCkstOWe

S cott ajusta son sac à dos, laissa la porte du jardin se refermer


derrière lui et suivit Jack dans la ruelle de l’Église. Sous le soleil, le cottage
de tante Kate avait quand même l’air plus accueillant ! Quant au jardin, il
était tellement fleuri qu’il ressemblait à un économiseur d’écran ou à une
photo de calendrier…
Et ce calme, autour d’eux ! Impressionnant. Pas de voitures, pas de bus,
pas de piétons pressés, marchant leur portable collé à l’oreille… Ici, on
n’entendait que le chant des oiseaux.
Alors qu’ils passaient devant une vieille église entourée de tombes
recouvertes de mousse, Jack s’exclama :
– Ils sont peut-être tous morts d’ennui ?
Scott éclata de rire.
Ils dévalèrent le chemin qui descendait jusqu’au village et parvinrent dans
la rue principale…
Déserte.
Ils découvrirent néanmoins un pub, un marchand de journaux, et une
boutique qui vendait aussi bien des outils de jardinage que des bonbons et
des pantoufles de dame. Tous les magasins étaient fermés. Pourtant,
curieusement, Scott éprouva l’étrange sensation qu’on les observait.
– Bienvenue à Lugubre-City ! Admirez l’attraction numéro 1 : des herbes
sauvages volantes !
– Trop top ! renchérit Jack sur le même ton moqueur.
Puis, sourcils froncés, il ajouta :
– N’empêche, j’ai chaud et je meurs de faim.
– Déjà ?
Seul Jack pouvait être affamé seulement une demi-heure après avoir
englouti un énorme petit déjeuner.
– Et si on trouvait cette « crêperie-buvette sensas » dont papa nous a
parlé ? insista Jack. On pourrait s’acheter des glaces.
– Bonne idée.
Ils s’engagèrent dans l’allée des Poissonniers et arrivèrent sur le front de
mer. Ils ne tardèrent pas à repérer le petit restaurant « Chez Dotty ». Hélas,
les rideaux à carreaux rouges et blancs étaient tirés, et un écriteau précisait,
en lettres délavées, que c’était fermé.
Jack secoua la poignée de la porte.
– J’en ai maaaarre !
– On va trouver un autre endroit, dit Scott avec un calme imperturbable.
– Mais où ? Ici, il n’y a rien, rien du tout !
Non seulement Jack rêvait d’une glace mais, en plus, il détestait que Scott
paraisse aussi peu concerné…
Il se détourna et s’éloigna à grands pas rageurs.
– Où tu vas ?
– Nulle part !
Et, furieux, Jack continua à marcher. Quelques instants plus tard, il se
trouva nez à nez avec un mur…
Un stupide mur !
Il grimpa par-dessus…
Et atterrit sur une petite plage de galets. Il s’avança vers l’eau et laissa les
vaguelettes lécher le bout de ses baskets. Un peu plus loin, un vieux pêcheur
– vraiment très vieux, il était rabougri comme un fossile ! –, portant un bonnet
de laine en dépit de la chaleur, était assis dans un bateau à moteur amarré au
rivage. Il adressa un bref signe de tête à Jack puis reporta son attention sur
son filet de pêche.
Jack ramassa un galet et le lança à la surface de l’eau. La pierre ne fit pas
le moindre rebond : elle coula directement. Évidemment ! Ici, même les
galets étaient nuls !
Plus dépité que jamais, il s’assit par terre et réfléchit. Qu’allait-il faire,
maintenant ?
Manger… Oui, manger les bons sandwichs préparés par tante Kate !
À cette perspective, il se sentit déjà un peu réconforté.
Tout en croquant à belles dents un délicieux jambon-fromage agrémenté de
tomates, Jack examina les alentours. Un peu plus loin, des falaises
surplombaient la mer. Leurs parois ocre et déchiquetées paraissaient
vertigineusement hautes. Et au sommet de l’une d’elles se dressait la
silhouette d’une forteresse en piteux état…
L’endroit de tous les dangers dont tante Kate avait parlé !
Son moral remonta aussitôt en flèche.
À ce moment-là, Scott le rejoignit.
– Tu as envie d’aller tout là-haut ?
– À ton avis ?
– OK.
Jack sourit, agréablement surpris. En général, son frère hésitait toujours, au
moins un peu, avant de courir le moindre risque. De plus, là, tante Kate leur
avait expressément demandé d’être prudents ! Ils s’apprêtaient à désobéir…
Il scruta de nouveau les falaises.
– Ce sera difficile à escalader.
– Tu te prends pour Superman ? répliqua Scott. On ne va rien escalader du
tout !
Jack se renfrogna. Il aurait dû se douter que son frère se dégonflerait…
– Il y a une route qui monte au château en partant du village, j’ai vu le
panneau ! précisa alors Scott en s’éloignant d’un pas enthousiaste. Allez,
rapplique !
– Yes !
Et Jack le rattrapa aussitôt en courant.
Ils empruntèrent la voie des Châtelains qui grimpait en lacets jusqu’en haut
d’une colline escarpée. La côte était si raide qu’ils arrivèrent au sommet en
nage et essoufflés.
– J’espère que ça en vaut la peine, dit Jack en franchissant une grille de fer
forgé qui donnait sur un parking recouvert de gravier.
Le château, extrêmement délabré, se trouvait un peu plus loin.
– Oh, non ! s’écria-t-il en désignant un panneau qui indiquait « Fermé pour
travaux ». Dis-moi que je rêve !
– Même pas, marmonna Scott.
Et il se tapa la tête avec la paume de la main avant de s’affaler sur un
renflement de pierres couvert de mousse : sans doute un vestige des douves.
– C’est le seul endroit un tout petit peu intéressant à vingt kilomètres à la
ronde, et il est fermé !
La mort dans l’âme, Jack s’assit à côté de son frère et contempla les ruines
avec colère, comme si c’était leur faute. Il ne restait que deux des quatre
tours, et il n’y avait plus de toit. Les murailles n’étaient quasiment plus que
des éboulis, de même que les tourelles et une partie des remparts, de la même
teinte ocre que les falaises en contrebas.
– À quoi ils servent, leurs travaux ? Il n’y aura bientôt plus que de la
caillasse et…
Mais une voix de stentor retentit alors :
– Jeunes gens, soyez les bienvenus !
Jack et Scott aperçurent un homme qui traversait hâtivement le parking
pour les rejoindre. Il arborait une abondante chevelure blanche et ondulée,
séparée au milieu du crâne par une raie, qui révélait un front haut et lui
donnait l’air d’un vieux lion. Il portait des lunettes cerclées de métal au bout
de son nez busqué. Il s’approcha, tout sourire :
– Je suis Geoff Piggott, le conservateur du musée.
– Bonjour, dit Scott.
Il se leva et lui tendit poliment la main.
– Scott Carter. Voici mon frère Jack. On est…
– Je sais qui vous êtes. Impossible de rester incognito bien longtemps, par
ici ! Vous êtes les fils de Léo Carter. Je suis au courant des recherches qu’il a
entreprises en Afrique… Suivez-moi, même si le musée est fermé pour
l’instant, vous êtes mes invités !
Et tout en marchant, M. Piggott continua à parler archéologie. C’était
souvent comme ça, pensa Jack avec irritation. À cause du métier de leur père,
les gens supposaient d’emblée qu’ils étaient passionnés par les vieilles
pierres, les fouilles…
Quelques minutes plus tard, ils parvinrent devant une construction moderne
qui semblait jaillir des ruines du château.
– Et voici le musée, annonça fièrement M. Piggott. Il a été construit dans
les années 1980. Mais les bureaux et la salle des archives se trouvent à
l’endroit des cuisines d’origine et des caves de la forteresse. Nous sommes
en train d’installer un nouveau système de sécurité car nous accueillerons
bientôt un véritable trésor !
– Un… trésor ? répéta Jack.
Il imaginait soudain des coffres débordant de joyaux et de pièces d’or…
– Le fabuleux trésor de Carrickstowe, précisa M. Piggott. Un trésor de
l’époque des Saxons, déniché à quelques kilomètres d’ici ! Il semblerait qu’à
cette époque l’île de Castle Key ait été un lieu choisi pour y célébrer
certaines funérailles exceptionnelles…
Les yeux brillants, il ajouta :
– Ce trésor est l’une des découvertes les plus extraordinaires depuis celles
de Sutton Hoo2 ! Il a été exposé à Londres, au British Museum qui nous prête
quelques objets pour une exposition spéciale sur le lieu-source, si je puis
dire, de ces vestiges ! conclut-il d’un ton exalté. À propos des coutumes
funéraires des Saxons, il faut savoir qu’elles étaient extrêmement originales
dans cette région de la Cornouailles, où les Celtes se sont battus contre les
Saxons jusqu’à ce que…
Jack réprima un bâillement. M. Piggott allait-il continuer son cours encore
longtemps ? Heureusement, une petite vieille dame arriva à ce moment-là à
bicyclette. Elle portait un tablier à fleurs roses, un gilet fluorescent orange
par-dessus sa robe, et des baskets. Lorsqu’elle mit pied à terre, elle resta
voûtée, comme si elle s’appuyait encore sur le guidon. Puis elle sortit des
serpillières, des torchons et des brosses de la petite carriole attachée à son
vélo… Un vieux vélo ordinaire. Jack l’observa avec stupeur. Elle avait
grimpé la côte avec ça ? La classe !
– Je commence par nettoyer le hall, monsieur Piggott ! lança-t-elle en ôtant
son casque et en remettant ses boucles grises en place.
– Parfait, madame Loveday ! répondit-il. Mme Loveday est notre
gardienne, précisa-t-il à l’attention de Jack et Scott. Ou, devrais-je dire, notre
ange gardien ?
– Je vous préviens, si ce Pete Morley a encore sali mes plinthes avec de la
sciure, je le transforme en bouillie ! poursuivit Mme Loveday. Non mais, il
ne manquerait plus que ça…
Sur ce, elle se dirigea vers le musée d’un pas énergique.
– Elle a l’air, hum… autoritaire, commenta Jack.
M. Piggott ébaucha un sourire indulgent.
– Ah, Mme Loveday s’occupe de tellement de choses qu’elle est en
quelque sorte notre cheftaine ! confia-t-il en glissant les pouces dans les
passants de la ceinture de son ample pantalon de tweed.
Il regarda soudain Jack et Scott avec attention.
– Vous deux, je parie que vous auriez envie d’une bonne glace… Je crois
qu’il y en a dans le congélateur de notre boutique. Venez donc !
Et il les invita de nouveau à le suivre. Jack échangea un coup d’œil ravi
avec Scott…
M. Piggott ouvrit une porte qui se trouvait à l’arrière du bâtiment, et ils
pénétrèrent dans une salle qui ressemblait à un bureau. Jack remarqua aussitôt
la pile d’affiches posées sur une table, dans un coin. Impossible d’ignorer ce
qui y était inscrit ! Il en prit une et la montra à Scott.
– Tu as vu ?
En grandes lettres, on lisait : « Les merveilles du trésor saxon de
Carrickstowe au musée du Château ! »
Sous l’annonce, une photo montrait un bouclier en or étincelant, gravé de
figurines d’animaux extraordinaires, ainsi qu’un casque serti de pierres
précieuses – sans doute des rubis et de l’ambre. Au milieu trônait une
impressionnante épée au manche incrusté de joyaux.
– Waouh ! J’aimerais bien admirer ça en vrai, souffla Scott.
– On pourra sûrement puisqu’une expo est…
Jack s’interrompit car M. Piggott revenait vers eux en brandissant deux
sorbets à l’orange :
– Cadeau de la maison !
Puis, remarquant l’affiche que Jack tenait, il ajouta :
– L’inauguration a lieu jeudi prochain. J’espère que vous serez des nôtres !
Ces objets sont encore plus spectaculaires en vrai.
« Sûrement… Sauf que moi, je n’ai aucune envie de subir un nouveau cours
sur les funérailles à l’époque des Saxons ! » pensa Jack. Puis il songea que si
on leur offrait nouveau des glaces, ce serait peut-être quand même
intéressant…

2. Sutton Hoo, près de Woodbridge, est un site archéologique anglo-saxon où ont été mis au jour en
1939 un cimetière et un bateau funéraire datant du début du VIIe siècle.
3

Une Fille
pas Comme lEs AutRes

I
– ci, les gens sont préhistoriques ! se lamenta Jack tandis qu’ils
descendaient la route menant au village. Ils sont où, les jeunes ?
Sa bouche était orange vif à cause de la glace.
– Peut-être enfermés à double tour pour être transformés en esclaves,
plaisanta Scott en enfonçant les mains dans les poches de son jean.
Mais au fond, il n’avait pas envie de rire. Comme Jack, il s’ennuyait déjà à
mourir pendant ces vacances.
– On passe par là ? C’est sûrement un raccourci, dit Jack en sautant par-
dessus un muret qui donnait dans un champ de hautes herbes.
Un peu plus loin se tenait un troupeau d’imposantes vaches noir et blanc.
Elles tournèrent la tête vers Jack qui s’avançait tranquillement.
– Reviens ! s’écria Scott. Et si c’étaient des taureaux ?
– N’importe quoi ! Les taureaux ont des cornes et des anneaux dans le nez !
Viens, espèce de trouillard !
– Trouillard ? Moi ? s’indigna Scott.
Il était l’un des meilleurs défenseurs de son équipe de foot, et un tacle,
même sévère, ne l’avait jamais freiné. Sauf que, par moments, il aimait juste
être… prudent, voilà tout. Il évitait de courir des risques inutiles alors que
Jack, lui, fonçait sans réfléchir. D’ailleurs, à cet instant, son frère sautillait
joyeusement dans l’herbe tel un kangourou en ignorant le bétail attroupé à
quelques mètres.
À contrecœur, Scott s’engagea à son tour dans le pré…
Et ce qu’il redoutait ne tarda pas à se produire. Une vache meugla
bruyamment. Ses congénères l’imitèrent… Et soudain, toutes se mirent à
galoper vers eux ! Le sol vibrait sous le poids de leurs sabots.
Jack détala aussitôt. La gorge sèche, Scott accéléra, lui aussi. Ils allaient
se faire piétiner ! Il ferma brièvement les yeux, se préparant au choc…
Il ne se passa rien.
Rouvrant les paupières, Scott aperçut un petit chien marron et blanc, aux
poils longs et emmêlés, qui décrivait des cercles devant lui, à côté d’une
fillette brune. Il se précipita pour l’attraper par la main.
– Fuyons !
Mais la fille se dégagea et, d’un pied nu et bronzé, tapa par terre. Puis,
rejetant la tête en arrière, elle rit à gorge déployée. Son rire était cristallin et
vibrant comme le son d’un violon.
– Ce sont des génisses, pas des taureaux !
Elle tapa de nouveau sur le sol et, cette fois, les vaches se détournèrent
pour retourner brouter.
Scott se sentit soudain très ridicule.
– Tu vois que j’avais raison ! se moqua Jack en les rejoignant.
Et il s’affala dans l’herbe. Le chien, qui ressemblait à un mélange
d’épagneul, de jack russell et d’ourson, se mit à sautiller gaiement autour de
lui. Jack éclata de rire avant d’ajouter :
– Tu as eu la trouille, tu as eu la trouille ! Moi, je savais que ce n’était pas
des taureaux.
– Toi aussi, tu as eu la frousse, répliqua Scott.
La fillette s’assit près de Jack et les observa tous deux avec curiosité.
– J’imagine que vous ne voyez pas souvent de vaches, à Londres !
– Elles n’aiment pas trop le macadam, s’efforça de plaisanter Scott. Et
d’abord, comment tu sais qu’on vient de Londres ?
Elle émit de nouveau ce drôle de rire.
– Je vous file depuis ce matin. Puisque vous ne m’avez pas repérée, j’en
déduis que j’ai drôlement amélioré ma technique d’espionnage.
– Qu’est-ce que tu veux espionnager, ici ? demanda Scott, avant de se
rendre compte qu’il venait d’inventer un mot.
La mystérieuse fillette ne sembla pas s’en rendre compte.
– Il ne doit pas se passer grand-chose, par ici, ajouta-t-il.
– C’est ce que vous croyez ! Ce matin, c’était juste un peu tranquille parce
qu’on est dimanche, mais…
Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule comme si elle craignait
qu’on ne l’écoute, et poursuivit à voix basse :
– … il y a plein de trucs bizarres. M. MacElroy a peut-être un réseau
d’espions à la poste. Il y a des gens qui jouent illégalement pour gagner de
l’argent à la crêperie le vendredi soir… Et je ne vous dis pas tout !
Scott échangea un rapide coup d’œil avec Jack. Cette fille avait l’air un
peu frappadingue, mais sympa…
Et maintenant, il savait qu’il n’avait pas rêvé quand, dans la Grand-rue, il
avait eu l’impression qu’on les observait. C’était elle.
– Je m’appelle Emily Wild, annonça-t-elle. Et vous ?
– Moi, c’est Jack.
– Et moi, Scott.
Elle devait avoir à peu près l’âge de Jack, se dit Scott en la contemplant de
nouveau. Elle portait un vieux tee-shirt blanc et un short en jean. Avec ses
yeux très noirs et son petit menton volontaire, elle évoquait… un elfe. Peut-
être que ses longs cheveux bruns et bouclés cachaient des oreilles pointues !
– Et voici Drift, ajouta-t-elle en caressant affectueusement son chien. On
habite le phare.
– Le phare ? répéta Scott, surpris.
– Oui, au bout de la baie de Key !
Emily éclata de rire de nouveau.
– Vous ne l’avez pas remarqué ? Pourtant, il est énorme, avec des bandes
rouges et blanches et une grosse lumière tout en haut ! Il se trouve sur la
péninsule, là où c’est rocheux et escarpé, après le port.
Comme Jack et Scott gardaient le silence, Emily secoua la tête d’un air
malicieux.
– Vous, vous n’êtes pas observateurs !
– Ton père est le gardien du phare ? demanda Jack.
Scott remarqua que ses yeux brillaient. Son frère imaginait déjà des
histoires de tempêtes terribles, de contrebandiers et de naufrages !
– Pas du tout. Mes parents l’ont aménagé pour proposer des chambres
d’hôtes aux touristes, expliqua Emily. On a toujours beaucoup de monde en
été et, quelquefois, je les aide. On a parfois des clients super-intéressants :
des criminels internationaux en fuite, des gens qui mènent une double vie…
S’interrompant brusquement, Emily se leva d’un bond et ôta les brins
d’herbe collés sur ses jambes.
– Et si on allait à la rivière ? Il y a une balançoire géniale, vous verrez !
Sur ces mots, elle fila en courant à travers champ, suivie par Drift qui
bondissait à ses trousses.
– On arrive ! lança Jack.
Et il piqua un sprint derrière Emily.
Scott hésita un bref instant, puis il leur emboîta le pas. Au moins, Emily
était jeune !
Quand il les rattrapa, Emily était déjà suspendue à une corde accrochée à
la branche d’un saule pleureur, au bord d’une rivière à l’eau claire. Elle
s’élança et plongea en décrivant un arc parfait.
– Waouh ! Trop bien ! s’écria Jack en se débarrassant de ses baskets et de
ses chaussettes.
Quelques secondes plus tard, il atterrit, lui aussi, dans l’eau… plutôt très
froide, constata Scott du bout des doigts. Mais impossible de résister !
Pendant un bon moment, ils s’amusèrent ainsi tous les trois… Enfin, tous
les quatre, puisque Drift sauta et nagea avec eux. Puis ils s’allongèrent sur la
rive pour se sécher au soleil.
– Oui, oui, maintenant, il faut manger, dit alors Emily. Pas de problème,
j’ai ce qu’il faut.
Stupéfait, Scott échangea un coup d’œil avec Jack. Emily l’originale lisait-
elle en plus dans leur esprit ?
– Quoi ? Oh, vous croyiez que je pensais à vous ? s’écria-t-elle au même
instant. Mais non, je m’adressais à Drift, ajouta-t-elle en riant. Il parle avec
ses oreilles !
À cet instant, Drift en avait une, la noire, qui retombait sur son œil, tandis
que l’autre, blanche et mouchetée de brun, se tenait toute droite.
– Si je bouge aussi mes oreilles, j’aurai droit à quelque chose ? plaisanta
Jack.
Scott et Emily éclatèrent de rire.
– On a des sandwichs, rappela Scott.
Son frère se jeta dessus comme un vautour.
– Si tu en veux, Emily, dépêche-toi, parce que Jack va tout engloutir à la
vitesse grand V !
Mais Emily prit un téléphone portable dans son sac à dos et vérifia l’heure.
– Oups… Désolée, il faut que je vous laisse. J’ai du pain sur la planche. Si
vous voulez, demain, je vous emmène aux grottes du Vent-Huant ? ajouta-t-
elle en leur souriant.
– Les grottes du Vent-Huant ? répéta Jack. Quel drôle de nom !
– C’est parce qu’elles sifflent, précisa Emily.
– Sérieux ?
Il arrondit les lèvres et émit un long sifflement aigu.
– Comme ça ?
– Plus ou moins, tu verras, répondit Emily, l’air énigmatique.
– Et c’est où ?
– Dans le creux de la falaise du vieux château, en face d’une petite baie
entourée de rochers.
– Cool… Jack, on n’avait rien d’autre de prévu ? plaisanta Scott.
Mais Emily avait déjà disparu.
– Tout compte fait, on va être occupés… Enfin, un peu… commenta Jack
en s’allongeant dans l’herbe.
Il ferma les yeux, savourant la caresse du soleil sur son visage.
– Peut-être, admit Scott.
N’empêche, grâce à Emily et à Drift, l’île de Castle Key paraissait soudain
beaucoup plus intéressante !
4

Les GrOtteS
Du vEnt-Huant

E mily et Drift attendaient Scott et Jack sur un rocher, non loin du


phare. Son bateau – le Gemini – était amarré, prêt, ils n’auraient plus qu’à
ramer jusqu’aux grottes…
Sa matinée avait déjà été bien remplie : certaine que M. MacElroy
transmettait des messages codés à certains clients, Emily était restée une
bonne heure en planque derrière le présentoir de cartes de vœux de la poste.
Son objectif : surprendre son suspect en flagrant délit ! Hélas, elle n’avait
rien remarqué d’anormal. Elle était finalement repartie bredouille en se
promettant de découvrir, un jour, le pot aux roses !
Emily jeta un coup d’œil aux photos qu’elle avait prises avec son
téléphone portable pendant sa mission du matin. Parfois, un tout petit détail,
pas forcément apparent sur le moment, pouvait se révéler extrêmement
important durant une enquête…
Mais pour l’instant, il n’y avait rien à signaler. R.A.S.
Pour l’instant.
Elle songea alors qu’elle avait hâte de revoir Jack et Scott. Jack avait l’air
rigolo. Le plus grand, Scott, était cool, lui aussi, mais plus sombre. Plus
tendu, peut-être. C’était chouette qu’ils soient là… Pendant les vacances, ses
camarades d’école étaient absents, si bien qu’elle se retrouvait toute seule.
Enfin, presque toute seule : avec Drift, elle était toujours en bonne
compagnie !
Emily regarda à travers ses jumelles. De là où elle se trouvait, elle
apercevait le port dans sa totalité. Elle remarqua successivement trois
bateaux qui rentraient d’une nuit de pêche, un chat en train de farfouiller dans
une poubelle… Et deux hommes sortant de « Chez Dotty », des gobelets de
café à la main. Elle reconnut les agents de sécurité qui veillaient sur le trésor
de Carrickstowe, au château. Ah, et enfin, elle repéra ses nouveaux amis ! Ils
marchaient le long de la plage. Scott, longiligne, avançait d’une démarche
nonchalante, un peu voûté, tandis que Jack bondissait, plein d’énergie, en
faisant valser des cailloux…
Drift se précipita à leur rencontre en remuant la queue. Il était
manifestement content de les voir… Ce qui voulait dire que Scott et Jack
devaient être sympas. Drift savait très bien juger les gens.
– Salut ! s’écria Emily. Allez, on file aux grottes !
Et sans attendre de réponse, elle détacha l’amarre du Gemini et poussa
l’embarcation dans l’eau. Scott l’aida aussitôt.
– Pourquoi on n’y va pas à pied ? s’étonna Jack.
– On perdrait trop de temps !
Puis Emily le dévisagea avec attention.
– Tu as peur de l’eau ?
– Bien sûr que non ! répondit aussitôt Jack.
Mais il ne précisa pas que, contrairement à Scott, il ne nageait pas très
bien.
– J’ai hâte d’entendre le sifflement de ces grottes… reprit-il pour changer
de sujet, en s’installant dans le bateau.
– À mon avis, ce ne sera pas vraiment un sifflement, dit Scott. J’imagine
plutôt une sorte de bruit léger comme il y en a dans les fils d’électricité, à
cause du vent…
Jack le contempla avec perplexité. Depuis quand Scott était-il expert en
sons ? Mais à ce moment-là, une voix masculine déclara juste derrière lui :
– Vous verrez ce que vous verrez !
Se retournant, Jack reconnut le vieux pêcheur qu’il avait aperçu la veille.
Sa peau était aussi brune et craquelée que du vieux cuir, et il portait toujours
son bonnet de laine. Il lança un clin d’œil à Emily et reprit d’un ton animé :
– Je suis passé à côté après avoir pêché, je vous garantis que nos grottes
sont en pleine forme !
Il cligna des yeux pour regarder les ruines du château en haut de la falaise,
et les contempla d’une manière si intense que Jack se demanda s’il n’était pas
hypnotisé. Mais le vieil homme reprit alors d’une voix songeuse :
– On a un dicton, par ici : « Grottes silencieuses, château soucieux… »
– Château… soucieux ? répéta Jack. Ça veut dire qu’il y a des problèmes ?
C’est déjà arrivé ?
– Oh, pas depuis 1385, confia le vieux pêcheur. Allez-y… Avec Emily,
vous êtes en sécurité !
Et il s’éloigna en les saluant d’un geste amical.
Tous trois étant à bord du Gemini, Emily commença à ramer avec énergie.
– C’est le vieux Bob, dit-elle. Il est pêcheur à Castle Key depuis…
– … 1385 ? plaisanta Jack.
– Environ, oui, répondit-elle en riant.
Jack jeta un coup d’œil autour de lui. Le soleil se reflétait sur la surface de
la mer qui scintillait, comme constellée de sequins. Drift se tenait à l’avant
du bateau – à la proue ainsi que l’avait précisé Emily –, ses pattes bien
positionnées afin de rester stable, ses oreilles flottant au vent. À leur gauche,
la pointe rocheuse de l’île semblait s’avancer dans la mer comme un doigt
géant et noueux. Ce promontoire naturel offrait des parois abruptes à
souhait… Lui, préférait nettement l’escalade à la natation !
– Tu veux ramer ? lui proposa Emily.
– OK.
Jack ne l’avait jamais fait de sa vie, mais ça ne devait pas être très
compliqué. Un coup à droite, un coup à gauche, et hop… Malgré tout, Emily
lui montra comment tenir les rames avant de les lui confier.
– À toi, maintenant, dit-elle en s’asseyant, un grand sourire aux lèvres.
Confiant, Jack empoigna les rames… Mais la première décolla
littéralement de l’eau et manqua d’assommer Scott sur la tête ; l’autre refusa
de bouger. Lorsqu’il réussit à les actionner, ils se mirent à tourner en rond.
Scott et Emily furent saisis d’un même fou rire.
– Vous trouvez ça drôle ? marmonna Jack.
Il se concentra, essaya encore… Et réussit enfin à contrôler le bateau. Ils
se dirigèrent alors lentement vers la baie en longeant la côte rocheuse.
Au bout d’une dizaine de minutes, Jack eut mal aux bras et Scott le
remplaça. Mais il fut encore moins doué que son frère ! Emily finit par
reprendre les rames et les garda jusqu’à la fin, guidant habilement
l’embarcation le long des rochers escarpés. Ils s’approchèrent peu à peu des
falaises dont les parois plongeaient dans l’eau.
– Voilà les grottes du Vent-Huant ! indiqua Emily.
Elle désigna de vastes cavernes sombres qui semblaient creusées à même
la roche. Leur forme déchiquetée évoquait la gueule d’un monstre.
– On va les entendre siffler d’une minute à l’autre !
Intrigués, Scott et Jack tendirent l’oreille. Ils entendirent le cri des
mouettes, le bruit du ressac, le claquement des rames contre la coque…
Mais pas le moindre sifflement.
Au bout de quelques secondes, Emily fronça les sourcils.
– C’est bizarre…
Elle empoigna les rames et rapprocha le bateau des grottes.
– Très bizarre. C’est sans doute à cause de la direction du vent…
5

Le siLenCe
Des GrotteS

D
« es grottes qui sifflent ! Je savais bien que c’était n’importe quoi ! »
pensa Scott. Malgré tout, il se sentait un peu déçu.
– C’est quel genre de sifflement, exactement ? demanda Jack. Comme le
coup de sifflet d’un arbitre à la mi-temps ? Plus grave, comme une
vuvuzela3 ?
Mais Emily secoua la tête d’un air triste. Elle enfouit brièvement le visage
dans le creux de ses mains, et ses longs cheveux s’éparpillèrent sur ses
genoux.
– Ce matin, elles sifflaient… Le vieux Bob l’a dit ! murmura-t-elle en se
redressant. Ce n’est encore jamais arrivé…
– En tout cas, pas depuis 1385 ! compléta Jack.
Et il éclata de rire.
Emily se rembrunit encore plus, presque au bord des larmes. Drift poussa
un gémissement et, les oreilles basses, posa une patte sur la cuisse de la
fillette, comme pour la consoler.
Scott éprouva de la peine pour Emily. Elle avait semblé si sûre d’elle ! Il
faillit siffler un air, histoire d’alléger l’atmosphère, mais se ravisa. Il l’aimait
bien, Emily. Il l’aimait même beaucoup. D’accord, elle se prenait pour la
petite sœur de James Bond… Et alors ? Elle était chouette…
Et décidément, très originale et attachante.
– Ce n’est pas grave, Emily… C’est super-beau, ici, ça valait le
déplacement !
Emily le gratifia d’un pâle sourire.
– Oh, attendez, je crois que j’entends quelque chose ! s’écria Jack.
Ils se turent, écoutèrent…
– Non, désolé, c’était juste une mouette.
– Allez, on s’en va, dit Emily d’un ton dépité.
Elle empoigna les rames et les actionna avec une telle énergie que le
Gemini faillit chavirer…

Une demi-heure plus tard, alors qu’ils amarraient l’embarcation au bord de


la petite crique non loin du phare, Jack ne pensait déjà plus aux grottes. Il
avait chaud, soif et faim. Quand Emily les invita à venir manger quelque
chose chez elle, il n’hésita pas une seule seconde !
– Maman prépare toujours un buffet pour nos clients. Il y aura sûrement des
restes, dit Emily en s’engageant dans un escalier étroit, taillé à même la
pierre.
Les marches escarpées avaient dû être imaginées pour des chèvres de
montagne kamikazes ! Malgré tout, Jack grimpa avec allégresse en pensant au
mot magique : « Buffet ». Dans son esprit se dessinaient des assiettes de
poulet rôti froid, de friands à la saucisse, des meringues, des éclairs au
chocolat…
De loin, le phare ressemblait à une construction en Lego rouge et blanche.
Mais de près, on s’apercevait que c’était un bâtiment imposant, étonnamment
compact, qui semblait avoir jailli des rochers. Une lourde porte en bois
s’ouvrait sur une pièce circulaire, spacieuse et chaleureuse : il y avait de
nombreux canapés, des tapis moelleux, des lampes de toutes sortes. Les murs,
incurvés, étaient décorés de tapisseries et de tableaux aux couleurs gaies. On
avait l’impression de pénétrer à l’intérieur d’un kaléidoscope géant ! Au
centre s’élevait un escalier en colimaçon. Jack s’en approcha, leva la tête et
eut le vertige tellement il était haut.
– On a neuf étages, précisa Emily. Ici, c’est le hall d’accueil et le salon des
invités. La cuisine est à l’étage suivant, ensuite il y a trois chambres d’hôtes –
chacune à un étage –, puis notre salon à nous, la chambre de mes parents, et
notre salle de bains. Ma chambre est au sommet, sous la salle de la lanterne.
J’ai un panorama à trois cent soixante degrés !
– Trop cool ! s’exclama Jack.
Emily sourit.
– C’est juste un peu bruyant quand il y a une tempête ! Et je n’ai pas intérêt
à oublier quelque chose en bas, parce qu’il y a cent vingt marches à
descendre et à monter ! Sinon, oui, c’est super-cool.
Jack répondit à son sourire, heureux de voir Emily retrouver le moral
après l’épisode des grottes du Vent-qui-ne-hue-pas. Être triste, ça ne lui allait
pas ! Bon, où était ce buffet ?
Comme en réponse à son interrogation, Emily les invita à la suivre en
contrebas du salon d’accueil, dans une véranda ensoleillée. De cet endroit
totalement vitré, la vue sur les falaises, l’océan et le ciel était à couper le
souffle…
Le buffet également, constata Jack en découvrant la grande table garnie.
Pas de poulet rôti… En revanche, il y avait des friands, des pâtés, des
pommes de terre rissolées, du jambon, des tapas à l’espagnole, et une
foultitude de desserts. Décidément, l’île de la Morosité se transformait en île
du Bonheur !
– Servez-vous, dit Emily.
– Trop bien ! fit Jack.
– Génial… renchérit Scott.
Ils remplissaient leurs assiettes quand une femme les rejoignit d’une
démarche énergique. Elle portait une robe de coton violet, et ses longs
cheveux noirs étaient enroulés dans un foulard à franges. Elle leva une main,
paume ouverte et doigts écartés, simulant un check pour les saluer :
– Bonjour ! Hola ! Bienvenue au phare de Castle Key. Faites comme chez
vous et mangez à votre faim !
Puis elle ramassa une pile de draps posée sur une chaise et repartit aussi
vite qu’elle était arrivée.
– Maman est espagnole… Et c’est une artiste, précisa Emily.
« On s’en serait douté », pensa Jack en échangeant un coup d’œil avec
Scott.
Quelques instants plus tard, la porte d’entrée s’ouvrit à la volée et un
homme de haute stature s’engouffra dans la salle.
– Dis, Emski, tu n’aurais pas vu ma pince ? Le robinet de la chambre n° 2
fuit de nouveau…
Il s’interrompit en voyant les garçons et esquissa un bref signe amical.
– Salut, les jeunes ! Ravi de vous rencontrer !
Puis il se dirigea vers la salle adjacente, à la recherche de sa pince…

« J’ai déjà vu cet homme quelque part », songea Scott. Oui, il était certain
de l’avoir déjà croisé… Mais où ? Ses longs cheveux gris noués en une fine
queue-de-cheval, son nez aquilin, ses yeux bleus…
Oui, mais bien sûr, il s’agissait de Seth Wild, le guitariste du groupe Panic
Mode ! Waouh ! Non que Scott soit un fan du rock des années 1980 mais, à
son époque, Seth Wild avait été une légende…
– Ton père, c’est carrément Seth Wild ! chuchota-t-il à Emily. Pourquoi tu
ne nous l’as pas dit ?
– Tu ne m’as pas posé la question, répliqua Emily avec un sourire
moqueur. Papa, il se passe quelque chose de bizarre…
Seth Wild les rejoignait au même instant.
– Quoi donc ? demanda-t-il d’un air distrait.
– Les grottes ne sifflent plus !
– Ha, ha, ha ! Très drôle. Les gars, faites attention, ma fille a une
imagination débordante.
– Mais elle dit la vérité, répondit Jack. On y est allés et on n’a rien entendu
du tout.
– Alors, c’est que vous êtes sourds comme des pots ! s’esclaffa Seth. Ces
grottes font un boucan du diable… Et question volume sonore, je m’y
connais !
Emily haussa les épaules, l’air maussade.
– Et voilà, personne ne me croit… Ça ne devrait même pas m’étonner.
– Mais si, nous, on te croit ! affirma Jack. Pas vrai, Scott ?
– Oui, oui…
– Alors, allons voir le vieux Bob ! lança Emily en se dirigeant vers la
porte. Lui, il saura peut-être ce qui se passe…
Aussitôt, Drift bondit à ses pieds.
– Tu crois qu’on va le trouver ? Il n’est pas reparti pêcher ? demanda Jack.
Emily secoua la tête.
– Pas le lundi midi. Il aime manger sa soupe à la tomate et boire son thé à
la crêperie de Dotty. Vous venez ?
Jack et Scott lui emboîtèrent aussitôt le pas.

Contrairement à la veille, le restaurant était ouvert… et bondé. Comme


Emily l’avait prédit, le vieux Bob s’y trouvait, installé à une table près de la
baie vitrée.
Dotty… À cause de ce prénom plutôt démodé, Jack avait imaginé une
vieille femme aux cheveux permanentés et marchant avec une canne. Mais en
réalité, Dotty était jeune, jolie et vêtue d’une robe rose à pois blancs.
Jack repéra aussitôt l’assortiment de gâteaux dans la vitrine. Après tout, ils
étaient partis de chez Emily sans avoir pris leur dessert !
– Sensas !
Et il se frotta les mains, imitant le geste enthousiaste de leur père.
– Trop sensas ! renchérit Scott.
– Sensas ? répéta Emily d’un air perplexe. Vous dites ça, à Londres ?
Jack éclata de rire.
– Non, c’est une blague de famille.
Puis, reportant son attention sur les pâtisseries, il choisit un volumineux
muffin au chocolat, qu’il accompagna d’un grand soda.
Munis de leurs plateaux, ils s’assirent à côté du vieux Bob qui leur adressa
un signe amical avant de regarder Emily.
– Qu’est-ce qu’il y a, ma petite Emily ?
– Un sérieux problème dans les grottes, lui apprit-elle à voix basse. Elles
ne sifflent plus !
Le visage du pêcheur s’assombrit aussitôt. Mais avant qu’il ait pu
répondre, la porte de la crêperie s’ouvrit à la volée, et une vieille femme
s’engouffra dans la salle d’un pas décidé. Jack la contempla fixement, certain
de l’avoir déjà vue quelque part… Ah oui, c’était la gardienne du château qui
avait débarqué à vélo avec sa carriole, ses serpillières et ses brosses…
Comment s’appelait-elle, déjà ? Mme Love-quelque chose…
– Oooooh ! Je suis toute sens dessous dessus ! annonça-t-elle à la
cantonade. Je frôle la frise de nerfs !
– C’est Mme Loveday, dit Emily, surprenant le coup d’œil qu’échangeaient
Jack et Scott.
– Ce mac-mic au château ! ajouta Mme Loveday d’une voix tremblante. Il
ne manquait plus que ça !
Jack songea subitement au dicton dont leur avait parlé le vieux Bob.
Qu’est-ce que c’était, déjà ? « Si les grottes cessent de siffler, le château sera
attaqué », ou un truc de ce genre. Et si c’était vrai ? Un frisson d’excitation le
parcourut. Là, franchement, ce serait géant… Mille fois mieux qu’un jeu
vidéo !
Un silence total régnait à présent dans le restaurant. Tous les yeux étaient
rivés sur Mme Loveday.
– Vraiment, il ne manquait plus que ça ! répétait-elle en se tapotant le
cœur. Quelle catastrophe !
Contournant le comptoir, Dotty voulut la prendre dans ses bras pour la
réconforter, mais la vieille dame s’écarta en s’écriant :
– Le trésor de Carrickstowe a été pillé ! Le bouclier d’or a été dérobé !
– Comment ? s’exclama Dotty. Le bouclier ? Volé ?
– Volé, oui ! Et sous notre nez, en plus ! On était là ! Ooooh, il ne manquait
plus que ça…
– « Grottes silencieuses… », murmura le vieux Bob.
– « … Château soucieux », compléta Emily.
Jack sentit son pouls s’accélérer. C’était tellement inattendu… L’île de
l’Ennui mortel devenait l’île de l’Aventure suprême !

3. Un vuvuzela est un instrument de musique en forme de corne qui émet un son proche du
bourdonnement.
6

Vive l’AventuRe !

L
dérobé…
e trésor de Carrickstowe avait été pillé… Le bouclier avait été

Oh ! là, là !
Emily avait du mal à contenir sa surexcitation. Elle aurait enfin une vraie
grande mission de détective, comme elle en rêvait depuis toujours !
« Mon autre enquête, je l’oublie pour l’instant », décida-t-elle. Puis elle se
demanda si elle allait collaborer avec Jack et Scott. En général, elle
travaillait seule. C’était plus facile pour s’organiser, se cacher, épier… En
même temps, bien conseillés – et ce serait son rôle de le faire ! –, ses
nouveaux amis pourraient se montrer utiles. À leur expression, elle devinait
qu’ils mouraient d’envie de partir à l’aventure avec elle !
Emily regarda de nouveau Mme Loveday qui, tremblante de nervosité,
venait d’être installée à une table d’angle. Dotty lui servait une tasse de thé
accompagnée d’une brioche à la confiture.
– Pssst ! lança Emily à Jack et Scott. Venez, on ne doit pas traîner !
Ses nouveaux amis ne se le firent pas dire deux fois.
Ils empruntèrent le raccourci qui coupait à travers le champ des vaches, et
grimpèrent si vite qu’ils parvinrent au château moins de vingt minutes plus
tard. Emily repéra aussitôt le meilleur endroit pour observer les alentours :
un bosquet de houx au coin du parking. Ils se dissimulèrent derrière les
branchages touffus.
– À l’affût ! ordonna-t-elle à mi-voix.
Aussitôt, Drift s’assit à ses pieds, oreilles aux aguets.
Un ruban orange caractéristique des scènes de crime barrait l’accès au
château. Un véhicule de police était garé non loin. Emily en reconnut la
plaque d’immatriculation : l’inspecteur Hassan se trouvait donc déjà sur
place…
À quelques mètres se tenaient les deux agents de sécurité qu’elle avait déjà
vus ce matin. Là, adossés au capot de leur voiture, ils discutaient tout en
sirotant un soda. Le premier était grand, le teint mat, et extrêmement musclé
comme quelqu’un qui pratique l’haltérophilie. Le second était tout l’inverse :
dodu, le visage pâle et constellé de taches de rousseur, les cheveux raides.
– Tu n’aurais pas donné le code du coffre à quelqu’un, par hasard ?
demandait-il à son collègue.
– Tu me prends pour un imbécile ? répondit M. Muscles.
– Ne t’énerve pas ! Tu sais très bien que la police va nous poser cette
question. On doit être certains ne pas avoir enfreint de règle, d’avoir suivi la
procédure…
– C’est le cas. Tout était parfaitement normal quand on a fait notre ronde
dans la salle des archives à 10 heures. Sauf que lorsqu’on a vérifié le coffre
principal à midi, le bouclier avait disparu. Voilà ! Que veux-tu ajouter de
plus ?
Les agents se turent, et Emily reporta son attention sur une jeune femme
vêtue d’une élégante robe bleue, en hauts talons, qui sortait du musée à ce
moment-là. C’était Victoria White, qui habitait la ferme de Roshendra, à
l’intérieur de l’île. Après ses cours à la fac, Vicky avait déjà travaillé au
phare pour aider ses parents durant la saison d’été. Mais cette année, elle
avait été embauchée par M. Piggott : elle s’occupait de la publicité
concernant la nouvelle exposition.
– La police veut vous voir tout de suite ! annonça-t-elle aux deux agents,
qui filèrent aussitôt à l’intérieur du musée.
Puis elle s’installa au volant d’une petite voiture rouge avec un drapeau
britannique peint sur le toit.
Emily sortit son carnet, créa une nouvelle rubrique et écrivit :
Lieu du vol : coffre principal de la salle des archives. Heure du délit :
entre 10 h 15 et midi.
Jack jeta un coup d’œil à ce qu’elle venait d’inscrire.
– Tu t’es trompée. Les agents ont dit qu’ils ont vérifié le coffre à
10 heures, pas à 10 h 15.
Emily sourit.
– Règle numéro 1 du bon enquêteur : ne jamais croire tout ce qu’on entend.
Ils étaient peut-être censés faire cette vérif à 10 heures… Mais moi, je les ai
vus quitter la crêperie à 10 h 03 précisément… Même qu’ils emportaient des
cafés ! Il faut environ douze minutes pour remonter au château en voiture,
donc le vol a dû être commis après 10 h 15.
– Élémentaire, mon cher Watson, dit Scott en souriant.
Il frotta son pantalon pour ôter des feuilles de houx qui s’y étaient collées.
– Pendant qu’on ramait comme des galériens jusqu’aux grottes du Vent-
plus-huant-du-tout, quelqu’un a réussi à entrer dans la salle des archives et
s’est servi dans le super-trésor saxon qui…
Il s’interrompit en entendant des roues crisser sur le gravier.
– Vite ! fit Emily.
Ils se cachèrent de nouveau derrière le bosquet de houx. Scott étouffa un
gémissement de douleur : des feuilles lui avaient éraflé le bras.
Une vieille dame arrivait à bicyclette, à vive allure…
– Mme Manquait-Plus-Que-Ça ! chuchota Jack.
– Ça tombe bien, Mme Loveday est l’une de mes meilleures informatrices,
dit Emily. Suivez-moi… Et ayez l’air cool !
Contournant le buisson, elle se dirigea vers la vieille dame d’une
démarche décidée. Jack, Scott et Drift la suivirent…
Ayez l’air cool… Pour Jack, cela signifiait marcher les mains dans les
poches, le regard levé vers le ciel en sifflant silencieusement. « Si
j’appartenais à la police, je l’arrêterais aussitôt ! » pensa Scott en regardant
son frère.
– Bonjour, madame Loveday ! lança Emily d’une voix chaleureuse. Vous
n’êtes quand même pas déjà revenue travailler ? Après le choc que vous
venez de subir…
– Oh, Emily ! Bonjour, ma puce…
Mme Loveday soupira en descendant de vélo.
– Les policiers voudront sûrement m’interroger. Je suis le témoin
principal, tu comprends ? Je me trouvais sur place quand le bouclier a été
volé… Exactement durant le rivage horaire correspondant au crime !
– Vous voulez dire la plage horaire ? rectifia Scott.
– Oui, oui… Entre autres.
– Alors vous aurez beaucoup à leur dire ? insista Emily.
La réponse de Mme Loveday résonna depuis le fond de sa carriole où elle
farfouillait pour trouver quelque chose :
– Beaucoup ? Peut-être ! Les racontars et moi, vous savez…
Et la vieille dame se redressa en tenant un carton rempli de serviettes en
papier.
Scott ne put s’empêcher de sourire. Il avait déjà entendu cette phrase… À
Londres, leur voisine la répétait régulièrement, mais ça ne l’empêchait pas de
colporter des tas de rumeurs.
– Je peux vous aider ? proposa-t-il poliment en lui prenant le carton.
Mme Loveday lui adressa un sourire rayonnant.
– Merci ! Quel gentil garçon !
« Ça marche à tous les coups », songea Scott en donnant le carton à Jack si
rapidement que son frère n’eut pas le temps de protester.
– Vous auriez peut-être certains faits à révéler aux policiers, insista-t-il.
– Oh que oui !
Et Mme Loveday émit une sorte de gloussement, comme si ce qu’elle
savait était aussi grave que surprenant.
– Je déteste les commérages, vraiment, mais la vérité finira par éclater au
grand jour ! Ce Pete Morley, vous savez – et il se prétend menuisier –, eh
bien, il a été en prison.
M. Piggott est beaucoup trop tolérant ! Il n’aurait peut-être pas dû embaucher
un éléphant criminel comme lui.
Un éléphant criminel ? « Elle veut dire un élément criminel », pensa
Scott, réprimant un fou rire.
Mme Loveday baissa la voix en ajoutant :
– Et cette Victoria White, hein ? Elle ne vaut pas tellement mieux ! Elle est
tête en l’air, et elle empêche les hommes de se concentrer avec ses manières
de séductrice !
– Et M. Piggott ? demanda Jack, qui tenait toujours le carton de serviettes.
La vieille dame écarquilla les yeux avec horreur, comme s’il venait de
suggérer que le pape lui-même aurait pu voler le bouclier.
– Notre cher M. Piggott a travaillé toute la matinée dans son bureau ! Et il
a passé des appels téléphoniques extrêmement importants ! Non que j’aie
écouté ses conversations… Mais comme je nettoyais les poignées de porte
dans le couloir, je l’ai entendu, forcément !
Jack, Scott et Emily échangèrent un rapide coup d’œil. Mme Loveday avait
astiqué les poignées pendant deux heures ? Il ne devait en rester que des
miettes !
– Y avait-il d’autres personnes au château, ce matin ? s’enquit Emily.
– Seulement une vieille dame : moi, répondit Mme Loveday.
Elle ébaucha un sourire.
– Mais sincèrement, que ferais-je d’un bouclier de l’époque des Saxons ?
Je ne pourrais même pas l’accrocher au-dessus de ma cheminée pour décorer
mon salon, ça n’irait pas avec les trophées de golf de mon mari !
Et elle pouffa de rire. À ce moment-là, la porte du musée s’ouvrit, et
l’inspecteur Hassan parut sur le seuil. Grand et musclé, vêtu d’un élégant
costume gris, il remplissait l’encadrement de la porte tel un grizzli. Lorsqu’il
prit la parole, sa voix sembla résonner étrangement sous son épaisse
moustache noire :
– Nous sommes prêts à vous écouter, madame Loveday…
Puis, remarquant Emily, il ajouta :
– J’espère que tu n’as pas ennuyé Mme Loveday en lui posant des tas de
questions à propos du vol ?
Il semblait sourire mais, à son intonation, on comprenait qu’il la mettait en
garde.
– C’est une enquête beaucoup trop sérieuse pour que des enfants s’en
mêlent, conclut-il. Emily afficha une mine innocente.
– Oui, inspecteur Hassan…
– Ne vous inquiétez pas, inspecteur Hassim ! s’exclama alors
Mme Loveday. Je ne leur ai strictement rien dit. Motus et bouche cousue !
Merci de ton aide, ajouta-t-elle à l’attention de Scott.
Puis elle reprit le carton de serviettes que tenait Jack sans le remercier, lui.
– De rien, marmonna Jack.
7

PremieRs SuspeCts

D ès que Mme Loveday se fut éloignée, Emily guida Jack et Scott


jusqu’aux caves du château, qu’elle connaissait visiblement très bien. Ils
traversèrent un passage voûté, descendirent des marches usées par le temps,
et parvinrent devant un mur dans un tel état de délabrement qu’une ouverture
s’était creusée au milieu. Ils s’y engouffrèrent…
Et débouchèrent au bas d’une tour ronde : un endroit sombre, à peine
éclairé par les meurtrières trouant la muraille.
– Et voici ma cachette préférée ! annonça fièrement Emily. J’y viens depuis
des années.
– Trop cool ! dit Jack.
– Tu es sûre qu’on a le droit d’être ici ? s’inquiéta Scott.
– Le château est fermé au public, mais on ne fait rien de mal, affirma
Emily.
Elle récupéra un paquet de gâteaux qu’elle avait caché dans une fente, et
s’assit devant un tas de pierres soigneusement empilées. Elle y posa son
carnet et commença à étudier ses notes.
– Au fait, j’aurais aimé que tu dises à Mme Manquait-Plus-Que-Ça que
c’était moi qu’elle devait remercier, lança alors Jack à son frère.
– J’étais occupé à l’interroger, je te signale, répliqua Scott.
– Et moi, je me suis retrouvé comme un imbécile, avec son carton de
serviettes !
– Arrêtez ! s’écria Emily. J’essaie de me concentrer ! On a un mystère à
résoudre, au cas où vous l’auriez oublié !
Jack et Scott se figèrent aussitôt, penauds. Jack prit un biscuit fourré à la
vanille et regarda autour de lui. Quel endroit extraordinaire ! Par les
meurtrières, on voyait le paysage à des kilomètres à la ronde. À travers les
trous du toit, on apercevait des mouettes qui volaient dans le ciel bleu, prêtes
à plonger pour pêcher. Le soleil se reflétait comme des rayons laser sur les
parois fissurées. C’était… trop, trop bien !
Emily reprit la parole :
– Alors, nos principaux suspects sont :
1 – Pete Morley
2 – Victoria White
3 – M. Piggott
4 – Mme Loveday
5 – L’agent de sécurité numéro 1 (l’homme aux taches de rousseur)
6 – L’agent de sécurité numéro 2 (M. Muscles)
– On n’en a que six ? s’étonna Jack.
– Mme Loveday n’a remarqué personne d’autre. Sinon, elle nous l’aurait
dit, souligna Scott.
– Et on doit commencer avec les gens qui, sans aucun doute possible, se
trouvaient sur place ce matin, ajouta Emily. Ensuite, on va éliminer…
– Opération é-li-mi-na-tion ! l’interrompit Jack en faisant mine d’actionner
une mitraillette.
Emily éclata de rire.
– … les innocents, compléta-t-elle.
– Logique, dit Jack.
Et il pointa son arme imaginaire à travers une meurtrière. Son regard
balaya la paroi abrupte de la falaise : elle tombait en à-pic sur le rivage
rocheux balayé par les vagues, une centaine de mètres plus bas. Personne ne
pouvait grimper jusqu’au château depuis la baie en contrebas, c’était sûr.
– Oups, je dois me dépêcher, ajouta Emily en jetant un coup d’œil à la
montre qu’elle venait de sortir de son sac. Il faut que j’aille aider maman à
préparer le dîner… Mais avant, mettons-nous d’accord sur notre plan.
« Manger, c’est un bon plan ! » pensa Jack.
– Oui, mettons-nous d’accord, répéta Scott, comme si c’était son idée.
– On va suivre chaque suspect, proposa Emily. Le but, c’est de découvrir,
pour chacun, un motif.
– Tout le monde a un motif, non ? objecta Jack. Le bouclier vaut des
millions ! On voit bien, sur la photo de l’affiche, qu’il est énorme et tout en
or.
Scott lui adressa son regard signifiant « Arrête de faire ton malin », et que
Jack détestait.
– Ce n’est pas si simple que ça, dit Scott. Il faut vraiment avoir besoin de
cet argent pour prendre le risque de voler quelque chose d’aussi précieux, et
ensuite, il s’agit de trouver un acheteur ! Ce n’est pas le genre de chose qu’on
peut vendre sur eBay ! Imagine l’annonce :
« Véritable bouclier de l’époque saxonne, ayant beaucoup servi mais en
parfait état. Prix : inestimable. »
Emily poursuivit comme si elle ne les avait pas entendus :
– On doit également vérifier les alibis de tous les suspects pendant la
matinée. Qui aurait pu aller dans la salle des archives tout seul, par
exemple ?
Elle jeta un coup d’œil à sa liste.
– Pour l’instant, on ne s’occupe pas des agents de sécurité. Comme je
connais Vicky White, je l’interrogerai. Je sais aussi où Mme Loveday habite,
je pourrai la surveiller.
– Parfait ! Jack et moi, on se chargera de Pete Morley et de Geoff Piggott,
décida Scott.
Jack contempla son frère avec stupeur. Il était sérieux, là ? Comment
réussiraient-ils à enquêter sur ces deux individus dont ils ignoraient
absolument tout ? Sans l’aide d’Emily, en plus ?
– Si tu ne le sens pas, dis-le, lança Scott d’un ton un peu moqueur. Je
comprendrais que ce soit trop difficile pour toi.
– Je viendrai vous donner un coup de main dès que j’aurai terminé ma
partie, proposa Emily.
Jack serra les dents. Ce n’était pas trop difficile…
Enfin si, quand même un peu.
– Ne t’inquiète pas, on se débrouillera, affirma-t-il en espérant paraître
confiant.
Emily sourit et sortit son portable de son sac.
– On échange nos numéros ? On s’appellera demain pour faire le point,
disons à… midi, ça vous va ?

Tante Kate posa sur la table un impressionnant plat de lasagnes – il y avait


de quoi nourrir huit adeptes de body-building ! – et une corbeille de pain à
l’ail.
– Alors, racontez-moi, vous avez passé une bonne journée ?
Scott remplit son assiette en réfléchissant. Depuis ce matin, il avait dû
ramer… et tourné en rond. Il était censé écouter des grottes siffler… mais
n’avait strictement rien entendu. Il s’était caché derrière un bosquet de houx
qui l’avait piqué, et aidé une vieille pipelette à porter un carton de serviettes.
Il n’avait pas fait de guitare ni joué à aucun jeu vidéo. Y avait-il là les
ingrédients d’une bonne journée ?
– Coooool, murmura Jack en léchant du beurre qui dégoulinait de sa
tartine.
Scott sourit. Jack avait raison. Cool. Et en plus, il avait rencontré Seth
Wild !
Seul hic : il avait promis à Emily que Jack et lui auraient enquêté sur Pete
Morley et M. Piggott d’ici au lendemain à midi. Il avait fait semblant d’être
sûr de lui… Sauf qu’en réalité il ne savait pas du tout comment s’y prendre. Il
faudrait qu’il trouve une solution très vite… Demain, il serait hors de
question d’annoncer à Emily qu’ils n’avaient pas progressé !
8

SuR le tErRaiN

L e lendemain matin, alors que Scott se brossait les dents, Jack fit
irruption dans la salle de bains.
– Alors, c’est quoi, notre plan ?
Scott jeta un coup d’œil irrité au reflet de son petit frère dans le miroir au-
dessus du lavabo. Respecter l’intimité de l’autre ? Jack ignorait toujours ce
que ça voulait dire. Ça, c’était très énervant…
Mais il y avait quelque chose d’encore plus exaspérant : à cette heure,
Scott ne savait toujours pas comment ils allaient procéder pour l’enquête
Morley-Piggott. La nuit précédente, il avait espéré recevoir la visite de
l’esprit de Sherlock Holmes qui lui aurait soufflé quelques trucs et astuces…
Hélas, il n’avait eu aucune illumination, même pas en rêve. Quant aux
suggestions de Jack, complètement surexcité la veille au soir – il sautait sur
son lit en énumérant ses idées –, autant les oublier tout de suite. Pour Jack,
par exemple, il suffirait de se faufiler dans la chambre de Pete Morley en
passant par la fenêtre, et de planquer des micros partout. Si fastoche ! Scott
avait dû lui répondre que, premièrement, ils ne possédaient pas de micros, et
deuxièmement, ils ignoraient où vivait Pete Morley…
Malgré tout, il avait peut-être une piste. Pas très palpitante mais… réaliste.
– On va faire des recherches sur Internet. Puisque M. Piggott est
archéologue, on verra s’il a publié quelque chose sur les trésors saxons. Et
comme Mme Loveday a dit que Pete Morley est allé en prison, renseignons-
nous sur le genre de crime qu’il a commis : il doit y avoir des articles dans
les archives des journaux.
Jack fronça les sourcils.
– Et en quoi ça va nous aider à découvrir l’identité du voleur ?
– On commence par se documenter, répliqua Scott en espérant qu’avec ce
mot précis il impressionnerait et convaincrait Jack. Sinon, qu’est-ce que tu
proposes ? Qu’on porte une cape de Superman ?
Jack haussa les épaules.
– No problemo, on fera ce que tu as dit.
Comme tante Kate travaillait sur son ordinateur, il leur fut impossible de
l’utiliser pour leurs recherches. Tante Kate leur prépara des sandwichs et
leur prêta sa carte de la bibliothèque de Castle Key, où ils pourraient avoir
accès à Internet. Scott et Jack avalèrent rapidement leur petit déjeuner, et se
rendirent à l’angle de la Grand-rue et de l’allée des Poissonniers, où se
dressait le bâtiment.
À l’intérieur, c’était minuscule et désert.
– Il y a pratiquement plus de livres dans ma chambre ! plaisanta Jack à
voix basse, tandis qu’ils s’installaient devant les postes informatiques au
fond de la petite salle.
Scott sourit d’un air entendu. Au moins les ordinateurs étaient-ils
modernes, avec de grands écrans et une connexion Internet à haut débit. Pour
lui, c’était déjà un immense progrès. Il s’empara de la souris et commença à
cliquer allègrement, ouvrant différents menus. Qu’est-ce que ça lui avait
manqué !
– Moi, je cherche des infos sur Morley, chuchota Jack. Les histoires de
prison, ça m’intéresse plus que l’archéologie !
– Si tu veux, dit Scott en tapant « Geoffrey Piggott » dans le moteur de
recherches.
Personnellement, il n’avait qu’une envie : trouver des pistes, des indices,
un détail percutant…
Il fit défiler les liens qui apparaissaient à l’écran. Apparemment, Geoff
Piggott était le conservateur du musée de Castle Key depuis vingt ans. Il avait
publié plusieurs articles sur l’archéologie saxonne, ainsi que deux livres sur
l’histoire de la région de Carrickstowe. Mais rien d’autre ne capta son
attention… Rien qui puisse mettre la puce à l’oreille.
Il se tourna vers Jack.
– Alors ?
– Alors Pete Morley a accumulé les zéros de conduite, dit Jack, hilare.
Jette un œil…
Sur l’écran s’affichait un article paru dans le Quotidien de Carrickstowe
du mois de juillet 1990 :
Le chauffard de Castle Key ne sévira plus
Pete Morley, qui vit à Castle Key, a été condamné à une peine de dix-huit
mois dans un établissement pénitentiaire pour mineurs. M. Morley (seize ans)
a en effet volé la Jaguar XJS appartenant à M. Andrew Bagshott, principal du
collège de Carrickstowe. Il a conduit le véhicule à très grande vitesse
pendant plusieurs heures avant de l’abandonner sur le parking du golf de
Carrickstowe…
– Quand même, il faut oser ! murmura Scott, impressionné malgré lui.
– C’est sûr. Mais ça ne fait pas de lui un voleur.
– Bien d’accord.
Ils se levèrent et quittèrent la bibliothèque, aussi déçus l’un que l’autre. Ils
n’auraient décidément pas grand-chose à révéler à Emily…
Alors qu’ils passaient devant le marchand de journaux, Scott remarqua une
affiche qui annonçait la vente de livres écrits par des auteurs locaux.
– Attends, regarde…
Jack le suivit devant la vitrine. Ils découvrirent alors plusieurs tomes de la
série Romance écrite par Katherine Trelawney, alias tante Kate. Il y avait
également un ouvrage sur l’élevage des abeilles et une pile de livres de
poche : L’Histoire de Carrickstowe à travers les siècles, de G. B. Piggott.
– Excellent ! s’exclama Scott. On en achète un et on demande à M. Piggott
de nous le dédicacer !
– Tu rigoles ? Je n’ai aucune envie de lire ce bouquin rasoir, répliqua Jack.
– Mais on ne va pas le lire ! Ce sera juste une excuse pour aller voir M.
Piggott. Pense à la réaction de papa quand les gens lui demandent une
dédicace, insista Scott. Il est tellement content, tellement fier de lui… Avec
un peu de chance, M. Piggott sera pareil, et il ne se rendra pas compte qu’on
lui pose quelques questions, comme ça, mine de rien, sur le bouclier !
Jack esquissa une moue.
– OK. Mais on va casser notre tirelire pour… ça ?
– Pour avoir rendez-vous avec un suspect, oui. On n’a pas le choix, insista
Scott.
Et il entra dans la librairie.

Une dizaine de minutes plus tard, alors qu’ils s’engageaient dans la Grand-
rue menant au château, Scott attrapa brusquement le bras de Jack.
– Qu’est-ce qu’il y a ? marmonna Jack. Tu as encore vu des taureaux ?
Puis il s’aperçut que son frère contemplait fixement une maison à l’angle
de la rue. Un homme grimpait sur une échelle posée contre le mur. Il avait
enlevé son tee-shirt, révélant un dos large, bronzé et décoré de tatouages :
des spirales celtiques et des dragons chinois.
– Un ouvrier sur un chantier ? C’est fascinant ! se moqua Jack.
– Mais ce n’est pas n’importe qui…
Scott désigna la fourgonnette garée le long du trottoir. Elle portait
l’inscription : « P. Morley & Fils. Menuisiers ». Pete Morley.
– Ça alors ! murmura Jack, stupéfait.
Au même instant, l’homme, à présent perché sur le toit, les héla :
– Hé, vous deux !
Jack tressaillit comme s’il était coupable de l’avoir observé.
– Oui ? fit Scott.
– Vous n’auriez pas envie de gagner un peu d’argent de poche ? J’ai besoin
qu’on m’aide à décharger des tuiles et qu’on me les passe. En principe, mon
fils travaille avec moi, mais aujourd’hui, il est malade.
Jack jeta un bref regard aux tuiles stockées à l’arrière du véhicule. Elles
paraissaient bien lourdes.
– Désolé, monsieur, on est pressés. On va au château et…
Mais de la pointe de sa basket, Scott lui tapa le mollet.
– Qu’est-ce qu’il y a, encore ? marmonna Jack, furieux.
– On se do-cu-men-te ! chuchota Scott.
Puis il éleva la voix :
– Bien sûr ! On peut vous donner un petit coup de main.
– Merci, les jeunes…
Pete Morley leur lança à chacun une paire de gants de protection.
– Si j’étais vous, je n’irais pas au château. Il est fermé depuis hier à cause
du vol. C’est pour ça que je répare ce toit, alors que j’ai un chantier de
rénovation au musée ! Il a été arrêté à cause de l’enquête. Mais moi, si je ne
travaille pas, je perds de l’argent !
Jack souleva un premier tas de tuiles. Elles étaient vraiment très lourdes.
Ils travaillèrent en silence pendant une quinzaine de minutes, passant les
tuiles à Pete Morley. Puis, lorsqu’ils firent une pause pour boire de l’eau
fraîche, Scott demanda d’un air détaché :
– Ils ne savent toujours pas qui a volé le bouclier ?
Jack songea que son frère était quand même doué pour poser des questions
mine de rien…
Pete Morley haussa les épaules.
– Toujours pas. Mais je parie que bientôt je serai le suspect numéro 1 ! Je
n’étais pas très sage quand j’avais votre âge, et l’inspecteur Hassan est au
courant. Je lui ai dit que je me trouvais sur place à l’heure du vol… Pas de
chance pour moi ! J’installais une nouvelle vitrine d’exposition. Ça m’a pris
la matinée, c’est un travail compliqué… D’ailleurs, j’aurais été plus rapide
si cette Mme Love-Je-Me-Mêle-De-Tout n’était pas venue m’enquiquiner !
Elle n’a pas cessé de venir me parler et de me raconter des histoires à dormir
debout !
– Vous pensez que le coupable travaille au château ?
Pete Morley esquissa une moue.
– Allez savoir… C’est peut-être l’un des agents de sécurité ! Ou
Mme Loveday… Elle est peut-être une voleuse de bijoux internationalement
connue ! ajouta-t-il en éclatant de rire. Bon, un petit chewing-gum avant qu’on
se remette au travail ?
Et il leur offrit une tablette à la menthe d’un paquet Freedent. Il en sortit
d’autres de sa poche et les leur tendit.
– Prenez-les. Je les ai eus chez le marchand de journaux, il en distribue
gratos, en ce moment.
Une heure plus tard, après avoir passé les dernières tuiles à Pete Morley,
Scott et Jack reprirent la direction du château. À présent, le soleil tapait fort,
et ils peinèrent à grimper la côte.
– J’ai les biceps en compote, se plaignit Jack.
– Quels biceps ? se moqua Scott. En tout cas, on aura quelque chose à
raconter à Emily. Pete Morley a un alibi qui pourra être facilement confirmé
par Mme Loveday.
– Et on a gagné de l’argent ! ajouta Jack en brandissant le billet de cinq
livres4 que lui avait donné Pete Morley.
Il avait insisté pour les payer tous les deux. La même somme.
– Ça nous remboursera ce qu’on a dépensé pour rencontrer ce M.
Piggott…
Jack et Scott échangèrent un sourire. Au fond, enquêter, ce n’était pas si
compliqué…
4. Environ 6 euros.
9

Une RÉvÉlatiOn

D e leur côté, comme prévu, Emily et Drift épièrent Irène et Norman


Loveday. Ils se cachèrent derrière une voiture garée non loin de leur
domicile : le cottage des Lavandes.
Et si Mme Loveday avait dérobé le bouclier ? Après tout, la vieille dame,
qui se trouvait au musée en train de faire du nettoyage quand le vol avait été
commis, pouvait très bien s’être discrètement éclipsée dans la salle des
archives. À coup sûr, elle possédait les clés de toutes les pièces. Ensuite,
dissimuler le bouclier dans ses affaires de ménage, sous ses brosses et ses
chiffons, ce n’était qu’un jeu d’enfant !
Mais pourquoi Mme Loveday aurait-elle commis un tel délit ? Elle avait
vécu et travaillé à Castle Key toute sa vie… Pourquoi se serait-elle
transformée en criminelle du jour au lendemain ?
À 9 h 30 précises, la porte s’ouvrit et Mme Loveday sortit en tirant un petit
Caddie orné d’un tissu écossais. Elle emprunta l’allée des Pies et se dirigea
vers la Grand-rue. Là, elle alla à la supérette et en ressortit rapidement avec
le journal et de la nourriture pour chats. Après quoi, elle bavarda avec
Mme Robert pendant une dizaine de minutes devant le bureau de poste.
Pour l’instant, il ne se passait vraiment rien d’intéressant… « Mis à part
l’achat que Jack et Scott venaient de faire chez le marchand de journaux »,
songea Emily. Le livre de M. Piggott ! Bien sûr, ils ne remarquèrent pas
qu’elle les épiait…
Ensuite, Mme Loveday gagna la bibliothèque. Les chiens n’y étant pas
autorisés, Emily demanda à Drift de l’attendre dehors avant d’emboîter le pas
à la vieille dame… qui s’était déjà installée devant l’un des ordinateurs.
Emily se coiffa d’un chapeau de soleil à large bord. D’accord, à l’intérieur,
on n’était pas censé en porter un, mais elle l’avait emporté dans son sac au
cas où elle aurait à dissimuler son visage. Elle put donc flâner le long des
rayonnages incognito, et s’approcher peu à peu de Mme Loveday.
Mais que fabriquait la vieille dame ? Elle pianotait frénétiquement sur le
clavier, comme si ce qu’elle écrivait était d’une urgence extrême ! Il suffit
d’un seul coup d’œil à Emily pour découvrir le pot aux roses : il s’agissait
d’un jeu de poker en ligne ! Mme Loveday était en train de jouer au poker ! Et
vu la manière dont elle soupirait et grimaçait, elle ne semblait pas être en
veine…
Emily sentit son pouls s’accélérer. Incroyable ! Et si la gardienne du musée
avait des dettes ? N’était-ce pas un motif parfait pour commettre un vol ? Et
Mme Loveday n’était-elle pas une cliente régulière des parties de cartes
organisées chez Dotty le vendredi soir ?
Les pièces du puzzle s’ajustèrent soudain en un éclair. Puisque
Mme Loveday était endettée jusqu’au cou – ce dont son mari ne devait pas
être courant –, elle avait dérobé le bouclier… Et en le vendant, elle
obtiendrait suffisamment d’argent pour rembourser ses débiteurs. Tout
concordait !
Surexcitée, Emily quitta hâtivement la bibliothèque, récupéra Drift et se
cacha un peu plus loin dans la rue pour continuer à espionner Mme Loveday.
La vieille dame sortit vingt minutes plus tard et se dirigea d’une démarche
décidée vers la banque. Comme par hasard…
Emily prit son portable et photographia Mme Loveday avant qu’elle
pénètre dans l’établissement. Il fallait absolument qu’elle puisse continuer à
la suivre, sauf qu’une fillette seule attirerait l’attention…
Une idée jaillit dans son esprit.
– Assis et reste ! ordonna-t-elle à Drift.
Puis, sortant un billet de cinq livres de son sac, elle se précipita à
l’intérieur de la banque.
Mme Loveday se trouvait déjà au guichet.
– Je voudrais faire un dépôt sur mon compte. J’ai gagné à la loterie…
Elle avait déjà dû trouver un revendeur pour le bouclier…
– Que veux-tu ? demanda alors la guichetière à Emily.
– Je l’ai ramassé dans la rue, dit Emily en brandissant le billet de cinq
livres. Je me suis dit que Mme Loveday avait dû le faire tomber !
– Attends, laisse-moi vérifier, fit Mme Loveday en jetant un coup d’œil
dans un immense porte-monnaie. Eh oui, il me manque bien cinq livres.
Merci, ma petite Emily !
Emily hésita un court instant. Elle n’avait pas imaginé que Mme Loveday
prendrait bel et bien son argent ! Mais elle n’avait plus le choix.
– Tenez…
– Merci, ma petite Emily, répéta Mme Loveday. Ah, l’honnêteté chez les
jeunes gens, c’est rare !
Et l’honnêteté chez les vieilles personnes ?
Mme Loveday prit un peu de monnaie qu’elle voulut donner à Emily.
– Tu pourras t’acheter des bonbons…
– Euh… Non, merci !
Et Emily sortit de la banque au pas de course.
– Viens, Drift !
Tandis qu’elle s’éloignait vers la plage, son indignation s’apaisa. Elle ne
restait jamais en colère bien longtemps… Et ce fut presque en sautillant
joyeusement qu’elle se dirigea vers la crêperie de Dotty. Elle avait trouvé
une excellente piste ! Mission réussie ! Elle allait fêter ça en s’offrant un
délicieux banana split !
« On n’aura peut-être pas besoin d’interroger les autres. Mme Loveday
est sûrement la coupable ! » nota-t-elle quelques instants plus tard, tout en
dégustant sa coupe de glace. Elle donna un biscuit à Drift qui le croqua avec
gourmandise avant de l’observer en levant son oreille gauche et en remuant la
queue.
– Tu as raison, soupira Emily. Un bon détective ne doit pas conclure son
enquête trop rapidement. Je vais quand même poser quelques questions à
Victoria White !
Elle prit son portable et appela les renseignements pour qu’on lui
communique le numéro de la ferme de Roshendra.
Ce fut Mme White, la mère de Victoria, qui lui répondit. Victoria se
trouvait au musée. Étonnant !
– M. Piggott lui a demandé de venir travailler, expliqua Mme White.
J’avoue avoir été un peu choquée : Vicky aurait dû être en congé au moins une
journée ! Elle est très perturbée à cause du vol. Figure-toi que le trésor de
Carrickstowe a été découvert dans l’un de nos quatre champs lorsqu’elle était
petite ! Nous avons tout vendu au British Museum, mais nous nous sentons
toujours extrêmement attachés à cette extraordinaire trouvaille… Un peu
comme si nous en étions les gardiens ! C’est pour cette raison que Victoria a
accepté ce travail en lien avec l’exposition dans notre musée…
Mme White marqua une pause.
– Pardon, Emily, je suppose que tu ne me téléphones pas pour que je te
raconte ces vieilles histoires…
Emily fut prise au dépourvu. En réalité, tout ce que Mme White venait de
dire l’intéressait énormément !
– Tu veux que je laisse un message à Vicky ? demanda alors Mme White.
– En fait, je… je voulais proposer à Vicky de venir travailler de nouveau
au phare quelques soirs par semaine… Si maman accepte d’avoir de l’aide,
évidemment ! ajouta Emily, improvisant complètement. Mes parents ont
décidé de se débrouiller tous les deux cet été, et je leur donne aussi un coup
de main mais, parfois, c’est quand même un peu dur !
– Je comprends. J’en parlerai à Vicky, mais je ne te promets rien : le soir,
elle a beaucoup de travail pour ses études. Elle doit préparer un examen
important pour la rentrée… Un examen en informatique. Moi, je n’y
comprends rien ! Je préfère la nature, les moutons et les vaches ! poursuivit
Mme White en riant.
Après avoir remercié Mme White et coupé la communication, Emily
demeura pensive. Elle se souvenait vaguement avoir lu que le trésor de
Carrickstowe avait été déniché par un chercheur-amateur qui arpentait les
terres de la ferme de Roshendra muni d’un détecteur de métaux. Et
maintenant, Victoria White, qui vivait dans cette même propriété, travaillait
au musée…
Mais pour quelle raison aurait-elle dérobé le précieux bouclier ? Sa
famille avait déjà empoché une fortune en vendant les objets au British
Museum ! Sauf que Mme White avait confié qu’ils se sentaient toujours
responsables du trésor… Vicky aurait-elle voulu conserver le bouclier non
pas pour l’argent qu’il représentait, mais pour le protéger ? Si oui, de quoi ?
Même si cette piste-là ne semblait pas vraiment tenir la route, Emily
décida d’interroger directement Victoria. C’était le seul moyen de se forger
une opinion solide.
– Viens, Drift, on retourne au château !
10
Le PiÈGe

J ack étouffa un bâillement. À force de regarder autour de lui, il avait


l’impression que les caractéristiques du bureau de M. Piggott allaient
s’imprimer dans son cerveau pour toujours : les ordinateurs, les vieux livres,
les cartes géographiques, le sol dallé, les tapis orientaux…
Scott et lui étaient là depuis plus d’une heure, et M. Pédant leur racontait,
d’un ton grave et solennel, toute l’histoire de Carrickstowe. Le pire ? Il
n’avait pas encore dépassé l’étape de l’âge du fer !
– Vous voulez une dédicace ? Avec grand plaisir ! s’était-il exclamé, sa
réaction confirmant ce que Scott avait anticipé, quand ils avaient frappé à sa
porte. Vous vous intéressez à l’histoire comme papa ?
Pas du tout, avait failli rétorquer Jack. À l’école, il détestait cette
discipline. Quant à l’archéologie, ça lui paraissait encore plus rébarbatif.
D’accord, lorsqu’on trouvait des boucliers d’or et des épées serties de
joyaux, c’était hyper-cool… Mais la plupart du temps, on ne dénichait que
des fragments de poteries et des débris d’ossements d’animaux !
– … et au Ier siècle, les plats en terre étaient utilisés pour…
Et M. Pédant de continuer…
Jack sentit ses paupières devenir lourdes, très lourdes… Mais ô miracle,
le professeur s’interrompit soudain pour appeler Victoria White, qui
travaillait dans le bureau voisin. Pouvait-elle apporter du thé et des sodas ?
Enfin un moment de répit !
Victoria leur offrit également des biscuits au chocolat. Jack remarqua
qu’elle était jolie, dans un style naturel, avec des joues roses et des cheveux
blond vénitien attachés en queue-de-cheval.
– Merci, ma chère Victoria, que ferais-je sans vous ? s’extasia M. Piggott.
En guise de réponse, Victoria lui sourit poliment et repartit dans la pièce
adjacente.
Scott ouvrit sa bouteille de soda en essayant de masquer son exaspération.
Non seulement il ne s’intéressait pas plus que Jack à l’histoire de
Carrickstowe, mais en plus, il ne parvenait pas à orienter la conversation sur
le vol. Une fois lancé, M. Piggott ne s’arrêtait décidément plus de parler.
– Et le trésor de Carrickstowe ? demanda Scott, profitant du moment où le
professeur buvait son thé. C’est sûrement l’une des découvertes les plus
importantes de la région, non ? J’avais vraiment hâte de voir l’exposition…
– Ah, oui, soupira M. Piggott en posant sa tasse.
Il plaça ses paumes l’une contre l’autre, comme s’il s’apprêtait à prier.
Ensuite, il remonta ses lunettes sur son front, et frotta son nez crochu avant de
se lever d’un bond. Scott le dévisagea avec impatience. Il allait enfin leur
révéler quelque chose !
– Pour comprendre précisément la symbolique du trésor de Carrickstowe,
nous devons nous reporter à ce qui s’est produit à l’âge du fer, énonça alors
M. Piggott d’un ton sentencieux.
Jack faillit recracher la gorgée de soda qu’il s’apprêtait à avaler. Scott le
regarda d’un air atterré. Ce cauchemar ! Ils étaient emprisonnés avec le
professeur Inferno ou quoi ?
– Pardon… Désolé… marmonna Jack en se redressant si brusquement que
sa chaise racla le sol. Il faut que j’aille…
Se hâtant vers la porte, Jack se prit le pied sous un tapis et faillit trébucher.
– … aux toilettes ! Je reviens !
Une fois hors de la pièce, il poussa un soupir de soulagement et jeta un
coup d’œil à sa montre. De combien de temps disposait-il avant de devoir
retourner dans le bureau de l’Enfer ? De dix à quinze minutes, tout au plus,
s’il feignait de souffrir de vilaines, d’atroces crampes au ventre…
Il regarda autour de lui. Il se trouvait dans un corridor dallé de vieilles
pierres, aux murs tapissés jusqu’au plafond de boiseries sombres. À sa
droite, il reconnut les doubles portes qui menaient au bâtiment moderne
abritant le musée et la boutique. À sa gauche, le couloir conduisait aux
anciennes cuisines du château. Apercevant des marches qui descendaient vers
le sous-sol, Jack s’avança… Et s’il explorait davantage les lieux ?
Sauf qu’un ruban de plastique orange barrait l’accès.
Après une brève hésitation, Jack se baissa pour passer en dessous. Il ne
faisait rien de mal, pas vrai ? En plus, pour réellement empêcher les gens
d’emprunter cet escalier, on aurait mis une véritable barrière, non ?
Il dévala des marches usées par les siècles. Autrefois, les creux, dans les
murailles, avaient dû abriter des bougeoirs ou des chandeliers…
Aujourd’hui, seule une lumière verdâtre indiquant la sortie d’urgence
éclairait l’endroit. Les parois étaient humides sous ses doigts. Peut-être
allait-il découvrir un mystérieux souterrain… Ou les vestiges d’un donjon ?
Mais parvenu en bas, il tomba sur une porte blindée !
Stupéfait, Jack se rendit compte que le battant, verrouillé par des cadenas
en Inox brillant, était même muni d’un petit clavier électronique qui devait
activer un système de sécurité. Avec ce genre de dispositif, plus personne
n’entrait… ou ne sortait ! Un court instant, il imagina une horrible créature,
genre troll ou ogre, enchaîné derrière depuis des milliers d’années… Puis il
revint à la réalité. De toute évidence, cette porte avait été installée
récemment.
Il s’apprêta à faire demi-tour et, machinalement, donna un petit coup sur la
porte : une pichenette, comme ça, par dépit… Mais la porte coulissa en
silence.
Elle n’était pas fermée !
Jack se figea. Rebrousser chemin ? Là, c’était inimaginable. Il n’avait plus
qu’à espérer qu’il ne rencontrerait personne… À défaut, il expliquerait qu’il
s’était perdu en cherchant les toilettes.
Le cœur battant, il esquissa un premier pas, un deuxième… Puis franchit le
seuil.
Il se retrouva dans une immense salle remplie, du sol au plafond, de tiroirs
et de coffres de rangement. Des lampes murales diffusaient un faible
éclairage. Quelque chose bourdonnait dans ce qui ressemblait à une conduite
d’air climatisé. De petites lumières rouges clignotaient sur un boîtier placé
tout en haut, dans un coin…
Impressionné, Jack s’avança sur la pointe des pieds, parcourant des yeux
certaines des étiquettes collées sur les façades des casiers. Jaunies par le
temps, les inscriptions étaient tapées à la machine dans un style ancien :
Pointes de silex (site de la falaise, C.K., 62a), Bouchons de pêche
médiévaux (île Gull, 438c), Pinces celtiques, Pièces de monnaie romaines,
Boutons de l’époque Tudor…
Ouvrant un tiroir au hasard, il découvrit de petites têtes de flèches
disposées sur un plateau. Il le referma rapidement. « Je suis dans la salle des
archives ! Là où se trouve le coffre qui contient le trésor pillé ! » pensa-t-il,
abasourdi.
Il regarda autour de lui. Qu’allait-il découvrir ? Quels indices ? Lui,
l’agent secret Jack Carter, s’apprêtait à résoudre le mystère ! Scott et Emily
seraient trop impressionnés… Mais il faudrait qu’il agisse vite. Si jamais on
le surprenait dans cette pièce, il serait gravement sanctionné par la police
et…
À ce moment-là, un homme éternua quelque part…
Pas très loin.
Jack sentit son sang se glacer. Il se jeta sous l’une des rangées de casiers et
rampa jusqu’au mur, à l’autre bout. Lorsqu’il osa risquer un coup d’œil, il
aperçut une silhouette masculine de dos, large, massive même, qui se
penchait au-dessus d’un énorme coffre en acier noir. Jack reconnut soudain le
costume gris… C’était l’inspecteur Hassan !
Piégé. Il était piégé. Il serait obligé de patienter le temps que le policier
termine ce qu’il était venu faire. Normal que la porte blindée ait été
ouverte… Quant aux petites lumières rouges et clignotantes qu’il avait
remarquées à l’entrée, c’était forcément un système de détection de
mouvement, inactif pour l’instant. Sinon, l’alarme aurait déjà sonné.
Tout à coup, des pas se rapprochèrent. Jack se recula le plus possible,
osant à peine respirer.
– Vous avez contacté l’équipe médico-légale ? demanda l’inspecteur
Hassan.
– Oui, ils envoient Tina Johnstone, répondit une femme. Elle sera là d’une
minute à l’autre.
– Parfait. Une chose est sûre : ce coffre n’a pas été forcé…
– Vous pensez que c’est quelqu’un qui travaille ici qui a fait le coup ?
– J’en suis quasi certain. On n’a pas retrouvé d’empreintes, évidemment.
Notre coupable portait des gants.
– Et il – ou elle – avait la combinaison du coffre…
– Oui. De même que ceux qui commandent le système de sécurité. Pourtant,
M. Piggott insiste sur le fait que les codes sont protégés. Citadelle 7, voilà ce
qu’il a dit.
Citadelle 7 ?
Il y eut une courte pause, puis un éternuement puissant retentit de nouveau.
– Bon sang, toute cette poussière déclenche mon allergie ! marmonna
l’inspecteur Hassan. Allons retrouver Mme Loveday pour qu’elle nous
prépare une bonne tasse de thé pendant qu’on attend Tina.
Jack comprit qu’il devait faire vite. Il se faufila à plat ventre jusqu’à la
porte, sortit de la salle des archives et s’élança vers l’escalier. Plus que
quelques minutes, et il serait hors d’atteinte !
Mais une silhouette jaillit en haut des marches, dans la pénombre. Une
silhouette féminine…
Tina Johnstone, de l’équipe médico-légale !
Jack sentit sa gorge se dessécher. Le piège se refermait sur lui comme un
étau…
11
L’enQuÊtE
se ComPlique

S crutant le bas de l’escalier mal éclairé, Emily crut halluciner.


C’était bien Jack qui se trouvait de l’autre côté du ruban orange placé par la
police ? Mais oui ! Blanc comme un linge, ses yeux bleus écarquillés comme
des soucoupes…
– Jack !
– Emily !
Il grimpa les marches deux à deux.
– J’ai eu si peur que ce ne soit Tina Johnstone ! chuchota-t-il.
– Tina… qui ?
– Je t’expliquerai plus tard. Vite…
Et il se sauva vers le couloir. Stupéfaite, Emily lui emboîta le pas.
– Qu’est-ce que tu as fait ?
– Je te raconterai, dit Jack en prenant la direction du bureau de M. Piggott.
D’abord, il faut que je sorte Scott de là…
– D’où ?
– Il est bloqué par le professeur Inferno qui parle et parle…
Le surnom dont il avait affublé le conservateur du musée fit à peine sourire
Emily.
– Mais… de quoi ?
– De son livre, de… Tu sauras tout bientôt, promit Jack avant de
s’immobiliser devant la porte.
Avant de frapper, il colla son oreille contre le battant. Emily fit de même.
Ils perçurent des voix… Puis, tout à coup, la porte s’ouvrit et Scott apparut. Il
fit de grands yeux en les découvrant.
– Jack est enfin revenu ! s’écria-t-il. On doit y aller, monsieur Piggott,
merci !
Et il se précipita dans le couloir.
Dès qu’ils se furent éloignés, il fusilla Jack du regard.
– Où est-ce que tu étais passé ?
– C’est une longue histoire…
Et Jack réprima un fou rire nerveux.
– Ce n’est pas drôle ! marmonna Scott. J’ai dû dire à M. Piggott que tu as
des problèmes de santé, ce qui explique que tu sois resté aux toilettes plus
d’une demi-heure !
– Tu as bien fait… Tu viens, Emily ?
Perplexe, Emily les suivit en s’interrogeant sur le bon sens de ses
nouveaux amis. Pourvu qu’elle n’ait pas commis d’erreur en leur demandant
d’enquêter avec elle !
Ils se dépêchèrent de sortir du musée et furent accueillis par Drift, qui
attendait sagement le retour de sa maîtresse. Il sauta de joie en les revoyant.
– Allons déjeuner dans ma cachette, proposa Emily.
– Excellente idée, dit Jack en lorgnant le petit sac à dos que Scott portait.
J’espère que tante Kate nous a préparé beaucoup de sandwichs. Avec toute
cette adrénaline, j’ai un appétit d’ogre !

– Allez, Jack, raconte-nous ta méga-expédition aux toilettes, proposa Scott.


Tout en dévorant son thon-mayo-concombre, Jack leur résuma comment il
s’était retrouvé, par hasard, dans la salle des archives. Emily l’observa avec
un mélange de stupeur et d’admiration.
– Trop fort ! Qu’est-ce que tu as découvert ?
– Ben… pas grand-chose. Parce qu’il y avait l’inspecteur Hassan sur
place, et ça m’a bloqué, avoua Jack. Ensuite, une policière a débarqué et,
forcément, j’ai dû rester caché.
– Tu as quand même entendu quelque chose d’intéressant, non ? insista
Scott avec une pointe d’impatience.
Jack ferma les yeux, revivant mentalement chaque instant de ce long
moment qu’il avait passé dissimulé sous les casiers. Il avait eu si peur d’être
découvert ! L’inspecteur Hassan avait parlé de son allergie à la poussière, de
tasse de thé… Et avant, ils discutaient de…
– Ah oui !
Et, se levant d’un bond, il entama une petite danse victorieuse.
– Jack ! Alors ! s’écria Emily.
– On saura tout quand monsieur sera prêt, plaisanta Scott.
Jack cessa de danser et se rassit.
– Alors Hassan a dit que le vol avait certainement été commis par
quelqu’un qui travaille au château parce que le voleur connaissait les codes
du coffre et du système de sécurité.
Il s’interrompit, évaluant l’effet de ses paroles sur Scott et Emily. Ils
avaient l’air… impressionnés. Cool.
– Il a aussi précisé que M. Piggott garde tous les numéros dans un endroit
qui s’appelle…
Jack ébouriffa ses cheveux, s’efforçant de se souvenir.
– … forteresse quelque chose. Non, citadelle… La citadelle numéro 7 !
Emily sortit son carnet et écrivit rapidement quelques notes.
– Génial. On n’a plus qu’à savoir où se trouve cette citadelle…
Scott l’interrompit d’un éclat de rire.
– Qu’est-ce qu’il y a de drôle ? demanda Emily.
– Il s’agit de Citadelle 7, et ce n’est pas un lieu mais un programme
informatique ultra-verrouillé qu’on utilise pour stocker des informations
secrètes.
– Dans ce cas, ça élimine Mme Loveday, souligna Jack. Elle n’a rien d’une
hackeuse ! Je parie qu’elle ne sait même pas utiliser un ordinateur.
Cette fois, ce fut Emily qui se mit à rire.
– Faux ! Ce matin, je l’ai suivie à la bibliothèque : je l’ai vue jouer au
poker en ligne, et je vous garantis qu’elle sait se servir d’un clavier et d’une
souris !
Elle ajouta d’un ton surexcité :
– Je parie que c’est elle, la coupable. Irène Loveday a des dettes de jeu !
Beaucoup de dettes ! Elle joue à des jeux en ligne chez Dotty le vendredi
soir. Je l’ai prise en photo au moment où elle entrait à la banque pour mettre
de l’argent sur son compte.
– Déposer de l’argent, ça n’a rien d’illégal, objecta Scott.
– C’était peut-être une somme qui provenait de la vente du bouclier volé !
insista Emily. En plus, Mme Loveday a dit qu’elle avait poli les poignées de
porte pendant toute la matinée, mais j’ai remarqué qu’elles ne brillaient pas
tant que ça : c’est justement ce que je vérifiais quand je suis tombée sur Jack
qui remontait de la salle des archives.
Jack haussa les épaules.
– Elle a eu l’impression d’astiquer ces poignées pendant longtemps parce
qu’elle n’a pas cessé d’aller voir Pete Morley qui était en train d’installer
une vitrine…
– Possible. N’empêche, pour moi, Mme Loveday est le suspect numéro 1,
affirma Emily.
Un silence régna quelques instants, puis Scott déclara :
– En tout cas, Pete Morley, lui, n’y est pour rien. Ce matin, il réparait un
toit : un travail hyper-dur. Pourquoi il se donnerait tant de mal s’il venait de
voler quelque chose d’aussi précieux qu’un bouclier d’or ?
– Pour une fois, je suis d’accord avec Scott, dit Jack. Pete Morley est cool.
– Et Geoff Piggott ? demanda Emily.
– Pi… Piggott ? fit Jack en se prenant la tête entre les mains comme s’il
souffrait le martyre. Pitié, ne me parle pas de lui !
Scott se mit à rire.
– Piggott a été lourd de chez lourd, et en plus, on n’a rien pu en tirer. Rien
d’intéressant. D’après Mme Loveday, il est resté dans son bureau toute la
matinée, pendu au téléphone. De toute façon, pourquoi est-ce qu’il voudrait
voler le bouclier ? Lui, il dispose carrément de tout le trésor, dans son
musée !
Emily hocha la tête d’un air pensif.
– Il n’a donc aucun motif apparent.
Et elle ajouta ce commentaire dans ses notes.
– Au fait, j’ai discuté avec Victoria White, reprit-elle en feuilletant son
carnet. Elle m’a appris qu’elle est restée dans son bureau pendant toute la
matinée d’hier, sauf quand elle a apporté du thé aux uns et aux autres.
– Par conséquent, elle aurait très bien pu se rendre dans la salle des
archives, remarqua Scott.
De nouveau, Emily resta songeuse.
– Vicky est chouette. Je la crois honnête et… Oh, mais au fait ! s’exclama-
t-elle, se remémorant quelque chose d’important. Elle m’a dit qu’elle prépare
un diplôme en informatique !
– Et alors ? fit Jack.
Scott claqua des doigts, les yeux brillants.
– Alors ça veut dire que Victoria sait peut-être comment pirater le système
de Citadelle 7 et récupérer les codes du coffre et des alarmes !
– Et le bureau de Vicky est juste à côté de celui de M. Piggott, renchérit
Emily. Pour elle, c’est très facile de se rendre discrètement jusqu’à
l’ordinateur de M. Piggott…
– Nos deux principaux suspects sont donc Mme Loveday et Victoria White,
résuma Jack après avoir englouti le dernier morceau de cake aux fruits.
– Mais on doit quand même poser quelques questions aux agents de
sécurité, répliqua Emily. Ce serait trop facile si…
– Stooop ! J’ai mal au crâne ! s’écria Jack. Sys-tème en sur-chauffe…
Don-nées non trai-tées… Ré-i-ni-tia-li-sa-tion obli-ga-toire ! poursuivit-il
avec une voix de robot.
Emily éclata de rire.
– Message bien reçu. Pour moi, c’est pareil. On va à la plage ?
12
Une RenContre
inattEnDUe

A u mot « plage », Drif se mit à tourner en rond en essayant


d’attraper sa queue. « Plage » était l’un de ses mots favoris !
Ils s’éloignèrent du château d’un pas rapide.
– On va prendre le Gemini et ramer de l’autre côté de la baie, jusqu’à la
crique des Pirates, décida Emily.
– La crique des Pirates ? Ça a l’air cool ! s’exclama Jack.
– C’est cool : une plage de sable juste après…
– Les grottes du Vent-Huant, devina Scott. Emily, tu veux qu’on aille voir
si elles sifflent de nouveau ?
– Oui. Je n’ai pas encore pu parler au vieux Bob, et là, il est parti pêcher
en haute mer pendant plusieurs jours.
Ils franchirent le muret qui donnait sur le champ des vaches et s’engagèrent
au milieu des hautes herbes.
– Avant d’aller là-bas, il faudrait peut-être que j’aille chercher des
bouchons pour oreilles, dit Jack. Au cas où les grottes siffleraient trop fort…
Emily l’interrompit en le poussant d’un geste provocateur. Jack, qui était
en train d’éviter une bouse de vache, glissa… et tomba pile dessus. Scott et
Emily éclatèrent de rire.
– Beurk ! grommela Jack en se redressant. C’est malin, maintenant, je dois
rentrer à la maison me changer.
– Oui, ça vaut mieux, s’esclaffa Scott en se pinçant le nez.
– Dans ce cas, rendez-vous au bateau dans une heure ! lança Emily.
Et elle repartit en courant à travers champ, suivie par Drift.

Ils ramèrent à tour de rôle, et parvinrent rapidement aux abords des grottes.
Jack remarqua aussitôt quelque chose de différent : les vagues s’y
engouffraient, et des gerbes d’écume éclaboussaient les parois rocheuses.
– C’est marée haute, cet après-midi, expliqua Emily. La dernière fois, on
est venus à marée basse.
Soudain, Drift dressa ses oreilles qui frémirent telles des antennes. Par-
dessus le cri des mouettes s’élevait un long, long sifflement aigu…
Emily regarda Jack et Scott d’un air triomphant. On pouvait imaginer un
« Alors, je vous l’avais bien dit ? » inscrit sur son front.
– Qu’est-ce qu’il y a ? plaisanta Jack.
– Tu n’entends rien ? demanda Scott.
– Non, rien du tout, pourquoi ?
Puis, comme Emily et Scott le contemplaient avec stupeur, il se mit à rire.
– Je rigole ! Comment on baisse le son ? C’est trop, là !
Et il plaqua les mains sur ses oreilles.
Quelques instants plus tard, ils parvinrent à la crique des Pirates : une
petite plage de sable blond, en forme de croissant, protégée de chaque côté
par d’impressionnants amas rocheux.
– Et voilà ! s’exclama Emily tandis qu’ils tiraient le bateau sur le rivage.
Vive les vacances !
Scott et elle nagèrent tandis que Jack et Drift couraient partout, chassant de
minuscules crabes. Ensuite, ils mangèrent avec appétit. Tante Kate leur avait
préparé une glacière avec tout le nécessaire pour faire un barbecue… Le
bonheur ! Scott et Emily allumèrent un feu, et ils firent griller des saucisses.
Croisant le regard de son frère, Jack sourit.
– Cool, hein ?
– Trop cool, confirma Scott.
– Sauf que tu es en train de laisser cramer nos saucisses…
– Mais non ! répliqua Scott en les ôtant aussitôt des braises. Emily, tu
viens ?
Allongée sur le sable quelques mètres plus loin, elle profitait du soleil.
Drift s’était lové près d’elle.
– Tout de suite ! Miam, miam !
Elle se redressa d’un bond et les rejoignit.
Ses yeux brillaient de joie… Et pour cause : leur enquête avait drôlement
avancé, ils s’amusaient bien, et les grottes sifflaient de nouveau !

Le lendemain matin, alors qu’Emily prenait son petit déjeuner, elle eut
soudain une illumination. Elle posa son pain grillé et se rua dans sa chambre,
tout en haut du phare, grimpant les cent vingt marches à toute allure. Le cœur
battant, elle attrapa son téléphone et appela Scott.
– C’est peut-être un truc du matin !
– Euh… Tu parles de quoi, là ? répondit Scott à l’autre bout du fil.
– Des grottes ! Je n’arrête pas de me demander pourquoi, lundi, elles
étaient silencieuses… Mais peut-être que ça n’arrive que le matin !
– Tu veux dire qu’elles font la grasse mat’ ? Je peux comprendre ça…
Emily ne sourit même pas tant elle était concentrée sur son idée.
– Il était 10 h 30 quand on est allés là-bas. Je vais y retourner aujourd’hui,
à la même heure, et vérifier. Vous me rejoignez, Jack et toi ?
– On rapplique !
Ce fut Jack qui prit les rames, et il se rendit compte qu’il était devenu
vraiment meilleur, et plus rapide. À la fin de l’été, il ressemblerait à M.
Muscles !
Pourquoi Emily était-elle tellement obnubilée par ces grottes ? Qu’elles
sifflent ou pas, franchement, qu’est-ce que ça changeait ? Mais pour elle,
c’était visiblement très important… Tellement qu’elle avait décidé d’aller
voir les agents de sécurité dans l’après-midi, alors qu’à l’origine elle avait
prévu de les interroger ce matin. Elle avait carrément changé son programme.
– Siffler ou ne pas siffler ? Telle est la question ! énonça Scott avec une
voix théâtrale.
Emily sourit à ce pastiche de la célèbre citation de Shakespeare5.
– Vous entendez ? demanda-t-elle quelques instants plus tard, alors qu’ils
se rapprochaient des grottes.
– On n’entend rien, répondirent Jack et Scott en même temps.
– Justement.
Les grottes étaient totalement silencieuses. Elles n’émettaient même pas un
chuintement.
– Bien vu, Emily. Le matin, elles dorment, dit Scott.
– Je parie que le vieux Bob aurait un dicton pour ça, renchérit Jack.
« Grottes dormantes avant midi… »
– « … Grottes huantes avant la nuit » ! compléta Scott.
À ce moment-là, Drift bondit à l’avant du bateau en aboyant.
– Il a dû repérer quelque chose ! s’exclama Emily.
– Oui, mais quoi ? Drift, donne-nous un indice ! dit Jack en scrutant la mer
et les falaises. C’est quoi, la première lettre et…
– On dirait qu’il y a quelqu’un devant les grottes ! s’écria Scott.
Jack rama plus vite et, au fur et à mesure que la distance diminuait, ils
distinguèrent clairement la silhouette qui se tenait sur le rivage rocheux
accessible uniquement à marée basse. C’était un homme à l’abondante
chevelure blanche. M. Piggott !
– Qu’est-ce qu’il fait là ? demanda Scott.
– Aucune idée, mais allons-nous-en avant qu’il nous alpague avec son âge
du fer, répliqua Jack.
– Attends, il doit avoir un problème, dit Emily. Il n’a pas son bateau. Hé
ho ! Monsieur Piggott, tout va bien ?
M. Piggott s’apprêtait à s’engouffrer dans l’obscurité béante de la plus
grande des grottes. Il sursauta et se retourna si brusquement qu’il en fit
tomber ses lunettes. Il les chercha à tâtons sur les galets, les retrouva et,
après les avoir nettoyées, les remit. Il fronça les sourcils en les
reconnaissant.
– Ah, c’est vous ? Bonjour ! Quel beau temps, n’est-ce pas ?
Jack échangea un rapide coup d’œil avec Scott et Emily. Pourquoi avait-il
l’impression que M. Piggott n’était pas du tout, mais alors pas du tout content
de les voir ? Il s’adressait à eux comme un prof annonçant un contrôle
surprise, genre c’est une bonne nouvelle.
– Tout va bien ? demanda de nouveau Emily.
– Mais oui ! J’ai eu envie de me détendre et je suis allé faire un peu de
bateau dans la baie, répondit M. Piggott. En ce moment, tout est si stressant
au musée ! À cause de ce vol, vous savez…
– Oh, oui… dit Emily. Bon, au revoir !
– Filons vite avant qu’il nous emprisonne dans sa toile de l’ennui le plus
mortel au monde, marmonna Jack en ramant de nouveau.
Leur embarcation s’éloignait des grottes quand Emily se leva si
brusquement qu’ils faillirent chavirer.
– C’est lui ! C’est forcément lui ! Je parie qu’il avait le bouclier et qu’il
s’apprêtait à le cacher dans son bateau pour s’enfuir avec !
– Il n’avait pas de bateau, rétorqua Scott. Tu l’as dit toi-même… Et on
l’aurait remarqué.
– Il doit être amarré plus loin. Il a bien dit qu’il était allé naviguer, hein ?
Si ça se trouve, il est sur le point de retrouver un complice ! Quelqu’un qui a
un yacht, un millionnaire qui a acheté le bouclier d’or…
Jack échangea un coup d’œil avec Scott. Décidément, Emily possédait une
imagination absolument… renversante.
– On croyait que pour toi, la coupable, c’était Mme Loveday.
– J’ai changé d’avis ! Parce que c’est évident !
– Emily n’a pas tort : pourquoi écarter M. Piggott des suspects ? répliqua
Scott. Et franchement, qu’est-ce qu’il fabriquait dans les grottes ? C’est
bizarre, quand même.
– Très bizarre, oui. J’appelle l’inspecteur Hassan, déclara Emily en
prenant son portable dans son sac à dos étanche.
Elle appuya sur les boutons et esquissa une grimace.
– Zut, je ne capte pas de réseau.
– Moi non plus, dit Scott en vérifiant son appareil. On n’a plus qu’à se
dépêcher de retourner au phare. Allez, je rame !
Lui aussi était plus doué, maintenant. L’embarcation fila rapidement vers le
promontoire rocheux, à l’autre bout de la baie. Dès qu’ils furent arrivés,
Emily sauta à terre.
– Papa ! appela-t-elle, apercevant son père en train de grimper l’escalier.
Il se retourna et leur adressa un large sourire.
– Salut, les jeunes ! Dommage, vous avez tout raté…
– Qu’est-ce qu’on a raté ? s’inquiéta Emily. Et puis, tu nous le diras après,
parce qu’on doit vite téléphoner et…
– Il y a eu un autre vol au musée, déclara alors Seth Wild en les rejoignant.
Cette fois, ils ont dérobé le casque de cérémonie et l’épée royale !

5. « Être ou ne pas être », dans Hamlet.


13
FranChemeNt
BizarRe

B
– on… On peut rayer définitivement l’un de nos principaux suspects de
la liste, décréta Scott.
Il était assis avec Emily et Jack sur un rocher, face à la mer. La nouvelle
que venait de leur apprendre Seth Wild les stupéfiait…
Le vol s’était produit trois quarts d’heure plus tôt. Or ils avaient vu M.
Piggott une demi-heure auparavant. Il lui aurait fallu à peine un quart d’heure
pour s’enfuir de la salle des archives avec son butin, l’emporter dans un
bateau et ramer jusqu’aux grottes ? Irréalisable !
– Même s’il était champion olympique d’aviron, il n’aurait pas pu le faire,
affirma Scott. On a mis presque trente minutes pour revenir, et on était en
mode speed. J’ai mal à tous mes muscles !
– Même avec un bateau à moteur, ce ne serait pas possible, renchérit
Emily. On peut toujours imaginer que le voleur est passé par la paroi de la
falaise, qu’il l’aurait descendue en rappel, ce genre de choses… Mais
franchement, ça lui aurait aussi pris des heures.
– Et si M. Piggott savait voyager dans le temps ? plaisanta Jack. Ça
expliquerait qu’il soit aussi calé sur l’âge du fer !
Scott et Emily ne purent s’empêcher de rire.
– En tout cas, il a un alibi parfait, reprit Emily. On est d’accord tous les
quatre sur ce point.
– Tous les quatre ? répéta Jack, interloqué.
– Drift est le premier à l’avoir vu, tu te souviens ?
Reconnaissant son nom, Drift s’assit aussitôt. Son oreille noire tomba sur
son œil, et la blanche mouchetée de brun se tint toute droite.
– Ah, Drift a faim ! s’exclama Jack. D’ailleurs, moi aussi. Et si on allait
manger un morceau ?

Quelques instants plus tard, installés à la terrasse de la crêperie « Chez


Dotty », les trois amis se régalèrent de fish and chips6 tout en continuant à
parler avec animation de leur enquête. Emily prit de nombreuses notes dans
son carnet.
– Peut-être qu’il y a deux voleurs, déclara Jack en secouant deux fois la
bouteille de ketchup dans son assiette, comme pour ponctuer ses paroles.
Deux voleurs qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Si ça se trouve,
M. Pédant a piqué le bouclier, et quelqu’un d’autre a pris le casque et
l’épée !
Emily réfléchit en mâchouillant le bout de son stylo.
– C’est possible… Mais une chose est sûre, il faut qu’on retourne au musée
pour vérifier les alibis des autres suspects. L’opération « trésor disparu »
continue !

Ils empruntaient la voie des Châtelains quand la voiture de l’inspecteur


Hassan émergea dans la rue et descendit en direction de Carrickstowe. Même
si le véhicule roulait plutôt vite, Emily crut apercevoir une silhouette assise à
l’arrière. Aurait-on arrêté quelqu’un ?
Ils se hâtèrent de grimper la côte. Parvenus en haut, ils constatèrent que
tout était incroyablement calme et désert. Emily leur indiqua la petite voiture
de Victoria White :
– Cachons-nous derrière et attendons !
Ce qu’ils firent aussitôt. Au bout d’une dizaine de minutes, Mme Loveday
apparut à l’entrée du musée, la mine catastrophée.
– Décidément… Une arrestation ! s’exclama-t-elle en se tapotant le front
avec un mouchoir. Il ne manquait plus que ça !
Et elle alla s’asseoir sur le banc le plus proche. Peu de temps après, un
homme en tee-shirt, les bras couverts de tatouages, sortit du bâtiment pour lui
apporter une tasse de thé. Pete Morley !
– Si lui, il est là, chuchota Jack, ça veut dire qu’ils ont arrêté…
– Victoria White ! s’écria Mme Loveday au même instant, comme en
réponse au commentaire de Jack. J’avais mes soupçons, certes…
Toujours dissimulés derrière la voiture, Jack, Scott et Emily se regardèrent
avec perplexité. Victoria White ? Ils n’y croyaient pas… Pas plus que Pete
Morley, visiblement.
– Ça n’a aucun sens, affirmait-il à Mme Loveday. La famille de Vicky a
gagné une fortune en vendant le trésor au British Museum. Elle n’a pas besoin
d’argent.
Mme Loveday esquissa une moue sceptique.
– Oui, mais quelquefois, plus on en a, plus on en veut ! Victoria a été très
gâtée depuis que ses parents sont riches !
– C’est faux ! protesta Emily à voix basse. Vicky a toujours travaillé dur !
Elle est honnête.
Mais de toute évidence, Mme Loveday n’était pas du même avis…
– Mlle White est cupide, croyez-moi ! Elle a l’air innocente, comme ça,
alors que… Et vous vous rendez compte, elle n’a même pas été choquée
qu’on me soupçonne, moi ! Cet inspecteur Hassoum a eu le toupet de me
demander la clé de mon placard de rangement hier. Il a fouillé dans mes
produits et tout laissé en désordre ! Il ne manquait plus que ça !
Pete Morley haussa les épaules.
– Pensez ce que vous voulez, en ce qui me concerne, je suis sûr qu’ils se
trompent à son sujet.
– Mais vous avez bien entendu ce que la police a dit ? répliqua
Mme Loveday. Ils ont découvert tous les codes de sécurité dans son
ordinateur portable. C’est une preuve inclassable, ça !
– Une preuve incontournable, rectifia Pete Morley.
Puis il tourna les talons et retourna dans le musée.
– Oui, vraiment incontournable, marmonna Mme Loveday.
Et elle resta assise sur le banc, pensive, le visage sombre.
Scott regarda Jack et Emily d’un air triomphant.
– On avait raison ! Victoria a dû réussir à pirater le logiciel Citadelle et à
voler les codes, chuchota-t-il.
– Peut-être, murmura tristement Emily. Essayons d’en savoir plus…
Elle se tourna vers Drift.
– Va chercher ! ordonna-t-elle en tendant le doigt en direction de
Mme Loveday.
Drift comprit aussitôt. Il partit en courant sur le parking et se mit à fureter
un peu partout.
– Maintenant, on fait semblant d’essayer de l’attraper ! ajouta Emily.
Et elle s’élança aux trousses de son chien. Jouant le jeu, Drift se cacha
sous le banc où Mme Loveday se trouvait, et il attendit Emily en remuant la
queue.
– Ah, te voilà ! s’écria Emily en bondissant vers lui. Excusez-moi, madame
Loveday, il a dû voir un lapin ou je ne sais quoi…
Scott et Jack la rejoignirent et saluèrent poliment la vieille dame.
– Oh, ne t’inquiète pas, ma petite Emily, j’étais seulement en train
d’essayer de recouvrer mes esprits, répondit Mme Loveday d’une voix
tremblante. Figure-toi qu’on a encore subi un vol ! Et même si je n’aime pas
faire une colline à partir de rien, je suis dans tous mes états… La police a
arrêté Victoria White !
– Vous ne faites pas une montagne à partir de rien, madame Loveday,
intervint Scott. C’est une très mauvaise nouvelle, et M. Piggott doit être dans
tous ses états, lui aussi, ajouta-t-il finement.
Mme Loveday acquiesça d’un air grave.
– Pauvre M. Piggott ! Dire qu’il ne s’est aperçu de rien, alors qu’il était là
ce matin, en train d’annuler tout ce qui avait été prévu pour l’inauguration de
l’exposition… J’étais dans le couloir, je l’ai entendu…
– Vous avez de nouveau poli les poignées de porte ? s’enquit Jack d’un air
innocent.
– Non, cette fois, j’ai passé le chiffon à poussière, répliqua Mme Loveday.
À cause des vieilles pierres, je n’en vois jamais le bout ! Entre les toiles
d’araignée et le reste…
Scott, Jack et Emily échangèrent un coup d’œil. Mine de rien,
Mme Loveday venait de leur livrer une information capitale : M. Piggott était
sur place dans la matinée ! Alors qu’ils l’avaient vu dans les grottes !
Quelque chose clochait.
– Qu’est-ce qui a été volé, cette fois ? demanda Emily, jouant la comédie à
la perfection.
– Le casque de cérémonie et l’épée royale. Quand les agents de sécurité
ont vérifié le contenu du coffre, ils s’étaient volatilisés. M. Piggott a aussitôt
prévenu la police, qui a fouillé les lieux… Et c’est là qu’on a découvert les
activités fourches de Victoria White !
– Vous voulez dire les activités louches ? fit Jack.
– Parfaitement.
Mme Loveday poussa un grand soupir.
– Quand je pense que M. Piggott l’a embauchée… Quelle fille ingrate ! Il
ne manquait plus que ça ! Oh ! là, là il vaut mieux que je m’active, sinon, je
risque de me faire trop de mauvais sang !
Sur ces mots, Mme Loveday se leva et retourna hâtivement à l’intérieur du
musée. Abasourdis, Scott, Jack et Emily la suivirent du regard, puis ils
restèrent silencieux quelques instants.
– Comment M. Piggott pourrait être en deux endroits en même temps ?
murmura Emily.
– Ça ne colle pas… Pas du tout, renchérit Scott. Il y a un truc…
– Forcément, dit Jack. Un drôle de truc, même…
6. Grands morceaux de poisson pané accompagnés de frites (un plat typiquement britannique).
14
ÉChoS
FraCassAnts

L e lendemain matin, Scott et Jack dévoraient leurs œufs brouillés au


bacon quand tante Kate fit irruption dans la cuisine en brandissant un
exemplaire du Quotidien de Carrickstowe.
– On parle de Castle Key en première page !
Elle posa le journal sur la table. « Journée noire pour Victoria White »
clamait le gros titre au-dessus d’une photographie montrant la jeune femme
souriante, vêtue d’une robe élégante. Elle brandissait une coupelle, comme
pour célébrer quelque chose. Le cliché, qui avait dû être pris pendant une
fête, donnait l’impression que Victoria était aussi fortunée que superficielle.
– Il y a encore eu un vol au musée, reprit tante Kate d’un air soucieux.
– Oui, on en a entendu parler, dit Scott.
Jack garda le silence en faisant mine de se concentrer sur la tartine qu’il
beurrait. Ils n’avaient pas menti à leur tante à propos de l’enquête, mais ils ne
lui avaient pas tout révélé pour autant. Chaque soir, lorsqu’elle leur
demandait s’ils avaient passé une bonne journée, ils lui répondaient par
l’affirmative, expliquant brièvement qu’ils avaient été à la plage ou faire du
bateau… Rien de plus. Tante Kate n’était pas friande de détails, et tant mieux.
D’un accord tacite, Jack et Scott ne partageaient avec les adultes que les
informations strictement nécessaires !
Dès que tante Kate eut quitté la cuisine, Jack s’empara du journal.
– Donne-le-moi, protesta Scott en arrachant le quotidien des mains de son
frère.
Il y eut un bruit de papier déchiré… Puis l’un comme l’autre se
retrouvèrent avec une partie de la photo de M. Piggott qui illustrait également
l’article.
– Voilà comment il peut être en deux endroits en même temps, s’esclaffa
Scott avant de lire, en même temps que Jack, ce qui avait été publié.
Ils ne découvrirent rien de nouveau, Mme Loveday leur ayant déjà tout
appris : Victoria White, âgée de dix-neuf ans, avait été arrêtée la veille,
accusée d’avoir dérobé trois des principales pièces du trésor saxon confié au
musée de Castle Key. Le bouclier d’or, le casque de cérémonie et l’épée
royale, qui avaient été prêtés par le British Museum…
Toutefois, dans le dernier paragraphe, ils tombèrent quand même sur un
détail d’importance : Victoria White avait affirmé se trouver à Carrickstowe
lorsque le deuxième vol s’était produit. À ce moment-là, elle se rendait à un
rendez-vous chez Décorama, fournisseur de cadeaux pour la boutique du
musée. « Malheureusement, son supérieur, Geoff Piggott, et Shane Webb, le
directeur de Décorama, démentent tous deux cette information », précisait la
journaliste Belinda Baxter.
À cet instant, tante Kate revint dans la cuisine en essuyant ses lunettes sur
un coin de son tablier.
– Qu’est-ce qu’il fait chaud ! J’ai l’impression qu’il va y avoir de
l’orage…
Aussitôt, Jack et Scott tournèrent la page et firent semblant de lire une BD.
Mais tante Kate devait elle aussi se sentir concernée par ce qui se passait au
musée car elle déclara :
– Personnellement, je ne crois pas une seule seconde que Victoria White
soit la coupable.
– Pourquoi ? demanda Jack.
– C’est très simple ! Je n’y connais pas grand-chose en informatique, mais
si cette fille est suffisamment intelligente et douée pour pirater un logiciel de
cryptage ultra-sophistiqué, pourquoi laisserait-elle traîner les codes qu’elle
aurait récupérés illégalement sur le disque dur de son ordinateur ? Ce serait
totalement idiot !
Tout en débarrassant la table du petit déjeuner, tante Kate ajouta :
– À mon avis, elle a été piégée. C’est un coup monté ! Jack, tu as fini ton
bacon ?
Jack la dévisagea avec stupeur. Un logiciel de cryptage ? Pour une dame
âgée qui vivait au milieu de nulle part et n’y connaissait rien en informatique,
elle avait l’air super au courant ! Peut-être était-ce à force de lire tous ces
livres d’espionnage qu’il avait remarqués dans la bibliothèque du salon…
– Maintenant, j’ai un grand service à vous demander, poursuivit-elle. Je
m’étais proposée pour nettoyer les cuivres de l’église ce matin, mais je dois
préparer mon discours pour une conférence d’écrivains à laquelle je suis
invitée… Mes chéris, accepteriez-vous de me remplacer ?

Scott astiqua le bec d’un aigle dont les ailes déployées servaient de
support à une bible, sur la chaire. Il n’avait encore jamais vu autant de
cuivre ! Les bougeoirs, les rampes et les balustrades, les plaques
commémoratives… Ça leur prendrait des semaines pour tout lustrer !
– J’ai l’impression d’être comme Mme Loveday qui n’en finit jamais avec
ses poignées de porte, se lamenta Jack en frottant un vase.
Scott réprima un sourire. Effectivement, c’était rasoir d’être là… Mais en
même temps, au fond de lui-même, ça lui plaisait malgré tout ! L’église était
paisible, le soleil filtrait à travers les vitraux, et ses rayons illuminaient le
sol de reflets arc-en-ciel. Surtout, tout en travaillant, il pouvait réfléchir
tranquillement.
Tante Kate avait dit quelque chose de très juste : pourquoi Vicky n’avait-
elle pas dissimulé les preuves qui l’accablaient ? Si elle avait vraiment
piraté ces fameux codes, et à moins d’être d’une naïveté proche de la bêtise,
elle ne les aurait jamais laissés en accès libre sur son ordinateur !
Se mettant à frotter les serres de l’aigle, Scott éprouva une étrange
satisfaction lorsqu’une teinte dorée apparut sous la couche de saleté grisâtre.
« Et si Vicky a volé le casque et l’épée hier matin, elle aurait sûrement trouvé
mieux, comme alibi, que cette histoire de rendez-vous dans une boutique de
cadeaux que personne ne peut confirmer ! » pensa-t-il.
À ce moment-là, un bruit assourdissant retentit en cascade autour d’eux.
Scott sursauta et laissa tomber sa boîte de pâte à polir.
Ta-ta-ta-taaaaaaaa ! Et le volume augmentait encore et encore… Mais
d’où provenait ce tintamarre ?
Regardant autour de lui, Scott écarquilla les yeux en découvrant les
grandes orgues… Comment n’avait-il pas remarqué l’instrument ? D’autant
qu’il recouvrait pratiquement tout le mur arrière ! Dans un cadre de bois
sculpté, ses tuyaux s’élevaient jusqu’aux poutres du plafond… et laissaient
échapper, à présent, des notes aussi mélodieuses que puissantes.
– Ne me dis pas qu’on doit aussi les polir ! s’exclama Jack.
– Ça m’étonnerait, répondit Scott en riant. On va jeter un coup d’œil ?
De là où ils se trouvaient, ils ne voyaient pas l’organiste. Ils empruntèrent
un petit escalier qui grimpait derrière les tuyaux. En haut, un homme était
assis devant plusieurs claviers. Ses mains s’activaient à toute allure, passant
de l’un à l’autre tandis que ses pieds s’agitaient également sur le pédalier.
Peu à peu, la musique s’adoucit, cessa… Et le musicien se tourna vers Jack et
Scott… qui l’observèrent avec stupeur.
Il portait une chemise noire et le col blanc d’un pasteur, mais le reste de
son allure était moins traditionnelle : un pantalon de motard en cuir, une
touffe de cheveux violets au milieu d’un crâne rasé, une rangée d’anneaux
argentés plantés dans un sourcil… À Londres, il serait quasiment passé
inaperçu mais, dans l’église de Castle Key, il produisait le même effet qu’un
flamant rose au milieu d’une mare de canards.
– Salut, les jeunes. C’est sympa de nous aider. Je suis Colin Warnock, le
vicaire de l’église Saint-Michel !
Il leur tendit la main puis, y jetant un coup d’œil, ébaucha une grimace :
deux de ses doigts étaient bandés.
– Ça ne m’aide pas à jouer la Marche nuptiale. Mais quand on y croit, tout
est possible…
– C’est l’orgue qui vous a fait ça ? demanda Jack.
Regardant son expression effrayée, Scott devina que son frère devait
imaginer l’intérieur de l’instrument comme un organe vorace, cruel et peut-
être même cannibale…
Colin Warnock sourit.
– Non, je suis bêtement tombé de mon vélo en prenant trop vite le virage
qui mène à la plage du Couchant !
Puis, se détournant, il se remit à jouer. Des accords magnifiques
résonnèrent dans la totalité de l’église. Un air familier qui n’était pas un
hymne… Scott réalisa brusquement que Colin interprétait Bohemian
Rhapsody du groupe de rock Queen ! Si seulement il avait pu l’accompagner
à la guitare… Jack se mit à chanter en tenant sa boîte de cire comme s’il
s’agissait d’un micro. Tous deux applaudirent quand Colin poursuivit en
crescendo jusqu’à la note finale, qu’il garda plusieurs secondes…
– Trop cool ! s’extasia Jack.
– Tu veux essayer ? proposa Colin.
Jack s’installa joyeusement devant les claviers, et il plaqua avec
enthousiasme ses dix doigts en différents endroits, s’amusant à faire
n’importe quoi. Scott se boucha les oreilles. Ça produisait autant de boucan
qu’une centaine de cornemuses écrabouillées par un bus !
– C’est horrible, s’esclaffa Colin. Attends, je vais te montrer comment ça
fonctionne…
Il s’assit à côté de Jack et actionna différents boutons.
– Là, on bloque l’ouverture et la fermeture des tuyaux. C’est ce qui permet
de moduler l’amplitude sonore : ce sera plus ou moins puissant…
Laissant Jack à son cours d’orgue, Scott s’éloigna pour finir de polir
l’aigle de la chaire. Il grimaça quand son frère produisit un son qui
ressemblait à un monstrueux coup de Klaxon suivi d’un crissement affreux…
Jack s’en donnait à cœur joie !
Scott se concentra sur les délicates parties de cuivre qu’il frottait, et là,
peu à peu, les paroles de Colin lui revinrent à l’esprit. Pourquoi avait-il
l’impression que quelque chose de très important était en train de lui
échapper ? Il éprouvait la même sensation lorsqu’il essayait de se souvenir
d’un rêve le matin : ça restait insaisissable…
Puis tout à coup, il eut le déclic.
– Bingo ! s’écria-t-il à tue-tête.
Une idée lumineuse venait de jaillir dans son esprit… Sûrement l’idée la
plus géniale depuis l’invention du pop-corn au micro-ondes !
15
Des CraCks !

S cott ferma les yeux afin de savourer pleinement l’impact de sa


découverte. Si on pouvait amplifier ou diminuer le son d’un orgue en
ouvrant ou en fermant ses tuyaux, le même principe s’appliquait forcément
à…
Il prit son téléphone dans sa poche et envoya un texto à Emily : RV au
bateau au + vite.
Puis il appela Jack.
– On y va !
– Non, moi, j’ai envie de rester ici, protesta Jack. C’est trop génial de
jouer de l’orgue !
– Dépêche-toi ! Ça urge !
– Tu pourras revenir, promit Colin à Jack. De toute façon, maintenant, je
dois travailler des cantiques. La prochaine fois, je t’apprendrai à jouer le
thème de La Guerre des étoiles.
Les yeux brillants, Jack le remercia et rejoignit Scott qui se précipitait déjà
vers la porte.
– Qu’est-ce qui se passe, à la fin ?
Dehors, la chaleur contrastait tellement avec la fraîcheur de l’église qu’ils
eurent l’impression d’entrer dans un sauna.
– Je t’expliquerai quand on aura retrouvé Emily…
Dans la cuisine du phare, Emily aidait sa mère à couper des tomates pour
le buffet de midi quand elle reçut le texto de Scott. Elle lança aussitôt son
couteau dans l’évier.
– Maman, il faut que j’y aille, désolée.
– C’est ton petit ami qui te donne rendez-vous ?
– Mon petit ami ? C’est Scott qui vient de m’envoyer un SMS…
Sa mère lui sourit.
– Ah, oui, l’aîné. Grand, les yeux verts, les cheveux décolorés par le
soleil… Plutôt mignon.
– Maman ! protesta Emily. Scott n’est pas mon petit ami ! Si jamais tu dis
ça de nouveau, attention, je fugue !
– Amuse-toi bien, ma chérie ! répondit sa mère d’un air malicieux.
Sans répondre, Emily dévala l’escalier en colimaçon, suivie par Drift,
comme d’habitude…

– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Emily tandis que Scott et Jack se


précipitaient vers elle.
Arrivée la première à la crique, elle avait déjà détaché les amarres du
Gemini.
– Aucune idée, dit Jack. On était en train de polir les cuivres de l’église,
ensuite j’ai joué de l’orgue, puis Scott m’a obligé à déguerpir… Mystérieux à
mort, il fallait vraiment qu’on parte tout de suite… Il a eu une expérience
mystique, tu crois ?
– Qu’est-ce que tu racontes ? répliqua Emily. Scott ?
Il était en train de pousser le bateau dans l’eau.
– Je vous expliquerai pendant qu’on va aux grottes !
Il prit les rames dès qu’Emily et Jack se furent installés, et ils s’éloignèrent
rapidement de la pointe rocheuse.
– Alors voilà : Colin, le vicaire, nous a décrit comment fonctionne l’orgue.
On peut ouvrir et fermer les tuyaux pour changer les sons, d’accord ?
Scott cessa de ramer quelques secondes pour observer Emily et Jack. Ils
l’écoutaient, parfaitement perplexes. Seul Drift avait l’œil vif.
– D’accord… Mais encore ? soupira Jack.
– Tu ne comprends pas ? C’est peut-être exactement ce qui se produit dans
les grottes !
– Oui, oui, c’est ça… Il y a un géant qui appuie à certains endroits de la
falaise pour augmenter ou baisser les sifflements, railla Jack. Scott, tu as
respiré trop de pâte à polir, ça t’a abîmé les neurones.
Mais Scott poursuivit :
– Si les grottes sifflent, c’est sûrement parce que le vent passe à travers les
endroits où il y a du vide dans les parois : des trous, des failles, des
galeries… Mais si jamais l’air est dévié parce qu’on a ouvert, ou fermé, un
passage dans l’une des grottes, le son change… ou s’arrête !
Emily le dévisagea, soudain frappée par l’évidence, elle aussi. À son
esprit surgirent les images de contrebandiers débarquant sur la petite plage
de galets par une nuit d’orage, envoyant des signaux à leurs complices
campés en haut de la falaise pour leur dire d’ouvrir la trappe…
– Tu veux dire qu’il y aurait un… passage secret ?
– Exactement. Et il doit conduire du château jusqu’à la mer, affirma Scott.
– Mais oui ! Ça collerait trop bien ! s’exclama Jack. Si ça se trouve, c’est
comme ça que les habitants du château s’échappaient…
Puis il se mit debout au milieu du bateau et continua sur le ton du steward
dans un avion :
– Mesdames et messieurs, dans le cas où nous serions attaqués, ce qui a
très peu de risques de se produire, les issues de secours se trouvent par ici et
par là… Veillez à retirer vos chaussures à talons avant d’entrer dans le
tunnel !
Drift se leva également d’un bond et commença à sautiller près de Jack. Le
Gemini tangua dangereusement…
– Attention, on va chavirer ! dit Emily en riant.
Puis elle tapa dans ses mains avec enthousiasme.
– Jack, tu es un génie ! Vous vous souvenez du dicton ? « Grottes
silencieuses, château soucieux ». Les grottes ne font plus de bruit si quelqu’un
ouvre le passage… Et ça veut aussi dire que le château est attaqué !
Un large sourire illumina le visage de Jack. C’était la première fois qu’on
le qualifiait de génie !
Tous tendirent l’oreille à mesure qu’ils s’approchaient des grottes. Celles
de Drift frémirent… Et bientôt, ils perçurent un son clair et perçant qui
s’élevait au-dessus du bruit des vagues. On était à marée basse, les grottes
sifflaient. Donc, si leur théorie était juste, le passage secret – s’il existait –
serait fermé…
16
VivE DriFt !

T andis qu’ils s’approchaient des grottes, Emily sauta à l’eau et,


alternant nage et marche, elle se hâta de gagner le rivage, munie du cordage
pour attacher le bateau. Le fond de la mer, rocheux à cet endroit, lui érafla
plusieurs fois les genoux, mais elle ne ralentit pas pour autant, remarquant
que la marée commençait à monter de nouveau. Les vagues entouraient déjà
l’étroite rive constellée de galets.
Dès qu’elle eut trouvé un appui suffisant, Emily amarra le Gemini pendant
que Jack et Scott, à l’aide des rames, empêchaient l’embarcation de heurter
les rochers.
– On ne pourra pas rester longtemps, prévint-elle en nouant solidement la
corde. L’entrée de la grotte est envahie par l’eau à marée haute. On a environ
une heure, peut-être un peu plus, précisa-t-elle en consultant sa montre.
– Si tu crois qu’on ne sera pas en sécurité, on peut revenir demain, dit
Scott, prudent comme toujours.
– Espèce de poule mouillée ! se moqua Jack en s’engouffrant déjà dans la
plus grande des cavernes. Si tu préfères rentrer à la maison et jouer aux
petites voitures, ne te gêne pas !
D’abord, il dut se baisser, mais au fur et à mesure qu’il avançait, la voûte
devint plus haute. Peu à peu, le bruit de la mer et le cri des mouettes furent
comme étouffés. Même le sifflement s’atténua. Étonnant ! Il continua,
bondissant allègrement sur les grosses pierres qui jonchaient le sol. Ce
passage secret, il rêvait de le découvrir !
Il poursuivit encore et, brusquement, glissa sur des cailloux. Aïe… Se
relevant, il s’aperçut que Scott et Emily restaient encore loin derrière lui.
Leurs silhouettes se dessinaient à l’entrée inondée de soleil, alors que là où il
se trouvait, tout était de plus en plus sombre.
– Scott !
Scoooott !
L’écho résonna autour de lui.
Plus nerveux qu’il ne l’aurait souhaité, Jack marcha droit devant lui et se
cogna le front contre une arête rocheuse. Il lâcha un juron, cligna des yeux
pour essayer d’y voir plus clair… Et entendit soudain des crissements
bizarres semblant provenir des profondeurs caverneuses. Puis il y eut des
halètements… Et quelque chose de poilu le frôla.
– C’est quoi, ça ? s’écria-t-il, le cœur martelant sa poitrine.
La peur l’envahit…
– Drift ! Drift ! appela soudain Emily.
Jack se mit à rire et tâtonna pour caresser Drift qui s’était assis près de lui.
– Emily, il est là ! Il m’a fichu une de ces frousses…
– On a des torches, j’en avais dans le bateau, avec les affaires de secours !
– Merci de me l’avoir dit plus tôt, marmonna Jack tandis qu’Emily et Scott
le rejoignaient.
Scott balaya son faisceau lumineux autour d’eux.
– On y va, mais on reste groupés !

Quelle obscurité… Même avec leurs éclairages, ils avaient du mal à


distinguer quoi que ce soit. « On ne va jamais y arriver ! » pensa Scott au
bout d’une demi-heure à scruter chaque coin et recoin.
– C’est impossible… On fait demi-tour. La marée remonte, il ne faut pas
risquer d’être coincés…
Mais à ce moment-là, sa main, qu’il laissait traîner le long de la paroi
humide, s’introduisit accidentellement dans une faille plus large que les
autres.
– Hé, venez vite !
Emily et Jack se précipitèrent. À la lumière de leurs torches, ils purent
voir une crevasse qui courait du sol jusqu’en haut, d’une largeur suffisante
pour qu’un être humain puisse s’y glisser… Ce que Scott fit aussitôt. Le cœur
battant, il avança… et déboucha sur une sorte d’alcôve naturelle.
– Waouh !
Il éclaira des colonnes rocheuses, un plafond creusé de cavités comme une
éponge gigantesque. Mais le plus extraordinaire, c’était le bruit ambiant…
Les sons émis par l’air qui vibrait et sifflait… À croire qu’un chœur
invisible l’animait !
– Géant ! s’écria Jack en le rejoignant, suivi par Emily.
– C’est dingue… On doit être au milieu des grottes du Vent-Huant,
murmura Emily.
Émerveillés, les trois amis promenèrent leurs torches sur les parois
humides et rocailleuses. Elles semblaient d’une épaisseur et d’une densité
incroyables… Sauf que tout à coup, les rayons éclairèrent quelque chose qui
ne ressemblait pas à de la roche. C’était plus clair, et au fond d’un creux.
– C’est quoi ? demanda Jack.
– On va vite le savoir, dit Emily en se précipitant la première.
Elle tendit la main… Et saisit un bout de tissu ! Mais elle eut beau tirer, il
resta coincé dans la faille. S’approchant à son tour, Scott l’empoigna
vigoureusement… Et un volumineux sac, en grosse toile beige, tomba par
terre. Drift vint le renifler avec intérêt et, ensemble, ils l’ouvrirent.
Un disque d’or apparut d’abord, aussi grand qu’une roue de vélo,
étincelant sous leurs lumières. Sa surface était gravée de dragons, de loups et
de sangliers entourés d’une frise alliant spirales et mystérieuses inscriptions
runiques. Puis ils découvrirent le bouclier… et le casque de cérémonie. Le
métal au niveau de l’arcade sourcilière et du nez était incrusté de joyaux
rouges et jaunes qui brillaient de mille feux.
– Et ça, c’est l’épée royale, murmura Emily en saisissant la lame au
manche incrusté de pierres précieuses.
Comme elle la faisait glisser hors de son fourreau, le métal refléta l’éclat
de leurs lampes.
– M. Pédant avait raison, le trésor est plus magnifique en vrai que sur
l’affiche, dit Jack, résumant ce qu’ils pensaient tous les trois. C’est forcément
le voleur qui a tout caché ici…
– Mais pas Victoria White, répondit Emily. Je ne crois vraiment pas que ce
soit elle.
– Moi non plus. Elle aurait trouvé un meilleur alibi que son histoire de
rendez-vous dans une boutique de cadeaux, affirma Scott.
– Donc tante Kate a raison : c’est un coup monté, décréta Jack. Quelqu’un
veut faire porter le chapeau à Victoria.
– Mais qui ? demanda Emily.
– M. Pédant, c’est sûr ! s’exclama Jack. Il a recopié les codes sur
l’ordinateur de Victoria pour que la police l’accuse d’avoir piraté le système.
Mais je parie que c’est lui qui a volé le trésor et qui l’a planqué ici.
– Ça collerait, admit Emily. Et ça expliquerait pourquoi on l’a vu à
l’entrée des grottes hier matin. Vous vous souvenez, il n’avait pas l’air très
content de nous voir… Normal ! Et il n’a pas eu besoin de bateau parce que,
grâce au passage secret, il peut débarquer ici en quelques minutes !
– On est les meilleurs ! s’écria Jack en faisant un check avec Emily. On a
résolu le mystère !
Mais Scott se racla la gorge.
– Il y a quand même un problème : Mme Loveday a dit qu’elle avait
entendu M. Piggott dans son bureau au moment des deux vols…
– Mme Loveday a menti, c’est tout ! répliqua Jack. Je mets ma main à
couper qu’elle est folle dingue de M. Pédant. Elle le couvre.
Emily se mit à pouffer de rire.
– Jack, tu penses que tous les deux, ils sont… Enfin…
– Je ne veux même pas imaginer ! s’esclaffa Jack.
– En tout cas, ils sont peut-être complices, dit Scott. Si on prouve qu’ils…
Un bref aboiement l’interrompit. Un peu plus loin dans la grotte, Drift
reniflait quelque chose avec beaucoup d’énergie, puis il aboya de nouveau.
– Il a fait une découverte, dit Emily.
Ils se précipitèrent et éclairèrent le sol que Drift était en train de gratter.
Une lueur brilla par terre…
C’était une boulette de papier d’aluminium froissée ! Jack la ramassa et la
déplia.
– Du papier de chewing-gum… De Freedent.
Il regarda fixement Scott, l’air stupéfait. Tous deux connaissaient
quelqu’un qui achetait la marque Freedent…
Quelqu’un qui leur en avait même offert.
Quelqu’un qui, malgré sa condamnation, n’aurait finalement pas réussi à
oublier son attirance pour les méfaits…
Pete Morley !
17
Au CŒur
Du mYstÈRe

P endant que Scott et Jack examinaient le papier d’aluminium, Emily


contemplait Drift. Visiblement, il avait flairé autre chose. Campé devant l’une
des parois rocheuses, il reniflait encore et encore, les oreilles dressées. Puis
il tourna la tête vers Emily et la regarda fixement : il voulait qu’elle le
rejoigne !
– Qu’est-ce que tu as vu ?
Elle s’avança… Et il fila derrière un rocher. Elle le suivit… Et découvrit
une faille assez large et sombre. Le cœur battant, elle éclaira devant elle,
esquissa encore quelques pas…
Et distingua une trouée qui filait à l’intérieur de la falaise.
– Le passage secret ! s’écria-t-elle, folle de joie. Drift l’a trouvé !
En un bond, Jack et Scott furent auprès d’elle. Ils émirent un sifflement
enthousiaste.
– Drift est trop génial ! s’exclama Jack. On y va !
Il se baissa aussitôt pour s’enfoncer dans ce qui semblait bel et bien être
un tunnel. Mais Scott le retint par le bras.
– Et si c’était dangereux ? Tante Kate nous a dit d’être prudents, tu te
souviens ?
– Oui, mais là…
– Et si on ne pouvait pas respirer là-dedans ?
– Si le voleur est passé par là, on n’a rien à craindre… Sauf la marée
haute, précisa Emily. Il nous reste moins d’une demi-heure, ajouta-t-elle en
regardant sa montre. Allons jeter un coup d’œil vite fait, et on reviendra
demain pour tout explorer tranquillement !
– Rassuré, espèce de trouillard ? lança Jack à son frère d’un ton moqueur.
– Trouillard toi-même, marmonna Scott en haussant les épaules. J’ai envie
de fêter mes quatorze ans, moi ! Bon, on fonce pour pouvoir sortir d’ici dans
vingt-cinq minutes au plus tard !

Le cœur battant, Scott s’enfonça le premier dans l’ouverture. Rapidement,


ça grimpa dans l’étroit boyau creusé au milieu de la roche. Scott rampa tout
en tenant sa torche puis, au bout de quelques mètres, il put enfin se
redresser… Un peu. Il poursuivit en restant voûté. Emily, Jack et Drift le
suivaient.
Concentré sur chacun de ses pas, Scott essayait de maîtriser la peur qui
l’envahissait insidieusement. Il entendait sa respiration se mêler aux
sifflements qui, par vagues, traversaient le passage et résonnaient en lui
autant qu’à l’extérieur…
Soudain, il se heurta à quelque chose. Emily et Jack se cognèrent contre
lui.
– C’est… une porte !
Ils braquèrent leurs torches devant eux et découvrirent un imposant battant
de bois, manifestement très ancien, émaillé de rivets et de clous. Scott essaya
de tourner l’énorme poignée métallique.
– Elle est fermée…
– Laisse-moi essayer, dit Jack.
Mais il eut beau s’acharner, la porte ne bougea pas d’un millimètre. En
désespoir de cause, Jack lança un coup de pied rageur… Et sa basket
s’enfonça dans une matière aussi molle que du carton humide.
– Pouah ! Le bois est complètement pourri en bas !
– Dans ce cas, on n’a qu’à imiter Drift, décida Emily en montrant son chien
qui commençait à gratter. On pourrait faire un trou.
Elle s’agenouilla et arracha facilement quelques lambeaux. Scott et Jack se
joignirent à elle mais, malgré leurs efforts, ils ne creusèrent pas très loin. Au
bout de quelques minutes, Scott s’arrêta, découragé et inquiet. L’heure
tournait.
– C’est quand même solide. On n’ira pas plus loin…
– Hé, Drift est passé ! s’exclama Jack tandis que le chien se faufilait de
l’autre côté. Il croit sûrement que c’est une trappe spéciale pour lui ! Drift,
jette un coup d’œil et dis-nous si tu vois une clé !
Emily éclata de rire.
– Il est intelligent, mais là, quand même…
– C’est trop injuste, gémit Jack. Pourquoi on est bloqués comme ça ?
– Qui te dit qu’on l’est ? rétorqua Emily en essayant, elle aussi, de se
glisser au travers.
– Attention, si jamais tu restais coincée… prévint Scott.
– J’y arrive !

Les éclats de bois vermoulu lui éraflèrent la peau, mais Emily insista,
força, poussa ses épaules en avant… et atterrit brusquement de l’autre côté.
Elle écrasa une patte de Drift qui poussa un cri bref.
– Oups, désolée…
– Alors ? firent Jack et Scott en même temps.
– Une seconde…
Emily braqua sa torche sur la porte. Aucune clé sur la serrure… Mais deux
gros verrous. Elle se redressa pour tenter d’en ouvrir un. Elle tira d’un coup
vif… À sa grande surprise, le verrou se débloqua aussitôt. Il avait dû être
graissé ! Le voleur était forcément passé par là peu de temps auparavant.
Lorsqu’elle voulut déverrouiller le second, elle ne rencontra pas plus de
difficultés. Elle n’eut plus qu’à appuyer sur le battant…
Et se retrouva nez à nez avec ses amis.
– Génial ! s’écria Scott.
– Géant ! renchérit Jack. Sauf que… Chut !
Tous trois se figèrent et tendirent l’oreille. Sitôt la porte ouverte, les
vibrations qui créaient le sifflement avaient cessé.
– Bingo ! s’exclama Scott. C’est exactement comme avec l’orgue, c’est
silencieux quand le passage de l’air est ouvert et…
– On va voir où ça mène ? l’interrompit Jack.
– Faisons vite, sinon on sera vraiment bloqués… par la marée, cette fois !
prévint Emily.
Alors, sans plus tarder, ils s’enfoncèrent davantage…
Le tunnel devint de plus en plus escarpé, sombre et étroit. Ils furent de
nouveau obligés de ramper pendant quelques mètres… Puis le boyau s’élargit
et, enfin, ils purent se redresser : ils se trouvaient dans une vaste cavité
rocheuse.
– J’ai trop mal aux genoux, se lamenta Jack. La prochaine fois, je porterai
un jean !
– Tu penses sérieusement qu’il y aura une prochaine fois ? répliqua Scott.
Mais Jack scrutait déjà les parois et le plafond, qui semblait composé de
grandes pierres plates comme des dalles.
– Je parie que le passage secret arrive quelque part au milieu des ruines du
château… Il ne nous reste plus qu’à trouver la porte ! Hé, c’est sûrement ça !
ajouta-t-il en désignant des entailles de part et d’autre d’une des plaques de
pierre.
Autour, on apercevait des marques plus claires, comme des rayures.
– Ça doit coulisser ! affirma-t-il, surexcité. On essaie ?
18
Une NouvElle SurpRise

E nsemble, ils tentèrent de faire glisser la plaque de pierre… En


vain. Elle ne bougea pas d’un millimètre. Ils s’apprêtaient à essayer de
nouveau quand Emily remarqua que Drift s’était campé sur le seuil de la
porte : il reniflait l’air provenant du tunnel, les oreilles plates comme
lorsqu’il avait peur… Et même très peur.
– Drift ? Qu’est-ce qu’il y a ?
Drift la regarda avec une lueur étrange au fond de ses grands yeux noirs,
puis il renversa la tête en arrière et hurla à la mort.
– Drift, stop ! Ce n’est pas la pleine lune ! lança Scott.
Mais les hurlements du petit chien continuèrent de plus belle. Ensuite, Drift
se mit à aller et venir entre le seuil du tunnel et Emily.
– Je ne sais pas pourquoi, mais il veut absolument repartir, dit Emily. Je
ferais mieux de l’emmener. Quelqu’un risquerait de l’entendre.
– On y va tous… Et on reviendra demain, proposa Scott.
– Quoi ? Et on s’en irait bredouilles ? protesta Jack. Pas question !
Emily avait très envie, elle aussi, de découvrir ce qui se trouvait de l’autre
côté… Mais le comportement de Drift l’inquiétait. Maintenant, il tremblait de
tous ses membres. Lorsqu’il posa une patte sur sa jambe, comme pour lui dire
de se dépêcher, elle n’hésita plus. Drift passait avant l’enquête.
– Je repars avec Drift. Ne restez pas plus de cinq minutes, la marée
monte !
– Tu te débrouilleras toute seule ? demanda Scott.
– Sans problème, il suffit de se laisser glisser sur les fesses pratiquement
jusqu’en bas ! Et de toute façon, je ne suis pas seule mais avec Drift.
– OK, on arrive dans cinq minutes, promit Scott. Mais si jamais la mer
était déjà haute, surtout, ne nous attends pas !

Jack et Scott poussèrent la plaque de pierre de toutes leurs forces, à en


avoir mal aux muscles… Et enfin, elle glissa, d’abord un peu, puis
complètement.
– Yes ! s’écrièrent-ils en même temps.
Sauf que l’étroite ouverture ne laissait apparaître qu’un espace plongé
dans le noir. Perplexe, Jack avança prudemment une main… Et palpa un épais
tissu laineux.
– Il y a un tapis juste au-dessus, chuchota-t-il. On doit arriver dans une
pièce !
– Et s’il y avait quelqu’un ?
Jack éclata de rire.
– Franchement, si c’était le cas, le tapis serait déjà en train de voler !
– Ha, ha, très marrant. Allez, on va voir.
– D’ac’…
Après avoir poussé le tapis – ce qui ne fut pas facile –, Jack cligna des
yeux, ébloui par la luminosité soudaine. Il se hissa à moitié et, balayant
l’endroit d’un rapide coup d’œil, tenta de se repérer.
Il se trouvait dans un angle…
Dans l’angle d’une salle connue ! réalisa-t-il à mesure que sa vision
s’adaptait. Ces cartes géographiques sur le mur, ces rayonnages de vieux
livres poussiéreux, cette table de travail avec un ordinateur… Tout ça, c’était
gravé dans sa mémoire.
– Le bureau de M. Piggott ! souffla-t-il.
À son tour, Scott passa sa tête. La stupeur se peignit sur son visage.
– Logique… Très logique, murmura-t-il. À l’époque, le meilleur endroit
pour cacher l’entrée d’un passage secret, c’était dans les cuisines au sous-
sol… Et les bureaux du musée sont là où il y avait les cuisines.
Jack se faufilait déjà dans la pièce.
– Reviens ! protesta Scott. On doit repartir, on l’a promis à Emily !
– Je veux juste vérifier quelque chose…
– Pourquoi puisqu’on sait que Pete Morley a fait le coup ?
Jack se retourna. Parfois, il se demandait si Scott était réellement l’aîné.
– Moi, je ne crois pas que Pete Morley soit le coupable.
Et il s’avança vers la table jonchée de documents. L’ordinateur était en
veille. Il commença à fouiller sans trop savoir ce qu’il cherchait… Une
preuve, juste une preuve que M. Piggott était le voleur ! Il ne voulait pas que
ce soit Pete Morley…
Avisant un exemplaire du Quotidien de Carrickstowe avec la photo de
Victoria White en première page, encore plié, Jack s’en empara…
Et un paquet de chewing-gums en tomba. Un paquet de la marque
Freedent !
Brusquement, il se souvint… Pete Morley ne leur avait-il pas précisé que
le marchand de journaux en offrait à qui le désirait ? Par conséquent, en ce
moment à Castle Key, tout le monde en mâchait… Même M. Pédant !
constata-t-il en découvrant des boulettes de papier d’aluminium dans la
poubelle. Trois, précisément.
– Ça y est, on le tient !
Il se précipita vers Scott en brandissant sa trouvaille.
– J’avais raison ! M. Pédant a volé le trésor… C’est lui qui a laissé
tomber des papiers de chewing-gum dans la grotte !
– Bien joué… Maintenant, on file !
Scott voulut attraper le mollet de Jack pour l’obliger à redescendre…
Mais au même instant, la voix de M. Piggott retentit dans la pièce :
– Je voudrais contacter le service de la communication, s’il vous plaît !
Jack sursauta, terrifié. À part Scott, dont la tête émergeait de l’ouverture, il
n’y avait strictement personne dans la salle !
– C’est au sujet de l’exposition du trésor de Carrickstowe… poursuivit M.
Piggott.
Paniqué, Jack regarda autour de lui. Où se cachait le professeur ? S’était-il
transformé en fantôme ?
– C’est un enregistrement sur l’ordinateur, souffla alors Scott. Tu as dû
toucher une touche du clavier et le déclencher sans le faire exprès. Viens
avant qu’il rapplique pour de bon !
Mais ce fut exactement à cet instant-là que Jack entendit une clé tourner
dans la serrure…
19
À l’AiDe !

E mily attendait à l’entrée du passage secret, de plus en plus inquiète.


Pourquoi Jack et Scott ne revenaient-ils pas ? À ses pieds, Drift tremblait de
plus belle, ses oreilles toujours plaquées en arrière. Elle le caressa
affectueusement pour essayer de le rassurer, puis jeta un nouveau coup d’œil
à sa montre. Pratiquement quinze minutes s’étaient écoulées. Avaient-ils
réussi à bouger la plaque de pierre ? Qu’est-ce qu’elle aurait aimé rester
avec eux… Mais Drift faisait un tel boucan qu’elle n’avait pas eu le choix !
De plus en plus impatiente – elle avait hâte d’apprendre à l’inspecteur
Hassan qu’elle avait résolu le mystère… avec l’aide, bien sûr, de Scott et
Jack ! –, elle retourna jusqu’au seuil du tunnel et appela ses amis. Mais seul
l’écho de sa propre voix, suivi d’un nouvel aboiement apeuré de Drift, lui
répondit.
– Ne t’inquiète pas, je suis là, dit-elle en retournant aussitôt auprès de son
chien.
Elle s’assit sur un rocher… avant de se redresser d’un bond. Décidément
non, elle ne pouvait plus rester en place.
– Viens, Drift, on va jeter un coup d’œil au Gemini !
Elle l’avait solidement amarré à un rocher, mais si jamais une grosse
vague avait détaché la corde, ils se retrouveraient dans un fichu pétrin ! Puis
elle regarda le sac qui contenait le trésor. Et si elle le traînait jusqu’en bas ?
Ils gagneraient du temps… Elle le mettrait dans le coffre étanche de
l’embarcation et, quand Jack et Scott seraient là, tout serait prêt pour qu’ils
repartent au plus vite !
Déterminée, Emily entreprit de courageusement tirer le sac. Elle ne tarda
pas à atteindre la dernière partie de la grotte, plus spacieuse, au bout de
laquelle se trouvaient les rochers, les galets… et le Gemini. Sauf qu’on ne
les voyait toujours pas. Il fallait marcher encore une bonne trentaine de
mètres…
Mais brusquement, Emily se retrouva avec de l’eau jusqu’à mi-cuisse. Une
eau si glacée qu’elle laissa échapper un cri… et fit tomber sa torche. À côté
d’elle, Drift se mit à nager frénétiquement en gémissant.
Quelque chose clochait. Normalement, la marée haute n’était pas prévue
avant une demi-heure… Tout à l’heure, elle avait vérifié les différents
repères sur les parois rocheuses ! Puis Emily se rappela que l’amplitude du
ressac changeait en fonction de la lune. Le vieux Bob le lui avait expliqué un
jour. Y aurait-il un phénomène de ce genre en ce moment ?
Mal à l’aise, Emily souleva péniblement le sac contenant le trésor et le
posa sur sa tête avant de poursuivre, fendant l’eau aussi vite que possible.
Plus elle se rapprochait de la sortie, plus elle se rendait compte que c’était
encore pire que ce qu’elle avait redouté. Les vagues se jetaient à l’intérieur,
puissantes, chargées d’écume. L’eau montait à vue d’œil… Bientôt, elle en
aurait jusqu’à la taille !
Emily attrapa Drift par le collier en essayant de ne pas faire basculer le
trésor. Le courant était fort… Très fort. Soudain, un coup de tonnerre retentit
dehors… Et elle comprit ce qui se passait. Il faisait chaud, humide… Un
orage avait éclaté au-dessus de la baie ! Un orage que Drift avait pressenti.
La pression atmosphérique avait dû changer, et il avait essayé de les prévenir
du danger. Si seulement on l’avait écouté !
Refoulant sa peur tant bien que mal, Emily regarda autour d’elle. Elle
devait agir vite. Soit elle s’en allait dès maintenant et sauvait le Gemini de la
tempête qui le balaierait et l’enverrait s’écraser sur les rochers… Soit elle
s’enfonçait de nouveau dans la grotte pour rejoindre ses amis. Les
abandonner ? Jamais ! Mais Scott ne lui avait-il pas dit de ne pas les attendre
si jamais la marée montait ?
Hésitante, Emily contempla les vagues qui les enveloppaient, Drift et elle.
Le risque d’être coincée, elle aussi, augmentait de minute en minute. Elle
songea de nouveau à Scott et à Jack. Pourquoi n’étaient-ils pas là ? Ils
avaient sûrement rencontré un sérieux problème… Oui, sûrement. Un incident
imprévu expliquait leur retard. Il faudrait qu’elle puisse prévenir
quelqu’un… Mais elle avait laissé son téléphone dans le coffre du bateau. De
toute façon, elle ne captait aucun réseau, dans les parages.
Subitement, Emily sut exactement ce qu’elle pouvait faire : envoyer des
fusées de détresse ! Il y en avait dans le kit de secours du Gemini.
– Viens, Drift, on s’en va !
Elle s’avança en tenant fermement le volumineux paquetage sur sa tête… et
perdit l’équilibre. Elle tomba dans l’eau, but la tasse, se redressa en
suffoquant. Les objets glissèrent hors du sac complètement mouillé. Le
casque flotta… Vite, Emily l’attrapa et se l’enfonça sur la tête. Puis elle
s’empara de l’épée et du bouclier juste avant qu’ils ne coulent. Ensuite,
bravement, elle se remit en route, s’imaginant, l’espace d’une seconde, telle
une princesse guerrière…
Mais elle ne tarda pas à devoir nager, tout comme Drift qui agitait ses
petites pattes afin de se maintenir à flot. Un vent fort se mit à souffler. La
gueule béante de la grotte, à présent remplie par la mer houleuse, semblait les
aspirer vers l’extérieur. Une chance ?
Sauf que le casque se remplissait d’eau. Ça dégoulinait sur son visage, ça
l’empêchait de respirer… Hoquetant, Emily lâcha le bouclier puis l’épée
pour se débarrasser du casque. Elle n’y parvint qu’en tirant dessus de toutes
ses forces, à moitié aveuglée par les embruns salés et la lumière du jour.
– Drift ! Drift !
Affolée, elle le chercha des yeux… et le vit à quelques mètres qui
continuait à nager tant bien que mal, terrifié, lui aussi.
– Drift, tiens bon, on va s’en sortir…
Et soudain, au même instant, elle repéra le Gemini ! Toujours amarré,
ballotté par les vagues telle une souris entre les pattes d’un chat… Emily se
précipita, attrapa la corde et balança le casque à l’intérieur. Au prix d’un
effort qui lui parut surhumain, elle souleva Drift par la peau du cou et le
déposa dans le bateau, où le chien glissa et se cala dans un coin en grelottant.
Emily s’apprêtait à grimper à son tour quand elle se souvint du bouclier et de
l’épée…
Le bouclier flottait sur la crête d’une vague, à portée de main. Ouf ! Elle
réussit à le récupérer et à le mettre à l’abri dans l’embarcation. Maintenant,
où était passée l’épée ? Emily scruta l’écume autour d’elle tout en nageant sur
place. Peu à peu, la fatigue s’empara d’elle, mêlée de peur, de découragement
et de culpabilité. « J’ai perdu l’épée royale ! » ne cessait-elle de se répéter,
catastrophée. Son corps devint alors lourd, très lourd et, tout à coup, elle
n’eut plus qu’une envie : se laisser porter par l’eau… S’enfoncer…
Mais un aboiement retentit soudain. Drift l’appelait ! Il avait besoin
d’elle ! Tout comme Scott et Jack !
À bout de forces, Emily s’approcha du Gemini, se hissa à bord et s’affala.
Drift lui lécha la joue…
Et Emily se redressa lentement. Elle ouvrit le coffre qui contenait le kit de
secours et, d’une main tremblante, extirpa des cordages, une bouée et une
fusée de détresse. Il était temps qu’elle appelle à l’aide !
20
De JusTesSe

J ack n’attendit pas de se retrouver nez à nez avec M. Piggott… Il


bondit aussitôt dans le passage secret et essaya désespérément de refermer la
dalle.
– Inutile, on n’a pas remis le tapis, donc il va le voir et nous courir après,
prévint Scott.
Alors tous deux s’engouffrèrent dans le tunnel en se laissant glisser à toute
allure sur la pente. C’était comme foncer en bobsleigh, sauf que la piste était
dans la montagne et le noir… Et qu’ils n’avaient ni luge ni rien du tout !
L’esprit de Jack tourbillonnait. Tout était clair : M. Pédant, et non Pete
Morley, avait bel et bien volé le trésor et l’avait caché ensuite dans la grotte.
Il avait enregistré des conversations téléphoniques pour faire croire à
Mme Loveday qu’il se trouvait dans son bureau à l’heure où se produisaient
les vols. Il avait piégé Victoria White de manière à ce qu’on croie qu’elle
avait piraté le système de sécurité… Finalement, il était plus malin qu’il n’en
avait l’air !
Soudain, ils entendirent un bruit derrière eux. Le bonhomme les
poursuivait !
– Dépêche-toi ! cria Scott.
– Parce que je me roule les pouces ? répliqua Jack.
« De toute façon, à moins d’être un Superman du troisième âge, Piggott ne
nous rattrapera pas ! » pensa-t-il en accélérant encore. Le temps que le
professeur-voleur atterrisse en bas, eux, ils seraient à bord du Gemini, et
loin !
Enfin, ils émergèrent du tunnel…
Et se retrouvèrent avec de l’eau jusqu’au cou. Jack laissa échapper un cri
en essayant de garder sa torche en l’air.
– Nage ! s’écria Scott. Pas de panique et nage !
Mais les vagues étaient puissantes… Par chance, le courant les emporta
vers la grotte qui donnait sur le rivage. Sauf qu’ils ne la voyaient pas…
Bientôt, ils n’eurent plus pied et, autour d’eux, tout s’obscurcit : les batteries
de leurs lampes faiblissaient. Jack s’agrippa à Scott tandis qu’ils scrutaient
autour d’eux. Mais la marée était si haute qu’on ne distinguait plus la sortie.
– On n’a qu’à faire demi-tour, dit Jack.
Il préférait encore affronter Piggott que couler !
– Tu as raison…
Subitement, la pénombre les enveloppa. Leurs torches s’étaient éteintes.
Terrifié, Jack s’accrocha à Scott…

Scott ferma les yeux quelques secondes. Comment avait-il pu les laisser
se fourrer dans un tel pétrin ?
Il rouvrit les paupières… Et remarqua alors que des rais de lumière
filtraient sous les vagues, près de l’embouchure. Ce qui voulait dire que l’eau
n’était pas si profonde que ça ! S’ils nageaient vite, ils pourraient atteindre
l’autre côté sans encombre. Mais ils devraient se dépêcher car le niveau
continuait à monter…
Le seul problème serait de convaincre Jack. Il était mort de trouille… Et
ça se comprenait : il n’était pas bon nageur.
– Jack… Jack, écoute-moi !
Son petit frère se débattait pour ne pas boire la tasse…
– Je vais plonger pour voir comment on peut sortir de là. Agrippe-toi à un
rocher et attends-moi.
– J’ai… j’ai peur ! bredouilla Jack en claquant des dents.
Mais Scott poussa Jack vers une pointe rocheuse qui émergeait de l’eau.
– Tiens-toi là, fort ! Je fonce et je reviens !
Et sans attendre de réponse, il se propulsa sous l’eau à toute allure. Il
constata alors que le fond sous-marin s’éclaircissait encore et encore… Oui,
la baie n’était pas loin ! C’était jouable ! Il esquissa un rapide demi-tour pour
rejoindre Jack qui n’avait pas bougé. Au même instant, un énorme éclat
argenté jaillit… Et Jack lâcha un cri perçant.
– C’était juste un éclair ! s’exclama Scott en lui prenant la main. En fait, il
y a de l’orage. Viens ! On doit se dépê…
Une grosse vague manqua de le submerger et il hoqueta quelques secondes.
Ça empirait. Pourvu que son plan fonctionne…
– Allez, Jack !
Mais à cet instant, un autre arc lumineux s’éleva un peu plus loin, de
couleur orange cette fois… Et il montait vers le ciel. Puis la voix d’Emily
retentit, surgissant miraculeusement au milieu du fracas ambiant :
– Scott ! Jack ! Attrapez !

Lorsque Jack se retrouva dans le bateau, blotti par terre à côté de Drift
trempé jusqu’aux os, il crut d’abord qu’il rêvait. Il tenait encore la bouée
qu’Emily leur avait lancée. L’embarcation tanguait follement, menaçant de
chavirer à tout instant, mais peu lui importait ! Ils n’étaient plus dans l’eau !
Des mots lui parvinrent : fusée de détresse… Tempête… Bureau de M.
Piggott… Épée… Scott et Emily parlaient. Puis il entendit Emily fondre en
larmes. Quoi ? Comment était-ce possible ? Emily ne pouvait pas pleurer !
– J’ai perdu l’épée… Elle a coulé ! sanglotait-elle.
Jack se redressa aussitôt.
– L’épée a coulé ?
Emily fit signe que oui. Ses longs cheveux bruns étaient plaqués sur ses
joues comme des algues. Scott lui enlaça les épaules.
– Ce n’est pas de ta faute…
Le regard de Jack s’arrêta fugitivement sur eux – peu lui importait ce geste
de tendresse, pour lui, Emily était une bonne copine, voilà tout ! –, avant de
se figer sur quelque chose qui étincelait dans une crevasse de la falaise, au-
delà de leur point d’amarrage. Un objet brillant et doré. Mû par un
pressentiment, il se leva d’un coup, gagna la proue puis sauta hors du
bateau…
– Jack, non ! s’exclama Scott.
Mais, concentré, Jack avança en équilibre sur les rochers éclaboussés de
vagues, se pencha et attrapa… un manche serti de joyaux.
Il n’avait pas rêvé !
Le cœur battant, il tira dessus tout en s’agrippant à la roche pour ne pas
tomber à l’eau. Il imagina alors ce que le roi Arthur avait dû ressentir en
extrayant son épée de la terre et s’écria :
– Excalibur !
Puis, avec précaution, il repartit sur les rochers et retourna dans le bateau.
– Le courant avait dû la planter là, dit-il en posant l’épée devant Emily.
– Waouh ! Trop fort ! Bravo ! s’exclama-t-elle.
– Bravo… Et pas bravo, ajouta Scott. Tu aurais pu te faire mal !
Jack sourit. Si Scott le grondait parce qu’il venait de courir un risque, c’est
que les choses redevenaient normales. Avec un peu de chance, personne
n’entendrait parler de la crise de panique qu’il avait eue dans la grotte !
– Regardez, un bateau ! s’écria Emily. Ils ont dû voir la fusée de
détresse…
Elle bondit vers la poupe et scruta la baie agitée par la tempête.
– C’est le vieux Bob !
21
Retour À CaStle Key

D ans la cabine du bateau de pêche qui les ramenait au port de


Castle Key en remorquant le Gemini, Scott, Jack et Emily purent enfin se
détendre, emmitouflés dans des couvertures. Le vieux Bob leur avait donné
du thé bien chaud et, à présent, tout allait bien… Très bien. Drift était blotti
contre Emily, heureux lui aussi.
Le vieux Bob avait arqué ses sourcils broussailleux en découvrant ce
qu’ils rapportaient… Quelle extraordinaire surprise !
– Vous êtes allés à la chasse au trésor… Et vous avez gagné le gros lot !
commenta-t-il en rangeant le bouclier, le casque et l’épée dans un coffre.
– C’est un peu ça, admit Scott.
Le vieux Bob acquiesça d’un air grave.
– Vous avez eu de la chance, vous savez ? Je me dépêchais de rentrer à
cause de l’orage quand j’ai remarqué que les grottes ne sifflaient plus.
Comme Emily avait dit que c’était déjà arrivé, j’ai eu envie d’y jeter un coup
d’œil… Et là, j’ai remarqué la fusée de détresse. Je suis arrivé dès que j’ai
pu…
– Et vous nous avez sauvés, dit Jack. Merci…
– Bob, tu peux contacter la police par radio ? demanda Emily. On doit vite
tout leur raconter !
– Ce sera plus facile avec ça…
Le vieil homme sortit un smartphone flambant neuf de sa poche.
– On captera le réseau d’ici quelques secondes… La tempête s’éloigne.
Ah, voilà, c’est bon.
– De toute façon, ce sera trop tard. M. Piggott a dû se sauver par le
passage secret, observa Jack.
– Bob, vous connaissez Pete Morley ? s’enquit alors Scott.
– Oui, oui… Le fils de Stan Morley, répondit le vieux Bob en souriant. Une
tête brûlée quand il était jeune !
– Vous avez son numéro de téléphone ?
– Probablement, car, l’année dernière, Pete a réparé une clôture chez
moi…, précisa Bob.
Il appuya un doigt noueux sur une touche pour faire défiler ses contacts.
– Oui, je l’ai !
Et il tendit son portable à Scott.
– Allô, Pete ? C’est Scott Carter… Oui, je vous ai aidé à porter des tuiles
hier… Il y a une urgence, poursuivit-il, parlant d’un ton vif. Est-ce que vous
êtes au château ? Super… Il faudrait que vous montiez la garde devant le
bureau de M. Piggott, surtout empêchez-le de sortir. La police sera là d’une
minute à l’autre…

Au sixième étage du phare, à la fenêtre du salon familial, Emily admirait la


mer. Aujourd’hui, elle était bleue, calme, sans une vague… « Magnifique ! »
songea-t-elle en retournant s’asseoir sur son canapé préféré, à côté de Drift.
Elle reprit son carnet et continua à rédiger son compte rendu sur l’opération
« trésor ». Elle avait déjà fait sa déposition à la police, mais elle avait
promis à l’inspecteur Hassan de lui remettre un rapport détaillé d’ici à la fin
de la journée. Au début, elle avait craint qu’on ne la réprimande parce que
les objets étaient tombés à l’eau… Mais non, pas du tout. Le British Museum
était enchanté de récupérer l’ensemble en l’état. Après tout, ces trois
précieuses pièces de l’époque saxonne avaient été enterrées dans un champ
pendant plus de mille ans ! Elles résisteraient à un bain de mer !
Un coup de sonnette retentit en bas, et Emily entendit sa mère inviter Scott
et Jack à entrer. Ils ne tardèrent pas à la rejoindre, le sourire aux lèvres.
– Comment ça va, les jeunes ? s’enquit le père d’Emily qui était assis à une
table, en train de faire de la comptabilité. J’ai entendu parler de votre petite
aventure d’hier…
Emily sourit. Tous les trois s’étaient promis de ne révéler que le strict
minimum à ses parents et à la tante de Jack et Scott. Ils ne mentiraient pas…
Non, non. Mais ils ne dévoileraient rien qui risquerait de les inquiéter
inutilement après coup.
– Quand même, vous avez eu de la chance de tomber par hasard sur ce
trésor pendant que vous exploriez les grottes, reprit Seth Wild. Et dire qu’en
plus de ça vous vous êtes retrouvés au milieu de la tempête… Vous n’avez
pas eu trop peur ?
– Ne leur pose pas trop de questions, intervint la mère d’Emily. Et n’oublie
pas qu’on doit aller au marché de Carrickstowe… On doit acheter des
légumes bio et si on ne se dépêche pas, les meilleurs auront disparu !
Son mari se leva et tous deux s’éclipsèrent. Dès qu’ils se retrouvèrent
entre eux, Emily s’adressa à Scott :
– Alors, tu les as ?
Scott acquiesça et posa différents journaux sur la table. L’arrestation de
Geoff Piggott faisait la une du Quotidien de Carrickstowe mais également de
publications nationales.
– Et on a aussi six paquets gratuits de Freedent. Cool…
Ils lurent les nouvelles en silence.
– M. Pédant a carrément tout avoué ! s’exclama Jack. J’aurais aimé être
une petite souris et voir comment Pete Morley l’a empêché de partir,
comment la police l’a arrêté…
– Je me demandais quel motif il avait, mais maintenant, on comprend tout,
déclara Emily.
Tout était expliqué noir sur blanc : plusieurs années auparavant, un certain
Mervyn Heslop avait donc découvert le trésor grâce à son détecteur de
métaux… Et grâce aux articles et livres écrits par Geoff Piggott qu’il avait
consultés pour pouvoir localiser l’endroit où le trésor avait été enfoui.
D’après M. Piggott, tous deux s’étaient d’abord entendus pour partager les
bénéfices des éventuelles trouvailles. Mais quand le trésor avait été vendu au
British Museum, Mervyn Heslop était revenu sur sa promesse, avait empoché
une coquette somme et était parti vivre tranquillement aux Caraïbes… La
famille de Victoria White avait également perçu une fortune puisque les
objets avaient été déterrés sur leur propriété. Seul Geoff Piggott n’avait rien
touché… Une véritable injustice, avait-il estimé, et il avait piégé Victoria
White pour se venger.
– En tant que conservateur du musée, il connaissait parfaitement la valeur
du bouclier, de l’épée et du casque, dit Scott. Il avait dû trouver un
acquéreur…
– Mme Loveday doit être super-triste, soupira Jack. Finalement, M. Piggott
est l’« éléphant criminel »…
À ce moment-là, il y eut un nouveau coup de sonnette, et Victoria White
apparut quelques instants plus tard. Elle enlaça affectueusement Emily, puis
adressa un sourire chaleureux à Jack et à Scott.
– J’ai lu dans les journaux que vous avez retrouvé le trésor !
– On a eu beaucoup de chance. On explorait les grottes… répondit Emily.
Vicky sourit d’un air entendu.
– Et vous avez découvert tout à fait par hasard le passage secret qui mène
au bureau de M. Piggott… Ne vous inquiétez pas, je suis au courant. Pete
Morley m’a confié que Scott l’avait appelé pour lui demander d’empêcher M.
Piggott de s’enfuir. Quand je pense qu’il a voulu me faire porter le chapeau…
Il m’a envoyée à un rendez-vous fictif à Carrickstowe et, pendant ce temps-
là, il a copié les codes de sécurité sur mon ordinateur ! En tout cas, sans
vous, je serais en prison à cette heure… Mais promis, je ne parlerai pas de
vos exploits si vous préférez rester dans l’ombre et le secret, poursuivit-elle
d’un ton malicieux. Qu’est-ce que vous avez prévu, pour demain ?
– Je ne sais pas encore… Natation et plongeons ? proposa Scott à Jack.
– Ou éventuellement escalade dans le noir… renchérit Jack.
– Et si vous veniez chez moi, à la ferme de Roshendra ?
À la ferme ? Jack échangea un coup d’œil avec Scott. Une ferme, c’était un
endroit où l’on travaillait dur, où il fallait creuser la terre, planter…
– On est en train de diversifier nos activités, et on aimerait ouvrir un
kiosque à glaces, continua Vicky. On voudrait vendre nos propres crèmes
glacées, mais on a besoin de les faire goûter avant…
– On sera là ! s’exclama Jack.
– Super. Alors à demain ! dit Vicky en riant.
Une fois qu’elle fut partie, Emily se leva du canapé en envoyant valser les
journaux par terre, puis elle s’étira.
– Bon, alors Drift et moi, on a une mission cet après-midi. Ça vous dit
d’enquêter encore avec nous ?
– Bien sûr ! dit Jack sans hésiter une seule seconde. De quoi s’agit-il ?
– En fait, c’est une enquête que j’ai dû mettre de côté pendant qu’on se
concentrait sur l’opération « trésor disparu ». Là, ce sera l’opération « réseau
d’espionnage ».
Drift dressa aussitôt les oreilles. « Opération » était l’un de ses mots
favoris ! Ça voulait dire qu’il y aurait encore des aventures passionnantes…
– Sensas ! ajouta Scott en se frottant les mains.
– Trop cool ! renchérit Jack, les yeux brillants.
Finalement, l’été à Castle Key s’annonçait… génial !
Table des matières
ADVENTURE ISLAND
Bienvenue sur l’île de Castle Key
Le trésor de Carrickstowe
Une fille pas comme les autres
Les grottes du Vent-Huant
Le silence des grottes
Vive l’aventure !
Premiers suspects
Sur le terrain
Une révélation
Le piège
L’enquête se complique
Une rencontre inattendue
Franchement bizarre
Échos fracassants
Des cracks !
Vive drift !
Au cœur du mystère
Une nouvelle surprise
À l’aide !
De justesse
Retour à Castle Key

Table des matières


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ADVEnTURe iSlAnD
Le Mystère des grottes du Vent-Huant

Titre original
The Mystery of the Whistling Caves
© Helen Moss 2011
Carte, © Leo Hartas 2011
Publié pour la première fois en 2011
par Orion Children’s Books
Une division de Orion Publishing Group Ltd
(Orion House, 5 Upper St Martin’s Lane, London WC2H 9EA)

Illustration de couverture : Yann Tisseron


Direction : Guillaume Arnaud
Direction éditoriale : Sarah Malherbe
Édition : Raphaële Glaux, assistée d’Astrid d’Aviau de Ternay
Direction artistique : Élisabeth Hebert
Réalisation numérique : andaollenn, Gwenael Dage
© Fleurus, Paris, 2014.
Site : www.fleurus-numerique.com
ISBN papier : 9782215125938
ISBN numérique : 9782215129547
Dépôt légal : septembre 2014
Tous droits réservés pour tous pays.
« Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à
la jeunesse. »
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