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NICOLAS LANOS (1821-1881)

Nicolas Lanos (vers 1875)

Naissance

Nicolas Lanos naît à Dannes (Pas-de-Calais), le 18 août 1821, d’un ouvrier agricole,
François Lanos, et d’une fille de pêcheur, Marguerite Saulnier, originaire d’Etaples (Pas-
de-Calais). On ne lui connaît pas de frères ou de sœurs.

Blason de Dannes (62)


Le village compte moins de 300 âmes à l'époque de la naissance de Nicolas Lanos

Une rencontre décisive: l'Abbé Rocarne

Nicolas, dont le caractère calme et posé tranche sur celui de ses camarades de jeu le fait
très vite remarquer de l’abbé Rocarne, le desservant de la paroisse. Ce dernier s’institue
rapidement son précepteur et Nicolas ne tarde pas à révéler des dispositions peu
communes pour l’apprentissage. D’abord réticents à une occupation qu’ils considéraient
comme une perte de temps au détriment des travaux des champs, les parents de
Nicolas s’inclinèrent, avec une certaine fierté face au petit prestige local dont bénéficia
rapidement leur fils.
Eglise de Dannes (62)

L’abondante correspondance, heureusement préservée et aujourd’hui conservée à la


bibliothèque de l’Université de Harvard (côte UD-KSG-API111 à 114), de l’abbé Rocarne
avec sa sœur Blandine, qui résidait alors à Lille, nous renseigne de manière détaillée
sur le caractère et les progrès de l'enfant dans l’apprentissage du latin, de rudiments de
grec, d’histoire, de géographie et bien entendu, de religion. La prodigieuse mémoire de
Nicolas simplifie bien les choses ; si on en croît l’abbé, « (…) cet enfant, né dans la boue,
a assimilé en l’espace de trois mois plus de mots latins et de grec que je n’ai pu le faire
moi-même au séminaire. Cela dépasse l’entendement » (lettre du 13 décembre 1830,
réf. API111-34).

L’apprentissage aux côtés de l’abbé Rocarne est une source de joie quotidienne pour nos
deux compères. Il ne faut toutefois pas croire que l’abbé soit toujours commode. Réputé
dans le village pour son caractère ombrageux, semble-t-il, l’abbé Rocarne exprime des
colères virulentes qui transparaissent jusque dans sa correspondance (voir par exemple,
la lettre à sa sœur du 14 mai 1830 (réf. API111-27) dans laquelle il s’emporte vivement
contre l’ouverture à Dannes d’un débit de boisson : « ce lieu démoniaque où est appelée
à croupir la fange des bassesses humaines devrait être nettoyé par le feu»).

Ce premier enseignement constituera pour le jeune Nicolas le déclencheur d’une soif de


savoir qu’il n’aura de cesse d’étancher toute sa vie. Dès que ses moyens le lui
permettront, il prendra à sa charge l’édification d’une pierre tombale sur la tombe nue de
son bienfaiteur inhumé en 1843 dans le village de Saint-Martin-Le-Vinoux (Isère).

Cimetière de Saint-Martin-Le-Vinoux
où fut inhumé l'Abbé Roncarne en 1843
L'arrivée à Paris (1832)

Au début de l’année 1832, l’abbé Rocarne convainc, non sans mal, les parents de Nicolas
de confier leur enfant à la garde de Blandine, sa sœur qui s’est entre temps installée à
Paris à l’occasion de son mariage [16 avril 1832] avec Hubert Girand, entrepreneur en
travaux publics. Cette famille, « recomposée » avant l’heure, s’installe définitivement au
15 de la rue du Helder le 2 juin 1832, alors qu’éclate l’insurrection républicaine.

La loi Guizot, votée en juin 1833, ne sera d’aucune utilité pour Nicolas ; il possède à l’âge
de 12 ans des connaissances approfondies dans de nombreux domaines que bien des
bacheliers de l’époque ont a peine effleuré. Blandine, qui ne pourra jamais avoir d’enfant,
s’occupe activement de faire fructifier cet esprit agile ; les nombreuses relations de son
mari –on ne parle pas encore de « réseau »- lui permettent de fournir à Nicolas les
meilleurs professeurs. Peu formé au domaine des mathématiques par son mentor de
Dannes, Nicolas va cependant s’y révéler extrêmement doué. Son sens de l’abstraction et
du raisonnement spatial conduisent Nicolas en particulier à s’intéresser, sous la direction
du célèbre Siméon Denis Poisson, aux propriétés métriques des surfaces de l'espace
euclidien de dimension 3 étudiées par Gauss dans les années 1820.

Faut-il y voir un lien entre cet intérêt et le fait que les incidents de juin 1832, date de son
arrivée à Paris, aient débuté le jour même des funérailles du jeune et brillant
mathématicien Evariste Galois ? Probablement pas ; on ne peut toutefois s’empêcher de
relever cette intéressante coïncidence.

Evariste Galois

Les parents naturels de Nicolas décèdent tous deux en 1837 à quels mois d’intervalle.
François Lanos meurt écrasé par une charrette dont l’essieu s’était brisé ; les
circonstances du trépas de la mère ne sont pas connues –une lettres de l’abbé Rocarne à
sa sœur, datée de 4 (ou 9 ?) septembre 1837 (réf. API113-62) mentionne ce décès sans
en donner une date précise. Blandine et Hubert Girand procèderont quelques mois plus
tard à l’adoption de Nicolas, qui choisira toutefois de garder son patronyme. Selon le
journal de Blandine Giraud, également en possession de l’Université de Harvard (côte
UD-KSG-APG115), Nicolas obtiendra de ses parents adoptifs que ses parents naturels
soient inhumés à Paris, ce qui ne se fit pas sans difficultés. En 1841, l’abbé Rocarne se
retire à Saint-Martin-Le-Vinoux ; c’est en fini des liens de Nicolas Lanos avec le village de
Dannes.

Les désillusions d'un génie

Entré à Polytechnique en 1840, Nicolas y sera déçu de l’enseignement, trop guerrier à


son goût et pas assez scientifique.
Très rapidement, il montre une certaine répugnance pour les affaires militaires ; d’une
façon générale, son esprit cartésien se révolte à l’encontre de conflits armés qui
n’aboutissent qu’aux sacrifices inutiles d’existences. Dans une lettre à l'Abbé Rocarne (2
février 1841 - réf. API114-23), il tient des propos très durs à l'endroit de l'empereur
Napoléon dont la dépouille est ramenée à Paris en décembre 1840 écrivant "Cet homme
dont on loue le génie militaire et qu'on a accueilli a Paris à grand renfort d'oriflammes,
n'a contribué qu'à couvrir l'Europe d'un champ d'un million de cadavres pour sa seule
gloire (...). N’ayant rien pu faire par lui-même, il a choisi de sacrifier toutes ces vies pour
prouver aux autres son existence."

Il mène toutefois à l'Ecole Polytechnique de brillantes recherches qui concilient les


mathématiques appliqués et la cartographie pour laquelle il invente plusieurs méthodes
nouvelles de relevés. Il est notamment l’inventeur du « relevage par butée » qui
présente la caractéristique de fournir des relevés très précis grâce à l’application de
calculs mathématiques complexes mais en l’absence de matériel sophistiqué. Les
polémiques qui surgissent au début des années 1860 -emmenées en particulier par Emile
Clapeyron- et s’appuyent sur la prétendue origine moyen-orientale de cette méthode
s’éteignent rapidement. Jamais les détracteurs de Nicolas Lanos ne furent en mesure de
montrer que les scientifiques arabes du moyen-âge possédaient les connaissances
mathématiques nécessaires à une telle invention. Tombée en désuétude aujourd’hui,
cette méthode pour dresser des cartes sera activement employée dans les expéditions
géographiques jusque dans les années 1880.

Semi-arc de butée à plat [Manufacture du Puy en Velay, 1865]


(Musée du Conservatoire National des Arts et Métiers. Réf. MN-AM-351-4)

Après la bataille d’Isly d’août 1844, Nicolas Lanos, toujours militaire, commence à
manifester dans les cercles parisiens que fréquentent les Girand un rejet virulent de
l’emploi de la force militaire comme moyen d’exercice de la diplomatie ; il s’oppose par là
même aux visées du gouvernement français au Maghreb. Ces prises de positions semi-
publiques lui valent un rappel à l’ordre des autorités militaires. En désaccord avec la
démarche coloniale de la France, Nicolas Lanos quitte alors la France pour les Etats-Unis.

Les Etats-Unis - Premiers travaux

Cartographe hors pair et bénéficiant d’élogieuses recommandations auxquelles l’amitié


franco-américaine de l’époque donne un grand relief, il participe activement à la
rédaction du traité de l'Oregon (1846) qui permet de définir le tracé de la frontière entre
le Canada et les États-Unis à l'ouest des montagnes Rocheuses. Dès lors, il travaillera
continument pour le gouvernement américain qui s’emploie à tracer les frontières mal
définies de ce pays neuf.
La frontière americano-canadienne
définie par le traité de l'Orégon (1846)
[source: wikipedia]

Installation définitive aux Etats-Unis et l'Université de Harvard

Louis Agassiz, zoologue et géologue de renommée mondiale, avec lequel il nouera une
amitié profonde et durable, l’incite à rejoindre le rang des enseignants de l’université de
Harvard. En 1851, il est nommé professeur de géographie à l’université de Harvard et
apporte sa contribution au monumental « Essay on Classification » de Louis Agassiz qui
ne manquera pas de le remercier dans la préface de l’édition originale –curieusement,
ces remerciements disparaissent dans les éditions suivantes, sans qu’une brouille n’ait
jamais souillée l’amitié mutuelle que se portaient les deux hommes.

Co-fondateur de l’American Geographical Society cette même année, Nicolas Lanos


publiera plus d’une cinquantaine d’articles de mathématiques et de géographie dans des
revues spécialisées (en particulier la Geographical Review) et contribuera à des ouvrages
importants tels l’« History of the State of New York » tout au long de son enseignement à
Harvard.

Il apportera une aide ponctuelle aux affaires de son père adoptif lorsqu’il créera en 1853,
la French-American Railway Company ; cette tentative sera toutefois annihilée par l’ex-
sénateur du Missouri, Thomas Hart Benton (1782-1858) qui voyait d’un mauvais œil les
tentatives d’implantation de compagnies étrangères qu’il considérait comme une
tentative rampante de re-colonisation. Il ne semble pas que ces différends économiques
aient terni l’admiration de Nicolas pour les Etats-Unis, dont il adopte la nationalité en
1854.

Il s’exprime régulièrement au travers de la Harvard Gazette dans laquelle, en


observateur éloigné mais toujours avisé, il commente, pour ses contemporains, la vie
politique française. Déplorant l’avènement du règne de Napoléon III, il pronostique de
façon prémonitoire dès 1857 la fin de l’Empire dans un conflit armé à venir avec d’autres
puissances européennes : “A day will come where the French tyran, desesperatly looking
for a second breath, will be engaged in a conflict with other European countries. We can’t
be delighted about such a war; however, when a people is weak enough to choose a
tyran, he will have, a day or another, to pay the price of the blood to get rid off him.”
(Harvard Gazette, October 13th 1857).

Le décès d’Hubert Girand, en décembre 1857, conduira sa mère à liquider les affaires de
son mari et à rejoindre son fils à Boston.

Décès
Jamais marié et sans descendance connue, Nicolas Lanos s’éteint le 7 septembre 1881
d’une embolie pulmonaire ; l’ensemble de ses biens, de ses recherches, de sa
correspondance, ainsi que celle de Blandine Giraud, fit l’objet d’une donation à
l’université de Harvard. Il est inhumé aux côtés de sa mère (décédée en 1872) au Forest
Hills Cemetery à Boston. Sur le petit obélisque de marbre qui surplombe leurs tombes,
figure une inscription en français rappelant le rôle de ses parents, de l’abbé Rocarne, et
des Girand : « Tu m’as engendré, Tu m’as instruit, Tu m’as élevé » ; le terme « élevé »
pouvant d’ailleurs s’interpréter tant au sens de l’élévation intellectuelle, spirituelle –il
demeura un fervent catholique toute sa vie- et sociale.

Cimetière de Forest Hills (Boston).


La tombe où repose Nicolas Lanos est située sous le petit obélisque à droite de l'image

Esprit éclairé et universel, épris de paix, Nicolas Lanos est aujourd’hui oublié des
français. Rien ne rappelle plus aujourd'hui son souvenir à Dannes (Pas-de-Calais) ou à
Paris.

    
  

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