L'éclairage, entièrement à la bougie - rampes et lustres - joue de l'équilibre entre la force et la
fragilité des flammes, et plonge acteurs et spectateurs dans une même concentration et une même rêverie. Les nuances d'un éclairage à la bougie s'apprivoisent comme les nuances d'un clavecin : l'instrumentiste, d'une même note pincée, peut donner l'illusion de toutes les intensités, du piano au forte ; de même l'acteur, s'approchant ou s'éloignant des bougies, fait varier sur son visage et sur ses mains l'intensité lumineuse, jouant de l'ombre et la lumière, et mettant ainsi en valeur les différents moments de son discours chanté, dansé ou déclamé. De plus, par le traitement de la matière, des feuilles de métal cuivrées patinées et huilées, le décor devient ici un fond résonnant, une plaque sensible qui reflète l'éclairage à la bougie et les mouvements des acteurs. A chaque variation lumineuse (comme l'arrivée de sources ponctuelles), à chaque nouvelle entrée et sortie, l'atmosphère se modifie - reflétant l'espace intérieur de M. Jourdain. Ainsi, le salon bourgeois de la fin du XVIIe prendra, avec la cérémonie turque, des allures orientales. Tout en conservant un souci d'exactitude historique, il s'agit de partager une vision de la réalité, décalée, drôle et onirique. Dans une même quête d'unisson, les costumes s'inspirent de la subjectivité de Monsieur Jourdain : matières brutes et couleurs légèrement passées chez les bourgeois renforceront la brillance et la luminosité des nobles en blancs d'argent, tandis que les valets, que Monsieur Jourdain a engagés par souci du décorum, porteront des livrées assorties aux murs. A l'explosion de couleurs de la cérémonie turque répondra l'éclatement des formes du Ballet des Nations, célébrant le déploiement du théâtre dans le théâtre. La mise en valeur des formes, des visages et des gestes si blancs et si graphiques dans cette atmosphère brune et changeante, les fluctuations lumineuses spécifiques à la bougie donnent une image quasi picturale (comme dans La Fiancée juive de Rembrandt) et apportent ainsi à la musique et aux voix un espace de résonances. Pas de juxtaposition fastueuse des techniques isolées de la danse, de la musique et du théâtre, pas de défi esthétique gratuit donc, mais un dialogue entre les arts et une quête commune : que le passé serve à prendre au piège dans une fine toile, avec l'aide de Molière qui n'oublia jamais son métier de tapissier, le fugace sens du présent.