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Paysages sonores partagés
Par analogie
L’environnement sonore urbain est au concert ce qu’est le grand vacarme qu’ont orchestré
des Fluxus, Russolo et autres metalo-noisy réunis.
Par l’imagination
La sirène d’un camion de pompier est posée sur un rocher, au centre d’une fontaine, pour
attirer à elle toutes les voitures de la villes.
Bien sûr, au-delà de ces exercices de styles, on peut toujours parcourir un paysage
sonore, celui que l’on se construit en marchant par exemple, en recherchant des affnités
plus généreuses et apaisées…
- Paysage sonore : Nos lieux de vie, des villes, des forêts, des parcs, des espaces péri-
urbains, des sites naturels, entre nos deux oreilles exactement.
- Parcours : Partir d’un points pour aller vers un ailleurs qui transformera, peut-être, notre
façon de voir, et d’entendre, les choses, sonore et autres.
- Ville/cité : Une entité géographique, sociale, territoriale, complexe, que l’on abordera par
le petit bout de l’oreillette, ou par le grand, selon les cas.
- Point d’ouïe : un arrêt sur son, un point focal où il fait bon écouter, un espace-temps
immobile surprenant.
- Partage : Faire ensemble, créer une dynamique collective pour mieux échanger sur nos
ressentis, nos émotions, colères, espoirs, désirs…
- Géographie : Une géographie du sensible qui trace des espaces à portée de tympan.
- Société : Des espaces - temps où les communs sont en écoute, voire se construisent en
écoutant.
- Repérage : Découvrir des lieux pour en saisir les saillantes auriculaires, les ambiances
caractéristiques, se qui nous tire l’oreille.
- Corps : Un corps agissant, sensible, émetteur et récepteur, en lien avec d’autres corps,
immergé dans une sonosphère vivante.
- Aménités (humaines, paysagères, urbaines…) : Ce qui nous charme, nous met en joie,
nous servira de modèle pour embellir notre marche, voire notre vie.
- Effets acoustiques : Chercher et jouer avec des échos, des réverbérations, des lieux
surprenant nos écoutes.
- Marqueurs sonores : Ce qui fait qu’un espace se révèle singulier, un carillon, une
fontaine…
- Mixage : L’espace acoustique comme un vaste terrain de jeu, jeu de l’ouïe, parcours en
fondues, en ruptures, en glissements progressifs, agrégations sonores, diminution,
amplifcation, zooms… La marche secoue des sons.
- Silence : Ce qui permet aux sons de (mieux) trouver les place, espace qui, ou inquiet,
poétique ou trivial. Le PAS se fait en silence, pour mieux laisser la place aux sons.
- Oasis : Une zone de calme « naturelle » ou construite, un lieu Agora ou l’échange sera
privilégié.
- Récit : De l’histoire qui fait naitre, qui explique, qui transmet, qui charme, à la trace qui
conserve en mémoire.
- Traces : Des paroles, des images, des sons, des façon de ré-incarné un geste passé,
une action éphémère, immatérielles, ou de la transposer.
- Auriculaire : Une des synonymes d’acoustique que j’aime bien il sonne joliment.
- Mémoire : Ce qui restera en nous d’un parcours, d’une action d’écoute collective, qui
peut-être changera notre façon de ressentir les choses.
- Art (sonore) : Une modeste façon de décaler notre regard, notre écoute, notre vision-
audition du monde.
- Chemin : Ce qui nous mène à, vers, et aussi ce que l’on construit en marchant, y.
- Poésie : Ce qui nous emmène vers une sensibilité exacerbé, un imaginaire bienveillant,
un décalage stimulant.
- Mouvement : Tout ce qui nous empêche de trop prendre racine, met en marche notre
corps, notre oreille et notre pensée, nous unis dans une réfexion sociale parfois
revendicative, voire résistante.
- Résistance : Ce qui nous évite de tomber dans la pensée unique, l’écoute pré-fabriquée,
de résister à la folle accélération du monde, d’accepter l’altérité et l’hybridation pour vivre
plus dignement.
- Politique : Au sens premier, qui est partie prenante dans la vie de la Cité, mais peut-être
contestataire aussi, marcher/écouter, c’est aussi montrer, questionner, résister, proposer…
- Quotidien : Montrer sous un autre angle (sonore) les richesses d’un dépaysement à partir
de nos quotidiens, faire sortir nos trajets d’un geste machinal, ouvrir les oreilles sur le
détail comme sur le panorama in-entendu, ou inécouté.
- Transmission, apprentissages : Faire passer ses expériences, ses valeurs, ses récits,
ses joies et questionnements, donner envie de poursuivre plus avant les chemins
d’écoute.
- Audition/addiction : L’écoute à forte dose peut générer des habitudes addictives dont il
fait parfois savoir se dégager our remette les oreilles sur terre, ou les déconnecter de leur
activités d’écoutantes forcenées.
- Parole : Source sonore très présente par le biais de la voix. La parole qui précède, qui
ritualise, qui fait entrer dans, celle qui suit, qui se libère après une marche silencieuse , qui
partage les ressentis, qui exprime son propre parcours et celui du groupe, cette qui aide à
conserver en mémoire, celle qui matérialise et parfois combat, ou réunit.
- Plaisir : Un des moteur essentiel pour des parcours d’écoute dont on gardera un souvenir
agréable, une impression forte, une envie peut-être de refaire.
- Transitions : Passer d’un lieu ou une ambiance à l’autre en ressentant les espaces
intermédiaires, passer entre, par, dedans, à côté, transiter pour appréhender les vides et
les creux, les espaces indéterminés, quasi indéfnis.
- Acoustique :Tout ce qui vibre autour de nous, colore l’espace, révèle et signe des
topophonies, des architectures…
- Acousmatique : Écoute imersive, sans voir les sons, point d’ouïe enfermé qui ne laisse
de la place pratiquement qu’à nos oreilles, plaisir et surprises du hors-champ, très
fréquent dans l’acte d’écoute.
- Écrit : ce qui peut venir fxer l’écoute, la transposer, la matérialiser via des mots et
images mentales, mais aussi substituer au microphone lorsque celui-ci ne parvient pas à
faire ressentir le sensible et l’émotion du parcours.
- Variations : Sur la base d’un parcours, d’une thématique, explorer les différentes façon
de faire, comparer les différentes phases, étapes, modifcation, ne jamais reproduire à
l’identique, une faon d’avancer sans se répéter.
- Guide : Celui qui accompagne, qui montre le chemin, qui imprime l’allure, qui propose
des postures, qui sait « sentir » les attentes du groupe et y répondre. Celui qui parfois
désoriente et parfois fait se retrouver.
- Rituel : Ce qui permet d’assoir une base reproductible et rassurante. Mise en condition,
mise en marche, offrande et cérémonie de l’écoute, inauguration de points d’ouïe…
- Relationnel (art /esthétique) : Le fait que le faire ensemble soit plus important que la
chose faite. Une œuvre immatérielle, construite sur des relations avant tout humaines.
- Nature : Un espace naturel, la nature des chose. Question d’origine. ce qui se fait tout
seul (nature) face à ce qui est fabriqué (culture). Un son naturel, culturel, résiduel,
conceptuel, hybrides ?
- Couleur : Ce qui donne des aspects singuliers aux sons, des timbres, des chaleurs, des
éléments reconnaissables,identifables.
- Humanité :
- Culture : Ce qui fait qu’un son ne sera pas forcément le même ici ou là, que ces
perceptions, jugements de valeur, appréciations esthétiques varieront beaucoup. L’écoute
et la perception auditive st éminemment culturelle. On peu t également parler de culture
de l’oreille lorsque l’écoute est développée comme un apprentissage visant à améliorer
l’acuité auditive, sa (re)connaissance des sources. Le chemin de campagne n’a rien de
naturel, u-il est construit à travers champs et bois. Comme la campagne aménagée,
l’environnement est donc culturel. Quand aux sons…
- Inauguration (de points d’ouïe) : Une cérémonie offcielle, publique, discours et moment
d’écoute à l’appui, certifant un Point d’ouïe comme un site reconnu, identifé, cartographie,
renseigné. Un repérage préalable, souvent public, aide à le choisir, à l’aide d’une série de
critères esthétiques et sensibles.
- Empathie : Entrer et rester en contact avec autrui, et les territoires explorés… Ne pas se
faire engloutir par l’émotionnel mais néanmoins, le cultiver comme une émulation créative,
et généreuse.
- Bruit de fond : Une masse résiduelle, arrière-fond sonore peu ou pas maitrisée ni
contrôlée, un brouillage assez désagréable et perturbant dans son invasion chronique et
parfois hégémonique.
- Itinéraire : Se tracer un chemin à suivre tout en sachant que l’on pourra s’en éloigner
parfois, bifurquer, hésiter, prendre la tangente…
- Identité (sonore) : A l’origine, ce qui est identique. Aujourd’hui, surtout ce qui est
identifable, reconnaissable - la cloche, la fontaine, l’écho de la montagne… Des sons et
ambiances dans lesquels on se reconnait. Mais attention aux dérives phobiques et
excluantes !
- Plans (sonores) : Étagement spatial du plus près (1er plan), au plus loin (rumeur), avec
tous les intermédiaires selon les lieux. Mais les sons bougent très vites, s’éloignent, se
rapproches, plans mouvants, fugaces, qui peuvent brouiller les carte de l’écoute. Ne
restons pas en plan, en tous cas pas systématiquement. Sans parler des bons plans qui
se révèlent parfois des mauvais plans…
- Signal : Signe ou geste convenu pour montrer, alerter, déclencher… Sonal, bip, sirène,
cloche… Signaux informatifs, de préférence qualitatifs. Signal sur bruit (rapport),
rechercher la qualité d’une information qui se détache du bruit de fond, très utile e milieu
urbain.
- Sources (sonores) : Ce qui sourd de, l’eau, de la terre à l’origine. Ne pas confondre ici
l’état de surdité et le verbe sourdre. Ce qui nous fait identifer un son par son producteur,
son origine. Ce qui ne coule pas toujours de source à l’oreille.
- Décalages : Écart temporel, spatial, ou perceptif. Créer un décalage poétique par des
gestes inhabituels, écoute de lieux où l’oreille n’as pas coutume à s’y frotter. Le décalage
est bien souvent ce qui permet de vivre plus fortement une action, et de la mémoriser à
plus long terme.
- Casque : Dispositif et espace de diffusion intime (trop ?), permettent d’emmener des
sonorités nomades au ras les oreilles. Parfois objets d’isolement, parfois prétextes à de
beaux parcours d’écoute, parfois destructeurs de tympans… J’utilise aussi des casque
anti-bruits plus ou moins trafqués.
Première halte au pied d’une sculpture-monument en pointe élancée vers le ciel. Un objet
qui attire le regard vers le haut, décale nos perspectives. Une danse qui invite à regarder
plus haut, à la contre-plongée comme point de fuite. Une dédicace de ce parcours à notre
ami Geert Werner et artiste marcheur international, Geert Werneire.
Nous longeons une voie verte de tram, et, geste enfantin, mettons nos pas dans des rails
que néanmoins nous n’hésiterons pas à quitter bientôt.
Signe cantique au détour d’un trottoir, un panneau penché nous indique une route à
suivre, il vibre lorsqu’on le touche, une petite danse pour le remercier.
Une série de bancs, prétexte à une écoute collective assise, dos à dos, pour ressentir les
vibrations ambiantes, les vibrations de l’autre, de l’espace également…Des galets
percutés et frottés contre les assises de pierres ponctuent l’espace de rythmes, une
nouvelle danse se profle, venant solliciter le le corps par des frôlements, contacts tactiles
qui nous fait ressentir la physicalité du groupe.
Une clairière, face à la Maison de l’émetteur, nous offre un décor pour une scène où nous
deviendrons antennes, où la danse se fera tournée vers le ciel, sur fond de signaux
électromagnétiques, spatiaux, galactiques, installées pour l’occasion à même la pelouse.
Une petite histoire patrimoniale contée gun situ.
http://leradiofl.com/LADOUA.htm
Peu après, une petite voie verte, un alignement de peupliers, de végétaux et autres
matériaux nous ferons ausculter de micros sonorités, et utilise quelques longues-ouïes
desartsonnantes, toujours en mouvement.
Longeant des terrains de sport, nous gravirons ensuite quelques marches, pour emprunter
un chemin en hauteur, séparant le campus d’un périphérique bourdonnant à notre oreille
Sur le chemin du retour, une autre clairière parsemée de gros blocs granitiques sciés,
autre proposition d’ écoute, de mouvements, de postures.
Plus loin, un jardin collectif avec une spirale accueillants des plantes aromatiques elles-
même attirant et accueillant des insectes pollinisateurs et autre faune locale. Une pause,
assis sur une spire de pierres sèches, rappel de notre propre ADN est ce haut-lieu de
recherche scientifque, mais aussi de notre colimaçon cochléaire, un des siège de l’écoute
lové au creux de notre oreille interne.
La nuit tombe doucement, le ciel vire au bleu de plus en plus soutenu, avant l’obscurité
trouée d’une belle installation lumineuse multicolore vers la clairières aux granits. Une
moto passe vrombissante, coupure tonique de cet espace entre douceur et accidents
sonores.
Une dame promenant son chien nous aborde, visiblement intrigué par nos expériences
sans doute bizarres vues d’un observateur non averti. Lui ayant expliqué notre dé-marche,
elle nous trouve sympathiques, accueillants, avec une douce folie qu’elle ne regrette de ne
pas pouvoir partager, vu son emploi du temps. Sympathique rencontre emplie d’empathie.
L’espace public c’est aussi cela !
Retour à notre point de départ, au Toï Toï le Zinc. Des images, des sons et des idées plein
la tête, avec l’envie de poursuivre et de développer ce genre de parcours somme toute
très hétérotopique, au sens foucaldien du terme.
Et c’est là que resurgit l’importance de la posture, celle qui poste notre corps, nos sens,
notre attention, dans une position favorable pour écouter le monde, le questionner, et
l’expérimenter, de préférence collectivement.
Après les PAS - Parcours Audio Sensible, qui impliquent une écoute en mouvement,
même si cette dernière est ponctuée de Points d’ouïe stationnaires, et les inaugurations
événementielles de certains de ces dits points d’ouïe, c’est maintenant autour de zones
d’écoute que je rechercherai de nouvelles postures.
L’écoute phénoménologique doit tenter de revenir aux sources, sans autres artifces que
l’attention portée aux choses, la synergie d’un groupe d’écouteurs publics, et de la mise en
commun d’une écoute »partagée.
* http://www.amisdumagasin.com/2017/10/31/marcher-creer-deplacements-faneries-
derives-dans-lart-de-la-fn-du-xxe-paris/
Mon carnet de voyage, toujours en chantier, est fait de sons et de silences, d’ombres et de
lumières, de couleurs et de matières, d’odeurs et de goûts, de visages et de paysages,
d’architectures et de natures, de haltes et de mouvements, de trajectoires et d’errances, et
surtout, d’une infnité de réminiscences furtives…
L’imprécision chronique d’un réel parcellaire, où le corps et l’esprit semblent pourtant trouver ce
qui pourrait faire sens, enracine moult paysages sensibles, complexes, aussi présents que volatiles,
dans une mémoire vibrante.
Se nouent ainsi à l’envi, des espace-temps déliés ou entremêlés à l’aune des périples cheminants.
Strate par strate, se compile un mille-feuilles à jamais inaccompli, un sédiment mémoriel où la
pensée s’aventure parfois, sans doute pour se rassurer d’être encore bien là, et d’aller de l’avant.
Husserl disait que les choses n’allaient jamais de soi et méritaient toujours d’être
questionnées. Questionnées notamment en terme de phénomènes. Le philosophe indique
que par le questionnement, nous aurons une démarche d’explorateur qui pourra ainsi
expérimenter le monde, ce qui me convient parfaitement dans la posture de promeneur
écoutant.
Le phénomène n’est pas ici lié au phénoménal, à l’énorme, au hors-norme, mais plutôt
dans son acception première « Ce qui apparaît, ce qui se manifeste aux sens ou à la
conscience, tant dans l’ordre physique que dans l’ordre psychique, et qui peut devenir
l’objet d’un savoir- source (Centre National Textuel et linguistique) », donc dans la
description phénoménologique du terme. Or pour questionner le phénomène, il convient
tout d’abord de le décrire.
Et pour décrire, il nous faut observer, ou dans le cas de phénomènes sonores, écouter.
Et c’est là que resurgit l’importance de la posture, celle qui poste notre corps, nos sens,
notre attention, face à un objet, ici paysage sonore, dans une position favorable pour
l’écouter, le questionner, et l’expérimenter, de préférence collectivement.
Après les PAS – Parcours Audio Sensible, qui impliquent une écoute en mouvement,
même si cette dernière est ponctuée de Points d’ouïe stationnaires, et les inaugurations
événementielles de certains de ces dits points d’ouïe, c’est maintenant autour de zones,
ou stations d’écoute que je recherche de nouvelles postures, méthodologies, protocoles,
rituels…
En résonance avec ces expériences, toujours en chantier, je suis en train de mettre en
place, à titre expérimental, des Stations d’écoute in situ, rassemblements ponctuels
d’écoutants potentiels sur un site précis, dans une durée assez longue (quelques heures).
Il s’agit de mettre en commun nos oreilles, les paysages sonores ambiants, nos ressentis,
dans une posture d’écouteurs publics postés.
Je réféchis donc à des sites pouvant accueillir ces Stations, places publiques, parcs,
escaliers, rivages, clairières…
Ces lieux devront pouvoir offrir un certain confort d’écoute pour y stationner assez
longtemps (bancs, assises, ombrages, possibilité d’amener ses fauteuils…) et bien
entendu offrir une biodiversité auriculaire intéressante, même si elle n’est pas
spectaculaire, sans doute bien au contraire.
L’écoute sensible doit tenter de revenir aux sources, sans autres artifces que l’attention
portée aux choses, la synergie d’un groupe d’écouteurs publics, et de la mise en commun
d’une écoute »partagée.
Remarques : Selon les cas, on pourra assimiler ces actions à des ZEP (Zones d’Écoutes
Prioritaires), ou à des ZAD (Zones Auriculaires à Défendre)
J’essaie de penser ce qui ne m’accrocherait pas, me laisserait indifférent, dans une ville,
un village, un quartier, un territoire péri-urbain, naturel… Mais je n’y arrive pas vraiment. Il
y a toujours, partout, quelque chose, une petite aspérité, un infme décalage, qui
m’accrochent, m’attirent, m’inspirent. Des expériences en marche, des rencontres, des
micro-événements imprévus, l’attrait du quotidien, d’une forme d’inconnu non
spectaculaire…
Poser l’oreille et le regard quelque part, dans une ville, goûter ses spécialités culinaires, se
faire raconter la cité historique, sociale, politique, culturelle, anecdotique, par des guides
autochtones, c’est déjà chercher une forme de dépaysement stimulant. Je peux alors un
peu plus jouir de ses ambiances, sonorités, couleurs, odeurs, températures, lumières…
En apprenant à (mieux) écouter, j’ai appris à (mieux) regarder, sentir, tlter, lever la tête
vers des détails architecturaux, vers d’autres rythmes qu’il faut aller chercher. Il me faut
être curieux de ce qui construit un territoire hétérotopique comme dirait Foucault, en
l’occurrence celui que je marcherai.
Je suis d’ailleurs très reconnaissant à Jean-Christophe Bailly, dans son livre « Le
dépaysement, voyage en France » d’avoir, pour moi, mis en lumière, révélé, exacerbé, cet
état de fait, cette richesse de l’écriture narrative sans cesse renouvelée, quel qu’en soit le
terrain.
Au fnal, au fl de ces traversées auriculaires collectives, des workshops que je mène, ce
sont bien l’écriture et le partage d’histoires, de récits, celles et ceux que l’on tisse
ensemble, qui seront le pivot, l’axe moteur de ces déambulations multiples.
Un point d’ouïe
un groupe d’écoutants
une écoute collective
l’attention aux sons
des postures d’écoute
les yeux fermés
un espace sensible
la perception des aménités paysagères
une trace mémorielle
une pause dans un PAS – Parcours Audio Sensible
un arrêt sur sons
les sens émoustillés
une douce concentration
Vendredi 16 février, un TGV flant entre les brumes d’un jour levant, quelque part en Lyon et Paris, des mots
à la volée
J’ai également, pour alimenter cette réfexion, relu un texte de Brian Eno, faisant
implicitement écho à la notion phénoménale de l’écoute, que je vous livre ici.
« Il y a une expérience que j’ai faite. Depuis que je l’ai faite, je me suis mis à penser que
c’était plutôt un bon exercice que je recommanderais à d’autres personnes. J’avais
emmené un magnétophone DAT à Hyde Park et, à proximité de Bayswater Road, j’ai
enregistré un moment tous les sons qui se trouvaient là : les voitures qui passaient, les
chiens, les gens. Je n’en pensais rien de particulier et je l’écoutais assis chez moi.
Soudain, j’ai eu cette idée. Et si j’en prenais une section — une section de trois minutes et
demies, la durée d’un single — et que j’essayais de l’apprendre ? C’est donc ce que j’ai
fait. Je l’ai entrée dans SoundTools et j’ai fait un fondu d’entrée, j’ai laissé tourner pendant
trois minutes et demie, puis un fondu de sortie. Je me suis mis à écouter ce truc sans
cesse. Chaque fois que je m’asseyais pour travailler, je le passais. J’ai enregistré sur DAT
vingt fois de suite ou quelque chose comme ça, et donc ça n’arrêtait pas de tourner. J’ai
essayé de l’apprendre, exactement comme on le ferait pour une pièce de musique : ah
oui, cette voiture, qui fait accélérer son moteur, les tours-minute montent et puis ce chien
aboie, et après tu entends un pigeon sur le côté là-bas. C’était un exercice extrêmement
intéressant à faire, avant tout parce que je me suis rendu compte qu’on peut l’apprendre.
Quelque chose d’aussi complètement arbitraire et décousu que ça, après un nombre
suffsant d’écoutes, devient hautement cohérent. Tu parviens vraiment à imaginer que ce
truc a été construit, d’une certaine façon : « Ok, alors il met ce petit truc-là et ce motif
arrive exactement au même moment que ce machin. Excellent ! » Depuis que j’ai fait ça,
je suis capable d’écouter beaucoup de choses tout à fait différemment. C’est comme se
mettre dans le rôle de quelqu’un qui perçoit de l’art, de décider simplement : « Maintenant,
je joue ce rôle. »
(Brian Eno, cité in David Toop, Ocean of Sound, pp. 165-166.)
Retour par le même chemin, à rebrousse poil en quelque sorte, un flm rembobiné.
Nous re-déroulons la trame sonore et visuelle à l’envers, donc forcément très différente.
Un ami artiste relève, depuis le début du PAS, les vibrations environnantes, du bout de
son crayon sono-sismographique. Traces sensibles, audio vibro pédestres
cartographiques autant que kinesthésiques, crayonnages en mouvement. (Voir en pied de
texte).
Puis une ruelle, amorçant une deuxième tranche de notre parcours.
Bascule.
Le calme se fait soudain, comme un apaisement bienvenu.
Une aération soufferie néanmoins bruyante ronronne, arrêt sur son, l’étrange beauté du
trivial industriel.
Une montée entre deux murs resserrés, le calme se densife encore.
Une bouche dégoût s’égoutte à l’oreille, au détour du chemin, tel un ruisseau, tandis que
s’égosille une oiseau caché dans les frondaisons d’un arbre. Halte urbano-bucolique et
heureux mixage auriculaire qu’il nous faut saisir en l’état. Il a abondamment plu les jours
précédents, les traces sonores en témoignent, tout en ruissellements diffus.
Le parvis d’une église, et une placette, presque silencieuse, un espace sensoriel privilégié.
Le contraste est ici affrmé avec l’ile trépidante au bas, la décompression acoustique
s’installe.
Nous pénétrons un jardin caché, le Jardin secret c’est son propre nom, nous approchons
là une forme d’intime quiétude urbaine.
Un oasis acoustique, tout juste une rumeur lointaine, quelques douces émergence
motorisées, ponctuelles.
Des mini haut-parleurs installés dans l’instant viennent, très localement, très
éphémèrement, animer-perturber l’espace. Voix, oiseaux, oiseaux, voix…
Suivi d’un moment de calme, toujours oh combien appréciable.
Des objets longues-ouïe pour écouter les pas amplifées sur une allée gravillonnée, les
plantes auscultées, nouveau zoom focal vers les micros sonorités ambiantes.
« La représentation par des lignes d’un dessin, d’un plan : Le tracé d’un boulevard.
Une ligne continue formant le contour naturel d’une côte, d’une voie, etc.
Un jalonnement sur le sol des lignes caractéristiques d’un ouvrage (tracé d’une route,
d’une voie de chemin de fer, d’une fortifcation). »
Si le tracé se réfère très vite à la ligne, aux lignes, celle-ci ne sont fort heureusement pas
forcément droite. Bien au contraire, leurs sinuosités, parfois leurs discontinuités, à l’instar
de l’écoute, traceront un plan de marche tendant à nous éloigner des sentiers battus.
Quitte à risquer de perdre la trace. Charge alors à l’oreille de nous remettre sur le « droit »
chemin.
Comment alors envisager de tracer, de relever le tracé d’un parcours sonore, pensé pour
l’oreille ? Quelles en seraient les contraintes, les modes de représentations, les
possibilités de lectures, les formes de récits envisageables pour le suivre de l’oreille ?
Proposer, construire et fxer le tracé un PAS suppose que l’oreille parcourt au préalable
l’espace, ou les espaces envisagés comme terrain de déambulation sonore. Le tracé et la
carte le recueillant complice de l’oreille en quelque sorte.
Il faudra donc envisager l’écriture d’un itinéraire sonnifère, partant d’un point de départ
donné, jusqu’à un autre (d’arrivée), avec la possibilité de multiples variantes. Ce trajet
La pratique récurrente (et passionnante) des PAS – Parcours Audio sensibles, m’a
amené à construire, petit à petit, une forme de mémoire vive, auditive, sensible, à feur
d’oreilles. J’en extrais ici un forilège de Points d’ouïe emblématiques, subjectifs et non
exhaustifs, ayant marqué mon expérience d’écoutant, voire ma vie quotidienne dans son
rapport à l’environnement sonore.
Ce sont, généralement lors de parcours d’écoutes collectives, mais parfois solitaires, des
espaces temps auriculairement exceptionnels, ponctuels ou non, parfois très fugaces,
vécus en général lors de PAS*, ou de repérages de ces derniers… Souvent survenus tout
à fait à l’improviste.
Ils ne sont (pas tous) particulièrement beaux, esthétiquement parlant, mais généralement
surprenants, poétiques, décalés, inattendus, et livrés ici par le prisme, le fltre culturel,
donc forcément subjectif de l’écoutant promeneur que je suis…
J’ai déJa relaté, dans des articles antérieurs, certaines situations d’écoutes présentées ici,
certes de façons assez différentes, souvent plus développées. Cependant, le fait de
confronter des espaces/temps/événements se rapportant à des paysages sonores fort
différents, joue des frottements inhérents à ces situations d’écoutes multiples. De
résonances en dissonances, ces micro récits construisent in fne une trame support
d’écoutes actives, des formes de process d’écritures auriculaires transposables in situ,
c’est à dire à peu près partout, mais jamais répétés à l’identique.
En ce tout début d’année 2018, comme un best-off auriculaire, j vous en livre quelques
exemples, sans chercher aucune forme de tri ou de hiérarchisation, plutôt dans l’ordre
d’apparition capricieuse à l’écran de ma mémoire.
Au centre ville de Dole, sur un trottoir de la belle cité historique Jurassienne, se trouve un
simple escalier descendant on ne sait où de prime abord. Celui qui aura la chance de s’y
aventurer se retrouvera dans un espace magique, souterrain urbain conduisant à une
vaste fontaine souterraine que l’on parcourt tous yeux et oreilles charmés. Des gouttes
d’eau réverbérées, des voix, des sons de la ville qui nous parviennent par une sorte de
puits à ciel ouvert. En ressortant d’un autre côté de la ville, le canal au bord duquel naquit
Pasteur, des chutes d’eau alimentant un ancien moulin bruissent. Un oasis sonore et
visuel rare, à ne manquer sous aucun prétexte, Dole étant une ville sonique autant
qu’aquatique !
Je suis assis sur de mes bancs (d’écoute) favoris, sur une hauteur de Mons, vieille cité
Belge de la Région du Hainaut. Je suis en résidence Montoise pour le festival d’arts
Je réside une semaine durant à Orléans, lors d’un worshop autour du paysage sonore
avec des étudiants de l’École des Beaux Arts et du Design. La nuit est tombée, je me suis
posté sur un banc, en périphérie d’une place très tranquille, lovée au cour de la vieille ville.
Il est près de minuit, l’ambiance est douce, calme, sereine. Quand soudain arrive une
jeune femme promenant son chien, et chantonnant d’une fort belle voix « Summertime »
de Georges Gershwin. Elle fera lentement le tour de la place, sans cesser de chanter,
marquant son trajet d’une sorte de ruban mélodique aussi ténu que présent. Instant
suspendu…
Le même jour, avec un groupe d’étudiants en exploration, nous étions surpris par le
puissant grondement de la Loire en crue, elle qui est d’habitude très discrète dans sa
traversée urbaine.
Qui a dit que les murs ont des oreilles ? Et bien dans ce cas oui ! Lors d’un repérage, nous
sommes trois ou quatre promeneurs écoutants dans le cadre d’un projet « Des cartes pour
mieux se perdre », où se retrouve chercheurs, aménageurs et artistes. Nous longeons un
périphérique Lyonnais, à hauteur de Vaulx-en-Velin La Soie, en empruntant des itinéraires
« traboulant » via des jardins, ilots d’immeuble, terrains vagues… Bref des espaces
périurbains que le piéton lambda ne visite guère d’ordinaire. Au détour d’un petit square,
une cité est construite tout près d’un périphérique très circulant, masqué par un mur anti-
bruit assez haut, aveugle, et construit en une sorte de très grandes plaques de matières
plastiques, l’ensemble placés sur un talus dominant les immeubles en contrebas. Le son
de la voie de circulation est donc très fltré, amoindri, au détriment d’un horizon visuel pour
le peu très rétréci. Cette imposante cloison offre néanmoins, pour l’écoutant curieux et
aventureux, un terrain de jeu acoustique intéressant. En collant l’oreille contre ces murs,
Après celle d’Orléans, encore une histoire de chanteuse. Cette fois-ci dans les célèbres
traboules de la Croix-Rousse à Lyon. Avec une groupe d’étudiants designers, nous
écoutons les pentes en passant d’escaliers en couloirs, de cours intérieurs en passages
resserrés, un brin labyrinthiques entre de très hauts immeubles. Bref, nous traboulons de
l’esgourde dirait-on chez les gônes. Au débouché d’une belle enflade de cours intérieures,
chacune avec ses ambiances propres, isolées des sons de la circulation via une série de
sas architecturaux, nous attend une petite friandise acoustique. Dans un espace minérale
resserré, donc résonnant, intime, s’élève une voix de chanteuse faisant ses gammes, ses
échauffements, vocalisant des arpèges volubiles. Un piano exhorte notre chanteuse, à
chaque pause, via un bref accord, à monter d’un degré de plus vers l’aigu, par demi-tons
pour parler musique. Par une fenêtre ouverte, au-dessus de nos tête, les vocalises, trilles
et autres enjolivures, emplissent joyeusement l’espace. C’est une scène dont il faut
profter sur le vif, un peu comme l’instant décisif de Cartier-Bresson, ni trop tôt, ni trop tard,
sinon nous la manquons, irrémédiablement.
Un tout nouveau pont a été construit à Lyon, enjambant la Saône à quelques encablures
de chez moi. Ses quais ont d’ailleurs été réaménagés ces derniers années, avec de belles
promenades piétonnes, avec un circuit parsemé de commandes artistiques en espace
public. Alors que nous faisions, avec un collègue preneur de son un Parcours en duo
d’écoute, nous passons sous ce pont sans rien remarquer d’ exceptionnel a priori. Arrive
alors à notre hauteur, une dame promenant son petit chien en laisse, type fort en gueule et
en aboiements m’a tu vu. Et là, merci toutou, nous découvrons stupéfaits une incroyable
série d’échos digne des plus spectaculaires paysages jurassiens (des sites à échos
remarquables). Nous en jouons bien sûr. Des cris, susurrement, claquements, face à la
rivière ou dos tourné. l’écho toujours, comme dans le mythe, répète inlassablement nos
productions sonores. Je ne manque pas depuis, lors de balades dans le quartier, surtout
en nocturne, d’y revenir, d’y jouer de l’écho, voire d’emmener des promeneurs découvrir
cette petite perle acoustique.
C’est un nouveau PAS avec un groupe d’écoutants, à tombé de nuit, dans la vieille ville
haute d’Auch. Nous sommes en février, le temps est frais, le ciel dégagé, et les lumières
Notre cortège s’ébranle, à nuit tombée, dans une site rural des Monts du Lyonnais, lors
d’une rencontre universitaire autour des métiers des Arts et de la Culture. C’est un soir
d’été assez chaud. Après avoir fait le tour d’un petit étang où coassent d’agiles batraciens
qui plongent dans l’eau avec de multiples ploufs à notre approche, nous empruntons un
sombre chemin grimpant à travers bois, à l’assaut d’une colline. Nous débouchons
soudain en haut d’une vaste combe verte, des prairies en forme d’amphithéltre naturel.
Des milliers de grillons et autres insectes ponctuent le vaste paysage, proftant de la
chaleur nocturne de la terre. Des chiens et des vaches au loin nous donnent la mesure du
site, son échelle acoustique. La tentation de se coucher dans l’herbe pour profter de ce
concert nocturne est trop tentante pour que nous y résistions plus longtemps. Et c’est un
long moment de quiétude qui s’installe tout naturellement dans notre groupe, soudé par ce
paysage sensible qui nous est offert. Tant et si bien que nous auront beaucoup de mal à
nous extirper de cette ambiance apaisée, pour redescendre vers notre village et retourner
vers des sons plus festifs.
A Vitry/Seine, je suis invité par Gare au théltre, structure culturelle installée dans le beau
site d’une ancienne gare SNCF, à effectuer des PAS, diurnes et nocturnes. Sur plusieurs
saisons, dans le cadre d’un programmation de recherche/actions « Frictions urbaines »
autour de la ville, de l’urbanisme, d’aménagements et d’actions sociales, sont invités
différents artistes à emmener le public arpenter le quartier des Ardoines, chacun à sa
façon. La mienne sera bien entendu sonore et écoutante. Le quartier des Ardoines est
surprenant, coupé par une ligne très passante de RER, bordé par de beaux quais de
Seine où subsistent encore des infrastructures portuaires monumentales, on y trouve côte
à cote un immense foyer de réfugiés Maliens, une impressionnante usine thermique
désaffectée, aux tours totémiques rouges et blanches, sorte de marquer territorial repère
visuel ardoinnais, des lotissements, des zones industrielles, le tout entremêlés façon
patchwork. Un urbanisme de ville, de quartier, qui ont connu des développements
tentaculaires et désordonnées lors des extensions du Grand Paris. Ce qui les rend tout à
la fois curieuses, presque inquiétantes, mais aussi attirantes dans leurs brassages un brin
sauvages. Lors de ces promenades, un lieu, parmi bien d’autres a fortement impressionné
ma mémoire. Il s’agit d’une sente enfermée entre des clôtures, des murs, des végétations
sauvages, longeant les lignes du RER toutes proches. De nuit, d’incroyables
déchainements sonores explosent très régulièrement, à quelques encablures de nos
oreilles. Il s’agit de nombreux passages des trains, certains faisant halte en gare, d’autres
flant à pleine vitesse. On se sent presque broyé, malmené par ces féroces intensités
ferroviaires, et à la fois exalté, un peu comme devant une déferlante de Hard Rock des
années 70. Il faut le vivre pour en ressentir toute la poésie tonitruante, façon Pacifque 231
revisité par un acousmate futuriste contemporain.
Après une déferlante sonore, un oasis de calme. Les vacances touchent à leurs fns, la
chaleur est encore écrasante dans la petite ville de La Romieu, blottie sur des terres
Gasconnes où se côtoient vignes et pruneliers, sans parler de toute la tradition culinaire
locale née à l’élevage de volailles notamment. Nous sommes une quarantaine d’artiste
marcheurs, venus du Monde entier ou presque, réunis pour une semaine de rencontres,
d’ateliers, de réfexion, de partages, de marches sensible, expérimentales, de jour comme
de nuit. Made of Walking, réseau international, à choisit de s’installer dans le magnifque
site de La Romieu, de sa collégiale classée au patrimoine mondiale de l’Unesco, et lieu de
passage incontournable pour des milliers de pèlerins en marche sur les chemins de
Compostelle. Si la journée est assez animée dans ce petit bourg historique, la nuit
tombée, les deux bars restaurants fermés, s’installe un incroyable silence. Un silence que
je n’ai rarement entendu aussi profond, même en pleine montagne. C’est l’expérience que
nous vivrons avec un groupe d’une trentaine de personnes, dans un étroit chemin très
obscur, au sortir du village. Seuls quelques discrets grillons osent s’aventurer dans cette
Années 80, nous travaillons, avec des collègues d’ACIRENE, à un inventaire des sites
acoustiques remarquables du Parc Régional du Haut-Jura. Une commande qui inféchira
fortement et irrémédiablement mon approche paysagère et tous les projets marchés que
je pratique aujourd’hui.
Nous somme de dernier jour d’un séjour – workshop consacré à la prise de son
naturaliste, avec le GMVL (Groupe de Musique Vivante de Lyon), dans la belle ville de
Cagliari, Capitale de la Sardaigne. Ce jour là, se déroule dans la ville une immense fête, la
procession, ou pèlerinage, d’environ 60 Kilomètres de San Efsio. Des milliers de
participants costumés, des chants, des bœufs et chevaux, chars et charrettes ornés,
enclochetés, des couleurs, des ornements, des chants, des musiques, des prières,
animent la ville sur leur long déflé urbain… De quoi à réjouir plus d’un preneur de son
durant quasiment quatre heures consécutives. Le bouquet fnal, que je serai le seul à avoir
la chance d’emprisonner dans mes micros, c’est le salut du port au Saint quittant la ville.
Durant quinze minutes environ, tous les bateaux, petits et gros, mouillant au port de
Cagliari, nous offre un incroyable concert de cornes de bateaux. Des sons graves, aigus,
joyeux, disséminés aux long des quai, ou plus loin vers le large, une polyphonie, poly-
rhythmie, des sortes de joutes et réponses sonores, l’effet est puissant, saisissant,
magique ! On ne peut s’empêcher de penser au célèbre enregistrement des bateaux à
Vancouver par Raymond Murray Schafer dans les années 70, ou aux symphonies
portuaires de Montréal..
Lors d’un travail avec des musiciens, slameurs, danseurs, vidéastes Malgaches, nous
expérimentons moult postures d’écoute et d’improvisations urbaines pour faire sonner le
paysage et ses différentes acoustiques. Nous sommes sur une des nombreuses collines
de la ville, dans un grand campus universitaire jouxtant un quartier populaire, riche en
couleurs et en sons, à la lisière de la ville et de la forêt. Le site offre des points de vue
comme des points d’ouïe magnifques sur la ville et ses rizières en contrebas. Quelques
expériences, a priori de simples jeux d’écoute et d’improvisation in situ, donneront lieu à
des moments inoubliables. Un parc périurbain où chantent des centaines d’oiseaux, et
dans lequel chacun se disposera dans des points stratégiques pour dialoguer avec la voix,
le corps, les instruments en en écoute et en réponse à l’environnement sonore. J’entends
encore la valiha (prononcer vali), harpe cithare cylindrique traditionnelle et spécifque à la
Grande Ile, égrainer ses délicates perles sonores en contrepoint des chants d’oiseaux.
Plus loin, sous une dalle très réverbérante d’un parking, c’est Tagman le slameur,
accompagné de musiciens improvisant, qui fera sonner les lieux d’un texte « Écoute le
son », écrit et lu pour la circonstance. Puis un danseur qui se jouera de l’espace urbain
tandis qu’un joueur de didjeridoo scandera l’espace. Autant de séquences dont la prise de
son aura bien du mal à traduire les émotions. Je retiendrai ici la joie d’écouter et de faire
ensemble, dans l’espace public (ce qui n’est pas chose courante à Tana), aux yeux et aux
oreilles de tous, au long d’une promenade écrite par les stagiaires, durant la dizaine de
jour que nous aurons passé ensemble.
Le centre Culturel Musica, à Neerpelt, dans le Limbourg Belge, m’avait invité a concevoir
le tracé et l’animation d’un parcours d’écoute au sein d’un parc, dans lequel une
imposante collection d’installation sonores pérennes est mise en place. Nombre d’artistes
sonores internationaux de renom ont été invités à concevoir ou a contextualiser une
œuvre, installée dans l’espace public du parc. Ce dernier résonne donc de toute une
collections de sonorités surprenantes, que le visiteur peut découvrir en se promenant au
sein de ce musée sonore à ciel ouvert, souvent de manière interactive. Le pari était pour
moi de tracer un parcours d’écoute qui éviterait donc les œuvres pour s’attacher à
entendre l’environnement sonore paysager, des forêts de pins et de feuillus, des dunes de
sable, une rivière, des infrastructures sportives et hôtelières, une route avoisinante… Bien
sûr, l’oreille n’échapperait jamais totalement à certaines sculptures sonores, mais je
prenais le parti de les donner à entendre mixées au paysage sonore pré-existant, comme
faisant partir d’une ambiance globale, et non comme un spot artistiquement installé. Une
semaine de repérage a été nécessaire pour trouver les Points d’ouïe intéressants, en
dégager un parcours cohérent, penser à des jeux et postures d’écoute qui seraient
signalisés. Lors ces repérages, un passage m’a beaucoup intéressé, intime sente
enfermée dans de hautes et épaisses haies de lauriers. En s’arrêtant au centre, on
percevait mille sonorités alentours sans en voire aucune source. Point d’ouïe
acousmatique* par excellence. Cette allée débouchait sur une sorte de caillebotis où le
Dömel, petite rivière sinuant dans le parc, produisait tout une série de clapotis, de
sussions gaves, et autres sons ténus, mais qui émergeaient nettement pour se frotter à
Nous sommes le jour de la World Listening Day. je suis invité par le poète, musicien
perforateur Alain Joule, à effectuer un parcours et une mini installation sonores dans et
autour d’une très ancienne minoterie aujourd’hui transformée en partie en chambre d’hôte
et restaurant. Cependant la grande partie historique des bltiments, avec ses immenses
greniers, sa fosse souterraine voûtée où se déverse un fracassant et assourdissant torrent
d’eau, ses machineries désormais immobiles, mais encore quasiment intactes. Les
alentours sont semi boisés, mais surtout parsemés de cours d’eau, de bassins, des
aménagements d’un canal et de cours d’eau datant du règne de Louis XIV. Bref, le site,
sur lequel se trouve une ligne de partage des eaux est tout simplement splendide ! Ce
jour- là souffe très violemment le terrible vent d’Autant qui descend des montagnes
noires. Le vent qui rend fou, ou des fadas, dit-on dans les terres sauvages du Lauragais.
Ses rafales avoisinent les 100 km /heure faisant gémir et craquer les arbres, au bord de la
rupture. Le paysage entier semble s’agiter dans un mouvement désordonné, violent et
tonique à la fois. Notre balade se fera dans dette atmosphère des plus turbulente. A
l’intérieur de la minoterie, tout craque, claque, planches et volets disjoints, tout l’espace
semble remué par le vent furieux qui vient buter sur les épais murs, cherche le monde
interstice pour s’y engouffrer, fait siffer les tuiles mal emboitées. Une atmosphère de
tourmente siffante et tourbillonnante, et pour autant incroyablement vivifante pour les
promeneurs aux cheveux et oreilles décoiffés que nous sommes.
Lors de mes nombreux passages dans le site majestueux de la Saline Royale d’Arc et
Senans, j’avais très vite déceler une particularité acoustique intéressante : les échos
générés par les vis à vis symétriques de très grands bltiments en arc de cercle. C’est
donc pour une résidence de création sonore, que je décidais de les ausculter de plus près.
Le point focal étant visiblement, ou plutôt acoustiquement, le centre de la grande pelouse,
centre-même du site architectural, armé d’une puissante trompe, je déclenchais différents
échos en tournant lentement sur moi-même dans une rotation à 360°. Je visais ainsi
alternativement chaque bltiment pour en écouter ses réponses. J’avais d’ailleurs pris soin
d’effectuer mes sonneries hors d’une période d’activité touristique, pour ne pas trop
importuner les visiteurs. Tout le monde n’apprécie pas je de la même façon je pense, des
échos longuement répétés, fussent-ils, pour moi en tous cas, très intéressants
esthétiquement. Couplés aux longues résonances intérieures des bernes, immenses
pièces où l’on faisait sécher le sel, ces échos ainsi repérés, écoutés, sonnés, et
enregistrés serviraient de base à une installation sonore collective. Celle-ci se tiendrait
dans une allée reliant des jardins Est-Ouest, au cœur de l’enceinte-même de la Saline. j’ai
donc joué sur un recyclage de matières sonores itératives, transposées d’un espace à un
Au cours d’un repérage pour le projet Européen « Les paysages sonores dans lesquels
nous vivons » nous parcourons le quartier de la gare de Vaise, à Lyon, une fois encore en
nocturne.
Nous descendons dans l’enceinte d’un grand complexe sportif, où s’alignent plusieurs
stades destinés différentes pratiques. Le lieu est une immense fosse construit sur une
ancienne « Gare d’eau », port fuvial intérieur, aujourd’hui entièrement asséchée et
comblée. Cette position en contrebas de ville environnante, non seulement isole
acoustiquement les lieux des voies routières alentours, très circulantes, mais confère à
l’espace acoustique une étrange réverbération, qui fait que l’on ne sait plus trop si l’on est
à l’intérieur ou à l’extérieur. Ce soir là, sur la piste, anneau de vitesse, entourant le grand
stade de foot, des équipes de rollers s’entrainent. Visuellement comme acoustiquement
c’est un spectacle fabuleux. Des grappes de sportifs en rolllers, flant à une incroyable
vitesse, soudés les uns aux autres par une précision virtuose dans la coordination des
mouvements, passent devant nous, dans une traine de chuintements, de feulements. De
nuit, ces mouvements véloces, ces sons extrêmement dynamiques et doux à la fois, les
voix réverbérées des entraineurs qui managent l’ensemble, créent une scène aux
ambiances chatoyantes, captivantes.
Plusieurs fois, j’ai transité par la gare TGV de Massy-Palaiseau, une grande bande couloir
bétonné aussi chaleureux qu’un abord de périphérique aux heures de pointe. Bref,
l’endroit qui ne donne pas trop envie d’y musarder, en tous cas au long des quais. Sauf
peut-être pour une oreille curieuses de phénomènes et d’effets acoustiques surprenants.
Et là, il s’agit de la sonorisation des quais, celle annonçant les arrivées, départs, et parfois
retards, des convois ferroviaires. Ce très long couloir aux murs lisses est donc ponctué de
haut-parleurs qui sont sensés nous transmettre des informations utiles pour entamer ou
poursuivre notre voyage. Cependant, c’est sans compter sur les caprices acoustiques des
lieu qui créent d’incapables effets de décalages, d’échos, de phasing, de superpositions,
faisant que si on est placé entre deux haut-parleurs, le message entendu est pour le peu
très « brouillon ». Intéressant certes pour un écouteur curieux, mais pas des plus effcace
pour le voyageur indécis. Jacques Tati s’en serait sûrement inspiré pour sa célèbre scène
ferroviaire de départ en vacances.
Invité par le Centre Culturel de Rencontres du Chlteau de Goutelas (42) pour un colloque
autour du paysage, en plein cœur de la magnifque région du Forez, à quelques
Les cornemuses, bombardes et percussions façon celtique, autrement dit les bagads, ou
bagadoùs en Bretagne, ont toujours exercé sur moi une sorte de fascination, jouissive.
Ces grands déflés, cette puissance sonore, ces timbres caractéristiques, ces mélodies
ornementées, ces rythmes extrêmement rigoureux, se déversant au pas cadencés par les
rues, et que l’on entend, de arriver de très loin, mettent en fête un espace public revigoré.
C’est donc tout naturellement que j’assistais à une grande parade du festival Interceltique
de Lorient, où moult régions et pays cultivant certaines traditions Celtes, de La Grande
Bretagne en passant par la France, La Galicie espagnole, des régions de l’Inde déflaient
de concert. Plusieurs heures durant résonnent ces ensembles colorés, grande vague de
Celtitude d’où l’on repart un brin sonné, dans la plus traditions des anciens sonneurs
bretons, mais généreusement repus. Fortement déconseillé à ceux qui n’apprécient pas
bombardes et cornemuses !
C’est ici le souvenir extrêmement présent d’une visite pourtant déjà ancienne à la
célébrissime Villa d’Este et de ses eaux paysageant visuellement et acoustiquement le
site. Passé les portes du parc, nous nous trouvons devant un jardin de fontaines,
fantasmagorique, où sont mises en scène les plus belles installations hydrauliciennes que
l’on puisse rêver. Ses fontaines, dont la célèbre dite « de l’orgue », orgue hydraulique cela
Ils doivent explorer des territoires improbables, à des heures où l’utopie peut facilement
titiller notre imagination, la nuit par exemple, feutrée et propre à l’éclosion de tous les doux
dingues complots sociaux- idéalistes.
Ils nous faut traquer des situations amènes, où la surprise et le dépaysement sont plus
douces rêveries qu’oppressantes anxiétés.
PAS – Parcours Audio Sensible. C’est ici que l’on s’arrête, Point d’ouïe obligé, dans un
couloir étroit, lumières à chaque extrémité, obscurité ambiante, immobiles, adossés,
oreilles frémissantes. Un cadre sonore resserré devant, un autre derrière, des lointains
proches, ou l’inverse. L’écoutant est au centre, dans une ligne-couloir circonscrite et très
délimitée, expérience acoustique traversante, mêlant nos propres sons intimes à ceux
d’une ville perçue en focales opposées. L’expérience est auditive autant que visuelle,
humaine autant qu’architecturale, simple, autant que surprenante, frisant sinon fricotant
avec l’in-ouïe.
Saillans 2017 – Festival « Et pendant ce temps les avions »
http://bza-asso.org/index.php/archives/-festival-2017/
Et avec ta ville, ton quartier, tes lieux de vie, d’activité, comment tu t’entends ? la question
est posée !
Ce travail, dans ses différentes phases d’élaboration ou dans sa globalité, peut faire l’objet
d’ateliers partagés, outdoor/indoor, avec et pour différents publics.
Il peut également être complété par l’inauguration offcielle d’un point d’ouïe.
https://desartsonnantsbis.com/2016/05/23/inaugurez-votre-point-douie/
Phase 1 : Se promener dans une ville, un quartier, un espace rural, naturel, un site
spécifque,…Écouter, repérer des points d’ouïe emblématiques, des ambiances
caractéristiques (cloches, fontaines, acoustiques réverbérantes, échos, marchés,
commerces…).
Phase 2 (en règle générale concomitante à la phase 1): Enregistrer des séquences
sonores caractéristiques pour esquisser un paysage auriculaire des lieux investis, élaborer
la construction d’une cartophonie in progress, d’un cheminement intra muros, un PAS –
Parcours Audio Sensible.
Phase 3 : Positionner les sons et ambiances, les géolocaliser comme des Points d’ouïe
sur une carte numérique, audio-géographique dédiée, aux paysages sonores, en prenant
soin de les taguer et renseigner très précisément.
Phase 4 : Mettre en place un player multipiste, application qui mixera de façon aléatoire
deux à 4 points sonores des lieux investis, avec la possibilité de les travailler/jouer en live
lors d’une audition/performance, à la suite d’un PAS collectif, in situ.
Intervenant(s)
Une personne, artiste sonore, promeneur écoutant, avec éventuellement d’autres acteurs
associés, des participants à des ateliers dans les lieux d’accueil (Centres culturels, écoles,
écoles de musiques, structures d’éducation populaire, conservatoires de musique, Beaux
arts…).
Ce projet recherche des lieux de résidences, d’accueil, et équipes susceptibles de
ramifer et mailler des territoires/paysages sonores dans une synergie d’écoute partagée.
Qu’on ce le dise !
Aujourd’hui, je tente de tirer des fls entre quelques focales telles que l’écoute, la marche,
la cartographie, les audio-data (in situ comme dans la galaxie numérique).
Arpenter un territoire, en capter des ressources (sonores), les organiser comme objets
d’étude et/ou de création artistique, les jouer, rejouer in situ, les cartographier pour les
mixer ici ou là, du local au mondial, hybrider des savoir-faire, en ébaucher d’autres…
De la recherche action, au corps des paysages, comme dans des laboratoires,
amphithéltres et ateliers décentrés, jusque dans les archipels de réseaux numériques, de
l’arpentage au cloud, en passant par le papier, la matière, la rencontre humaine, surtout…
Avec l’oreille guide pour ne pas (trop) se perdre.
Il s’agit de faire entendre les angles morts d’une ville labyrinthique, d’une forêt non balisée,
des abords d’une rivière sinueuse, et d’autres lieux tout aussi imprévisibles.
Il s’agit de faire entendre des lieux que les cartographies ignorent parfois, tout au moins
dans des interstices et la mouvance de tiers-espaces (temps) transitoires.
Il s’agit de faire entendre des espaces a priori sans histoire, sans saillance manifeste, des
territoires occultés, inécoutés, dans et par leur apparente trivialité.
Il s’agit de faire entendre une forme de paysage sonore vernaculaire, dépourvu de tout
artifce ostentatoire.
Il s’agit de faire entendre des points d’ouïe non spectaculaires, en les considérant avec
précaution, comme une série non fgée, non défnitive, de points estimés*
Il s’agit en fait de faire entendre que de là peut naitre la surprise.
Il s’agit en fait de faire entendre que de là peut naitre le dépaysement.
Il s’agit en fait de faire entendre que de là peut naitre la rencontre.
* « On appelle point estimé celui qui donne la position d’un bateau par le fait d’un
jugement prudent, ou de données dans laquelle entre une grande part d’incertitude »
Gabriel Ciscar, Cours de navigation – 1803
Carnet, du français médiéval quernet (« Groupe de quatre feuilles »), du latin quaternum
(« relatif à quatre », « plié en quatre »).
Plions nous ici en quatre pour ouvrir et couvrir quelques feuillets encore vierges, au gré
des chemins sauvages.
S’il y a des mots, et plus matériellement des objets que j’aime beaucoup, le carnet en est
un !
Carnet de notes, de chèques, de voyage, de comptes, de campagnes, du jour, de bal, de
santé, de timbres, de croquis… Les carnets sont multiples. Tous n’ont pourtant pas pour
moi le même attrait, ou la même utilité. Celui que j’apprécie et utilise le plus est
certainement le carnet de notes. Je vais donc en parler prioritairement.
Iles tiennent dans la poche et pourtant, carnets de notes, de voyages, ils (me) font rêver,
sur un écran beaucoup plus large que n’importe quels télévision ou cinéma.
J’en ai toujours un ou deux dans une poche, un sac à dos, une valise, pas des télévisions
il va de soi, des carnets.
En marchant, en transport en commun, assis sur un banc, au bureau, ils fxent quelques
idées par trop volatiles, fugaces, dont on he sait pas forcément pourquoi elles viennent,
d’où elles viennent, et ce qu’elles feront par la suite germer, ou non.
Le carnet est pense-bête, une mémoire papier tangible.
Il est terrain d’explorations sensibles écrites ou griffonnées.
Il est fxateur de ressentis, d’images, de sons, de lumières, pas si fxes que cela du reste.
Il est l’intime et l’extime confondus.
Il est un attribut de la mobilité, d’une forme de légèreté, de bribe de liberté donc.
Il est la porte d’un exotisme dépaysant, ou d’un quotidien, tout aussi dépaysant.
Il est la compilation de signes divers, sur lesquels on reviendra peut-être.
Il est gardien de notes de contacts, d’adresses, de noms, de ressources potentielles.
Il est bien plus encore, ce que l’on veut bien en faire, y compris dans les hybridations les
plus singulières.
Les PAS – Parcours Audio Sensibles, ont besoin de légèreté, d’une forme de liberté,
sérieusement frivole, d’une souplesse mobile, et d’une trace possible. Un petit bloc de
papier, est bien mieux pour moi qu’un ordinateur, un smartphone, une tablette, l’objet qui
répondra à mes attentes nomades et parfois imprévisibles.
Un carnet en poche, ou de poche, et plus parfois, est, de façon plus libre qu’un
microphone, et la mémoire est sauve, ou presque, ou une partie, propre à être réactivée.
Le carnet, notes à la volée, croquis maladroits, plans de textes, est souvent, dans mon
travail, le préliminaire à un écrit plus étendu, développé, prélude à l’article à venir, à des
rendus potentiels et différés.
Je suis pour ma part, resté à la matérialité de l’objet, bloc de papier et crayons compris.
J’aime les toucher du doigt, rassurants car à portée de main, toujours prêts à l’emploi.
Faire une veille informatique, comme c’est mon cas actuellement autour des parcours
sonores et de la marche en général, c’est tous les jours s’étonner de la richesse et de la
diversité des projets de par le Monde. Une curiosité toujours ravivée de découvertes
parfois très inspirantes, et par delà l’écran, une envie de réseaux, de voyages, de
rencontres, d’hybridations… Une aspiration à partager, à transmettre, à échanger. Au-delà
de la veille, c’est une sorte de jardin sonore planétaire en chantier, pour reprendre
l’expression de Gilles Clément, qui se tisse entre l’immatérialité de la ressource et la
concrétude du terrain, et bien sûr de l’humain. A la façon d’un collectionneur addict, plus
on avance, plus on se rend compte du chemin qui reste à parcourir, plus on s’engage sur
de multiples routes, toutes plus passionnantes, parfois inquiétantes, les unes que les
autres dans leurs entrelacs, croisements et bifurcations. Une recherche-action qui invite à
un nomadisme fécond, toujours en quête d’amènes humanités.
Deux postures se sont ainsi imposées au fl des expériences, l’une statique, en situation
d’affut, de guetteur qui laisse venir à lui les sons, l’autre en mouvement, via la marche,
pour aller vers les sources sonores, et en mixer des ambiances au gré des PAS.
Invitation à l’écoute
J’ai très rapidement élu domicile, en tous cas dans des situation d’écoutant, sur des bancs
publics, ceux que je nomme souvent « Bancs d’écoute ». Ils se sont révélés d’excellents
points d’ouïe, faisant face à des situations urbaines, ou non, très variées, tantôt sereines,
tantôt turbulentes, étant parfois situées dans des lieux surprenants, atypiques. Certains
bancs sont posés de façon assez anachronique, faisant face à une rue, tout en tournant le
dos à une forêt, un magnifque panorama, une rivière de beaux cas d’étude.
Mais pour moi, c’est bien la visée sonore qui m’intéresse dans un premier temps.
Je suis capable de m’assoir parfois deux à trois heures consécutives sur un même banc,
voire plus, écoutant, regardant, notant, enregistrant, parfois conversant… Ce mobilier
devient alors, lorsque le temps le permet, un bureau de travail provisoire, susceptible ainsi
de se déplacer dans différents points d’un quartier, de la ville, dans différentes cités, via
une forme de construction géographique studieuse autant qu’audiophile. Prenant mon
propre quartier et ses bancs comme terrain d’expérimentation, tel un laboratoire
auriculaire urbain, ou, modestement, une ré-écriture de la performance de Georges Pérec
qui tentait de mener à bien l’épuisement d’un lieu parisien, j’ai ainsi cartographié, au fl des
écoutes assises et publiques, une série d’ambiances fnalement assez caractéristiques, en
fonction des jours, des heures, et des saisons.
Il me faut, comme lors des PAS – Parcours Audio Sensibles, construire dans une certaine
durée, dépassant de très loin es quelques minutes accordées à des pastilles sonores
radiophoniques, pour viser une immersion qui se compte plutôt en heures. Il me faut aussi
tabler sur une répétition, une itération des écoutes, sur un même banc, sur une
compilation de situations qui feront que j’appréhenderai les scènes acoustiques comme
des pauses non contraintes par des rythmes de vie trépidantes, mais visant plutôt le repos
du flneur, une certaine aspiration vers la lenteur, le non pressé, le temps de vivre, de
ressentir à l’envi. Pierre Sansot avec ses ouvrage « Du bon usage de la lenteur » et
« poétique de la ville », mais sans doute aussi un Gaston Lagaffe travaillant à « rebrousse
poil » sont des références des plus inspirante dans mon appropriation en mode doux.
La géographie des mobiliers, la spécialisation des bancs dans l’espace public, urbain,
dessine une forme de parcours qui nous conduit d’un point d’ouïe à l’autre, jouant sur les
différences sensibles d’un espace à l’autre.
J’ai ainsi conçu un dispositif, un mode d’écriture de PAS qui sont directement liés à des
implantations de mobiliers urbains, ici les bancs, sachant que, d’une ville à l’autre, ou dans
différents villages, les déambulations, les modes de jeu, seront très donc différents.
J’ai expérimenté ces parcours dans différentes villes ou villages, de Mons (Be), Lausanne
(Ch), Malves en Minervois, Lyon, Charleroi, Paris, Orléans, Loupian, Victoriaville
(Québec), Tananarive (Madagascar), Nantes, La Romieu, Cagliari (Sardaigne), Vienne
(Autriche)…
Dans chaque lieu, sur chaque banc, le parcours et ses haltes sont tellement différents,
que l’on peut imaginer une collection infnie de points d’ouïe, tous plus riches et
dépaysants les uns que les autres.
https://www.google.fr/maps/d/edit?hl=fr&mid=1IEid30tJ2bsP92Ejss-
iLmauDsNnDIJA&ll=45.774416427T4203%2C4.T0TT5TT7594001T&z=1T
Un texte
https://www.linkedin.com/pulse/bancs-publics-d%C3%A9coute-gilles-malatray/
Un projet de parcours
https://fr.scribd.com/document/156704291/Bancs-d-e-coute-parcours-sonore-urbain
Audiographie
Another PAS
Un autre PAS. Nous nous sommes retrouvés, parlés, puis fait silence, avons marché,
écouté, nous sommes assis ici et là, avons arpenté, écouté encore, parlé à nouveau...
Pour désamorcer la violence du monde ?
Le LAM, structure organisatrice, Laboratoire l’Autre Musique est associé à l’ACTE, UMR
8218 Paris1 Panthéon_Sorbonne/CNRS, équipe Musique et Arts Sonores effectue des
recherches/actions; ouvertes à la participation de nombreux artistes et chercheurs, autour
de thématiques musico/sonores. Parmi celles-ci, se construisent des des axes de réfexion
tels que le corps/corporalité, le rapport social, la circonstance, le bruit, la technologie…
Des publications électroniques sont ainsi accessibles à tous pour prendre connaissance
de ces foisonnantes recherches interdisciplinaires.
Le CDMC quant à lui, qui nous accueille, est situé entre la Cité de la musique et la toute
nouvelle Philharmonie, et à quelques encablures du Conservatoire National Supérieur de
Musique et de Danse de paris, tout près de la Fontaine aux lions et de la Grande Halle de
La Villette, donc dans un espace haut en sonore.
Le jour dit, je dispose d’une heure et demi de présentation et parcours, devant un public
de d’intervenants et de participants, logiquement déjà très impliqués dans les choses
sonores et musicales.
L’imposante Fontaine aux lions, formant une sorte de grand rond-point piétonnier, lieu de
casse-croûte et de discussion aux margelles fort appréciées, sculpture rafraîchissant
l’espace acoustique par sa pétulance aquatique nous attire inévitablement, pour constater
l’effet de masque. En acoustique, un effet de masque est un son continu qui cache
presque tous les autres. La fontaine en est un exemple fagrant, lorsque que l’on se tient
très près de ses jeux d’eau, toute la circulation alentour, la vie animée d’un espace public
semblent tendues presque muets, à quelques émergences près.
Même sans un seul musicien audible, le fait de s’aligner de part et d’autre de l’entrée,
d’écouter les fux de personnes passer entre nous, nous regardant d’ailleurs
curieusement, d’entendre les portes battantes entremêler le dedans du dehors, par
séquences aléatoires, de regarder la dense circulation du proche boulevard sans pour
autant que celle-ci envahisse notre espace d’écoute, n’est pas sans intérêt, loin de là.
Nous nous offrons un petit concert insolite, que seul notre groupe perçoit, à l’entrée d’un
grand temple de la Musique, la Grande…
Commence alors la partie plus intime, et sans doute la plus surprenante, de ce PAS. Nous
nous engageons dans une petite sente qui descend directement au cœur du jardin des
bambous, dans lequel se trouve le Cylindre sonore, cette magnifque installation sonore
de Bernhard Leitner, que nous ne pouvions pas manquer de visiter, surtout qu’elle n’est
pas, au fnal, pas si connue qu’elle le mérite. Pour ceux qui ne connaitraient pas, Le
cylindre sonore est une sorte d’amphithéltre circulaire, niché dans un espace en creux, à
l’intérieur du jardin des bambous. Il est construit de huit plaques de béton arrondies,
alvéolées, contenant chacune un haut-parleur. Ces plaques diffusent une composition
électroacoustique, dont les sons se confondent parfois avec ceux de l’environnement du
parc. Ils entourent le public en jouant des mouvements sonores véloces, en contrepoint
avec les sonorités de l’espace alentour. La porosité acoustique de cette grande installation
avec son milieu crée un bel effet immersif. Pour ma part, je connais cette œuvre depuis
longtemps, et ne manque jamais d’y passer un moment lors de mes déplacements à La
Villette. Notons que Bernhard Leitner mène, depuis le début des années 70, un
remarquable travail autour des rapports sons/espace/architecture/postures d’écoute (voir
le lien ci-avant).
Mais autour du cylindre, la musique des lieux est elle aussi bien présente. Enfermés dans
une fosse plantée de bambous, la plupart des sons nous parviennent en mode
acousmatique. Nous les entendons en effet sans en voir les sources, ce qui rajoute un
véritable intérêt à ce paysage sonore perçu au maxima par les oreilles. Par exemple, une
voix (africaine?) lance de belles mélopées non loin de nous, sans que nous sachions
précisément la situer. Nous empruntons une étroite passerelle métallique, zigzaguant au
milieu d’une bambouseraie sauvage, que nos pas font sonner. Brusquement, des rollers,
ou skates, nous passent juste en dessus de la tête, sur une passerelle surélevée
enjambant la fosse dans laquelle nous déambulons, effet de surprise assuré!.
Débouchant sur une sorte de clairière, toujours enchlssée entre murs de béton et
végétaux, des sons de voix et de djembés se mêlent à d’autres ambiances, auxquelles je
rajoute une éphémère installation sonore personnelle. Ici aussi, ces acousmaties sont
saisissantes, tout cela à quelques encablures de la Philharmonie.
Remontant « en surface », nous traversons une grande pelouse qui nous ramène vers la
Cité de la musique. Proftant de cette belle journée ensoleillé les, de nombreux groupes se
prélassent, jouent au ballon, dans un pointillisme de sons disséminés sur cette aire, qui
tranche assez radicalement, de par son ouverture acoustique et visuelle, avec la scène
d’écoute précédente, très intimement circonscrite.
L’Astrée débute ainsi « « Auprès de l’ancienne ville de Lyon, du côté du soleil couchant, il
y a un pays nommé Forez, qui en sa petitesse contient ce qu’il y a de plus rare au reste
des Gaules… Plusieurs ruisseaux en divers lieux vont baignant la plaine de leurs claires
ondes, mais l’un des plus beaux est Lignon, qui vagabond en son cours, aussi bien que
douteux en sa source, va serpentant par cette plaine depuis les hautes montagnes de
Cervières et de Chalmazel jusqu’à Feurs où Loire le recevant, et lui faisant perdre son
nom propre, l’emporte pour tribut à l’Océan. », plantant d’emblée le décor bucolique qui
accueillera néanmoins moult perfdies et intrigues. Ses chemins balisés nous emmèneront
Pour revenir aux propos du colloque évoqué ci-avant, plusieurs thématiques ont été
soulevées, défendues, décortiquées et discutées, par une phalange érudite de juristes,
architectes et paysagistes, historiens, politiciens et autres chercheurs en sciences dures
ou sociales.
J’avais donc, dans ce cadre, proposé de sortir hors-les-murs pour parcourir, ressentir, lire
à haute oreille, deux tranches de territoires sur lesquels nous nous trouvions. Le premier,
en nocturne, étant les proche des abords du Chlteau de Goutelas, dans son parc boisé,
ses sentiers sylvestres. Le second était une portion des chemins d’Astrée, là où, entre,
autre se noya Céladon, l’amoureux dépité, qui fut du reste sauvé des eaux par des
nymphes, permettant à l’œuvre de rebondir encore. Le parcours s’effectue en bordure du
Lignon, boucle autour du chlteau Renaissance de La Bltie d’Urfé, de jour cette fois-ci.
Un premier repérage hivernal, dans de beaux paysages enneigés m’avait d’emblée permis
de découvrir ces beaux sites et d’en mesurer tout le potentiel sensible, et il est énorme.
Juste avant le début des rencontres, un autre repérage s’imposa, pour se remettre les
parcours en jambes, les ambiances en oreilles, et trancher entre différentes variantes de
parcours. Après ma première visite hivernale, le changement de décor est cette fois assez
radical, en ces premiers jours d’automne. Les couleurs et lumières sont très différentes,
Une chouette hulotte nous salue de ses cris, vigile discrète nous surveillant de l’épaisseur
des frondaisons. Ses appels marquent la nuit de repères spatio-temporels qui nous
invitent à la pérégrination. L’obscurité se fait vite presque totale, la lune ne se levant que
très tardivement à cette époque. Nos sens n’en sont que plus en alerte. Le son de nos
pas, parfois hésitants, foulant feuilles mortes et branchages, rythme notre avancée de
mille craquements et froissements amplifés par la nuit.
Au retour, nous ausculterons des matières et végétaux pour terminer ce parcours en toute
intimité, avec la chose sonore.
Nous somme devant l’emblématique chlteau de la Bltie d’Urée, qui sera en quelque sorte
le pivot de notre marche, point de départ et d’arrivée d’une boucle, pastorale à souhait. Le
Lignon, et un de ses biefs alimentant le chlteau, seront notre fl conducteur, de bosquets
en prairies, de rives enchlssées en plages de galets.
Cette rivière capricieuse, nous mène dans de multiples détours, chemins facétieux, de
rives en bosquets, nous faisant suivre parfois des bras morts, dont certains seront
revivifés au fl des saisons et des pluies. Tantôt nous entendons le Lignon tout proche,
tantôt, au fl d’un détour, nous le perdons d’ouïe, en même temps que de vue, puis il se
rapproche à nouveau, en fondue sonore progressive, ou très vite, sans prévenir.
A chaque rencontres, le Lignon se révèlera si différent ! La richesse de ce parcours tient
sans doute beaucoup à ces thèmes et variations au fl des ondes.
Un pont enjambant la rivière se fait instrument de percussion. En effet, en le martelant,
tapotant, grattant, l’oreille collée à ses rambardes métalliques, nous déclenchons une
série de sons étranges, fugaces, rapides, aux couleurs d’un synthétiseur surprenant. Une
improvisation collective nait spontanément de cette étrangeté acoustique. Un grand merci
aux deux jeunes architectes, dont leur belle cabane en renouée du japon voisine avec ce
pont, de m’avoir signalé cette particularité auriculaire !
Plus loin encore, nous trouvons le « Tombeau du poète », site astréen, une stèle et un
monticule de terre recouvert de lierre, entourés d’arbres, et de bancs. Nous nous y
asseyons et, magie du moment, les images et les sons mêlés peignent une scène
Bifurquant pour revenir ver le chlteau de départ, nous longeons le bief qui nous apparait
tout à coup fort silencieux, laissant la place aux oiseaux que le soleil, réchauffant
progressivement les lieux, poussent à chanter un brin plus vélocement. La dernière prairie
nous fait passer de la pénombre des bosquets à la lumière vive d’espaces ouverts, où
l’écoute même se déploie vers des horizons plus lointains. Horizons marqués d’ailleurs ce
jour là de trainées sonores vrombissantes, un rallye automobile nous apprend t-on. Pour
autant, ces rumeurs motorisées, dans leur éloignement, en contrepoint aux coups de feu
des chasseurs, n’envahissent pas la scène acoustique. Elles lui conférent même en toile
de fond, écoutées avec un certain recul, une posture « musicale », plutôt intéressante,
esthétiquement parlant. Au cours du parcours, il y aura bien entendu eu une micro
installation sonore éphémère, et une auscultation des objets environnants, sortes de
marques de fabrique des PAS Desartsonnants.
Ainsi s’achève in situ, de belles et riches journées du colloque « Paysage, lignes de fuite,
lignes de vie »
Je suis cette fois-ci invité par Pascale Ciapp et Thomas Andro, de l’Espace O25rjj à
loupian, belle petite bourgade tout près de l’étang de Thau, juste en face Sète (34), dans
le cadre d’une soirée consacrée aux arts sonores « Prozofoni#5 ».
Loupian est pour moi un terrain d’écoute qui ne m’est pas étranger, voire même familier.
C’est en effet la quatrième fois que j’aventure mes oreilles dans ce village, pour différents
PAS, diurnes ou nocturnes, en groupe ou en duo, précédés parfois d’un massage sonore.
L’acoustique de cette cité fortifée, ses points d’ouïe, bancs d’écoute, ont donc déjà été
l’objet de plusieurs explorations desartsonnantes, repérages ou actions collectives. Je trouve
d’ailleurs très riche ce genre de récurrences où, à chaque passage, on peut creuser
différemment les gestes et postures d’écoute, les itinéraires, en constituant peu à peu une
collection locale de parcours sonores, et une sorte de géographie sensible, auriculaire, de
Loupian. Un site laboratoire en quelque sorte.
Le soir premier soir de mon arrivée, le bar du village est en fête, juke-box, voix et rires
fusant comme un feu d’artifce de sons éclaboussant la nuit, jusqu’à ce que tout s’éteigne
subitement, à l’heure de la fermeture légale de l’établissement. Bel enchainement de
séquences, l’une tonique et festive, et l’autre ramenant le village dans un calme profond,
serein, tout cela en quelques minutes. La magie des sons en mouvement, qui
apparaissent parfois aussi rapidement qu’ils disparaissent.
Le lendemain, est donc le jour du PAS collectif. Le soir venu, un bon groupe, très inter-
générationnel (voir les photos au pied de l’article) m’emboite le pas, et de fait l’oreille.
Après quelques mots de présentation, le silence s’installe. Nous partons d’un pas
tranquille, dans une belle nuit chaude de son d’été. Des sons s’échappent des fenêtres
ouvertes, ambiance caractéristique des rues étroites et placettes enserrées, où le dedans
et le dehors se mélangent, où le public et le privé, l’intime et l’extime s’interpénètrent.
L’oreille se fait un brin voyeuse, ou plutôt écouteuse, volant innocemment ici et là
quelques bribes de vie intime.
Les réverbérations minérales sont toujours bien en place, maintenant les sons dans une
jolie brillance, un halo qui séquence l’espace en plans sonores nettement différentiés, du
plus proche au plus lointain, du plus nettement perceptible dans ses moindres détails au
plus diffus.
Nous débouchons sur une place jalonnée de vieux et imposants platanes où, à cette
heure nocturne, des centaines d’étourneaux braillards, de retour d’une grappille viticole,
animent les arbres d’une vie trépidante. Je claque des mains et un incroyable mouvement
de cris et de battements d’ailes frénétiques inonde la place dans une sorte de folie
collective. Puis les étourneaux, peu farouches, se reposent en grappes pépiantes, dans
les peupliers, qui semblent trembler de toutes parts dans leurs branchages. Je répète
plusieurs fois l’opération, et à chaque fois la même séquence , envole frénétique et retours
non moins bruyants se réitère. Un jeu tout à fait improvisé dans cette rencontre inopinée
entre promeneurs et oiseaux, lesquels semblent se plier de bonne grlce à orchestrer cet
Une place publique en belvédère nous offre une plongée visuelle et acoustique vers le bas
du village. J’y installerai ponctuellement quelques sons rapportés, un mythe d’Écho
suppliant l’insensible Narcisse (encore une histoire éminemment sonore) transposé en un
facétieux conte urbain, une éphémère mythologie pointilliste qui susurre dans la nuit,
ramenant dans les lieux des sons décalés et virevoltants.
Cette petite traversée sonore d’une parcelle d’espace et de nuit rejoindra à son terme,
après quelques nouveaux détours, la belle et très ancienne chapelle Sainte-Hippolythe,
pour le dernier concert.
Nous aurons, durant une parcelle de temps nocturne, arraché à la nuit, au village,
quelques doux secrets que seule une oreille attentive, et qui plus est une écoute
collective, peuvent faire émerger de la pénombre ambiante. Une poésie des lieux sereine,
entre douces sonorités et lumières portant des ombres dansantes.
Cette presque obscurité rend plus pétillantes, plus ciselées, plus délicates, les lumières du
village, plus bruissonnants les moindres souffes de vent dans les feuillages, plus intimes
les voix fltrant des fenêtres, plus apaisés les moteurs ronronnant au loin, avec parfois la
sensation d’un univers ouaté, drapé dans des traines sono-lumineuses qui titillent nos
sens plus délicatement et plus curieusement que le jour. Les images ci-après en
témoignent je pense.
Il ne s’agit pas pour autant de copier le modèle Neuhausien, ce qui ne représenterait que
bien peu d’intérêt, mais de mettre la ville en écoute façon Désarsonnante. Pratiquant ces
écoutes en marche depuis le milieu des années 80, plutôt dans l’esprit didactique d’un
Murray Schafer au départ, j’ai découvert, quelques années plus tard, les Listens, qui ont
certainement infuencé mes marches pour les rapprocher plus près des arts sonores, tout
en gardant une forme de militance pour la belle écoute et une sensibilisation autour de
Points d’ouïe remarquables.
Ma première journée à Charleroi fut une grande marche urbaine entre la ville basse et la
ville haute, le centre en grand travaux de réhabilitation et la périphérie post industrielle.
Bref beaucoup de kilomètres pour s’imprégner des ambiances, des acoustiques, dans un
journée très physique, avec quelques bonnes dénivelées. Mais au fnal, ce fut une plongée
vivifante dans une ville très tonique.
Le paysage alentour est bordé d’immenses crassiers, certains de plus de 200 mètres de
haut, reliefs signant la feu prospérité minière. La Sambre, rivière sinueuse sur laquelle
naviguent d’imposantes péniches, canalisée entre d’énormes entrepôts, longe la ville
basse. Un incroyable réseau routier ceinture la ville, rings en hauteur dominant la cité d’un
entrelacs de ponts et de voies suspendues. Le réseau ferroviaire est lui aussi assez
gigantesque. Tout ceci vous vous en doutez bien, n’est pas sans conséquence sur
l’ambiance sonore de la ville! Ajoutons à cela d’incroyables trompes, identiques à celles de
gros bateaux, qui sonorisent les tramways, notamment à un carrefour où voitures et trams
cohabitent, plutôt mal à certaines heures, et la ville se fait se fait parfois trépidante, voire
bruyante, n’ayons pas peur des mots.
Car la ville, surtout basse, est un immense chantier où les places et les quais sont
réaménagés, où un imposant centre commercial fambant neuf a vu le jour, ainsi que
plusieurs centres culturels, restaurants lieux d’exposition, cinémas… Déjà riche de
quelques lieux phares, culturellement parlant, dont le célèbre Charleroi Danse, la cité
mise, comme l’a fait quelques années auparavant Mons sur un développement de l’offre
culturelle. Ceci pour redynamiser une ville que les séquelles d’un violent déclin industriel
Le jour J, qui s’avère le plus humide de tout mon séjour, mais un PAS Belge, ça se mérite !
À 21H30 devant la basilique Saint-Christophe de Charleroi, se forme un groupe
d’intrépides et sympathiques marcheurs écouteurs noctambules.
Arrêt Point d’ouïe, moment fort du parcours, sous un nœud routier où les rings distribuent
nombres de véhicules, quelques mètre au-dessus de nos oreilles. La scène acoustique
nocturne est saisissante, entre chuintements tout autour de nous et d’incroyables
claquements, grondements, infra basses rythmées juste sur nos têtes. Impressionnant,
même pour les carolorégiens qui n’ont fnalement pas l’habitude de s’arrêter sous des
rings pour en écouter leurs sauvages plaintes nocturnes. J’installerai en contrepoint, de
façon éphémère et en décalage, des sons d’une forêt francomtoise et une histoire d’Écho
cherchant désespérément à séduire l’inatteignable Narcisse.
Nous longerons ensuite cet entrelacs sonique pour nous éloigner encore un peu plus du
centre ville. Une petite rue s’éclaire à notre passage, ilot très vert, très feuri,féerie
passagère en parfait décalage avec le site environnant hyper bétonné, un petit havre de
paix pour l’oreille et la vue. Sans prévenir, au détour de cette ruelle, c’est un champs
d’usines en ruines, sombres, inquiétantes, qui servent d’ailleurs visiblement à la fois de
squats sauvages et de dépôts d’ordures en tout genre. Acoustiquement, c’est plutôt calme,
visuellement, plutôt violent, dans une distorsion, un paradoxe sensoriel. Nous voilà
débouchés sur les quais de la Sambre, que nous remonterons vers le centre. Arrêt Point
d’ouïe sur des clapotements à nos pieds, des gouttes d’eau tombant d’un surplomb,
espace aquatique où les lumières de la villes firtent avec l’eau, dans des miroitements
irisés, comme les sons cette fois-ci plus en adéquation. Ce passage des quais de nuit est
un vrai délice, sensoriellement parlant, une autre magie urbain qui vient donner à notre
PAS une coloration fnalement très sereinement inattendue.
Nous nous retrouverons au fnal dans un de ces nouveaux lieux disposant du reste d’une
excellente brasserie, endroit idéal pour échanger sympathiquement autour de notre
expérience d’écoute partagée.
Charleroi a donc conquis mon oreille, à tel point je souhaiterais évidemment prolonger la
sonique aventure vers d’autres terrains encore inexplorés pour moi.
C’est une illustration, presque une modélisation de mes Points d’ouïe, où le regard comme
l’écoute recherchent une forme d’exaltation sensorielle, en même temps qu’une profonde
sérénité…
C’est aussi un geste récurrent chez moi, que de placer une, ou des chaises, à un endroit
acoustiquement stratégique, et d’y capter avidement le bruit du monde, ou d’une parcelle
de monde. Une radio ouverte sur des ondes toujours en mouvement. Une installation
sonore indomptée, à ciel ouvert, et à 360°. Ou bien encore de dénicher des bancs publics
pour les transformer en bancs d’écoute, tout à la fois lieux d’échanges et affûts sonores…
Les images, parfois, suggèrent les sons, comme un beau paysage peut les attirer dans
une scène d’écoute qui nous met, dans ces micros événements spatio-temporels, dans
une profonde connivence avec le monde, si ce n’est une exaltante harmonie fusionnelle…
Faire un PAS - Parcours Audio Sensible, c'est un peu comme une composition sonore à
partir d'enregistrements de terrain. Il faut marcher a minima 8 à 10 heures la ville, ou
ailleurs, pour s'y sentir à l'aise, et garder une heure de parcours à l'arrivée.
Décoassance
La disparition des grenouilles n'est pas forcément synonyme de décoassance positive.
Éviter la surenchère
Dans ma pratique du paysage sonore, je vais aller de plus en plus vers l'abandon de tout
son rajouté. Plutôt installer et/ou inaugurer, mettre en scène, des points d'ouïe, des
stations d'écoute 100% acoustiques, des ZAD (Zones Auriculaires Prioritaires), mettre en
situation, en posture d'écoute, en bref, éviter de participer à la surenchère sonore
généralisée.
Faire ensemble
Y'a des fois je me dis que j'aurais envie de danser, de mettre en scène, de bricoler, de
dessiner, de flmer... Tout ça pour mieux entendre, ou mieux donner à entendre. Mais tout
ça je ne sais pas vraiment le faire. Et peut être bien que c'est tant mieux, qu'y a des gens
qui savent faire. Alors j'me dis, autant faire ensemble.
Chaos
Le monde sonore semble bien être l'expression d'une forme de chaos, de l'indomptable, et
parfois de l'in-compréhensible. Accepter le fait que le paysage sonore, à l'instar du visuel,
ne se plie pas à nos volontés de le canaliser, de l'organiser à notre bon gré, peut être une
façon de concevoir l'imprévisible comme une valeur ajoutée. Si un design sonore urbain
parvenait à modéliser et à organiser un paysage sonore totalement maitrisé, cela pourrait
produire une artifcialisation plus mortifère que la pire des muzacs.
Croisements
Si je maintiens fermement le cap des PAS - Parcours Audio Sensibles orientés écoute,
des points d'ouïe, j'expérimente avec beaucoup de bonheur et d'inspiration des
croisements arts/sciences/aménagement, marche/danse/performance, création sonore/art
plastique/territoires, Esthétique/écologie/politique, artistes/personnes handicapées, et bien
d'autres ateliers ouverts, trans-média, en chantier.
Made of 0alking 2017 s’est tenue dans la petite cité de La Romieu – littéralement une
toponymie qui nous enseigne du fait que les pèlerins vont (allaient) à Rome en passant
par ou en partant de ce village. C’est ici où se sont rassemblés fn août, une quarantaine
de marcheurs, dessinateurs, penseurs, écoutants, venus de différents pays. Des ateliers
en marche et réfexions se sont déroulés une semaine durant, de jour, de nuit, poétiques,
philosophiques, méditatifs, militants, déambulants.
http://www.themilena.com/pdf-fles-projects-the-milena-principle/s-programme-FR-
MO0-La-Romieu-fnal.pdf
Le village de La Romieu est aujourd’hui une étape de pèlerinage importante, non plus vers
Rome, mais pour Saint-Jacques de Compostelle. Son patrimoine blti, un ensemble
collégial classé au patrimoine mondial de l’Unesco, un lavoir gothique, la beauté de ses
paysages alentours, font que le village constitue un lieu de rencontre symbolique pour
tester, pratiquer et célébrer moult formes de déambulations pédestres.
Le premier PAS fut nocturne. Nous sommes entrés dans une douce histoire sonore, au
moment où s’endort le village, où des voix et des sons de télé sourdent des fenêtres, où
Écho s’installe pour quelques instants dans une intime ruelle, par le biais d’une micro
installation sonore éphémère, où l’on ausculte le sons de nos pas sur les graviers
(hommage à Pauline Oliveros) via des « longues-ouïes ». Nous auscultons aussi les
chants secrets de la végétation, des arbustes, des pierres… Nous plongeons un instant
dans la nuit peuplée d’une multitudes de chants d’insectes et autres discrets nocturnes. Le
bas du village nous livre un incroyable moment de silence, instant si rare aujourd’hui.
Nous fnissons notre parcours sur la terrasse désertée d’un bar, pour communier dans
l’écoute une dernière fois, ensemble, dans le calme du village…
Le second parcours fut diurne, et donc sensiblement différent. Nous entrons dans les
résonance du cloître de la Collégiale, écoutons ici aussi le son de nos pas dans le
déambulatoire, auscultons les végétaux du jardin et la pierre de l’édifce. Nous déplorons
la « musique de fond » qui écrase et annihile la pourtant belle acoustique de l’église. Dans
la somptueuse chapelle peinte, nous jouons avec l’acoustique, par un chant diphonique, et
surprise, une réponse chantée nous parvient du haut des escaliers de la tour, où un
homme, accompagné de son fls, joue lui aussi avec les résonances des lieux. Une belle
et inopinée réponse vocale que nous conserverons dans un recoin de l’oreille.
Chacun de ces deux PAS, si différents fussent-ils, nous entrainent, nous embarquent dans
une trame sonore spécifque à La Romieu.
Aménités
Hier, aux environs de 20 heures je me suis assis sur un banc, dans un petit jardin public
tout près de chez moi. C'est là chose somme toute tout à fait habituelle. La température
est agréable, le ciel bleu, constellé d'une étonnante variation de moutonnements rosés.
Ces derniers semblent parfaitement immobiles et cependant, ne cessent de se dissoudre
et de se recomposer assez rapidement, en trames et vapeurs éthérées. Derrière moi, un
ilot d'arbustes est peuplé d'oiseaux piaillant à plein syrinx. Des familles et des couples de
tous lges, de toutes nationalités, passent devant moi, insouciants, devisant et riant à
l'aune d'un printemps renaissant. La nuit s'installe subrepticement, dans un bel entre
chiens et loups aux dégradés ombreux. Les nuages tout à l'heure rosés ont maintenant
viré au gris, laissant apparaitre les premières taches d'étoiles, et des trainées lumineuses
d'avions volant vers on ne sait où. C'est juste un geste sensible, un petit bout d'oasis dans
un de mes ateliers à ciel ouvert. Il y a des jours où je souhaiterais ne voir que les beautés
du monde, pour les partager en exemples amènes.
Filtrages
Se frotter aux réalités du terrain, d'un territoire, fut-il sonore, s'est déjà brouiller ce dernier
par une superposition plus ou moins consciente de fltres déformants. Rentreront en effet
en jeu la sensorialité, les affects, l'extrapolation, l'imaginaire, l'interprétation, le doute, la
divagation, la subjectivité, l'humeur vagabonde, le rêve... Néanmoins, nous ferons en sorte
que l'humain reste au centre de l'écoute.
Bureau nomade
Je suis en train d'expérimenter de plus en plus le bureau nomade, l'atelier mobile, en
espace public, immersion sensorielle et sociale. Un sac à dos, un ordinateur portable, un
carnet de notes, quelques stylos, éventuellement un enregistreur numérique, des gares,
des bancs publics, des médiathèques, universités, des chambres d'hôtels, des lieux de
résidences, des trains, bus, du wi-f... Ateliers en mouvement, installation éphémère,
réfexion in situ, des rencontres, ne pas (trop) s'enraciner. Trouver des points de chute,
des parcours, encore…
Inspirations et modèles
C'est plus tard, un peu plus tard, beaucoup plus tard, maintenant, que j'ai commencé, que
je commence à comprendre ce qui relie mes attirances, mes croisements, mes affnités,
mes projets... Un instituteur qui jouait de la guitare et chantait, des profs de français qui
m'ont incité à lire des milliers de pages, et ça continue plus que jamais, tous genres
confondus, des profs de dessin et d'histoire de l'art qui nous parlaient de Jéricho et
Picasso, des profs d'histoires géo qui, parfois, nous racontaient de belles ou terribles
histoires, une expérience du paysage horticole, professionnelle, in situ, un ami qui m'a fait
écouter le monde, et découvrir l'environnement et le paysage sonore, un passage tardif à
la fac qui m'a re-placé devant le questionnement, le brassage de problématiques toujours
en chantier, des rencontres diverses et variées avec des de belles personnes, de beaux
lieux, sans compter tout ce que j'ai oublié et redécouvre au fl des expériences. Et tout ce
qui reste à venir…
Lieux de vie ?
En me promenant, ou plutôt travaillant ici ou çà, je note, sans doute naïvement, des
constantes qui peuvent, ou pourraient nous aider à (un peu) mieux vivre. Conserver, voire
installer des bancs publics, des marchés (de fruits et légumes et autres forains) des places
publiques à taille humaine, avec des arbres, des petits commerces de proximité, des
espaces piétonniers, de petits bars et restaurants dans leur jus, des fêtes pas trop
aseptisées par une médiatisation nivelant tout, des services publics ad hoc (postes,
guichets SNCF de quartier), des structures culturelles locales, dont les bibliothèques et
autres centres sociaux culturels, des lieux de culte multiples, des jardins partagés, et bien
d'autres espaces hybrides à imaginer... Mais cela n'est pas toujours si évident dans la
"logique" rationnelle de l'aménagement du territoire, et encore moins dans la pensée
libérale et sécuritaire ambiante. L'urbanisme aseptisé, les enseignes archi franchisées et
donc omniprésentes, la politique frileusement commerciale, le système policé, au sens
large du terme, l'hégémonie des grandes et moyennes surfaces, la gentrifcation des
quartiers dits "populaires" et la spéculation immobilière inhérente, la culture populiste ou
élitiste, les transports urbains pas toujours géographiquement et économiquement
égalitaires, réduisent d'autant plus l'imaginaire social urbain qui fond ainsi comme peau de
chagrin.
Jusque là, nous avons régulièrement pratiquer des PAS – Parcours Audio Sensibles en
duos d’écoute. Une marche, généralement d’une bonne heure, où nous devisions des
choses parcourues tout en en gardant des traces via l’enregistrement audio.
(https://desartsonnantsbis.com/les-pas-parcours-audio-sensibles-en-duo-decoute/).
Cette fois-ci, en compagnie de Lucile Longre, photographe, preneuse de sons et auteure
très attachée à l’environnement. C’est ici une écoute-discussion posée sur un banc que
effectuons. Une première en la matière !
Je suis un promeneur,
promeneur écoutant,
arpenteur paysageur,
marcheur au gré des sons,
insatiable partageur d’écoutes,
traqueur de choses bien-sonnantes,
guide accompagnateur Desartsonnants,
installateur de micro points d’ouïe,
aménageur de pauses arrêts sur son,
metteur en scène jusque-bruitiste…
Itérations humaines
Plus je marche, écoute, m'intéresse aux paysage sonores, rencontre des lieux, des gens, plus j'ai
envie de poursuivre cette belle aventure. Ces itérations de plus en plus présentes dans mon parcours,
non seulement n'émoussent pas mon intérêt, ma passion, mais au contraire l'exaltent. Surtout je
pense, le fait de rencontrer de nouveaux lieux, et qui plus est de nouvelles personnes.
Immersion méditative
Je pensais tout à l'heure, que l'immersion d'écoute, répétée dans un lieu, une gare, un banc public,
un square... sur des durées assez conséquentes, est une forme de méditation qui dépasse très
largement l'écoute. C'est une communion avec le monde autant qu'avec soi-même. Et quand elle est
partagée, c'est beaucoup plus encore.
PAS – Parcours Audio Sensible – Transcultures, École d’arts de Mons (Be) – février 2016
Ce qui maintient un projet en vie, ce qui conserve et exacerbe l’envie, ce sont les choses
qu’on ne maîtrise pas, ou pas totalement. C’est tout ce qui échappe à notre contrôle, qui
peut nous faire tomber les préconçus et habitudes bridant la poésie du geste, et parfois le
rêve tant espéré. C’est tout ce que l’on attend pas, et qui, à chaque instant, joue à nous
surprendre, à nous faire connaître des égarements superbes.
C’est le terrain inconnu qu’il va falloir découvrir assez vite, pour ne pas trop s’y perdre, ou
bien pour s’y perdre, pour en sentir la substance sensible, au-delà ou en de ça du
paysage, de ses sons, de ses apparences, d’ailleurs souvent trop apparentes.
C’est la pluie, le vent, la lumière, la fraîcheur ou la canicule, l’environnement capricieux
qui, à chaque PAS, remettent le rythme de la marche en question et la participation même
d’autres marcheurs, stimule ou éteint l’énergie de chacun, consolide ou fragmente le
groupe.
Ce sont les rencontres, fortuites ou programmées, celles du repérages, celles des
marches collectives, celles en marge, qui précèdent ou qui prolongent. C’est de l’humain
Performeurs ou perforateurs ?
Maudit correcteur orthographique qui me remplace chaque fois performeur par perforateur.
Parfois la coquille m'échappe et le sens devient pour le moins ambigu. Type : Les
perforateurs ont investi l'espace public pour ouvrir de nouvelles voies artistiques.… De
nouvelles trouées artistiques ou sociales ?
De la saturation du discours
Je pense souvent le Paysage/territoire sonore comme une problématique susceptible de
questionner pertinemment l'espace public, et les communs inhérents que l'on peut y
trouver, voire y fabriquer, notamment via la chose sonore. Pourtant je suis souvent au bord
de la saturation tant ces espaces publics et ces (lieux) communs envahissent les discours,
jusqu'à se vider de leurs pourtant belles et nobles substances initiales. Trop souvent, le
discours s'auto-alimente, sans passer par la dynamique de l'action de terrain, préalable
qui construit du sens, de la sensation, à partir de l'expérience vécue. Trop souvent, l'étude
de cas et la froide analyse distanciée, l'appareil critique intellectuel, prennent le pas sur
l'action, le sensible, le faire in situ. Par contre, je me retrouve d'autant mieux que lorsqu'un
acteur de terrain pense sa pratique comme une matière à réféchir en même temps qu'à
construire une recherche/action, une recherche impliquée, à même le territoire.
Motivations
Œuvrer, marcher, écouter dans l'espace public, diffuser sur des réseaux publics, pourquoi,
pour quoi faire ?
Se faire voir, entendre, reconnaître, porter un message, si modeste fût-il ?
S'intégrer plus activement à un monde en marche ?
Le regarder, l'écouter de (plus) près ?
En donner sa propre vision, même critique, même résistante, contestataire,subjective,
fragmentaire, incertaine... ?
Tenter de ne pas être noyé dans la pensée globalisante des réseaux, média, chapelles
artistiques et culturelles, opinions publiques... ?
Amener un décalage, une petite part de rêve, une fenêtre entrouverte sur un brin
d'imaginaire ?
Chercher le contact, l'humain, l'échange ?
Un peu de tout cela, au gré du temps, des lieux, des déambulations, événements,
réfexions, rencontres... ?
Le principe de la harpe éolienne est (presque) vieux comme le monde. Des cordes ou des
boyaux tendus sur une caisse de résonance qui chantent sous le vent. C’est tout simple,
et c’est magique ! Des luthiers de tous temps, y compris contemporains (voir les liens en
pied d’article) ont imaginé des objets surprenants, captivants (capti’vents), tant par leurs
esthétiques que par leurs sonorités.
Ces instruments libertaires, en pleine nature ou dans une ville, échappent en grande partie
à notre contrôle, n’obéissant qu’à leur Dieu Éole, ce qui les rend encore plus fascinants.
Musique des lieux qui ne se fait entendre que lorsque la brise ou la bise s’en mêlent.
Parfois, de façon inattendues, ce sont les haubans d’un pont, un échafaudage métallique
ou d’autres structures érigées ici et là qui se mettent en vibration sous les caresses d’Éole.
A Lyon, métro Grange Blanche, c’est la sculpture cybernétique de Nicolas Schöffer. qui
se transforme à certains moments en instrument éolien géant. A l’origine, le cybernétisme
de la tour traduit une interaction, via les mouvements des voyageurs et des rames de
métro, qui anime visuellement la sculpture via des néons colorés dont les teintes et les
rythmes d’allumages fuctuent selon l’activité humaine et mécanique. Mais ce que j’aime
L’effet est-il pensé à l’origine, ou simple heureux hasard né sous le caprice des vents ?
Peu importe, ces ambiances sont bel et bien magiques. Il ne me reste plus, pour vous le
prouver, qu’à réaliser un enregistrement le moment opportun, et forcément imprévisible,
sauf peut-être à consulter régulièrement la météo locale pour avoir un magnétophone en
ce lieu et à cet instant venté.
Par curiosité
http://perso.nnx.com/dferment/pedago/musiqueFeolienne.htm
http://www.chercheursdesons.com/archive/2007/10/19/harpe-eolienne.html
http://www.ciel-libre.nnx.com/musique.html
Dés le milieu des années 80, les rencontres que je fs, notamment avec Elie Tête et
l’association ACIRENE, m’ouvrirent tout un champ de pensée, d’actions, que je ne
pensais pas alors si durables, voire essentielles aujourd’hui.
C’est à la lumière des travaux de Raymond Murray Schafer que nos réfexions,
recherches et constructions se frent, m’engageant d’emblée dans une démarche liée à
l’écologie sonore*.
Aujourd’hui, plus que jamais, face à des réels dysfonctionnements, pour ne pas dire
dangers qui guettent nos sociétés, tant écologiquement que géo-politiquement, les deux
étant d’ailleurs souvent liées, mes simples PAS – Parcours Audio Sensibles, si ils ne
révolutionnent pas les modes de pensées et d’agir, s’inscrivent franchement dans une
Emmener des promeneurs écoutants au travers une cité, dans une zone d’agriculture
céréalière intensive, ou ailleurs, c’est forcément les confronter, à un moment ou à un
autre, à des situations d’inconfort, et parfois de stress. Les questions qui suivent ces
déambulations le confrment bien d’ailleurs.
Sans tomber dans les excès d’une dramaturgie du chaos, un anthropocène omniprésent,
on ne peut rester insensible à des phénomènes d’amplifcation, ou de raréfaction, qui se
traduisent à nos yeux comme à nos oreilles.
La démarche liée au paysage sonore implique que le son soit pensé à l’échelle d’un
paysage en perpétuelle construction, évolution. Un paysage où le jardinier aurait pour rôle
de préserver, d’organiser sans trop chambouler, de cultiver des ressources locales, de
retrouver et de partager du « naturel », d’éviter l’envahissement hégémonique, de
préserver la diversité… Imaginons fler la métaphore paysagère et jardinière avec la
notion, ou le projet d’un jardins des sons. Un espace abordé non pas comme un simple
parc d’attractions sonores ou d’expériences ludiques, mais comme une forme approchant
les systèmes ouverts, favorisés par exemple par la permaculture. Un espace (utopique?)
où il y aurait des friches sonores, sans pour autant qu’elles soient colonisées par la voiture
ou la machine en règle générale, où il y aurait des accointances favorisées, entre le
chants des feuillages dans le vent, des espèces d’oiseaux et d’insectes liés à la
végétation, les sons de l’eau, liés à des topologies d’écoutes, des Points d’ouïe aménagés
L’écoute d’un paysage, sans forcément l’ajout d’artifces, le fait entendre ses pas sur le
sol, sur différentes matières, sa respiration mêlée au souffe du vent, ses gestes et
sensations kinesthésiques qui construisent des cheminements singuliers, intimes, mais
aussi collectifs et partageables, sont des prises de conscience de nos corps et lmes éco-
responsables d’un environnement qui concerne aussi nos oreilles. Ces gestes de lecture-
écriture territoriales en marche, tentent de mettre en balance les lieux où il fait « bon
vivre », dans un bon entendement, comme les lieux plus problématiques, plus
déséquilibrés. Une des question étant de savoir comment les premiers pourraient
sensiblement et durablement contaminer les deuxièmes, et non l’inverse. Comment de ce
fait, le politique, l’économiste, l’aménageur, mais aussi le citoyen, peuvent mettre l’oreille à
la plte, dans une action où le son n’est certes qu’une infme partie d’un système
complexe, mais néanmoins partie importante pour l’équilibre social.
* https://www.wildproject.org/journal/4-glossaire-ecologie-sonore
Contexte
Stage de prise de sons audio naturaliste*, à Cagliari (Sardaigne), encadré par Bernard
Fort du GMVL (Groupe de Musique Vivantes de Lyon), accueilli par les Amici della
Musica di Cagliari, dans le cadre du projet européen Erasmus+ « Le paysage sonore
dans lequel nous vivons »
Prologue
Arrivés tôt le matin, une journée d’exploration urbaine libre s’offre à nous, pédestre bien
entendu. En journée comme de nuit, environ cinq heures d’arpentage du haut en bas de
Cagliari, et les pentes n’y manquent pas, histoire de se mettre au diapason de la ville. Ses
places et bancs, ses recoins, acoustiques, la langue qui reste pour moi musique des mots,
une fête nationale… Mais aussi des couleurs, des odeurs, la mer au pied de la cité. Des
espaces resserrés de ruelles en ruelles, des panoramiques offerts sur le sommet
d’espaces pentus, une ville qui n’est pas encore investie par les touristes, saison oblige,
assez nature, qui me semble de prime abord très accueillante, et qui par la suite se
révélera l’être vraiment, le tout sous un soleil un brin frais pour la saison.
Captations de terrain
Parce que la théorie à elle seule ne sufft pas à comprendre et savoir faire, il nous faut
partir sur le terrain, avec une paire d’oreilles affutées, autant que puise se faire, et son
magnétophone numérique, parabole, couples stéréo, et autres dispositifs de prises ce
sons.
L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt dit-on parfois, et bien c’est au petit jour, voire
avant, à cinq heures du matin que nous nous retrouvons.
Première escapade, une pointe rocheuse du Cap Sant’Elia, qui, après un sentier un brin
pentu au départ, nous amène sur un promontoire, site archéologique, dominant joliment la
ville. Le jour se lève à notre arrivée. Sur ce site archéologique à la fore typiquement
maquis méditerranéen, les oiseaux marins se partagent le territoire (sonore) avec ceux
des terres. L’occasion pour sortir de nos sacs les enregistreurs et de capter tout ce qui
bouge, ou presque. Nous sommes parfois dans un entre-deux, sur certains versants, où la
rumeur de la ville qui s’éveille se mêle aux ressacs de la mer, à tel point de ne plus savoir
exactement parfois qui dit quoi, et de fait ce qu’on entend vraiment… Cerise sur le glteau
si je puis dire, alors que j’enregistre ce curieux mélange de fond urbano-marin, se met en
marche une soufferie, au bas d ‘une falaise, incroyablement puissante, au point de
gommer quasiment tout autre son du paysage. Entorse à la pratique audio naturaliste et
penchants personnels qui reprennent insidieusement le dessus, j’’enregistre
consciencieusement cette « aberration sonore » qui vient violemment contrarier le
paysage sonore.
Sons dans les besaces, ou plutôt disques durs et cartes SD, nous redescendons notre
butin vers la ville.
Deuxième escapade, tout aussi matinale, la réserve naturelle de Monte Arcosu, gérée
par la 0orld 0ildlife Fund, à une vingtaine de kilomètres de Cagliari. Une escale
incroyablement dépaysante pour nos oreilles, et notre regard, voire tous nos sens.
Emmenés par une guide, nous traversons, en voiture, un paysage de maquis
méditerranéen, au sein d’un massif de moyenne montagne, en empruntant un chemin
assez chaotique, pour nous retrouver dans un véritable oasis sonore. Arrivés à
destination, moteurs éteints nous passerons une journée sans aucune trace motorisée,
sans aucune rumeur urbaine, et même, chose incroyable, avec un seul passage d’avion
au loin. Ici la douce rumeur et tissées d’oiseaux et de ruisseaux, de vent dans les
branchage et du crissement de nos pas. c’est je pense la première fois que je ressens une
telle quiétude dans un paysage havre de paix, où les oreilles comme les yeux sont
véritablement à la fête. Je profte personnellement de cette journée pour tester différentes
techniques et micros, notamment au fl d’un cours d’eau, où je promène des micros X/Y,
MS et un hydrophone, auscultation aquatique et aviaire oblige, ou comment raconter le
paysage au gré de l’onde. Le retour à la civilisation de Cagliari nous montre combien ce
genre de lieu est rare et de ce fait à protéger impérativement, y compris (et surtout) en
terme d’écologie sonore.
Les fns de soirées urbaines, hors contexte du stage, ont été pour moi, d’autres terrains
d’exploration, de marches solitaires, d’écoute(s), au fl de petites ou grandes places, des
bancs, des squares, des chanteurs de rue, des cris enfants, des terrasses de restaurants,
de la vie qui se déroule à l’oreille, des ambiances du Sud où dés les premiers beaux-jours
l’espace public est animé, bien vivant.
Les sons
https://www.mixcloud.com/desartssonnants/san-efsio-%C3%A0-cgliari-une-journ
%C3%A9e-oh-combien-sonore/
Je me suis souvent demandé pourquoi les villes, ou des parcelles de villes, des
événements urbains, petits ou grands, exerçaient sur moi une telle fascination auditive.
Les immenses marchés de Tananarive, la fontaine souterraine dite des lépreux à Dole, le
carillon de Bruges, l’incroyable procession de San Efso à Cagliari, les fontaines d’Aix-en-
Provence, une transhumance à Aubrac, la grosse cloche de la cathédrale de Lausanne
répercutée sur les collines voisines… autant de sites/événements, parmi tant d’autres, qui
ont marqué durablement l’écoutant que je suis. De petites pépites auriculaires, de
véritables friandises sonores.
Ces images fortes, ancrées dans le compartiment archives sonores de ma mémoire, sont
pour moi de puissants raccourcis sensibles, totalement subjectifs, de petites ou grandes
villes arpentées, parfois dans certaines circonstances murement préméditées, d’autres
fois dans des rencontres surprises effectuées par le plus grand des hasards.
Suite à cette collections de sons, j’imagine aujourd’hui ce que j’aimerais entendre, ce que
je rêverai de « voir pour de vrai », les ou la ville où il me plairait de promener mes oreilles.
Dans mon imaginaire, sans doute allègrement fabulateur, mais aussi d’après des lectures
et des retours de résidents et visiteurs, c’est Rio de Janeiro qui remporte au fnal mon
adhésion, et où je rêverais de faire escale. Ville mythique, où la mer, les plages, la forêt
urbaine, la musique, la fête… semblent pour moi une sorte d’Eldorado pour le promeneur
écoutant, même si, je m’en doute bien bien, de nombreuses autres facettes moins carte
postale devraient inévitablement infuencer la façon de tendre mes oreilles et micros. Il
Crédit photo ©Yuko Katori – Inauguration d’un Point d’ouïe à l’Abbaye de Vausse (21) – World Listening Day le
18 juillet 2017, avec CRANE-Lab
Public
Solitaire ou groupe
Temporalité et durée
De jour, de nuit, durée variable, de quelques minutes à quelques heures
Silence must be !*
La marche silencieuse, celle que propose généralement mes PAS, tend à installer une
attitude quasi méditative, concentrée, à la fois sur le monde extérieur, et sur nos propres
pensées, ressentis, états-d’esprit, rêveries intimes, sur un moi restant cependant
fortement connecté au Monde environnant.
Le silence alors instauré comme une règle du jeu, laisse place, plus de place, aux sons
ambiants, ouvrant ainsi ce que Pauline Oliveros appelait une « Deep Listening », une
écoute profonde, parfois exacerbée, en tous cas souvent amplifée.
C’est une façon d’investir les lieux par l’écoute, de se créer ses propres paysages, se
mettre en vibration, en résonance, en harmonie avec son environnement, les espaces
appréhendés, marchés, dans une forme d’augmentation sensorielle sans autre artifce que
notre écoute, notre esprit et notre corps consentants, grands ouverts sur le Monde.
Au corps de l’écoute
Marcher au même rythme, tendre l’oreille aux mêmes sources, s’arrêter ensemble, se
sourire, s’échanger des clins d’œil, se guider en se donnant la main, se faire passer des
objets, être reliés par des fls virtuels ou réels… Autant de faits et gestes, parfois
imperceptibles au non habitué, ou au spectateur extérieur, qui développent un véritable
langage, une forme de communication parfois plus forte que la parole-même, mentale,
physique, kinesthésique… et qui ne vient pas rompre la magie du silence, écrin de
l’écoute active.
Le guide est tout d’abord celui qui installe, ou qui contribue fortement à installer le silence,
plus en adoptant des postures physiques communicatives qu’en usant de la parole pour
se faire entendre, voire comprendre. Une immobilité soudaine, un regard appuyé… C’est
sa propre énergie d’écoutant qu’il devra, à l’instar d’un chef d’orchestre, communiquer
alentours. Plus encore que sa technique gestuelle, l’énergie d’un maestro, jusque dans les
silences, est sans doute surtout dans les silences, viendra galvaniser l’orchestre, qui lui-
même renverra de l’énergie vers le chef, et au-delà verts le public. Situation fnalement
assez comparable avec laquelle je me trouve en emmenant un groupe dans un PAS, mais
sans doute ma pratique de direction d’orchestre n’y est pas étrangère. L’un des premiers
marques de ‘implication d’un groupe, de sa cohésion, est sans nul doute la qualité du
silence qui sera « produit » collectivement, lequel sera non seulement une sorte d’écrin
pour les sonorités ambiantes, mais aussi éléments constitutifs intégrants d’un langage non
oralisé.
Silence on communique !
Dans un PAS silencieux, des gestes discrets, a priori anodins, se révèlent comme des
formes de jeux/postures révélateurs, que le groupe se transmet souvent de façon
consciente. Mettre les mains derrières les oreilles, en formes de parabole acoustique,
fermer les yeux, effectuer un lent tour sur soi-même, à 360°, coller l’oreille à un pont, à
une porte… Autant de gestes, de recherches d’écoutes, à la fois simples et singuliers, qui
ne demandent aucune verbalisation pour se transmettre, tout juste une réceptivité
collective, un mimétisme communicatif, une sorte de danse improvisation intuitive collant
aux événements de l’instant, aux ambiances du lieu.
Le langage collectif, sorte de langue des signes pour écoutants, ainsi installé, ne doit
surtout pas être troublé par une parole qui serait alors une surcharge interprétative tout à
fait inutile, voire franchement déplacées, si ce n’est parasitante. Cette parle « de trop »
brouillerait plus qu’elle ne servirait les communications corporelles, sensibles, des
promeneurs écoutants. Les gestes en silence sont à même de transcender la plus
modeste des promenades, plus qu’aucun discours ne le ferait, si pertinent soit-il. Au gré, et
par cette communication intimes, circulant librement dans le groupe, l’écoute se consolide,
le paysage devient dessert, et s’ouvre à nos oreilles dans ses moindres détails –
Quelqu’un qui cuisine, fenêtres ouvertes, en écoutant la radio, des oisillons qui pépient
dans un nid, le souffe du vent dans les feuilles d’un peuplier, les chuchotement et fous-
rires étouffés d’un couple d’amoureux sur un banc public… L’oreille se fait gourmande,
insatiable, un brin voyeuse aussi… C’est par des regards, des visages attentifs, éclairés,
des sourires, que l’on sait que nous ne somme pas seul à écouter sourdre les
bruissements du monde. A un moment, plus tard, la pari-olé aura besoin de se libérer, de
commenter, d’échanger verbalement, et elle le fera alors naturellement, toujours sans
En cours de route, elles se sont sourit, échanger des clins d’œil, appuyé l’une contre
l’autre, pris la main. La mère est revenue nous voir le lendemain, sans sa flle, et
visiblement très émue de ce qu’elle avait vécue, nous relatant combien ce contact
physique, humain, renoué en marchant, l’avait bouleversé.
Certes, un PAS n’est pas pensé comme une thérapie, ni une façon de guérir, d’apaiser,des
confits humains. Je suis très loin d’une forme de « baladohérapie « que de toute façon je
ne saurais absolument pas gérer, le soin étant loin de mes domaines de compétence.
Néanmoins, suite à ce retour spontané, je me suis plus encore rendu compte combien le
geste silencieux, les formes de communication non verbale, pratiqués dans les PAS
pouvaient souder, et dans ce cas précis ressouder un groupe, ne serait-ce qu’un couple
mère flle jusqu’alors en confit.
En écoute
https://archive.org/details/ClochesCAG
Avec chaque marcheur impliqué à un moment ou à un autre, dans chaque lieu arpenté,
nous œuvrons à construire des pièces singulières, Points d’ouïe spécifques, esthétiques,
vécus en chemins d’écoute.
Le sentier, ou plus joliment dit la sente, est pour moi une possibilité, une discrète voie
offerte, ou à m’offrir, pour quitter l’arrogance de la Cité, l’imposition de la rue, et même la
sagesse du chemin, fut-il de traverse.
C’est ainsi une façon de me laisser gagner par une douce forme d’insécurité, que je
ressens intérieurement comme féconde et revitalisante.
Sortir des sentiers battus ne me fait pas pour autant emprunter les sentiers de la guerre,
tant s’en faut !
Sentir n’est pas forcément parcourir le sentier, même si cette idée qui m’effeure,
faussement étymologique, ne m’aurait pas déplu, bien au contraire !
La sente, étymologiquement Semina, n’est pas sans me rappeler la semence, la fertilité,
comme une modeste mais généreuse offrande au corps et à l’esprit.
L’arpentage de multiples sentes m’a fait, et me fait encore, découvrir quantité d’infmes
parcelles de paysages. Paysages qui m’échappent sans cesse, s’estompant au détour
d’un buisson foisonnant, d’un muret moussu, d’un jardin abandonné, et flant vers d’autres
espaces replis, où mon oreille-même peut s’en trouver surprise, désarçonnée dirais-je
innocemment.
Si la sente existe bel et bien, le verbe senter n’a pas que je sache d’acception, alors que,
par le jeu de l’homonymie, il crée, par cette facétie, une relation des plus intéressantes.
Le sentier me fait prendre de travers de vagues terrains ou des terrains vagues, avec
parfois la poétique du vague à l’lme, un quasi effet Wanderer, qui pourrait m’entrainer en
Plus je déroule mes PAS, enchaine mes marches, plus leur processus se révèle dans une
bienveillante et rassurante simplicité, et plus les paysages, en particulier les paysages
sonores, se dévoilent dans une complexité aussi jouissive que stimulante.
C’est une forme déambulatoire hybride entre le repérage et une version beta-test, avec
quelques consignes à l’appui.
– Le non repérage préalable, une errance improvisée selon les événements et envies de
chacun
– L’immobilité sur des points d’ouïe (périodique)
– Le fait de faire en sorte que chacun puisse prendre la main (l’oreille) et devenir à son
tour guide.
Consignes qui ne seront du reste pas toutes suivies et appliquées durant le parcours –
d’où la version d’essai de cette forme de soundwalk.
Nous sommes un petit groupe de quatre personnes, soit huit oreilles calibrées dans une
stéréo élargie. Gilles, promeneur écoutant et hôte, Jérémy, paysagiste, Carole,
musicienne intervenant avec de très jeunes enfants et Marianne, opératrice culturelle
composent notre équipage de marcheurs écoutants.
Nous sommes dans un territoire lyonnais, à caractère nettement ferroviaire. Une gare
dons nous explorerons les devants, derrières, intérieurs, extérieurs, dessus, dessous,
transversalités et impasses…
Un nœud ferroviaire où les rythmes ferraillant scandent ce territoire mécanisé, cette zone
de partance et de transit, invitation au voyage. J’adore les gares pour cela, et pour mille
autres raisons, dont les sons ne sont sans doute pas de moindres choses.
Un parking, où nous jouons une petite improvisation performance, dans un sas fermé de
lourdes portes battantes et grinçantes à souhait. Rythmes, grincements, acoustique
réverbérante, polyphonie sauvage, nous embarquons furtivement dans notre petit jeu,
façon concert post Pierre Henry, des passants amusés, ou intrigués.
Une autre marmotte pour moi, tester les portes et portillons qui pourront devenir de
véritables instruments musicaux, ou tout au moins sonores, en explorer des modes de
jeux en solo, ou en mode orchestre de chambre comme ici.
Enfn, retour à notre place initiale, non sans avoir emprunter un long tunnel routier
assourdissant, comme un fnal paroxysmique, en apothéose bruyant. La place nous
ramène à un espace qui nous semble dès lors très apaisé, par le jeu des contrastes.
Voici donc, comme de coutume, ce petit carnet de notes, où nos oreilles conjointes, les
prises de sons de Carole et photos de Marianne assument leur entière subjectivité !
Marcher, même seul, même sans but annoncé, est pour moi un geste éminemment social
Pour cela il me faut
Sortir de ma boite, de mon appartement, de mon cocon, prendre l’air, prendre l’air du
temps, l’air de rien, et surtout l’air non conditionné
Faire corps, de pied en cap, avec le monde qui m’entoure, ma ville, mon quartier, mes
espaces investis d’écoutes
Regarder au long cours, mon quartier, ou d’autres qui n’en fnissent pas de se transformer,
en démolitions – reconstructions – requalifcations, avec de nouvelles rues, de nouveaux
parcs, de nouveaux magasins, de nouvelles personnes, et moult espaces et bltiments qui
s’effacent, pour laisser place à d’autres, ville chantier, ville tentaculaire
Instaurer des sortes de rituels spatio-temporels à mes PAS – Parcours Audio Sensibles,
mais aussi en faisant mes courses, ou en flnant tout simplement
Regarder, sentir, apprivoiser là où je vis, ou ailleurs, les aménités et dysfonctionnements,
les apaisements et crispations, les transformations et résiliences
Oser se croiser, se regarder, s’écouter, se parler, s’humaniser urbaniquement, un peu plus
encore,
Aller à ma propre vitesse, et à celle des passants non pressés, de mes sensations, sans
forcer la marche, dans une forme de décroissance pédestre et mentale assumée
Ressentir des paysages tracés par la relation kinesthésique le mouvement de nos corps
arpentant l’espace public
Déambuler de concert, tout en devisant de tout et de rien, façon refaire le monde, ou dans
un silence partagé
Saluer des inconnus, leur sourire, au détour d’un parc, d’un sentier, d’une ruelle, et
Il y a peu, nous avons marché en groupe*. Une vingtaine de personnes je pense. Des
artistes, écoutants, regardeurs, pourfendeurs, raconteurs, photographes, urbanistes,
auteurs, paysagistes… Et plus encore, que je n’ai pas identifé.
Une vingtaine de kilomètres parcourus, dans des routes, chemins, ruelles, lotissements,
banlieues, villes presque nouvelles, sentiers, parcs, folles prairies et gentilles jungles,
gares, centres commerciaux… Une ville en morceaux recomposée au fl des pas.
Une géographie incluant Massy Palaiseau, Antony, la Plaine de Montjean, Wissous,
Rungis, Wissous, Orly… Sans doute pas dans le bon ordre et avec des carences, tant je
découvrais le territoire trajectoire.
Qui du regard, de l’oreille, de la voix n’a pas histoire à proposer, fragmentée au gré des
rythmes accidentés, des hiatus urbanus, des embuches trébuches, de cailloux en herbes
folles.
.
Le repérage est une forme d’écriture en projet, en action, un Projectum, une forme de
prospective qui lance devant elle des idées, des essais de mises en situations, des
ressentis-stimuli qui s’additionneront pour entamer une ou des collections, des carnets de
notes, donnant corps, incarnat de ce qui deviendra l’Œuvre. œuvre sur laquelle pourront
s’encanailler de multiples marcheurs, sur les traces de…
Ici, le repérage revient à ses sources, étymologiquement parlant, un trait, une marque que
l’on fait pour retrouver une hauteur, une distance, un alignement, pour ajuster avec
exactitude différentes pièces d’un ouvrage. La trace trait est le chemin que suivent nos
pieds, qu’interprète notre imagination, ce que brasse le groupe, qui fait ainsi vivre une
forme de trajectoire sensible dans un paysage polymorphe.
Annexes :
– Un panel de cartographies sonores (article Desartsonnants) –
https://desartsonnants.wordpress.com/2014/06/27/cartographier-le-monde-a-loreille/
– Un exemple de projet mené avec une artiste graphiste, Chloé Bonnard –
https://fr.scribd.com/document/212484867/Cartographie-ABIABO
Images
Cartes sonores et dérivés (Article Desartsonnants) – http://desartsonnants.over-blog.com/cartes-
sonores-et-d%C3%89riv%C3%89s-repr%C3%89sentations-de-la-chose-sonore
« … L’acteur-chercheur n’est pas défni par un statut, une mission, une appartenance
professionnelle ou sectorielle. Il peut jouer sur ces rôles, mais ne peut se cantonner à une
posture entre agent, acteur et auteur. Qu’il vienne du milieu de la recherche ou d’autres
environnements socioprofessionnels, sa posture est de nature hybride et se défnit par la
C’est un espace aussi bien social, mental que géographique qui le caractérise comme
sujet autonome, auteur de sa pratique et de son discours. C’est dans cet espace que l’on
peut s’impliquer tout en impliquant l’autre… »
Revenons de ce fait à la marche et au marcheur écoutant les environnements sonores
qu’il a choisi d’investir.
Marcher pour marcher n’est pas une fn en soi, pas plus qu’écouter pour écouter, et au
fnal théoriser ces actions sans volonté d’agir sur le territoire n’est pas très stimulant ni
productif. Il faudra que le geste de mettre un pied devant l’autre, comme celui d’ouvrir ses
oreilles au monde environnant, engendre non seulement de nouvelles formes de récits, de
pensées, mais s’ancrent dans un processus d’aménagement du territoire, autant que faire
se peut.
Emmener des personnes écouter la ville, ou une forêt, est un engagement physique et
intellectuel dans lequel chaque individu, quel qu’il soit, peut devenir co-auteur d’une petite
histoire d’écoute, voire d’un paysage sonore collectif en gestation.
Ensuite, souvent, les rencontres feront le reste. Dans tel ou tel atelier d’écoute en marche,
des habitants, géographes, artistes, chercheurs en sciences humaines, élus, aménageurs,
seront amenés à croiser leurs gestes de marcheurs écouteurs, leurs ressentis, retours
d’expériences personnelles et travaux… Et c’est peut-être à cet endroit que naîtront de
nouveaux projets, des actions partagées in situ.
Battre le pavé, courir la campagne, flner le long des rues, qu’elles qu’en soient les
raisons premières, font que le territoire à la fois se révèle et se construit, se raconte et se
partage, mais aussi que les réseaux s’étoffent, que les recherches gagnent en profondeur,
tout en me laissant dubitatif devant l’étendue croissante de ma propre ignorance.
Du bout de l’oreille, du pied, de l’action, du verbe, le projet devient aussi passionnant que
fuyant, chaque rencontre entre des lieux et des personnes dérobant un peu plus des
réponses, des problématiques et postulats de départ. L’effet chemin de traverse de
l’arpentage du terrain jouant certainement le rôle de questionneur permanent qui nous
montre au jour le jour une multitude de chemins possibles, dans un parcours qui n’a de
cesse de se modifer au gré de la marche.
Le statut du paysage sonore se trouve à cet endroit confronté ainsi à une belle incertitude.
C’est ainsi que mes propres PAS – Parcours Audio Sensibles, et les productions qui en
découlent, se trouvent constamment remis en question, mais qu’ils gagnent de ce fait une
in-stabilité jubilatoire.
*chercheur indépendant en sciences sociales depuis 1993, animateur du Laboratoire
d’Innovation Sociale par la Recherche-Action – http://recherche-action.fr/hugues-
bazin/presentation-de-lauteur/
https://www.mixcloud.com/desartssonnants/improbable-paysage-vu-de-loreille/
Préambule
Je commence aujourd’hui, offciellement à construire mon propre musée des situations
sonores.
Je précise ainsi que :
– Chaque situation est singulière, unique, impossible à reproduire, éphémère, et sans
doute invisible
– Chaque visiteur se construit sa situation et l’expose à ses propres oreilles
– Cette situation peut être partagée, effectuée de concert, même si elle restera
personnelle à chaque auditeur
– Un auditeur est à la fois bltisseur de situations et réceptacle, avec l’interaction
intrinsèque que ces gestes peuvent produire
– Il n’y a pas de règles strictes pour cadrer une action , ni dans les choix spatio-temporels,
ni dans les postures adoptées, objets rapportés, sollicitations extérieures… Tout lieu et
tout instant, toute circonstance peuvent être considérée comme une scène propice à la
construction de ce musée sonifère.
– Les scénographie des espaces sonores varient fortement selon les espaces, les
moments de la journée, ou nuit, les saisons, les transformations urbaines, les occupants et
leurs occupations, tout en restant reliées par le geste d’écoute-même.
– Le projet est librement ouvert à tous les écoutants potentiels, où qu’il se trouvent
– Il est bon de garder la trace de ces situations, non pas pour les ériger en modèles
absolus, mais pour éventuellement que d’autres puissent s’en inspirer, s’en emparer pour
en bltir de nouvelles, en construire des prolongements, des variations…
Le 3 juin 2017
Soleil et chaleur.
Le commerce bat son plein, chalandise vocalisée, des voix, des voix, des voix…
Même les voitures semblent avoir mis la sourdine !
Scène politique, campagne législative oblige, quelques militants, tracts en main, ici
mélanchonistes, là macronistes, tentent de se rassurer avec leurs sympathisants,
ou d’applter les autres, encore des voix, pré électorales celles-ci, ou à venir, dans
le silence des urnes.
Le marché et une scène sonore qui met les productions vocales au tout premier
plan, couleurs, accents, intonations, haranguent… On y raconte ses potins,
marchande, se hèle, rit ou énonce doctement…
Cherchez les plans, à côté de vous, à l’autre bout, sans ligne d’horizon bouchée,
tant par la gare barrière que la masse sonore impassible.
Midi, les cloches prennent le dessus de la scène, écrasant tout sur leur passage en
volée, mais un joli vacarme qui fait presque danser l’espace.
Puis se taisent, comme regrettant d’avoir trop parler, ou trop fort, sans prévenir.
J’en arrive à les regretter, alors que d’autres soulagés reprennent le fl de leurs
discours.
Ainsi les voix reviennent en surface, et les voitures en arrière-plan, presque une
quiétude après le bel orage cuivrée.
3 heures d’immersion, comme face à une toile trop grande pour être appréhendée
d’un seul coup d’oreille, comme une sorte de fresque à la Géricault, qui nous aurait
noyé de prime abord, puis de laquelle on s’extirpe pour plonger vers le détail,
histoire de ne pas se laisser engloutir sans résistance.
Diriger l’écoute à droite, à gauche, zoomer sur nos voisins, aller chercher le lointain,
si possible, tout en ayant l’air de ne rien faire, sans bouger d’un iota. Ruse
d’écouteur anonyme, qui vous pille sans vergogne vos bribes sonores, sans que
vous vous en doutiez le moins du monde.
Faire son marché de son sans bourse délier, un bébé crie de faim ou de colère,
deux commerçants chargent de lourdes caisses en les faisant claquer sur les
hayons métalliques des camions, les arroseurs du service de nettoyage friturent
l’espace par de longs chuintements asphaltés…
Sans doute aurais- je pu également appuyer l’écriture de cette situation par une
prise se son.
Mais sans doute était-il plus sage que seules les oreilles soient principalement
sollicitées, pour ne pas que les vu-mètres de l’enregistreur ne se montrent trop
présents.
Sans doute les trois heures n’ont pas été dans une écoute contemplation sans
faille, sans rellche, sans égarements rêveurs, comme toute visite de musée, à
l’heure où les sens saturent de matière prolifque engrangées.
Mais voila, c’est au cœur de ce Point d’ouïe lyonnais que s’inaugure, sans autres
invités que moi-même, mon musée sonifère, avec la néanmoins précieuse
collaboration des lieux et des gens ignorant combien ils m’ont été très
agréablement utiles.
Public
Solitaire, à 2, en groupe
Temporalité et durée
De jour, de nuit, durée variable, de quelques minutes à quelques heures
Lieu
Ici ou là, en ville ou en milieu naturel, ailleurs…
Actions
- Choisissez un itinéraire, repéré, ou non; sinon préférez lui une pure errance…
– Mettez vous en marche
– Lorsque vous en sentez le besoin, lorsqu’il se passe à vos oreilles des choses
intéressantes, surprenantes, immobilisez vous
– Gardez, autant que faire se peut, une immobilité totale, quelques minutes, plus,
beaucoup plus… Selon l’humeur et la scène qui se joue, votre résistance physique à
l’absence de tout mouvement
– Écoutez en vous sentant au centre, le centre, du paysage sonore. Sentez le bouger
autour de vous. Ces temps d’écoute immobiles s’effectueront il va sans dire dans le plus
Remarques et variations
Si vous effectuez ces actions en groupe, n’ayez pas peur d’être observés avec une
certaine curiosité, voire jouez en pour interroger l’espace public et ses passants intrigués.
Si groupe il y a, ce dernier devra rester assez compact pour conserver l’énergie partagée
de l’écoute collective.
Un ou plusieurs décideurs pourront proposer des points d’écoute immobiles. Tout un
chacun peut le faire à un moment donné après en avoir signalé son intention au groupe.
Version forestière
Belvédère acoustique… Dominer le sujet ? pas vraiment certain d’y parvenir à ce jour…
La question de la posture, ou des postures, comme une façon d’installer de nouvelles
formes d’écoute, donc de nouveaux paysages sonores, pose une problématique qui
irrigue et alimente mes travaux, tant dans le faire que dans la réfexion. Comment donner
vie à une écoute intense, collective, par quelles postures physiques et mentales ?
Comment plonger ses oreilles dans une forêt comme en centre ville, en périphérie comme
dans des sites architecturaux, en les transformant en scènes auditives, en installations
sonores permanentes ? Et par delà, se pose la question de comment partager ces
Version urbaine
« Donc, si vous voulez, mon art serait de vivre ; chaque seconde, chaque respiration est
une œuvre qui n’est inscrite nulle part, qui n’est ni visuelle ni cérébrale. C’est une sorte
d’euphorie constante. »
Marcel Duchamp
L’écouteur, et qui plus est le promeneur écoutant que je suis est un vaste réceptacle
sonore. Il reçoit en lui, parfois à son corps défendant, via l’oreille et tout un système de
capteurs sensitifs osseux, aqueux, neuronaux, des milliers et des milliers de sons.
Par exemple, je suis ici, à ce moment, sur un banc, urbain (moi et le banc), écouteur assis
au centre du paysage
moteurs cliquetants
voix à droites, étouffées
voix à gauche, criardes
train devant, en hauteur, sur sa voie talutée, ferraillante, coulée mécanique
bus à l’arrêt, souffant et haletant
poussettes et planches à roulettes conjointes
voix riantes, derrière moi
claquements des perches de trams sur les lignes électriques…
Il y va d’une formidable accumulation a priori sans fn, exponentielle déferlante.
Fort heureusement, des portes, des masquages, des gommages, des évictions, un panel
de fltres psycho-acoustiques, régulent le fux, rangeant au passage dans des casiers le
déjà entendu, le déjà nomenclaturé, le (re)connu, et engrangeant et domptant l’inouïe.
Mais à certains moments, le rangement ne sufft plus. Il me faut aller plus loin pour ne pas
me noyer dans une méandreuse galerie sonore, labyrinthique à souhait, pour la
requestionner à l’envi.
Peut-être, même certainement user du mot, de la phrase, de l’énonciation, chercher
l’incarnation. La parole, comme verbe incarné, ou incarnant, tel un prédicat prenant
possession des sons jusqu’à leur adjoindre une vie dans une histoire retricotée.
Le récit s’avance alors.