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Systématisation et dépossession, en mode continental ou analytique

Author(s): Jean-Michel Salanskis


Source: Revue de Métaphysique et de Morale, 100e Année, No. 3, SIMMEL - LE PROBLÈME DU
TEMPS HISTORIQUE (Juillet-Septembre 1995), pp. 373-404
Published by: Presses Universitaires de France
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Accessed: 16-01-2016 01:03 UTC

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et dépossession,
Systématisation
en mode continentalou analytique

L'articleproposeune définition originalede la philosophieanalytiqueet de


la philosophiecontinentale : la philosophieanalytique seraitcellequi entretient
un rapportprivilégié avec le calcul des prédicatset la sémantique logique,la
philosophiecontinentaleseraitcellequi noueavecl'intuition et le problème mathé-
matiquede l'espaceunerelationde mêmepoids. Il résultede là qu'on identifie
commecontinentale uniquement la philosophie« phéno-transcendantale » pro-
fesséede Kantà Heidegger. À partirde cettebase,troisproblèmes sontdiscutés:
- celuides statutsrespectifs de la philosophieanalytique et de la philosophie
continentalevis-à-visde la rationalité,discussionqui fait intervenir la figurede
la dépossessionadmisepar l'une et par l'autre;
- celuide l'évaluationde ce qu'on appelleparfoisla « philosophie française»;
- celuide savoirs'il estpossiblede renoueraujourd'hui,sous uneformeou
uneautre,avec l'ambition spécifique de systématisationqui étaitcellede la phi-
losophiecontinentale.

Thepaperproposesa definition of analytical and continentalphilosophy.The


caracteristic
of analytical
philosophy is itsfundamental relationshipto lowerpre-
In contrast,
dicatecalculusand semanticlogic. thetradition of continental
philo-
sophyis likewisebasedon a relationship withtheintuitionand themathematical
problemof space. Onlythe line of phenomenology and transcendantal philo-
sophyfromKantto Heidegger canproperly be consideredas continental.Three
problemsariseout of thesedefinitions. Firsthowanalytical and continentalphi-
losophyapproachrationality: the conceptof depossessionwillbe at the core
of the discussion.Secondly,theproblemof whatis sometimes called French
Thoughtand how itfits intoone tradition or the other.Thirdly, whether we
could now thinkalong systematic linesas continental philosophydid.

L'exceptionfrançaise, on le sait,est entréedans une phasede déclin


dontil estnatureld'imaginer qu'elleprésageune morttotale.Le clivage
fortentrela gaucheet la droite,la croyanceen la vertuorganisatrice
et initiatrice
d'un étatà la compétence duquelriende la vie socialeeffec-

Revuede Métaphysique
et de Morale,N° 3/1995 373

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Jean-Michel
Salanskis

tiveou virtuelle n'échappe,un modèleéducatifoù tous les élèvesdes


lycées collègessubissentdes programmes
et et viventune compétition
de prèsou de loinfinalisés par les classes préparatoires, l'École Normale
Supérieure et l'École Polytechnique, une idée diffuse de l'excellence
humaineoù la réussitecommerciale, industrielle et financière n'a pas
sa place,les seulshérosétantles générauxet les professeurs, la convic-
tionpourainsidirecatholiquequ'uneinfinie patienceet uneinfinie assis-
tancesontdues à ceux qui trébuchent, qui sont faibles d'une façon ou
d'uneautre,et que la personne morale« société» estunefoispourtoutes
obligéeà cettepatience,cetteassistance, toutcela s'en va sous nos yeux,
parl'effet d'innombrables aggiornamento privésetpublics,qui se donnent
toujoursl'air de vouloirgarderla mesureet de chercher un justemilieu,
maisqui, invariablement, aggravent le discrédit des anciennes convictions.
Or, il sembleque depuistrèspeu, un maillonsupplémentaire de cette
chaînesoit sur le pointde sauter: la philosophieen Franceva cesser,
a peut-être déjà cesséde s'identifier à ce qu'on a pu appelerla « philoso-
phiefrançaise ». Ce qui sembledevoirse laisserrediresous une forme
plusneutreet plusuniverselle : en Franceaussi,la philosophie diteanaly-
tique tendà s'imposercommela formenormalede l'activitéphiloso-
phique au xxesiècle; cependantque ce qu'il est convenud'appeler
philosophie continentale rejoindrait naturellement la placequi estla sienne
de documentde l'histoirede la philosophie.
De ce phénomène,on peut à notre avis repérertrois sortesde
symptômes, dontl'effetestconvergent bienqu'ils ne relèvent sansdoute
pas d'un mécanisme commun :
- d'abordet toutsimplement, une génération d'intellectuelsfrançais
qui ont privilégié l'étudeet la pratique de la philosophie analytique arrive
à maturité, s'impose sur le plan editorial et institutionnel;
- d'un autrecôté,l'attitude des mediaculturels à l'égardde la philo-
sophie s'est modifiée, non pas au sens où ils auraient cessé de porter
attention à la philosophie non-analytique, maisau sensoù ils n'ontplus
guèred'oreillepour la philosophiedifficile non-analytique (la philoso-
phie non-analytique, dans ses formesvariées,continuede régnerdans
tousles domainesoù l'immédiate signification existentiellede ce qui est
écritpermetla conquêtenon problématique d'un public);
- enfin,et cettefoisnotreactuelproposs'insèredans le symptôme,
l'interrogation « métaphilosophique »1 s'emparedu titrede problème

du n° 35 de la revue
1. Ainsique la baptiseJoëlleProust dans l'articleintroductif
Philosophie.

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ou analytique
et dépossession,en mode continental
Systématisation

« philosophie et philosophie
analytique continentale», en tellesorteque
de Pespacephilosophique
l'ancienleurre,constitutif français,selonlequel
il n'yauraitqu'unephilosophie,la continentale,surla margede laquelle,
dans l'aire anglo-saxonne,régneraitun positivisme non philosophique,
n'est plus tenable.
Pour détendrel'atmosphère d'un tel article,disonstoutde suiteun
voletde nos conclusionssurcetteépineuseaffaire: nouspensonsqu'en
un certainsens,la philosophiecontinentale est en effetmondialement
morte.Ce qui ne veutsans doutepas direque l'ensembledes produc-
tionsphilosophiques soit appelé à s'installerdans une unitéqui serait
celle du styleou du paradigmeanalytique.
Avantd'en direplus, nous allons,suivantce qui est, à nos yeuxla
méthodephilosophique même,tentertoutd'abordde majorerle phéno-
mènequi nousoccupeau moyende thématisations et de critères: mettre
la penséeau serviced'uneréception plusaiguëde ce qui esten question.

I. LES PROTAGONISTES

Qu'est-ce que la philosophie analytique?


Une réponseà cettequestionqui tentecertainsdes meilleurs connais-
seurset représentants du courantanalytiquefrançais2, est que la philo-
sophie analytiqueaujourd'huine se laisse plus caractériser par des
contenus,par un programme ou mêmepar un ensemblede
scientifique,
problèmesprivilégiés dont elle assumeraitla charge.Elle seraitplutôt
un stylede travail,d'écriture,une conception déterminée de la publica-
tionet des carrières,un choixdélibéréen faveurdu modeargumentatif,
un refusde l'enfermement du discoursphilosophiquedans l'auto-
et l'histoirede la philosophie,etc.
référentialité
Disonstoutde suiteque nousne sommespas d'accordaveccettecarac-
térisation.
Selon nous, le noyauqui définitl'essencede la philosophie
analytiqueest la relationqu'elle entretient
avec la logiquedes prédicats
du premier ordreet la sémantique logique.Nous désignerons désormais
leur couple par le sigle LPC-SL.
Fregeet Russell,pèresdu style,sontliés à la gestationtechniquedu
lowerpredicatecalculus.Mais c'est surtoutla fonctionphilosophique

2. Essentiellement,
si nous avons bien compris,F. Récanati, mais cette position exerce
une influenceévidentemêmechez ceux de ses collèguesqui ne l'adoptentpas formellement.

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presqueaussitôtdonnéeà la sémantique logiquede Tarski,notamment


dans la penséede Carnap,qui signeà nos yeuxl'émergence d'un type
nouveaude philosophie.Essayonsd'en faireprendrela mesure.
Toutd'abord,on peutfairevaloirqu'untrèsgrandnombre d'œuvresdu
courant, contribuant de manière centrale à en fixer
l'image,portent explici-
tementsurdes questionsintimement liéesau LPC-SL. Ainsi,les projets
scientifico-philosophiques de Carnap,déjà nommé,la théorie de l'inscruta-
bilitéde la référence ou de la relativitéde l'ontologiede Quine,la discussion
surla projectibilité desprédicats de Goodman,la théorie du nomproprede
Kripke, la mise en forme d'une grammaire universellepar Montague.La
du
reprise problème de la vérité par Davidson estexplicitement un « retour
à Tarski». Le premier commele secondPutnamontdéveloppé unephiloso-
phiedela connaissance motivée parlesphénomènes de « modèleinattendu ».
Biensûr,on peutmoduler ces exemples en faisantétatd'autrestravaux,
choisisparmil'immensevariétéde ce qui a pu êtreécritdepuiscent
ans et qui se laisseclassercommephilosophie analytique.On diraainsi
que Dummett estplutôtmotivéparl'intuitionnisme, ou que Wittgenstein
joue avec la logiquedoctrinale un jeu qui ne la meten cause que de
façonminimale.Et finalement, on relèverades écritsqui traitent sur
un mode analytiquede questionsde droit,de moraleou d'esthétique
et ne semblentplus se soucierdu LPC-SL.
Mais cetterelativisation ne nous convaincpas. D'abord, il arriveque
des travauxqui semblentresteren deçà de la technicité du LPC-SL,
soit qu'ils restentproche de la soit
languenaturelle, qu'ils paraissent
privilégier la logiquedespropositions, soienten faitsolidaires de la logique
des prédicatset sa sémantiquede façontrèsprofonde.Toute analyse
du langagequi essaie de cernerle sens à partirdes principesfrégéens
de vériconditionnalité et de compositionnalité, par exemple,ne peutque
rencontrer la structuredu LPC-SL, parceque cettestructure estce qu'un
tel projetextraitnécessairement du faitlangagier.Les problèmes classi-
ques de la philosophie analytique (contextes opaques, identité des « pro-
positions», contextes modaux,statutdes nomspropres)tendenttous à
êtreconnectésles uns aux autresparcequ'ils sontles problèmesde la
représentation comprisecomme relevantd'une formelogique (pour
reprendre en substancela façonde direde Wittgenstein dans le Trac-
tatus).Et cetteformulation : la « représentation saisie dans sa forme
logique», nous conduit tout aussi nécessairementau LPC-SL3.

3. Pour revenir
brièvement,et sansprétendre
explorer de façonprofonde le sujet,sur
le cas de Dummett,il semblebienque le travailde ce dernierne se réfèreà la pensée

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et dépossession,en mode continental
Systématisation

Quelques-uns des aperçusles plusgraveset les plusessentiels de la jeune


tradition analytiqueportent d'ailleurs au niveau « ontologique » - au
sensde Heideggerdans le Kantbuch,qui en faitun quasi-synonyme du
transcendantal - cetteinterprétation logiquecanonique de la représenta-
tion: nouspensonsbiensûrà la thèsede Quineselonlaquellel'engage-
mentontologiqued'une théorieest à liredans la quantification et plus
exactement dans les formes3x x = a, ou à la thèsede Russellselon
laquelle« l'existence estessentiellement la propriété d'une fonction pro-
positionnelle ».
Par ailleurs,la philosophieanalytique, lorsqu'elles'attaqueà un champ
qui n'est pas directement celui de l'analysedu langage,de la véritéet
de la connaissance, par exemplelorsqu'elleabordele domaineéthico-
juridico-pratique, ne manquepas d'importer et de transposer l'appareil
du LPC-SL pour« rendreanalytique » le contexte philosophique. Ainsi,
le travailde Von Wrightnousparaît,pourtoutle champde la philoso-
phiepratique, avoireu cetteportée.Que d'autresétudespuissent, ensuite,
s'approprier certains aspectsde la discussion sansen passerparla confron-
tationthématique avecle LPC-SL ne noussemblepas êtrevéritablement
l'indiceque celui-cicesse d'êtreau centre.

Qu'est-ce que la philosophie continentale?


La questiondemande,biensûr,ce qu'est la philosophie continentale
en tantque comparaissant commerivalede l'analytique.Si bienque la
réponseestfortmalaisée.C'est d'ailleursun des pointsqui faussebeau-
coup le débat,à notresens.
La philosophiecontinentale
n'estpas, pourcommencer, l'ensemblede
la philosophieproduiteen Europedepuisles originesgrecqueset reconnue
au seinde la tradition
philosophique. La philosophie en effet,
analytique,
n'estpas en délicatesse
avecce qui a étéécritd'Aristote
à Leibniz.Austin
peutentrerdans une controverse eruditeau sujetd'Aristote4, ou Peter
Simonsprônerdans le domainede l'ontologieformelleau sens où il
l'entendun retourà Aristote5sans sortirdu cadre de la philosophie

intuitionnisteque pouren extraire ce qui concernela représentationet la questionde la


véritédes phrases- soit en finde comptece qui se laisserabattresur le LPC-SL -
et qu'il rejette
en revanchela réflexion
de Brouwer surla consistanceintuitivede la notion
d'entiernaturel, ou surla notionde construction- soitla partde l'intuitionnisme histo-
riquequi échappeau LPC-SL.
4. Cf.AyadovandEvôai/uovia in theEthicsof Aristotle,
in J.-L.Austin,Philosophical
papers,OxfordUniversity Press,1961,p. 1-31.
5. Cf. P. Simons, PartsA Studyin Ontology, OxfordUniversity Press,1961,p. 363-364.

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analytique. Entendons-nous bien: les auteurspré-critiques ne serontpas


nécessairement encensésou approuvéspour tout ce qu'ils ont dit par
les philosophesanalytiquesactuels,mais il n'est pas consubstantiel à
l'usage de la raison analytique de récuser leur de
position parole.
En d'autrestermes, ce qui constitue la philosophie continentale en un
premiersensest le coupleformépar Kant et Heidegger, en tantqu'ils
ontétél'objetd'unesuspicionessentielle de la partde maîtresfondateurs
du courantanalytique(notamment, à nouveau,Carnap).
L'option critico-transcendantale, ainsi, confèresemble-t-il à ce que
disentles philosophes une étrangemodalité,que le courantanalytique,
dans son attitudeoriginaire, refuse.La philosophiecontinentale peut
alors êtreune premièrefois approximéecommecelle qui n'explique
pas directement dans l'ordredes causes ou celui des raisonsce dont
elle parle,mais qui plutôtdévoileles conditionsde possibilités de la
penséede ce réfèrent. Très grossièrement, la majeurepartiedes écrits
analytiques s'adresseà un problèmemettant en jeu la réalitéet prétend
atteindre une énonciation certesgénéralisante commetouteénonciation
philosophique, mais disantle vrai quant à la réalitévisée,tranchant
la questionposéequantà Vensoi (la difficulté du problèmeétantqu'un
de ses termes,généralement, appartient au registre de ce qui jusqu'ici
passepouridéal et relevant du pour soi - sens,proposition, similarité,
etc.). La philosophiecontinentale au sens différentiel seraitdonc celle
qui, faceà n'importe quel problèmede cetteespèce,fuitversune autre
du
question, type « dans quel cadreapportépar moi en tantque sujet
se
générique pose à moi (commeà toutautre)ce problèmequi semble
viserVen soil »; ou encore« qu'y a-t-ilà dire du pour soi tourné
vers cet en soi! ».
Mais cependant, avec Kant,la bifurcation analytico-continentale n'est
pas encoreconsommée. Kantest peut-être dans un fourvoiement essen-
tiel selonle regardanalytiqueoriginaire, il n'en restepas moinsdans
le cerclede l'argumentation possible.Carnaps'efforcede débattreavec
lui dans plusieurstextes,non sans se montrer prêtà récupérer certains
du
aspects message kantien. Par la les
suite, problèmes kantiens n'ont
jamais cessé d'être en
pris chargepar les auteurs du courant analytique,
quoi qu'il en soit de l'écartcreusépar les pèresdu courant.
AvecHeidegger, leschosess'aggravent. Heidegger esten effetvu comme
celuiqui est sortidu rationalisme, celuiqui n'argumente pas, celuiqui
transforme l'exercicede la philosophie en une littérature poétique,non
sans tomberdans l'erreurprincipielle de croirequ'un poème peut en
réfuter un autre.Donc la philosophie continentale seraitcellequi, assu-

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mantnonseulement le criticisme kantien, maissondévoiement etsa reprise


par Heidegger, s'est échappée du domaine rationnel, argumentatif, soit
en faitdu domainephilosophique lui-mêmeaux yeuxdes adeptesdu
paradigmeanalytique.
Notrepremier repérageditdoncdéjà que la philosophie continentale,
si l'on veutl'identifierdanssa traditionalité, coïncideavecla philosophie
allemandekantienne et post-kantienne, la philosophie du xixeet du début
du xxesiècle,correspondant à une sorted'hégémonie philosophique de
l'Allemagne.Cettemanièred'épinglerle mode continental a seulement
le défautde n'êtrepas symétrique de ce que nous avons proposéau
sujetde la philosophie analytique. Elle correspondrait plutôtà uneiden-
tificationde la philosophie analytique commece courantqui s'estconstitué
dans les pays anglo-saxons au xxesiècle- notamment à partirde la
contribution d'immigrants l'aire allemandeà la suitede l'effondre-
de
mentéthico-politique de celle-ci- et qui consacreaujourd'huiunedomi-
nationaméricainesur la philosophiedu siècle.
Mais à notreavis, il y a une caractérisation fondamentale possible
de la philosophiecontinentale. Il y a en effetun contenulogico-
mathématique jouantpourla philosophie continentale le mêmerôleque
le LPC-SL pour la philosophieanalytique: nous voulonsparlerde la
doctrinede la spatialité.Le centragede la recherche philosophique sur
la questionde l'espace- priseavecsa teneurmathématique - définirait
donc le mode « continental ».
Telle que nous l'avonshistoriquement délimitée, la philosophie conti-
nentalecommenceavec la questionde l'espace,posée dans l'esthétique
transcendantale par Kant: et l'on sait à quel pointtoutle système cri-
tiqueestconstruit surle coupde forceoriginaire de 1' « idéalitétranscen-
dantale» de l'espace. À l'autre bout de la période,la spatialitéde
PÊtre-au-monde, dans Sein und Zeit, est un thèmebienplus centralet
dominant pourl'ensemblede l'analytique existentiale qu'on ne le perçoit
généralement. Le secondHeidegger, qui chercheà parler,concevoir, dire
la puretranscendance de l'Êtresurl'étant,ne cessede revenir à un langage
topologico-spatialisant. Par ailleurs,il y a une résonanceentrece coup
d'envoiet sa postérité tardive: Heideggera profondément réfléchisur
l'esthétiquetranscendantale, et son retourà ce textefondateur nous est
un indicede son caractèreconstituant pour la sorte de philosophiequi
s'étendde Kant à Heidegger.
Le poidsetla portéede la questionde l'espacese laissent aussiconstater,
bienentendu,chezles auteursintermédiaires. Il y a, cela dit,une sorte
de clivageintra-continental séparantles auteursen deuxclans: ceuxqui,

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tout en prenanten chargeau plan philosophiquela questionde l'espace,


plaident qu'elle échappe en droit à l'appropriationmathématique,au
premierchefgéométrique,et ceux qui, au contraire,prétendent, en assu-
mant la question de l'espace, partager le souci de la mathématique,
et confirmerpar là le lien de la mathématiqueavec la philosophie.
Kant, dans l'esthétiquetranscendantale,a vu dans l'espace de l'intuition
pure la chose dont s'occupe la géométrie.Husserl a poussé jusqu'au
bout l'évaluation radicale du lien de la philosophie avec la question
de l'espace, en affirmant purementet simplementque l'inventiongrecque
de la géométrieétait en même temps l'inventionde la philosophie et
à vrai dire de l'humanitéphilosophico-scientifique européenne.Son dis-
cours se classe bien entendusuperlativement comme discourssanctifiant
la connexion de l'espace avec la mathématique.Dans sa relecturede
l'esthétiquetranscendantale,en revanche,Heideggera explicitement voulu
soustrairel'espace de l'exposition métaphysiqueau droit de poursuite
de toute géométrie.De même, la démarcationque Hegel a voulue entre
sa pensée et la pensée d'entendementse comprenden dernièreanalyse,
à notreavis, par rapportà cettequestion de l'espace : l'espace ne peut,
pour Hegel, être pensé comme le continu et l'infini qu'il est par une
géométrieou une quelconque mathématique,il relève du concept au
sens de la philosophiedialectique. Aucun de ces philosophes n'esquive
la teneurmathématiquede l'espace, mais certainsconsacrentune partie
de leur énergiephilosophiqueà la disjoindreen droitde sa teneurphilo-
sophique.
Nous n'allons naturellement pas, dans cet article,esquisserun passage
en revue des auteurs continentauxpour évaluer leur situationrelative-
mentà notrecritère.Une fois de plus, nous concédons par ailleursqu'il
se trouverades auteurs dont l'œuvre sera quasimentsans rapportavec
la questionde l'espace mais qu'on aura enviede classercommecontinen-
taux (peut-être,ainsi, Nietzsche).Nous ne pensonspas, cettefois encore,
que ce soit invalidant.D'une part, la question de l'espace peut êtrepré-
sente d'une manièrepartiellementocculte, qu'une bonne étude est sus-
ceptiblede révéler.D'autre part, nous sommesprêts,dans d'autres cas,
à juger que l'absence de la question de l'espace est un indice de la non
réelle appartenanced'une œuvre à la philosophie continentale,ou du
moins de ce qu'elle lui échappe ou la fuit par tout un aspect (ainsi,
le fait que Schopenhauerreste en rapportavec la question de l'espace
et que Nietzscheen soit libéré - si ces évaluationssont exactes - dit
peut-êtrequelque chose de continentalité de Schopenhaueret de la non-
continentalitéde Nietzsche).

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Ce que nous avons dit au sujet de la philosophieanalytiquesur la


façondontles philosophies non-théorétiques (esthétique, éthique)y sont
assuméespossèdeson analoguedu côté continental : il est patent,par
exemple, que la philosophie continentaleabordela questionde l'artd'une
manière qui est informée parl'importance constitutivepourellede l'affaire
spatiale.Chez Kant,pourcommencer, aussi bien la théorie du beaucomme
corrélatd'unesortede « libreschématisme » que celledu sublimecomme
rapportà une illimitation qui se joue au niveaude la compréhensivité
de l'imagination -
spatiale bienqu'elle soitinspiréepar l'élan rationnel
- ontà voiravecla présentation spatialeet ses paramètres déterminants
dans le système critique.Après Kant,la réflexion sur l'art restehantée
par le caractèrepresentati/ de l'œuvre,chez Hegel ou Heideggerpar
exemple: et la penséede la présentation qui persévère chez ces auteurs
n'estjamais détachéede la questionde l'espace,en dépitparfoisde ce
qu'ils en disent.
Voilà. Nous avonsproposénos deuxidentifications. Nous n'avonspas
la prétentiond'avoirétabliun résultat au moyend'uneprocédure démons-
trative,loin s'en faut.Nous savonsbien qu'une proposition commela
nôtreestle plussouventvraieà proportion du corpusqui la rendvraie,
et ce corpusrisquede ne lui convenirque parcequ'il est le corpusde
ce que nous connaissons, plus ou moinsbien. Soit. Mais dans le débat
méta-philosophique, nousavonsbesoin,poury voirplusclair,selonnous,
de témoignages : fortraressontceux,à notreconnaissance, qui ontper-
sistéà fréquenter, sur le modedu respectet de l'étude,les deuxpara-
digmesau cours des dernières décennies;qui travaillent à la fois sur
MontagueetHeidegger. Leurpartialitén'a-t-ellepas quelquechanced'être
instructive?
Venons-enmaintenant à la confrontation.

IL LE DIFFÉREND RATIONNEL

Parmiles critères volontiersmis en avantdans ce que nous connais-


sonsdu débat,les deuxqui suiventébauchentune sortede démarcation
rationnelledu mode analytiqueet du mode continental :
- l'acceptationou le refusque la philosophiecoïncideavec l'histoire
de la philosophie(l'acceptationseraitl'optionde la philosophieconti-
nentale,le refuscelle de la philosophieanalytique);
- la reconnaissance ou la non-reconnaissancequ'il y a des problèmes
philosophiques, que la tâchede la philosophieest de - si possible
et

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- les résoudre(la reconnaissance seraitcaractéristiquede la philosophie


analytique, la non reconnaissance de la philosophiecontinentale).
Les deuxcritères sontliés : il sembleconséquent d'estimer qu'unephi-
se
losophiequi conçoit comme effort de résolution de problèmesn'est
pas vouéeà êtrela rediteou le commentaire des anciensauteurs.Mais
ce lienesttrompeur, il esquivela spécificité de la philosophieen général,
analytique ou continentale.
Nous allons plaiderque les deux espècesde
du
philosophieparticipent genre rationnel.

Rejet de la démarcationrationnelledes deux modes


Pour ce qui regardele premiercritère,nous nionsabsolumentque
ce que nousaurionsenvied'appelerle « modeherméneutique », la façon
d'avanceret de progresser dans la réflexion qui consiste à reprendre un
anciendiscoursd'un regardneuf,à lui conférer a prioride nouveau
la facultéde se saisirde nouset de nousenseigner ce dontnousn'avions
pas l'idée,et à diredes chosesdifférentes, intéressantes et nouvellesdans
une tellesujétionrespectueuse à l'égardde l'ancien,nous nionsqu'une
tellemodalitésoitl'apanagede la philosophie continentale : elle a cours
toutaussibiendans l'aireanalytique, et elle y démontre toutaussibien
sa valeuret sa fécondité.Il suffitde penserpar exempleà Davidson
et au "In defenseof convention T", s'inscrivant dans le cadregénéral
d'un « retourà Tarski», ou bienà Kripkevis-à-vis de Wittgenstein dans
Wittgenstein : On Rulesand PrivateLanguage,ou bienencoreau "Kant
vindicated"de Hintikka,ce dernierapprofondissement herméneutique
se payantle luxe de franchir la frontière analytico-continentale6.
Or c'estcela qui estl'objetde la querelleet pas l'histoirede la philo-
sophie: l'histoirede la philosophie au sensstrict estuneactivité reconnue
de partet d'autre,et les spécialistes de Leibnizde toutenvironnement
n'ontpas de peineà s'écouteret se respecter. Seulement la présomption
que la philosophie dansce qu'ellea de contemporain s'élaboreaussisur
le mode herméneutique sembleinacceptableà la conceptionpositive-
rationnelle que se fait volontiersd'elle-même la philosophieanalytique.

6. Dans l'entretienqu'il accordeà JoëlleProustdansle n° 35 de la revuePhilosophie,


déjà cité,Putnamremarque que certainsauteursanglo-saxons ontproduitleurphilosophie
par la voie interprétative,sans citerles mêmesexemplesque nous. Il ajoute aussi que
sa connaissance de la tradition talmudique le prépareà acceptercettevoie commeune
voie légitimede l'esprit.Tel est aussi notrecas, et nous nous en expliquions déjà dans
notre« La philosophie analytique de la loi juive», parudansla revueTraces
etla tradition
en 1986.

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ou analytique
et dépossession,en mode continental
Systématisation

Par cetteconceptionelle se portetortà elle-même, à notresens: que


la philosophie analytique ne soit pas démarcable de la philosophie conti-
nentalepar le critèredu mode herméneutique signale, à côté d'autres
indices,que la philosophie analytique estune véritable guisede la philo-
sophie au sens plein du terme.
Et nousen venonsainsinaturellement au deuxièmecritère.Le modèle
la
que philosophieanalytique aime à mettre en avantd'elle-même est
celui de la résolutionde problème(c'est ce modèlequi susciterait un
clivage irrémédiable avec le mode herméneutique). À quoi nous oppose-
rons deux remarques.
Premièrement, nous ne croyonspas qu'on puissesérieusement classer
la philosophie commeune modalitéparticulière de la résolution de pro-
blème.La réductibilité de la penséehumaineà la résolution de problème
a été un des grandsleurresde l'intelligence artificielle
et des sciences
cogniti ves en généralau coursde leurpremière période.Il nous semble
aujourd'huiclairque de partoutviennent converger les étudesmontrant
la limitation et l'impropriété de ce modèle.La penséehumainea un carac-
tèreconfigurati/ avantque d'êtrele traitement d'un problèmecaractéri-
sablecommetel.Ce caractère configuratif descendjusquedansla cognition
profonde, la perception ou l'affect,maisil habiteaussi,à un toutautre
niveauet sur un toutautremode,la théorisation physiquedu monde
(sous la formedu décretdes espacesde repérage,au premier chef)-En
toutétatde cause, la philosophienous semble,à l'évidence,un mode
de la penséequi privilégie cettedimensionde la configuration, et qui
dansunelargemesurese retient d'entrer dansla résolution de problème,
du moinsau pointoù celle-cideviendrait l'essentiel.Les œuvresanalyti-
ques nous semblent d'ailleurs illustrer ce pointaussibienque les œuvres
continentales De
classiques. Meaning and Necessity de Carnap, nousne
retenons pas qu'il prétendy trancher la question la validitéde 1'infe-
de
renceNPdNNP, mais plutôtqu'il y définitun cadrepour penserles
conceptsd'intension et d'extension d'une part,celuide vériténécessaire
et de véritécontingente d'autrepart. Faut-ilà leur tour présenter de
telsapportscommela résolution de problèmes?On peuttoujoursfaire
valoirce qui se dit et se construit, dans la mesureoù nous le recevons
commepertinent, commela réponseà une exigencepréexistante. Mais
la « résolution de problème», au sensclassique,cela veutdirebienautre
chose: cela veutdireque des procédures de résolution standardet une
formulation univoquedu problèmesontdonnées.La résolution de pro-
blèmea toujoursvouludirequelquechosedontla décisiond'un énoncé
dans un système formelest aujourd'huipournous le paradigme.En ce

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Salanskis
Jean-Michel

sens là, mêmele livrede Carnap mentionné à l'instant,qui est, dans


la traditionanalytique, l'un des plusproches la fibrelogicienne
de tech-
est
nique, plus configuratif que résolutif : l'essentiel de ce qu'il fait est
de présentersousun certain angle,charger d'une vocation nouvelle, ajuster
à quelquesconceptsphilosophiques centrauxYarrière-plan du LPC-SL,
avec les explicitations nécessaires. D'autreslivresde la tradition analy-
tique n'ontque des rapports extrêmement lâchesou lointainsavec toute
notionun peu crédiblede résolution de problème, soitqu'ils s'attachent
uniquement à montrer qu'une thèse ne tient pas {Representation and
soit
Reality,Putnam), qu'ilsrépercutent tout au long d'une série de topoi
philosophiques connusuneintuition centrale {L'Hommespéculaire, Rorty).
Deuxièmement, la résolution de problèmeelle-même, au sensle plus
disonsmathématique,
strict, n'estpas auto-suffisante ni mêmesansdoute
prépondérante dans aucundomaineintellectuel : mêmela mathématique
n'estpas d'abordrésolution, maisavanttoutconfiguration sous l'égide
d'unequestion{cf.L'herméneutique formelle1). La remarque estici inci-
denteet mineure, maisellene nousen paraîtpas moinsutilesymbolique-
ment: pourquoivouloirréduirela philosophie à une modalitéqui n'est
mêmepas le prestige principal de la discipline où elletientla plusgrande
place?
On peuttenterde sauverle critèrede la résolution de problèmeen
le modifiant, il estvraide façonimportante : le proprede la philosophie
analytiqueseraitde présenter une véritableargumentation, accrochéeà
des exemplespensés comme cruciaux, comme susceptibles déciderla
de
valeurdes théories.On n'est pas loin de la démarcation popperienne
de la science,et donc, implicitement, de l'hypothèse d'une distinction
simpleentreune philosophie qui participede la science(l'analytique)et
unephilosophie ne
qui peutprétendre qu'au statutde littérature (la conti-
nentale).
Mais cettenouvelleversiondu critèrenous paraîtaussi peu plausible
que la précédente. Elle traduiten faitde manièrefallacieuse la différence
que nous avons présentée entreles deux philosophies. Dès lors que la
philosophie analytiquese caractérise par son rattachement au LPC-SL,
on peuts'attendre à ce que la formede l'argumentation à laquelleles
discourstentent de se rattacher soit en effetpréférentiellement l'argu-
mentation logiqueen bonneetdue forme, età ce que lesexemples allégués
soientdu typephrase,c'est-à-dire possèdentce caractèremerveilleuse-
mentdisponible-achevé-incontestable propreau matériel littéral-textuelen

7. J.-M.Salanskis, Paris,Éditionsdu C.N.R.S., 1991.

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Systématisation ou analytique

général.L'argumentation et l'exempleexistent dansles textesde la tradi-


tion phéno-transcendantale, seulement ils se présentent sous une autre
forme.Par exemple,le livreLe formalisme en éthiqueet l'éthiquemate-
rialedes valeurs,de Max Scheler8se présenteintégralement commeun
débatargumenté, contrela conception kantienne de l'éthique: c'estpour-
tantune œuvrede phénoménologie bon teint.Les exemples,qui abon-
dent, sont généralement l'évocation de prisesde positionaxiologiques
qui sont cellesde l'homme selon les situations et à traversles époques;
ils renvoient doncà une compétence de l'existence qui n'estpas la com-
pétence de la linguistique chomskienne par exemple,ni aucune forme
de compétence logico-linguistique. Mais ils ne se prêtentpas plus mal
à l'articulation d'un débat,toutce donton a besoin,pourprendredes
exemplesdans un débat argumenté, étantun habituspartagéet nom-
mable commetel : cet habituspeut êtrepsychologique, existentiel
ou
logico-linguistique, peu importe.
Négligeons l'exemplekantien, tropfavorable à notrethèse- la plupart
des auteursdu courantanalytiqueont reconnude longuedate que le
discourskantienétaitargumenté - et emparons-nous plutôtdu plus
mauvaiscas, celui de Heidegger.
Il nous paraît,pour commencer, que Heideggerprenddes exemples,
au sensoù il attesteson discourspar rapportà un habitus(généralement
pouraffirmer que cet habitusvoilel'essentiel,mais pas uniquement, il
metaussile doigtsurl'indicequi lui estimmanent et qui trahitla vérité
qu'il allègue).Ainsi,commentqualifierle paragraphe 40 de Sein und
Zeit,où Heideggeridentifie l'affection de l'angoissecommel'ouverture
privilégiéedu Dasein,et interprète du mêmecouple phénomène commun
de l'angoisssecommela confrontation de l'être-au-monde avecsoi-même
dans sa pureté?Qui nieraque cet exposéproduitun puissanteffetde
reconnaissance, que le dur habitusde l'angoissefamilier de la plupart
d'entrenous corroborele discoursde Heidegger?
Mais des exemplesqui appartiennent à une autresphèreque le logico-
linguistique appellentune argumentation qui n'estévidemment pas tou-
joursl'argumentation logiqueclassique,encoremoinsuneargumentation
transcriptibledans le LPC-SL. Soit par exemplela formeargumentative
suivante,prisechez Heidegger,dans un passageque beaucoupde nos
collèguesd'outre-atlantique ont médité.Au paragraphe 32 de Sein und
Zeit, Heideggerexpliquece qu'il en est de l'existential du comprendre,
dontunefigurefondamentale estcellede Yexplicitation : dansl'approche

8. 1913-1916,Paris, Gallimard, 1955.

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primitivede Yà-portée-de-la-main, le Daseinprend« quelquechosecomme


quelque chose il
», prendparexemple telà-portée-de-la-maincommetable,
c'est-à-direcommesupportdu repas ou du travail.Cettedescription
renvoieprototypiquement à l'affairement de l'artisandans son atelier
et au complexe de renvoisqui s'institue spontanément entrelui,ses outils,
ses tâches,ses associés,etc. : ellea toutun ensemble natureld'exemples.
Heidegger expliqueencoreque renonciation thématique, lejugement d'un
à-portée-de-la-main comme renvoyant à un autre, n'estpas du tout pré-
supposée dans ce comprendre explicitantprimitif,et il argumente que
toutau contraire, un tel jugementdemanded'abordqu'on saisissel'à-
portée-de-la-main indépendamment de son renvoi- pour le lui réoc-
-
troyersur le modejugeant et que cela nécessiteune conversion du
regardet de l'attitude, dontune dimension constitutive est que l'on ne
comprend plus. Citonsle :
« Le voirpur et simpledes chosesles plus prochesdans Yavoir-affaire avec
la structure
[...] inclutsi originairement d'explicitationque la saisiede quelque
chosecommelibre,pourainsidire,a justement besoind'une certaineinversion
de sens.Dans le purregardqui fixe,Pavoir-devant-soi-sans-plus-quelque-chose
est présent,en tantque ne plus comprendre »9.

La formeargumentative estcelledu renversement des catégories : le com-


prendre n'est pas une spécification du thématiser, du juger, mais au
contraire le thématiser, le juger,présupposent le blocagedu comprendre
(bienque, Heideggerl'exposeplus loin, ils le relèvent dans leurordre,
ils sontun modesecondaire du comprendre). L'inclusionsimpledes caté-
goriescommele pressent la conception couranteest remplacéepar une
inclusion qui a lieudansl'autresens,inclusion qui estnonsimplepuisque
ce qui est inclusdoit en un sens détruirel'incluantpour s'inclure.
Expliquerquelquechosecommecela, c'est bel et bienargumenter en
un senstrèsgénéral: essayerde prescrire l'agencement des catégories.
Le philosophe-Heidegger se conçoitcommequelqu'unqui peutrectifier
la hiérarchie commune descatégories en prenant appuisurcertains aspects
de Yhabitus,et en faisantprévaloirl'intuition qu'il a des rapportsde
présupposition sur la dépendancelogiquedes termesde la languetelle
qu'elle semble fixée et stockéeune foispourtoutes.Un tel exercicene
va pas sans une conscienceextrêmement finede cettestructure logique
apparemment donnée qu'il s'agitde combattre, et sans l'artde la détec-
tion de la présupposition, qui enveloppeaussi une consciencelogique

9. Être et temps,traduction
Martineau, 1985,p. 122.
ÉditionsAuthentica,

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profonde de la relationdu généralau particulier, nonlimitéeà la surface


pour ainsi dire grammaticale de la langue.Enfin,Heidegger,dans la
pratique de cet exercice,prend à témoin son lecteur: lui est-ilévident
que dans la considération de l'outil comme libre,pourlui-même, on ne
comprend plusl Si le lecteur se transpose dans ce contexte existentiel,
et s'il acquiesceà cet instantcrucialoù il est pris à témoin,alors il
est susceptible d'accepterla reconstruction categorialeà laquelleil est
convié.L'argumentation fonctionne sur le mode réflexif,des exemples
versles conceptssusceptibles de leurconvenir, commebiensouventaussi
dans la littérature analytique,et c'est heureux.
Il noussembleinévitable de validerde tellesanalysescommeun mode
de l'argumentation, participant de la rationalitélogiqueen uneacception
non restreinte de celle-ci.Encoreune fois,nous savonsaujourd'huipar
les sciencescogniti ves que nousne décrirons pas correctement, ni même
sansdoutene simulerons la penséehumaine sansaccueillir
aussices modes
de raisonnement ou d'argumentation. Mais noussavonsdepuisbeaucoup
de
plus tempsqu'ils ne sont jamais éliminablesdes plus hautesformes
de l'intelligence,et il noussemblerait ruineux pourl'assomption moderne
de la rationalité de les exclure.

Modes de confrontationde la philosophie analytique


et de la continentale

Si l'on nous suitdans ce qui précède,la dualitédes paradigmes-


pour autantqu'elle perdure,et, rappelons-le, nous avons annoncéque
nous ne croyionspas à la surviedu paradigmecontinental tel quel -
pose au fondun double problèmephilosophique :
1) l'un estde déterminer si oui ou non les deuxorientations s'affron-
tentà quelqueniveauessentiel, s'il existeun différend philosophique de
l'analytiqueet du continental;
2) l'autreest d'examinersi, dans quellemesureet sous quellecondi-
tion,il existeun dialoguede ce qui se dit et se pensed'un côté avec
ce qui se dit et se pense de l'autre.
Sans douteest-ilde meilleure méthodede commencer par prendreen
charge ce second problème,qui nous autoriseà tirerenseignement de
ce qui a déjà été fait: l'éventueldifférend des deuxmodespourraitse
donnerà lireà mêmeles articulations, rencontrespartiellesou interac-
tionsqu'ils ont d'ores et déjà motivées.
Car la penséeanalytique etla pensée« continentale » ne sontpas restées

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indifférentesTuneà l'autre,au coursde ces années.Des rapports qu'elles


ont noués,retenonsquelquestendances.
1/De façonfortrécente, on a pu observer que les « pragmatistesamé-
ricains», jugeantque le programme fondamental de la philosophieanaly-
tique(obtenir unethéorie de typelogiquede « comment les motscrochent
dans le monde», ainsique le formule Putnam10) avaitéchoué,faisaient
mouvement versun « perspectivisme » radical,dont ils reconnaissent,
dansdes proportions diverses, le transcendantalisme kantienou la pensée
herméneutique de l'Être de Heidegger comme des antécédents pertinents.
Ils vontmêmejusqu'à nommerFoucault,Lyotardou Derridacomme
des auteursqui conviennent avec eux jusqu'à un certainpoint.Comme
l'a faitremarquer F. Récanati11, cela ne les conduitnéanmoinspas à
écrireautrement qu'ils ne l'ont faitjusqu'alors,encoremoinsà écrire
commeun auteurde la « philosophie française ». Observons toutde même
que PutnamdéfendKant en rappelantqu'il a inventépour ainsi dire
l'astrophysique12,exactement sur le mêmeton et dans le mêmeaffect
que nous avons souvententenduJeanPetitotle faire.Il y a donc un
rapportde convergence au moinsambiancielle possibleentreles deux
pôles philosophiques.
2/ II y a des phénomènes de « lecture» ou de « traduction » d'un
monument d'unephilosophie dansl'autre.Ou bienle travailde Dreyfus
sur Heidegger,ou bien celui de Winogradet Florèssont à beaucoup
d'égardsdes tentatives de réexposition dansun toutautrecontexte rhéto-
riqueet culturel des thèmes heideggeriens. Dans What Computers can't
do13,Dreyfus traduit l'Être heideggerien par la révérence envers la
situation14, dans Understanding Computers and Human Cognition,
Winogradet Florèstraduisent au toutdébutde leurouvragela dimen-
sionde Yêtre-jetéde PÊtre-au-monde parl'immersion politico-existentielle
d'un membrede comitéd'entreprise au seind'une de ses réunions15. Il

10. Cf. J. Rajchman et C. West (eds), 1985, trad, franc.A. Lyotard,La pensée améri-
caine contemporaine,Paris, P.U.F., 1991, p. 83.
11. Cf. sa contributionà la revue Philosophie, n° 35.
12. H. Putnam, 1992, Définitions.Pourquoi ne peut-onpas « naturaliser» la raison,
Paris, Éditions de l'Éclat, p. 77.
13. HubertDreyfus, 1979,trad,franc.,IntelligenceArtificielle, Mytheset Limites,Paris,
Flammarion, 1984.
14. « Ainsi, pour Heidegger,la technologie,en imposant aux objets 1 exigence d une
« calculabilitéintégrale», n'est que l'inévitableaboutissementde la métaphysique,de cette
perpétuellemise en avant des êtresou des objets extérieurs,assortiede l'exclusionde l'Être
(autrementdit,en gros,du sentiment que nous avons de la situationhumainequi détermine
ce qui doit être considéré comme objet). » Dreyfus [1979], p. 269.
n. (JJ. i. winograd et t. flores, iy»o, understandingcomputers and cognition:
A New Foundation for Design, Ablex, Norwood, N.J., p. 33-36.

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y a un auteurqui a tentéde façonsystématique et profondede relire


les principaux topoi de la philosophie continentale au moyende l'instru-
mentanalytique: c'est VincentDescombes,dans son admirablelivre
Grammaires d'objets en toutgenre16. Dans cet ouvrage,il commence
par redéfinirle mode analytique d'habitation et de questionnement du
langage, en remontant à Mill17 ou
plutôtqu'à Frege Carnap. Pour Des-
combes,le grandressortde l'entendement analytiqueest la distinction
entreobjetet phrase,entrea et F(a), la distinction entrece qui prétend
à la dénotation et ce qui prétendà la vérité: il interprète doncla philo-
sophieanalytique à un niveau plusprimitif que nous, il la dépeintcomme
solidaired'une logicitésensiblement moinsélaborée.Néanmoins,nous
n'avonspas le sentiment qu'il nous ait ainsiréfutépar avance: à sup-
poserque l'on admetteque cettedistinction estle cœurdu regardphilo-
sophiqueanalytique,on remarquera qu'elle metbien en jeu le scheme
des formules atomiquesdu LPC (F(a) valantpour R(a1?..., an)) et la
perspective de véridicité de la SL (la distinction objet/phraserenvoieà
la « complication » menantde la dénotation à la véridicité).Le LPC-SL
n'est en un sens pas autrechose que le déploiement conséquentde la
catégorialitélogiqueimpliquéedans ce noyau18.Descombesidentifie la
philosophie analytique commela philosophie proto-analytique surlaquelle
ellereposesansdoute,maisqu'elledébordenécessairement, surtoutdans
le contexteépistémo-scientifique actuel.Nantidonc de cet outillogico-
critique,il examinequellepeut êtrela signification des grandesthèses
de la philosophie continentale dansun premier temps,des concepts-clefs
de la philosophiefrançaiseou plutôtdu sémio-structuralisme français

16. Paris,Éditionsde Minuit,1983.


17. Autantdireque nousretenons
commedécisives,
danssonlivre,lespages48-55(section
Le langagedans la philosophiede l'expérience),au cours desquellesDescombesécrit« Même
si Mill n'étaitpas l'inventeur de cettetournure philosophy of language,il faudraitvoir
en lui l'Abrahamde l'immense descendance qui pratiquece genrede philosophie » (p. 52),
aprèsavoirévoquéunexemple de Millprécisément destinéà mettreen vedettela distinction
entreun nomcomme"le soleil" et un énoncéoù ce nomintervient. Mais, en fait,ce
pointde vue estprésent à la penséede Descombestoutau longde son livre,et la façon
dontil définitla missiond'unegrammaire philosophiqueen traitantde la prédicationCadi-
chonest un âne et de ses mauvaisusages,à la page31, metpar exempledéjà l'accent
sur le mêmethème.
18. En voiciune illustration : dans l'enseignement des mathématiques, on observeque
ceux qui entendent clairement la distinction entreobjet et phrasene peuventque com-
prendre la quantification,
la dépendance paramétrique des objetsou des phrases,en bref
l'ensemble descomplexités du LPC à l'œuvredansle discoursmathématique. En revanche
ceux qui ne l'entendent pas n'ontaucunechancede généralement saisirce qui leurest
demandédanschaquesituation mathématique. L'expériencepédagogique confirme que le
noyaude Descombesestbienle nerfde l'affaire, maisdoncaussiqu'avecce nerf,l'affaire
dans sa globalitéest sans doutedéjà là.

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dans un secondtemps.Il discuteainsila notionhusserlienne d'un sens


intentionnel dontl'objetseraitle corrélat, la doctrine herméneutique selon
laquelle tout sens esttributaire d'un dévoilement interprétatif, ou finale-
ment,lastbutnotleast,idiproposition cardinale du criticisme selonlaquelle
« Les conditionsde la possibilitémêmede l'expérience sontdu même
coup les conditionsde la possibilitédes objets de l'expérience. ».
Plus rares,il est vrai,sont les effortspour lire dans un référentiel
« continental » les développements de la sphèreanalytique. Il existenéan-
moins,on le saitbien,uneexploitation continentale de la penséede Witt-
genstein, qui peutbienêtrede qualitévariable,maisqui n'en témoigne
pas moinsd'un authentique désird'appropriation, lequeltrahitsans nul
doute une réelle possibilitéde reformulation19. Pour ce que nous
croyonssavoir,Tugendhat a tentéunelectureheideggerienne de la façon
dontla philosophie analytique a élaboréla structure predicative. Vincent
Descombes,d'ailleurs,étaitnous semble-t-il dans le premiertempsde
son travailaussitentépar cettestratégie de lectureque par la converse.
JoëlleProust,dans Questionsde forme20, a proposé,si nous sommes
bien informés, une lecturekantienne de l'empirisme logiqueclassique.
Concluonsenfinen mentionnant le faitque nous-même nousavonssuivi
unedémarche interprétativede la mêmeeau à l'égardde travauxde Mon-
tague ou de Quine21.
3/Enfin,il y a eu quelquesconfrontations spectaculaires, du typedes
disputationes du MoyenAge entredocteurs de diverses religions : nous
ou au
pensonsau dialogueSearle/Derrida dialogueRorty/Lyotard ; encore
faut-ilremarquer que le termecontinental de la confrontation est fran-
çais dans chacunde ces exemples.Commenous réservons la question
de la continentalité de la philosophiefrançaise,ces disputationes sont
incertainement des événements de contactentreles deuxparadigmes.
Qu'y a-t-ilà retenir de cettelistetrèspartielle de rencontres et d'inter-
actions?Comment pouvons-nous instruire la première question, cellede
l'enjeu d'un différend qui seraitle différend analytico-continental?
La première observation qui nousvientà l'espritestque ces disputes,
ces convergences, ces lecturestémoignent de ce qu'à beaucoupd'égards,
l'idée que l'on se faitde l'extranéité des deuxgenresest fausse.De très

19. Putnam, d'ailleurs, en juge ainsi dans son entretienavec J. Proust dans la revue
Philosophiey n° 35.
20. Paris, Fayard, 1986.
21. Respectivement dans « Différenceontologiqueet cognition», in Philosophieset Sciences
cognitives,Intellectica,novembre1993, n° 17, édité par nos soins, et dans « Herméneu-
tique et rationalitéde l'objet », à paraître dans les Cahiers de Philosophie de Lille.

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nombreuses réflexions, déjà, se sontengagéesdans un styleet avec une


de
bibliothèque référence, sans mêmeparlerde la micro-société de dis-
cussionsà laquelleelles s'alimentent, qui dément le À
clivage. cela, le
simplephénomène de la diffusion inexorablement toujoursmeilleure des
œuvresanalytiques, se superposant avec la non-disparition, jusqu'ici,de
la compétence continentale, ne cesse de concourir en France; et nous
lisonsque des phénomènes similaires surviennent, outre-atlantique ou en
Par
Allemagne. ailleurs, y il a bien un problème commun aux deux phi-
losophies,celuide la rationalité, compriscommeincluantles questions
de la légitimité et de la finalité de la connaissance rationnelledu monde:
le problèmeque pose Husserldès le débutde la Krisisou que Putnam
entreprend avectoujoursplusd'acuitéau fildes années.Ce qui conspire
notamment à ce que ce problèmesoit commun,c'est que la connexion
effectivedu paradigme analytique avec la logiqueet sa connexion reven-
diquée avec la sciencene sont pas des nouveautéssingularisantes : la
philosophie continentale telleque nousl'avonscaractérisée, venantaprès
la philosophiedes tempsmoderneset la philosophieantique,futaussi
unephilosophie ayantun rapportde proximité privilégiéeavecla logique
- donnantlieu à des formations conceptuelles originales,commela
logiquetranscendantale kantienne ou la « grande» logiquehégélienne
- et futaussiunephilosophie concernée parla scienceet son développe-
ment,de la ferveur newtonienne de Kant à la fascination réservéede
Heidegger pourla jeune« physique atomique», en passantparla grande
remarquede Hegel sur le calcul infinitésimal.
Comment l'écartpersiste-t-il néanmoins, et d'une façonqui estgrosse
d'un différend? On peutnoterceci : à la foisla démarchede certains
auteursde la sphèreanalytique versle transcendantalisme, voirela phé-
noménologie ou la philosophie française,etlesdisputationes lesplusvives,
tournent autourdes thèmesdu perspectivisme et de l'incommensurabi-
lité. La penséede la relativité de toutevéritéà une perspective, et de
l'incommensurabilité interne des usagesdu langagesontà la foisce que
ces auteursviennent chercher du côtédu continent, et ce que leurscollè-
gues- ou eux-mêmes dansla divisioninterne - rejettent avecviolence.
Nous avonsle sentiment que notre de la
interprétation philosophie con-
tinentaleestici susceptible de dissiperun malentendu, touten éclaircis-
santla raisond'êtrede certainsdispositifs théoriques,faisantobstacle
aux effortsde traduction entrepris çà et là.
La penséede l'incommensurabilité qui fleuritsur le territoire conti-
nentalne procèdepas de l'espritsceptiqueou relativiste. L'originede
cettepenséeest la priseau sérieuxde la questionde l'espace. À partir

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du momentoù il y a, du côté de la Darstellung, de la présentation,


quelque chose qui résiste à l'ordre on
logico-discursif, réagitphilosophi-
quementen aménageant une incommensurabilité attestant du côté de la
pensée cetteopacité ou cet excès. Chez Kant, c'est la doctrine des facultés
qui répercute l'étrangeté, l'infinité,l'excès de l'espace : en décrivant les
opérationsde la connaissance comme constamment diviséesentre des ins-
tancesparprincipe irréductibles les unesaux autres(sensibilité, intuition,
imagination, entendement, raison), Kant campe une connaissance qui
n'oubliepas, ne metpas dansl'ombrece qui a étérencontré dansl'esthé-
tiquetranscendantale. Ce dispositif des facultésne doitpas du toutêtre
compriscommela cartecognitive authentique de l'homme,maiscomme
le bagagefictionnel autorisant un bon suivide la connaissance humaine
en tantqu'elle est défiéepar un infinispatialet s'en arrange.La diffé-
renceontologique heideggerienne, longtemps aprèset dansun toutautre
style,nous sembleremplir une fonctionsemblable: pourHeideggerles
mondesse spécifient dans leur propreincommensurable à partirde la
déclosionde l'Être dans l'étant,c'est-à-dire à partirde cettesituation
fondamentale où ce qui estdonnél'estpar un sans-mesure qui se retire.
L'Être heideggerien, c'est l'espaceen son infinité, à ceci prèsque cette
infiniténe se laisseraitplus penserque commealtéritéd'une part22,
commetopologieparadoxalede la réduction dimensionnelle et du contact
infinitésimald'autrepart23.
Du côtépurement mathématique, d'ailleurs,il semblebienqu'on arrive
à cernerde plusprès,aujourd'hui, comment le décret théoriquede l'incom-
mensurable estla façonpar excellence de produire une version du continu,
ce noyauénigmatique de la spatialité24.
Par conséquent, le scepticisme ou le relativisme que les auteursanalyti-
ques modernes viennent emprunter à la source continentale est chezeux
plutôtqu'en cette source. Le thème de l'incommensurabilité, dansla tra-
ditioncontinentale, estplutôtà situerdu côtéde l'universalisme,oserait-
on direen étantconscient du caractère quasi-paradoxal d'unetelleasser-
tion,mais sans pour autantsouhaiterla retirer ou mêmel'atténuer.
Nous croyonsprofondément qu'on rendun fortmauvaisserviceà la
penséeet à la véritéen accréditant l'idée qu'il y auraitdes philosophies

22. Cf. M. Heidegger, 1928, Interprétation phénoménologiquede la « Critique de la


raison pure » de Kant, Paris, Gallimard, 1982, p. 89-159.
23. Cf. M. Heidegger, 1949, La Parole d'Anaximandre,in Chemins qui ne mènent
nulle part, Paris, Gallimard, 1980, p. 387-449, et M. Heidegger, 1962, Temps et Être,
in Questions IV, Paris, Gallimard, 1976, p. 12-51.
24. CJ. notre« Le Destinau Moaeie ae cantor-ueaeKina», in Le Laoynnineau continu,
Hourya Sinaceur et J.-M. Salanskis (eds.), SpringerFrance, Paris, 1992, p. 190-212.

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et dépossession,en mode continental
Systématisation ou analytique

nonrationalistes ou nonuniversalistes : cela estproprement impensable,


et cela n'estpas. Surtout, il est impossible de plaiderque la philosophie
continentale ait été le moinsdu mondeirrationaliste ou particulariste.
Pour direles chosesen clair,Heidegger noussembleavoirléguéun style
originald'universalisme et de rationalisme, bienà sa placedansla conti-
nuitéde l'Université Allemande.Que cet universalisme, ce rationalisme,
la
place figure universelle ailleurs que les discours antérieurs,que l'exer-
cice de la rationalité soitconçupar lui à partird'un epicentre différent,
cela se peut,maiscela n'altèrepas le constatde fond,et, qui plus est,
les pontssontbeaucoupmoinscoupésavec les anciennes guisesde l'uni-
versalisme et du rationalisme qu'on ne veut bien le dire,commenous
avons parfoisessayéde le montrer25. Reste l'énormeobstacleéthico-
politiqueà ce qu'on en juge correctement : l'engagement nazi de Hei-
degger,son refusde direl'extermination après-guerre, ainsi que, dans
le mêmetemps,la récupération de son messagepar un écologismeanti-
scientifique suspect.À cela, nous ne pouvonsrien.
Le malentendu que nous avons voulu signaleraffecteaussi la perti-
nencedes lecturesanalytiques de la philosophiecontinentale. L'analyse
par Descombesde la proposition centraledu criticisme, par exemple,
estcertesfortbrillante et convaincante au premier abord,maisellen'est
pas loin de conclureque Kant ne faisaitpas bien la distinction entre
a et F(a), ce que nous avons malgrétoutpeineà croire.Le problème
est en faitque l'expression « Les conditionsde la possibilité mêmede
l'expérience », sous la plumede Kant,renvoieavanttoutà l'intuition
purede l'espace,et que la traduction de cetteintuition en phrasesne
va pas de soi. L'énoncékantienveutdireen finde compteque l'usage
des conceptsschématisés préparela place de l'objet quelconqueexacte-
mentcommeelle doit l'êtrepour la connaissanceeffective, empirique.
Mais il n'y a pas de traduction logiqueaisée de cettethèse,qui ditentre
autreschosesla relativité de touteposition d'objetà l'ensemble desphrases
d'une géométrie, organisée en théorie. Tant que l'on ne veut pas entrer
dansle soucicontinental de l'excèsde l'espace,on estcondamné,même
si l'on récupère de façonlumineuse certainsaspectsstructurels des philo-
sophiesque l'on commente, à en manquerou en minimiser l'essentiel.
Symétriquement, d'ailleurs,quelqu'unqui essaie de restituer le sens
des constructions et des positionsauxquellesa pu donnerlieula philoso-

25. Cj. notre« Die Wissenschaft denktnicht», inRevuede Métaphysique etde Morale,
1991,n° 2, p. 207-231; maisc'estpeut-êtrele travailde Catherine
Chevalley surce sujet
qui estle pluséclairant: voirainsi« La Physiquede Heidegger», 1990,Les Étudesphilo-
sophiques,n° 3.

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phieanalytique sansentrer dansla fonction de repère, de modèle,etde pré-


information de toutproblèmequi estcelledu LPC-SL ne pourraque se
leurrer. Il feravaloirdesobjectionssansforce,parcequ'il n'yauraaucun
de
moyen lesrendre audiblessurle planoù le discoursanalytique se place.
Est-ceque ces conseilspourles philosophes ou apprentis-philosophes
désireuxde fairepasserle sens d'un bord à l'autrenous enseignent la
teneurdu différend analytico-continental?
Il nous semblequ'on peutrisquerune évaluationcommecelle-ci: la
philosophie analytiqueet la philosophiecontinentale sonten désaccord
profondsur le lieu de la dépossessiondu rationalisme. Lieu qui n'est
pas, évitonsà toutprixcetteméprise, le lieuoù le rationalisme se dissout
et s'effondre, maisbienplutôtceluioù sonidentité mêmeréside,sa force
et sonouverture, oserait-ondire;il s'agitde cettedépossession qui appar-
tienten propreau rationalisme, et pas de la dépossession qui résulterait
pour nous de la pertedu rationalisme.
Pourla philosophie analytique,le lieuenquestion estceluidunon-contrôle
du particulier logiqueparsonuniversel, ou encoreceluide la pluralité des
jeux de langage: c'estun lieuqu'ontrepérésurun modequasi-technique
des genscommePutnam,Quine,ou Kripke,mais qu'a également fait
éprouver d'unseulcoupWittgenstein suruntoutautremode.Les grandes
aporiesde la logiquemoderne (théorème de Löwenheim-Skolem, théorème
de
d'incomplétudeGodei)jouent leur rôle pour le localiser etle baliser,mais
la problématique générale consensus, communauté, la tradition,
du de la de
de la precedence de Tinter
subjectivité surl'objectivité, contribue également
à lui procurer son siteet sa visibilité.Le problème de l'inscrutabilité de la
référence chezQuine,parexemple, trempe des deux côtés, certaines des expli-
cationsde Quinele rabattent en substance surla non-catégoricité de toute
quantification d'autressurla clôtureherméneutique
referentielle, assignant
chaquesujetà la théoriequi portepourlui touteperspective.
Pourla philosophie continentale, le lieude la dépossession estla présen-
tationen général.La philosophie continentale juge que dans l'événement
de présentation de toutechosese glisseunedépossession nonremediable,
dontl'intuition d'unespaceinfinitaire estl'identification philosophique pro-
totypique, centralement corréléeavec la scienceet son triomphe.
À partirde cettedifférence s'organisenaturellement un chassé-croisé
de conflitset de convergences possibles.
1) Certains, élevésdansla tradition continentale, maisdénuésde sympa-
thieà l'égardde toutepenséede la dépossession, se tournent versle
mondeanalytiquedans l'espoird'y trouverune philosophiede la pure
possession,de la formulation du vraiet de la résolution du problème:

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Systématisationet dépossession, en mode continentalou analytique

leur agacementest alors grand de constaterque les thèmesde la dépos-


session tiennenten fin de compte une tout aussi grande place dans le
paradigme au sein duquel ils se sont invités.
2) D'autres,élevésdans la traditionanalytique,en viennentà ne plus sup-
porterla naïvetéet l'arrogancepositiviste qui imprègnede nombreuxdiscours.
Ils vontdonc chercher de quoi introduire
du côté de la traditioncontinentale
de la dépossessiondans le champ.Mais ils ne sont finalement pas satisfaits,
parceque la dépossessionne se déclinepas dans le bon langage,dans la fasci-
nationà l'égarddu mêmelieuque celuiqu'ilsveulenthabiter,où ilsl'attendent.
3) Mais aussi : des gens continentalement éduqués percevantla philo-
sophie continentale comme un dogme lénifiantprétendantà une maîtrise
fallacieuse de tout problème abordent la philosophie analytique dans
l'espoir d'y trouverun discours de la limitationet de la dépossession;
ils sont déçus parce que les discoursqu'ils trouventleur paraissentencore
tropassurésde certainesformesde la discursivitélogico-positive;en fait,
ils ne le savent pas, mais ils sont prédestinésà ne pas éprouvercomme
un réel accomplissementphilosophique de la dépossession des discours
qui font l'impasse sur la présentationet son excès.
4) Ou finalement: des personneshabitantl'aire analytiquearriventà
ne plus supporterla remiseen questionpragmatistedu rêve de la « pos-
session » analytique du problème de la référence;cela les conduit à
regarderdans l'héritagecontinentals'il n'y aurait pas des instruments
pour court-circuiter le pragmatisme.Ils sont déçus parce que la grande
objection au pragmatismeest l'universalitéde la dépossessionprésenta-
tive, du rapport à l'espace; le pragmatismeet le relativismesont bien
contrés,mais la dépossession n'est pas conjurée.
Ce petitjeu avait pour but de montreren quel sens, selon nous, il y a
et il n'y a pas différend: commentle différendlui-mêmeest second par
rapportau partaged'un espace aporétiquecommun.Pour faireapparaître
aussi cetteévidenceextrêmement simple: un lieu neutrepour l'appréhen-
sion et le jugementdu clivageanalytico-continental ne peutêtrequ'un lieu
à partirduquel serontco-examinéset co-prisen comptela possession/dépos-
session liée au LPC-SL et la possession/dépossessionliée à l'intuitionde
l'espace.

III. NOTRE SITUATION

Le statut de la philosophie française


Venons-enmaintenant, commepromis,à un effortpour classerla « phi-
losophie française» : il est entendu que nous désignonsde ce nom la

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philosophie produitepar le collectif des penseursayantacquisleurnoto-


riétéen Franceau coursdes années1965-1975, en liaisonplusou moins
directeavec le structuralisme et/ou l'idée subversive dans Tune de ses
variantes.Ce qui nous frappe,c'est que cettephilosophie, à beaucoup
d'égards, se trouve du même côté la
que philosophie analytique parrapport
à la philosophiecontinentale.
Dans son acte de naissance,la philosophiefrançaises'est voulue
l'approchedirectede problèmesidentifiés commeà la fois urgentset
profonds d'uneprofondeur jusqu'alorsinaperçue, problèmes dontla for-
mulationet le traitement ne passaientpas par la méditation ou la para-
phrasedes grandsauteursallemands.Les motset les choses,Différence
et répétition,Économielibidinale, TotalitéetInfini,ou mêmeDe la gram-
matologienous semblent tous répondreà cettedéfinition. C'est à peine
si le premier,le troisième ou le quatrième de ces livresévoquele moindre
contenude philosophiecontinentale. Le secondest certesun montage
éruditfaisant comparaître biendesauteurs, maispas au gréd'uneassomp-
tionlourde: plutôt,au milieud'une réflexion centréesur les concepts
indépendants et instablesde différence et de répétition, et d'une grande
variétéd'autresréférences, littéraires, politiqueset scientifiques. Le cin-
quièmes'ouvresurunerécapitulation du sortfaità la notionde présence
dans la philosophie continentale, mais il ne s'agit finalement que d'un
repéragedestinéà montrer que nous n'avonspas dans cette tradition
de quoi échapperau logocentrisme, concept défini de manière autonome ;
et toutela suitedu livreexposeet argumente dans un langagepropre
le tortfaità l'écriture par la métaphysique de la parole.La philosophie
française était aussi une philosophie s'affranchissant des sources,de
l'obsession de la
herméneutique philosophie continentale, pouren découdre
avecdesproblèmes purement siens : ces problèmes, sûr,étaient
c'est autres
que ceux de la philosophieanalytique, ils avaient nom problème de la
du
révolution, désir, de l'occultation nécessaire du sujet par les logiques
de la significationl'englobant, ou encoreproblème de l'altérité,de l'innom-
mable...
Commenous l'avonsdéjà dit,cettephilosophie étaitégalement anti-
critiqueau sensoù ellen'acceptait pas réellement que la philosophie pos-
sédâtun droitde regardtranscendantal surtoutsavoir.Elle décidaitgéné-
ralementde faireparlerun discoursempiriqueau centrede la scène
philosophique, en se réservant seulement le privilège de poussersa signi-
ficationjusqu'à la radicalitésouhaitable.Ce furentd'abord Freudou
Marx,dontl'investigation anthropologique (du côté psychologique ou
du côtésociologique)futreconnue commeporteused'enseignements phi-

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ou analytique
et dépossession,en mode continental
Systématisation

losophiques majeurs.Ce furent ensuiteLévi-Strauss, Jakobson, Hjelmslev,


Greimasou Chomsky et autresLacan que Ton regardacommeapportant
des clefsde la mêmeespèce: des auteursqui assumaient une recherche
au moinsen partiepositivedansles diverssecteurs des scienceshumaines
structuralistes.Une théoriegénéralede cettevicariance du trans-
partielle
cendantalpar les scienceshumainesest donnéepar Foucault,dans Les
motset les chosesaussi bien que dans l'Archéologie du savoir.Il y a
des différences, qui portent sur le type de science convoqué,et sur le
de
type problème vers lequel on se tourne, mais on ne peut manquer
d'enregistreraussi la convergence et la similitude de cettefaçonde faire
avecla tendanceanalytique à décréter l'heurede la naturalized epistemo-
logyarrivée- pas seulement chezQuine.La philosophie françaiseétait
aussi explicitement anti-transcendantale que l'analytique, du moins à
Elle
l'origine. l'étaitd'ailleursen collusion avec Panti-subjectivismequ'elle
revendiquait par ailleurs: le discourstranscendantal de la constitution
étaitvu commedonnanttrop de créditet trop de privilègeau sujet,
qu'il mettaiten scène,estimait-on, commel'auteurdu réel.Mais l'anti-
subjectivisme est aussi un pathos tendanciel de la philosophie analytique,
mêmesi c'est plutôtpar la possibilitéd'une théorisation empiriste ou
par la neutralité mathématique de la scienceque la contingence subjec-
tivepeut alors êtrejugée contestée.
À cettedernière convergence franco-analytique, peuten êtrerattachée
une autre,fortaisée à détecter : c'est celle qui se signalepar le rôle
donnéau langagede partet d'autre.L'anti-transcendantalisme et Panti-
subjectivisme conduisent tous deuxà mettre le langageen positioncen-
traleet première. C'est en ce langageque sera mis à l'épreuvetoutce
qui doitet peutl'être,sansprésupposer la structure subjective.On peut
d'ailleursfairesortirles attitudes françaises ou analytiques d'une lecture
critiquede Husserl,en ayantà l'espritle Derridade La voixet le phéno-
mèneet le Dummett de Les originesde la philosophieanalytique: pour
l'un commepourl'autre,la référence de Husserlà uneexpérience phéno-
ménaleindépendante du langagecompromet la correction ou la radicalité
de l'enquêtemenée.L'un et l'autrerecommandent de prendreen charge
le langagecommelieu du sens philosophique, mêmes'il y a apparem-
mentloin de la penséede la signification et de la véritéque projette
Dummett à la traquede l'impouvoir de la penséesursesconditions ultimes
qu'entameDerrida.
Quatrième traitcommun: la philosophie française, commel'analytique,
s'adressaità un sens communnon nécessairement initiéau langageet
au régimeintellectuel de la philosophiecontinentale. Les quatrelivres

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que nousavonscitésplushautpouvaientêtrelus parun honnêtehomme


lettréou unlycéendécouvrant le mondede la réflexion, etilsl'ontsouvent
été : c'est d'ailleurstoutsimplement un faitque cettephilosophies'est
d'abordimposéeparle biaiseditorial, etpas sousla garantie universitaire.
Nousavonstoujoursconsidéré commen'étantnullement l'effetdu hasard
que la philosophie analytique eûtbénéficié en Francede la même« tête
de pont» que la philosophie française, à savoir les Éditionsde Minuit.
Soit. Imaginonsqu'on nous accordeque la philosophiefrançaiseest
post-continentale au mêmetitreque l'analytique. On nousrétorquera quand
mêmeque le rapport de la philosophie française à la continentale a quelque
chosede plus« intérieur » que celuide l'analytique. On nousrétorquera
que dansunsecondtempsou parailleurs,lesauteursque nousavonscités
ont plus ou moinsouvertement assuméla tradition continentale.
C'est vraique l'affaireest plus compliquéequ'il n'y paraît.Derrida,
Lyotard,Levinas(et Sartre,d'ailleurs)ontfaitleurentréeen philosophie
avec un écritsurla phénoménologie. Deleuzeétaitdéjà l'auteurde plu-
sieursmonographies, notamment la petitePhilosophiecritiquede Kant,
avantd'êtrelu pourson messagepersonnel.Foucaultest sans doutele
seulà n'avoirpas misen avant,au coursde sa vie,le liende son œuvre
avec la philosophiecontinentale, en l'espèceavec Kant et Heidegger:
mais on le redécouvre aujourd'hui,et il y a semble-t-il toutde même
des occasionset des conférences où il l'a reconnu,où il s'en esten partie
expliqué.Totalitéet Infiniest un livreself contained,commel'est en
générall'œuvreécritede Levinas,maisqui pourrait nierla fonction cen-
tralequ'yjoue la méthode phénoménologique, et surtout le dialoguesous-
jacent de Levinasavec la penséede Heidegger,dont il se détacheen
mêmetempsqu'il la célèbre?Jean-François Lyotard,dans le deuxième
tempsde son travail,a situébeaucoupde ce qu'il avançaitdansle cadre
d'unelecture de Kantetde Heidegger (destexteshistoriques et de l'analy-
tique du sublime le
pour premier, de la pensée YEreignispour le
de
second).Enfin, Derrida est devenu au fildes annéesplusle chefde file
d'uneécolede la relecture indéfiniment ouvrante destextesde la philoso-
phie continentale le
que porte-parole d'un messageparticulier au sein
de la philosophiede Paltérité(cela bien que tout le mondegardeen
mémoireles conceptsqu'il a mis en avantdans ce champ,commela
différence, l'espacement ou la déconstruction).
Le rapportd'intériorité donton nous parleexistedonc bel et bien.
Il estun faithistorique, assezbizarreet étonnant en lui-même. Pourquoi
et comment unetradition essentiellement allemandea-t-elle pu êtregardée
uniquement en Francependantplusieursdécennies?Commentla trans-

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ou analytique
et dépossession,en mode continental
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missionde la compétence danscettetradition a-t-ellepu s'accomplir alors


qu'à aucun et
moment, pas plusaujourd'huiqu'avant, l'institutionde la
khâgne ou de l'agrégation n'ont été favorables à cette On
philosophie? peut
s'interroger à l'infinià ce sujet,et chercher à l'interpréter soiten termes
du rapportde la Franceà l'Allemagne, soiten termesde l'exception fran-
çaise, dont nous parlions au début de cetarticle. Il estd'ailleurspermisde
supposer que cettetransmission est aujourd'hui menacée dans son principe.
Disonssimplement, pourconclure cettesection, que la philosophie analy-
tique et la philosophiefrançaisene proviennent pas du mêmedivorce
avecla philosophie continentale : celuiqui se prononce à partirde Carnap
ne peutêtreconfonduavec celuiqui auraitplutôtMarxcommeancêtre
décisif.La philosophiefrançaisea joué contrele transcendantal plutôt
l'homme, l'histoire,le langage,le désirque la procédure empirico-déductive
de la scienceexacte.Et l'on en revientau partagethématique établipar
nous: la philosophie analytiquea élu un noyauautourduquelconcen-
trerla recherche philosophique, avec le LPC-SL, qui faisaitpièce et
pendantau noyauautourduquel gravitait la philosophiecontinentale,
l'intuition de l'espaceet la géométrie; pareilleélectionet pareildéplace-
mentn'ontpas eu lieudu côtéde la philosophie française. Au contraire,
il semblequ'elle en soitvenueprogressivement, à l'issued'une sortede
décantation, à comprendre la profondeur de son lien avec la tradition
continentale. L'évolutionheideggerienne suiviepar une fractionimpor-
tantede la philosophiefrançaisea joué à cet égardun rôle capital:
l'effortpour penserl'altérité,pour comprendre la présentation comme
uneinstance qui soustrait ce qu'elleprésente, devaitconduire à reconnaître
la filiation continentale en général,et le rapportà l'espace décritdans
l'esthétique transcendantale éminemment, commedes précédents tutélaires.
Il est donc possiblede dire que, partantde positionsanalogues,la
philosophie analytique et la philosophie française reviennent aujourd'hui
à la philosophiecontinentale de deux façonsbien différentes : la pre-
mièreretrouve cettetradition commeune tradition perdue,qui ditpeut-
êtrece qu'elle a le sentiment d'avoirmanqué,de n'avoirpas su dire,
la secondela retrouve commece par quoi elle étaitinformée depuisle
débutet qui lui permetpeut-être de mieuxdirece qu'elle a vouludire.

Destins des paradigmes

Quelquesmots,pourconclure, afind'expliquer
pourquoinouscroyons
la philosophiecontinentaledans sa figureauthentiquepour l'essentiel
achevée,ainsi que nous l'avons déclaréau début de cet article.

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Ce qui nousporteà en jugerainsiestsimplement cecique Ton n'écrit


plus de livrede philosophie continentale, depuis 1927 ou 1935semble-t-il,
du moinsen entendant le conceptde philosophiecontinentale au sens
trèsexigeantque nous avonsvoulu cerner.AprèsSein und Zeit ou la
Krisis,il ne nous semblepas qu'on ait de nouveausoutenusur la dis-
tanced'unlivreun proposphilosophique accomplissant ce que nousappe-
lons « l'expérience de penséemétaphysique » : tâchantde concevoira
priorice que c'est que recevoirun mondedans le déploiement excessif
de l'extériorité.
Heidegger lui-même n'a pas écritde livreassumantla mêmeposition
aprèsSeinundZeit,on le sait: les ouvragesque nouslisonssontgénéra-
lementdes coursou des monographies, ou bien des recueilsd'articles.
Quelque chose faisait,même pourlui,que la poursuite de son expérience
de pensée,pourtantbien réelle- puisquecorrespondant à l'évolution
versce qu'on a appeléle « secondHeidegger » - ne pouvaitplusavoir
lieu dansla formedu livre,du moinsdans la formedu « grandlivre»,
de la systématisation a prioride l'expérience de pensée.
Toutela tradition continentale est faitede ces sortesde grandslivres,
dontpeut-être la Wissenschaftslehre de Fichteconstitue l'illustration la
plus frappante, maximisant le solipsismeet l'arrogancede la tentative
de repenser l'essentielavanttoutcontenu, nonsanstémoigner à nouveau,
dansceteffort même, de la centralitéde l'intuition de l'espace,puisque,
par exemple,la naturede la certitude géométrique est,dansla rédaction
de 1802,le premier pointd'appuide la réflexion pourconcevoir le Savoir
intransitif,absolu.
Si nousn'avonsplusde telslivres,aujourd'hui,c'est,peut-être, pour
deuxraisonsqui, commeon va le voir,ne sontpas sans rapportavec
nos deux tribusphilosophiques.
La première seraitl'existence mêmedu modeaxiomatique.L'accès de
la mathématiqueau mode axiomatiquea fait que le caractère
conventionnel-interprétatif de sa démarcheà l'égard de l'intuitionde
l'espace,du multiple, estapparuen pleinjour. Plus précisément, même,
le modeaxiomatiquedonnepleinelibertéà la penséemathématique de
procéder au suivile plusfinet le plusaudacieuxde toutesles possibilités
qui frémissent au niveauinformel. L'intuition de l'espaceest ainsipas-
sibled'uneréélaboration pensantemathématique nonlimitéeparla com-
pétence sensorielle contingente de l'homme ou la perspective
technico-scientifique de l'investissement du savoir spatial.La mathéma-
tique,désormais, est ouvertement en charge de l'intuition de l'espace
à un niveaupleinement ainsi
philosophique, que nous avons voulu l'expli-

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et dépossession,en mode continental
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querdansL'herméneutique formelle.Mais dès lors,la réflexion philoso-


phantesurlesconditions profondes etultimes de la présentation, de l'expo-
sitionmétaphysique de l'espaceà Sein und Zeit,a-t-ellela mêmeplace,
le mêmerôle,la mêmenécessité qu'auparavant?Si le formelesten posi-
tion interprétative permanente l'égardde l'informel,
à l'expositionen
languenaturelle de l'informel peut-elle se maintenir autrement que dans
un après-coup épistémologique? On est en droitde se demander si l'expé-
riencede penséemétaphysique de la présentation se
peut poursuivre dans
la cohérenceet la clôtured'une systématisation a prioride l'Être-au-
monde,commeelle l'a faittoutau longde la philosophie continentale.
On peutprétendre la
que philosophieanalytique est la philosophiequi
a prisacte de cetterupture, et qui a relancéla réflexion philosophique
de l'Être-au-monde sur un autremode,tournantle dos à la question
de la présentation et de l'excès spatial.
La seconderaisonseraitl'émergence des scienceshumaines, c'est-à-dire
d'unedescription rationnelle, intersubjective, documentée, de la richesse et
du caractère nonarbitraire du phénomène humain.La philosophie conti-
nentale se consacreà deuxentreprises symétriques etliées,nousl'avonsdéjà
faitcomprendre : l'étudede l'énigmede la présentation commetelle,prise
commeénigmed'un dehors,et la construction d'unearchitecture hétéro-
gènede l'âme qui la renderésonante à cetteénigme,la promotion d'une
psychologie philosophique sansprétention positive, qui ne faitque fournir
unlangagepermettant decomprendre lejeu quejoue la penséeaveclemonde
en tantque se présentant dansune formeexcessive.C'est à cetteseconde
prestation de la philosophie continentale que lesscienceshumaines portent
tort.Husserlessaiede procéder à unedémarcation de la psychologie etde
la phénoménologie transcendantale qui protégerait l'exercicecontinental,
maison peutse demander s'il ne se trompepas, si ce qu'il meten avant
sousle nomdephénoménologie transcendantale n'estpasla sciencehumaine
elle-même, un discours plus essentiellement positifquela psychologie, sil'on
yregarde bien : certes la nouvelle science de Husserl ne s'assure de sa vérité
etde sa nécessité que dans de
l'épreuve Pégologie, qui ce rattache il est vrai
sa recherche à la tradition continentale, mais cela ne suffitpas à la distin-
guerduprojetde couverture positif de la complexité structurale-psychique,
projettoutà faitétranger, selonnotreanalyse,à la psychologie fictionnelle
de typekantien,épistémologique plutôtque psychologique.
Le basculement s'achèveavec la Phénoménologie de la perception de
Merleau-Ponty : d'une certainemanièrece textepourraitpasserpourun
contre-exemple à ce que nous affirmons, commequoi il n'y a plus de
livrephilosophique continental aprèsHeidegger etHusserl,puisqu'ilsemble

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bien qu'il soit une réflexion exemplaire de PÊtre-au-monde, dénommé


pour l'occurrence perception. Mais en fait, on le sait bien,l'originalité
et la forcedu livresontqu'il nie d'embléela possibilité d'une construc-
tionaprioriquede PÊtre-au-monde, en interdisant qu'on oubliejamais
la singularité de touteinsertion dans le champphénoménal. Corrélative-
ment,Merleau-Ponty fait entrer dans son discours la science cognitive
naissante de l'époque,la Gestalttheorie, lesdonnéescliniques surlespatho-
logiesde la perception et de la connaissance, et mêmela psychanalyse.
Son étonnantouvrageest donc déjà autrechose,déjà une traversée de
l'analysepositive de l'homme gardant la mémoire de la prétention de
la philosophie continentale à en dresserune cartefictive-apriorique, et
jouant un jeu d'aller et retourentrela contemplation en extériorité
qu'induitcetteprétention etle dévoilement dufait« psycho-phénoménal »
où s'attesteune ébauchepermanente plutôtqu'une construction. C'est
déjà de la philosophie française,l'investigation par un enquêteur nourri
de philosophie continentale de problèmesqui ont leururgencepropre,
et nonplusla systématisation a prioride l'expérience métaphysique (mais
plutôt,par exemple,l'effortpour dire ce que l'hommepeut fairede
l'inerte,de l'Être-au-monde naturalisé-canalisé qu'il est commecorps,
ainsi que le sens et la valeurde sa libertépar rapportà ce substrat).
La philosophie française a généralement déplacéle terrain thématique
de la philosophie continentale, en passant,en substance, de ce donttrai-
tentles sciencesde la natureà ce donttraitent les sciencesde l'homme.
Mais ce faisant, elle n'a pas perdu contact avec la penséede la présenta-
de
tionet l'énigme de la spatialité,qu'elle a retrouvée sous milleformes,
que ce soitcomme philosophie du désir et de l'altérité ou commephilo-
sophie de l'art sublime, ou même comme philosophiedu texteinfini.
Il peutmêmearriver, dans toutesces variantes, que la spatialiténe soit
pas nommée : mais la notion d'un infini qui charge la présentationest
en revanchetoujoursopérante,notionqui depuisl'esthétique transcen-
dantaleest pour ainsi dire la signaturede la spatialité.
La philosophie analytiquea conservéde son côtéla référence privilé-
giéeà la sciencede la nature,maisen abandonnant le soucide l'espace
et de son mystère informel. Ce qui est venu à la place, selon ce que
nous en disons,est la gardevigilantedu LPC-SL.
Nous croyonsle retourà la situationcontinentale impossible.Nous
croyonsqu'effectivement, la philosophie, la non-analytique au moins26,

26. Mais l'analytiquesembleen arriveraujourd'hui à un point semblable,c'est peut-être


justementce dont témoignel'évolutiondite - sans doute à tort,sur ce point,je rencontre
F. Récanati - post-analytique.

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et dépossession,en mode continental
Systématisation ou analytique

est désormaisconstitutivement dans une situationd'après-coupet de


dialogue27: elle ne peutplus fairevaloirson expérience de penséequ'en
la retrouvant sous le déguisement la
de science, de l'art ou de l'éthique.
Ce qui ne nous empêchepas de penserqu'aucuneamnésien'estintelli-
gentecommetelle,et qu'il y auraittoutavantageà fairerevenir au sein
de la discussion la de
analytique question l'espace, aussi bien qu'à réveiller
dansle mondede la philosophie française le souvenirde ce que la ques-
tionde la présentation vientde l'assomption de la sciencepar la philoso-
phie continentale.
On peut,enfinse demander s'il n'y auraitpas encoreune autrevoie,
la
pour philosophie, voie par laquelleelle pourraitreprendre le fil de
la systématisation a priori: ce seraitla voie d'un changement de thème
radical,le choixde la questiond'autruiet de la communauté comme
les nouvellesquestionsphilosophiques dominantes. La philosophie assu-
meraitalorsla systématisation a prioridu senscommesensadressé,dans
le faceà faceet dans la confrontation plurielledes responsabilités : elle
pourraitprétendre construire a priorile mondedu sens,entenducomme
monded'unpourautruicoupéde Vensoi. Cetteconstruction, sansdoute,
auraitvis-à-visdes sciencespositivesune valeurqui ne seraitplus du
toutune valeurd'annonce,de préparation, de fondation : elle ne serait
plus du tout l'esquisseuniverselle-rectrice du dévoilement de la vérité
pouret par l'Être-au-monde, mais plutôtune clefpourla reprisedans
la clôturedu pour autruide toutechose humaine,notamment de tout
savoir.
À certainségards,la tentative ainsiévoquéene seraitpas autrechose
qu'unereprisedu projetphénoménologique et du projetanalytique. L'un
commel'autre,en effet,ont visé la systématisation du savoirhumain
selonune perspective non-métaphysique28, c'est-à-dire sans imaginer une
architectureprofilée sur le en
supra-sensible laquellecettesystématisation
se recueille.En lieu et place du réfèrent superlatif qu'est la métaphy-
la
sique, philosophieanalytique a mis le medium langagierlui-même,
envisagéau titrede sa logicitéet de sa sémanticité denotative. La phéno-
ménologie, quant à elle,a cherché à la
produire systématisation à partir
d'un proto-destinateur, ayant nom ou
champphénoménal temporalisa-

27. Quelqu'uncommeHabermassembledire la mêmechose dans La penséepost-


métaphysique (Paris,ArmandColin, 1993).
¿8. Métaphysique estici prisau sensclassique,au sensde l'entreprise
dogmatiqueautre-
foiscritiquée
parKant,alorsque plushaut,notresyntagme « expérience
de penséemétaphy-
sique» utilise
le motenuntoutautresens: métaphysique veutdirealorspréalable,
inobjectif,
au-delàd'unephysisqui seraitcelle de Yinstantiation,
anticipatif, en somme.

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Jean-Michel

tionpremière. Il s'agiraitcettefoisde toutregarder à partirdu destina-


en
taire, le voyant à la fois comme à la manièrephé-
proto-destinataire,
d'un
noménologique Levinas, et comme instanceassignéepar le langage,
à la manièreanalytique : ce dernieraspectnous conduisantà envisager
la sémanticitépropre,non-dénot ative,du langage29.On espérerait de la
sortenon seulement obtenirune description canonique de la passibilité
au sens,mais encoreproposerun langageen lequella sciencese laisse
présenter commeVexplication adresséequ'elle est. Ce projetest-ilun
de
projet philosophie française, de philosophieanalytique, ou prétend-il
releverd'un nouveaugenredu post-continental? Il n'est pas tempsde
répondre.
Jean-Michel Salanskis

29. En suivant,peut-être, de F. RastierdansSémantique


les enseignements interpréta-
tive(Paris,P.U.F., 1987)et Sens et Textualité
(Paris,Hachette,1989).

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