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Sujet :

L'ingérence humanitaire, une remise en cause du principe de la souveraineté des Etats, Cas
de l’intervention en Somalie entre 1992-1993.

Préparé par :
Charly Camilien VICTOR
13 février 2018
Corps du texte
Introduction

Revue de littérature

Implication des Medias et NTIC


Retombées de l’ingérence humanitaire
Conclusion

Introduction
Sous l’impulsion de l’un des grands acteurs de l’humanitaire Bernard Kouchner, il était proposé
de créer une norme dépassant le consentement des gouvernements quand il revient d’intervenir
dans des situations d’urgence extrême. Celui-là a déclaré que même si le mot ingérence amène
à enfreindre la règle qui régit le droit international à savoir la souveraineté des Etats, il est
pourtant mieux de dépasser ce cadre et d’intervenir pourvu qu’il y’ait appel au secours quand
il a dit « Je respecte la souveraineté des États lorsqu’elle est respectable, pas quand elle devient
prétexte aux massacres des minorités. Je respecte la loi ; mais parfois il faut lui préférer la
justice, même si je sais les dangers de la subjectivité » (Kouchner, 2005). Selon lui, le droit
d’ingérence humanitaire implique tout simplement de présenter une dimension sensible et une
vision humaine au-delà des normes juridiques mais tout en vantant les vertus des docteurs
français sans-frontiéristes. Pourtant, la paternité du concept « droit d’ingérence » ou obligation
de réaction non-armée est plutôt attribuée à Eugene Ionesco (Corten et Klein, 1990).

Ainsi, pour faire face au refus de certains gouvernements d’accepter parfois la coopération avec
des acteurs externes dans la gestion des crises internes malgré leur manque de ressources
suffisantes, il a été proposé d’introduire dans la Charte des Nations-Unies le droit d’ingérence
humanitaire. Au cas où il s’agit de droit à la vie(art 3), à l’intégrité physique (art.5), et à un
niveau de vie suffisant (art.25), l’article 28 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
reprend de façon générale ces articles: "Toute personne a le droit à ce que règne sur le plan
(...) international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration
puissent y trouver plein effet". (Corten et Klein, 1992). Dans ces conditions, l’assistance
humanitaire ne saurait être illicite. Toutefois, s’il est vraiment question du droit international
humanitaire, il revient en tout premier lieu à l’Etat sur le territoire duquel se trouve la crise de
réagir et d’apporter son assistance selon le principe de souveraineté, ce qui est aussi reconnu
par l’assemblée générale des Nations unies :
"C’est à chaque Etat qu’il incombe au premier chef de prendre soin des victimes de
catastrophes naturelles et autres situations d’urgence se produisant sur son territoire. Le rôle
premier revient donc à l ’Etat touché dans l’initiative, l’organisation, la coordination et la mise
en oeuvre de l’aide humanitaire sur son territoire" et "(...) L’aide humanitaire devrait être
fournie avec le consentement du pays touché et en principe sur la base d’un appel lancé par ce
dernier" (Résolution de l’ONU adoptée le 17 décembre 1991 sur le renforcement de la
coordination de l’aide humanitaire cité par Corten et Klein (1992). Dans une résolution récente
publiée le 7 décembre 2012 portant sur le renforcement de la coordination de l’aide humanitaire
d’urgence fournie par les organismes des nations unies, il a été rappelé ce respect à l’égard de
la souveraineté des Etats « Insistant sur le caractère essentiellement civil de l’aide humanitaire
et réaffirmant que, dans les situations où des moyens militaires doivent être employés à l’appui
de l’action humanitaire, il faut qu’ils le soient avec le consentement de l’État intéressé et dans
le respect du droit international, y compris humanitaire, ainsi que des principes humanitaires»

Dans une certaine mesure, le refus d’un Etat territorial d’être assisté en cas d’insuffisance de
moyens pourvu que cela ne porte aucune atteinte à la gestion des affaires intérieures est interdit.
Il existe des droits qui sont devenus après des engagements internationaux extérieurs à ses
compétences intérieures. Sinon, l’Etat en question est vite accusé de non-respect d’obligation
internationale qui peut donner lieu à des mesures de rétorsion. Cependant, le droit d’assistance
humanitaire n’autorise aucun Etat à recourir à des forces armées pour contraindre un Etat à
recevoir de l’aide. La violation de l’intégrité territoriale est permise dans le cas où il s’agit
d’incursions humanitaires non armées. Pourtant, ce même principe ne serait pas violé si le
conseil de sécurité des Nations Unies recourt à une action coercitive face à une situation
menaçant la sécurité ou la paix internationale. Ces obligations se rapportent également au rôle
des Etats dans lesquels sont issus des particuliers, c’est-à-dire les organisations non
gouvernementales(ONG), d’empêcher toute action de ces dernières pouvant porter atteinte à la
souveraineté d’un Etat donné. Elles n’ont qu’à intervenir avec la plus grande discrétion possible
sans aucun rapport avec des organes étatiques ; ce qui est tout à fait compliqué. Referons-nous
à l’article 2§4 de la charte des Nations Unies.
Les membres de l’organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir
à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance
politique de tout Etat, soit de toute manière incompatible avec les buts des Nations Unies.

En raison des contradictions liées à l’intervention de la communauté internationale en Somalie


au cours des années 1990, en ce qui a trait à son choix de bénéficier d’une protection clanique
mettant en cause le droit ou le devoir d’ingérence humanitaire, ce travail soulève une
interrogation particulière : En quoi l’ingérence humanitaire par l’instrumentalisation des clans
a–t-elle affaibli les possibilités d’un règlement politique souverain de la crise en Somalie
durant les années 1990 ?

Cheminement Méthodologique
Pour réaliser ce travail, des lectures prenant en compte la divergence des opinions sur la crise
somalienne à partir de l’intervention de la communauté internationale ont été réalisées, ce qui
est un peu détaillé dans la revue de la littérature. Ce choix a permis de mieux orienter notre
travail d’étude en gardant une position plutôt critique par le biais de la comparaison des points
de vue. Ensuite, une vision historique se basant sur les éléments politico-économiques,
ethniques et religieux, ayant abouti à la crise a été portée. Par la suite, à l’aide des travaux
consultés et des opinions émises par des acteurs, l’intervention de la communauté internationale
dans la gestion de la crise a été analysée de manière approfondie en rapport avec le droit
d’ingérence imposé. Après, les resultats et les conséquences de cette militarisation de
l’humanitaire et la prise de position clanique lors de cette ingérence ont été présentés avec la
prise en considération de la situation récente avec un certain retrait des humanitaires, une
incertitude politique, des attaques terroristes, une insécurité alimentaire dramatique etc. Dans
la conclusion, la question soulevée a été confrontée aux faits et réflexions répertoriés sur le
sujet.

En termes de limites, c’était difficile de trouver des articles très récents sur le sujet en fonction
de la période d’étude choisie. La littérature existante n’est pas trop riche. Par la suite, le choix
de l’étude étant lié au droit international, il a fallu du temps pour l’interprétation des textes
réalisée avec beaucoup de réserves.

Revue de littérature
Alain Deschamps (1993), parle de la crise en Somalie comme étant la première forme de
l’offensive humanitaire par rapport à la manière dont cette intervention a été réalisée. Sans trop
grande préparation, sous l’influence des medias ayant présenté l’agonie des milliers d’enfants
faméliques, la brutalité existant dans les combats acharnés à Mogadiscio, et le pillage éhonté
de l’aide alimentaire acheminée par les ONGs. Le Conseil de Sécurité des Nations-Unies a
tardivement envoyé une force coercitive internationale de près de 40000 hommes
L’intervention américaine avec le 2/3 de cette troupe a été surtout fondée sur la volonté des
américains de démontrer au monde leur puissance et d’améliorer l’image liée à leurs viles
motivations pour obtenir du pétrole en s’étant montré humanitaires avec le « Restore Hope ».
De son côté, une vingtaine d’autres nations ont fourni l’autre tiers dont les français avec les
2500 soldats ont participé à cette opération que Deschamps qualifie d’opération multinationale
pour offrir de la piétaille aux américains puisque selon lui la France n’a joué qu’un rôle
subalterne. Comme il l’a bien expliqué, il s’agissait surtout d’une offensive humanitaire car
l’objectif de départ a été écarté. Il s’agissait en réalité de l’exercice de la vraie politique des
occidentaux qui ont pris parti et ont massacré beaucoup de civils.

De son côté, Stephen Smith (1994) a suscité la polémique quand il a présenté la situation
d’intervention de la communauté internationale en Somalie comme étant une guerre perdue de
l’Humanitaire. Ainsi, Smith essaie de démontrer qu’à travers la crise somalienne les acteurs de
l’humanitaire ont agi plutôt comme des guerriers et que les opérations menées dans le cadre de
« Restore Hope » s’assimilent davantage à des raids punitifs avec le débarquement des marines
sur les plages de Mogadiscio. Cela se traduit en deux catastrophes dont l’une s’ajoute à l’autre,
il s’agit d’abord de la famine qui a résulté d’une guerre civile avec près de 300000 somaliens
oubliés pendant longtemps par la communauté internationale. En deuxième lieu, cette dernière
qui s’était sentie coupable d’indifférence de longue date a décidé d’intervenir de façon musclée,
ce qui à son tour a conduit à un drame puisque l’ambition de restaurer l’Etat victime d’un suicide
national à cause des guerres a été trop grande et se traduit par la pure ingérence dans les affaires
internes. Smith essaie de décrire la piteuse situation de l’humanitaire transformée en outil
politique de la communauté internationale agissant dans le but d’un soulagement de leur
conscience, sans vraiment tenter de résoudre, et de comprendre la crise somalienne.
L’intervention était vouée à l’échec. Somalie de son côté est devenue selon Smith, sans Etat ni
armature morale, ignorée sur le plan culturel et historique, le cimetière de l’aide humanitaire,
terre abandonnée où la mort est monnaie courante dans la plus grande indifférence des
bienfaiteurs. Cette intervention traduit la première ingérence des maux de la planète dans la vie
de chaque jour des écolières. L’intervention de l’occident selon l’auteur était plus spectaculaire
que pérenne, fondée sur une réaction purement logistique en ayant aggravé la situation du pays.

Stephen Smith, dans un article publié en 1995, sous le titre « l’espoir abandonné » essaie de
démontrer que l’instauration du nouvel ordre mondial et du droit d’ingérence au nom desquels
les puissances occidentales ont envoyé leurs troupes suivant l’opération « rendre l’espoir » a
laissé un baril de poudre. L’échec ou cet espoir abandonné de délivrer la population prise en
otage par la terreur des armes s’explique du fait que si la faim a été vaincue à un certain niveau,
la guerre des clans demeure interminable. Kouchner, à bord du Tardone, le bateau de riz pour
Somalie a promis d’arriver à une réconciliation entre les pillards et les tueurs, les seigneurs de
guerre, ce que Smith a qualifié d’absurdité de la part de Kouchner. Pourtant, ces acteurs
humanitaires ont voulu se servir en même temps des bandits traditionnels, des anciens
politiciens qui ont accaparé par la force l’essentiel de la manne humanitaire. Ces chefs de
fraction étaient devenus des entrepreneurs humanitaires. C’est ainsi qu’après s’est déclenchée
la guerre humanitaire avec les opérations contre ces chefs qui étaient des agents de leur
coopération, ce qui a coûté la vie à près de 10000 personnes selon les chiffres de Pentagone.
Après cet affreux affrontement, il n’a fallu que 26 morts du côté américain avec le corps d’un
d’entre eux trainé par terre à Mogadiscio pour que le Président Clinton ait demandé le retrait de
ses troupes, et le transfert de son ambassade au Kenya pour assurer sa sécurité.

De son côté, Jean-Paul Brodeur (1998) étudie le conflit somalien qui s’est étalé sur une longue
période malgré la résolution 733 de l’ONU prise en 1992, 4 ans après le début de la crise de
cessez-le-feu. Ensuite, un embargo sur l’envoi d’armes à Somalie a été adopté. Somalie est
devenue, en guise d’un échec pour certains un laboratoire pour l’application des nouvelles
théories en matière de maintien de la paix selon J.l.Hirsch et R.B Oakley cités par l’auteur.
Toutes les options ont été utilisées en Somalie concernant les possibilités données par la charte
de l’ONU sur le recours de la force, en premier lieu UNOSOM I selon le principe de règlement
pacifique des conflits (chapitre VI), ensuite, l’UNITAF liée au recours essentiellement défensif
de la force armée (chapitre VII), UNOSOM II , recours à la force armée plus offensive(ch.7).
Toutes ont échoué en commettant des exactions.

Dans un article intitulé « intervention en somalie 1992-1993 ». Anne-Claire de Gayffier-


Bonneville(2011), décrit les conséquences des interventions tardives de la communauté
internationale. Suite à la guerre civile déclenchée avec la fin du Régime de Barré en Janvier
1991 ayant occasionné des massacres et des pillages. L’auteur essaie surtout de parler de l’échec
des interventions du conseil de sécurité de l’ONU ayant eu des difficultés à remplir sa mission.
Une résolution a été prise pour envoyer une force de 38000 soldats, l’UNITAF, pour forcer le
passage de l’aide humanitaire vers les couches les plus vulnérables de la population dans une
opération dénommée « restore Hope ». Pourtant, cette intervention en Somalie a pris une
nouvelle tournure en mars 1993 lorsqu’une autre force appelée ONUSOM II a été envoyée sur
le terrain. À ce moment, la lutte menée par la communauté internationale à travers cette nouvelle
force a été transformée en une lutte partisane soutenant un groupe de citoyens contre un leader
somalien dénommé général Aïdid.

Le président Bill Clinton a retiré ses troupes en Somalie, laissant le pays dans le plus grand
gâchis qu’avant l’intervention. Au bout du compte, l'«ingérence humanitaire» n'aura été qu'une
manifestation de velléité de la communauté internationale». La guerre a continué sans une
couverture de presse. Celle-ci était devenue moins attentive.

Somalie, l’Etat en crise


Somalie se situe géographiquement dans une zone stratégique qui borde en partie la route du
pétrole vers l’Arabie Saoudite. Ancien territoire colonial partagé entre la France, l’Italie, la
Grande Bretagne et l’Ethiopie, ce pays hérite d’un passé bouleversé qui fait de lui l’un des pays
les plus pauvres de la planète. De la tentative du ministre des affaires étrangères Britanniques
de l’unifier à l’indépendance préparée par l’ONU avec l’Italie, Somalie est devenue un Etat
indépendant en 1960 vivant de l’aide extérieure plus que la majorité d’autres pays en voie de
développement. Il a connu comme les autres Etats d’Afrique subsaharienne : putschs militaires,
parti unique, socialisme étatique, dictature, guerres civiles, déplacements de la population et
famines. Pourtant, au début Somalie présentait l’image de l’Etat-Nation tant rêvé et idéalisé par
les Européens en raison d’une homogénéité culturelle à la fois linguistique et religieuse
(dominance de l’Islam sunnite chaféite à près de 99%) dont elle a fait preuve, ce qui était unique
en Afrique (Jean-Paul Brodeur, 1998).

De l’assassinat du président Abduralsi Ali Shermake en 1969 à son remplacement par Daud
Abdullah Hersi jusqu’à la prise de pouvoir du général Syad Barré par une junte militaire sans
effusion de sang en octobre 1969. Ce dernier a voulu appliquer le marxisme-léninisme par
l’attaque de l’Islam tout ayant exacerbé les rivalités. Les structures modernes d’Etat que Barré
a voulu prôner étaient inadéquates aux structures traditionnelles, ce qui a abouti à l’absence de
repères véritables pour la société somalienne. De plus, Barré a favorisé le détournement des
richesses de l’Etat, et le clientélisme. D’autant plus, l’échec de ce président appuyé par les
américains, à reconquérir la partie gardée par l’Ethiopie ayant bénéficié du support de l’armée
de l’URSS, a conditionné le pays dans un état de tension permanent avec des troubles civils de
tout ordre. Ainsi se comprend, cette assertion d’Alain Gascon (2008) :
De plus, le jeune État s’est épuisé en mobilisant et en militarisant toutes ses ressources pour
atteindre le mirage de la Grande Somalie. Les épreuves subies par la Somalie indépendante
ont élargi la fracture identitaire et territoriale, héritée de la colonisation, et la faillite totale de
la dictature a conduit au discrédit puis à l’éclatement de l’État. Une communauté de langue,
d’histoire, de culture et de religion ne suffit pas à assurer la viabilité d’un État, fût-il homogène.
Plusieurs qualificatifs sont donc retenus pour expliquer les conflits en Somalie, guerre civile,
conflits de clans, guerre des gangs, jihad, séparatismes, éleveurs contre agriculteurs, lutte de «
la croix contre le croissant », guerre contre le terrorisme.

Intervention de l’ONU
Malgré les appels de l’ONU à la paix en mai 1990, le palais présidentiel était assiégé en janvier
1991 par le général Farah Aïdid avec ses troupes de l’United Somali Congress, ce qui a fait fui
Siyad Barré, refugié dans le Sud avec sa Milice. Depuis lors, des luttes fratricides, des guerres
civiles, des violences de toutes sortes se sont durablement installées du fait de l’intérim d’Ali
Mahdi à la présidence. Ajoutée à cela, une grave sècheresse a provoqué une famine généralisée.
(Gayffier-Bonneville, 2011)

L'ONU a pris une résolution le 23 janvier 1992 pour venir en aide aux gens souffrant de la
famine avec l’ONUSOM I pour étudier la meilleure façon d’apporter de l’aide, et en imposant
un embargo en termes de livraison d’armes. Malgré tout, la crise a persisté. Au départ, l’illusion
était que les belligérants accepteront de cesser le feu à partir des moyens dérisoires de
persuasion, ces derniers ont bloqué les intervenants au port de Mogadiscio. Tout de suite,
l’ONU a envoyé une seconde mission appelée UNITAF pour résoudre le problème de pillage
de l’aide alimentaire acheminée, et frayer une voie pour faire parvenir l’aide aux populations
concernées, cela n’a pas réussi. À cette même époque, le Comité International de la Croix
Rouge parvenait à mieux distribuer son aide que les organes de l’ONU dont le Programme
Alimentaire Mondial (PAM).

Etant donné que c’est le pillage alimentaire qui a été relayé partout par la presse, cela a amené
les Etats-Unis à prendre la tête de l’opération « Restore Hope » puisqu’ils dominaient seuls la
scène mondiale en se comportant comme les responsables du nouvel ordre mondial. Ainsi, la
première opération « militaro-humanitaire » était prévue en vertu du chapitre VII de la charte
des Nations-Unies.
La tragédie somalienne fut en 1992 d'une telle ampleur qu'il ne convient pas de reprendre les
réserves d'usage sur les excès de la presse et de ceux qui exploitent ces situations, fréquemment
avec les meilleures intentions du monde. D'après les données convergentes de Médecins sans
frontières et de l'Office of Foreign Disaster Assistance, USAID, un quart des enfants de moins
de cinq ans seraient morts dans la région au sud de la capitale. A Baïdoa, qualifiée de chef-
lieu de la mort par Stephen Smith 17, 40 % de la population et 70 % des enfants de moins de
cinq ans moururent au cours de l'automne 1992. A Merca, autre ville du Sud, trente personnes
par mois moururent dans la seule clinique d'Annalena Tonelli. Il est inutile de multiplier les
exemples, les images de cette catastrophe ayant été, à cette époque, continûment projetées sur
les écrans de la télévision mondiale. (Jean Paul Brodeur, 1998)
Les Etats-Unis assumaient près de 75% des coûts en étant devenus le leader de l’opération alors
que normalement, ils devraient seulement contribuer à 30% suivant sa responsabilité devant
l’ONU mais la difficulté financière de cette structure a permis aux américains de devenir des
donneurs d’ordre. Cette situation a occasionné certains litiges au milieu des acteurs de
l’opération. Les troupes de l’UNITAF ont finalement permis aux convois humanitaires de
parvenir à destination et de distribuer l’aide alimentaire efficacement, la famine a été conjurée.
Les institutions scolaires et policières ont réussi à fonctionner car un conseil national de
transition a été créé avec une autorité souveraine sous l’impulsion des internationaux sous
l’accord des deux antagonistes le général Aidid et Ali Mahdi, président par intérim le 8 janvier
1993 (Brodeur, op.cit.). Cependant, cette prétendue entente était éphémère puisqu’il ne
s’agissait pas d’instaurer une solution durable politique à la crise. C’était sans suites favorables.

Enfin de compte, c’était l’opération de l’UNOSOM II, suivant la résolution 814 de l’ONU
adoptée le 26 mars 1993, dotée d’une force d’intervention rapide composée de Rangers et Delta
force dont l’équipement dépassait le cadre de simples interventions avec des hélicoptères de
combat. Ces soldats ont mené des actions meurtrières dans le plus grand désarroi. Entretemps,
Médecins Sans Frontières s’est retiré en dénonçant surtout l’amalgame entre action militaire et
humanitaire. Cette dernière mission a été soldée par de nombreuses péripéties réparties en deux
périodes par Jean Paul Brodeur (1998) (i) de mars à novembre 1993, qui constitue une véritable
période de guerre entre les forces de l'ONU et celles du général Aïdid et de la Somali National
Alliance (SNA) que ce dernier avait forgée ; (ii) une période pendant laquelle s'entremêlent un
conflit larvé avec des explosions spasmodiques de violence et des négociations entre les forces
de l'ONU et la SNA. Cette seconde période s'étend de la fin novembre 1993 au 31 mars 1995.
Au total, UNOSOM II compte jusque-là 30 morts et 175 blessés dans les troupes des Etats-
Unis, et 68 morts et 262 blessés parmi les casques bleus fournis par les autres pays membres
de l'ONU. Les victimes somaliennes se chiffrent par milliers. Les affrontements armés se
poursuivent. De 31 mars à aujourd'hui : la guerre se poursuit entre les diverses factions
somaliennes, comme en témoignent quelques reportages dans la presse. Il est toutefois difficile
d'en évaluer l'intensité.

La prise de position de l’ONU était claire à cette période-là puisqu’elle a voulu dans son
règlement politique interne de Somalie supporter Ali Mahdi et s’est impliquée à fond dans les
affaires intérieures. Cela a provoqué la colère du groupe attaché au général Aïdid qui dénonçait
l’esprit partisan de l’ONU et son colonialisme. A cette époque, le secrétaire général des
Nations-Unies à l’époque Boutros-Ghali a affirmé son appui à Ali Mahdi en ayant mis de côté
la réconciliation politique voulue avant pour lutter contre le général Aïdid, devenu populaire et
vu comme le héros national (Gayffier-Bonneville, 2011). 12

Implication des Medias et NTIC


En juin 1992, au moment de la visite du président allemand à Yémen, des refugiés désespérés
venant de la Somalie à bord d’un bateau ont éveillé l’intérêt des grands médias américains. Ces
derniers ont fait un tollé mondial en titrant les journaux « la plus grande tragédie humanitaire
», « découvre Mogadiscio, le Beyrouth de l’Afrique », « Baidoa, le mouroir de l’intérieur », «
l’enfer sur terre ». Ces medias ont présenté l’agonie des milliers d’enfants faméliques et les
combats entre les belligérants (Gayffier-Bonneville, 2011).

Au début de ce nouveau millénaire, les medias ne sont pas vraiment capables de récolter des
informations surtout dans le Sud de la Somalie. Ils rapportent certes des faits mais c’est comme
Philippe Durand et Stéphane Berdoulet (2011) l’ont dit…ce sont des faits eux-mêmes rapportés
par quelqu’un qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu le plus souvent dans un lieu branché
de Nairobi ou un couloir aseptisé des Nations Unies.

En raison de cette carence d’information, en août 2011, le Haut-Commissariat des Réfugiés


(HCR) a fait appel à la SBTF (Standby Volunteer Task Force) pour la Somalie pour tirer et
analyser des images satellitaires sur les points focaux des abris de fortune aménagés au niveau
d’Afgooye, pas trop loin de Mogadiscio. Ainsi, s’était créée l’équipe SAT. Puis, HCR a lié des
partenariats avec le Digital Global pour avoir des images à haute résolution pertinente et à la
startup « Plateforme Tomnod » pour l’attribution de micro-taches par la méthode de
triangulation (trois perceptions pour la validité par HCR). A partir d’octobre de la même année,
HCR a demandé de l’aide à 700 volontaires du réseau SBTF tout en sollicitant l’appui d’un
réseau d’étudiants américains (American Society for Photogrammetry and Remote Sensing)
dotés de diplômes d’analyse de l’imagerie satellitaire (Patrick Meier, 2011). En général, les
informations ont été parfois tirées des médias sociaux. Pour saluer l’initiative, le président
d’alors du HCR, Alex Aleinikoff, a pris parole sur un ton élogieux :
Grace à l’action menée bénévolement dans le monde entier par des gens comme vous, nous
avons pu recenser les abris dans le corridor d’Afgooye en Somalie. Ce projet est extraordinaire
: il fournit au HCR des informations extrêmement importantes et il contribue à créer à travers
le monde une communauté virtuelle qui s’attache à aider les réfugiés et les déplacés internes.
(Patrick Meier, 2011) 13

Retombées de l’ingérence militaro-humanitaire


La situation somalienne ne s’est pas améliorée malgré l’intervention de la communauté
internationale ayant voulu offrir par la force son support humanitaire. Abandonné à son sort, le
pays a connu la misère, la famine, la désorganisation de tous les réseaux économiques ou
administratifs, l’absence complète d’autorité étatique, et un vide politique (Gayffier-
Bonneville, 2011). De plus en plus, règne une incertitude quant à l’avenir de la transition
politique manigancée par la communauté internationale. Les occidentaux ont appréhendé la
réalité à leur manière suivant leur propre conception politique en ayant confondu chefferie
traditionnelle et partis politiques. D’autant plus, les interventions des humanitaires se mêlaient
de la réalité clanique pour servir des intérêts propres à elles dont la lutte contre le terrorisme
généralement associé à l’Islam, ce qui les a piégés en retour en ayant pris position dans les
affaires intérieures du pays. Cette communauté internationale a voulu se servir de l’Ethiopie
qui représentait bien leur idéologie chrétienne alors que l’Union des Tribunaux Islamiques s’est
renforcée tout en prônant le retour à la charia et à l’ordre islamique contre le désordre clanico-
politique après avoir défié les troupes éthiopiennes. Ainsi se comprend cette assertion de
François Grünewald (2009) :
Le soutien de la Communauté internationale au TFG1 et à l’AMISOM2 a conduit au
développement d’une grande méfiance contre l’ensemble de la communauté internationale.
Cette méfiance, renforcée par un ressentiment fort contre la puissance américaine
(régulièrement accusée d’infiltrations et d’opérations anti-terroristes), a commencé à laminer
toutes les stratégies d’acceptance mises en place par les acteurs humanitaires accentuant le
risque sécuritaire.
1 Transitional Federal Governement, structure que les troupes éthiopiennes, ennemies de la
guerre de 1971, ont voulu mettre en place sous l’influence des occidentaux
2 African Mission in Somalian, une autre structure imposée par la communauté internationale
3 Programme Alimentaire Mondial, United Nations International Children's Emergency Fund,
Comité International de la Croix-Rouge.
Ainsi, se comprend l’enjeu existant entre l’objectif humanitaire de l’ONU d’une part et son
intérêt politique dans la gestion de la crise qui perdure transformant en facteur de risque toute
association entre ONG et les Nations Unies. Parmi ces agences de l’humanitaire, impliquées
sur le terrain, certaines dont le PAM, l’UNICEF, le CIRC3 ont dû dégager d’autres stratégies
pour protéger leur espace humanitaire. Cependant, leur dépendance tant au point de vue
financier qu’à celui des opérations en raison du système des clusters mis sur pied a empêché à
ces agences de jouir d’une certaine autonomie et de gagner la confiance totale de la population.
Pour cela, les ONGs de l’humanitaire ont institué Somalia NGO Safety and Support
Programme(SPAS). Par contre, cela n’a pas rassuré les gens. Daniel Duvillard, chef des
opérations du CICR pour l’Afrique de l’Est l’a si bien signalé lors d’une interview, La
perception de l'humanitaire utilisé comme cheval de Troie de l'Occident est répandue dans la
région. (François Grünewald, 2009). En fin de compte, Somalie peut être vu comme la zone
qui remet constamment en question les différentes idées préconçues et d’actions préconstruites
de l’action humanitaire surtout en ce qui a trait à la gestion de la sécurité.
Conclusion
Différemment de ce qui est prôné par l’ONU concernant la souveraineté des Etats lorsqu’il
s’agit du maintien de la paix, Somalie a connu une opération militaro-humanitaire d’imposition
de la paix. Profitant d’un espace politique morcelé avec les luttes des clans faisant la guerre et
l’absence d’un gouvernement pouvant donner son consentement à l’intervention, les casques
bleus de l’ONU qui ne devraient utiliser la force que pour s’auto-défendre l’ont utilisée en toute
occasion difficile à gérer. D’où le non-respect de l’article 2§4 de la charte des Nations Unies.
Les membres de l’organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir
à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance
politique de tout Etat, soit de toute manière incompatible avec les buts des Nations unies.

De plus, en termes d’enseignement, c’est surtout l’ignorance de la part de ces acteurs dans
l’intervention sur le sol somalien qui a fait naître la confusion dans le choix des acteurs pour
collaborer, la prise de position en faveur de certains groupes au détriment des autres en étant
devenus eux-mêmes des belligérants. C’est ce que François Grünewald (2009) a voulu
expliquer quand il a dit :
Réels prédateurs économico-politiques, les leaders des groupes politiques, sous l’alibi de la
défense du clan, ont levé les milices claniques qui servent plus leurs intérêts spécifiques que
ceux des clans. Les acteurs humanitaires, à la recherche de la « protection clanique », sont
tombés dans le piège des milices. La communauté de l’aide paie encore le prix de cette erreur.

Le caractère multilatéral de l’ONU a été aussi remis en question du fait qu’il existe des pays
qui sont en réalité les plus dominants quand il s’agit de prendre des positions dans les
opérations. C’est ainsi que les Etats-Unis ont récusé diverses décisions concernant les missions
de l’ONU en Somalie pour agir selon leur propre volonté. Au fil du temps, en raison de cette
dépendance à l’égard des américains, leur départ du sol somalien a été déterminant dans la fin
de la mission laissant le pays dans les plus grandes difficultés. Actuellement, la Somalie est en
proie à de grandes difficultés et le service humanitaire est offert au minimum. Il faut aussi
souligner que les acteurs de l’aide n’arrivaient pas vraiment à respecter les principes de
l’humanitaire à cause des pressions pour des allocations de ressources ayant porté atteinte au
principe de l’impartialité. De plus, la confiance des gens envers eux était réduite car ils n’étaient
que des pions dans l’agenda de l’international avec la politique de l’ONU. Cette situation a
rendu difficile la tâche et le respect des principes d’indépendance et de neutralité. Philippe
Durand et Stéphane Berdoulet (2011) se montrent critique à l’égard de ces puissances qui
organisent tout en gérant en même temps les violences humaines à leur profit. Voilà pourquoi,
elles se sont fait aider des somaliens dont les motivations profonds sont aussi liées à l’argent,
au pouvoir, à la domination idéologique et religieuse. Ainsi, ils ont avancé :
Les humanitaires agissent parfois très efficacement, parfois seulement sur le papier. Parfois
aussi, ils considèrent les victimes comme l’objet de leur prosélytisme. Il arrive aussi qu’ils ne
fassent que gérer les flux des bailleurs, faire tourner la machine au rythme de l’argent posé sur
la table en voulant ignorer le grand dessein des pays donateurs. Ils vont reconnaitre que la
crise existe, puisqu’elle est réelle, mais taire sa chronicité et les motivations de ceux qui
médiatisent son côté nouveau et urgent circonstancié et donc facilement réversible !
En l’absence d’autorités étatiques solides, dans un contexte de fragmentation sociale accentuée
et face à des risques de pratiques mafieuses, d’attaques, l’ingérence humanitaire en Somalie a
été une catastrophe. Avec des structures de l’Etat déjà fragilisées, ce modèle d’intervention n’a
fait qu’aggraver sa passivité face à des actions à entreprendre en vue de protéger les droits des
gens et aux efforts à conjuguer avec les différentes tendances politiques locales pour trouver
une solution et sauvegarder leur souveraineté. Cette attitude à laisser le terrain libre aux actions
armées unilatérales de la communauté internationale en raison du droit d’ingérence a conduit à
la déliquescence de l’Etat Somalien n’ayant pas pu restaurer la cohésion sociale. Ainsi, comme
Phillipe Weckel (1991) l’a si bien précisé « l’ingérence est une interférence dans 16

l’exercice des compétences d’un autre Etat » et l’aide humanitaire en somalie n’a été qu’une
des composantes de l’économie politique des conflits. 17
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