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CHAPITRE IX
NOUVEAUX ESPACES DE RÈGLEMENTATION
DANS LA MONDIALISATION :
ENTREPRISES TRANSNATIONALES
ET ACCORDS CADRES INTERNATIONAUX

par

Antonio BAYLOS
Professeur à l’Université de Castilla La Mancha

C’est un lieu commun de constater l’asymétrie entre la mondiali-


sation socio-économique et la mondialisation juridique. Elle produit
un «désaccouplement» entre la dimension mondiale des impulsions
économiques et financières, et la «nature étatique dominante» des
normes juridiques 413. Une version de cette relation entre la régle-
mentation économique et sociale mondiale et la normativité éta-
tique, se décrit en termes de confrontation : le marché contre
l’Etat 414. Mais cette version évoque également une autre image aux
juristes. Celle de la fin d’une «mythologie théorique hégémonique»
construite autour de l’Etat et de sa capacité à délimiter le cadre
juridique et les formes définies de la production du droit 415. La rela-
tion asymétrique se reproduit au sein des processus de juridicisation
qui, au nom de la mondialisation, sont remis en cause dans leur
application et dans leur adéquation au contexte. C’est ce qui a été
élégamment défini comme le désordre des normes 416.
On distingue alors un mouvement d’ouverture de l’ordre juri-
dique à un espace qui s’étend bien au-delà de l’Etat-nation. Il res-
sort évidemment de ces scenarii la prédominance du marché comme

413 Voir Laporta, F.J., El imperio de la ley. Una visión actual, Trotta, Madrid, 2007, p. 248.
414 Ramonet, I., «El mercado contra el Estado», Informe sobre la globalización, Le Monde
Diplomatique, nº 4, août 2007, pp. 4-5.
415 Brescia, U., «Immagini della giuridicità contemporanea tra disordini delle fonti e ritorno

al diritto», Politica del Diritto, nº 3, 2006, p. 364.


416 Brescia, U., «Immagini della giuridicità contemporanea tra disordini delle fonti e ritorno

al diritto», ibidem, p. 369, «el desorden en la formación de la juridicidad contemporánea».


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modèle d’un ordre juridique mondial. Il s’agit d’un droit qui se


constitue par les transactions du marché sans aucune référence à la
figure du citoyen et des droits qui y sont attachés, figure à laquelle
on substitue la personne, sujet économique, pur reflet des positions
économiquement définies par la (libre) circulation des marchandises.
Libre de toute contrainte impérative imposée par une norme inter-
nationale qui n’est efficace que par son application simultanée sur
les territoires nationaux respectifs, la formation des règles dans
l’espace mondial semble s’imprégner des caractéristiques sacrées du
libre choix et du volontariat dans les accords prédicateurs du mar-
ché qui se veulent interprétation sociale et signe liturgique d’expres-
sion de la foi dans le néolibéralisme.
La puissance réglementaire de l’Etat-Nation n’a pas pour autant
disparu. Il se maintient toujours par quelques fondements poli-
tiques solides concentrés sur les bases constitutionnelles et institu-
tionnelles du système juridique national. Mais il fonctionne, de
façon très active et coercitive, pour accélérer un processus de
«remercantilisation» du domaine des droits, et établir des limites
infranchissables pour les actions publiques portant sur la question
sociale applicables dans un périmètre défini par le territoire sur
lequel l’Etat déploie sa souveraineté. Evidemment, ce type de pro-
cessus génère de très vives tensions et complexifie les mécanismes
de création de la réglementation sociale. Mais il permet parallèle-
ment de reconnaître une certaine homogénéité nonobstant la com-
plexité des systèmes juridiques nationaux, encore très éloignés les
uns des autres il y a peu de temps. A partir des années 80, les pro-
cessus politiques mondiaux et la disparition des pays dits de
«socialisme réel» périphériques de l’URSS d’une part et d’autre part
l’unilatéralisme international résultant de l’impériosité et de l’hégé-
monie idéologique et culturelle du néolibéralisme des deux dernières
décennies du 20ème siècle 417 ont contribué à créer une convergence
problématique d’ordres juridiques nationaux très différents.

417 L’hégémonie idéologique et culturelle néolibérale a connu son apogée des années 1980 à

2000; en 1999, on a pu constater un fort rejet organisé autour de l’actuelle altermondialisation


dont la naissance est attestée par les succès de Seattle (1999) et par le premier Forum Social
Mondial de Porto Alegre, en 2001. Depuis, se produit, principalement en Amérique Latine, un
processus de changement politique en réaction à ce type d’endoctrinement politique et idéolo-
gique. Plus précisément, pour l’Amérique Latine, voir Drake, P.W., «The hegemony of U.S. eco-
nomic doctrines in Latin America», in Hershberg E., Rosen, F., Latin America after neolibe-
ralism. Turning the tide in the 21st century?, The New York Press/North American Congress on
Latin America, Nueva York, 2006, pp. 26 et s.
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En période de transition ou d’expérimentation 418, il est fréquent


de parler de métissage face à la mondialisation qui modifie fonda-
mentalement la relation entre les pôles ou les points de référence
classiques de la production de règles juridiques ou face à l’émer-
gence d’un espace de régulation propre sans ancrage sur le territoire
d’un pays donné ou dans un système juridique national. La diver-
sification des domaines de la régulation rend encore plus complexe
l’analyse pour laquelle les instruments juridiques traditionnels ne
suffisent pas car ils sont considérés comme des catégories juridiques
fermées et soumises à une relation hiérarchique et ordonnée prédé-
terminée. Les techniques d’harmonisation et de convergence supra
étatiques qui s’articulent autour d’un marché également unifié en
termes monétaire, ou le simple espace économique mondial défini
par l’action de l’entreprise transnationale, sont essentiels pour tra-
cer la carte de la juridicisation contemporaine des systèmes juri-
diques nationaux. Et, les instruments de régulation qui se déploient
avec une certaine sophistication et dans la pluralité 419 sont offerts
déjà décryptés, sans qu’il soit possible d’analyser leurs points de
fuite ni leur tendance à s’enfermer dans un cercle qui n’est pas
nécessairement vertueux.
Dans ce contexte, les lieux de formation des règles juridiques en
matière de travail se situent à différents niveaux : les espaces éco-
nomiquement intégrés au niveau supranational, évoluant vers une
semi-construction politique, dont l’Union Européenne est un
exemple parfaitement achevé; l’ordre international ou interétatique
composé d’institutions différentes et convergentes, en particulier
l’OIT et l’ONU, dont on parie toujours sur leur capacité à unifor-
miser les normes minimales mondiales du travail; ou, enfin, des
espaces globalisés, qui sont des champs vides de toute impérativité,
et où le libre choix des règles applicables est confié à une réelle puis-
sance institutionnelle 420, l’entreprise transnationale.
Dans tous ces cas de figure, le syndicat comme forme de repré-
sentation du travail salarié est central. Complètement confiné dans
l’espace national depuis la constitution démocratique des différents

418 Moreau, M.A., Normes sociales, droit du travail et mondialisation. Confrontations et muta-

tions, Dalloz, Paris, 2006, p. 129.


419 Moreau, M.A., Normes sociales, droit du travail et mondialisation, op. cit., pp. 129 et 134.
420 Saincy, B., «La négociation sociale dans un monde globalisé», dans Descolonges, M.,

Saincy, B. (dir.), Les nouveaux enjeux de la négociation sociale internationale, La Découverte,


Paris, 2006, p. 21.
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régimes, le syndicat a dû évoluer et se complexifier en s’adaptant à


d’autres espaces de régulation, bien au-delà des simples Etats. Il a
pu s’organiser sur le plan supranational (principalement en Europe)
et international. Très récemment, s’est constitué un nouveau syndi-
cat mondial, la CSI 421. La nouvelle organisation se projette sous
différentes formes d’action sur le plan mondial et aspire à imposer
sa présence dans les lieux de production des règles et à en orienter
le processus.
Dans ces processus, un autre grand acteur intervient. La mondia-
lisation a en effet attribué à l’entreprise transnationale un rôle déci-
sif dans les processus de réglementation du travail grâce à sa pré-
sence constante dans l’économie où elle détient un pouvoir
économique et commercial formidable 422. Ce pouvoir économique se
manifeste par une capacité d’influence sur la production normative
des divers Etats en matière salariale, ainsi qu’aux différents
niveaux d’articulation supranationale (Union européenne par
exemple) ou internationale (Banque mondiale ou le Fonds moné-
taire international) des politiques étatiques dans le domaine social.
En tant que puissance institutionnelle 423, les entreprises transnatio-
nales sont perçues (à la périphérie du système) à partir de chaque
ordonnancement juridique national, comme ayant une véritable
capacité d’orienter les politiques sociales étatiques et de tirer profit
de la privatisation des services publics que les Etats-nations ont
orchestrée. Dans des régions comme l’Amérique latine, l’entreprise
transnationale est identifiée non seulement comme une nouvelle
forme de colonialisme mais aussi comme un élément antinational,
qui conspire pour empêcher le renouveau des nations et des peuples
par l’expropriation de leurs richesses et de leurs ressources natu-
relles 424.

421 Sur le processus de création d’une nouvelle confédération syndicale internationale, cf. syn-

thétiquement, Barreto Ghione, H., «Crónica de una unificación inconclusa», Revista de Derecho
Social – Latinoamérica, nº 1, 2006, pp. 247-252.
422 Saincy, B., «La négociation sociale dans un monde globalisé», op. cit., p. 22, affirme que

ces entreprises réalisent la moitié du commerce mondial et constituent un tiers capital dans ce
domaine.
423 Ce terme si expressif est utilisé par Saincy, B., «La négociation sociale dans un monde

globalisé», op. cit., p. 21.


424 Cette approche du sujet explique les interventions de chefs d’Etats d’Argentine, du Nica-

ragua, d’Equateur, de Bolivie et du Vénézuela, au Sommet de Santiago de Chile en novembre


2007, concernant les agissements des entreprises transnationales espagnoles sur le continent
latino-américain. Une synthèse par période des investissements réalisés par les entreprises espa-
gnoles dans cette région est publiée dans Público, 13 novembre 2007, p. 8.
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Dans ce point de vue critique, l’entreprise transnationale est très


souvent associée aux intérêts de l’Etat sur le territoire duquel elle
a son siège social ou sa maison-mère, ce qui contribue à mettre de
côté ou à ignorer sa dimension mondiale puisque l’on fait primer sa
nationalité d’origine 425. Il est vrai que souvent les politiques de cer-
tains Etats (essentiellement du Nord, mais pas uniquement) se pro-
longent ou sont définies par les agissements des entreprises trans-
nationales, qui sont d’ailleurs parfois d’anciennes entreprises
publiques. Le secteur de l’énergie, et en particulier du pétrole, est
un exemple très éclairant sur ce point. On a aussi souligné pour
d’autres secteurs l’importance de l’ancrage national des entreprises
transnationales, même si elles exercent une activité commerciale
multinationale intense 426.
Mais cette capacité à orienter les processus de création normative
en matière de travail et de protection sociale n’est pas ce qui nous
intéresse ici. Cette contribution a pour objet de poursuivre une
réflexion, déjà engagée par bon nombre de spécialistes, sur l’espace
de régulation que constitue l’entreprise transnationale, référence
incontournable de la mondialisation économique 427, sur la capacité
de cet espace à créer de nouvelles règles et sur leur réception dans
d’autres lieux et contextes que ceux où elles ont été conçues. La
notion de «responsabilité sociale de l’entreprise transnationale» qui
entretient une relation ambiguë avec le système normatif et plus
précisément avec le droit du travail 428 semble biaisée puisqu’on
estime que prédomine l’espace mondial occupé par l’entreprise

425 Cette vision, qui coïncide avec celle appelée «néocolonialisme économique», s’avère intéres-

sante car elle prouve l’importance du moment politique d’émancipation que l’on peut constater
dans de nombreux pays latino-américains et leur attachement symbolique à l’indépendance vis-
à-vis de la métropole.
426 Hirst, P., Thompson, G., Globalization in question, Polity Press, Cambridge, 1996, pp. 76

et s., distinguent les «simples» entreprises transnationales et les multinationales qui maintiennent
un flux commercial international intense mais qui conservent une construction organisationnelle
et stratégique dans laquelle le contexte économique, social et politique du territoire où le siège
social ou la «maison mère» sont implantés est décisif.
427 Les articles ayant traité ce thème sont nombreux et seront cités tout au long de notre tra-

vail. En tout état de cause, on citera comme ouvrages de référence Perulli, A., Diritto del
Lavoro e Globalizzazione, Cedam, Padova, 1999. Daugareilh, I. (dir.), Mondialisation, Travail
et Droits fondamentaux, Bruylant/LGDJ, Bruxelles, 2005, et les deux fascicules de la revue
Lavoro e Diritto coordonnés par Nadalet, S., «Imprese trasnazionali e diritto del lavoro», LD 3
et 4, 2005.
428 Daugareilh, I., «La responsabilité sociale des entreprises transnationales et les droits fon-

damentaux de l’homme au travail : le contre-exemple des accords internationaux », dans


Daugareilh, I. (dir.), Mondialisation, Travail et Droits fondamentaux, op. cit., pp. 350 et 353.
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transnationale pour la production des règles (I) dont certaines sont


le résultat de mécanismes de régulation négociée (II).

I. – L’entreprise transnationale,
organisatrice de la production
de règles au sein de l’espace mondial

Le plus décisif, c’est l’insaisissabilité de l’entreprise transnatio-


nale 429, doublement conceptualisée : d’une part parce qu’elle n’a pas
d’attachement fixe à un territoire national déterminé, et d’autre
part parce que c’est une organisation complexe qui déploie ses acti-
vités au-delà et indépendamment de sa propre personnalité juri-
dique et de son encadrement juridique dans un pays donné.
L’entreprise transnationale a pour vertu de disposer de multiples
localisations et donc de relever de divers ordres juridiques, dans une
dialectique de l’unité et de la diversité qui lui permet de profiter des
différences normatives du point de vue du travail et de la protec-
tion sociale dans un espace de régulation divisé en Etats 430. Elle
dispose également de la capacité de choisir le niveau de détermina-
tion des normes de travail en vigueur sur le lieu d’implantation
choisi et ainsi le degré d’effectivité de ces normes au regard de
l’environnement normatif et judiciaire du pays considéré et de son
propre positionnement dans ce pays. Parfois, cette absence d’atta-
chement au territoire se traduit par la création d’enclaves dans les-
quelles on autorise la non application de règles de droit social aux-
quelles se substituent des règles unilatérales créées par l’entreprise
pour ce lieu en particulier 431. A ceci s’ajoute un phénomène de
concentration des pouvoirs et de direction dans la société mère qui
joue avec la fragmentation des personnalités juridiques des filiales
installées sur divers territoires de façon à court-circuiter la respon-
sabilité de l’entreprise dans son ensemble pour l’exercice de ses acti-
vités sur le plan mondial.

429 La notion «d’insaisissabilité de l’entreprise mondialisée» a été utilisée par Daugareilh, I.,

«La responsabilité sociale des entreprises transnationales et les droits fondamentaux de l’homme
au travail…», op. cit., pp. 362 et s.
430 Daugareilh, I., ibidem, pp. 362-363.
431 Il existe de nombreux exemples dans les zones de libre commerce ou dans les enclaves du

système commercial et douanier d’un Etat dans lesquels s’installent des entreprises libres de tout
lien normatif national et où elles jouissent de bon nombre d’incitations fiscales et financières. Cf.
Perulli, A., Diritto del Lavoro e Globalizzazione, op. cit., pp. 298-299.
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D’autre part, et c’est là le revers de la médaille, la liberté de choi-


sir le lieu de production ou de localisation de l’entreprise, qui consti-
tue un élément essentiel de l’identité de l’entreprise transnationale,
correspond à la liberté de délocaliser, ce qui est une caractéristique
de ses agissements. Par cette expression, on fait référence à la faci-
lité avec laquelle les entreprises transnationales peuvent transférer
tout ou partie de leur production vers d’autres pays aux coûts de
production moins élevés 432. Cela traduit la volatilité et le noma-
disme des organisations productives qui ne sont pas ancrées de
manière permanente sur des territoires normatifs stables.
Cette dynamique implique une modification importante des
notions d’espace et de territoire tels que les a interprétés le droit du
travail qui, à la base, s’appuyait sur l’hégémonie des cadres juri-
diques nationaux comme espaces déterminants de la réglementation
des droits et des obligations des parties au contrat de travail.
L’espace mondial est une notion élastique que l’on configure au gré
des besoins des parties au contrat, et plus concrètement au gré de
celui qui détient une position dominante dans la relation salariale,
le chef d’entreprise mondialisé. La dialectique localisation/délocali-
sation symbolise l’appropriation du choix de l’espace de régulation
par l’entreprise transnationale qui choisit le niveau national et par
conséquent le degré d’impérativité des normes et qui dilue la res-
ponsabilité juridique de ses actes également en fonction de la com-
plexité de son organisation et de la structuration de ses relations
d’échanges en réseau.
En définitive, ces phénomènes finissent par construire un pouvoir
de régulation des relations du travail qui se caractérise par son
«autoréférentialité» 433. En d’autres termes, l’entreprise transnatio-
nale organise la production de règles dans cet espace mondial en en
insistant sur leur dimension privée et volontaire et en consolidant
un ensemble de décisions unilatérales relatives à la structure de pro-
duction et aux relations contractuelles qui dessinent la carte des
réseaux commerciaux qui sont sous son contrôle.

432 Sous le terme «délocalisation» est réunie une série de mécanismes et d’actions entrepreneu-

riaux très variés, aux effets immédiats sur l’emploi et les relations du travail. Une étude très
intéressante a été réalisée à cet égard par Sastre Ibarreche, R., «Deslocalización de empresas
(reflexiones desde la perspectiva iuslaboral)», Revista de Derecho Social, nº 32, 2005, pp. 11 et s.
433 Nadalet, N., «Le dinamiche delle fonti nella globalizzazione : ipotesi per un diritto trans-

nazionale del lavoro», Lavoro e Diritto, nº 4, 2005, p. 672.


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A partir de cette réalité, dans laquelle les relations du travail sont


directement subordonnées à l’autonomie organisationnelle de
l’entreprise transnationale au niveau mondial, il est possible de
défendre l’idée d’un «ordonnancement» total de l’activité écono-
mique de l’entreprise dans laquelle serait comprise la réglementa-
tion des conditions de travail et d’emploi des salariés. Cela signifie
que l’entreprise transnationale deviendrait l’organisatrice de la pro-
duction des règles dans tous les domaines qui la concernent, dont
le travail, au-delà des règles nationales qui deviennent autant de
références fragmentées des conditions de travail et d’emploi pour les
salariés des divers sites de production. L’entreprise s’orienterait
ainsi vers une régulation autonome des relations du travail dans
l’espace librement défini par le périmètre de son organisation et de
sa production de façon à ce que le centre de la création normative
coïncide avec la subjectivité de l’entreprise et avec les éléments de
coopération interentreprises qu’elle définirait 434.
Le processus par lequel cette juridicisation circulaire et opaque a
été générée en dehors de la normativité des Etats est complexe et
a connu différentes étapes historiques. On a souligné l’importance
des règles adoptées unilatéralement et codifiées progressivement
concernant le personnel de l’entreprise, en particulier les dirigeants
et les managers, et qui portent sur leur statut et leur mobilité et, qui
par extension, peuvent s’appliquer aux techniciens hautement qua-
lifiés de l’entreprise 435. Une manifestation plus récente de ce phé-
nomène a été observée avec les «codes de conduite» qui fixent des
obligations de comportement et qui établissement une certaine
image de l’entreprise que doit respecter tout le personnel. Même si
une exigence éthique figure dans ces normes, il s’agit de règles uni-
latérales fixées par l’entreprise qui trouvent leur fondement dans le
pouvoir de direction de l’employeur et dans une version moderne du
règlement d’entreprise ou dans ce que le droit espagnol désigne
comme les «directives générales» du chef d’entreprise 436.

434 Cf. Rodotá, S., «Diritto e diritti nell’area della globalizzazione», dans Scarponi, S. (dir.),

Globalizzazione e diritto del lavoro : il ruolo degli ordinamenti sopranazionali, Giuffré, Milano,
2001, pp. 43 et s.
435 Nadalet, S., «Le dinamiche delle fonti...», op. cit., pp. 685-686.
436 On trouvera une étude très complète de ce phénomène dans Merino Segovia, A., «La defi-

nición de las cualidades morales y éticas de los trabajadores de la empresa de dimensión


transnacional : los códigos de comportamiento ético y profesional», Revista de Derecho Social,
nº 31, 2005, pp. 85 et s.
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Dans un sursaut qualitatif l’entreprise transnationale a estimé


nécessaire, essentiellement pour des raisons d’image et de ses effets
sur le marché 437 , d’inclure des engagements vis-à-vis des tra-
vailleurs qui garantissent le respect des droits fondamentaux de
l’homme et de la dignité des personnes. L’intérêt de ces initiatives
réside dans le fait que la faculté d’autorégulation de l’entreprise est
connectée avec des Déclarations internationales sur ces droits, plus
précisément la Déclaration de 1998 de l’OIT sur les Principes et
Droits fondamentaux du travail 438. Il s’agit des droits de liberté
syndicale, du droit à la négociation collective, de l’éradication de
toutes formes de travail forcé ou obligatoire, de l’abolition effective
du travail des enfants et, enfin, de l’élimination de la discrimination
dans l’emploi et sur le lieu de travail 439. Plus qu’une réglementation
homogène des conditions de travail d’une entreprise ou d’un groupe
d’entreprises transnationales, il s’agit d’établir des conditions préa-
lables à l’exercice de l’activité de l’entreprise vis-à-vis des salariés,
indépendamment du lieu où elle est implantée.
Cela suppose de franchir un pas important dans la définition
d’une culture d’entreprise ouverte au langage des droits de l’homme
et qui reconnaisse que les déclarations universelles de ces droits
puissent influencer son comportement, ses actions et ses décisions,
quel que soit le lieu d’implantation.
Il est cependant notoire que ces initiatives qui ont pris la forme
de «codes de conduite» ont été maintenues dans un système autoré-
férentiel déjà évoqué, ont affirmé le caractère exclusivement moral
de ces engagements et ont revendiqué l’unilatéralité de leur énoncé,
de leur développement, de leur application et de leur contrôle, sous
la formule du «commandement et du contrôle» 440 par l’autorité pri-
vée incarnée par la puissance institutionnelle qu’est l’entreprise
transnationale 441. Ces expériences se caractérisent par le rejet de

437 Mora Cabello de Alba, L., «La explotación infantil y el Derecho del trabajo», Revista de

Derecho Social, nº 25 (2004), pp. 117 et s.


438 Daugareilh, I., «L’impact de la mondialisation sur les droits fondamentaux de l’homme

au travail», in Daugareilh, I. (dir.), Mondialisation, travail et droits fondamentaux, op. cit.,


pp. XI et s.
439 Principes et droits fondamentaux du travail respectivement développées par les Conven-

tions n° 87 et 98, 29 et 105, 138 et 111 de l’OIT.


440 Dine, J., «Using companies to opress the poor», dans Dine, J. et Fagan, A. (dir.), Human

rights and capitalism. A multidisciplinary perspective on globalisation, Edward Elgar, Cheltenham


y Northampton, 2006, pp. 68-69.
441 La littérature sur les codes de conduite est vaste. Voir Sobczak, A., Réseaux de societés et

codes de conduite : un nouveau modèle de régulation des relations du travail des entreprises euro-
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toute instance externe à l’entreprise qui s’est instituée comme un


législateur qui crée, interprète et applique ses propres règles, ses
engagements ou ses bonnes pratiques au sein de ses structures et
dans ses relations externes. Manifestation de la responsabilité
sociale de l’entreprise comme image de marque 442, il est entendu
que les décisions de l’entreprise socialement responsable, prises de
façon à garantir les droits fondamentaux aux travailleurs qu’elle
emploie au niveau mondial, sont volontaires. Le volontariat et
l’unilatéralité sont d’une égale importance. En d’autres termes, le
volontariat est envisagé comme un attribut propre à l’unilatéralité
de la décision, dans le sens où l’adhésion volontaire de l’entreprise
à ces principes et droits fondamentaux est dénuée d’effets juridiques
contraignant 443.
Cette insistance sur le principe d’autorité et sur l’immunité de
l’espace de régulation défini et contrôlé de façon unilatérale par
l’entreprise est fortement critiquée par les syndicats mais aussi par
tous les acteurs qui s’intéressent à la responsabilité sociétale. Ces
préceptes sont dépassés par d’autres mécanismes de régulation
contractuels qui, tout en maintenant la référence à la notion politi-
quement significative et fortement ancrée dans la culture d’entre-
prise qu’est la responsabilité sociétale, transforment la nature et la
dynamique du processus de formation de règles du travail au sein
de l’entreprise transnationale.

II. – Les Accords cadres internationaux,


mécanismes de régulation négociée
dans l’entreprise transnationale

Ces phénomènes sont avant tout le fruit de la modification et de


la rénovation profonde du syndicalisme international et européen,
qui estime inévitable de se structurer et de s’organiser et de déve-

péennes, LGDJ, Paris, 2002. Merino, A., Rentero, J., «Fórmulas atípicas de regulación de las
relaciones laborales en la empresa transnacional : códigos de conducta y buenas prácticas», in
Baylos, A. (dir.), La dimensión europea y transnacional de la autonomía colectiva, Bomarzo,
Albacete, 2003, pp. 271. Salerno, F., «Natura giuridica ed effetti dei codici di condotta inter-
nazionali per imprese multinazionali», Lavoro e Diritto, nº 4, 2005, pp. 655.
442 Les codes de conduite s’inscrivent dans un cadre normatif ou procédural établi autour de

la notion de la responsabilité sociétale. Cf. Moreau, M.A., Normes sociales, droit du travail et
mondialisation, op. cit., p. 176.
443 Moreau, M.A., Normes sociales, droit du travail et mondialisation, op. cit., p. 176.
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lopper des mécanismes d’action parallèlement aux phénomènes de


mondialisation 444, ce qui contrarie la maxime selon laquelle le capi-
tal s’organise au niveau mondial et le travail au niveau local 445. Il
va donc concevoir son action dans les espaces de régulation qui se
situent bien au-delà du cadre normatif de l’Etat-nation et de celui
des institutions internationales, entre ces espaces et, de façon plus
significative, dans l’entreprise transnationale. Mais le syndicalisme
mondialisé doit intervenir dans ces processus de formation des règles
autrement que dans les systèmes nationaux et internationaux.
Ainsi, l’objectif est de produire des règles sociales et d’autoriser un
déplacement des mécanismes officieux de gestion du travail vers des
instruments officiels de régulation 446. C’est dans ce contexte que se
déploient les Accords cadres internationaux 447 (ACI ci-après), par
lesquels le syndicalisme poursuit la transformation des règles infor-
melles d’entreprise, unilatérales et volontaires, sous une forme
contractuelle et «prépositive» au sens normatif du terme.
Cette action stratégique menée par l’acteur syndical place le thème
des nouveaux espaces de régulation dans une dimension différente de
celle décrite jusqu’à présent par les modèles de juridicisation de la mon-
dialisation du marché, dans lesquels les processus économiques et
sociaux sont gérés de façon autoritaire par les financiers et les entre-
prises transnationales, sans même relever la présence du syndicat,
comme s’il était un sujet invisible ou, en tout état de cause, dispensable.
Le discours sur le nouveau modèle de production de règles dans l’ère
mondiale doit cependant être modéré par les expériences que nous évo-
quons ici, que l’on peut à juste titre qualifier de «contre-exemples» 448.

444 Qui, en conséquence, marque son territoire et ses modes d’action par rapport aux ONG,

organisations qui, dès leur constitution, se situent dans cet espace de la mondialisation.
Cf. Daugareilh, I., «Les accords-cadres internationaux : une réponse européenne à la mondiali-
sation de l’économie?», in Descolonges, M., Saincy, B. (dir.), Les nouveaux enjeux de la négo-
ciation sociale internationale, op. cit., p. 119.
445 «Les rapports de pouvoir se déplacent. Le travail devient local et le capital global», est une

des douze thèses sur la société des citoyens du monde exposée par Beck, U., Un nuevo mundo feliz.
La precariedad del trabajo en la era de la globalización, Paidos Bolsillo, Barcelona, 2007, p. 257.
446 Saincy, B., «Mutations et renouvellement des pratiques sociales», in Descolonges, M.,

Saincy, B. (dir.), Les nouveaux enjeux de la négociation sociale internationale, op. cit., p. 47.
447 Dans la littérature espagnole spécialisée, on utilise également les expressions «Acuerdos

Marco Globales» ou «Pactos Globales» indifféremment, comme celle employée dans le texte d’ori-
gine. Cf. Merino Segovia, A., «Responsabilidad social corporativa : su dimensión laboral», Docu-
mentación Laboral, nº 75, 2005, pp. 75-76.
448 Tel est le titre expressif de l’article de Daugareilh, I., «La responsabilité sociale des entre-

prises transnacionales et les droits fondamentaux de l’homme au travail : le contre-exemple des


accords internationaux», in Daugareilh, I. (dir.), Mondialisation, Travail et Droits fondamen-
taux, op. cit., pp. 349 et s.
2100434_ENTTRA.book Page 206 Wednesday, October 6, 2010 3:23 PM

206 antonio baylos

Expérience suffisamment large (61 entreprises et groupes d’entreprises


transnationales en novembre 2007 ont conclu un ACI, à un rythme tou-
jours plus rapide) même s’il est plus intéressant ici de s’intéresser plus
au contenu qu’au nombre. C’est parce que ces pratiques sociales affec-
tent l’espace de régulation que constitue l’entreprise transnationale et
qu’elles incluent les notions d’autonomie collective et de représentation
syndicale là où jusqu’alors régnait le seul concept d’autorité privée
qu’elles présentent un véritable intérêt.
En d’autres termes, les ACI soulèvent la question de la représenta-
tion collective et de la présence du syndicalisme au plan international
comme forme de représentation d’une part et d’autre part ils posent
la question de la production de règles issues de l’autonomie collective
sans autres références que celles d’un système contractuel qui ne
s’inscrit dans aucun système juridique national (ce qu’évoque, dans
un autre contexte, l’expression contrats sans loi) 449 mais seulement
dans l’espace propre défini par son champ d’application. Ces notions
émanant de la dimension collective de la réglementation du travail,
de syndicat et de négociation collective sont reformulées au plan
transnational et viennent modifier et conditionner les notions précé-
dentes d’autorité d’entreprise et la prise de décisions dans ce
domaine. S’ajoute à cela les objectifs fixés par les ACI à savoir que
l’entreprise transnationale décide, par un accord collectif, de fixer un
seuil pour homogénéiser les normes du travail, une formule selon
laquelle on adopte des conditions élémentaires de travail communes
à tous les territoires où elle est implantée et dans le périmètre entre-
preneurial qu’elle s’accorde, c’est-à-dire non seulement dans l’entre-
prise ou dans le groupe d’entreprises transnationales, mais aussi chez
les cocontractants et sous-traitants.
De ce point de vue, il semble opportun de consacrer un peu plus
de temps à la description du fonctionnement de ce que l’on peut
considérer comme les thèmes centraux de notre débat : le lien entre
ces instruments de régulation et l’efficacité – voire le renforcement,
le cas échéant – des droits fondamentaux des travailleurs reconnus
au niveau international (A); l’insertion dans le processus de création
de règles du sujet collectif qui représente les travailleurs dans cet

449 Cette expression de A. Lyon-Caen sur les contrats de dirigeants d’entreprises transnatio-

nales est reprise par Nadalet, S., «Le dinamiche delle fonti nella globalizzazione…», op. cit.,
p. 686.
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entreprises transnationales et accords internationaux 207

espace de la mondialisation (B); le champ d’application et l’effica-


cité de ces accords 450 (C).

A. – Le contenu des ACI :


Protection des droits fondamentaux
et conditions minimum de travail et d’emploi
Les ACI ont pour objet de protéger, sur tous les sites occupés par
l’entreprise mondialisée, une liste de droits fondamentaux qui en
principe, correspondent à ceux de la Déclaration de l’OIT de
1998 451. Il s’agit donc d’un cadre de référence incontournable qui
conditionne – et connote – l’activité de l’entreprise transnationale,
qui a trait avec ce que l’on a, à juste titre, relevé comme une ten-
dance à l’universalisation des droits sociaux fondamentaux dans un
monde multipolaire 452 et qui agit comme un vecteur de mobilisa-
tion du syndicalisme international.
Il faut également observer une certaine hybridation des ordon-
nancements juridiques dans ces expériences. Par les ACI se produit
un renvoi très particulier à la norme internationale, la Déclaration
de 1998 de l’OIT. Il s’agit d’une synthèse des principes et des droits
fondamentaux qui doivent gouverner les relations de travail, où
qu’elles existent. Ainsi, ces principes et ces droits entrent en appli-
cation non pas du fait de leur inclusion dans les ordonnancements
étatiques sur les territoires concernés, mais par leur incorporation à
travers l’autonomie collective, dans l’espace entreprise créé au
niveau mondial. En d’autres termes, par l’intermédiaire des ACI, se
crée un ordre contractuel qui métabolise les droits sociaux fonda-
mentaux dans les relations bilatérales entre les organisations syndi-
cales et les entreprises transnationales mondialisées, alors que ces
droits, consacrés par l’OIT, s’adressent aux Etats nations pour
qu’ils soient intégrés dans les systèmes juridiques nationaux.

450 Une analyse plus détaillée – bien que limitée aux ACI en vigueur en 2004 – a été réalisée

dans Baylos, A., «Los Acuerdos-Marcos de empresas globales : una nueva manifestación de la
dimensión transnacional de la autonomía colectiva», Revista de Derecho Social, nº 28, 2004,
pp. 193 et s. Autre analyse très pertinente par Daugareilh, I., «La contrattazione collettiva
internazionale», Lavoro e Diritto, n° 4, 2005, pp. 599 et s.
451 A savoir : l’interdiction du travail forcé et du travail des enfants, le respect de la liberté

syndicale et de négociation collective, y compris la protection et les garanties des représentants


des travailleurs, ainsi que le respect du principe de l’égalité des chances et de la non-discrimina-
tion.
452 Ainsi, Daugareilh, I., «L’impact de la mondialisation sur les droits fondamentaux de

l’homme au travail», op. cit., p. XVI.


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208 antonio baylos

Certains ACI ont ajouté à ces prescriptions des obligations qui


concernent les relations avec les pouvoirs publics et les autorités des
Etats sur le territoire desquels l’entreprise transnationale s’installe,
et qui se traduit par l’énonciation d’une ligne de conduite publique
définie de façon négative : n’entretenir aucune complicité avec la
violation des droits de l’homme et n’encourager aucune pratique de
corruption. Les engagements ou les obligations de comportement
qui s’imposent aussi aux salariés de l’entreprise, à tous les niveaux,
qui coïncident parfois avec des situations de concurrence déloyale
ou de traitement préférentiel de certaines entreprises sous-trai-
tantes, et quoique leur impact sur les actions publiques de l’entre-
prise transnationale soit évident, permettent aussi de leur recon-
naître une position active en matière de défense des droits
fondamentaux et d’intérêt pour le fonctionnement intègre de
l’administration et des pouvoirs publics des Etats et des territoires
d’implantation de l’entreprise. La relation entre ces engagements et
le maintien d’un cadre de droits fondamentaux universels du travail
est également claire.
Outre ce noyau dur des ACI, il est fréquent que d’autres questions
importantes soient traitées. En effet, les ACI contiennent des pres-
criptions concrètes relatives aux salaires et à la durée de travail. Dans
ces deux cas, il est usuel d’observer la référence aux normes natio-
nales (légales et conventionnelles) du pays où est installée l’entreprise,
même si elle peut ajouter l’engagement de garantir un salaire mini-
mum ou l’application des Conventions de l’OIT en matière de
salaires. Dans les ACI les plus récents, dans le secteur automobile,
l’obligation d’une «rémunération équitable et suffisante» est stipulée,
tout comme l’égalité des salaires pour des postes de même niveau.
Concernant la durée de travail, le renvoi aux normes nationales est
complété par des clauses sur la «durée non excessive de travail», qui
correspond à la limite des 48 heures hebdomadaires visées par la
norme de l’OIT, ou qui intègrent d’autres concepts, comme le droit
aux congés ou le droit d’absences pour motifs familiaux. On intègre
également dans ces accords la norme étatique sur la santé et la sécu-
rité au travail tandis que dans d’autres accords plus récents on inscrit
également comme norme minimum le régime prévu par les conven-
tions n° 155 et 167 de l’OIT, et l’on observe souvent la mention faite
à la protection et à la prévention du VIH/SIDA, ou aux maladies
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entreprises transnationales et accords internationaux 209

sexuellement transmissibles ainsi qu’à la consommation de drogue


dans les pays les plus touchés.
Enfin, les ACI comportent également des dispositions en matière
d’emploi et de formation professionnelle des salariés de l’entreprise
transnationale, même s’il ne s’agit que de clauses énoncées comme
des principes ouverts ou des orientations générales de la direction de
l’entreprise. Il en va ainsi de la nécessité d’une formation perma-
nente pour l’ensemble du site ou particulière à certains entités de
l’entreprise. On y trouve aussi de manière plus isolée des règles sur
la stabilité et la garantie de l’emploi dans l’entreprise. Ce sont
autant de stimulations pour le développement de nouveaux phéno-
mènes d’autonomie collective qui peuvent être à l’origine de direc-
tives pour le maintien du niveau global de l’emploi ou de règles sur
les restructurations. Revêtent également ce caractère «ouvert» ou
générique, à titre de principes purement énonciatifs, les engage-
ments sur la protection du milieu ambiant ou la limitation des effets
nocifs de la production sur l’environnement.

B. – Les acteurs de l’ACI : les interlocuteurs


dans l’espace mondial de l’entreprise transnationale
Le second élément mis en relief dans ces expériences d’ACI
concerne les acteurs qui participent à leur négociation et à leur
conclusion. Se pose à cet égard, la question de la représentation
collective des travailleurs et de la place des fédérations syndicales
internationales dans ce mécanisme de représentation. La détermi-
nation des acteurs et donc l’instauration d’interlocuteurs suppose
une reconnaissance mutuelle de la capacité et du pouvoir contrac-
tuel de chacun dans un espace non prédéfini par la norme étatique
ou internationale. Il convient d’insister sur ce point et de le
mettre en relation avec la nouvelle situation du syndicalisme
international qui s’affirme au niveau mondial. Mais il s’agit éga-
lement d’un processus qui doit être apprécié comme un ensemble
de pratiques déjà cristallisées et qui ont favorisé sa forme actuelle.
En d’autres termes, la coopération du syndicalisme mondial qui
débouche sur la capacité de développer une négociation collective
transnationale trouve ses origines dans l’expérience des comités
d’entreprise européens et dans le syndicalisme européen de secteur
qui a apporté les structures et les pratiques permettant d’organi-
ser et d’articuler un projet contractuel au niveau de l’entreprise
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210 antonio baylos

transnationale 453. Ce contexte n’existe pas en Amérique du Nord.


Il suffit de consulter la liste des entreprises qui ont conclu un ACI
pour constater qu’elles sont majoritairement européennes, à
quelques exceptions près (entreprises de Russie, d’Afrique du Sud,
d’Australie ou de Nouvelle-Zélande,) et ne compte qu’un seul
exemple nord-américain. On peut donc en conclure que le phéno-
mène de la négociation collective transnationale est majoritaire-
ment européen et qu’il profite de la construction institutionnelle
et sociale du modèle syndical dans cette région 454.
Ceci est très clair quand on identifie les acteurs de la négociation
transnationale. Il est ainsi fréquent que, outre la fédération syndi-
cale internationale du secteur de production, le comité d’entreprise
européen signe l’accord, voire que soit créé un comité mondial
incluant davantage de pays tiers. Dans d’autres cas, au contraire,
outre la fédération syndicale internationale, s’imposent comme
interlocuteurs les syndicats (nationaux) représentatifs du siège
social de l’entreprise multinationale, ce qui, sans aucun doute, sym-
bolise l’importance de l’origine nationale de l’entreprise et de son
ancrage dans le système de représentation.
Les ACI ont également pour conséquence de déterminer le chef
d’entreprise et les contours de cette structure instable qu’est l’entre-
prise transnationale. C’est un élément important car le périmètre
occupé par l’entreprise transnationale est délimité dans l’accord cadre
proprement dit. C’est donc par cet instrument qu’est identifiée préci-
sément la position contractuelle du chef d’entreprise, qui se traduit
matériellement par la pluralité des entités de l’entreprise et par la
complexité de son organisation 455. Un point particulièrement signifi-
catif réside dans l’identification du chef d’entreprise dans les proces-
sus de décentralisation de la production là où se déploie précisément
et géographiquement la production de l’entreprise transnationale.

453 Moreau, M.A., Normes sociales, droit du travail et mondialisation, op. cit., p. 381.
454 Au point qu’il a été affirmé que les ACI sont porteurs d’une approche nettement euro-
péenne de l’entreprise mondialisée ainsi que de la mondialisation. Cf. Daugareilh, I., «Les
accords-cadre internationaux : une réponse européenne à la mondialisation de l’économie?», in
Descolonges M., Saincy B. (dir.), Les nouveaux enjeux de la négociation sociale internationale,
op. cit., pp. 122 et s. Il est également symptomatique de les définir comme «accords cadre», terme
commun à d’autres notions de la négociation collective et à sa dimension supranationale euro-
péenne.
455 Cette question revêt également un immense intérêt dans les cadres juridiques nationaux où

s’est produit un double processus de construction et de destruction du concept du chef d’entre-


prise. Cf. Desdentado, Daroca, E., La personificación del empresario laboral. Problemas sustan-
tivos y laborales, Lex Nova, Valladolid, 2006, pp. 31 et s.
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entreprises transnationales et accords internationaux 211

L’ACI sert donc à systématiser la position entrepreneuriale et à car-


tographier sa complexité organisationnelle indépendamment de la
personnalité juridique que va adopter l’entreprise ou le groupe
d’entreprises transnationales 456, ce qui peut aller jusqu’à une recom-
position des chaînes de sous-traitance que la conception organisation-
nelle décentralisée de la production de l’entreprise a établie dans un
pays donné.
Ainsi, l’ACI s’applique dans deux grands cercles. Dans le premier,
celui de l’application directe, sont incluses les entreprises qui com-
posent le groupe de l’entreprise transnationale, dont la relation de
domination ou de coordination interentreprises est définie par
l’accord lui-même. Dans le second, l’application est indirecte
puisque l’on définit la sphère des relations productives que l’entre-
prise transnationale a engagées par un réseau de fournisseurs ou de
sous-traitants, et sur lesquels elle a une position dominante et donc
d’influence 457, ce qui se traduit pour l’entreprise transnationale par
un devoir d’information et de « suivi » du respect du contenu de
l’ACI, qui parfois suppose la rédaction de rapports périodiques sur
des thèmes précis, comme la précarité du travail. Tandis que dans
le premier cercle se met en place un ordre contractuel générique qui
établit des obligations entre les parties à l’accord cadre (syndicats
et entreprises signataires), le second est établi en corrélation au
degré d’influence sur les chaînes de sous-traitance et est à l’origine
d’une sorte de «clause sociale» conventionnelle. En d’autres termes,
l’entreprise transnationale, en qualité d’entreprise principale,
s’engage à n’établir de relation commerciale privilégiée qu’avec les
fournisseurs et les sous-traitants qui acceptent le contenu de
l’ACI 458, ce qui se solde par l’insertion de sanctions contractuelles,
comme la non reconduction ou la cessation de la relation commer-
ciale.

456 Daugareilh, I., «La responsabilité sociale des entreprises transnationales et les droits fon-

damentaux de l’homme au travail», op. cit., pp. 365 et s.


457 Dans de nombreux cas, obligation est faite à l’entreprise principale de faire connaître

l’accord et d’inviter les entreprises avec lesquelles elle entretient des relations commerciales de
toute nature à y adhérer, en établissant, le cas échéant, une sorte d’incitation à l’adhésion des
entreprises sous-traitantes et des fournisseurs à la déclaration des droits du travail et à son res-
pect effectif, la déclaration de ce fait constituant un élément permettant de garantir la perma-
nence de la sous-traitante ou de l’approvisionnement envers l’entreprise transnationale.
458 Daugareilh I. les qualifie de «petites clauses sociales», in «Les accords-cadres internationaux :

une réponse européenne a la mondialisation de l’économie?», op. cit., p. 124.


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212 antonio baylos

C. – Les mécanismes de mise en application


et d’exécution volontaire de l’ACI
Les mécanismes de mise en œuvre et de contrôle du respect de
l’ACI se traduisent par l’insertion d’une série de procédures volon-
taires dans la sphère contractuelle. La procédure prévue de «mise en
pratique» implique en premier lieu une obligation de l’entreprise
d’informer tous les salariés et leurs représentants sur tous les sites
d’implantation du contenu de l’accord. C’est donc une obligation
d’informer les représentants des travailleurs des « pays tiers» du
contenu et du champ d’application de l’Accord. Même si cette obli-
gation semble facile à honorer, puisqu’elle a été pensée pour être
diffusée par les canaux de la représentation collective dans chaque
entreprise filiale du groupe en fonction du système syndical spéci-
fique de chaque pays afin que ces acteurs assument cette fonction
d’information auprès des travailleurs, elle laisse supposer qu’il
existe sur tous les sites un organe de représentation des travailleurs.
Or, tel n’est pas le cas dans de nombreux pays. Les situations de
faiblesse syndicale, voire d’absence totale de représentation collec-
tive, court-circuitent la transmission de l’information sur l’existence
même de l’Accord et de son contenu.
Cet état de fait pose donc une condition d’applicabilité dont la
charge retombe essentiellement sur le syndicalisme international et
sur les acteurs syndicaux représentatifs du centre de l’entreprise, qui
doivent en conséquence garantir et promouvoir l’existence
d’organes représentatifs des travailleurs à la périphérie de l’entre-
prise, suffisamment compétents pour recevoir l’information et la
traiter dans le cadre de leur action au quotidien. Ce problème sera
rencontré à toutes les phases de l’accord et conduira à considérer
que l’extension de la représentation collective (ou la présence
d’organes de représentation) sur tous les sites de l’entreprise trans-
nationale est une condition nécessaire à l’application de l’ACI et, est
donc un objectif de l’ACI lui-même.
Inversement, l’information doit circuler depuis les «pays tiers» sur
le degré d’effectivité de l’accord et sur les problèmes de son appli-
cation. C’est pour cela que sont créés des «observatoires sociaux» de
suivi de l’application de l’ACI qui rédigent des rapports annuels, ou
qui instaurent des systèmes d’enquête en cas de non respect du
contenu de l’ACI, remis aux parties signataires de l’accord mais
émanant des organisations syndicales ou des groupes de travailleurs
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entreprises transnationales et accords internationaux 213

organisés localement là où l’accord est censé se déployer concrète-


ment. Concrètement, la procédure de contrôle du respect de ces
accords consiste en l’organisation d’une réunion chaque année sur
convocation ordinaire, ou extraordinaire en cas de problème d’inap-
plication de l’accord.
La procédure prévue en cas de non respect de l’accord est issue
de la force contractuelle par laquelle l’ACI lie les parties signataires.
L’effet contractuel de l’accord impose des obligations à ses signa-
taires, même si le contenu porte sur un ensemble d’engagements et
de devoirs de la multinationale vis-à-vis des travailleurs qui se trou-
vent sur l’ensemble des sites. Ainsi, en vertu de la force obligatoire
des contrats, l’accord est une sorte d’engagement adopté par
l’entreprise transnationale qui s’oblige à l’appliquer concrète-
ment 459. Le centre de gravité se situe donc au niveau du respect par
l’entreprise de son engagement, en accord avec les syndicats, ce qui
implique des obligations de faire plus précises.
L’application volontaire par l’entreprise des décisions prises lors
des réunions de suivi ou d’enquête est donc la clé qui permet de fer-
mer le système contractuel en place. Il est opportun d’insister sur
le fait que l’adoption de décisions par l’entreprise pour que l’accord
soit effectif ou pour remédier aux conséquences d’une inexécution
dudit accord est théoriquement intégrée dans une procédure
d’échange de points de vue et de positions entre les parties au
contrat, semblable à une procédure de médiation pour parvenir à un
accord 460.
Par son énoncé positif, l’ordre contractuel qui oriente l’action de
l’entreprise transnationale se ferme sur lui-même et produit le res-
pect et l’entrée en vigueur de l’accord selon la volonté des parties.
Néanmoins, l’opposition ou l’inaction de l’entreprise transnationale
pour adopter des mesures nécessaires au respect du contenu de
droits établis par l’ACI n’est pas visée par ces dispositions. Face à

459 Il n’a pas d’effet normatif tel que nous le connaissons puisqu’il n’existe aucune norme

impérative (force de loi nationale) qui impose un ensemble de conditions de travail de façon
objective et externe aux contrats individuels de travail des travailleurs de l’entreprise. Cet enga-
gement s’appuie sur l’application de ces conditions de travail à tous les salariés de l’entreprise,
ce qui, sans aucun doute, implique qu’ils ne puissent y renoncer ni accepter individuellement des
conditions contraires. Il a également été maintenu que l’opposabilité de cette situation contrac-
tuelle envers des tiers est un complément nécessaire à la force de loi du contrat. Cf. Daugareilh,
I., «La contrattazione collettiva internazionale…», op. cit., p. 50.
460 Baylos, A., «Los Acuerdos – Marco de empresas globales…», op. cit., p. 209.
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214 antonio baylos

cela, il est toujours possible de recourir à des mesures d’auto-tutelle


collective, ce qui ouvre la voie à des réalisations d’intérêts, mais qui
reste ouverte à l’articulation d’expériences novatrices. Il faut tenir
compte du fait que, dans l’initiative sur la négociation collective
dans l’espace mondial de l’entreprise transnationale, est également
insérée une nouvelle forme de positionnement syndical dans la nou-
velle réalité de la mondialisation, qui établit de nouveaux liens de
coordination au sein de la périphérie et depuis le centre, qui s’éten-
dent également aux conflits et aux moyens de pression. La problé-
matique de la grève dans cet espace mondial est suffisamment com-
plexe et intéressant pour mériter d’être abordée en dehors de cette
contribution.
Cependant, les règles produites par cet ordre contractuel collectif
transnational doivent affronter les systèmes juridiques des sites sur
lesquels l’entreprise transnationale déploie son activité. Cet
ensemble de règles d’origine contractuelles et collectives doivent
être ainsi «reçues» par les différents systèmes juridiques nationaux
et y être «insérés», tant en périphérie qu’au centre de l’espace mon-
dial dans lequel évoluent les entreprises et les syndicats mondialisés.
Ceci ouvre donc l’opportunité d’articuler une responsabilité juri-
dique et normative des entreprises transnationales suite à leurs
engagements contractuels qui prétendent accorder un effet universel
aux droits fondamentaux du travail en vertu de la conclusion des
ACI. Ce débat, ainsi que la possibilité de mener des actions en jus-
tice dans les «pays tiers» où elle est installée mais également au
«centre» où se situe le siège de l’entreprise transnationale contre les
infractions aux engagements prévus à l’ACI 461, sont les scenarii
vraisemblables des futures réflexions sur ce sujet.

461 Sur ce thème, cf. Baylos, A., «La responsabilidad legal de las empresas transnacionales»,

Revista de Derecho Social – Latinoamérica, nº 1, 2006, pp. 69 et s.

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