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qui affirme que « le Rassemblement national et La Comment en est-on arrivé là ? Comme souvent à La
France insoumise portent en eux-mêmes des racines France insoumise, tout a – mal – commencé par un
antisémites très claires ». LFI a, depuis, porté plainte échange de tweets, le 15 février. Le clash oppose
contre le député pour diffamation. Olivier Faure et Jean-Luc Mélenchon. Le premier
Même Yannick Jadot, tête de liste Europe Écologie- secrétaire du PS, non sans arrière-pensée politique, a
Les Verts, a tapé fort, lui aussi, contre l’insoumis en lancé un appel commun contre l’antisémitisme. Mais
chef : « Quand vous êtes ambigu sur l’antisémitisme, sur le tract, un grand absent : LFI n’est pas signataire.
quand vous êtes ambigu sur l’explosion de toutes ces Mélenchon pique une colère sur Twitter : « Grossière
haines, vous en êtes complice, parce qu’à un moment provocation du PS qui nous écarte de la marche contre
donné, vous n’indiquez plus, comme responsable l’antisémitisme », écrit-il, évoquant des « manœuvres
politique, aux concitoyens, ce que vous pensez être la politiciennes ».
ligne rouge à ne jamais, jamais, jamais franchir », Olivier Faure réplique : il a bien envoyé un message
affirme-t-il, le 18 février, au micro de Jean-Jacques Telegram au leader de LFI. Oubli fâcheux ou
Bourdin – l’eurodéputé aurait par la suite regretté ses malencontreuse réticence à s’associer à une « soupe
propos. de logos » – qui va du PCF à LR en passant par
le Modem et LREM ? Toujours est-il que Jean-Luc
Mélenchon n’a pas répondu. Le malentendu dissipé,
LFI s’associera sans barguigner à l’initiative lancée
par le PS. Mais trop tard : le poison du soupçon a
commencé son œuvre.
Deuxième faux pas, le 17 février. Depuis la
veille, la vidéo de Finkielkraut aux prises avec
les gilets jaunes tourne, ad nauseam, sur les
© Twitter.
réseaux sociaux. Très attendue, la condamnation
L’estocade est portée par un éditorial du Monde (daté du leader de La France insoumise déçoit. Dans
du 17-18 février). Revenant sur le « cas Finkielkraut », le grand concert des indignations, son tweet paraît
le quotidien du soir salue les « condamnations trop sibyllin : « Conscient de l’instrumentalisation
[…] immédiates » venues de Marine Le Pen, de l’antisémitisme, je crois aussi qu’il ne faut
d’Emmanuel Macron et de Laurent Wauquiez. Il jamais laisser passer le racisme, écrit-il. Autour de
regrette, à l’inverse, qu’« une partie de la gauche, Finkielkraut, il y avait aussi des gilets jaunes qui
hélas, [se soit] montrée plus ambivalente ». Dans voulaient le défendre et s'opposer à l’attaque. Je suis
sa ligne de mire : Benoît Hamon et Jean-Luc avec eux. »
Mélenchon. Ils ont « certes » fustigé le racisme dont Mais sur un sujet aussi sensible, livrer une analyse
le philosophe a été l’objet, mais ont aussi dénoncé complexe est une gageure. 240 caractères, c’est un peu
(respectivement) « [ses] idées réactionnaires » et court pour, tout à la fois, distinguer le mouvement des
« l’instrumentalisation de l’antisémitisme » par le gilets jaunes de quelques énergumènes, condamner
pouvoir. « Des réserves déplorables », conclut l’antisémitisme, et dénoncer son instrumentalisation
Le Monde, qui oublie en revanche d’exprimer les par un pouvoir aux abois, englué dans l’affaire Benalla
siennes devant les déclarations de Marine Le Pen, à la et le mouvement social (lire ici), et qui n’aspire qu’à
tête d’un parti créé par d’anciens collaborationnistes faire diversion…
et de néofascistes, et qui fut dirigé pendant quarante À l’arrivée, le tweet est mal compris ; la machine à
ans par un homme condamné pour ses sorties broyer est déclenchée. « Jean-Luc Mélenchon n’est
négationnistes… pas le moins du monde antisémite, mais, si je peux
me permettre de lui passer un message : sur un sujet
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pareil, il devrait tourner deux fois la langue dans sommes-nous tombés ! » s’exclame à son tour Manon
sa bouche avant de tweeter », commente la sénatrice Aubry, tête de liste LFI aux européennes qui anticipe
Europe Écologie-Les Verts Esther Benbassa, devenue, que «cette polémique honteuse risque de durer ».
en quelques mois, l’une des égéries des gilets jaunes C'est que, comme le sparadrap du capitaine Haddock,
– ce qui ne l’a pas empêchée de condamner sans le faux procès en antisémitisme colle, de longue date,
vergogne certaines dérives. à la peau du mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Le
Le même jour, nouveau couac : Thomas Guénolé, retour sur le devant de la scène politique d’une gauche
responsable de l’école de La France insoumise, estime, très critique du capitalisme n’est pas pour rien dans
sur Twitter toujours, qu’« insulter [Finkielkraut] cette affaire : histoire de discréditer le mouvement, et
comme insulter quiconque est condamnable. Mais puisant dans l’héritage, il est vrai, peu reluisant d’une
le plaindre, certainement pas ». Un « mais » de partie de l’extrême gauche – de Proudhon à Déat –, les
trop pour un sujet qui ne supporte pas de demi- plus libéraux ont eu tôt fait de tracer un signe « égal »
mesure. L’occasion était trop belle pour les opposants entre critique de la finance et antisémitisme.
politiques de LFI, lesquels ne se privent plus de tenter « L’antisémitisme a longuement été répandu dans
faire de Jean-Luc Mélenchon le Jeremy Corbyn la société française quoique selon des proportions
français. inégales selon les époques. La gauche en a été
Une « manipulation dangereuse » infectée mais beaucoup moins que la droite et
Depuis lundi dernier, un vent de panique a gagné surtout l’extrême droite », relativise Michel Dreyfus,
les rangs insoumis. Sur les plateaux télé, sur les auteur de L'antisémitisme à gauche : histoire d'un
réseaux sociaux, dans les réunions publiques, tout paradoxe, de 1830 à nos jours (La Découverte, 2009).
le monde s’épuise à la tâche. Les archives ont été N'empêche : en 2013 déjà, les critiques des
ressorties. On y voit des extraits de meeting où, sous responsables du Parti de gauche à l’encontre du
les applaudissements nourris de l’auditoire, Jean-Luc ministre de l’économie, Pierre Moscovici, « qui pense
Mélenchon rappelle que quiconque est offensé parce dans la langue de la finance internationale », sont
qu’il est juif, « nous trouverait tous, comme un seul illico interprétées comme une association crapuleuse
corps, un seul bloc à ses côtés ! » avec la « finance juive ». « Tous ceux qui cherchent
Mais difficile d’éteindre le feu qu’on a soi-même un lien entre la critique de la finance internationale et
contribué à allumer par ses maladresses. Difficile de l’antisémitisme sont des irresponsables qui desservent
se défendre de ce qu’on n’est pas. De prouver que non, la critique de la finance. Que disait Hollande au
jamais, Jean-Luc Mélenchon n’a prononcé un mot de Bourget contre la “finance sans visage”? » rétorquera
travers sur les juifs. Alexis Corbière.
« Toute notre vie, on s’est battu contre l’antiracisme, Il y a aussi, en toile de fond, le conflit israélo-
mais aujourd’hui, on nous tape plus que les autres palestinien. Quand bien même Jean-Luc Mélenchon
forces, c’est dingue », s'agace le député Alexis serait loin d’être le seul défenseur de la cause
Corbière, lui-même auteur de plusieurs ouvrages palestinienne, la critique de la politique israélienne
contre le Front national, et dont la compagne a été n’a jamais été chose aisée. « La position de l’extrême
vice-présidente de SOS Racisme. « Il faut dire que gauche française sur le conflit israélo-palestinien
l’extrême droite a changé de cible prioritaire : des ravive les tensions : le soutien aux Palestiniens
juifs, elle est passée aux musulmans », avance, pour s’accompagne d’une critique du sionisme qui n’est
essayer de trouver une explication rationnelle à cette pas dénuée, chez certains, d’un antisémitisme qui ne
folle histoire, sa voisine de banc, Clémentine Autain. peut s’exprimer ouvertement »,avance ainsi l'historien
« Se défendre qu’on n’est pas antisémites ? Mais où Michel Dreyfus.
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Avec son étonnante ode au gilet jaune Éric Drouet, Il n’en demeure pas moins que Jean-Luc Mélenchon,
alors soupçonné d'avoir voté pour le Front national à ancien trotskyste, robespierriste et franc-maçon, ainsi
la présidentielle – ce dont s'est défendu l'intéressé –, que sa garde rapprochée – laquelle arbore quelquefois
Jean-Luc Mélenchon a lui-même prêté le flanc à la le petit triangle rouge, symbole de la résistance
critique. Mentionnant le nom d’Étienne Chouard lors au nazisme, à la boutonnière –, apparaissent, pour
d’une conférence de presse, le député François Ruffin, l'heure, comme les meilleurs remparts à quelque
lui aussi, a affligé jusqu’à ses camarades députés. sinistre égarement. De même que la base des militants
Très prisé par certains gilets jaunes pour sa défense insoumis, dont bon nombre sont issus de la gauche
du référendum d'initiative citoyenne (RIC), l’essayiste antiraciste traditionnelle.
est en effet un complotiste revendiqué et réputé ancien
« Notre stratégie populiste ? Elle n’a rien à voir
proche d’Alain Soral, condamné (notamment) pour
avec tout cela », se défend Manon Aubry, qui impute
injures antisémites en 2015.
l’entière responsabilité de cette séquence au pouvoir
Autant d’éléments qui ont, semble-t-il, participé à et à ses soutiens. « Cette manipulation du pouvoir
installer un climat propice aux reproches faits à la est dangereuse, dit-elle. D’abord, parce que cela fait
France insoumise : « Le discours parfois proche du honte au débat politique. Mais aussi pour la lutte
complotisme auquel adhèrent un nombre nullement contre l’antisémitisme, car on pointe du doigt de
négligeable de sympathisants de LFI et la violence fausses cibles. » Et pendant ce temps-là, les vraies
exprimée par ce parti contre les élites, le personnel courent toujours.
politique – Macron a travaillé chez Rothschild – et
les journalistes peuvent nourrir un terreau favorable
à l’antisémitisme », avertit Michel Dreyfus.
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