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JO 2024: des accusations de propos
racistes et misogynes créent une crise
interne
PAR JADE LINDGAARD ET ANTTON ROUGET
ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 19 AVRIL 2021
Nicolas Ferrand, directeur général exécutif de la Solideo, lors de la présentation de la
maquette du village olympique, en novembre 2019. © Stéphane DE SAKUTIN / AFP
Insultes anti-roms, préjugés sur les habitants de Seine-
Saint-Denis, comportements sexistes... Notre enquête
révèle des troubles graves et répétés à la Solideo,
l’établissement public chargé de la construction des
ouvrages olympiques. Après l’envoi de nos questions,
trois salariés ont été suspendus et un audit diligenté.
Des alertes internes, remontées jusqu’au cabinet
d’Anne Hidalgo, n’avaient pourtant pas provoqué un
grand émoi jusque-là.
L’inclusion, l’ouverture aux autres et la tolérance :
voilà les valeurs véhiculées par les Jeux olympiques
et paralympiques (JOP) de Paris en 2024, à en
croire les deux têtes de pont de l’événement, le
triple champion olympique Tony Estanguet, patron du
comité d’organisation, et la maire socialiste de Paris,
Anne Hidalgo.
Sauf que derrière cet affichage bienveillant, la réalité
semble brutale. Selon des informations de Mediapart,
une des structures essentielles à la réussite des Jeux fait
depuis des mois face à de graves dysfonctionnements
internes, teintés d’accusations de racisme, sexisme et
homophobie.
La Solideo n’est pas le plus connu des outils sur
lesquels s’appuie l’État, dans sa course effrénée pour
que tout soit prêt pour accueillir athlètes et spectateurs
à l’été 2024. Cet établissement public d’aménagement,
spécialement créé pour l’occasion, n’en reste pas
moins une clé de voûte du projet, puisque c’est lui
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qui pilote la construction des ouvrages olympiques
(piscines, village olympique...), principalement en
Seine-Saint-Denis, l’un des départements le plus
pauvres de France, sur lequel est censé « ruisseler »
l’événement mondial.
La Solideo, qui rassemble à ce jour plus d’une
centaine de salariés, travaille sous le contrôle étroit
de l’État, à travers son délégué interministériel aux
Jeux olympiques et paralympiques (Dijop). Elle est
présidée par Anne Hidalgo, la maire de Paris. Ce
qui n’a pas empêché que s’y développent, depuis
près de trois ans, des propos et comportements
discriminatoires, ainsi que nous avons pu le recouper
sur la base de témoignages et documents.
Questionnée par Mediapart, la Solideo ne détourne pas
le regard du problème. Au contraire, elle indique que
les « propos inqualifiables rapporte#s par Mediapart
n’ont aucune place dans cet e#tablissement ». Même
si elle avait déjà connaissance d’une grande partie
de nos informations, la Solideo annonce, en réponse
à nos questions, qu’elle diligente une « enquête
interne », confiée au « de#ontologue externe »,
afin « d’appre#cier la ve#racite# des faits nouveaux
rapporte#s ».
Au vu des conclusions de cet audit, des mesures «
individuelles qui s’imposeront seront prises et tous
les enseignements seront tire#s pour renforcer encore
[le] dispositif », ajoute la Solideo. Dans l’attente,
des « mesures conservatoires ont e#te# prises, trois
salarie#s ont e#te# suspendus ».
Le sujet est également suivi de près par la mairie
de Paris, dont le cabinet a été avisé de certains
comportements, mais aussi par les services du premier
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ministre (avant d’être nommé à Matignon, Jean Castex
était délégué interministériel aux Jeux olympiques et
paralympiques).
Nicolas Ferrand, directeur général exécutif de la Solideo, lors de la présentation de la
maquette du village olympique, en novembre 2019. © Stéphane DE SAKUTIN / AFP
Les problèmes internes sont principalement localisés
à la Drics, la direction des relations institutionnelles,
de la communication et de la sécurité de la Solideo,
même s’ils ont inévitablement rejailli sur le reste des
équipes. D’autant plus que tout le monde travaillait
dans le même open space jusqu’à la mi-2019.
« Tout le monde, en interne, a forcément entendu
parler de ces propos envers les populations racisées,
les femmes, et une certaine vision de la Seine-Saint-
Denis », déplore un ancien salarié, qui n’a souhaité
s’exprimer qu’à la condition de rester anonyme (voir
notre Boîte noire). « C’étaient des “blagues” sur les
homos, sur les Noirs, sur les Arabes et sur les femmes
à longueur de journée », ajoute un autre.
Plusieurs témoins nous ont par exemple déclaré avoir
entendu les phrases suivantes, prononcées par un petit
groupe d’hommes en responsabilité : « Qu’est-ce
qu’on va aller aider les Noirs en Seine-Saint-Denis ?
», ou alors, au sujet de la ministre des sports Roxana
Maracineanu (ancienne championne de natation) :
« Elle a le cerveau abîmé par le chlore dans les
bassins. » La Solideo n’a pas souhaité nous préciser
si les responsables contestent avoir tenu ces propos.
Contactés séparément, les salariés en question ne nous
ont pas répondu.
En janvier 2019, un séminaire d’entreprise de trois
jours à Valmorel (Savoie) — étonnamment organisé
dans des chalets loués à la famille d’un des deux
CGefi (contrôleurs financiers) dépêchés par Bercy
pour veiller au bon fonctionnement de la structure —
crée un point de bascule au sein de la Solideo.
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Une partie des 50 salariés ayant participé au
déplacement reviennent à Paris stupéfiés par les
« blagues », qu’ils jugent déplacées, prononcées
par le responsable des relations institutionnelles de
la Solideo, Benoît Piguet, un fonctionnaire ayant
notamment travaillé dans le passé aux côtés de l’actuel
préfet de police de Paris Didier Lallement.
Deux membres de la Solideo saisissent alors le
directeur général exécutif de la Solideo, Nicolas
Ferrand, qui avait d’ailleurs prévenu ses équipes en
ces termes lors du recrutement de M. Piguet, en avril
2018 : « Benoît, il a un certain caractère. S’il prend
trop de place, n’hésitez pas à me le dire.» En ce mois
de janvier 2019, après le séminaire, M. Ferrand répond
aux deux salariés qu’il va « dire à Benoît de se calmer
».
Après une réunion du CSE (comité social et
économique, où siègent représentants du personnel et
direction), le directeur général réaffirme aussi, avec
son secrétaire général, en des termes très généraux,
qu’ils ne tolèrent aucun propos discriminatoires au
sein de l’établissement. Sollicité, Benoît Piguet n’a
pas retourné notre demande d’entretien. Également
interrogée sur la gestion de cet épisode, la Solideo n’a
pas répondu précisément.
L’établissement public nous a simplement indiqué,
sans entrer dans les détails, que « par le passe#,
certains des propos rapporte#s par Mediapart ont
de#ja# e#te# porte#s a# la connaissance de la
Direction ge#ne#rale ». À chaque fois, la Solideo
aurait fait « le choix de l’exemplarite# en informant,
pre#venant et sanctionnant ». Elle indique ainsi
avoir déjà prononcé, « dans le respect du droit des
salarie#s », des « sanctions disciplinaires » et «
rappels à l’ordre ». En 2018, la structure avait aussi
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renoncé à titulariser un agent du service informatique,
qui utilisait l’expression «niakoué » pour parler des
personnes originaires d’Asie de l’Est.
Site du futur village olympique, à Saint-Ouen, en février 2021. (JL)
Après le séminaire de Valmorel, l’atmosphère se
calme quelque peu en interne, selon plusieurs témoins.
La Solideo déménage aussi dans de nouveaux locaux,
dans lesquels tous les salariés ne se côtoient plus dans
le même open space. La Drics dispose désormais de
son propre espace. Ce qui diminue la propagation des
«blagues» imposées au collectif, « même s’il fallait
encore en supporter au moins une par semaine », selon
une salariée d’un autre service.
Avant cela, le sujet du déménagement, justement, avait
donné lieu à de nouvelles tensions en interne. Alors
que la possibilité d’un déplacement dans le 93 est
mise sur la table, un responsable lance, selon plusieurs
témoins : «On ne va pas aller en Seine-Saint-Denis.
Les femmes ne pourront pas rentrer le soir sans
prendre le risque de se faire violer.» L’établissement
public est, de fait, resté dans Paris et n’a pas franchi le
périphérique, contrairement au comité d’organisation
(Cojo), qui a fait le choix de s’installer à Saint-
Denis.
Le mépris à l’égard de la Seine-Saint-Denis atteint
des niveaux tels qu’il déteint parfois dans les prises
de position publiques. Comme le 15 octobre 2020,
quand le directeur général Nicolas Ferrand explique en
conférence de presse que si les travaux de l’échangeur
de l’A86, dans le quartier Pleyel, sont abandonnés,
« on a un sujet compliqué à traiter avec Paris 2024
». Cette infrastructure routière est attaquée en justice
par des riverains et l’association de parents d’élèves
FCPE 93 car elle ferait passer une bretelle d’autoroute
à quelques mètres d’un groupe scolaire de 700 élèves
(voir notre enquête).
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Devant les journalistes, M. Ferrand ajoute qu’il
faut distinguer un enjeu « d’efficacité », pour que
« l’athlète arrive à l’heure à sa compétition », et « un
enjeu de sécurité pour les délégations très exposées
(Américains, Israéliens), et donc il ne s’agit pas qu’on
ait un convoi qui soit arrêté à un feu rouge». Comme
si la protection des sportifs passait devant les besoins
des habitants, et comme si ces derniers étaient une
menace pour les athlètes. Effroi en interne : «Il y a un
effet de groupe entre quelques personnes, qui partent
du principe qu’en Seine-Saint-Denis il s’agit d’une
population à risques. Mais ils ne représentent pas
du tout ce que pensent les équipes opérationnelles»,
insiste un salarié.
Près de 80% des équipements pérennes des Jeux
de 2024 (piscine olympique, village des athlètes,
village des médias, échangeur routier, bassin
d’entraînement) sont programmés en Seine-Saint-
Denis. L’ « héritage » des JO dans l’un des
départements où les investissements publics ont le plus
manqué historiquement est à la fois une promesse
vis-à-vis des élus du département et un pilier de la
communication olympique.
Les relations entre les collectivités locales du 93 et
la Solideo sont donc régulières et sensibles. « Avec
eux, ça se passe très bien, c’est un acteur très proche
de nous », répond le département aux questions de
Mediapart à ce sujet. Ils se rencontrent tous les 15
jours en « comités de site ». Une fois par mois,
Nicolas Ferrand retrouve Stéphane Troussel, président
du département, et Mathieu Hanotin, maire de Saint-
Denis. Le maintien dans Paris intramuros des bureaux
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de la société chargée de la livraison d’ouvrages de
l’autre côté du périph’ n’a pas froissé l’exécutif
départemental.
Collage contre les destructions occasionnées par les JO de
2024, sous un abribus de Saint-Ouen, en novembre 2020. (JL)
Malgré son titre de directeur des relations
institutionnelles, Benoît Piguet ne participe pas à ces
réunions. Au point que lorsque le département a voulu
joindre en urgence la Solideo début avril, la justice
ayant suspendu le chantier du village des médias,
le cabinet de Stéphane Troussel ne connaissait pas le
numéro de portable du chef de la Drics.
Pourtant, les sujets sensibles à discuter entre acteurs
institutionnels ne manquent pas. Comme, par exemple,
le déplacement des 224 résidents d’un foyer de
travailleurs immigrés pour céder la place à un
bâtiment de services et de bureaux construit par
Eiffage et Nexity dans le futur village des athlètes.
Pour la Solideo, c’est Isabelle Vallentin, la numéro
2, qui a suivi les négociations au sein du comité
de pilotage mis en place pour organiser leur départ
vers des modulaires. Les habitants rencontrés par
Mediapart ont apprécié sa manière d’échanger avec
eux, malgré leur désaccord de fond avec les conditions
de leur déplacement.
Pour le département, le nœud de la relation avec la
société de livraison des jeux concerne l’« insertion
sociale » des chantiers. Une charte l’engage à signer
25% des marchés avec les très petites entreprises
(TPE) et PME du territoire, et à réserver 10% des
heures de travail aux habitants du 93 éloignés de
l’emploi. Fin février, sur 150 millions d’euros de
marchés déjà passés, 30% de l’objectif TPE-PME était
réalisé, selon nos informations. Et 9% de celui sur
l’insertion – pour un total de 398 contrats.
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Ces chiffres auraient-ils pu être supérieurs ?
La Solideo a-t-elle manqué de volontarisme ou
d’engagement ? Sollicité à ce sujet, le département
de la Seine-Saint-Denis considère que « les objectifs
sont dans les clous, et qu’il n’y a pas de retard. On
est plutôt dans une bonne dynamique ». Mais pour les
métiers de service (sécurité, restauration, nettoyage,
accueil…), la plupart des marchés restent à attribuer.
Nicolas Ferrand, directeur général de la Solideo, avait
l’habitude de commencer ses réunions par le décompte
du nombre de jours avant la date de livraison des
ouvrages. À la demande des collectivités, il a ajouté
le calcul du nombre d’emplois créés, pour valoriser la
prise en compte des enjeux sociaux pour le territoire
et soigner ses relations diplomatiques.
« Elle a couché pour y arriver »
Les habitants du 93 et les populations d’origine
étrangères ne sont pas les seules visées par certaines
personnes à l’intérieur de la Solideo. Des témoins
rapportent ainsi que le commissaire Jean-Marc Vidal,
en détachement pour s’occuper de la sécurité à la
Drics, aurait déclaré, en abordant en réunion le risque
de ZAD sur les chantiers des JOP, qu’il craignait
la mobilisation d’« écolo-djihadistes ». Sollicité par
Mediapart, le commissaire Vidal n’a pas souhaité
répondre en raison du déclenchement de l’enquête
interne.
Le 21 janvier 2020, selon d’autres témoignages et
un document écrit, un autre membre de la Drics
déclare au sujet de la directrice de la mission JOP de
l’intercommunalité Pleine Commune : « Elle a couché
pour y arriver.» D’une manière générale, les femmes
sont, dans leur dos, régulièrement traitées de « connes
» ou appelées « la petite ». Ce qui poussera même un
responsable du Cojo, dont les relations avec la Solideo
sont inflammables, à signaler à deux reprises à Nicolas
Ferrand le comportement de membres de la Drics à
l’égard d’une de ses salariées.
Les réunions avec le directeur des relations
institutionnelles de la Solideo sont en effet
parfois éprouvantes pour les jeunes femmes qui y
participent, selon plusieurs témoignages recueillis par
Mediapart. L’une d’entre elle, salariée d’une autre
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structureassociée au projet olympique, à un rang
hiérarchique inférieur à celui de M. Piguet, se souvient
d’un « call » où Benoît Piguet ignorait ses questions et
se comportait comme si elle n’était pas là.
À une autre occasion, c’est une collaboratrice
trentenaire qui devient la risée des hommes rassemblés
autour d’elle. Une femme décrit une scène où le chef
de la Drics hurle contre une collaboratrice dans un
couloir. Elle dit l’avoir entendu prononcer des paroles
à caractère sexiste ou misogyne à plusieurs reprises.
Au point d’avoir demandé, et obtenu, de ne plus se
retrouver en réunion avec Benoît Piguet. Un cadre
administratif d’une autre structure se souvient que ses
collaboratrices étaient mal à l’aise quand elle devait se
rendre à la Solideo.
En septembre et octobre 2019, sur une boucle
SMS interne à la Drics, des messages témoignent
de comportements en roue libre. Un premier SMS
comparant Brigitte Macron à une guenon—au moment
où le président brésilien d’extrême droite Jair
Bolsonaro insulte Mme Macron sur son physique—est
partagé aux sept personnes qui composent le groupe.
Image diffusée dans la boucle de messages de la Drics. © Document Mediapart
Un second message cible cette fois les populations
roms : il s’agit d’un montage photo, qui tourne depuis
des mois sur des sites d’extrême droite (voir ci-contre).
On y voit Leonarda Dibrani, jeune Kosovar de 15
ans expulsée du territoire avec sa famille sous la
présidence Hollande, en pleurs avec le commentaire
suivant: « Depuis qui y a grève SNCF plus possible
pick-pocket c’est misère ».
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Le commissaire Vidal, qui envoie le montage sur la
boucle SMS de la Drics, la commente de la manière
suivante : « Les pauvres », commentaire suivi de
quatre émoticônes « mort de rire ».
Un autre jour, Jean-Marc Vidal réveille cette fois ses
collègues de la Drics, un mercredi à 3h07, en leur
envoyant une photo d’une strip-teaseuse derrière des
verres d’alcool : « Pink Paradise [un club derrière
les Champs-Élysées — ndlr] avec mes collègues de
la BRP [Brigade de répression du proxénétisme —
ndlr]. On débriefera demain.» Ce message nocturne
est accompagné de trois émoticônes « clin d’œil ».
Quelques jours plus tard, le 28 octobre 2019, au
cours d’une réunion de la Drics, la directrice de la
communication entend les propos suivants, au sujet
de l’envoi d’une délégation olympique en Arabie
saoudite : « Moi j’ai très envie d’aller dans ce pays
pour y voir des salopes… des salopes voilées.» Un
second collègue de la Drics répond alors : « Ce sont
des salopes, c’est un pays super ! Et je te dis pas pour
les PD, le problème est réglé là-bas, ils restent pas PD
plus de 24 heures car après on les bute!» Un troisième
confirme : «Ça, c’est vrai.»
Ces éléments ont été consignés dès le lendemain dans
un rapport d’incident écrit par la directrice de la
communication, qui a depuis quitté ses fonctions et
n’a pas souhaité répondre à Mediapart. « Je tiens à
vous préciser que ce n’est pas la première fois que
des propos misogynes, racistes et homophobes sont
échangés au quotidien [...], créant un climat malsain
et de peur diffuse », décrit-elle dans son rapport, en
expliquant que ces « propos, attitudes, agissements
répétés illégaux [la] mettent mal à l’aise, dégradent les
conditions de travail et mettent en danger [s]on bien-
être au travail ainsi que celui des collaborateurs qui
n’osent pas en parler ».
Le 3 janvier 2020, le secrétaire général de la Solideo
lui répond, par mail, qu’il en a « parlé au DG avant les
vacances » : « Le sujet est suffisamment préoccupant
pour ne pas le taire, et pour caler un modus operandi
pour faire cesser ce qui n’a pas lieu d’être sur le lieu
de travail et qui ne doit pas être subi par les autres
salariés », explique le secrétaire général.
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Un mois plus tard, le 3 février 2020, le sujet des propos
et messages à caractère sexiste, raciste et homophobe
est, selon nos informations, discuté en réunion de
direction. À la suite de quoi le responsable de la Drics,
Benoît Piguet, est convoqué par le secrétaire général,
le vendredi 7 février.
Sur les berges du canal Saint-Denis, en novembre 2020. (JL)
Quelles ont été les conséquences formelles de cet
entretien ? La Solideo ne nous l’a pas dit. Il n’en reste
pas moins que l’établissement public n’a pas poussé
très loin ses investigations. Il n’a, par exemple, même
pas cherché à accéder à l’ensemble des messages
échangés sur la boucle de SMS de la Drics. Une source
informée estime que la direction de l’établissement «
n’a pas voulu faire de vagues », au regard notamment
de la nécessité de « se concentrer sur les objectif »,
alors que « nous sommes extrêmement contraints par
les délais » de construction des ouvrages olympiques.
Enterré, le dossier est néanmoins remonté à la surface
un an plus tard, lorsque le CSE ouvre une enquête pour
des soupçons de harcèlement sur la directrice de la
communication ayant rédigé le rapport. Dans le cadre
des auditions de l’enquête CSE, une autre salariée de
la Drics affirme à son tour avoir été témoin de «propos
jugés homophobes, dégradants, racistes à l’encontre
des salariés ou des partenaires », selon son compte-
rendu d’audition de novembre 2020. Sur ce point non
plus, la Solideo ne nous a pas dit quelles conséquences
elle en avait tirées.
En interne, les propos discriminatoires viennent
perturber des équipes déjà éreintées par l’ampleur de
la tâche. « Les équipes opérationnelles font un travail
remarquable, elles sont respectueuses et dévouées,
mais leur travail est sali par le comportement de
quelques-uns », dénonce un ancien salarié. Un autre
considère que ce qu’il s’est passé est le résultat
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de la crise de croissance de la Solideo, partie de
rien en 2017 (les premiers agents travaillaient avec
leurs ordinateurs personnels), et qui n’a ensuite
pas bénéficié d’un accompagnement spécifique. «
S’ajoute à cela une surcharge de travail inhérente à
ce type de projet. Côté opérationnel, les gens sont
éreintés, ce n’est pas possible », ajoute-t-il.
À l’automne 2020, les tensions internes de la Solideo
s’ébruitent. La situation dans laquelle se trouve
l’établissement public fait l’objet d’une attention
particulière à la Dijop (reprise par le préfet Michel
Cadot après la nomination de Jean Castex à Matignon),
mais aussi à la mairie de Paris. Dans ce jeu
institutionnel feutré, tout le monde réfléchit à la porte
de sortie la moins dommageable pour l’image des
Jeux. Ce qui aboutit à la situation suivante : personne
ne bouge.
À l’étage supérieur, Matignon indique à Mediapart
que Jean Castex — qui, en tant que Dijop, avait
des entretiens hebdomadaires avec Nicolas Ferrand
jusqu’à ce qu’il soit nommé chef du gouvernement
en juillet 2020 — « n’a jamais eu connaissance de
tels dysfonctionnements ni des actes et comportements
décrits par Mediapart ».
Ce qui n’est pas le cas de la mairie de Paris. Alerté
en octobre 2020, le cabinet d’Anne Hidalgo récupère
le rapport écrit de la directrice de la communication
début novembre. Sollicitée par Mediapart, la mairie
de Paris confirme avoir été saisie par deux canaux
différents et avoir reçu le rapport, mais explique
qu’elle ne pouvait pas aller plus loin, la Solideo n’étant
pas un organe municipal. « Nous n’avons pas reçu
de saisine formelle [de la personne ayant adressé
le rapport — ndlr], malgré nos relances », ajoute
la mairie, en insistant sur le fait qu’Anne Hidalgo,
présidente de la Solideo, n’a pas été personnellement
avisée de la situation par son cabinet. De l’art d’ouvrir
le parapluie au bon moment.
« Nous sommes un établissement public à durée
déterminée » : c’est ainsi que Benoît Piguet avait
décrit la Solideo à Mediapart, pendant un entretien en
mars 2019. « Cela n’existe nulle part ailleurs. On a
cette spécificité-là ». Créé en 2017, il disparaîtra en
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2025. En février 2021, lors d’une nouvelle rencontre,
il signale que la Solideo a déjà traversé plus de la
moitié de son existence. Une structure gouvernée par
les délais, tendue vers un seul objectif, sous les coups
de boutoir d’un compte à rebours infernal: livrer à
temps les ouvrages olympiques.
À partir de cet été, le rythme devrait encore
s’intensifier avec le démarrage des principaux
chantiers de construction des JO de 2024. Avec son lot
de tâches et de stress supplémentaires à encaisser pour
les salariés de cette entreprise commando.
Boite noire
Pour cet article, nous avons parlé à 21 personnes,
rencontrées physiquement ou jointes par téléphone,
parfois à plusieurs reprises. Presque toutes ont requis
l’anonymat, pour ne pas mettre en danger leur
poste, ou celui de collègues, ou ne pas interférer
avec l’organisation des Jeux. Plusieurs témoignages
recueillis sont adossés à des documents que nous
avons pu consulter.
Nous avons sollicité la Solideo le 6 avril, afin de lui
soumettre l’ensemble des informations recueillies au
cours de notre enquête. Conformément à sa demande,
nous lui avons adressé, le 12 avril, une liste de 24
questions précises. Nos questions portaient à la fois
sur le comportement de salariés (avec des questions
dédiées) et sur la réaction de l’établissement public
face aux dysfonctionnements internes.
La Solideo nous a répondu par écrit le 16 avril (réponse
à retrouver en intégralité sous l’onglet Prolonger).
L’établissement public ne nous a pas indiqué si
les salariés concernés contestaient nos informations.
Nous avons donc contacté individuellement plusieurs
d’entre eux pour recueillir leur version des faits.
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Chargé des questions de sécurité à la Solideo,
le commissaire Jean-Marc Vidal n’a pas répondu,
en raison de l’enquête interne diligentée. Le chef
de la Drics, Benoît Piguet, n’a pas retourné nos
sollicitations.
La mairie de Paris a pour sa part répondu à nos
questions par téléphone, jeudi 15 avril, le service de
communication du premier ministre par mail, vendredi
16 avril.
Le contrôleur général économique et financier (CGefi)
ayant loué les chalets de Valmorel ne nous a pas
répondu. Sa femme, qui s’occupe aussi de la location
des chalets, n’a pas souhaité répondre, quand nous
l’avons appelée.
Prolonger
Réponse de la Solideo à Mediapart (réponse
expurgée des points 3, 4 et 5, relatifs à des marchés
publics non abordés dans cette enquête) :
La Solideo, soucieuse de faire preuve de transparence,
a fait le choix de re#pondre a# ces questions en
respectant, d’une part, le droit des salarie#s mis en
cause a# faire valoir leurs explications dans le respect
des garanties du droit du travail et, d’autre part, au
regard des re#gles garantissant le secret des documents
internes.
Certaines questions e#tant pose#es en des termes
ge#ne#raux, la Solideo ne souhaite pas apporter
davantage de pre#cisions.
La Solideo entend qu’il soit acquis qu’elle ne laissera
pas ternir ni de#stabiliser son action et que, par
voie de conse#quence, elle re#serve ses droits dans
l’hypothe#se ou# son honneur et sa conside#ration
se trouveraient mis en cause par la publication
annonce#e.
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