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SANTÉ ANALYSE

Mortalité, variants : quels risques fait peser la fin de la politique zéro


Covid en Chine ?

La Chine a mis fin brutalement à sa politique zéro Covid, alors que sa couverture vaccinale est ancienne
et imparfaite. Selon des projections, plus d’un million de personnes pourraient périr. Le reste du monde
craint l’émergence de nouveaux variants et des pénuries de médicaments.

Caroline Coq-Chodorge
29 décembre 2022 à 20h23

L a Chine est en train de faire la preuve, dans une tragique expérience en vie réelle, de l’impasse de la stratégie
zéro Covid depuis l’émergence du variant Omicron, hyper-transmissible. Depuis trois ans, le pays de 1,4
milliard de personnes a imposé à sa population des privations de liberté sans précédent dans l’histoire moderne, se
targuant de sauver ainsi des vies humaines.

Confrontées à l’exaspération d’une population soumise à des confinements à répétition, des isolements forcés, un
dépistage massif et un traçage numérique, les autorités ont brutalement mis un terme à la politique zéro Covid,
début décembre.
Un homme se fait vacciner à Qingzhou, dans la province de Shandong en Chine, le 29 décembre. © STR / AFP

La politique de dépistage à grande échelle, qui servait d’outil de contrôle du virus et de la population, a pris fin. Les
Chinois sont désormais invités à se confiner volontairement en cas de symptômes, ce qui n’est plus suffisant pour
freiner le virus, puisqu’un grand nombre de personnes infectées ne présentent pas de symptômes et peuvent
transmettre avant qu’ils se manifestent.

L’opacité chinoise

Officiellement, au 6 décembre, la Chine n’avait enregistré que 350 000 cas de Covid et 5 235 morts. Depuis, plus rien
ne filtre, comme aux premiers temps de la pandémie début 2020. Avec beaucoup de diplomatie, Tedros Adhanom
Ghebreyesus, le directeur général de l’Organisation mondiale (OMS) de la santé, l’a regretté lors d’une conférence
de presse le 21 décembre : « Nous demandons à la Chine de partager leurs données […]. Nous avons besoin
d’informations détaillées sur la sévérité de la maladie, les admissions à l’hôpital et en unités de soins
intensifs. » Autrement dit, toutes ces informations manquent à l’OMS.

Comme le montrent les sites qui compilent les données internationales sur le Covid, la Chine n’en transmet plus
aucune.
Les données officielles sur le nombre de cas et de morts du Covid en Chine © Our world in data

Seulement, ces informations officielles sont en complète contradiction avec les images qui circulent sur les réseaux
sociaux d’hôpitaux débordés, où des patients âgés en détresse respiratoire engorgent les couloirs, installés à même
le sol. Des images de morgues encombrées de dépouilles fuitent également. La télévision centrale ne cache pas
cependant l’afflux dans les hôpitaux, comme dans ce reportage réalisé mardi à l’hôpital Xiehe de Pékin.

À rebours du reste du monde

La politique zéro Covid a un temps fonctionné dans des pays insulaires démocratiques – la Nouvelle-Zélande, le
Japon ou la Corée du Sud – et dans la dictature chinoise. Mais toutes les démocraties ont mis fin à cette politique,
début 2022, avec l’apparition du variant Omicron.

Le variant historique était contrôlable avec des mesures barrières et une stricte politique de test, de traçage et
d’isolement, car son taux de reproduction R0 était évalué à 2,5 : une personne contaminait en moyenne 2,5
personnes. « On pense que les premiers sous-variants d’Omicron étaient associés à des R0 de l’ordre de 8 à 10, et
certains ont évoqué des valeurs de 16, 18 ou même 20 pour les sous-variants d’Omicron circulant actuellement en
Chine », explique Antoine Flahault. Omicron est l’un des virus le plus transmissibles au monde, incontrôlable.

À l’exception de la Chine, tous les pays développés, qui ont une population vieillissante très sensible au virus, ont
adopté sensiblement la même politique : une large couverture vaccinale initiale, des rappels pour les plus fragiles,
et une immunité entretenue naturellement par un virus dont la circulation reste sous contrôle, avec l’aide de
mesures barrières plus ou moins appliquées.

Cet équilibre est précaire, oscillant entre l’impératif de santé publique de protéger la population la plus fragile,
notamment celle ne répondant pas à la vaccination, et l’aspiration légitime à un retour progressif à une vie
normale, sans privations de liberté. La situation est loin d’être parfaite, comme en France, où la population rechigne
à réadopter volontairement les gestes barrières lors des pics épidémiques.
Si la Chine revendique une couverture vaccinale de sa population à 90 %, c’est
seulement avec deux doses de vaccin chinois. Seulement 57 % de la population a
reçu les trois doses assurant une protection optimale.

Mais le prix de l’irrationalité face au virus revient sans conteste aux Chinois, dont les autorités ont fait des choix à
rebours du reste du monde. « Les résultats sanitaires étaient au rendez-vous jusqu’à la fin de l’été dernier, rappelle
l’épidémiologiste Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’université de Genève. La confiance de
la population s’est érodée lorsque la stratégie s’est avérée incapable d’endiguer les poussées incessantes des sous-
variants très transmissibles d’Omicron à partir de l’automne. De plus en plus de gens étaient mis en quarantaine, les
mesures devenaient brutales et liberticides. Les réseaux sociaux laissaient alors percer la colère mais aussi
l’épuisement de la population. Puis il y a eu en novembre les débordements de rue que l’on a vus, et le sentiment d’un
gouvernement qui ne tenait plus la barre, dépassé par une situation épidémique et sociale devenue explosive. »

Une couverture vaccinale large, mais incomplète et trop ancienne

Obnubilée par sa politique zéro Covid, qui a mobilisé toutes ses forces sanitaires et policières, la Chine a dans le
même temps négligé sa couverture vaccinale. Les vaccins Sinovac et Sinopharm ne sont pas inefficaces, comme
l’explique Antoine Flahault : « Les deux vaccins utilisés en Chine ont été très largement utilisés dans le monde. Même
si on ne dispose pas de la même qualité d’évaluation de leur efficacité que les vaccins occidentaux, une équipe de
l’université de Hong Kong a procédé l’an dernier à leur comparaison avec les vaccins à ARN messager. Il est apparu
assez clairement qu’avec seulement deux doses vaccinales les vaccins chinois étaient inférieurs aux vaccins
occidentaux ; en revanche, avec trois doses de vaccins chinois, leur efficacité était comparable. »

Or si la Chine revendique une couverture vaccinale de sa population à 90 %, c’est seulement avec deux doses de
vaccins chinois. Seulement 57 % de la population a reçu les trois doses assurant une protection optimale.

Et même lorsqu’ils ont reçu une troisième dose, celle-ci a « plus d’un an », a rappelé le 21 décembre le docteur
Michael Ryan, l’un des directeurs de l’OMS. Aujourd’hui, ces doses ne protégeraient qu’à « 50 % ou moins les plus de
60 ans. Ce n’est pas une protection adéquate pour une population âgée aussi importante que celle de la Chine ».

Selon Antoine Flahault, « le problème que rencontrent les cultures chinoises, tant à Taïwan, à Hong Kong ou en Chine
continentale, est en effet la faible vaccination des personnes âgées. Elles sont réticentes à se faire vacciner, préférant
recourir aux médecines traditionnelles, craignant les effets indésirables des vaccins. Le problème est accentué avec les
vaccins chinois vis-à-vis desquels elles n’ont pas confiance. Le faible recours à la médecine ambulatoire en Chine et la
faible proportion de personnes âgées institutionnalisées (en équivalent Ehpad) n’aident pas non plus à les atteindre
pour leur proposer la vaccination ».

Mi-décembre, trois chercheurs hongkongais ont pré-publié des modèles épidémiologiques de sortie de la politique
zéro Covid en Chine, qui servent aujourd’hui de repère à la communauté scientifique. Pour limiter le nombre de
morts, ils recommandent une 4e dose de vaccin administrée à au moins 85 % de la population, trente à soixante
jours avant une réouverture, des antiviraux distribués largement, en particulier le nirmatrelvir-ritonavir, les
molécules du Paxlovid du Pfizer, fabriquées par l’industrie chinoise, et des mesures de santé publique modérées. La
Chine n’a pas suivi ces recommandations et a finalement ouvert de manière précipitée.

Ce n’est que ce mardi 27 décembre que les autorités chinoises ont appelé « fortement à une augmentation des
vaccinations pour les personnes âgées afin de prévenir et de réduire l’incidence des maladies graves et des décès ».
Elles ont aussi assuré que les vaccins étaient disponibles. L’OMS estime de son côté que le recours à la vaccination
augmente très fortement en Chine actuellement. « La question reste de savoir si ces vaccinations seront suffisantes
pour l’impact de cette vague », selon l’OMS.
Quelle est la mortalité attendue en Chine ?

Les chercheurs hongkongais ont tenté de modéliser la mortalité attendue selon plusieurs scénarios. Le premier
prévoit une large vaccination, des antiviraux administrés à 60 % des personnes âgées infectées et des mesures de
santé publique graduées (du port du masque généralisé à la fermeture des écoles et des restaurants) maintenues.
Dans le pire des scénarios – sans vaccins, traitements et mesures barrières –, les chercheurs prévoient une
submersion du système de santé, jusqu’à trois à quatre fois ses capacités, et une mortalité cumulée jusqu’à 770
morts par million d’habitants. Rapportée à la population de 1,4 milliard d’habitants, la mortalité serait, dans ce
scénario du pire, de plus de 1 million de morts. Les chercheurs estiment que les mesures qu’ils préconisent
pourraient réduire la mortalité de 26 à 35 %.

Pour l’épidémiologiste Antoine Flahault, ces projections sont encore trop optimistes : « Ces projections basées sur la
transposition à la Chine de la mortalité observée à Hong Kong en mars dernier sont probablement “optimistes” si l’on
peut dire. Les États-Unis ont enregistré plus d’un million de morts avec une population de seulement 337 millions
d’habitants. La Chine avec une population de 1,4 milliard d’habitants pourrait malheureusement connaître des chiffres
plus élevés que les projections basées sur le scénario de Hong Kong. D’une part parce que la population chinoise âgée est
probablement encore moins triplement vaccinée que l’était celle de Hong Kong l’an dernier, d’autre part parce que le
niveau de vie et les infrastructures sanitaires sont beaucoup plus développés à Hong Kong que dans la plupart des
régions de la Chine. »

Quel risque fait peser cette flambée chinoise pour la santé mondiale ?

Le virus continue à circuler partout dans le monde, dans une population largement immunisée par la vaccination et
les infections à répétition. Le variant Omicron, le plus transmissible à ce jour, s’est démultiplié en de multiples
variants. Plus de cinq cents ont été dénombrés à ce jour. La crainte, comme à chaque flambée virale, est de voir
émerger un nouveau variant plus dangereux et plus transmissible, qui supplanterait les autres.

« Le dépistage aux frontières n’a jamais arrêté un virus. La seule justification du


dépistage, c’est le séquençage. »
Brigitte Autran, présidente du Covars

Pour se protéger face à cette éventualité, plusieurs pays ont pris des initiatives dispersées. Les États-Unis viennent
d’exiger un test négatif aux voyageurs chinois, comme le Japon et l’Inde. L’Italie, elle, a choisi de tester les voyageurs
chinois à leur arrivée sur le territoire. Selon les autorités sanitaires, près de la moitié des passagers de deux vols
originaires de Pékin à Shanghai étaient positifs au Covid ce mercredi. L’Italie séquence actuellement ces tests pour
déterminer s’il existe de nouveaux variants en provenance de Chine.

Ce choix italien pourrait s’imposer en Europe. Le président de la République française vient de demander au
gouvernement « des mesures adaptées de protection des Français ». Elles pourraient être décidées au niveau
européen : une première réunion s’est tenue ce jour, sans qu’une position commune émerge pour l’instant.

Ce jeudi matin sur France Inter, la présidente du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars),
l’immunologue Brigitte Autran, a expliqué que « le dépistage aux frontières n’a jamais arrêté un virus. Ceci n’a pas
d’intérêt si c’est décidé uniquement en France. Il faut que ce soit une décision européenne ». Elle a aussi expliqué que
les différents conseils scientifiques européens échangeaient eux aussi et convergeaient sur « un test systématique
de dépistage pour analyser le type de variants que portent les Chinois qui arrivent en France. C’est lourd, mais ce serait
la seule justification d’un dépistage ».
Pour Antoine Flahault, « connaître avec une meilleure précision quels variants entrent sur le territoire et en quelle
proportion est très important. Ces renseignements nous aideraient à mieux anticiper notre riposte ». Et la mesure ne
serait pas compliquée à mettre en œuvre : « Il s’agirait juste de demander un peu de salive à tous les voyageurs en
provenance de Chine et de séquencer systématiquement tous les virus identifiés. » 

Un risque de pénurie de médicaments essentiels

Un risque plus certain semble se dessiner : une pénurie de médicaments, en raison d’un besoin massif de la
population en Chine, qui reste l’un des premiers pays producteurs des substances actives, et qui pourrait se les
réserver. Les craintes portent sur le paracétamol, mais aussi les produits de sédation administrés aux patients en
réanimation, notamment les curares, qui ont manqué lors de la première vague de Covid.

Caroline Coq-Chodorge

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