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GENRE

Les écoles de musique cherchent leur voie dans l’accompagnement des


élèves trans
La transidentité interroge de plus en plus de professeurs d’enseignement artistique, soucieux
d’accompagner les élèves concernés. Les ressources pour y répondre manquent souvent.
Louise Morfouace (La lettre du Musicien)
12 février 2023 à 11h22

A lors qu’une circulaire pour une meilleure prise en compte de la transidentité au sein de l’Éducation nationale
a été publiée en septembre 2021, ces nouveaux enjeux se sont aussi frayé un chemin au sein des
conservatoires et des établissements d’enseignement artistique : « Durant mes études, il y a plus de trente ans, ces
questions-là n’existaient pas, témoigne Claire Duteurtre, professeure dans une école de musique du Loiret, dont l’un
des élèves, en classe de terminale, a entamé une transition. Même l’homosexualité se vivait cachée. »

Tandis que la parole se libère et que la transidentité et la non-binarité s’inscrivent dans l’horizon des possibles pour
un nombre grandissant de personnes, des étudiants et étudiantes sont moteurs pour faire émerger ces
questionnements.

Soit lorsque des élèves se tournent vers leurs professeurs pour demander à être genré·es ou appelé·es différemment,
soit lorsque la question devient un objet de discussions ou de réflexion au sein de la classe : « De manière générale,
nos étudiants et nos étudiantes sont très sensibles aux enjeux de société : ils travaillent avec les demandeurs d’asile, les
personnes sans domicile…, analyse Philippe Genet, directeur du Centre de formation des enseignants de la danse et
de la musique (Cefedem) d’Auvergne-Rhône-Alpes. Ils veulent trouver du sens dans leur pratique pédagogique. Nous
sentons un véritable engagement citoyen dans leur approche. »

© Conservatoire de Vichy Communauté

L’un des élèves de Claire Duteurtre, jusque-là genré au féminin, est venu lui demander, il y a quelques années
d’employer un prénom et un pronom masculin : « À la fin d’un cours, on a parlé de tolérance, raconte-t-elle. Je lui ai
dit que s’il avait besoin de discuter de sa situation, il pouvait s’adresser à moi. Plus tard, il est venu me demander de
témoigner lorsqu’il a fait les démarches pour changer d’état civil. » Si Claire Duteurtre, elle-même mère d’un enfant
trans, était sensible à la question, cette situation interroge plus largement l’attitude à adopter lorsque des élèves, en
particulier des enfants ou des adolescents, se confient sur leur vie personnelle : « L’école de musique représente un
autre milieu que la classe ou que la famille, analyse la professeure. Des enfants peuvent s’y sentir bien, même lorsque
ça ne va pas très bien ailleurs. »
Alors que le cours individuel constitue une modalité d’enseignement parfois remise en question, notamment
concernant les violences sexistes et sexuelles, celui-ci s’avère également être un lieu d’écoute, d’après Claire
Duteurtre. Elle souligne cependant la nécessité d’éviter toute attitude intrusive : « Pour moi, il faut envoyer aux
élèves le message suivant : “Ici, tu peux être toi-même. Si tu as besoin de parler je suis là”, mais sans en dire trop. »
« Lorsque j’ai commencé mon traitement, je n’ai trouvé aucun interlocuteur, témoigne Saul Juste, directeur et
fondateur de l’école de musiques actuelles The Hood. J’ai pris rendez-vous avec l’une des rares orthophonistes de la
voix chantée à Paris, qui a annulé parce que j’étais trans. Je croyais que j’allais peut-être devoir faire le deuil de ma
voix chantée. »

Avec un orthophoniste transgenre, Mathieu Meunier, Saul Juste a fondé un site lancé début 2023, VoixTrans. Celui-
ci propose une carte basée sur un système de recommandations et de parrainages de professeurs « Transfriendly »,
qui ne sont pas formés mais souhaitent se rendre attentifs à ces questions, sur le modèle de ce qui existe déjà dans
le domaine médical. D’autre part, le site propose des modules et ateliers pour ceux qui désirent se former à
l’accompagnement des élèves trans, avec à la clef, une certification : « Face à un élève trans, le but est d’aider la
personne à retrouver sa flexibilité vocale et à s’approprier une voix qui puisse être la sienne. Il ne s’agit pas de
féminiser ou de masculiniser une voix », précise Saul Juste, qui a été lui-même confronté à de nombreux préjugés à
propos de l’influence des hormones sur la voix.

« Beaucoup de professeurs évitent de prendre des élèves en cours de mue, même lorsqu’il ne s’agit pas de personnes
transgenres mais seulement d’adolescents, explique-t-il. Il existe en effet la croyance qu’il ne faudrait pas accompagner
la mue. Pourtant, c’est comme dire à quelqu’un d’arrêter de courir le temps de sa croissance. Mobiliser la bascule du
larynx, l’accepter, permet d’éviter, à terme, de verrouiller les aigus. » D’autant que, comme il le relève, il n’est pas rare
que les personnes trans abîment leur voix en forçant un registre qui ne correspond pas à leur tessiture.

Cours collectif de trombone dans les Landes en 2017. © Photo Simon Lambert / Haytham / REA

Saul Juste invite également les professeurs à se rendre attentifs au dispositif du binder (brassière compressive pour
réduire la poitrine), qui peut entraver le souffle durant les cours de chant : « Il ne s’agit pas de poser frontalement la
question à son élève, mais d’avoir en tête cette possibilité pour éventuellement adapter sa pédagogie. »

Nouveau langage, nouveaux espaces


Si Saul Juste considère que « le cours est un espace de cours », et que le temps d’accueil doit rester « en dehors, pour
ne pas tout mélanger », il souligne néanmoins que l’un des principaux enjeux reste la manière de genrer les élèves
trans. « De petits mots, de petites phrases, peuvent être très blessants sans qu’on ne s’en rende compte. »

Le professeur conseille aux enseignant·es de se présenter en indiquant leurs pronoms, pour s’inclure dans la
démarche, et de se corriger lorsqu’ils mégenrent un élève : « Les cours en collectif représentent peut-être les
situations les plus compliquées. Ce n’est pas facile d’adopter les tournures de phrases neutres. Commencer par se
corriger et par se présenter en donnant son prénom, c’est déjà super. » S’il poursuit ses recherches de formations dans
le domaine, celles-ci sont demeurées pour le moment infructueuses.

Au Cefedem d’Auvergne-Rhône-Alpes, une charte sur l’écriture inclusive a été rédigée en 2018, mais Philippe Genet
a aussi été confronté à cette question, vis-à-vis de deux élèves non binaires : « J’aurais besoin de personnes
référentes, comme nous en avons sur les discriminations, pour adopter le mode de communication le plus adapté. Il ne
suffit pas d’être de bonne volonté : il faut des gens avec une véritable expertise sur ces questions. »

Malgré les difficultés dans l’emploi du neutre, l’expérience de Philippe Genet au Cefedem montre que cette
démarche permet d’ouvrir un horizon de réflexion plus large sur la manière dont les étudiant·es peuvent
s’approprier le lieu d’enseignement : « Par essence, les Cefedem ont un fonctionnement plus horizontal que d’autres
structures. Mais le fait aussi de créer des espaces, des temps de discussion de ces sujets, de prendre part aux décisions,
a un effet d’entraînement : les étudiantes et les étudiants jouent le jeu, et plus on avance avec eux, plus le
fonctionnement de l’établissement est horizontal », conclut-il.
Louise Morfouace (La lettre du Musicien)

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