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La violence a été définie par Mme Kriegel (La violence à la Télévision, Rapport public) comme « la
force déréglée qui porte atteinte à l’intégrité physique ou psychique pour mettre en cause dans un
but de domination ou de destruction l’humanité de l’individu ».
Le mot « violence » vient du latin vis qui désigne la force sans égard quant à la légitimité de son
usage. Ainsi entendue, elle est opposée à un usage contrôlé, légitime et mesuré de la force. La
force ne serait donc pas violence dans certains cas.
L’atteinte portée à l’intégrité physique et/ou psychique dans un but de domination ou d’annihila-
tion de l’individu dans son humanité n’est pas chose nouvelle, c’est même une constante dans
l’histoire de l’Humanité.
L’homme est un loup pour l’homme, autrement dit l’homme est son pire ennemi. Cette locution,
inventée par Plaute et reprise, entre autre par Erasme, Rabelais, F. Bacon, Hobbes, Schopenhauer
ou encore Freud porte, en philosophie, sur une vision pessimiste de la nature humaine : l’homme
n’est pas le « bon sauvage » de Rousseau mais bien un loup pour lui-même, c’est-à-dire un être
mauvais, pervers, porté à réaliser ses propres intérêts au détriment des autres. Une autre visions
voudrait, comme Sénèque le pensait, que « Homo, sacra res homini » (Lettres à Lucilius, XCV, ).
La différence notable que l’on peut constater entre passé et présent c’est que la violence, instru-
ment de domination hier est devenu aujourd’hui compagnon de tous les jours contre lequel il est
difficile de se défaire tant il est prégnant et banalisé.
En effet, et c’est le cœur même de la problématique qui est posée, la violence n’a pas changé de
forme ni même de degré : sur la question de son intensité elle a été, reste et sera toujours inquali-
fiable et inacceptable car elle est, et demeure, une atteinte à l’intégrité de l’autre, voir à son exis-
tence même.
La violence a une autre nature aujourd’hui, elle est plus diffuse, constante. Elle est de tous les ins-
tants. Pour caricaturer, si la violence était un fait exceptionnel, on pourrait accepter que le prési-
dent d’une grande nation en attaque une autre au titre de la guerre préventive ; certes ce serait
bien malheureux et l’on plaindrait le sort des victimes, mais on se dirait qu’après tout cela n’arrive
pas si souvent que l’on puisse s’en inquiéter.
La violence, donc, n’est pas aujourd’hui exceptionnelle. Elle est quotidienne et au surplus présen-
tée dans les médias de façon si banale qu’on ne s’étonne même plus de la proximité d’un reportage
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sur le conflit en Afghanistan et la création d’un nouveau carburant (alimentant peut-être dans le
futur le conflit précité).
Si l’on peut définir le mot « exception » comme s’appliquant à quelque chose qui est hors norme,
non normalisé, qui ne se produit qu’exceptionnellement, on voit mal comment l’on pourrait l’acco-
ler, sinon le l’assimiler avec le mot quotidien qui peut être compris comme étant courant, fré-
quent, habituel, journalier, qui se répète donc au moins une fois par jour.
Y a-t-il un paradoxe à formuler une question qui comprend deux termes antinomiques ou n’est-ce
pas là l’occasion de redéfinir l’un au moins de ces termes pour pouvoir expliquer l’ensemble de la
question ?
Il semble évident que la violence au quotidien n’est en aucune façon exceptionnelle et qu’elle tend
à se banaliser. C’est pourquoi il faut redéfinir le mot « violence » (I) pour pouvoir en dresser une
typologie qui permettra de mesurer l’intensité de cette violence.
lative aux Roms pendant les mois d’août et septembre en sont une très éclairante démons-
tration.
Il n’en reste pas moins qu’on en est pas à l’heure actuelle à la raison et que, parce que cela paraît
normal aujourd’hui, selon les points de vue, les multiples formes de violence connues peuvent être
légitimes ou non, « bonnes » ou « mauvaises » : on pourra ainsi justifier une contrainte étatique
comme nécessaire face au crime, inversement on pourra justifier la « violence révolutionnaire »
(W. Benjamin, èses sur le concept d’histoire) des opprimés contre l’État considéré par Marx et
Engels comme le « bras armé de la bourgeoisie », ou encore contre la violence structurelle et sym-
bolique (racisme institutionnel justifiant la création de milices selon les Blacks Panther).
Dans la sphère privée, certains justifieront la violence comme moyen légitime d’exercer une auto-
rité (fessée pour les enfants, violence conjugale ou violence contre les femmes et l’on tentera de
justifier la violence en distinguant différents seuils : une gifle oui, la bastonnade non) ; d’autres
critiqueront au contraire ces comportements comme sexistes ou autoritaires, conduisant à terrori-
ser les sujets afin de les contraindre à la soumission. La définition même de ce qui constitue une
violence, a fortiori une violence « légitime », fait ainsi l’objet de débats politiques et philosophi-
ques, de transcriptions dans la loi avec les incriminations de harcèlement et de violences conjuga-
les.
Nous avons utilisé le terme « normal » un certain nombre de fois dans cette première partie tant
pour signifier que la violence n’est pas un mode normal de comportement et qu’il est paradoxale-
ment un mode devenu commun de communication : publicités, films, rapports politiques, vie en
société (transports en commun, périodes de soldes ou de braderie, p. ex.) dans lesquels l’on cons-
tate que les rapports entre individus sont devenus virils, pour ne pas dire tendus.
Ces rapports permettent de déterminer dans quelle mesure les modes de violence appliqués au
quotidien ont changé d’intensité ou de mode opératoire.
/ L’État
Selon la définition de Max Weber dans Le Savant et le politique (), « l’État revendique le mo-
nopole de la violence légitime ». Cette définition très forte au sortir du premier conflit mondial (
millions de morts) souligne qu’historiquement l’État moderne s’est construit en défaisant les au-
tres groupes (féodaux, en l’occurrence) du droit d’utiliser la violence pour leur propre compte (de
se faire justice à eux-mêmes, principe de rétribution). A contrario cela indique aussi que ce mono-
pole peut être contesté et revendiqué à nouveau par ceux à qui l’État l’a pris au motif que ce der-
nier n’est pas ou plus en mesure de remplir sa fonction de justicier. Les États-Unis connaissent
régulièrement des problèmes avec certains groupuscules antiétatiques, des milices violentes. La
France a connu ses périodes de Fronde, de Révolution, de « coups d’État permanents » (arrivée du
général de Gaulle au pouvoir salué par son adversaire le plus célèbre, François Mitterrand, usant
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de ce bon mot pour critiquer l’accession du général au pouvoir et, selon lui, son goût prononcé
pour l’exercice autoritaire de ce même pouvoir).
Michel Onfray repose le problème des violences structurelles et des injustices économiques (préca-
rité, pauvreté, inégalité, non répartition des richesses) dans Deux violences : « On aurait tort de
braquer le projecteur sur les seules violences individuelles alors que tous les jours la violence des
acteurs du système libéral fabrique les situations délétères dans lesquelles s’engouffrent ceux qui,
perdus, sacrifiés, sans foi ni loi, sans éthique, sans valeurs, exposés aux rudesse d’une machine so-
ciale qui les broie, se contentent de reproduire, à leur degré, dans leur monde, les exactions de
ceux qui (les) gouvernent et demeurent dans l’impunité. Si les violences dites légitimes cessaient,
on pourrait enfin envisager la réduction des violences dites illégitimes. »
/ Les individus
La violence dans les relations interpersonnelles (patron/salarié, parents/enfants, amis, collègues)
est un phénomène qui se manifeste sous de multiples formes : abus de pouvoir, agressions physi-
ques, intimidations verbales, menaces voilées, insultes, humiliations, etc.
Ces violences sont en relation d’inférence avec les violences globales (institutionnelles, structurel-
les, systémiques) et en sont donc parfois liées plus ou moins directement, et parfois aussi sont de
réels échos (feed-back, rétroaction ou retour selon la terminologie sociologique) de la violence glo-
bale. Ce que fait la main droite, la main gauche ne peut l’ignorer. Les violences interpersonnelles
sont finalement les plus courantes, les plus quotidiennes et concernent les relations conjugales,
parentales, sexistes, urbaines, scolaires, professionnelles...
La sur-socialisation est, pour Kaczynski est la pire des choses, la pire des violences qu’un être hu-
main peut infliger à un autre être humain. « La pensée et le comportement d’une personne sur-
socialisée sont bien plus aliénées que celles d’une personne modérément socialisée. La personne
sur-socialisée ne peut même pas avoir une expérience, sans culpabilité, de pensées ou sentiments
qui soient contraires à la morale en place [...] ».
La violence froide, que l’on oppose à la violence agressive consiste à contraindre directement ou
par personne interposée autrui à entrer et demeurer dans une situation de souffrance (séquestra-
tion, déportation, extermination). Elle peut être retournée contre soi-même par une personne qui
décide de ne pas tenir compte de tous ses besoins dans ses actions et d’accepter des tâches qui
l’écrasent.
C / Typologie fondée sur les explications/justifications que l’on peut donner des violences
L’usage de la force peut être légitimé. Ainsi, la légitime défense est invoquée quand une victime de
violence se défend par la force. Ainsi, un groupe humain, (ethnie, classe sociale, membre d’une
religion) peut agir violemment lorsqu’une idéologie, une foi ou une autorité le justifie. Pourtant,
l’usage de la force peut ne pas être légitime et alors des causes psychiques internes sont juridique-
ment invocables pour décharger de sa responsabilité l’auteur des violences.
Les violences d’État sont pratiquées, discrètement ou avec revendication selon la définition de Max
Weber précitée pour exécuter les décisions de justice, assurer l’ordre public. En cas de guerre ou de
risque de guerre on peut tenter de légitimer la violence par les concepts de « guerre préventive »
ou de « guerre juste ».
Les violences criminelles, spontanées ou organisées, peuvent avoir différentes causes, sociale, éco-
nomique, psychologique. Ce type de violence, selon certains auteurs, est l’envers de la violence
étatique et/ou symbolique.
Les violences entre personnes sont des comportements de domination ou d’asservissement em-
ployant la force, physique, verbale ou psychologique, pouvant être conscients ou non.
La violence politique regroupe tous les actes violents que leurs auteurs légitiment au nom d’un ob-
jectif politique (révolution, résistance à l’oppression, « juste cause », tyrannicide...). Certaines
formes de réponse violence mais proportionnées (de rétablissement de l’État de droit, p. ex.)
quand les autres solutions ne sont plus possibles sont couramment admises par la morale et le
droit selon la doctrine des « droits de l’homme » (légitime défense, état de nécessité, résistance à
l’oppression).
La violence symbolique, selon Bourdieu, désigne plusieurs sortes de violences : verbale (avant un
éventuel passage à l’acte physique) ou invisible, institutionnelle ; c’est aussi la violence structurelle
(selon Johan Galtung) face à laquelle les individus semblent impuissants. La violence symbolique
désigne en fait plusieurs phénomènes différents qui favorisent la domination d’un groupe sur un
autre et la stigmatisation de populations, stigmatisations pouvant aller jusqu’à la création de «
boucs émissaires » (les Juifs, les Roms...).
La violence économique est maintenant considérée par certains juristes comme une forme nouvelle
du vice traditionnel de la violence (Audrey Huigens, La violence économique). Dans un contexte
économique de mondialisation et de dérèglementation, de nombreux individus, notamment ceux
qui sont victimes des crises ponctuelles et conjoncturelles (les salariés dont l’outil de travail est
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délocalisé, les victimes des subprimes), de la corruption, de la pollution et de ses séquelles (épui-
sement des ressources naturelles, mesurages, cf. les manifestations de la faim en Afrique), subissent
la « main invisible du marché » comme une violence d’autant plus injuste qu’elle semble ne venir
de nulle part et de partout à la fois. Cass. civ. re, avr. , juge sur le fondement de l’article
c. civ. que « l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour
tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne peut
vicier de violence son consentement ».
La violence écologique, résultant des impacts des activités humaines semble désormais susceptible
d’avoir une importance égale à ceux des grandes forces géologiques. Les conséquences du dérè-
glement climatique et de la crise écologique font violence à ceux qui la subissent le plus et qui en
sont le moins souvent responsables : les pauvres. Pour autant, la société du tout consommation
vers laquelle nous nous dirigeons et qui permet dans tous les cas d’acquérir des biens par le biais
du crédit à la consommation participe de cette violence écologique. Cette question est corrélée
avec celle de la violence naturelle, celle des forces de la nature, (tempêtes, inondations, tremble-
ments de terre, incendies de forêt et autres catastrophes naturelles) même si l’on a pas encore une
vue précise des forces en jeu.
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En conclusion, les définitions relatives à la violence, multiples et parfois contradictoires, conti-
nuent d’évoluer. À l’heure des nanotechnologies des questions éthiques nouvelles sont posées et
non encore résolues. Que donner comme réponse à l’apparition récente des armes de destruction
massives (atomiques, biologiques, chimiques) et de leur utilisation plausible (ou probable) par des
groupuscules extrémistes, dans un contexte où les inégalités économiques, sociales et écologiques
croissent et sont de plus en plus criantes et alors même que se développent rapidement de nou-
veaux moyens de manipuler, contrôler l’information et de surveillance des individus et popula-
tions. Ces question pour l’avenir n’auront de cesse de monopoliser l’attention des décideurs in-
quiets des dérives que peuvent provoquer les violences, qu’elles soient légitimes ou non.