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UE PR00902V

Dalila TEIXEIRA MELO


21005197

Étude comparée des discours présidentiels des Chefs d’État


Anibal Cavaco Silva et Marcelo Rebelo de Sousa
lors des Sessions Solennelles Commémoratives du 25 Avril 1974
à l'Assemblée de la République

Chaque année, depuis 19771, se tient dans le Palais de São Bento, lieu de l'Assemblée
Nationale de la République, une session extraordinaire commémorative du 25 Avril 1974, date
clé de l'Histoire contemporaine portugaise. Lors de cette cérémonie officielle, les différents
représentants des groupes parlementaires, le président de l'Assemblée, ainsi que le président
de la République qui clôture la session, prononcent chacun un discours solennel à vocation à
la fois symbolique et politique.
Cette commémoration nationale a divers objectifs. Le point culminant reste avant tout
la célébration de la Révolution des Œillets qui a mis fin à la dictature corporative salazariste
instaurée au Portugal depuis 1926. C'est en effet le 25 Avril 1974 que, mû par la volonté de
changer leur société alors profondément ancrée dans une crise économique et sociale et
plongée dans des guerres coloniales interminables, le peuple portugais mené par les Forces
armés, et notamment les Capitaines d'Avril 2, a organisé un Coup d’État qui a mené le pays
vers la démocratie. Depuis la consolidation du gouvernement démocratique suite aux
élections de 1976, chaque séance anniversaire est également l'occasion pour les dirigeants en
place de rassembler les portugais autour de l'esprit d'Avril et par la même de fortifier la
mémoire collective et de consolider la démocratie. De plus, très commenté et critiqué, cet

1 Sauf rares exceptions : 1983, 1992, 1977 et 2013. Cf. Marc Gruas, « 40 ans de discours présidentiels
commémoratifs du 25 Avril 1974 ou l'esthétisation officielle des Oeillets », in acte de la journée d'étude
« Esthétisation d'un coup d'Etat : la Révolution des Oeillets dans le regard de l'autre », Montpellier, décembre
2014. Disponible sur : http://www.univ-montp3.fr/llacs/wp-content/uploads/40-ans-de-discours-comm
%C3%A9moratifs-du-25-avril-19741.pdf, consulté le 15/01/2018.
2 Jeunes officiers militaires faisant partie du MFA (Movimento das Forças Armadas) qui ont mené les forces
révolutionnaires durant le Coup d’État.

1
événement est passé au crible par les corps institués, la presse, mais également l'ensemble de
la communauté portugaise qui peut suivre le discours solennel du président de la République à
l'Assemblée via la télévision et internet.
Il est ici important de notifier le rôle du président de la République au sein de la
démocratie portugaise. En effet, le système gouvernemental portugais est un régime semi-
présidentiel dans lequel le président est élu au suffrage universel direct et le pouvoir exécutif
est détenu par le Premier ministre qu'il lui incombe de nommer. Ainsi, bien que le président
de la République soit à la tête de l’État, le chef du gouvernement est en réalité son Premier
ministre qui dirige ainsi le Conseil des Ministres. Ce dernier est d'ailleurs généralement le
leader du parti ayant obtenu la majorité au Parlement suite aux élections législatives. Ce
rééquilibre des pouvoirs, révisé par la Constitution de 1982, fait du président le légitime
représentant du peuple, alors que le Premier ministre est lui responsable de la conduite et de la
coordination du pouvoir exécutif3. Néanmoins, cette division des pouvoirs diffère d'une
république parlementaire dans laquelle le Chef de l’État n'est qu'une figure protocolaire. En
effet, le président de la République portugaise conserve certaines prérogatives comme la
dissolution de l'Assemblée ou le droit de veto, ce qui lui garantit un droit d'intervention.
Ainsi, le discours du 25 Avril fait partie des attributions officielles du président de la
République, et même si le Premier ministre est présent dans l'assistance, seul le chef de l’État
dans sa qualité d'élu du peuple, est habilité à prononcer un discours devant l'Assemblée :
« Le 25 Avril, dans l'enceinte de la République, les messages des élus du peuple prévalent
sur les prérogatives constitutionnelles du Premier ministre. Seuls les élus du peuple ont le
droit à la parole – c'est un peu comme dans la chanson emblématique du avril « Grândola,
Vila Morena » : « o povo é quem mais ordena. »4

Cette séance parlementaire inédite lors de laquelle le président prend la parole est donc
un moment où les différents présidents de la République ont incarné pleinement leur fonction
présidentielle. Mais malgré la ritualisation imposée de cette commémoration, ces discours
subissent inévitablement une instrumentalisation politique. En effet, les interventions
présidentielles sont certes faites lors d'une situation de communication particulière, elles n'en
restent pas moins avant tout politiques et dans ce sens, sont fortement structurées et
esthétisées dans le but de défendre leurs convictions politiques face aux opposants, et bien
évidemment d'influencer l'opinion publique et de convaincre les citoyens.

3 En France, le Président de la République et le Premier ministre sont conjointement à la tête de l'exécutif


puisqu'il s'agit d'un régime bicéphale. Toutefois, étant donné que le président choisit lui-même chaque
membre de son gouvernement, c'est bel et bien lui qui détient le pouvoir exécutif au détriment de son Premier
ministre, qui n'a de ce fait que très peu de poids, exception faite des périodes de cohabitation.
4 Marc Gruas, art. cité, p. 5-6.

2
Paulo José Canelas Rapaz dans son article « Le Président de la République Portugaise,
un pouvoir « neutre » ? », explique ainsi : « au fur et à mesure que cette révolution s’éloigne
dans le temps, les références à son orientation politique s’effacent »5. En effet, cet événement
constitutif de la démocratie et de l'identité portugaise est avant tout un témoignage
exceptionnel qui retrace la réalité politique et sociale de leur époque. Pour les présidents
successifs, l'anniversaire du 25 Avril est donc un espace propice aux commentaires, aux
réflexions et autres recommandations, mais seulement si exploité au moyen d'une construction
argumentative forte qui passe inévitablement par une esthétisation et une mise en scène
persuasive. En effet, comme nous venons de l'expliquer, le président de la République
portugaise n'exerce au sein du Parlement qu'une magistrature d'influence indépendante et
efficiente6. Dans ces cas-là, comme Patrick Charaudeau l’explique dans son article « Quand
l'argumentation n'est que visée persuasive. L'exemple du discours politique », « le sujet n'est
pas en position d'autorité absolu vis-à-vis de son interlocuteur et ne peut se permettre de
l'obliger à exécuter un ordre ou à penser dans une certaine direction »7. Il ajoute également
que les enjeux communicationnels d'un tel discours parlementaire sont doubles puisqu'il s'agit
à la fois pour le sujet actant, ici le président de la République, de persuader le corps élu
présent dans l’hémicycle et issu de partis opposés, ainsi que d'être capable de toucher le plus
grand nombre de citoyens.
Dans cette étude nous proposons d’analyser deux discours, ceux des 41 e8 et 42e9
commémorations du 25 Avril. Le premier, qui date du 25 avril 2015, est celui de Anibal
Cavaco Silva10, 4e président de la IIIe République. Le second a été fait le 25 avril 2016 par son
successeur et actuel président, Marcelo Rebelo de Sousa11. C'est donc à partir de ce corpus
5 Paulo José Canelas Rapaz, « Le Président de la République Portugaise, un pouvoir « neutre » ? » [en ligne],
p. 8. Disponible sur : http://www.droitconstitutionnel.org/congresParis/comC6/CanelasTXT.pdf , consulté le
19/01/2018.
6 Id. ibid.
7 Patrick Charaudeau, « Quand l'argumentation n'est que visée persuasive. L'exemple du discours politique »,
in Burger M. et Martel G., Argumentation et communication dans les médias, Coll. « Langue et pratiques
discursives », Éditions Nota Bene, Québec, 2005, p. 25. Disponible sur : http://www.patrick-
charaudeau.com/Quand-l-argumentation-n-est-que.html , consulté le 17/01/2018.
8 « Discurso do Presidente da República na Sessão Comemorativa do 41° Aniversário do 25 de Abril » [en
ligne], Assembleia da República, 25 avril 2015, disponible sur :
http://anibalcavacosilva.arquivo.presidencia.pt/?idc=22&idi=91974, consulté le 19/01/2018.
9 « Discurso do Presidente da República na Sessão Comemorativa do 42° Aniversário do 25 de Abril » [en
ligne], Assembleia da República, 25 avril 2016, disponible sur : http://www.presidencia.pt/?
idc=21&idi=105626, consulté le 19/01/2018.
10 Économiste de carrière mais également auteur de divers ouvrages sur la politique et l'économie, Cavaco Silva
a passé vingt au pouvoir au Portugal, d'abord comme Premier ministre puis comme Président. Il s'est lancé
dans la politique en 1980 en tant que Ministre des Finances sous le ministère de Francisco Sá Carneiro. Dès
1985, il devient le président du PSD, puis Premier ministre. En 1995, suite à la victoire du PS aux
législatives, il décide de se présenter aux présidentielles qu'il perdra face à Jorge Sampaio. Il se représentera
dix ans plus tard en 2005, et sera élu dès le premier tour avec une très large majorité.
11 Jusqu'à son investiture à la présidence en 2016, Marcelo, comme il est communément nommé, a exercé

3
que nous allons présenter une lecture comparative selon une approche pluridimensionnelle de
l'analyse de discours en nous fondant sur différents niveaux de description (syntaxe, lexique,
thématique, argumentation) et ce afin de démontrer les ressemblances et les divergences en ce
qui concerne les idées et intentions portées par ces discours.
Nous avons débuté notre analyse discursive dans une perspective linguistique afin de
dégager les grandes tendances dans les choix lexicaux et syntaxiques de chacun des orateurs.
Pour ce faire, nous avons eu recours au logiciel d'analyse textuelle Iramuteq qui, pour chaque
discours a généré une liste des termes les plus fréquents, en prenant en compte leurs
occurrences et variations. A partir des statistiques recueillis, nous avons généré un nuage de
mots que nous vous présentons ci-dessous et que nous détaillerons au fil de notre étude :

Discours de Anibal Cavaco Silva en 2015 Discours de Marcelo Rebelo de Sousa en 2016

A l'occasion de la commémoration du 25 Avril, les conditions de production de ces


discours à la thématique particulière ont impacté la manière dont les deux présidents ont
appréhendé cette conférence et conditionner leurs propos. Cet épisode historique qui a
instigué la IIIe République est un moment riche en émotion, porteur d'un idéal démocratique.
Chaque discours prononcé en cette occasion doit être dépositaire de l'esprit d'Avril. Ainsi, au

plusieurs fonctions, journaliste, avocat mais surtout professeur de droit à l'Université de Lisbonne. Son père
avait été plusieurs fois ministre sous le gouvernement de Marcelo Caetano. Il débute sa carrière politique
dans les années 70 pour le PDP, et participe à la rédaction de la Constitution de 1976. En 1981, il est nommé
secrétaire d’État dans le gouvernement de Francisco Balsemão. Il deviendra également Ministre des Affaires
Parlementaires mais n'exercera que jusqu'en 1983. Durant les années 90, il s'illustre comme commentateur
politique. De 1996 à 99, il sera à son tour président du PSD. En 2016, il devient le 5 e président de la IIIe
République portugaise.

4
fil de leur développement, les présidents ont ainsi dû utiliser un vocabulaire balisé, presque
imposé, avec des mots clés relatifs au 25 Avril, mais également adopté une organisation
argumentative propre à ce type de discours d'influence. Dans les deux textes, nous retrouvons
donc des références à la Révolution des Œillets sous de nombreuses formes. Si Marcelo utilise
le plus souvent la date complète « 25 de Abril de 1974 », Cavaco Silva ne prononce quant à
lui jamais « 1974 », lui préférant « 25 de Abril » ou plus simplement « Abril ».
Patrick Charaudeau explique ainsi que « le recours à l'histoire et au passé d'un peuple
sera valorisé lorsqu'il s'agit de défendre les valeurs de souveraineté »12. La remémoration du
passé occupe une place prépondérante dans le discours de Marcelo. Le président précise
d'ailleurs l'importance capitale du 25 Avril qui a permis le retour d'un régime démocratique
stable et pérenne : « Il est injuste de nier tout ce que nous devons au 25 avril 1974 »13. Dès les
premières lignes, il cite les fameux « Capitães de Abril » et leur mouvement militaire qui a
conduit à la « Revolução ». Fait notable, ces deux dernières expressions sont absentes du
discours du président Cavaco Silva. Ce dernier renvoie tout de même aux nombreux « héros »
du 25 Avril, même si, d'après ses dires, le peuple portugais reste le plus grand protagoniste14.
Autre terme connexe de la Révolution du 25 Avril, l'œillet, cette fleur symbolique qui
a donné son nom à la Revolução dos Cravos, est employé par le président Marcelo, qui ce
jour-là, est d'ailleurs entré dans l’hémicycle de l'Assemblée avec un œillet rouge à la main, au
lieu de le placer dans la poche avant du costume comme les élus de gauche ont coutume de le
faire. Cet acte traduit un geste centriste de la part d'un président issu de la droite qui n'avait
lui-même jusqu'alors jamais porté l'œillet en ce jour de commémoration. Il en va de même
pour Cavaco Silva, l'unique président de la III e République à n'être jamais apparu à la
cérémonie avec la fleur symbole de la Révolution d'Avril. Dans son cas, il est même de
notoriété publique qu'il manque d'appétence pour cet événement. D'ailleurs, lors du dernier
discours de l'actuel Président Marcelo en 2017, l'ancien président n'était pas dans les tribunes,
alors que d'autres, et notamment les Capitaines d'Avril, absents tout au long du mandat du
Premier ministre Passos Coelho, sont eux revenus au sein de l'Assemblée dès 2016.
Outre cette date cruciale, Marcelo mentionne également d'autres moments forts de la
IIIe République portugaise : la promulgation de la Constitution du 2 avril 1976 ; la tentative
avortée de contre Coup d’État du 25 novembre 1976 ; les révisions de Constitution de 1982,
1989 et 1997 ; la candidature du Portugal décidée en 1977 et son adhésion en 1985. Cet
énumération de date clés, qui sont autant de références absolues à la vie politique portugaise
12 Patrick Charaudeau, art. cité, p. 34.
13 « É injusto negar o que todos devemos ao 25 de Abril de 1974 », l. 65, cf. note 8.
14 « O 25 de Abril tem vários heróis – e o maior de todos é o povo português. », l. 9, cf. note 9.

5
post-dictatoriale, permet au président d'installer une comparaison irréfutable quand aux
progrès accomplies en matière de démocratisation et au chemin parcouru par la société jusqu'à
l'époque contemporaine. Ce raisonnement argumentatif contribue d'autre part à rationaliser ses
propos par le biais des sentiments. Lorsqu'il évoque la jeunesse en utilisant l'expression « mes
anciens élèves »15, il recourt volontairement au registre du pathos.
De son côté, Cavaco Silva met au premier ordre le 25 avril 1975, date des premières
élections législatives. Ainsi l'ancien chef d’État ne fait qu'une assez brève évocation du 25
Avril en début et en toute fin de texte. Par contre, il choisit de consacrer plusieurs lignes à un
autre pan fondamental de l'Histoire du Portugal, à savoir les Grandes Découvertes et
l'hégémonie maritime portugaise. La référence à ce glorieux passé, qui était déjà le point
d'orgue de son discours de 2009, met en exergue la problématique de la mer, l'un des thèmes
centraux de la partie argumentaire consacré aux recommandations politiques.
Au niveau de la structuration discursive, les deux interventions sont construites autour
de trois pôles principaux. Le fondement du discours reste la célébration du 25 Avril et la
commémoration du passé démocratique qui, comme nous l'avons vu, compose le tiers du
discours de Marcelo contre à peine quelques lignes introductives chez son prédécesseur. Par
contre, la partie argumentaire qui se concentre autour de l’économique et du social ainsi que
de la sphère politique sont beaucoup plus détaillées chez Cavaco Silva.
Nous constatons ainsi que la longueur des deux discours est sensiblement différente
puisque celui de Cavaco Silva comporte environ mille mots de plus que celui de son
successeur. L'agencement des phrases et des paragraphes varie également. Dans celui de
Marcelo , nous retrouvons principalement des phrases courtes au vocabulaire simple. Il utilise
adroitement le procédé de singularisation qui consiste à ne pas multiplier les idées ce qui est
moins le cas du discours de Cavaco Silva, où nous assistons à de nombreuses accentuations de
mots ou d'idées qui donnent au texte un rythme répétitif. En effet, la part explicative et
démonstrative y est plus présente, les thèmes plus détaillés et le lexique plus varié. Toutefois,
dans le texte de Marcelo, le ton employé est à la fois plus populaire, plus global et plus
fédérateur que dans celui de Cavaco Silva, davantage réformateur compte tenu de la
conjoncture politique dans laquelle il a été prononcé.
En effet, bien que les circonstances de ce discours soient les même, le contenu des
interventions portent des enjeux et intentions politiques très différents. Toutefois, il est
important de souligner que la conjoncture politique, elle, était la même : ces deux discours ont

15 « Quanto aos mais jovens, tantas vezes minhas alunas e meus alunos », l.33, cf. note 8.

6
été faits devant la même Assemblée et par conséquent devant le même gouvernement dirigé
par le Premier ministre António Costa16.
Ainsi, le discours de Cavaco Silva le 25 avril 2015, était pour lui l'occasion de dresser
le bilan de ses dix ans passés à la présidence mais surtout, en l’occurrence, d'anticiper les
élections législatives d'octobre 2016 et d'appeler à un accord entre les partis de droite et de
gauche en vue de la stabilité politique du pays en des temps de campagne électorale. Le
raisonnement adopté est avant tout pragmatique et vise à placer les parlementaires devant les
responsabilités qu'ils leur incomberont suite au résultat du scrutin législatif. Toutefois, le
président sortant semble également avoir voulu transmettre un dernier message politique en
faisant valoir les décisions prises par son gouvernement, et notamment son Premier ministre
Passos Coelho. En effet, l'ancien président insiste longuement sur les réformes qui ont été
entérinée sous sa présidence, qui pour rappel a été marquée par la crise économique et
financière qui a frappé le pays de plein fouet 17, dans les domaines de la Justice et de
l'Administration publique, mettant ainsi en avant les bienfaits d'une politique de droite.
D'ailleurs, ce dernier discours semble être davantage dirigé vers les députés de l'Assemblée
que centré vers la trame commémorative du 25 Avril. Par exemple, Cavaco Silva apostrophe
directement à huit reprises les députés, ainsi qu'une fois la présidente de l'Assemblée, dont six
fois avec la formule « Mesdames et Messieurs les Députés »18. A l'inverse, Marcelo, lui,
n'interpelle qu'une seule fois en milieu de texte le public parlementaire mais de manière plus
globalisante puisqu’il dit « Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs »19.
Pour Marcelo, ce premier discours du 25 Avril, qui intervient un mois après son
investiture, lui a permis d’étrenner sa fonction présidentielle. Ayant démontré, et ce bien avant
sa campagne électorale, une grande capacité de communication et d'empathie, il a durant son
discours souvent fait appel à une stratégie de neutralité visant à rassembler les opinions. Il a

16 Lors des élections législatives de 2015, la coalition de centre droit entre le PSD et le CDS obtient le plus de
voix (36,86 % soit 102 sièges). Cependant, ils n'obtiennent pas la majorité absolu (qui est de 116) et donc ne
peuvent investir l'Assemblée. Alors, les partis de gauche dont le PS (32,31%), le Bloc de Gauche (10,19%) et
le CDU (8,25%) s'unissent et entament des négociations pour former le gouvernement. En totalisant 122
sièges au l'Assemblée, ils contrent la coalition de droite et António Costa est alors nommé Premier ministre.
C'est ainsi la première fois que cohabite au pouvoir un président de droite et un gouvernement de gauche.
17 En effet, dès 2011, la chute des crédits et la crise de la dette dans l'Union Européenne obligent le Portugal à
recourir au plan de sauvetage du FMI et de la BEC. En contrepartie, les gouvernements de José Sócrates
(PS), puis de Passos Coelho (PSD), sont obligés d'instaurer un plan d'austérité visant à réduire le déficit
budgétaire, ce qui entraîne, dans le secteur public notamment, des coupes dans les dépenses, avec la
réduction des salaires des fonctionnaires, l'augmentation des taxes, la hausse du coût de la vie et du taux de
chômage, sans parler des différentes réformes structurelles et corporatives, faites également dans le privé.
18 « Senhoras e Senhores Deputados », l. 35 ;80 ;120 ;138 ;160-161, cf. note 8.
19 « Senhor Presidente, Senhoras e Senhores Deputados, Minhas Senhoras e Meus Senhores », l. 70-73, cf. note
9.

7
par exemple salué le consensus entre gauche et droite, souligné l’importance du débat et mis
en avant l'unité politique fondé sur le pluralisme et l'alternance. Ce choix discursif est
également pour lui une manière de se positionner dans l’échiquier parlementaire et de se
définir son rôle en tant que nouveau président élu par la majorité. Lui même y fait d'ailleurs
référence : « […] le président de la République, dont le mandat national est, selon sa propre
nature, plus long et plus plébiscité que les mandats parlementaires »20. Ce message,
directement adressé aux parlementaires, assoit la légitimité présidentielle de Marcelo, qui
utilise ici à un ethos d'autorité dû à sa magistrature d'influence.
La stratégie discursive des deux orateurs passe tout au long du texte par la description
des valeurs d'un régime démocratique, qui vient s'opposer à l’autoritarisme et qui renvoit
directement au passé dictatorial du pays. Les deux présidents appliquent ces valeurs dans
divers domaines de façon assez unilatérale même s'il subsiste également des singularités
inhérentes à chacun des discours. Ainsi, de nombreuses phrases sont construites dans ce sens,
afin de promouvoir les mérites, les forces et le potentiel du système portugais. Ces dernières
structurent d'ailleurs énormément le discours de Cavaco Silva : « Le Portugal s’enorgueillit
d'être un pays tolérant et ouvert, une terre fraternelle et multiculturelle »21 ; « Le Portugal
peut s'affirmer comme un État de droit consolidé, une société méritocratique de citoyens
libres et égaux »22 ; « Nous avons construit un pays démocratique et libre, respecté sur la
scène internationale »23. Le mot Portugal est d'ailleurs cité 21 fois (dont 12 fois en position de
substantif sujet) dans le texte de Cavaco Silva, et 10 fois dans celui de Marcelo. Les termes
« português (esa-eses-esas) », qu'ils soient utilisés comme substantifs ou adjectifs, sont
également très présents.
Au niveau syntaxique également, nous constatons que le pronom personnel « nous »
qui désigne le peuple portugais, est le sujet et le signe actualisateur le plus fréquent dans les
deux textes. Les deux présidents, en garant de l'unité nationale, s'incluent ainsi dans la réalité
quotidienne de leurs concitoyens. En effet, en tant qu'élus du peuple, les présidents de la
République doivent être le porte-voix de la majorité et sont tenus à une certaine neutralité
constitutionnellement, même si celle-ci n'est pas pour autant synonyme de passivité. Ainsi,
leurs propos ne doivent pas être centré sur leurs opinions personnelles, mais tourné vers les

20 « […] o Presidente da República, cujo mandato nacional é, por sua própria natureza, mais longo e mais
sufragado do que os mandatos partidários », l. 102-103, cf. note 8.
21 « Portugal orgulha-se de ser um país tolerante e inclusivo, uma terra fraterna e multicultural », l. 56-57, cf.
note 9.
22 « Portugal pode afirmar-se como um Estado de direito consolidado, uma sociedade meritocrática de cidadãos
livres e iguais », l. 94-95, id. ibid.
23 « Construimos um país democrático e livre, respeitado na cena internacional », l. 121-122, id. ibid.

8
besoins de leurs électeurs. Vient ensuite le « vous », le plus souvent dirigés aux forces
gouvernantes, ce qui souligne l’importance de l’inscription des interlocuteurs dans les
discours. Les interventions directes à la première personne du sujet, qui sont une marque
d'appropriation personne forte, sont elles peu employés. Cavaco Silva les utilisent tout d'abord
pour saluer et remercier les députés, une marque d'attention très politisée, puis à deux reprises
pour parler de ses mandats, comme pour venir appuyer son investissement présidentiel, et
enfin pour manifester une certitude vis-à-vis de la politique qu'il soutien. Quant à Marcelo, ses
recours à la première personne servent à situer son existence dans la collectivité, comme
quand il rappelle son passé de professeur ou bien quand il énonce une réalité globale à
laquelle tout le monde souscrit : « Je sais, nous savons, que les temps sont durs »24.
Dans les deux textes, les verbes qui renvoient au futur comme aller plus loin, faire
plus, ouvrir le chemin ou l'horizon, rêver, etc, sont nombreux. D'ailleurs, nous trouvons le mot
« futur » 15 fois dans le discours de Cavaco Silva. La structuration syntaxique des deux
discours est également caractérisé par des prédominances verbales. Nous constatons ainsi une
forte propension pour les verbes directifs « devoir » et » avoir à », quoique à plus forte mesure
dans le discours de Cavaco Silva que de Marcelo. Toutefois, les verbes qui appellent à l'action
(comme affronter, maintenir, installer, trouver, garantir, faire, augmenter, construire,
contribuer, fomenter, initier, etc.), sont également plus nombreux et multiples dans celui de
Cavaco Silva. Cette prolifération de verbes d'actions, notamment conjugués au futur aux
première et troisième personne du sujet, donne le ton aux deux textes. Les deux présidents
veulent attirer l'attention sur les objectifs à atteindre, les mesures et résolutions encore à
prendre et les améliorations à apporter au système. En effet, une grande part des deux discours
tend en ce sens, mais bien plus dans celui de Cavaco Silva qui voit dans ce discours une de ce
dernières interventions publiques.
Nous trouvons de nombreuses similitudes dans les propos des deux présidents tant au
niveau des principes universels, comme la liberté, l'égalité ou la solidarité, comme des
principes de souveraineté nationale et de la démocratie. Sont également développés de
nombreux thèmes qui tournent autour de la vie économique et sociale du pays et notamment
des problèmes soulevés par la crise. Ils s'accordent sur le fait que le pays doit redevenir
compétitif et être à nouveau capable d'offrir des conditions de vie décentes et de l'emploi. Ils
mettent tout deux en gardes contre les influences antidémocratiques et les mouvements de
radicalisation qui mettent en danger la liberté des individus et menacent les démocraties. Ils
recommandent l'ouverture vers l'Europe et le monde lusophone, et souhaitent une meilleure

24 « Eu sei, nós sabemos, que os tempos não são fáceis », l.75, cf. note 9.

9
intégration des communautés étrangères. L'accent est également mis sur l'importance de
l'éducation, de l’innovation, des sciences, du système de santé publique ou encore du combat
contre les inégalités et la pauvreté. Tout deux appellent à la mobilisation citoyenne et surtout
de la part des jeunes. Cette préoccupation gouvernementale au regard de l'impassibilité de la
nouvelle génération est un credo permanent depuis déjà plusieurs années. Mais la crise
économique qui a sévit au Portugal au cours des dernières années a vue un grand nombre de
jeunes, parmi lesquels de nombreux diplômés, quitter le pays en quête de réussite
professionnelle à l'étranger. Pour Cavaco Silva, il s'agit maintenant de faire revenir cette
population en instaurant un climat de stabilité économique et en créant de nouveaux
débouchés et emplois. Vis-à-vis de cette nouvelle génération, Marcelo, souhaite également
davantage d'implication et insiste sur le devoir de mémoire, des propos subordonnés à sa
propre expérience en tant que professeur. En ce qui concerne les enjeux gouvernementaux,
Marcelo et Cavaco Silva sont unanimes : ils encouragent la lutte contre la corruption et
préconisent plus de transparence politique et administrative.
La part logos est ainsi indéniable dans les deux textes, même si Marcelo semble sortir
grand vainqueur, aussi bien auprès de la classe dirigeante, puisque son discours a été applaudi
conjointement par les élus de droite et ceux de gauche ce qui ne fut pas le cas pour son
prédécesseur, comme auprès de la population. Quant au pathos il est utilisé par les deux
orateurs, surtout quand il s'agit de parler du passé et de la crise. Concernant l'ethos, force est
de constater que la différence de représentation des deux présidents est notable et cela
s'explique tout d'abord par le positionnement politique des deux présidents, qui malgré
l'appartenance au même parti, le PSD, semblent avoir des opinions politiques différentes.
Marcelo est certainement plus centriste et donc plus unificateur au regard d'une époque où la
palette politique portugaise s'est somme toute pacifié. Il n'a d'ailleurs pas fait campagne sous
la bannière du PSD. Sa victoire aux présidentielles n'a pas non plus été conditionné par son
programme ou même ses convictions, mais plutôt dûe à sa notoriété publique et à l'image qu'il
a véhiculé pendant des années à la télévision portugaise. Il est effectivement réputé pour ses
analyses politiques qui ont fait de lui une véritable personnalité médiatique très apprécié et
qui sait parler au plus grand nombre. Son passé en tant que professeur joue également en sa
faveur auprès des portugais car son statut paraît plus proche du peuple que celui d'économiste
ou de banquier. A l'inverse, la vie politique de Cavaco Silva a été faite de haut et de bas.
Depuis la crise économique et financière de 2011, l'image publique s'est graduellement
dégradé si bien qu'en 2016, il quitte sa fonction présidentielle avec un très faible taux de
popularité.

10
Moment fort du panorama politique et social portugais, la commémoration du 25 Avril
est une coutume institutionnelle qui vise avant tout la cohésion nationale, et n'est pas
seulement un événement qui revalorise le passé mais également un pari pour le futur.
L'ensemble des recommandations et des idées débattues par les deux présidents dans leurs
discours parlementaires visent au maintien de l'unité nationale. En exposant les difficultés
d'ordre économique, social et politique du pays, les deux intervenants mettent les différents
représentants parlementaires et acteurs politiques face à leurs responsabilités futures dans la
gestion gouvernementale. Leur communication à la fois crédible et lucide vise surtout à
intervenir sur les opinions mais aussi attitudes et comportements de leurs interlocuteurs, que
ce soient les élus parlementaires, les acteurs politiques ou les citoyens portugais. Les deux
présidents terminent leur intervention par un appel au dialogue et à l'unité entre les portugais
et les élus, et insiste sur l'importance de rénover sinon de recréer quotidiennement la
démocratie pour laquelle les portugais ont lutté, ce fameux 25 Avril 1974. Des discours qui
s’achèvent sur un message d'espoir en l'avenir.

« Le 25 Avril, nous devons célébrer l'espoir. Ce fut l'espoir d'une ère nouvelle qui
a encouragé les militaires qui ont renversé la dictature »25

« La Démocratie crée grâce au 25 Avril 1974 doit être recréée, tous les jours, pour
ne pas le renier, ni renier le futur des portugais. Sachons, aussi, chacun d'entre
nous, l'honorer et la servir, en rénovant ce qu'il faut rénover, en débattant de ce
qu'il y a à débattre, et en rêvant ce qu'il y a à rêver »26.

25 « No dia 25 de Abril, devemos celebrar a esperança. Foi a esperança de um tempo novo que deu ânimo e
coragem aos militares que derrubaram a ditadura », in « Discurso do Presidente da República na Sessão
Comemorativa do 41° Aniversário do 25 de Abril », l. 187-188.
26 « A Democracia criada a partir do 25 de Abril de 1974 tem de ser recriada, todos os dias, para se não negar,
nem negar futuro aos Portugueses.Saibamos, também, todos nós, honrá-la e servi-la, renovando o que
importa renovar, debatendo o que há a debater, sonhando o que há a sonhar. », in « Discurso do Presidente da
República na Sessão Comemorativa do 42° Aniversário do 25 de Abril », l. 137-140.

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BIBLIOGRAPHIE

CHARAUDEAU, Patrick, « Quand l'argumentation n'est que visée persuasive. L'exemple du


discours politique », in Burger M. et Martel G., Argumentation et communication
dans les médias, Coll. « Langue et pratiquesdiscursives », Éditions Nota Bene,
Québec, 2005, p. 25. Disponible sur : http://www.patrickcharaudeau.com/Quand-
l-argumentation-n-est-que.html, consulté le 17/01/2018.
GRUAS, Marc « 40 ans de discours présidentiels commémoratifs du 25 Avril 1974 ou
l'esthétisation officielle des Oeillets » [en ligne], in acte de la journée d'étude
« Esthétisation d'un coup d'Etat : la Révolution des Oeillets dans le regard de
l'autre », Montpellier, décembre 2014, 10 p. Disponible sur : http://www.univ-
montp3.fr/llacs/wp-content/uploads/40-ans-de-discours-comm%C3%A9moratifs-
du-25-avril-19741.pdf, consulté le 15/01/2018.
RAPAZ, Paulo José Canelas, « Le Président de la République Portugaise, un pouvoir « neutre
» ? » [en ligne], Congrés de Paris, 2008, 13 p. Disponible sur :
http://www.droitconstitutionnel.org/congresParis/comC6/CanelasTXT.pdf,
consulté le 19/01/2018.

« Discurso do Presidente da República na Sessão Comemorativa do 41° Aniversário do 25 de


Abril » [en ligne], Assemblée de la République, 25 avril 2015. Disponible sur :
http://anibalcavacosilva.arquivo.presidencia.pt/?idc=22&idi=91974, consulté le
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