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Henri de La Hougue
2011/1 - Tome 99
pages 105 à 123
ISSN 0034-1258
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CHRONIQUE
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I l y a dix ans, la Congrégation pour la doctrine de la foi a fait paraître une
mise au point doctrinale à propos de différentes positions concernant la
recherche en théologie des religions.
Si cette déclaration, Dominus Iesus, a été assez mal reçue dans les milieux
théologiques, notamment à cause de son « genre littéraire » très juridique,
la plupart des points litigieux peuvent être compris et interprétés, d’une
part comme étant une mise en garde vis-à-vis du contexte relativiste actuel
et d’autre part, en éclairant les différents points abordés à la lumière de
l’enseignement récent du Magistère sur les liens entre le christianisme et
les religions. Néanmoins une des propositions reste malgré tout difficile à
interpréter, parce que justement elle ne fait pas écho à un enseignement
traditionnel ou récent du Magistère. Il s’agit de la distinction entre la foi
théologale pour qualifier la démarche religieuse des chrétiens et la croyance
pour qualifier la démarche religieuse des membres des autres religions.
Or cette difficulté d’interprétation est très pénalisante aujourd’hui pour
les théologiens des religions, car elle introduit un doute sur la capacité des
chrétiens à entrer dans une véritable estime de ce que vivent les autres dans
leur démarche religieuse et elle empêche de qualifier le lien éventuel entre
la foi chrétienne et la « foi » des autres.
Nous souhaitons donc apporter un éclaircissement sur le texte même
de la déclaration et, au delà du texte, sur la distinction elle-même. Après
avoir rappelé les deux paragraphes de la déclaration où la distinction foi
– croyance apparaît, nous donnerons cinq clefs d’interprétations pour com-
prendre cette distinction.
1. Texte français disponible dans la Documentation Catholique du 1er octobre 2000, n°2233,
p. 812-822.
Paragraphe 4 :
« La pérennité de l’annonce missionnaire de l’Église est aujourd’hui mise
en péril par des théories relativistes, qui entendent justifier le pluralisme
religieux, non seulement de facto mais aussi de iure (ou en tant que principe).
Elles retiennent alors comme dépassées des vérités comme par exemple le
caractère définitif et complet de la révélation de Jésus-Christ, la nature de la
foi chrétienne vis-à-vis des autres religions, l’inspiration des livres de la Sainte
Écriture, l’unité personnelle entre le Verbe éternel et Jésus de Nazareth,
l’unité de l’économie du Verbe incarné et du Saint-Esprit, l’unicité et l’uni-
versalité salvifique du mystère de Jésus-Christ, la médiation salvifique uni-
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Royaume de Dieu, le Royaume du Christ et l’Église, la subsistance de l’unique
Église du Christ dans l’Église catholique. »
Paragraphe 7 :
« La réponse adéquate à la révélation divine est “‘l’obéissance de la foi’ (Rm 1,5;
cf. Rm 16,26; 2 Co 10,5-6), par laquelle l’homme s’en remet tout entier et libre-
ment à Dieu dans un ‘complet hommage d’intelligence et de volonté à Dieu
qui révèle’ et dans un assentiment volontaire à la révélation qu’il fait”. La foi est
un don de grâce : “Pour exister, cette foi requiert la grâce prévenante et aidante
de Dieu, ainsi que les secours intérieurs du Saint-Esprit qui touche le cœur et
le tourne vers Dieu, ouvre les yeux de l’esprit et donne ‘à tous la douceur de
consentir et de croire à la vérité’ ”.
L’obéissance de la foi comporte l’accueil de la vérité de la révélation du Christ,
garantie par Dieu qui est la Vérité même : “La foi est d’abord une adhésion
personnelle de l’homme à Dieu ; elle est en même temps, et inséparablement,
l’assentiment libre à toute la vérité que Dieu a révélée”. La foi par conséquent,
“don de Dieu” et “vertu surnaturelle infuse par lui”, comporte une double
adhésion : à Dieu qui révèle et à la vérité qu’il révèle, à cause de la confiance
accordée à la personne qui affirme. C’est pour cela que “nous ne devons croire
en nul autre que Dieu, le Père, le Fils et le Saint-Esprit”.
On doit donc tenir fermement la distinction entre la foi théologale et la croyance dans
les autres religions. Alors que la foi est l’accueil dans la grâce de la vérité révé-
lée, qui “permet de pénétrer le mystère, dont elle favorise une compréhension
cohérente”, la croyance dans les autres religions est cet ensemble d’expériences
et de réflexions, trésors humains de sagesse et de religiosité, que l’homme dans
sa recherche de la vérité a pensé et vécu, pour ses relations avec le Divin et
l’Absolu.
Cette distinction n’est pas toujours présente dans la réflexion actuelle, ce qui
provoque souvent l’identification entre la foi théologale, qui est l’accueil de la
vérité révélée par le Dieu Un et Trine, et la croyance dans les autres religions, qui est
porté sur cette distinction, interprétant celle-ci dans le sens suivant : il faut
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réserver le terme foi pour qualifier la démarche des chrétiens et utiliser
le terme croyance pour qualifier la démarche des non-chrétiens. Même le
Cardinal Kasper, président du Conseil Pontifical pour la promotion de
l’unité des chrétiens, s’est vu obligé de préciser dans son intervention lors
de la Réunion du Comité International de liaison entre Catholiques et
Juifs, à New York début mai 2001, que cette distinction n’était aucunement
valable pour les juifs et a mentionné, pour justifier cela, plusieurs citations
du pape Jean-Paul II ou même du Cardinal Ratzinger évoquant la foi des
juifs2. L’idée générale qui se dégageait à première lecture de ce texte était
que désormais la Congrégation pour la Doctrine de la Foi demandait de
réserver le terme foi pour les chrétiens et de parler de croyance pour les
autres. Or une telle distinction, « à tenir fermement », parait théologique-
ment difficilement tenable, car elle sous-entendrait qu’aucune analogie
ne serait envisageable entre ce que vivent les chrétiens dans leur démarche
de foi et ce que vivent les membres d’autres religions.
En réalité, le texte, écrit dans un style assez lapidaire et souvent allu-
sif, requiert deux niveaux de compréhension : un niveau doctrinal (la foi
chrétienne a une nature propre que ne partagent pas les autres religions)
et un niveau terminologique (l’usage du mot foi n’est pas adéquat pour
parler de la démarche religieuse des non-chrétiens). La difficulté vient, à
la lecture de ce paragraphe, d’une confusion de ces deux niveaux d’inter-
prétation. Deux indices nous permettent de comprendre que l’affirmation
essentielle ne porte pas sur le niveau terminologique, mais sur le niveau
doctrinal où est affirmée la spécificité de la foi chrétienne par rapport
2. Walter Kasper, “Dominus Iesus”, texte pour la Réunion du Comité international de Liaison
entre Catholiques et Juifs, New York, 1-4 mai 2001. Texte disponible en français et en anglais
sur le site www.chrétiens-et-juifs.org.
aux démarches des membres des autres religions : d’abord le degré d’au-
torité requis par le texte pour l’application de cette distinction, ensuite
le fait que le document fait allusion à une distinction traditionnelle dans
l’Église ; ce qui est le cas pour la distinction doctrinale et non pour la dis-
tinction terminologique.
Juste après la présentation de la déclaration à la salle de Presse du Saint-
Siège, Mgr Bertone, secrétaire de la Congrégation, a fait une intervention
pour préciser le genre littéraire de la déclaration et son degré d’autorité :
« La formule d’approbation qui se trouve à la fin du document est d’une
autorité haute et spéciale : “avec science certaine et son autorité aposto-
lique”, ce qui correspond à l’importance et au caractère essentiel des conte-
nus doctrinaux enseignés dans la déclaration : il s’agit de vérités de foi divine
et catholique (qui appartiennent au premier niveau des Formules de la
Profession de Foi3) ou de vérités de doctrine catholique à tenir fermement
(qui appartiennent au deuxième niveau). L’assentiment requis de la part des
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fidèles est donc de type définitif et irrévocable. »
3. Par rapport au Canon 883 du Code de Droit Canonique, la Profession de foi de 1989 a intro-
duit un degré de plus dans l’autorité des textes émanant du magistère et donc aussi dans le
degré d’assentiment requis de la part des fidèles. Elle distingue trois niveaux :
- Niveau 1 : Ce qui est divinement révélé : cela requiert de la part des fidèles une foi ferme
(« on doit croire fermement » §10 ou §14) ;
- Niveau 2 : Ce que l’Église propose de façon définitive : des vérités définitives, mais non
considérées comme divinement révélées. Cela requiert de les tenir fermement (« on doit tenir
fermement » §7 par ex.) ;
- Niveau 3 : Ce qui n’est pas définitif (non défini comme infaillible) mais énoncé par le
magistère. Cela requiert l’adhésion avec soumission religieuse de la volonté et de l’intelligence.
Dominus Iesus laisse par ailleurs entendre4 qu’une telle distinction est tradi-
tionnelle dans l’Église. Or la distinction des termes foi et croyance, empruntée
à l’encyclique Fides et Ratio, ne se trouve nullement utilisée dans le Magistère
récent de l’Église catholique concernant les relations entre le christianisme
et les religions. Par contre, l’enseignement sur la spécificité de la nature de
la foi chrétienne est, lui, beaucoup plus traditionnel et trouve également
un écho dans l’enseignement récent du Magistère à propos des relations
entre les chrétiens et les non-chrétiens. Il s’agit d’un enseignement donné
par Jean-Paul II aux fidèles pendant l’audience générale du 5 juin 1985 à
propos de la différence et des affinités entre la foi chrétienne et les autres
religions. Voici un bref extrait du texte5 :
« […] Si croire de manière chrétienne veut dire répondre à l’autorévélation
de Dieu, dont la plénitude est en Jésus-Christ, cette foi n’échappe cependant
pas, en particulier dans le monde contemporain, à des relations confiantes
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avec les religions non chrétiennes du fait que, dans chacune, s’exprime de
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quelque manière “ce que les hommes ont en commun et qui les pousse à vivre ensemble
leur destin commun” (NA 1). L’Église ne fuit pas ces relations, au contraire, elle
les désire et elle les cherche.
Sur le fond d’une grande communion dans les valeurs positives de spiritua-
lité et de moralité se précise avant tout le rapport de la “foi” avec la “religion”
en général. Dans la religion, l’homme cherche la réponse aux interrogations
que j’ai énumérées [sens de la vie, souffrance, péché, chemin de bonheur,
mort, origine et fin de la vie] et il établit d’une certaine façon son propre
rapport avec le “mystère qui entoure notre existence”. Or les différentes reli-
gions non chrétiennes sont avant tout l’expression de cette recherche de la
part de l’homme, tandis que la foi chrétienne a sa propre base dans la révé-
lation de Dieu. Malgré quelques affinités avec d’autres religions, c’est en cela
que consiste sa différence essentielle par rapport à elles ».
4. La formulation « cette expression n’est pas toujours présente dans la réflexion actuelle »
sous-entend qu’elle l’est parfois et qu’elle est présente dans l’enseignement traditionnel.
5. Insegnamenti 1985, VIII.1, pp. 1720-1724, cf. Conseil Pontifical pour le Dialogue
Interreligieux, Le dialogue interreligieux dans l’enseignement officiel de l’Église catholique (1963-2005)
(Documents rassemblés par Francesco Gioia), Solesmes, 2006, (référence abrégée dans la suite
des notes en Gi), n° 445.
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démarche religieuse des autres religions risquerait en effet de contredire
ou d’embrouiller la nature même du propos tenu ; à savoir, tenir la distinc-
tion entre la nature de la foi chrétienne et la nature des autres démarches
religieuses.
Il semble donc que l’intention de la déclaration est d’affirmer qu’il faut
« tenir fermement » la distinction entre la nature de la foi chrétienne et la
nature de la démarche des autres religions ; et non la distinction entre les
termes foi et croyance. C’est pour éviter toute confusion, que le texte évite
d’employer le mot foi pour qualifier la démarche des autres religions en
général.
ment relativiser l’impact de cet usage et voir quels autres mots adéquats
peuvent rendre compte de la démarche des membres d’autres religions.
La deuxième question est de savoir si la définition du mot croyance au §7
est une définition a minima, uniquement pour faire ressortir la spécificité
de la foi chrétienne, ou si c’est une définition exhaustive de ce que le
Magistère reconnaît de la démarche religieuse des autres.
Notre hypothèse est que le terme croyance est utilisé là par défaut et non
par volonté de consacrer ce mot pour qualifier la démarche religieuse des
non-chrétiens. Nous allons d’abord rappeler ce qui a poussé les lecteurs à
interpréter la distinction dans le sens d’une consécration du mot croyance,
puis nous allons, en analysant le texte, montrer que l’on ne peut pas s’en
tenir à cette interprétation
Évidemment la confusion des niveaux d’interprétation de la distinc-
tion opérée par Dominus Iesus a contribué à opposer les deux termes foi
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medias, des articles et des commentaires ont interprété le mot croyance
comme étant celui que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi
souhaitait désormais voir utiliser pour qualifier la démarche religieuse des
non-chrétiens. Certains membres de la curie l’ont également compris de
la même manière. Nous avons évoqué le texte du Cardinal Kasper, rappe-
lant que pour les juifs, il fallait bien parler de foi et non de croyance ; nous
pouvons aussi évoquer l’intervention de Mgr Charles Schleck, secrétaire
adjoint de la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples, à l’occasion
de la rencontre annuelle des directeurs nationaux des œuvres pontificales
missionnaires : « La distinction met en valeur la recherche de Dieu par
l’homme et l’ensemble des doctrines et rites auxquels elle a donné nais-
sance, mais, en les qualifiant de croyances, elle rappelle la différente qualité
de foi de qui, par la grâce de Dieu, adhère à la révélation et au don de
la vie divine »8. Il faut dire que non seulement le texte de Dominus Iesus
est assez allusif, mais que la présentation officielle des contenus christolo-
giques de la déclaration par Don Amato l’était encore davantage : « Dans
ce contexte [de relativisme], la Déclaration propose deux clarifications.
new Millenium » (in America, Vol 183, n°13, America press, New York, 28 octobre 2000) : « La
déclaration nous demande par exemple de réserver foi – “l’acceptation dans la Grâce de la
vérité révélée… l’acceptation de la vérité révélée par le Dieu un et Trine” – pour se référer à
l’action chrétienne d’accepter la vérité de Dieu. Par contraste, nous devons utiliser croyance
– “cet ensemble d’expériences et de réflexions, trésors humains de sagesse et de religiosité, que
l’homme dans sa recherche de la vérité a pensé et vécu, pour ses relations avec le Divin et l’Ab-
solu” – pour nommer ce que font les membres des autres religions. C’est une distinction claire,
mais en pratique, les mots ont de nombreux contresens, ils ne restent jamais proprement fixés,
même si on pourrait le souhaiter ».
8. « Discours de Mgr Schleck, secrétaire adjoint de la Congrégation pour l’Évangélisation
des Peuples, à l’occasion de la rencontre annuelle des directeurs nationaux des œuvres pon-
tificales missionnaires », 11 mai 2001. (Article accessible début 2008 sur le site Internet du
Vatican, Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples, mais aujourd’hui non accessible).
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Ratio. Or, il est clair qu’il n’y pas équivalence de contexte entre Fides et
Ratio et Dominus Iesus. Fides et Ratio se situe dans le cadre plus général
d’une réflexion anthropologique sur les liens entre foi et raison et, dans
ce cadre, explique que tout homme, comme « être qui cherche la vérité,
est celui qui vit de croyance » (FR 21) et de poursuivre : « La croyance se
révèle souvent humainement plus riche que la simple évidence, car elle
inclut un rapport interpersonnel et met en jeu non seulement les capaci-
tés cognitives personnelles, mais encore la capacité plus radicale à se fier
à d’autres personnes et à entrer dans un rapport plus stable et plus intime
avec elles » (FR 32). La notion de croyance telle qu’elle est définie ici
concerne l’homme en général, notamment le chrétien en qui coexistent
en même temps la foi (§13) et l’attitude de croyance (§31-32). On ne peut
donc pas établir de parallèle directement applicable entre les deux textes.
D’autre part, la notion de croyance, telle qu’elle est définie ici, n’est
pas suffisamment exhaustive pour rendre compte de ce que vivent les
membres des autres religions. La critique de Maurice Pivot dans son article
« La déclaration Dominus Iesus deux ans après » est assez limpide :
« Ainsi employé, le terme “croyance” avec les connotations qui en sont don-
nées, n’est pas une catégorie pertinente ; ce terme ne peut suffire à rendre
compte de la situation religieuse des chercheurs de Dieu, chercheurs de
vérités des autres traditions religieuses. La déclaration elle-même n’arrive
d’ailleurs pas à se tenir à cette distinction : au n°8, elle rappelle qu’à ces cher-
cheurs de Dieu, Dieu se rend déjà présent, ce qui renvoie analogiquement,
non pas au terme de “croyance”, mais au terme de “foi”. »10
9. Jean-Paul II, La foi et la Raison, Centurion/Cerf/Mame, Paris, 1998 (143p.) pour l’édition
française. L’édition latine est disponible sur le site Internet du Vatican.
10. Maurice Pivot, « La déclaration Dominus Iesus deux ans après », Esprit et Vie n°71, Paris,
déc. 2002, pp. 3-13.
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fides theologalis à credulitas. Dans Fides et Ratio au §32, le terme traduit par
croyance est fiducia, alors que le paragraphe 7 qui fait référence, sans le
citer toutefois, à Fides et Ratio § 32, conserve le mot credulitas. Cela signifie,
puisque le texte officiel est le texte latin, qu’il n’y a pas un mot (croyance)
pour traduire la démarche religieuse des non-chrétiens, mais au moins
deux mots : adhaesio et credulitas, voire un troisième, fiducia. Or ces mots
latins ne sont nullement équivalents et mettent l’accent sur des approches
assez différentes. Tout se passe comme si, finalement, le mot utilisé n’avait
pas tellement d’importance, mais c’était le contenu qui en avait.
De plus, au §4, la phrase latine : « natura fidei christianae per respectum
ad adhaesionem aliis religionibus », est rendue dans la traduction officielle
en français par « la nature de la foi chrétienne vis-à-vis des autres reli-
gions ». Le texte anglais traduit : « the nature of Christian faith as compared
with that of belief in other religions ». Les autres langues officielles traduisent
dans le sens de la version anglaise sans l’ellipse de la traduction française.
Cette dernière peut s’interpréter comme un oubli, ce qui serait un oubli
« critique » puisqu’il ne préciserait pas la nature de l’adhaesio des autres reli-
gions, ou elle peut s’interpréter comme une ellipse volontaire, ce qui signi-
fie que l’essentiel n’est pas le mot croyance, mais la nécessité de distinguer la
démarche de foi de la démarche religieuse dans les autres religions. Encore
une fois, étant donné le caractère solennel avec lequel a été présentée la
Déclaration, il semblerait douteux que ces questions de traductions aient
été bâclées.
Il faut donc pencher pour l’autre hypothèse selon laquelle le terme
croyance a été mis là par défaut, faute d’un autre terme plus approprié, et
que les références à Fides et Ratio n’ont pas pour but de dire de manière
exhaustive à quoi se limite la croyance des autres, mais au contraire de mon-
trer que le terme croyance, tel qu’il est utilisé ici, ne se limite pas au sens
restreint habituellement entendu. Il est à comprendre dans un sens plus
large et plus élevé qui n’exclut pas une véritable dimension « religieuse ».
En effet, une des difficultés de réception de cette distinction foi-croyance
est qu’elle renvoie dans les réflexions théologiques récentes à une notion
péjorative de croyance. François Bousquet dans un article sur « La foi dans
sa spécificité chrétienne »11 où il compare le mot foi avec des concepts qui
lui sont parfois donnés comme équivalents, invite à distinguer la foi de la
simple croyance. Le risque, selon lui, du mot croyance pour définir la relation
qui unit l’homme à Dieu est que, tel qu’il est compris aujourd’hui, il n’est
qu’un premier degré d’adhésion à une vérité non rationnelle. Le terme
est souvent utilisé comme référence au passé et s’exprime en mythes ou
en rites avec un rétrécissement de la Vérité à laquelle ces croyances se rap-
portent. Dans la même logique, Joseph Moingt12 affirme que dans la vie du
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à prendre le dessus, la foi chrétienne perdrait alors sa spécificité. Elle ne
serait plus qu’attachement à des rites et des coutumes, elle ne serait plus
mue que par le désir obscur « de conjurer les châtiments du Tout-Puissant,
d’attirer sa protection, de provoquer ses interventions ». Le chrétien dont
la foi serait progressivement remplacée par la croyance deviendrait « fatale-
ment plus dépendant des courants d’opinion qui circulent dans son envi-
ronnement social, des nouveaux modes de penser qui décrédibilisent les
anciens discours religieux ». De manière plus large, Edmond Ortigues,
dans son article « Foi » de l’Encyclopaedia Universalis, oppose la notion de
croyance qui est l’adhésion (à différents degrés) à ce qu’on tient pour
vrai, à la confiance qui est une relation. Dans cette compréhension très
restrictive du terme croyance, on comprend que son usage pour parler de
la nature de la démarche religieuse des non-chrétiens soit non seulement
mal compris, mais même choquant pour beaucoup de théologiens engagés
dans le dialogue interreligieux ainsi que pour les lecteurs non-chrétiens.
Or, sur la nature de la démarche religieuse des non-chrétiens, en dehors
des musulmans et des juifs avec lesquels les chrétiens ont une relation
privilégiée, les textes officiels récents de l’Église catholique sont beaucoup
plus positifs13. Cela ne fait d’ailleurs que reprendre les affirmations du der-
nier concile : Vatican II ne s’était pas limité à admettre la possibilité d’un
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« Il est bon de souligner que les vérités recherchées dans cette relation inter-
personnelle ne sont pas en premier lieu d’ordre factuel ou d’ordre philo-
sophique. Ce qui est plutôt demandé, c’est la vérité même de la personne :
ce qu’elle est et ce qu’elle exprime de son être profond. La perfection de
l’homme, en effet, ne se trouve pas dans la seule acquisition de la connais-
sance abstraite de la vérité, mais elle consiste aussi dans un rapport vivant de
donation et de fidélité envers l’autre. Dans cette fidélité qui sait se donner,
l’homme trouve pleine certitude et pleine sécurité. En même temps, cepen-
dant, la connaissance par croyance, qui se fonde sur la confiance interper-
sonnelle, n’est pas sans référence à la vérité : en croyant, l’homme s’en remet
à la vérité que l’autre lui manifeste » (FR 32).
3) La « foi » des autres dans les textes officiels récents de l’Église catholique
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L’expression utilisée par Dominus Iesus, « la distinction n’est pas toujours
présente dans la réflexion actuelle », suppose a contrario que dans certaines
réflexions actuelles, cette distinction est tenue. Nous avons vu qu’il s’agis-
sait en fait, non pas de la distinction des mots foi pour parler de la foi chré-
tienne et croyance pour parler de la démarche religieuse des non-chrétiens,
mais de la distinction entre la nature de la foi chrétienne qui est unique
(en tant qu’assentiment au Dieu Un et Trine qui se révèle en Jésus-Christ),
et la nature de la démarche religieuse des autres. Nous avons vu par
ailleurs que le document évitait, pour empêcher cette confusion, d’utiliser
le mot foi pour parler de la démarche religieuse des autres. Qu’en est-il de
l’usage du mot foi dans les textes officiels récents de l’Église catholique ?
Francesco Gioia a rassemblé, pour le Conseil Pontifical pour le Dialogue
Interreligieux, tous les textes de l’enseignement officiel de l’Église catho-
lique à propos de dialogue interreligieux entre 1963 et 200514. À la lecture
de ce précieux compendium, on constate que le mot foi est quelquefois
(rarement) employé pour dire la démarche religieuse des peuples en
général15 mais dans un sens global, très large, sans que soit sous-entendu
un contenu précis. Lorsque les textes évoquent un contexte précis – la
démarche religieuse des bouddhistes, des hindous, des bahaïs, des man-
déens, des religions traditionnelles africaines, des shintoïstes, etc. – le mot
foi n’est jamais utilisé.
Par contre, le mot foi est fréquemment utilisé lorsqu’il s’agit d’évoquer
la démarche religieuse des musulmans et des juifs, aussi bien quand le
14. Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux, Le dialogue interreligieux dans l’enseigne-
ment officiel de l’Église catholique (1963-2005), op. cit.
15. Cf. par exemple Dignitatis Humanae 4 ; Dialogue et Annonce 42, 4 et 48.
pape parle d’eux à des chrétiens que lorsqu’il s’adresse aux membres de
ces religions. En effet, dans la logique de la déclaration conciliaire Nostra
Aetate qui considère différemment les musulmans et les juifs des membres
des autres religions, les textes rappellent que dans le dialogue interreli-
gieux, le dialogue entre les chrétiens, les juifs et les musulmans doit avoir
« une place de choix »16, notamment à cause de la référence unique au
même Dieu Créateur, dont les uns et les autres se reconnaissent serviteurs.
Pour cette raison, bien que la foi chrétienne soit unique par sa nature, il
semble qu’analogiquement on puisse validement utiliser le mot foi pour
désigner la démarche religieuse des musulmans et des juifs. Le texte le
plus explicite dans ce sens est le discours de Jean-Paul II prononcé le 14
février 1982 à l’adresse des communautés de l’État de Kaduna (Nigeria) :
« Nous tous, chrétiens et musulmans nous vivons sous le soleil du même Dieu
miséricordieux. Nous croyons les uns et les autres en un seul Dieu, Créateur
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dignité de l’homme comme serviteur de Dieu. Nous adorons Dieu et nous
professons notre totale soumission à Lui. Donc nous pouvons nous appeler
au vrai sens des mots : frères et sœurs dans la foi en le seul Dieu. Et nous sommes
reconnaissants pour cette foi, car sans Dieu, la vie de l’homme serait comme
les cieux sans soleil. Grâce à la foi que nous avons en Dieu, la chrétienté et
l’islam ont beaucoup de choses en commun : le privilège de la prière, le
devoir d’une justice accompagnée de compassion et d’aumône et avant tout
un respect sacré pour la dignité de l’homme qui se trouve à la base des droits
fondamentaux de tout être humain, y compris le droit à la vie de l’enfant qui
n’est pas encore né. »17
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celle d’autres religions.
Beaucoup de ceux qui ont critiqué la déclaration Dominus Iesus ont com-
pris la distinction sur la nature de la foi dans le christianisme par rapport
aux autres religions comme une affirmation de la supériorité des chrétiens
(et spécialement des catholiques) sur les non-chrétiens. Ainsi Leonardo
Boff, en caricaturant Dominus Iesus, pose-t-il la question : « Le Cardinal
Ratzinger pourrait-il s’imaginer ce qu’un presbytérien fidèle travaillant
avec des indiens dans la jungle amazonienne, ou bien un moine taoïste
immergé dans la contemplation, ressentiraient si pendant une rencontre
interreligieuse, ils s’entendaient dire qu’ils n’avaient pas la foi, qu’ils
n’étaient pas une Église, qu’il n’y avait rien de positif en eux, à part ce
qu’ils tiendraient de la bonté du Christ et de l’Église ? »22. En fait, Dominus
Iesus ne prétend pas mener une réflexion exhaustive sur la mission et
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logie entre la démarche spirituelle de Gandhi et la foi chrétienne. La
question n’est pas neuve mais mérite d’être creusée. Elle avait été posée
indirectement dans la réflexion théologique sur la possibilité de salut des
non-chrétiens. Le texte de condamnation du jésuite Léonard Feeney en
1949 par le Saint Office, rappelait à cette occasion que pour être sauvé,
celui qui, par un vœu implicite, était ordonné à l’Église, devait être animé
par la « charité parfaite » et donc que ce « vœu implicite ne peut avoir
d’effet que si l’homme a la foi surnaturelle ».24
En affirmant que des non-chrétiens peuvent être associés au mystère pas-
cal « d’une façon que Dieu connaît » (GS 22,5), les pères du concile Vatican II
n’ont pas voulu prendre position sur la nature du lien qui unit les chré-
tiens et ceux qui, non-chrétiens, peuvent être associés au mystère pascal.
Mais la lettre de 1949 établit clairement un lien entre le vœu implicite
d’être chrétien, l’animation de la vie par une charité parfaite et le don
de la foi surnaturelle. Cela laisse donc entendre qu’il y aurait un lien au
moins analogique entre la sainteté vécue en dehors de la foi chrétienne et
la foi surnaturelle.
23. Jean-Paul II lors de sa visite en Inde, Insegnamenti 1986 IX.1, pp. 246-249, Osservatore
Romano, édition française du 4 février 1986, Gi 484.
24. Lettre du Saint-Office à l’archevêque de Boston, Dz 3866-3873.
elle comporte une double adhésion : à Dieu qui révèle et à la vérité qu’il révèle. La
foi est l’accueil dans la grâce de la vérité révélée, qui « permet de pénétrer le mys-
tère, dont elle favorise une compréhension cohérente ». Par opposition, la croyance
dans les autres religions est « une expérience religieuse encore à la recherche de la
vérité absolue. »
La difficulté d’interprétation du rapport entre la foi et la vérité dans ces
passages tient aux différents sens que peuvent avoir ici les occurrences du
mot vérité. Le paragraphe est en fait une série de citations tirées à la fois
de Dei Verbum §4-5 et du Catéchisme de l’Église Catholique §144.150.153. Pour
définir la nature de la foi, le texte passe de la vérité sur Dieu exprimée en
langage humain (DI 6), à la vérité annoncée par le Christ (DI 6) et à la Vérité
qu’est Dieu (DI 7) sans que soit explicitée la différence de sens entre ces
divers niveaux. C’est comme si, finalement, la vérité sur Dieu exprimée en
langage humain par l’Église était la Vérité qu’est Dieu, tandis que la vérité à
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laquelle auraient accès les membres des religions non chrétiennes serait
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encore une quête humaine de la vérité sans lien avec la vérité absolue.
Par ailleurs, la tension explicite dans Dei Verbum entre Dieu qui se révèle
de manière plénière et définitive25, et l’accueil de cette révélation qui est
toujours en chemin26, n’apparaît pas non plus dans Dominus Iesus, l’accent
étant mis quasi unilatéralement sur la vérité révélée et non sur la quête
humaine de la vérité.
Comment interpréter cette focalisation de Dominus Iesus sur la notion de
vérité prise dans un sens trop unilatéral ? En fait la déclaration veut surtout
faire une mise au point par rapport au climat relativiste très présent dans
les mentalités occidentales, y compris dans la recherche théologique. Ce
climat contribue au fait que pour certains penseurs chrétiens, il n’y aurait
aucune dimension objective à la foi27 : ce qui est vrai pour une personne
ne l’est pas pour l’autre ; tout ce qui est appréhendé par la raison est telle-
ment subjectif qu’il n’y a pas de critère objectif pour juger telle démarche
religieuse meilleure qu’une autre (DI 4). Cela contribue ensuite à relati-
viser la référence à Jésus-Christ dans la foi chrétienne et finalement à nier
même au-delà des théories de Hick, penser qu’il y a réellement une vérité,
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une vérité qui lie et qui est valable pour l’histoire même, dans la figure de
Jésus-Christ et la foi de l’Église, est considéré comme un fondamentalisme,
qui se présente comme un authentique attentat contre l’esprit moderne
et comme une menace multiforme contre son bien principal, la tolérance
et la liberté. »28 Il s’agit donc pour Dominus Iesus de réaffirmer le paradoxe
de la foi chrétienne, en Jésus-Christ, et de bien rendre compte des impli-
cations de l’affirmation : Dieu s’est fait homme. Jésus n’est pas seulement
un avatar de Dieu, une incarnation du Logos parmi d’autres. Son histoire
singulière et contingente a une portée universelle et eschatologique. Sa
venue dans notre monde, sa vie, sa mort et sa résurrection sont une réalité
incontournable pour comprendre Dieu et entrer dans son mystère. En
lui, justement, on peut parler de vérité. Et c’est ce qui fonde la prétention
chrétienne à pouvoir parler de vérité… pas n’importe comment toutefois.
La foi n’est pas détentrice de cette vérité, elle est au service de cette vérité.
En affirmant que la foi chrétienne est « l’accueil de la grâce de la vérité
révélée qui permet de pénétrer le mystère, dont elle favorise une compréhen-
sion cohérente », la déclaration n’affirme pas autre chose.
Il faut donner ici au mot mystère son sens théologique29 et non son sens
courant. Comme le rappelle Gabriel Marcel30, le mystère n’est pas un problème,
mais son contraire : « le problème est quelque chose qui barre la route, qu’il
faudrait surmonter, alors que le mystère est quelque chose dans lequel je me
28. Idem.
29. On lira avec intérêt Jean-Pierre Wagner, La théologie fondamentale selon H. de Lubac, Coll.
Cogitatio fidei n°199, Cerf, Paris, 1997, ch. 8 : « Mystère et paradoxe, les exigences du langage
théologique ».
30. Gabriel Marcel, Être et avoir, Aubier-Montaigne, Paris, 1935 p. 145, cité par Jean-Pierre
Wagner, La théologie fondamentale selon H. de Lubac, op. cit., p.203.
trouve engagé, dont l’essence est par conséquent de n’être pas tout entier
devant moi. C’est comme si dans cette zone, la distinction entre l’en moi et
le devant moi perdait sa signification ». Ainsi, on peut dire qu’il n’y a pas
un problème de la foi, mais il y a un mystère de la foi. Ce mystère nous dépasse,
mais n’est pas inintelligible : plus on y pénètre, plus on découvre à la fois ce
qui nous est donné d’en saisir et ce qui nous dépasse. Or Jésus-Christ donne
bien au chrétien une clef pour pénétrer le mystère de façon cohérente,
puisqu’il lui permet de devenir avec lui Fils du Père dans l’Esprit. Il n’y a
donc dans cette expression aucune idée de supériorité intellectuelle des
chrétiens par rapport aux non-chrétiens, mais l’affirmation d’une spécificité
de la nature de la foi chrétienne qui est de permettre à celui qui la reçoit de
pénétrer le mystère d’une manière unique. Liturgiquement c’est d’ailleurs
bien au moment où le fidèle catholique manifeste la possibilité sacramen-
telle d’être en communion avec Jésus-Christ, au cœur de l’Eucharistie, qu’il
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La vérité dont il s’agit ici est donc bien la possibilité paradoxale donnée
au chrétien de pénétrer le mystère de Dieu qui est la Vérité. Par contraste,
les fidèles des autres religions, ne recevant pas le Christ comme sauveur,
sont encore à la recherche de la vérité absolue. « En Jésus Christ, qui est la Vérité,
la foi [chrétienne] reconnaît l’ultime appel adressé à l’humanité, pour
qu’elle puisse accomplir ce qu’elle éprouve comme désir et comme nostal-
gie » (FR 33). Cela ne signifie pas que les non-chrétiens ne reçoivent rien
du mystère de Dieu, comme le rappelle le §8, mais cela rappelle qu’on
ne peut pas mettre une équivalence entre la nature de la démarche chré-
tienne et la nature de la démarche des non-chrétiens.
Conclusion
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Ces trois points éclaircis, il nous reste à approfondir l’essentiel : la nature
du lien entre la foi chrétienne et la démarche des membres des autres reli-
gions. Quelle analogie peut-il y avoir entre les deux ? Sur quoi peut-on fon-
der cette analogie ? Notre réflexion suggère déjà deux pistes de recherche :
la vérité à laquelle se réfère la démarche des membres d’autres religions
n’est-elle pas sans lien avec le mystère de Dieu qui se révèle de manière
incessante dans la création ? La réflexion de Dominus Iesus s’est focalisée
sur l’objet de la foi, mais une prise en compte de toutes les dimensions de
la foi n’apporterait-elle pas de nouvelles perspectives pour comprendre la
démarche des autres à la lumière de la foi chrétienne ?
31. Texte de Jean-Paul II prononcé le 14 février 1982 à l’adresse des communautés de l’État
de Kaduna, op.cit.