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LA DISTINCTION ENTRE LA FOI DES CHRÉTIENS ET LA CROYANCE

DANS LES AUTRES RELIGIONS DANS DOMINUS IESUS

Henri de La Hougue

Centre Sèvres | Recherches de Science Religieuse

2011/1 - Tome 99
pages 105 à 123

ISSN 0034-1258

Article disponible en ligne à l'adresse:


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http://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2011-1-page-105.htm
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Pour citer cet article :


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de La Hougue Henri , « La distinction entre la foi des chrétiens et la croyance dans les autres religions dans Dominus
Iesus » ,
Recherches de Science Religieuse, 2011/1 Tome 99, p. 105-123.
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CHRONIQUE

LA DISTINCTION ENTRE LA FOI DES CHRÉTIENS


ET LA CROYANCE DANS LES AUTRES RELIGIONS
DANS DOMINUS IESUS1
par Henri de La Hougue,
pss Institut Catholique de Paris, THEOLOGICUM
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I l y a dix ans, la Congrégation pour la doctrine de la foi a fait paraître une
mise au point doctrinale à propos de différentes positions concernant la
recherche en théologie des religions.
Si cette déclaration, Dominus Iesus, a été assez mal reçue dans les milieux
théologiques, notamment à cause de son « genre littéraire » très juridique,
la plupart des points litigieux peuvent être compris et interprétés, d’une
part comme étant une mise en garde vis-à-vis du contexte relativiste actuel
et d’autre part, en éclairant les différents points abordés à la lumière de
l’enseignement récent du Magistère sur les liens entre le christianisme et
les religions. Néanmoins une des propositions reste malgré tout difficile à
interpréter, parce que justement elle ne fait pas écho à un enseignement
traditionnel ou récent du Magistère. Il s’agit de la distinction entre la foi
théologale pour qualifier la démarche religieuse des chrétiens et la croyance
pour qualifier la démarche religieuse des membres des autres religions.
Or cette difficulté d’interprétation est très pénalisante aujourd’hui pour
les théologiens des religions, car elle introduit un doute sur la capacité des
chrétiens à entrer dans une véritable estime de ce que vivent les autres dans
leur démarche religieuse et elle empêche de qualifier le lien éventuel entre
la foi chrétienne et la « foi » des autres.
Nous souhaitons donc apporter un éclaircissement sur le texte même
de la déclaration et, au delà du texte, sur la distinction elle-même. Après
avoir rappelé les deux paragraphes de la déclaration où la distinction foi
– croyance apparaît, nous donnerons cinq clefs d’interprétations pour com-
prendre cette distinction.

1. Texte français disponible dans la Documentation Catholique du 1er octobre 2000, n°2233,
p. 812-822.

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La distinction foi – croyance dans Dominus Iesus

La distinction se trouve deux fois dans la déclaration, aux paragraphes 4


et 7, que nous redonnons ici.

Paragraphe 4 :
« La pérennité de l’annonce missionnaire de l’Église est aujourd’hui mise
en péril par des théories relativistes, qui entendent justifier le pluralisme
religieux, non seulement de facto mais aussi de iure (ou en tant que principe).
Elles retiennent alors comme dépassées des vérités comme par exemple le
caractère définitif et complet de la révélation de Jésus-Christ, la nature de la
foi chrétienne vis-à-vis des autres religions, l’inspiration des livres de la Sainte
Écriture, l’unité personnelle entre le Verbe éternel et Jésus de Nazareth,
l’unité de l’économie du Verbe incarné et du Saint-Esprit, l’unicité et l’uni-
versalité salvifique du mystère de Jésus-Christ, la médiation salvifique uni-
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verselle de l’Église, la non-séparation, quoique dans la distinction, entre le

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Royaume de Dieu, le Royaume du Christ et l’Église, la subsistance de l’unique
Église du Christ dans l’Église catholique. »

Paragraphe 7 :
« La réponse adéquate à la révélation divine est “‘l’obéissance de la foi’ (Rm 1,5;
cf. Rm 16,26; 2 Co 10,5-6), par laquelle l’homme s’en remet tout entier et libre-
ment à Dieu dans un ‘complet hommage d’intelligence et de volonté à Dieu
qui révèle’ et dans un assentiment volontaire à la révélation qu’il fait”. La foi est
un don de grâce : “Pour exister, cette foi requiert la grâce prévenante et aidante
de Dieu, ainsi que les secours intérieurs du Saint-Esprit qui touche le cœur et
le tourne vers Dieu, ouvre les yeux de l’esprit et donne ‘à tous la douceur de
consentir et de croire à la vérité’ ”.
L’obéissance de la foi comporte l’accueil de la vérité de la révélation du Christ,
garantie par Dieu qui est la Vérité même : “La foi est d’abord une adhésion
personnelle de l’homme à Dieu ; elle est en même temps, et inséparablement,
l’assentiment libre à toute la vérité que Dieu a révélée”. La foi par conséquent,
“don de Dieu” et “vertu surnaturelle infuse par lui”, comporte une double
adhésion : à Dieu qui révèle et à la vérité qu’il révèle, à cause de la confiance
accordée à la personne qui affirme. C’est pour cela que “nous ne devons croire
en nul autre que Dieu, le Père, le Fils et le Saint-Esprit”.
On doit donc tenir fermement la distinction entre la foi théologale et la croyance dans
les autres religions. Alors que la foi est l’accueil dans la grâce de la vérité révé-
lée, qui “permet de pénétrer le mystère, dont elle favorise une compréhension
cohérente”, la croyance dans les autres religions est cet ensemble d’expériences
et de réflexions, trésors humains de sagesse et de religiosité, que l’homme dans
sa recherche de la vérité a pensé et vécu, pour ses relations avec le Divin et
l’Absolu.
Cette distinction n’est pas toujours présente dans la réflexion actuelle, ce qui
provoque souvent l’identification entre la foi théologale, qui est l’accueil de la
vérité révélée par le Dieu Un et Trine, et la croyance dans les autres religions, qui est

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une expérience religieuse encore à la recherche de la vérité absolue, et encore


privée de l’assentiment à Dieu qui se révèle. C’est là l’un des motifs qui tendent
à réduire, voire même à annuler, les différences entre le christianisme et les
autres religions. »

Cinq clefs d’interprétation de la distinction foi-croyance


dans Dominus Iesus

1) La confusion des interprétations possibles de cette distinction

La première difficulté à comprendre la distinction proposée par Dominus


Iesus est de bien repérer à quel niveau on doit l’interpréter. Lors de la
parution de la déclaration, de très nombreuses réactions négatives ont
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porté sur cette distinction, interprétant celle-ci dans le sens suivant : il faut

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réserver le terme foi pour qualifier la démarche des chrétiens et utiliser
le terme croyance pour qualifier la démarche des non-chrétiens. Même le
Cardinal Kasper, président du Conseil Pontifical pour la promotion de
l’unité des chrétiens, s’est vu obligé de préciser dans son intervention lors
de la Réunion du Comité International de liaison entre Catholiques et
Juifs, à New York début mai 2001, que cette distinction n’était aucunement
valable pour les juifs et a mentionné, pour justifier cela, plusieurs citations
du pape Jean-Paul II ou même du Cardinal Ratzinger évoquant la foi des
juifs2. L’idée générale qui se dégageait à première lecture de ce texte était
que désormais la Congrégation pour la Doctrine de la Foi demandait de
réserver le terme foi pour les chrétiens et de parler de croyance pour les
autres. Or une telle distinction, « à tenir fermement », parait théologique-
ment difficilement tenable, car elle sous-entendrait qu’aucune analogie
ne serait envisageable entre ce que vivent les chrétiens dans leur démarche
de foi et ce que vivent les membres d’autres religions.
En réalité, le texte, écrit dans un style assez lapidaire et souvent allu-
sif, requiert deux niveaux de compréhension : un niveau doctrinal (la foi
chrétienne a une nature propre que ne partagent pas les autres religions)
et un niveau terminologique (l’usage du mot foi n’est pas adéquat pour
parler de la démarche religieuse des non-chrétiens). La difficulté vient, à
la lecture de ce paragraphe, d’une confusion de ces deux niveaux d’inter-
prétation. Deux indices nous permettent de comprendre que l’affirmation
essentielle ne porte pas sur le niveau terminologique, mais sur le niveau
doctrinal où est affirmée la spécificité de la foi chrétienne par rapport

2. Walter Kasper, “Dominus Iesus”, texte pour la Réunion du Comité international de Liaison
entre Catholiques et Juifs, New York, 1-4 mai 2001. Texte disponible en français et en anglais
sur le site www.chrétiens-et-juifs.org.

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aux démarches des membres des autres religions : d’abord le degré d’au-
torité requis par le texte pour l’application de cette distinction, ensuite
le fait que le document fait allusion à une distinction traditionnelle dans
l’Église ; ce qui est le cas pour la distinction doctrinale et non pour la dis-
tinction terminologique.
Juste après la présentation de la déclaration à la salle de Presse du Saint-
Siège, Mgr Bertone, secrétaire de la Congrégation, a fait une intervention
pour préciser le genre littéraire de la déclaration et son degré d’autorité :
«  La formule d’approbation qui se trouve à la fin du document est d’une
autorité haute et spéciale  : “avec science certaine et son autorité aposto-
lique”, ce qui correspond à l’importance et au caractère essentiel des conte-
nus doctrinaux enseignés dans la déclaration : il s’agit de vérités de foi divine
et catholique (qui appartiennent au premier niveau des Formules de la
Profession de Foi3) ou de vérités de doctrine catholique à tenir fermement
(qui appartiennent au deuxième niveau). L’assentiment requis de la part des
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fidèles est donc de type définitif et irrévocable. »

Pour ce qui est de la distinction foi-croyance, le texte invite effectivement


à «  tenir fermement la distinction entre la foi théologale et la croyance
dans les autres religions ». Cette distinction, comme nous l’avons dit, peut
être interprétée à un double niveau  : au niveau doctrinal et au niveau
de la terminologie. Il convient de bien distinguer les deux niveaux sous
peine, d’une part, de contredire le Magistère lui-même, qui jusqu’à pré-
sent n’a pas fait beaucoup usage de cette distinction dans la terminologie,
et d’autre part, d’interpréter le « tenir fermement » comme le signe d’une
nouvelle ère d’obscurantisme dans l’Église catholique : on voit mal effet
comme une distinction de termes, non traditionnelle dans l’Église, pour-
rait tout à coup devenir une « vérité définitive de la foi catholique » sans
qu’il y ait d’explications données. Il faut donc comprendre l’invitation à
« tenir fermement la distinction » au niveau doctrinal. On pourrait la tra-
duire ainsi : « on doit tenir fermement la spécificité de la nature de la foi
chrétienne en tant qu’accueil dans la grâce de la vérité révélée, le Christ
lui-même, par rapport à la nature de ce qui est transmis et reçu dans les
autres religions. »

3. Par rapport au Canon 883 du Code de Droit Canonique, la Profession de foi de 1989 a intro-
duit un degré de plus dans l’autorité des textes émanant du magistère et donc aussi dans le
degré d’assentiment requis de la part des fidèles. Elle distingue trois niveaux :
- Niveau 1 : Ce qui est divinement révélé : cela requiert de la part des fidèles une foi ferme
(« on doit croire fermement » §10 ou §14) ;
- Niveau 2 : Ce que l’Église propose de façon définitive : des vérités définitives, mais non
considérées comme divinement révélées. Cela requiert de les tenir fermement (« on doit tenir
fermement » §7 par ex.) ;
- Niveau 3  : Ce qui n’est pas définitif (non défini comme infaillible) mais énoncé par le
magistère. Cela requiert l’adhésion avec soumission religieuse de la volonté et de l’intelligence.

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Dominus Iesus laisse par ailleurs entendre4 qu’une telle distinction est tradi-
tionnelle dans l’Église. Or la distinction des termes foi et croyance, empruntée
à l’encyclique Fides et Ratio, ne se trouve nullement utilisée dans le Magistère
récent de l’Église catholique concernant les relations entre le christianisme
et les religions. Par contre, l’enseignement sur la spécificité de la nature de
la foi chrétienne est, lui, beaucoup plus traditionnel et trouve également
un écho dans l’enseignement récent du Magistère à propos des relations
entre les chrétiens et les non-chrétiens. Il s’agit d’un enseignement donné
par Jean-Paul II aux fidèles pendant l’audience générale du 5 juin 1985 à
propos de la différence et des affinités entre la foi chrétienne et les autres
religions. Voici un bref extrait du texte5 :
« […] Si croire de manière chrétienne veut dire répondre à l’autorévélation
de Dieu, dont la plénitude est en Jésus-Christ, cette foi n’échappe cependant
pas, en particulier dans le monde contemporain, à des relations confiantes
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avec les religions non chrétiennes du fait que, dans chacune, s’exprime de

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quelque manière “ce que les hommes ont en commun et qui les pousse à vivre ensemble
leur destin commun” (NA 1). L’Église ne fuit pas ces relations, au contraire, elle
les désire et elle les cherche.
Sur le fond d’une grande communion dans les valeurs positives de spiritua-
lité et de moralité se précise avant tout le rapport de la “foi” avec la “religion”
en général. Dans la religion, l’homme cherche la réponse aux interrogations
que j’ai énumérées [sens de la vie, souffrance, péché, chemin de bonheur,
mort, origine et fin de la vie] et il établit d’une certaine façon son propre
rapport avec le “mystère qui entoure notre existence”. Or les différentes reli-
gions non chrétiennes sont avant tout l’expression de cette recherche de la
part de l’homme, tandis que la foi chrétienne a sa propre base dans la révé-
lation de Dieu. Malgré quelques affinités avec d’autres religions, c’est en cela
que consiste sa différence essentielle par rapport à elles ».

Dans ce texte apparaît la distinction doctrinale essentielle que l’on


retrouve dans Dominus Iesus :
«  La spécificité de la foi chrétienne, c’est qu’elle a sa propre base dans la
Révélation de Dieu alors que les différentes religions non chrétiennes sont
avant tout l’expression de cette recherche de la part de l’homme. » (texte
de l’audience)
« La foi théologale est l’accueil de la vérité révélée par le Dieu Un et Trine, et
la croyance dans les autres religions est une expérience religieuse encore à la
recherche de la vérité absolue, et encore privée de l’assentiment à Dieu qui
se révèle. » (DI 7)

4. La formulation « cette expression n’est pas toujours présente dans la réflexion actuelle »
sous-entend qu’elle l’est parfois et qu’elle est présente dans l’enseignement traditionnel.
5. Insegnamenti 1985, VIII.1, pp. 1720-1724, cf. Conseil Pontifical pour le Dialogue
Interreligieux, Le dialogue interreligieux dans l’enseignement officiel de l’Église catholique (1963-2005)
(Documents rassemblés par Francesco Gioia), Solesmes, 2006, (référence abrégée dans la suite
des notes en Gi), n° 445.

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Comme on peut le constater, ce texte du pape Jean-Paul II tient bien la


distinction entre la nature de la foi chrétienne et la démarche des autres
religions, mais il n’évoque pas la nécessité de parler de croyance pour qua-
lifier ces autres religions. À la lumière de ce texte, il apparaît clairement
que ce que Dominus Iesus invite à « tenir fermement » et donc « à croire
de façon définitive », ce n’est donc pas que l’usage du mot foi est réservé
au chrétien, mais que la nature de la foi chrétienne n’a pas son équivalent
dans les autres religions.
Pourquoi alors cette opposition de termes foi - croyance apparaît-elle si for-
tement dans Dominus Iesus, si elle est seconde ? Tout simplement parce que
le texte, pour éviter toute confusion, ne veut pas utiliser le mot foi pour
qualifier la démarche religieuse des membres des autres religions et donc
utilise d’autres mots, adhaesio (§4) ou credulitas (§7), que les traductions
officielles ont malheureusement toutes rendus par un unique mot, équi-
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valent au terme français croyance6. L’usage du mot foi pour qualifier la

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démarche religieuse des autres religions risquerait en effet de contredire
ou d’embrouiller la nature même du propos tenu ; à savoir, tenir la distinc-
tion entre la nature de la foi chrétienne et la nature des autres démarches
religieuses.
Il semble donc que l’intention de la déclaration est d’affirmer qu’il faut
« tenir fermement » la distinction entre la nature de la foi chrétienne et la
nature de la démarche des autres religions ; et non la distinction entre les
termes foi et croyance. C’est pour éviter toute confusion, que le texte évite
d’employer le mot foi pour qualifier la démarche des autres religions en
général.

2) Le manque de précision sur l’usage du mot croyance

Pour ce deuxième niveau d’interprétation de la distinction, à savoir la


distinction terminologique entre foi et croyance, on peut se poser deux
questions.
La première est de savoir si Dominus Iesus a souhaité « consacrer » le terme
de croyance pour parler de la démarche religieuse des autres religions, ou si
le terme croyance est utilisé là par défaut, pour éviter d’employer le mot foi.
L’enjeu est important, car l’interprétation majoritaire qui a été faite dans
le monde à la réception du document va dans le sens d’une consécration
du mot croyance, par opposition au mot foi ; ce qui a évidemment provoqué
de nombreuses réactions, soit de rejet du texte, soit de relativisation de
l’impact de la portée du texte7. Mais si ce n’est pas le cas, on peut simple-

6. Croyance, belief, credenza, Überzeugung, creencia, crença.


7. Par exemple, Francis Clooney, jésuite, professeur de théologie à Boston College, spécia-
liste de l’hindouisme, commente ainsi la distinction dans son article « Dominus Iesus and the

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ment relativiser l’impact de cet usage et voir quels autres mots adéquats
peuvent rendre compte de la démarche des membres d’autres religions.
La deuxième question est de savoir si la définition du mot croyance au §7
est une définition a minima, uniquement pour faire ressortir la spécificité
de la foi chrétienne, ou si c’est une définition exhaustive de ce que le
Magistère reconnaît de la démarche religieuse des autres.
Notre hypothèse est que le terme croyance est utilisé là par défaut et non
par volonté de consacrer ce mot pour qualifier la démarche religieuse des
non-chrétiens. Nous allons d’abord rappeler ce qui a poussé les lecteurs à
interpréter la distinction dans le sens d’une consécration du mot croyance,
puis nous allons, en analysant le texte, montrer que l’on ne peut pas s’en
tenir à cette interprétation
Évidemment la confusion des niveaux d’interprétation de la distinc-
tion opérée par Dominus Iesus a contribué à opposer les deux termes foi
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et croyance et à les consacrer dans leurs usages respectifs. La plupart des

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medias, des articles et des commentaires ont interprété le mot croyance
comme étant celui que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi
souhaitait désormais voir utiliser pour qualifier la démarche religieuse des
non-chrétiens. Certains membres de la curie l’ont également compris de
la même manière. Nous avons évoqué le texte du Cardinal Kasper, rappe-
lant que pour les juifs, il fallait bien parler de foi et non de croyance ; nous
pouvons aussi évoquer l’intervention de Mgr Charles Schleck, secrétaire
adjoint de la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples, à l’occasion
de la rencontre annuelle des directeurs nationaux des œuvres pontificales
missionnaires : « La distinction met en valeur la recherche de Dieu par
l’homme et l’ensemble des doctrines et rites auxquels elle a donné nais-
sance, mais, en les qualifiant de croyances, elle rappelle la différente qualité
de foi de qui, par la grâce de Dieu, adhère à la révélation et au don de
la vie divine »8. Il faut dire que non seulement le texte de Dominus Iesus
est assez allusif, mais que la présentation officielle des contenus christolo-
giques de la déclaration par Don Amato l’était encore davantage : « Dans
ce contexte [de relativisme], la Déclaration propose deux clarifications.

new Millenium » (in America, Vol 183, n°13, America press, New York, 28 octobre 2000) : « La
déclaration nous demande par exemple de réserver foi – “l’acceptation dans la Grâce de la
vérité révélée… l’acceptation de la vérité révélée par le Dieu un et Trine” – pour se référer à
l’action chrétienne d’accepter la vérité de Dieu. Par contraste, nous devons utiliser croyance
– “cet ensemble d’expériences et de réflexions, trésors humains de sagesse et de religiosité, que
l’homme dans sa recherche de la vérité a pensé et vécu, pour ses relations avec le Divin et l’Ab-
solu” – pour nommer ce que font les membres des autres religions. C’est une distinction claire,
mais en pratique, les mots ont de nombreux contresens, ils ne restent jamais proprement fixés,
même si on pourrait le souhaiter ».
8. « Discours de Mgr Schleck, secrétaire adjoint de la Congrégation pour l’Évangélisation
des Peuples, à l’occasion de la rencontre annuelle des directeurs nationaux des œuvres pon-
tificales missionnaires  », 11 mai 2001. (Article accessible début 2008 sur le site Internet du
Vatican, Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples, mais aujourd’hui non accessible).

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Avant tout la distinction entre la foi théologale et la croyance. À la vérité de


la révélation chrétienne on répond par l’obéissance de la foi, vertu théo-
logale qui implique un assentiment libre et personnel à toute la vérité
que Dieu a révélée. Si la foi est accueil de la vérité révélée par Dieu Un et
Trine, la croyance est au contraire une expérience religieuse encore à la
recherche de la vérité absolue et donc privée de l’assentiment à Dieu qui
se révèle  ». Ici, la focalisation est clairement sur l’opposition foi-croyance
puisque, au niveau du texte lui-même, la référence aux autres religions est
sous-entendue.
Pourtant, si on interprète les §4 et 7 de Dominus Iesus comme un désir de
consacrer le terme de croyance pour qualifier ce que vivent les non-chrétiens,
on repère assez vite des limites au texte et même des contradictions internes.
D’une part, parce que le terme croyance, ici, renvoie à la notion de
croyance telle qu’elle est expliquée dans les §31-32 de Fides et Ratio9 en
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opposition à la manière dont la foi est présentée dans le §13 de Fides et

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Ratio. Or, il est clair qu’il n’y pas équivalence de contexte entre Fides et
Ratio et Dominus Iesus. Fides et Ratio se situe dans le cadre plus général
d’une réflexion anthropologique sur les liens entre foi et raison et, dans
ce cadre, explique que tout homme, comme « être qui cherche la vérité,
est celui qui vit de croyance » (FR 21) et de poursuivre : « La croyance se
révèle souvent humainement plus riche que la simple évidence, car elle
inclut un rapport interpersonnel et met en jeu non seulement les capaci-
tés cognitives personnelles, mais encore la capacité plus radicale à se fier
à d’autres personnes et à entrer dans un rapport plus stable et plus intime
avec elles  » (FR 32). La notion de croyance telle qu’elle est définie ici
concerne l’homme en général, notamment le chrétien en qui coexistent
en même temps la foi (§13) et l’attitude de croyance (§31-32). On ne peut
donc pas établir de parallèle directement applicable entre les deux textes.
D’autre part, la notion de croyance, telle qu’elle est définie ici, n’est
pas suffisamment exhaustive pour rendre compte de ce que vivent les
membres des autres religions. La critique de Maurice Pivot dans son article
« La déclaration Dominus Iesus deux ans après » est assez limpide :
« Ainsi employé, le terme “croyance” avec les connotations qui en sont don-
nées, n’est pas une catégorie pertinente ; ce terme ne peut suffire à rendre
compte de la situation religieuse des chercheurs de Dieu, chercheurs de
vérités des autres traditions religieuses. La déclaration elle-même n’arrive
d’ailleurs pas à se tenir à cette distinction : au n°8, elle rappelle qu’à ces cher-
cheurs de Dieu, Dieu se rend déjà présent, ce qui renvoie analogiquement,
non pas au terme de “croyance”, mais au terme de “foi”. »10  

9. Jean-Paul II, La foi et la Raison, Centurion/Cerf/Mame, Paris, 1998 (143p.) pour l’édition
française. L’édition latine est disponible sur le site Internet du Vatican.
10. Maurice Pivot, « La déclaration Dominus Iesus deux ans après », Esprit et Vie n°71, Paris,
déc. 2002, pp. 3-13.

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DISTINCTION ENTRE FOI ET CROYANCE DANS DOMINUS IESUS 113

Certains commentateurs ont excusé cette défaillance du texte de la


Déclaration par le fait qu’elle aurait été rédigée rapidement. D’autres y
ont vu le signe d’une fermeture de la Congrégation pour la Doctrine de la
Foi vis-à-vis du dialogue interreligieux… Or un tel document, par l’impact
qu’on a voulu lui donner, par l’autorité que le Magistère lui a octroyée, ne
peut certainement pas avoir été bâclé, ni même préparé à la hâte.
Enfin, si on regarde le texte latin, on s’aperçoit que le terme croyance
n’est pas rendu par un unique mot, mais par deux mots, voire trois, si
on tient compte du mot employé par Fides et Ratio. Étant donné que le
texte de la Déclaration a été immédiatement donné avec sa traduction
dans les grandes langues occidentales, la plupart des fidèles l’ont lu dans
leur langue et non dans sa version originale, le latin. Or il se trouve que
curieusement les mots traduits dans toutes les langues occidentales par
l’équivalent du mot « croyance », sont en fait différents. Au paragraphe 4,
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le document oppose fides et adhaesio, alors qu’au paragraphe 7, il oppose

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fides theologalis à credulitas. Dans Fides et Ratio au §32, le terme traduit par
croyance est fiducia, alors que le paragraphe 7 qui fait référence, sans le
citer toutefois, à Fides et Ratio § 32, conserve le mot credulitas. Cela signifie,
puisque le texte officiel est le texte latin, qu’il n’y a pas un mot (croyance)
pour traduire la démarche religieuse des non-chrétiens, mais au moins
deux mots : adhaesio et credulitas, voire un troisième, fiducia. Or ces mots
latins ne sont nullement équivalents et mettent l’accent sur des approches
assez différentes. Tout se passe comme si, finalement, le mot utilisé n’avait
pas tellement d’importance, mais c’était le contenu qui en avait.
De plus, au §4, la phrase latine : « natura fidei christianae per respectum
ad adhaesionem aliis religionibus », est rendue dans la traduction officielle
en français par «  la nature de la foi chrétienne vis-à-vis des autres reli-
gions ». Le texte anglais traduit : « the nature of Christian faith as compared
with that of belief in other religions ». Les autres langues officielles traduisent
dans le sens de la version anglaise sans l’ellipse de la traduction française.
Cette dernière peut s’interpréter comme un oubli, ce qui serait un oubli
« critique » puisqu’il ne préciserait pas la nature de l’adhaesio des autres reli-
gions, ou elle peut s’interpréter comme une ellipse volontaire, ce qui signi-
fie que l’essentiel n’est pas le mot croyance, mais la nécessité de distinguer la
démarche de foi de la démarche religieuse dans les autres religions. Encore
une fois, étant donné le caractère solennel avec lequel a été présentée la
Déclaration, il semblerait douteux que ces questions de traductions aient
été bâclées.
Il faut donc pencher pour l’autre hypothèse selon laquelle le terme
croyance a été mis là par défaut, faute d’un autre terme plus approprié, et
que les références à Fides et Ratio n’ont pas pour but de dire de manière
exhaustive à quoi se limite la croyance des autres, mais au contraire de mon-

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114 H. DE LA HOUGUE

trer que le terme croyance, tel qu’il est utilisé ici, ne se limite pas au sens
restreint habituellement entendu. Il est à comprendre dans un sens plus
large et plus élevé qui n’exclut pas une véritable dimension « religieuse ».
En effet, une des difficultés de réception de cette distinction foi-croyance
est qu’elle renvoie dans les réflexions théologiques récentes à une notion
péjorative de croyance. François Bousquet dans un article sur « La foi dans
sa spécificité chrétienne »11 où il compare le mot foi avec des concepts qui
lui sont parfois donnés comme équivalents, invite à distinguer la foi de la
simple croyance. Le risque, selon lui, du mot croyance pour définir la relation
qui unit l’homme à Dieu est que, tel qu’il est compris aujourd’hui, il n’est
qu’un premier degré d’adhésion à une vérité non rationnelle. Le terme
est souvent utilisé comme référence au passé et s’exprime en mythes ou
en rites avec un rétrécissement de la Vérité à laquelle ces croyances se rap-
portent. Dans la même logique, Joseph Moingt12 affirme que dans la vie du
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chrétien, foi et croyance sont souvent mélangées, mais si la croyance en venait

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à prendre le dessus, la foi chrétienne perdrait alors sa spécificité. Elle ne
serait plus qu’attachement à des rites et des coutumes, elle ne serait plus
mue que par le désir obscur « de conjurer les châtiments du Tout-Puissant,
d’attirer sa protection, de provoquer ses interventions ». Le chrétien dont
la foi serait progressivement remplacée par la croyance deviendrait « fatale-
ment plus dépendant des courants d’opinion qui circulent dans son envi-
ronnement social, des nouveaux modes de penser qui décrédibilisent les
anciens discours religieux  ». De manière plus large, Edmond Ortigues,
dans son article « Foi » de l’Encyclopaedia Universalis, oppose la notion de
croyance qui est l’adhésion (à différents degrés) à ce qu’on tient pour
vrai, à la confiance qui est une relation. Dans cette compréhension très
restrictive du terme croyance, on comprend que son usage pour parler de
la nature de la démarche religieuse des non-chrétiens soit non seulement
mal compris, mais même choquant pour beaucoup de théologiens engagés
dans le dialogue interreligieux ainsi que pour les lecteurs non-chrétiens.
Or, sur la nature de la démarche religieuse des non-chrétiens, en dehors
des musulmans et des juifs avec lesquels les chrétiens ont une relation
privilégiée, les textes officiels récents de l’Église catholique sont beaucoup
plus positifs13. Cela ne fait d’ailleurs que reprendre les affirmations du der-
nier concile : Vatican II ne s’était pas limité à admettre la possibilité d’un

11. In La Maison-Dieu, Paris, n°174, 1988, p. 21-58.


12. Joseph Moingt, Dieu qui vient à l’homme, Coll. Cogitatio Fidei n°222, Cerf, Paris, 2002,
pp. 88-91.
13. Voir par exemple, le message de Noël radiodiffusé de Paul VI le 22 décembre 1964
(Insegnamenti 1964, II, pp. 759-760.764-765, Gi 212-214) ; le discours de Paul VI aux moines
bouddhistes de Thaïlande le 5 juin 1972, (Insegnamenti 1972, X, pp. 604-605, Gi 293) ; le dis-
cours de Jean-Paul II à Colombo le 20 janvier 1995 (Osservatore Romano du 25 janvier 1995,
Gi 819-820).

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DISTINCTION ENTRE FOI ET CROYANCE DANS DOMINUS IESUS 115

salut pour les non-chrétiens par l’association au mystère pascal du Christ


« d’une manière que Dieu connaît » (GS 22,5) ; il a affirmé à plusieurs reprises
les valeurs positives vécues dans les religions non chrétiennes, reconnais-
sant qu’il y a des choses bonnes et vraies, don de Dieu qui illumine (LG
16) ; des éléments de vérité et de grâce, y compris dans leurs rites et les
coutumes (AG 9), des semences du Verbe (AG 11), des règles et des doc-
trines qui, tout en différant de la foi chrétienne, apportent souvent un
rayon de vérité qui illumine tout homme.
Il est donc clair que le terme croyance renvoie ici à quelque chose d’infi-
niment plus élevé que l’usage qui en est habituellement fait dans les lan-
gues occidentales. La référence à Fides et Ratio a justement pour but de
rappeler que le terme croyance, employé ici par défaut, n’est pas à com-
prendre dans son acception commune, assez péjorative, mais comme une
authentique démarche religieuse, même si celle-ci n’est pas comparable,
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dans sa nature, à la foi chrétienne.

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« Il est bon de souligner que les vérités recherchées dans cette relation inter-
personnelle ne sont pas en premier lieu d’ordre factuel ou d’ordre philo-
sophique. Ce qui est plutôt demandé, c’est la vérité même de la personne :
ce qu’elle est et ce qu’elle exprime de son être profond. La perfection de
l’homme, en effet, ne se trouve pas dans la seule acquisition de la connais-
sance abstraite de la vérité, mais elle consiste aussi dans un rapport vivant de
donation et de fidélité envers l’autre. Dans cette fidélité qui sait se donner,
l’homme trouve pleine certitude et pleine sécurité. En même temps, cepen-
dant, la connaissance par croyance, qui se fonde sur la confiance interper-
sonnelle, n’est pas sans référence à la vérité : en croyant, l’homme s’en remet
à la vérité que l’autre lui manifeste » (FR 32).

Soulignons ici les termes utilisés par ce paragraphe de Fides et Ratio


auquel renvoie le §7 de Dominus Iesus  : donation et fidélité, confiance
interpersonnelle qui n’est pas sans référence à la vérité… Nous sommes
loin de l’interprétation réductrice que le terme croyance laisse habituelle-
ment entendre.
L’interprétation « positive » de l’usage du mot croyance dans la déclara-
tion Dominus Iesus est donc largement suggérée, d’une part par la diversité
des mots utilisés dans le texte latin – adhaesio, credulitas et fiducia ayant des
connotations très différentes –, d’autre part par le texte de l’enseignement
de Jean-Paul II à l’audience du 5 juin 1985 que nous avons vu plus haut
et qui n’utilise pas le mot croyance ; et enfin par le fait que Fides et Ratio ne
cherche pas à mettre en concurrence la foi du §13 et la croyance du §32.
Un texte plus ancien de Jean-Paul II, dans l’encyclique Redemptor Hominis
de 1979, affirme même que la croyance des autres religions doit parfois
servir d’exemple pour encourager les chrétiens à persévérer dans leur foi :
« N’arrive-t-il pas parfois que la fermeté de la croyance des membres des

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religions non chrétiennes –  effet elle aussi de l’Esprit de vérité opérant


au-delà des frontières visibles du Corps mystique  – devrait faire honte
aux chrétiens, si souvent portés à douter des vérités révélées par Dieu et
annoncées par l’Église, si enclins à laisser se relâcher les principes de la
morale et à ouvrir les portes à une morale permissive ? » (RH 6).
Nous croyons donc pouvoir affirmer que Dominus Iesus ne cherche pas
à consacrer le terme croyance pour qualifier la nature de ce que vivent les
non-chrétiens dans leur relation à Dieu. Son utilisation doit être comprise
dans son acception positive, n’excluant pas l’idée de donation, de fidélité,
de confiance interpersonnelle avec le Divin. Mais revenons à l’usage du
mot foi et regardons comment les textes officiels de l’Église catholique
l’emploient lorsqu’ils parlent de la démarche religieuse des membres
d’autres religions.
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3) La « foi » des autres dans les textes officiels récents de l’Église catholique

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L’expression utilisée par Dominus Iesus, «  la distinction n’est pas toujours
présente dans la réflexion actuelle  », suppose a contrario que dans certaines
réflexions actuelles, cette distinction est tenue. Nous avons vu qu’il s’agis-
sait en fait, non pas de la distinction des mots foi pour parler de la foi chré-
tienne et croyance pour parler de la démarche religieuse des non-chrétiens,
mais de la distinction entre la nature de la foi chrétienne qui est unique
(en tant qu’assentiment au Dieu Un et Trine qui se révèle en Jésus-Christ),
et la nature de la démarche religieuse des autres. Nous avons vu par
ailleurs que le document évitait, pour empêcher cette confusion, d’utiliser
le mot foi pour parler de la démarche religieuse des autres. Qu’en est-il de
l’usage du mot foi  dans les textes officiels récents de l’Église catholique ?
Francesco Gioia a rassemblé, pour le Conseil Pontifical pour le Dialogue
Interreligieux, tous les textes de l’enseignement officiel de l’Église catho-
lique à propos de dialogue interreligieux entre 1963 et 200514. À la lecture
de ce précieux compendium, on constate que le mot foi est quelquefois
(rarement) employé pour dire la démarche religieuse des peuples en
général15 mais dans un sens global, très large, sans que soit sous-entendu
un contenu précis. Lorsque les textes évoquent un contexte précis – la
démarche religieuse des bouddhistes, des hindous, des bahaïs, des man-
déens, des religions traditionnelles africaines, des shintoïstes, etc. – le mot
foi n’est jamais utilisé.
Par contre, le mot foi est fréquemment utilisé lorsqu’il s’agit d’évoquer
la démarche religieuse des musulmans et des juifs, aussi bien quand le

14. Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux, Le dialogue interreligieux dans l’enseigne-
ment officiel de l’Église catholique (1963-2005), op. cit.
15. Cf. par exemple Dignitatis Humanae 4 ; Dialogue et Annonce 42, 4 et 48.

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pape parle d’eux à des chrétiens que lorsqu’il s’adresse aux membres de
ces religions. En effet, dans la logique de la déclaration conciliaire Nostra
Aetate qui considère différemment les musulmans et les juifs des membres
des autres religions, les textes rappellent que dans le dialogue interreli-
gieux, le dialogue entre les chrétiens, les juifs et les musulmans doit avoir
« une place de choix »16, notamment à cause de la référence unique au
même Dieu Créateur, dont les uns et les autres se reconnaissent serviteurs.
Pour cette raison, bien que la foi chrétienne soit unique par sa nature, il
semble qu’analogiquement on puisse validement utiliser le mot foi pour
désigner la démarche religieuse des musulmans et des juifs. Le texte le
plus explicite dans ce sens est le discours de Jean-Paul II prononcé le 14
février 1982 à l’adresse des communautés de l’État de Kaduna (Nigeria) :
« Nous tous, chrétiens et musulmans nous vivons sous le soleil du même Dieu
miséricordieux. Nous croyons les uns et les autres en un seul Dieu, Créateur
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de l’homme. Nous acclamons la souveraineté de Dieu et nous défendons la

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dignité de l’homme comme serviteur de Dieu. Nous adorons Dieu et nous
professons notre totale soumission à Lui. Donc nous pouvons nous appeler
au vrai sens des mots : frères et sœurs dans la foi en le seul Dieu. Et nous sommes
reconnaissants pour cette foi, car sans Dieu, la vie de l’homme serait comme
les cieux sans soleil. Grâce à la foi que nous avons en Dieu, la chrétienté et
l’islam ont beaucoup de choses en commun  : le privilège de la prière, le
devoir d’une justice accompagnée de compassion et d’aumône et avant tout
un respect sacré pour la dignité de l’homme qui se trouve à la base des droits
fondamentaux de tout être humain, y compris le droit à la vie de l’enfant qui
n’est pas encore né. »17 

En ce qui concerne le judaïsme, Jean-Paul II lors de sa visite à la syna-


gogue de Rome, le 13 avril 1986, rappelle les liens d’intimité qui unissent
chrétiens et juifs : « La religion juive ne nous est pas extrinsèque, mais,
d’une certaine manière, elle est “intrinsèque” à notre religion. Nous avons
donc avec elle des rapports que nous n’avons avec aucune autre religion.
Vous êtes nos frères préférés et, d’une certaine manière, on pourrait dire,
nos frères aînés. »18 Aussi utilise-t-il de manière habituelle le terme foi pour
désigner la démarche religieuse des juifs, comme le faisait déjà son prédé-
cesseur Paul VI19. Le Cardinal Ratzinger, dans un texte prononcée à Noël
2000, quelques mois après la parution de Dominus Iesus dit : « Il est évident

16. Tertio Millenio Adveniente 53


17. Jean-Paul II, Insegnamenti 1982 V.1, pp. 436-438, Gi 389.
18. Jean-Paul II, Insegnamenti 1986 IX.1, pp. 1024-1031, Gi 518-524.
19. Lors de l’Angelus du 17 octobre 1965  : «  Nous donnerons aujourd’hui nous mêmes
l’exemple en priant pour les non-chrétiens, spécialement pour les juifs dont la foi a son ori-
gine dans leur père Abraham et est spirituellement apparentée à la nôtre, ainsi que pour les
musulmans », Paul VI, Insegnamenti 1965 III, p. 1148, Documentation Catholique n°62 de 1965 p.
1964 D, Gi 223.

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que le dialogue entre nous, Chrétiens et Juifs, se situe à un niveau diffé-


rent de celui qui a trait au dialogue avec les autres religions. La foi dont
témoigne la Bible des Juifs, l’Ancien Testament des chrétiens, n’est pas, à
nos yeux, une religion différente, mais le fondement de notre foi »20.
À travers l’ensemble de ces textes, il semble clair que l’intention de
Dominus Iesus n’a jamais été de limiter l’utilisation du mot foi aux seuls
chrétiens. Au contraire, les textes officiels récents de l’Église catholique
ouvrent la possibilité d’utiliser le mot foi pour qualifier la démarche reli-
gieuse des juifs et des musulmans. Dominus Iesus veut simplement réaffirmer
une position traditionnelle mise à mal par le relativisme, le subjectivisme
et le syncrétisme ambiant : l’originalité de la foi chrétienne comme accueil
de la révélation du Dieu Un et Trine faite en Jésus-Christ21. En distinguant
la foi chrétienne et la démarche des autres religions, le texte ne veut pas
dire que le mot foi est réservé au chrétien ni ne cherche à entrer dans des
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distinctions entre la démarche religieuse des juifs ou des musulmans et

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celle d’autres religions.

4) Les dimensions individuelle et subjective de la foi ne sont pas abordées

Beaucoup de ceux qui ont critiqué la déclaration Dominus Iesus ont com-
pris la distinction sur la nature de la foi dans le christianisme par rapport
aux autres religions comme une affirmation de la supériorité des chrétiens
(et spécialement des catholiques) sur les non-chrétiens. Ainsi Leonardo
Boff, en caricaturant Dominus Iesus, pose-t-il la question  : «  Le Cardinal
Ratzinger pourrait-il s’imaginer ce qu’un presbytérien fidèle travaillant
avec des indiens dans la jungle amazonienne, ou bien un moine taoïste
immergé dans la contemplation, ressentiraient si pendant une rencontre
interreligieuse, ils s’entendaient dire qu’ils n’avaient pas la foi, qu’ils
n’étaient pas une Église, qu’il n’y avait rien de positif en eux, à part ce
qu’ils tiendraient de la bonté du Christ et de l’Église ? »22. En fait, Dominus
Iesus ne prétend pas mener une réflexion exhaustive sur la mission et

20. L’eredità di Abramo - Dono di Natale.


21. Jean-Paul II, en recevant les évêques indiens de rite latin lors de leur visite ad limina le
3 juillet 2003, utilise une formulation un peu différente pour signifier la même chose : « De
même, il faut observer que les explications relativistes du pluralisme religieux, qui affirment
que la foi chrétienne n’a aucune valeur différente par rapport à toute autre foi, vident en fait
le christianisme de son noyau christologique, qui le définit : la foi, séparée de notre Seigneur
Jésus Christ comme unique Sauveur, n’est plus chrétienne, n’est plus une foi théologique. Une
interprétation encore plus erronée de notre foi a lieu lorsque le relativisme conduit au syncré-
tisme : une “construction spirituelle” artificielle, qui manipule et, en conséquence, déforme la
nature fondamentale, objective et révélatrice du christianisme. » (Insegnamenti 2003 XXVI.2,
pp. 11-14, Gi 1332*).
22. Leonardo Boff, «  Joseph Cardinal Ratzinger: The Executioner of the Future  ? A response to
Dominus Iesus », Folha de Sao Paolo, 2000.

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DISTINCTION ENTRE FOI ET CROYANCE DANS DOMINUS IESUS 119

le dialogue interreligieux. En faisant cette distinction, la déclaration ne


porte pas de jugement de valeur sur ce que vivent individuellement les
membres des religions chrétiennes et non chrétiennes. Elle n’aborde pas
non plus la foi du chrétien telle qu’elle est vécue au jour le jour, c’est-à-
dire une foi marquée par la finitude, le doute, voire le péché, une foi qui
a parfois du mal à manifester sa capacité à vivre le commandement de
l’amour réciproque. Il est clair que les chrétiens ne sont pas forcément des
modèles de comportement et de foi ; et que les non-chrétiens peuvent être
des modèles inspirants pour les chrétiens.
Lorsqu’à la suite de Paul VI, Jean-Paul II rend hommage à Gandhi en
exprimant sa conviction que « la paix et la justice, dont la société contem-
poraine a un si grand besoin, ne seront atteintes qu’en suivant le chemin
qui fut l’essence même de son enseignement : la suprématie de l’esprit et
la Satyagraha, la “vérité-force” qui vainc sans violence par le dynamisme
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intrinsèque de l’action juste »23, il pose implicitement la question de l’ana-

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logie entre la démarche spirituelle de Gandhi et la foi chrétienne. La
question n’est pas neuve mais mérite d’être creusée. Elle avait été posée
indirectement dans la réflexion théologique sur la possibilité de salut des
non-chrétiens. Le texte de condamnation du jésuite Léonard Feeney en
1949 par le Saint Office, rappelait à cette occasion que pour être sauvé,
celui qui, par un vœu implicite, était ordonné à l’Église, devait être animé
par la « charité parfaite » et donc que ce « vœu implicite ne peut avoir
d’effet que si l’homme a la foi surnaturelle ».24
En affirmant que des non-chrétiens peuvent être associés au mystère pas-
cal « d’une façon que Dieu connaît » (GS 22,5), les pères du concile Vatican II
n’ont pas voulu prendre position sur la nature du lien qui unit les chré-
tiens et ceux qui, non-chrétiens, peuvent être associés au mystère pascal.
Mais la lettre de 1949 établit clairement un lien entre le vœu implicite
d’être chrétien, l’animation de la vie par une charité parfaite et le don
de la foi surnaturelle. Cela laisse donc entendre qu’il y aurait un lien au
moins analogique entre la sainteté vécue en dehors de la foi chrétienne et
la foi surnaturelle.

5) Le rapport entre la foi et la vérité

Dans la distinction qui est faite au §7 entre la foi chrétienne et la croyance


dans les autres religions, un mot revient souvent : la vérité. La foi chré-
tienne « comporte l’accueil de la vérité de la révélation du Christ, garantie par Dieu
qui est la Vérité même » ; elle est l’assentiment libre à toute la vérité que Dieu a révélée ;

23. Jean-Paul II lors de sa visite en Inde, Insegnamenti 1986 IX.1, pp. 246-249, Osservatore
Romano, édition française du 4 février 1986, Gi 484.
24. Lettre du Saint-Office à l’archevêque de Boston, Dz 3866-3873.

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120 H. DE LA HOUGUE

elle comporte une double adhésion : à Dieu qui révèle et à la vérité qu’il révèle. La
foi est l’accueil dans la grâce de la vérité révélée, qui « permet de pénétrer le mys-
tère, dont elle favorise une compréhension cohérente ». Par opposition, la croyance
dans les autres religions est « une expérience religieuse encore à la recherche de la
vérité absolue. »
La difficulté d’interprétation du rapport entre la foi et la vérité dans ces
passages tient aux différents sens que peuvent avoir ici les occurrences du
mot vérité. Le paragraphe est en fait une série de citations tirées à la fois
de Dei Verbum §4-5 et du Catéchisme de l’Église Catholique §144.150.153. Pour
définir la nature de la foi, le texte passe de la vérité sur Dieu exprimée en
langage humain (DI 6), à la vérité annoncée par le Christ (DI 6) et à la Vérité
qu’est Dieu (DI 7) sans que soit explicitée la différence de sens entre ces
divers niveaux. C’est comme si, finalement, la vérité sur Dieu exprimée en
langage humain par l’Église était la Vérité qu’est Dieu, tandis que la vérité à
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laquelle auraient accès les membres des religions non chrétiennes serait

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encore une quête humaine de la vérité sans lien avec la vérité absolue.
Par ailleurs, la tension explicite dans Dei Verbum entre Dieu qui se révèle
de manière plénière et définitive25, et l’accueil de cette révélation qui est
toujours en chemin26, n’apparaît pas non plus dans Dominus Iesus, l’accent
étant mis quasi unilatéralement sur la vérité révélée et non sur la quête
humaine de la vérité.
Comment interpréter cette focalisation de Dominus Iesus sur la notion de
vérité prise dans un sens trop unilatéral ? En fait la déclaration veut surtout
faire une mise au point par rapport au climat relativiste très présent dans
les mentalités occidentales, y compris dans la recherche théologique. Ce
climat contribue au fait que pour certains penseurs chrétiens, il n’y aurait
aucune dimension objective à la foi27 : ce qui est vrai pour une personne
ne l’est pas pour l’autre ; tout ce qui est appréhendé par la raison est telle-
ment subjectif qu’il n’y a pas de critère objectif pour juger telle démarche
religieuse meilleure qu’une autre (DI 4). Cela contribue ensuite à relati-
viser la référence à Jésus-Christ dans la foi chrétienne et finalement à nier

25. « Aucune nouvelle révélation publique n’est à attendre » (DV 4).


26. « Ainsi l’Église, tandis que les siècles s’écoulent, tend constamment vers la plénitude de
la divine vérité, jusqu’à ce que soient accomplies en elle les paroles de Dieu » (DV 8).
27. La déclaration Dominus Iesus ne donne aucun nom d’auteur visé par les positions qu’elle
condamne. Sans doute parce qu’il ne s’agit pas seulement de condamner quelques positions,
mais de dénoncer un climat général qui touche un nombre bien plus important que ceux que
l’on pourrait nommer. Cependant, sur les craintes de la Congrégation pour la Doctrine de la
Foi à propos du relativisme, on pourra se reporter avec intérêt à une conférence du Cardinal
Ratzinger faite à Guadalajara (Mexique) devant les présidents des Commissions doctrinales
d’Amérique Latine : « Le relativisme est aujourd’hui le problème central de la foi et de la théo-
logie ». Cf. La Documentation Catholique n°2151 du 5 janvier 1997, pp. 29-37. On y découvrira les
personnes directement visées par la déclaration et un développement intéressant des théories
esquissées dans la déclaration, notamment sur John Hick, Paul Knitter et, dans une moindre
mesure, Raimon Panikkar.

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DISTINCTION ENTRE FOI ET CROYANCE DANS DOMINUS IESUS 121

le contenu de la révélation : Jésus ne serait qu’une manifestation du Logos


éternel parmi d’autres. Du coup la nature de la foi chrétienne devient elle-
même sujette à redéfinition : ce qui devient important, ce n’est pas la réfé-
rence à Jésus-Christ, mais le dépassement de soi et l’ouverture aux autres.
Ces théologies libérales pluralistes, notamment celle de Hick, trouvent
leur fondement dans une philosophie relativiste pour laquelle il n’y a pas
de possibilité d’atteindre la réalité ultime en soi, mais seulement le reflet
de cette réalité ultime dans notre propre système de mesure. La vérité
est donc toujours subjective, y compris la vérité apportée par la venue du
Christ. Dans cette optique, « considérer des moyens finis (Église, dogmes,
sacrements) comme rencontre réelle avec la vérité, valable pour tous, du
Dieu qui se révèle, cela signifierait placer sur un plan absolu ce qui est
particulier et donc déformer l’infinité du Dieu totalement autre. À partir
de cette conception qui occupe aujourd’hui une position importante, et
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même au-delà des théories de Hick, penser qu’il y a réellement une vérité,

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une vérité qui lie et qui est valable pour l’histoire même, dans la figure de
Jésus-Christ et la foi de l’Église, est considéré comme un fondamentalisme,
qui se présente comme un authentique attentat contre l’esprit moderne
et comme une menace multiforme contre son bien principal, la tolérance
et la liberté. »28 Il s’agit donc pour Dominus Iesus de réaffirmer le paradoxe
de la foi chrétienne, en Jésus-Christ, et de bien rendre compte des impli-
cations de l’affirmation  : Dieu s’est fait homme. Jésus n’est pas seulement
un avatar de Dieu, une incarnation du Logos parmi d’autres. Son histoire
singulière et contingente a une portée universelle et eschatologique. Sa
venue dans notre monde, sa vie, sa mort et sa résurrection sont une réalité
incontournable pour comprendre Dieu et entrer dans son mystère. En
lui, justement, on peut parler de vérité. Et c’est ce qui fonde la prétention
chrétienne à pouvoir parler de vérité… pas n’importe comment toutefois.
La foi n’est pas détentrice de cette vérité, elle est au service de cette vérité.
En affirmant que la foi chrétienne est « l’accueil de la grâce de la vérité
révélée qui permet de pénétrer le mystère, dont elle favorise une compréhen-
sion cohérente », la déclaration n’affirme pas autre chose.
Il faut donner ici au mot mystère son sens théologique29 et non son sens
courant. Comme le rappelle Gabriel Marcel30, le mystère n’est pas un problème,
mais son contraire : « le problème est quelque chose qui barre la route, qu’il
faudrait surmonter, alors que le mystère est quelque chose dans lequel je me

28. Idem.
29. On lira avec intérêt Jean-Pierre Wagner, La théologie fondamentale selon H. de Lubac, Coll.
Cogitatio fidei n°199, Cerf, Paris, 1997, ch. 8 : « Mystère et paradoxe, les exigences du langage
théologique ».
30. Gabriel Marcel, Être et avoir, Aubier-Montaigne, Paris, 1935 p. 145, cité par Jean-Pierre
Wagner, La théologie fondamentale selon H. de Lubac, op. cit., p.203.

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trouve engagé, dont l’essence est par conséquent de n’être pas tout entier
devant moi. C’est comme si dans cette zone, la distinction entre l’en moi et
le devant moi perdait sa signification ». Ainsi, on peut dire qu’il n’y a pas
un problème de la foi, mais il y a un mystère de la foi. Ce mystère nous dépasse,
mais n’est pas inintelligible : plus on y pénètre, plus on découvre à la fois ce
qui nous est donné d’en saisir et ce qui nous dépasse. Or Jésus-Christ donne
bien au chrétien une clef pour pénétrer le mystère de façon cohérente,
puisqu’il lui permet de devenir avec lui Fils du Père dans l’Esprit. Il n’y a
donc dans cette expression aucune idée de supériorité intellectuelle des
chrétiens par rapport aux non-chrétiens, mais l’affirmation d’une spécificité
de la nature de la foi chrétienne qui est de permettre à celui qui la reçoit de
pénétrer le mystère d’une manière unique. Liturgiquement c’est d’ailleurs
bien au moment où le fidèle catholique manifeste la possibilité sacramen-
telle d’être en communion avec Jésus-Christ, au cœur de l’Eucharistie, qu’il
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peut proclamer : « Il est grand, le mystère de la foi ».

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La vérité dont il s’agit ici est donc bien la possibilité paradoxale donnée
au chrétien de pénétrer le mystère de Dieu qui est la Vérité. Par contraste,
les fidèles des autres religions, ne recevant pas le Christ comme sauveur,
sont encore à la recherche de la vérité absolue. « En Jésus Christ, qui est la Vérité,
la foi [chrétienne] reconnaît l’ultime appel adressé à l’humanité, pour
qu’elle puisse accomplir ce qu’elle éprouve comme désir et comme nostal-
gie » (FR 33). Cela ne signifie pas que les non-chrétiens ne reçoivent rien
du mystère de Dieu, comme le rappelle le §8, mais cela rappelle qu’on
ne peut pas mettre une équivalence entre la nature de la démarche chré-
tienne et la nature de la démarche des non-chrétiens.

Conclusion

Au terme de cette analyse de la distinction foi-croyance dans la déclara-


tion Dominus Iesus, nous sommes en mesure d’éclaircir trois points qui
semblaient empêcher toute avancée dans la réflexion sur un lien éventuel
entre la foi chrétienne et la démarche religieuse des membres de religions
non chrétiennes.

1) Contrairement à ce que laisserait penser une lecture rapide des para-


graphes 4 et 7 de la déclaration, cette dernière ne demande pas de réserver
le mot foi pour qualifier la démarche religieuse des chrétiens, ni d’utiliser
le mot croyance pour qualifier la démarche religieuse des non-chrétiens. La
déclaration veut simplement, dans un climat où le relativisme tend à don-
ner à toutes les religions une même valeur salvifique, redire la spécificité
et l’originalité de la foi chrétienne. La distinction « à tenir fermement » ne

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DISTINCTION ENTRE FOI ET CROYANCE DANS DOMINUS IESUS 123

porte pas sur la terminologie (l’usage ou le non-usage du mot foi), mais


sur la spécificité doctrinale de la foi chrétienne par rapport aux autres
religions.
2) Au regard de quelques textes officiels de l’Église catholique, il ne
semble pas impossible d’utiliser le mot foi, « au vrai sens des mots »31, pour
qualifier la démarche religieuse des juifs et des musulmans.
3) Le mot croyance est utilisé dans la traduction de la déclaration par
défaut, faute d’un mot meilleur. Le texte original latin utilise plusieurs
mots : adhaesio, credulitas et implicitement fiducia. Le renvoi à Fides et Ratio
veut justement montrer que le mot croyance n’est pas utilisé ici au sens
commun, mais dans son acception la plus positive. Dominus Iesus ne sou-
haite donc pas consacrer le mot croyance pour qualifier la démarche reli-
gieuse des membres d’autres religions. Rien n’empêche donc d’utiliser
d’autres mots ou d’autres expressions pour qualifier leur démarche, dans
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la mesure où cela respecte la spécificité de la foi chrétienne.

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Ces trois points éclaircis, il nous reste à approfondir l’essentiel : la nature
du lien entre la foi chrétienne et la démarche des membres des autres reli-
gions. Quelle analogie peut-il y avoir entre les deux ? Sur quoi peut-on fon-
der cette analogie ? Notre réflexion suggère déjà deux pistes de recherche :
la vérité à laquelle se réfère la démarche des membres d’autres religions
n’est-elle pas sans lien avec le mystère de Dieu qui se révèle de manière
incessante dans la création ? La réflexion de Dominus Iesus s’est focalisée
sur l’objet de la foi, mais une prise en compte de toutes les dimensions de
la foi n’apporterait-elle pas de nouvelles perspectives pour comprendre la
démarche des autres à la lumière de la foi chrétienne ?

31. Texte de Jean-Paul II prononcé le 14 février 1982 à l’adresse des communautés de l’État
de Kaduna, op.cit.

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