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Bulletin

MILITANT4
ALERTE :
é né ralisé e dans les
Épidé mie g d ’A mé rique
partements fra nç ais
Dépa

ECLAT :
25 juin, par D
aniel Defert
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SOMMAIRE

P. 1 > Edito | Vienne

> Agora | AIDES e


1 t l’Aide à Domicile
P. 2

> Zoom | Actions g


ays Paris
P. 7

P. 11 > Aler te |
2
me n ts F ran ça is d’Amérique
Départ e

| P a rc our s d ’un militant du Sud


P. 20 > Insoumi

|
7

t 25 juin, p a r Daniel Defert


P. 23 > Ecla
|
P. 35 > Zoom | C
st O b se rv ato ire Etrangers
11 om’Te

u | Agenda
P. 37 > Sur le fe
20

23

Éditeur : AIDES, 14 rue Scandicci, 93508 Pantin CEDEX • Tél. : 01 41 83 46 22 • Fax : 01 41 83 46 49 • ISSN : ISSN
1969-8615 • Contact : cominterne@aides.org • Directeur de la Publication : Bruno SPIRE • Maquette : Stéphane
BLOT, Vincent CAMMAS • Relecture : Samuel GALTIÉ • Coordination, diffusion et abonnements : Laurence
BORDAS, lbordas@aides.org • Parution : Septembre 2010 • Photos et illustrations : AIDES, Stéphane BLOT, Vincent
CAMMAS, Daniel HERARD, Vincent MALLEA, Yul Studio • Tirage : 5.800 exemplaires.
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EDITO

Vienn e 20 10 : des droits,


ici et maintenant !
La conférence de Vienne risques pour les usa-
vient de s’achever. Jamais gers de drogue partout
une conférence mondiale dans le monde, notam-
n’aura eu un écho si ment en Europe de l’Est
médiatique. Julio Montaner, et en Asie Centrale.
Président de l’IAS a souligné dès l’ouverture que Cette déclaration aurait
l’on pouvait arrêter l’épidémie d’ici quelques eu plus de portée si le
décennies si le traitement était disponible. Les leadership politique s’était affirmé à Vienne,
militants de AIDES et ses partenaires internatio- mais les chefs d’états étaient très peu présents
naux étaient fortement impliqués pour porter ! Le chemin reste encore ardu pour convaincre
les enjeux de cette conférence : promouvoir nos dirigeants prêts à sauver les banques à met-
l’accès universel au traitement et à la préven- tre en place cette taxe infime de 0.005% sur les
tion, plaider pour des mécanismes de finance- opérations de change. Nous avons cependant
ment innovant pour permettre l’accès aux soins eu la visite de la Ministre de la Santé Roselyne
comme la taxe ROBIN sur les transactions de Bachelot qui a annoncé le passage à l’échelle en
change, promouvoir l’accès aux droits en parti- France du dépistage communautaire par les
culier pour les groupes les plus vulnérables non-soignants, ce qui est une avancée ; dom-
comme les HSH1 et les usagers de drogue. Le mage que sa parole de santé publique sur l’édu-
thème de la conférence était “des droits, ici et cation à l’injection ou les PES en Prison soit
maintenant !” AIDES a été une des premières muselée par l’idéologie gouvernementale de
organisations à signer l’appel de Vienne plaidant lutte contre les usagers de drogue !
pour une politique de santé publique basée sur
les faits et non sur l’idéologie pour permettre Bruno Spire, Président de AIDES
d’appliquer les avancées de la réduction des

1/ Hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes


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AGORA

le s P A A D
Sauver

ou Tra n s F o r m e R
la s o cié t é ?
Le Conseil d’administration de AIDES a
entamé une réflexion sur le retrait de
l’association de la coordination des
PAAD. Retour sur les éléments qui ont
amenés à cette orientation.

2 bulletin militant
septembre 2010
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AGORA

La création des PAAD : De nouvelles réponses dans le droit


une réponse à des besoins non couverts commun, une réponse moins spécifique
Au début des années 90, dans un contexte d’ur- au VIH et inégalement répartie sur le
gence sanitaire où les hospitalisations étaient territoire national
fréquentes, AIDES a créé de façon expérimen- Depuis sa création, AIDES innove, interroge et
tale “l’aide à domicile” pour les personnes vivant priorise ses actions en s’appuyant sur les
avec le VIH. L’objectif était d’éviter ou d’écourter besoins et la mobilisation des personnes
l’hospitalisation des malades en facilitant leur concernées, ainsi que sur les évolutions épidé-
maintien à domicile par des interventions non miologiques et scientifiques. Et depuis toujours
discriminantes. Des aides à domicile (AAD) for- AIDES plaide pour la qualité de la prise en
mées et volontaires, aidaient les personnes aux charge par les dispositifs sanitaires et sociaux, et
tâches de la vie quotidienne en intervenant sur pour le développement d’une politique de santé
leur lieu de vie. publique tenant compte des droits des per-
sonnes, quitte à transformer la société.
Ces programmes expérimentaux ont conduit à
la création des Programmes d’Aide à Domicile Depuis, l’offre d’aide à domicile s’est diversifiée
(PAAD), suivant la circulaire du 8 janvier 1996. et enrichie, notamment depuis la loi du 11
février 2005 portant sur la création des MDPH,
Depuis ces dernières années, les traitements avec de nouveaux dispositifs liés au handicap
antirétroviraux ont permis d’améliorer l’état de (PCH, SAMSAH, SAVS), ainsi que les dispositifs
santé des personnes vivant avec le VIH, de dimi- liés à la perte d’autonomie (APA).
nuer le recours à l’hospitalisation et de réduire Ces dispositifs sont aujourd’hui en mesure de
la perte d’autonomie. Ces évolutions ont eu un répondre à certains besoins des personnes
impact sur les enjeux des dispositifs PAAD. vivant avec le VIH, et plus globalement, vivant
Ainsi, au moment où les besoins diminuaient avec une affection de longue durée (ALD).
dans le cadre des PAAD, de nouveaux besoins Quand ils ne le font pas, AIDES plaide locale-
sont apparus autour de la qualité de vie avec le ment et nationalement afin d’améliorer l’accès
virus et avec les traitements, et de l’accompa- et le contenu de ces prestations (procédure
gnement thérapeutique, auxquels les aides à la d’urgence devant les MDPH, aide ménagère
vie quotidienne proposées par les prestations dans la PCH, aides des CPAM et des Conseils
du PAAD ne répondaient pas. Généraux…).
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AGORA

Dès 2003, partant plan local, et notamment de l’existence d’un


Le dispositif imaginé par du constat que la PAAD. A contrario, dans les départements où
AIDES avait vocation à réponse PAAD n’existe pas de PAAD, cette réponse peut être
répondre à des besoins était moins spéci- trouvée auprès des CPAM, des conseils géné-
face à l’urgence et à l’ab- fique au VIH raux, voire des CCAS, quelle que soit la patholo-
sence de réponse réac- (baisse des files gie ou l’origine du handicap/perte d’autonomie.
tive et adaptée dans le actives) tout en
droit commun. L’objectif excluant les per- Enfin, au mois de juin 2009, la Direction Générale
de transfert figurait dans sonnes mono- de la Santé a proposé de réactualiser la circu-
le projet initial. infectées par le laire de 1996. À ce moment là, AIDES a regretté
VHC, AIDES a l’absence d’évaluation par le Comité National de
estimé que ce dispositif devait pouvoir bénéfi- Suivi, a demandé une réorientation du dispositif
cier à l’ensemble des personnes vivant avec adapté à l’évolution des besoins des personnes
une pathologie chronique évolutive. Ainsi AIDES et a sollicité une pérennisation des finance-
a porté cette parole avec d’autres dans le cadre ments. Lors de la réunion du 8 octobre 2009 à la
du Plan National sur la Qualité De Vie des per- Direction Générale de la Santé, AIDES a constaté
sonnes vivant avec une maladie chronique pour que ses revendications n’avaient pas été prises
tenter d’obtenir une circulaire rénovée. en compte et qu’elle n’avait aucune certitude
sur les financements futurs des PAAD.
Ainsi, si la circulaire du 8 janvier 1996 prévoyait
que le Comité National de Suivi se réunisse deux
fois par an et contribue à la mise en place d’un
contrôle et d’une évaluation du dispositif, il
s’avère que ces réunions n’ont pas été réguliè-
rement tenues, malgré les relances faites par
AIDES, et qu’aucune n’a été réunie depuis l’an-
née 2003. Or, les seules évaluations disponibles
faisaient état d’une grande hétérogénéité des
réponses apportées par les PAAD et d’une iné-
galité de couverture sur le territoire national. Le
maintien des PAAD peut même, parfois, pro-
duire des effets pervers en produisant de la sub-
sidiarité à l’envers : lorsque la MDPH met en
place un plan de compensation du handicap,
elle tient compte des réponses apportées au

4
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e d’Annie, volontaire
Témoignag
“En tant que volontaire depuis 15 ans, élue au conseil
de région de AIDES Rhône Alpes Méditérranée, je suis
référente de la réflexion autour du label social.
Ce label social a été l’occasion d’examiner les disposi-
tifs portés par AIDES (accueil, soutien, hébergement,
CRA, etc.) et de vérifier leur adéquation à l’évolution
des besoins et à la politique de l’association.
Pour ce faire, nous avons demandé aux coordinations
des PAAD de la région de nous présenter, anonyme-
ment, les situations de toutes les personnes inscrites
dans les dispositifs (Var et Isère). A été utilisée une
grille d’évaluation qui donne une bonne image, globale,
de la situation des personnes, au regard de la santé,
des droits, des revenus, de la sociabilisation.
Ces descriptions ont très vite mis en lumière le déca-
lage du déroulé du dispositif par rapport aux objectifs
initiaux. Beaucoup des personnes suivies étaient très
isolées, sans aucun lien avec l’association, très “instal-
lées” dans le dispositif.
Les mots “retour à l’autonomie”, “sociabilisation”,
“communautaire”, n’étaient jamais prononcés.
Lors de la mise en place des PAAD, aucun doute n’était
possible sur leur pertinence par rapport aux besoins
des personnes. Or la législation a évolué. La notion de
handicap s’est élargie (loi de 2005). D’autres dispositifs
dans le champ social peuvent être sollicités.
L’étude des situations des personnes m’a révélé qu’un
dispositif qui n’est pas régulièrement interrogé s’ins-
talle dans une routine et s’éloigne de ses objectifs.
Nous ne devons jamais oublier que AIDES est une asso-
ciation de lutte, de proposition, et non une association
de gestion de services”.
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Les PAAD, concrètement inadaptés, Cette position est d’autant plus nécessaire que
politiquement inacceptables certains financeurs du dispositif PAAD se mon-
C’est pourquoi le Conseil d’Administration a trent réticents à poursuivre leur participation au
adopté fin 2009, puis début 2010, une résolution regard de la diminution des besoins qui sont
qui envisageait le retrait de AIDES de la coordi- constatés par une forte baisse du nombre des
nation de l’aide à domicile. personnes suivies.

Cette position doit amener à faire évoluer les AIDES continue à plaider en faveur d'un passage
réponses dans le droit commun, mettant l’Etat de la prestation d’aide à domicile au droit com-
face à ses responsabilités. L’aide ménagère mun et d’une réorientation des financements
stricto sensu liée à la dégradation durable de sur la prévention auprès des publics prioritaires,
l’état de santé, doit relever de la solidarité natio- le dépistage communautaire et l’accompagne-
nale, conformément au principe de subsidiarité ment thérapeutique. Si l’on veut véritablement
du dispositif mis en place par la circulaire du 8 faire face à l’enjeu majeur d’infléchir de manière
janvier 1996. Elle ne doit plus relever d’un dispo- significative la courbe de l’épidémie dans les
sitif d’exception parcellaire et inadapté. années à venir, les priorités sont là.

À titre d’illustration, suite au retrait d’AIDES de la Marie Suzan - Administratrice AIDES


coordination du PAAD du Var et de l’arrêt du dis- présidente de la région Rhône Alpes Méditerranée AIDES
positif fin 2009, la CPAM a pris temporairement
le relais de la prise en charge en attente de mise
en place d’une solidarité nationale.
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ZOOM

c oe u r
Agcoimrmunautés gaies au
des
à Paris

7 bulletin militant
septembre 2010
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ZOOM

Paris est sans doute la ville de France dans préventifs. AIDES a donc innové, à Paris comme
laquelle les communautés LGBT ont le plus de ailleurs, en lançant Com’test puis Drag, pro-
visibilité. Avec son quartier gai, Le Marais, et ses grammes communautaires de dépistage rapide.
nombreux établissements commerciaux (bars, Forts de ces expériences, des militant-e-s de
restaurants, magasins, sex-clubs, saunas etc.), AIDES Paris ont décidé d’entamer une nouvelle
mais aussi ses multiples associations LGBT ! expérimentation en s’investissant au sein de
Historiquement, Paris est également la ville la l’établissement “Le Dépôt”.
plus concernée par l’épidémie de VIH/sida, en
particulier dans les communautés gaies. Santé, sexualité, plaisir
L’enquête Prévagay, menée au printemps 2009 En accord avec la direction et l’équipe du Dépôt,
vient le rappeler : parmi les personnes fréquen- une backroom parisienne bien connue, et très
tant des établissements commerciaux gais pari- fréquentée, nous avons décidé d’intensifier
siens, 17% sont séropositifs, ce qui représente notre présence dans ce lieu, avec deux
un chiffre très élevé et 20% d’entre permanences par semaine. Ce choix
eux ne connaissent pas encore d’intervention répond à un objectif sim-
leur statut sérologique. Pour les ple : en étant présent très régulière-
militant-e-s de AIDES, ce chiffre ment, nous souhaitons pouvoir
ne représente pas une surprise : être en phase avec les clients
nous savons depuis longtemps que du lieu ; et donc pouvoir mener
nos communautés sont très touchées des actions plus pertinentes. Ce
par le VIH/sida ; et nous savons aussi qu’une critère de proximité nous parait être
endémie de cette ampleur ne se réduit pas d’un une condition essentielle pour faciliter une
coup de baguette magique. mobilisation plus large des gais pour leur santé.
Pas question d’apparaître comme des casseurs
À Paris, AIDES intervient depuis plus de 20 ans d’ambiance, ni comme des moralistes ! Et
dans le milieu gai, à travers des actions de proxi- comme toujours à AIDES, cette action s’appuie
mité dans les établissements, des perma- sur le non jugement, et l’écoute des personnes
nences, des actions sur les lieux de drague, des dans leurs approches du risque et de la préven-
partenariats associatifs… L’association a donc tion !
gagné une place légitime dans le paysage. Nos
actions doivent cependant rester en perpétuel Concrètement, l’action comporte deux volets.
renouvellement, pour mieux s’adapter aux Le premier concerne la mobilisation des salariés
contextes changeants de l’épidémie. On voit par du Dépôt. Sans toutefois leur proposer des for-
exemple que la connaissance de son statut mations déjà dispensées par le SNEG, nous sou-
sérologique est un fort déterminant des choix haitons en faire des relais de prévention, avec
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ZOOM

n’avons pas de stand, et nous privilégions la


déambulation dans le Dépôt, pour aller à la ren-
contre des personnes présentes. Nous mettons
vraiment l’accent sur l’intérêt d’avoir des discus-
sions collectives, quand le moment s’y prête, car
elles suscitent des échanges riches, et permet-
tent même à des personnes plus timides de ten-
dre l’oreille pour nous écouter. Il arrive que les
discussions se poursuivent, après le départ des
militants de l’association !

Des discussions riches sur la santé,


l’homosexualité, la prévention
Après quelques mois d’interventions, il est diffi-
cile de tirer un bilan général du contenu de tous
ces dialogues et ces échanges. Un premier
constat serait que le mode d’intervention, régu-
lier et avec un simple badge de l’association
(pas de T-shirt), facilite grandement les
échanges. Et du coup, cela suscite une certaine
facilité à aborder les rapports sans préservatifs,
Visuel Com’Test - Vincent Malléa. autour de questions, d’inquiétudes ou de diffi-
cultés vécues. Les hommes rencontrés ne se
lesquels nous pourrons interagir lors des per- définissent d’ailleurs que très rarement comme
manences, dans un climat de confiance. À “barebackers “.
terme, nous souhaitons par exemple organiser Parmi les thèmes abordés, avec les gais séropo-
des soirées à thème, autour des questions de sitifs, la question de “parler (ou pas) de mon sta-
santé et de prévention, durant lesquelles les dif- tut” revient souvent, qui souligne bien la crainte
férents acteurs du lieu (personnel du Dépôt, du rejet, vécue par beaucoup. Dans ce cas, le
habitués du lieu, militants de AIDES) porteraient langage corporel et les jeux de regard sont évo-
le même T-shirt et seraient impliqués dans l’ac- qués comme des modes de communication pri-
tion. vilégiés… avec le risque réel d’une incompré-
Le second volet, plus “classique” pour AIDES, hension. Le public non “identitaire “du Dépôt
consiste à mener des entretiens, individuels ou (hommes mariés, ou hommes ne se définissant
collectifs, avec les personnes présentes. Nous pas comme “gai”) accueille très favorablement
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ZOOM

lumière la forte préoccupation de ces gais pour


leur santé et celle de leurs partenaires.
L’enjeu pour nous, évidemment, est d’aider les
personnes à renforcer leurs stratégies pour les
rendre plus efficaces. À l’avenir, nous envisa-
geons de continuer cette action, et de monter
un moment d’échange et de convivialité sous
forme d’apéro/atelier santé.

Sans tirer plus de bilans de la période écoulée,


soulignons un point qui nous conforte dans
notre démarche : plus d’une dizaine de per-
sonnes nous ont laissé leurs coordonnées pour
être tenues au courant des activités de AIDES,
voire pour s’engager à nos côtés. C’est un
excellent indicateur d’une action réussie, où
militantisme rime avec plaisir !

Gabriel Girard - Volontaire national AIDES


Matthieu Gasnier - Animateur d’action AIDES

nos interventions. Ces échanges sont l’occasion


d’évoquer le vécu de l’homosexualité, le coming
out, et le choix pour certains de vivre une “dou-
ble vie”. Les intervenants de AIDES font égale-
ment la promotion du dépistage communau-
taire mené par l’association AIDES, dont les dis-
positifs commencent à être assez connus par
les gais, même s’ils soulèvent toujours des inter-
rogations sur la fiabilité des tests rapides.
Tous ces entretiens permettent d’aborder les
choix de ces hommes en matière de prévention
et de réduction des risques. Contrairement aux
idées reçues, le contenu des échanges met en
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ALERTE

VIH & DFA :


Urgence

nçais d’ Amérique et
Les départementssofra
nt un enjeu important
la zone Caraïbes
le VIH/sida. Nous
pour la lutte contre ssier de faire un
do
avons choisi dans ce
de la situation sanitaire et
état des lieux
et d’en pointer les
sociale de la Guyane
ainsi que d’illustrer
dysfonctionnements,
des homosexuels de
la difficile condition
és au VIH/sida et à
Martinique confront
l’homophobie.
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ALERTE

Guyane :
la lo n g u e b a ta il le
QUELQUES BALISES Inégalités et dysfonctionnements massifs
La Guyane paie au prix fort son histoire : dans l’accès aux soins et aux droits
une colonisation marquée par quelques
aventures improvisées vers un Eldorado La situation sanitaire en Guyane n’est guère réjouis-
illusoire, par l’esclavage et par le bagne1.
sante. La Guyane est en dernière place des régions
Lorsque, en 1946, la Guyane est devenue
département français, elle comptait françaises en terme d’offre et d’accès aux soins :
moins de 29 000 habitants. L’immigration une offre de soins insuffisante, avec de fortes dispa-
était nécessaire à la survie de la Guyane, rités géographiques, un sous équipement hospita-
en particulier lorsque des besoins de
main-d’œuvre se sont faits ressentir pour lier etc.
la construction de la base spatiale de Une situation en totale inadéquation avec les
Kourou. En 50 ans, la population de la besoins de la population : une forte prévalence des
Guyane est ainsi passée de 29 000 à
206 000 habitants en 2006. La population
maladies infectieuses (le taux d’incidence du VIH
est jeune (50% de moins de 25 ans), en est le plus élevé de France ; la prévalence des
forte augmentation du fait d’un accroisse- femmes accouchées à Saint Laurent du Maroni est
ment naturel important et d’une forte
de 1,3% ce qui correspond à une situation d’épidé-
poussée migratoire. Les projections lais-
sent penser que la population de Guyane mie généralisée) et parasitaires, mais aussi des
pourrait atteindre 425 000 habitants en maladies métaboliques, des problèmes de santé
20302. périnatale et de santé des jeunes, avec de grandes
La Guyane est ainsi une mosaïque de popu-
lations, de nationalités et de cultures : disparités dans l’accès aux soins et à la prévention
Amérindiens, Bushinengués (“nègres mar- selon le niveau socio-économique et/ou la zone
rons”), Créoles, Chinois, Syro-libanais, géographique. Concernant plus précisément l’infec-
Haïtiens, Latino-américains (surinamiens,
guyaniens, brésiliens, péruviens et colom-
tion au VIH/sida, deux problèmes majeurs sont
biens), Asiatiques et des Français de caractéristiques de la situation guyanaise : d’une
“métropole” établis en Guyane ou déta- part le dépistage tardif, et d’autre part le suivi de la
chés pour quelques années. La population
prise en charge. En 5 ans, 50 % des personnes
étrangère est estimée entre 30 000 et 50
000 personnes, parmi lesquelles il y aurait dépistées séropositives disparaissent de l’hôpital.
une grande part d’étrangers en situation Ces difficultés d’accès aux soins sont très forte-
irrégulière. ment renforcées par les inégalités sociales et d’ac-
À ce contexte démographique particulier
s’ajoute un taux de chômage élevé (26% cès aux droits : les personnes les plus précaires
en 2008), d’importantes inégalités sala- administrativement et socialement sont les plus
riales et des inégalités géographiques éloignées et exclues des soins3, notamment les per-
(intérieur/littoral et Est/Ouest).
sonnes immigrées, quelle que soit leur situation.

1/ Serge Sam Mam Lam Fouck, Histoire générale de la Guyane, Ibis rouge édition, 1996
2/ Sources : INSEE
3/ Le système de soins français à l’épreuve de l’outre mer, E. Carde, Espace populations sociétés, 2009
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ALERTE

ve rs l' E ta t d e d r o it

Officiellement, la loi applicable en Guyane en matière d’immigration et de couverture santé est iden-
tique à celle prévalant en métropole, sous réserve de quelques dérogations (essentiellement en ce
qui concerne les contrôles d’identité et l’éloignement, le droit au travail des étrangers). Mais en pra-
tique, les dysfonctionnements, pour ne pas dire les dénis de droit, sont légion en Guyane !
Ainsi, en Guyane, pour ouvrir les droits à la sécurité sociale (CGSS : Caisse générale de sécurité
sociale), il faut certains papiers d’identité et pas d’autres, il faut certains justificatifs de domicile et
pas d’autres... Quand on sait que les services d’état civils sont défaillants au point de laisser des fran-
çais sans le moindre document de nationalité, quand on sait qu’une part importante de la popula-
tion vit dans des cabanes, cela laisse augurer de l’impact de telles exigences sur l’accès effectif à
une couverture santé…
Dans la même logique, en Guyane, pour déposer une demande de carte de séjour pour raison médi-
cale, quand les ARV (Antirétroviraux) ne sont pas accessibles dans son pays d’origine, il faut suivre
un parcours du combattant qui commence par l’impossibilité de déposer un dossier de demande :
pas de guichet, pas de téléphone qui réponde, des interlocuteurs qui se renvoient la balle etc.

Le mythe de “l’appel d’air” de la migration pour soins


Un certain discours politique peut faire valoir que cette restriction dans l’accès aux droits les plus
fondamentaux se justifie par le risque d’ “invasion”. Des prestations sociales abondantes et simples
d’accès seraient susceptibles de faire “appel d’air” et de grever substantiellement l’économie du
département. Pourtant, cette hypothèse est un pur fantasme. Une récente enquête a montré que
seulement 3,1% de la population des immigrés se sont installés en Guyane pour une raison de
santé4. Les motivations pour la migration déclarées sont majoritairement économiques à Cayenne
(46,3%) et familiales à Saint Laurent du Maroni (56,1%). Dans l’ouest guyanais, à la frontière du
Suriname, là où est établie la délégation départementale de AIDES, les personnes peuvent pratiquer
des migrations “pendulaires”, de part et d‘autre du fleuve Maroni qui constitue la frontière. Le lieu
du soin est souvent déterminé tout simplement par l’endroit où la personne se trouve lorsqu’elle en
a besoin au gré des migrations pendulaires familiales, économiques ou liées à la vie quotidienne.

4/ Rapport Migrations et soins en Guyane, A. Jolivet, E. Cadot, E. Carde, S. Florence, S. Lesieur, J. Lebas, P. Chauvin, partenariat
entre l’Agence Française du Développement et l’équipe de recherche DS3 (Déterminants sociaux de la santé et du recours
aux soins) de l’UMRS 707 (Inserm – Université Pierre et Marie Curie), novembre 2009
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ALERTE

Une situation qui appelle à réagir !

On ne saurait rester impassible devant un tel lyses, les expériences et de favoriser une dyna-
état de délabrement social et sanitaire. Des mique collective, communautaire et inter-asso-
associations locales, avec ou sans relais en ciative.
métropole, tentent de se mobiliser pour défendre C’est dans ce but qu’a été organisée une “mis-
les droits des personnes vivant avec le VIH/sida. sion parlementaire” en mars 2010, qui a permis
Parce que c’est finalement cela l’enjeu : le res- à six parlementaires de se rendre compte à quel
pect et l’application du droit ! Mais ces associa- point l’état de santé des guyanais et l’Etat de
tions se heurtent à de nombreuses difficultés. droit dans ce département sont délabrés. Ils ont
Tout se passe comme si la caisse générale de rencontré des associations mais aussi le
sécurité sociale ou l’autorité préfectorale igno- Directeur général de l’Agence Régionale de
raient la société civile. On daigne à peine répon- Santé, des élus locaux, des professionnels de
dre à leur courrier et à les recevoir, on s’émeut santé, des représentants de l’Agence française
à peine d’un communiqué de presse. Le dia- de développement. Leur présence et celle de
logue n’est pas dans les habitudes ! médias ont posé un rapport de force en notre
Les rapports de forces peinent d’autant plus à faveur et provoqué immédiatement et à court
se construire que les associations et structures terme des temps de rencontres entre associa-
médico-sociale actives sur place s’inscrivent tions et des institutions, telles que la sous pré-
souvent plus dans une démarche de “service”, fecture, la CGSS et les médecins inspecteurs de
de soutien individuel que de mobilisation poli- santé publique (intervenant dans la procédure
tique, notamment en raison de la crainte d’être de titre de séjour pour soins).
privé de financement public. Une première étape mais la situation de la
Pourtant, on ne renonce pas ! AIDES a pris le Guyane appellera de nombreux autres combats !
parti de mobiliser toutes ses forces : la déléga- Le prochain pourrait bien être la demande par
tion de Saint Laurent du Maroni est en première AIDES à l’Etat français de déposer un dossier de
ligne. L’idée est de provoquer des évènements financement au Fonds Mondial pour la Guyane
visibilisant les dysfonctionnements et les qui bénéficie de moins de moyens sur le VIH que
besoins, contraignant les institutions au dia- ses voisins éligibles au Fonds Mondial !
logue tout en évitant de trop exposer la déléga-
tion. La mobilisation se fait avec les personnes
concernées et avec les partenaires locaux et
nationaux afin de partager les constats, les ana-
100923_BM4:BM2010 23/09/10 18:31 Page 18

ER T URE SÉCU:
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• AIDES réclam civil, leur dom ntes soient op
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locaux. uer les

Pour en savoir plus :


Pour
Carde, Espace popula-
• “Le système de soins français à l’épreuve de l’outre mer”, E.
tions sociétés, 2009
E. Carde, S. Florence,
• Rapport “Migrations et soins en Guyane”, A. Jolivet, E. Cadot,
, partena riat entre l’Agenc e Française du
S. Lesieur, J. Lebas, P. Chauvin
de la santé et
Développement et l’équipe de recherche DS3 (Déterminants sociaux
de l’UMRS 707 (Inserm – Université Pierre et Marie Curie),
du recours aux soins)
novembre 2009.
, rapport de la com-
• “L’épidémie d’infection à VIH en Guyane : un problème politique
que”, rapport du CNS, février 2008
mission départements français d’Améri
2009
• “Les droits des étrangers malades en Guyane” AIDES octobre
100923_BM4:BM2010 23/09/10 18:31 Page 19

ALERTE

Des militaqnuitosnt la rage !


Dans les Départements Français d’Amérique Si l’on veut agir à la hauteur des enjeux, la mobi-
(DFA), des militants de AIDES s’efforcent de lut- lisation de tous est indispensable. Comme le dit
ter au quotidien face à une situation d’urgence Salomé, “J’ai envie qu’on travaille sur la mobili-
sanitaire et sociale très préoccupante : sation et que l’on y parvienne. Même si nous
Une lutte contre l’Etat qui n’offre pas les ser- sommes une bonne équipe, nous sommes peu
vices de base : “là bas c’est français dans les compte tenu du chantier qui est devant nous. Je
textes mais pas dans les faits”. Une lutte contre veux faire de la mobilisation mon fer de lance”
la précarité, une lutte contre la discrimination Une mobilisation qui est donc vouée à s’étoffer
liée au VIH/sida et contre l’homophobie, une encore !
lutte pour l’accès aux droits les plus élémen-
taires comme celui de l’accès aux soins.
Pour Monique et Nadia, les DFA sont de vérita-
bles terrains de combats et de revendications.
“On a été obligé de s’y mettre : entre les cour-
riers à la CAF, à la sécu, aux collectivités et à la
préfecture, et ben ça a énervé tout le monde AIDES dans les DFA
mais on a fini par faire bouger les lignes !”
Partageant le même constat et les mêmes pro- La Délégation de Saint Martin :
blématiques, les militants de Saint Martin et de ce sont 17 militants investis sur les actions
Guyane se sont retrouvés en mai dernier lors saint-martin@aides.org
des assises de la région AIDES Grand Ouest pour 0590276523
envisager, malgré les milliers de kilomètres qui
les séparent, une mobilisation commune dans la La Délégation de Saint Laurent
zone Caraïbes. Mener des actions ensemble, du Maroni en Guyane :
mutualiser, et partager leurs expériences pour ce sont 25 militants investis sur les actions
rompre leur isolement leur sont apparus stlaurentdumaroni@aides.org
comme une évidente nécessité. 0594279425
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17 bulletin militant
septembre 2010
100923_BM4:BM2010 23/09/10 18:31 Page 21

ALERTE

Etre h o m o e n Ma r tin iq u e

c’ e s t pa s r o s e !
Homophobie, déni de cette homophobie, mais L’absence d’espace identitaire fréquenté par les
aussi invisibilité et VIH sont le quotidien de nom- gais en Martinique est un vrai frein à la visibilité et
breux hommes ayant des relations sexuelles à la mobilisation : comment entrer en contact
avec d’autres hommes en Martinique. avec eux, qui ont la particularité d’être
Vendredi 22 décembre 2009 23h30, sur un lieu “discrets” ? Contrairement à la métropole, où il
de rencontre homosexuelle de Fort de France : est possible à un homosexuel de fréquenter un
lors d’un entretien, deux adolescents portent un établissement gai quelque soit son domicile, la
coup de cutter à un bénévole de l’association situation d’insularité et la faiblesse relative de la
CAP Prévention1, qui orienté vers les urgences communauté ont mis en échec la pérennisation
du CHU, s’en sort avec une blessure nécessitant de ce type d’établissement en Martinique. C’est
21 points de sutures. un frein majeur qui conduit à une désorganisa-
L’agression, visiblement préméditée et motivée tion de la prévention et à un renforcement de
par l’homophobie était la 39è de l’année perpé- l’homophobie sociale largement répandue sur
trée en cet endroit de Fort de France. Il convient l’île.
de préciser que cette comptabilité tenue par Avec le poids de plus en plus oppressant des
l’association AMVIE2 ne tient pas compte des années, le sentiment de vivre dans une “prison
insultes homophobes beaucoup plus fré- tropicale” s’affermit en même temps que le mal
quentes. Le mode opératoire est très varié, et être. Un enfer !
les victimes sont idéales : elles ne portent Les militants d’Amvie et de CAP prévention,
presque jamais plainte de peur d’être identi- comme tous les militants de la lutte contre le
fiées. Pourquoi porter plainte, d’ailleurs quand la sida connaissent bien les conséquences mal-
majorité de celles-ci restent sans suite de la part heureuses d’une telle situation de stigmatisa-
des autorités ? tion et d’invisibilité : une épidémie au VIH qui
La famille, les amis, le travail sont des lieux où il flambe dans la communauté gaie. La part des
convient de cacher son identité sexuelle, alors contaminations par rapports homosexuels dans
même qu’une récente enquête de l’INSERM les nouvelles découvertes de séropositivité frise
indique que les pratiques homosexuelles concer- les 50 % !
nent 18 % des martiniquais ! Mais il faut se taire !
1/ Le projet principal de l’association CAP Prévention concerne la prévention des Infections Sexuellement Transmissibles
notamment du VIH auprès des communautés les plus vulnérables en Martinique, principalement les gais. Il s’agit d’une
émanation de l’association AMVIE
2/ AMVIE : Association Martinique VIvre Ensemble, partenaire de AIDES
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ALERTE

Pour autant, les pouvoirs publics ne réagissent face à l’hostilité et au VIH ? Certainement pas !
pas. Les campagnes et les actions de lutte Un nouveau front s’ouvre de l’autre coté de
contre l’homophobie sont inexistantes, les l’Atlantique pour le droit à une vie meilleure, en
actions de prévention, trop peu nombreuses, bonne santé !
tiennent à la mobilisation courageuse de
quelques uns. Dossier réalisé par Adeline Toullier, David Monvoisin,
À l’heure où la lutte pour les droits humains est Laurence Bordas - AIDES
à l’agenda des grandes institutions mondiales Michel Ramathon - association AMVIE
de lutte contre le sida, allons-nous laisser les
homosexuels martiniquais et caraïbéens seuls
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INSOUMI

Portrait u d
n t e S
d’une milita
du
Bernadette Mululebwe est directrice de la Fondation Femme Plus,
association de lutte contre le sida en République Démocratique du
Congo. Bernadette revient sur son combat sans relâche contre le
VIH/sida depuis 16 ans.

Comment en êtes-vous arrivée à vous sexuelle, le CISFA, dont la mission était de per-
engager dans la lutte contre le sida ? mettre aux jeunes de renforcer leurs connais-
D’où vient votre engagement ? sances par des échanges avec leurs copains
Durant les premières années de la pandémie, mais aussi avec des spécialistes pour se proté-
j’étais responsable du service d’Information, ger. Beaucoup des jeunes n’avaient pas la
Education et Communication de l’association chance d’en parler en famille ni même à l’école,
zaïroise pour le bien-être familial/naissances j’avais pensé que cela pouvait leur être utile.
désirables qui militait pour la planification fami- Par la suite, mon engagement comme salariée à
liale. Il était ressorti clairement que cette organi- Amo-Congo me confronta à la réalité doulou-
sation qui visait le bien-être des familles devait reuse des jeunes veuves désemparées après la
pleinement s’impliquer dans cette lutte. Ce rôle disparition de leurs époux, avec des jeunes
incombait à mon service. Parmi les premières enfants face à une solidarité africaine qui s’effri-
activités organisées, figure la formation des tait par peur d’une maladie sans traitement et à
jeunes comme pairs éducateurs. Il était claire- cause de la pauvreté.
ment ressorti que les jeunes étaient parmi les
plus vulnérables face à cette pandémie du fait Pourquoi et dans quelles conditions avez-
de leur manque d’éducation en matière de vous créé la Fondation Femme Plus ?
santé sexuelle et reproductive. Mon engagement est né du constat de l’incapa-
À partir d’échanges avec ces jeunes, me vint cité de ma société à protéger les plus vulnéra-
l’idée de monter un collectif d’information et bles face à cette pandémie. La souffrance d’au-
d’éducation de la jeunesse en matière de santé tres femmes avait réveillé les miennes, enfouies
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au fond de moi, sous l’effet des propos désobli- nuer à vivre malgré tout.
geants suite à la maladie puis au décès du père Dès le départ, nous avions songé à une organi-
de mes enfants et à la perte de ma jeune et sation qui regrouperait les PVVIH, les personnes
unique sœur. affectées. C’est ainsi qu’on comptait parmi les
La rencontre, à cette époque, de jeunes femmes activistes, des personnes qui avaient une expé-
plus ou moins cloîtrées chez elles, de peur rience avec le VIH et qui avait un compte à régler
d’être montrées du doigt nous avaient interpel- avec celui-ci. Par exemple, l’expérience des
lées. Il était évident qu’un bon nombre d’entre veuves du sida, des parents ayant perdus leurs
elles, surtout celles qui n’avaient aucun métier, enfants ou des frères et sœurs du sida nous
ne pouvait s’en sortir seules. Il fallait une organi- étaient nécessaires pour offrir à nos membres
sation d’entraide qui allait permettre aux et à nos bénéficiaires un service à visage
femmes de continuer à vivre comme femme, humain.
épouse, mère, membre de la communauté. La Il nous fallait des gens qui avaient la volonté, qui
philosophie “la vie positive” devait soutenir nos voulaient faire quelque chose pour que Femme
efforts d’acceptation de soi et de désir de conti- Plus aille de l’avant.
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INSOUMI

En tant que militante de la lutte contre le Quel(s) message(s) pour l’avenir souhai-
sida, quels sont les principaux combats tez-vous transmettre aux personnes qui
que vous portez aujourd’hui ? s’engagent dans la lutte contre le sida en
2010 ?
Il existe aujourd’hui une inégalité flagrante dans Malgré les difficultés pour financer nos activités,
l’accès au traitement antirétroviral dans mon nous ne devons pas baisser les bras. Plus que
pays. Seules 24% de personnes éligibles et jamais notre volonté de vaincre le sida doit être
vivant pour la plupart dans les grandes villes ont inébranlable. Nous devons multiplier les actions
accès au traitement. C’est purement et simple- de plaidoyer auprès de nos gouvernants, de nos
ment de la non assistance à personne en dan- partenaires, des bailleurs de fonds, pour leur
ger ! Bien qu’un effort soit fait, il est encore faire comprendre le danger qui nous cerne de
insuffisant. Ce combat est au centre des actions partout afin de les amener à respecter leurs
de l’association que je dirige ! engagements et à se mobiliser pour arrêter
Il y en a d’autres comme l’accès au traitement cette pandémie. Il ne faut pas que le Nord oublie
pour les enfants, la protection des femmes en que le sida du Sud continuera à alimenter le sida
milieu rural, leur information et leur éducation du Nord
sur le VIH, le sort des survivantes des violences Plus que jamais nos actions en direction de nos
sexuelles et l’application de la loi contre les res- populations doivent être bien ciblées pour plus
ponsables de viols et leurs complices. d’efficacité. Soyons certains, que si nous nous y
mettons, ensemble avec les dirigeants de ce
monde, nous pouvons vaincre le sida.
Yes we can !

Entretien réalisé par Florence Giard - AIDES

La Fondation Femmaire Plus


e d’ac ,
compagnement psycho-social
association communaut
affectées par le VIH/sida, est
des personnes infectées et
(programme de renforcement
partenaire du projet Plaidoyer
cain s en matière de plaidoyer)
des capacités des acteurs afri
Up et Solidarité Sida en 2008.
mis en place par AIDES, Act
ociation du pays, la Fondation
Deuxième plus importante ass
onse à la volonté des femmes
Femme Plus constitue une rép
r la réduction des souffrances, du
à s’engager activement pou
t sont victimes les personnes
rejet et de la stigmatisation don
ent les femmes dans un
vivant avec le VIH et notamm
ences sexuelles généralisées.
contexte “post” conflit de viol
uafrique2000.org)
(Pour en savoir plus : www.resea
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ECLAT

U I N ”
“25 Daniel Defert
J
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Nous vo
intervention.

23 bulletin militant
septembre 2010
100923_BM4:BM2010 23/09/10 18:31 Page 27

ECLAT

(...) “On m’avait dit autrefois, quand je faisais de très beau numéro de la revue qu’il dirige avec
l’anthropologie, que dans les sociétés africaines, Matthieu Pott-Bonneville Vacarme, une excel-
c’était le rôle des anciens de parler de la lente revue. Pour le vingtième anniversaire de la
mémoire du groupe. Comme les anciens en mort de Foucault, ils avaient fait un numéro spé-
France deviennent très vieux et perdent la cial. Mangeot avait écrit un très bel article rap-
mémoire, on profite du fait que je sois entre les pelant la place de Foucault dans l’histoire de la
deux pour m’extraire un peu de mémoire.” lutte contre le sida, parce que d’une part il
(...) On m’a demandé d’évoquer ce qui rattache pense que trois associations françaises, c'est-à-
AIDES à Michel Foucault. J’ai dit oui. Le 25 juin, dire AIDES, Arcat d’une certaine façon et Act Up-
c’est l’anniversaire de la mort de Michel Paris - et surtout Act Up New York - se réclament
Foucault. Dans les premières années de l’épidé- de Foucault, et finalement, cela resituait.
mie, les conférences internatio- Mangeot, d’autre part, avait
nales sur le sida se tenaient à Foucault est à la fois la une très belle phrase que j’ai
cette date-là et je me rappelle première personnalité recopiée, tellement elle était
lorsque la deuxième confé- en France qui meurt du précise : “Ce serait un roman,
rence s’est tenue à Paris en sida et celui dont on trouverait la coïncidence
1986, j’ai eu à prendre la parole l’œuvre constitue la forcée. Foucault est à la fois la
en tant que Président de AIDES référence la plus pré- première personnalité en
à 13h15 au Palais des Congrès, cieuse pour appréhen- France qui meurt du sida et
qui était l’heure de la mort de der la maladie pour la celui dont l’œuvre constitue la
Michel Foucault deux ans penser et pour y résis- référence la plus précieuse
auparavant. Et plusieurs ter”. pour appréhender la maladie
années, le 25 juin, il y a eu pour la penser et pour y résis-
comme ça des événements dans l’histoire de ter”. Et c’est tout à fait exact. Je ne vais pas
AIDES, qui m’obligeaient à me resituer dans développer la pensée de Foucault, certains la
cette perspective. (...) “Je ne veux pas faire une connaissent. Moi-même, je ne suis pas forcé-
commémoration - bien que la commémoration ment celui qui la connaît le mieux, mais je la vis
fasse partie hélas de l’histoire de AIDES - mais je d’une certaine façon. Je voudrais simplement
voudrais partir d’une chose que j’ai trouvée évoquer trois points. Effectivement, la naissance
dans un article de Philippe Mangeot1. Vous de AIDES a à voir avec la mort de Foucault, avec
connaissez tous Philippe Mangeot qui est un le fait de sa mort et avec les circonstances de sa
des fondateurs d’Act Up-Paris, quelqu'un que mort, qui m’ont plongé dans une situation
j’aime beaucoup et qui a écrit cet article dans un éthique qui a fait partie aussi de notre histoire.

1/ Mangeot Philippe, “Sida : angles d'attaque. Trois associations, trois lectures de Foucault”, Vacarme n°29, automne 2004, pp74-
81, http://www.vacarme.org/article456.html
Vacarme n°29, Michel Foucault, 1984-2004, Automne 2004, http://www.vacarme.org/rubrique105.html
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ECLAT

Ensuite, je voudrais quand même évoquer com- tement de Bactrim en janvier 84 parce qu’en fait
ment la pensée de Foucault, son travail, font il avait visiblement une pneumocystose. Le trai-
partie d’une certaine façon de l’horizon intellec- tement de Bactrim avait été tellement efficace
tuel de AIDES. qu’on s’est dit, bon ce n’est pas le sida puisque
Enfin le mode d’engagement politique de le sida ne se guérit pas. Il avait pu faire son cours
Foucault, son mode d’être politique a fait partie au Collège de France, le cours qui a été publié
aussi de l’histoire de AIDES - histoire que cer- cette année “Le courage de la vérité”. Imaginez
tains connaissent, certains ne connaissent pas - quand même un livre de quatre cents pages
et c’est toujours utile de raviver un peu ce qui d’une grande érudition sur la pensée grecque
est fondateur dans une histoire. qu’il a fait en ne pouvant pratiquement plus s’ali-
menter, en train de mourir.
D’abord le fait de la mort de Foucault bien sûr.
Cela fait vingt-six ans aujourd'hui et j’ai vécu Jusqu’à sa mort, il n’a pas eu de diagnostic. Ses
vingt-quatre ans avec lui, donc cela fait mainte- premiers médecins, à Tarnier, officiellement, ne
nant presque un peu plus de temps que je vis lui en ont jamais donné, préférant lui assurer un
sans lui mais dans son horizon. Et puis les cir- temps de travail qu’il souhaitait. Cependant, j’ai
constances de sa mort : je voudrais quand appris longtemps après - il m’a fallu la longue
même y insister parce que ça a été à l’origine fréquentation des journalistes - que le chef de
d’un enjeu, d’un débat et de certaines ambiguï- service de la Salpêtrière avait quasiment orga-
tés qui ont fait partie du contexte de la nais- nisé des conférences de presse pour les tenir
sance de AIDES. Il a été hospitalisé trois informés de l’évolution de la maladie de
semaines à la fin du mois de mai 1984. Il meurt Foucault. Nous étions les deux seuls à ne rien
à la Salpêtrière au bout de ces trois semaines, savoir. Naturellement, cela a été fait dans la
sans que ni lui ni moi n’ayons reçu de diagnos- confidentialité. Après sa mort, je dois me rendre
tic. Il n’a rien demandé, il ne se faisait pas d’illu- au service d’état civil et la personne responsa-
sion, nous en avions souvent parlé depuis Noël ble de l’état civil à l’hôpital me dit “ah il était
83. À l’époque, nous ne savions vraiment rien. Et temps que vous arriviez, depuis huit jours, tous
en dehors d’images très, très choquantes de les journalistes me demandent si c’est le sida”.
Kaposi, nous n’avions pas une idée de ce Vous savez qu’il y a quand même une règle de
qu’était un malade du sida, et les tests étaient déontologie médicale en France qui n’est pas la
encore absolument artisanaux et inconnus. même aux États-Unis. Aux États-Unis, vous
J’ai fait mon premier test en septembre 84, j’ai savez qu’il existe des pratiques d’embaume-
eu le résultat fin novembre 84. Il avait eu un trai- ment, et on a rendu très vite publique la cause
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ECLAT

ê tre pron on cé e,
La parole qui doit e parole politique,
c’est un a ro le d’aveu.
mais pas u ne p

de la maladie des gens pour justement qu’il n’y secret du confessionnal, ou par la police et au
ait pas de contamination dans les procédures tribunal. En général, qu’est-ce que c’est
d’embaumement. C’est pour cela qu’il y a eu un qu’avouer ? C’est se fourrer dans le fantasme
acteur célèbre, Liberace, qui a été déterré pour, de l’autre. En général, on vous demande “Vous
après coup, refaire une recherche de séropositi- avez le sida ? Vous êtes homosexuel ?” Sous
vité, parce que le personnel qui l’avait entendu “vous vous faites enculer ou vous
embaumé se sentait menacé. Aux États-Unis, il enculez ?” C'est-à-dire d’emblée, on vous situe
n’y avait donc pas de secret médical. En France, dans l’imaginaire de l’autre et la question est
c’est en principe très protégé. Il y a donc eu absolument réductrice. La parole qui doit être
secret médical, même si avec sa famille et son prononcée, c’est une parole politique, mais pas
médecin nous avons fait un communiqué une parole d’aveu. Une parole politique, c’est
disons allusif. Et il y a eu immédiatement une une parole publique, une parole collective, une
polémique “Foucault, mort honteusement du parole réfléchie, une parole stratégique, ce que
sida ?”, c’était écrit dans le journal de mon fait AIDES. Nous n’avons donc jamais tenu à
camarade qui est là-bas2, mais ce n’est pas lui encourager l’aveu au sein de AIDES. On a tou-
qui l’a écrit dans Libération. Immédiate rumeur jours été extrêmement précis sur des questions
internationale : “Est-il mort du sida, n’est-il pas d’éthique médicale et que lorsqu’il y avait une
mort du sida ?”. parole, elle était le plus possible parole collec-
tive, réfléchie pour des enjeux tactiques de lutte
Ce contexte de naissance de l’association mon- contre le sida ou des enjeux stratégiques, mais
tre, à ce moment-là, cette situation majeure : le pas des enjeux de confession. Donc, voilà des
silence et la honte ou l’injonction d’aveu. Je éléments d’histoire qui sont aussi partis d’une
trouve que l’injonction d’aveu est quelque éthique et d’une politique.
chose d’absolument détestable. L’injonction
d’aveu est de l’ordre de la police. C’est exigé
dans le catholicisme, mais au moins dans le

2/ Eric Favereau, Libération


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ECLAT

La question de l’éthique s’est donc posée d’em- rôle de répression de la folie, mais pas de parole
blée comme le lieu de naissance de AIDES. de fous. Le premier finalement qui a parlé, des
Les travaux de Foucault, vous les connaissez un dedans de l’enfermement, c’est Sade, et on peut
peu, son premier travail, sa première grande se demander s’il s’agit de folie. Apparemment
œuvre, c’est “L’histoire de la folie”3. L’histoire de pas.
la folie, c’était l’histoire de comment s’était
constitué cet enfermement et cette exclusion, La question qui s’est posée d’emblée à
cette gestion d’une population diverse de gens Foucault, c’est justement comment donner la
marginalisés qui a donné naissance à la psy- parole (...) à ceux qui sont exclus de parole et
chiatrie. Justement, dans cette histoire-là, dont la parole est barrée. Nous avons créé
Foucault s’était rendu compte qu’il n’y avait pas ensemble ( le GIP) avec Foucault - avant même
d’archives de la parole des fous. La première qu’il ait écrit “Surveiller et punir”, mais ça en a
grande œuvre de Foucault, “L’histoire de la été l’origine -. J’étais à ce moment-là dans le
folie”, c’est l’absence de la parole des fous, il n’y mouvement maoïste, la gauche prolétarienne, et
a que la parole de ceux qui enferment, la parole beaucoup de mes camarades étaient en prison,
des médecins, la parole des policiers, la parole nous avons créé le Groupe d’information sur les
des curés, la parole de tous ceux qui ont eu un prisons (GIP). Au départ, mes camarades de la

3/ Foucault Michel,Histoire de la folie à l'âge classique. Folie et déraison, Gallimard, coll. “Tel”, Paris, 1972
100923_BM4:BM2010 23/09/10 18:32 Page 33

ECLAT
a légué,
Ce que Foucault nous
en t la pris e d e p aro le des gens
c’est effectivem
s de la p aro le e t de leur donner
exclu
rm e d’u n sa v oir tr an sgressif
la fo
ctio n n er co m m e co ntre-pouvoir.
qui doit fon
gauche prolétarienne voulaient une commis- tenir des discours transgressifs et à faire entrer
sion d’enquête sur les prisons. Nous savions dans le champ du savoir, de l’expérience collec-
très bien que nous ne pouvions pas entrer dans tive des choses transgressives. On n’a pas forcé-
les prisons. Par contre, nous pouvions obtenir ment à affirmer une identité, mais à affirmer une
par des méthodes de pénétration clandestine, expérience, un savoir, une parole transgressive.
de recueillir la parole des gens en prison. Nous Ce que Foucault nous a légué, c’est effective-
avons donc - cela a été l’objectif de ce groupe - ment la prise de parole des gens exclus de la
collecté une parole interdite, une parole qui parole et de leur donner la forme d’un savoir
n’avait pas de légitimité. De plus, les gens qui transgressif qui doit fonctionner comme contre-
sont en prison subissent une opprobre morale pouvoir. Nous sommes dans cette tradition-là de
qui les délégitime. Nous avons donc créé un constituer un savoir transgressif qui est un
mouvement de prise de parole, politiquement, contre-pouvoir.
de gens qui étaient exclus de la parole.
Un autre élément important du travail de
Cette expérience que nous avions menée Foucault qui apparaît à partir de 1974-1975, et
ensemble, c’est ce modèle qui s’est imposé à notamment dans son livre - le premier volume
moi d’emblée et aux premiers volontaires de de son histoire de la sexualité - “La volonté de
AIDES pour continuer, sous la forme de ce qui savoir”4, c’est l’analyse d’une transformation
était aussi un deuil, une action politique : à la fois importante du pouvoir, à partir du 18è siècle, de
continuer une parole et légitimer la parole inter- la gouvernance politique dans l’histoire de
dite. C'est-à-dire que le savoir qui est porté par l’Europe en particulier : pendant des siècles, le
cette parole doit être transgressif. Un savoir qui pouvoir a eu la forme d’un prélèvement d’im-
n’est pas transgressif est un savoir qui répond à pôts et prélèvement de gens pour faire la
l’attente de l’autre, qui répond à l’attente répres- guerre. Le pouvoir avait un droit de vie et de
sive, et justement, quand on est amené à parler mort sur les gens. D’une certaine manière, le
d’homosexualité, de prostitution, de toxicoma- pouvoir était redoutable et les gens se cachaient
nie, de transsexualité, nous sommes amenés à le plus possible du pouvoir.

4/ Foucault Michel, Histoire de la sexualité, vol. 1 : La volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976
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ECLAT

À partir du 18è siècle, il y a eu une transforma- Un autre acquis très important (...), c’est l’his-
tion importante du fonctionnement du pouvoir toire de la sexualité telle que Foucault l’a pen-
dans nos sociétés. Ce pouvoir, pour des raisons sée. La notion d’homosexualité telle que nous la
d’ailleurs de transformation économique, connaissons, vous savez que c’est une notion
devient producteur de vie, producteur de démo- très récente. Elle est parfaitement datée, on sait
graphie, producteur de santé, producteur d’al- même l’homme qui l’a employée le premier - ça
longement de l’espérance de vie et de la quan- doit être autour de 1868 avec Kertbeny - ou un
tité de population pour travailler et faire la médecin légiste psychiatre allemand ou suisse
guerre, les grandes guerres commencent à allemand. C’est une catégorie récente de la
l’époque de Napoléon. Le pouvoir change de pensée, c'est-à-dire que pendant des siècles, on
nature et devient ce que Foucault appelle “bio- n’a pas catégorisé ainsi des individus mais des
pouvoir”. Nous sommes dans ce biopouvoir, actes. L’humanité était divisée à partir du sexe
c'est-à-dire que le pouvoir politique n’est plus ce que l’on a, c’est-à-dire le genre, mais pas à par-
pouvoir seulement répressif qui prélève, c’est tir du sexe que l’on désire. Penser la sexualité à
un pouvoir désirable parce qu’il nous allonge la partir de l’objet du désir, c’est quelque chose qui
vie, il nous garantit la vie et qu’est-ce qu’on fait se construit au 19è siècle et on a commencé à
depuis ce matin ici ? On demande au pouvoir catégoriser les individus à partir de ce qu’ils
politique mondial de nous protéger, de nous désirent. On est urophile, scatophile, pédophile,
garantir, de nous allonger la vie. homophile, enfin bon, des tas de possibilités,
Nous sommes donc dans ce nouveau régime des tas de variétés comme les espèces natu-
de pouvoir, mais il faut aussi savoir s’en proté- relles et, d’une certaine façon, s’est construite
ger, parce que c’est un pouvoir retors, un pou- cette catégorie d’homosexualité, alors qu’avant
voir désirable. Cependant, en même temps, on était simplement sodomite. C'est-à-dire que
vous le voyez bien, la fonction transgressive que l’on utilisait le vase interdit qui pouvait être le
nous devons maintenir et assurer, ce n’est pas si vase de l’homme ou de la femme. Donc, on est
facile de demander aux pouvoirs politiques passé d’un registre de péché qui portait sur
d’assurer la vie des prostituées, des homo- l’acte à une pathologisation d’individus et à une
sexuels, des transsexuels et des toxicomanes. définition médicolégale. Foucault, dans son his-
Nous en avons tous l’expérience. Finalement, le toire de la sexualité, a beaucoup réélaboré
biopouvoir est aussi un pouvoir normatif limita- toutes ces notions et vous savez d’ailleurs
tif, contraignant et nous n’y avons jamais d’ac- qu’une partie des Américains fondateurs d’Act
quis. Nous avons sans cesse à remettre en Up New York se retrouve dans un mouvement
question notre fonction de contre-pouvoir. Cela qui s’appelle le mouvement “Queer” : on ne défi-
aussi, c’est un important message et un acquis nit pas les gens par une catégorie sexuelle, mais
de la pensée de Foucault. pas une catégorie de transgression. On est
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Nous avons sansece sse


estion
à remettre coqnutre-pouvoir.
n
notre fonction de

queer, on est bizarre. Mais ce n’est pas une iden- sexuelles que nous disons “homosexuelles”. Les
tité : c’est un choix de différence. femmes un peu moins, ou plutôt un peu moins
Donc, Foucault a eu une analyse de la sexualité répertoriées. Pour les hommes, cela faisait par-
qui, dans les années 1970, prenait à contre-cou- tie de leur éducation et le problème était que le
rant les mouvements de libération homosexuels jeune homme ne devait pas être passif, puisque
qui partaient de l’hypothèse qu’il y avait une l’homme devait être un sujet politique libre. Il ne
identité universelle du désir de son propre sexe, fallait pas qu’il se mette dans la position de l’es-
et que cette identité psychologique pouvait légi- clave ou de la femme qui n’étaient pas libres.
timement être reconnue comme identité sociale Donc, l’homosexualité - ce que nous appelons
et politique, alors qu’elle était réprimée dans un homosexualité - était possible, mais avec un
certain nombre de sociétés, et qu’il fallait la libé- code extrêmement limitatif, entre les cuisses et
rer. Or Foucault dit “nous construisons notre pas entre les fesses, enfin il y avait tout un
sexualité. Nous pouvons inventer l’homosexua- ensemble de choses qui étaient admises et
lité, on ne la libère pas, on l’invente”. Et quand d’autres disqualifiées - on assistait à une vérita-
on l’invente, cela veut dire qu’on construit ce ble sexualité, c’est-à-dire à un code sexuel diffé-
que l’on en veut faire5. Si on veut se marier, si on rent de ce que nous appelons nous homosexua-
veut adopter des enfants, on invente, mais on lité.
ne la libère pas, on la crée. Au Japon, les grands acteurs de kabuki étaient
désirés par les hommes et par les femmes et on
Je suis tout à fait embarrassé effectivement ne leur demandait pas une identité sexuelle. Je
dans l’histoire actuelle à laquelle vous êtes me rappelle avoir été au Japon avec Foucault le
confrontés puisque l’histoire du sida est indisso- jour où le plus grand acteur de kabuki a déclaré
ciable de l’histoire de la mondialisation. On l’a qu’il était homosexuel et Foucault s’est écrié
vu, (...) c’est indissociable. Et dans les éléments “Quel con !” Parce qu’effectivement, il était en
de mondialisation dans laquelle nous sommes, train de faire basculer une problématique éro-
il y a aussi l’universalisation du modèle homo- tique japonaise immémoriale dans une problé-
sexuel occidental, et ce n’est pas si simple. Il y a matique californienne récente.
eu dans toutes les sociétés une érotique, c'est- Voilà, je dois vous dire que la pensée de
à-dire un désir homosexuel codifié de façon Foucault, vous voyez, c’est une pensée philoso-
extrêmement variée : dans la société grecque, phique, politique qui a introduit dans le champ
c’était les jeunes gens avant qu’ils n’aient de la de la pensée des objets nouveaux. La philoso-
barbe ; tous les hommes les avaient désirés. Et phie réfléchissait la vérité, la raison, l’être, la
sans doute tous avaient eu des relations morale. Lui, il a donné à penser à la philosophie

5/ Foucault Michel, "Michel Foucault, une interview : sexe, pouvoir et la politique de l'identité", pp1554-65, in Dits et écrits, vol. 2 :
1976-1988, Gallimard, coll. “Quarto”, Paris, 2001
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la prison, la folie, la sexualité, l’homosexualité, la butées, des interrogations qui nous ont sans
répression, la délinquance. Il a donné des objets arrêt sollicités, relancés dans l’histoire de AIDES.
nouveaux à penser mais avec la force de pen-
sée qu’il y avait traditionnellement dans ce Donc effectivement, dans mon rôle de “vieux,
qu’on appelle la philosophie. Et je pense que, porteur de mémoire”, je ne suis pas mécontent
d’une certaine manière, cette histoire de la pen- de l’opportunité que Bruno Spire m’a donnée de
sée foucaldienne qui est universellement recon- vous parler un peu. Dans ce 25 juin de Foucault,
nue (vous savez qu’il est traduit dans le monde en plus ayant eu le bonheur de vivre avec lui et
entier, et j’ai fait une conférence à Madras sur de l’aimer, je suis bien content de lui rendre cet
Foucault devant une salle plus pleine que celle- hommage de bonheur et pas seulement de
ci où les gens connaissaient remarquablement deuil. Je dois dire que j’ai rencontré Foucault la
bien tous les textes, certains traduits en tamoul, première semaine où je suis arrivé à Paris en
et j’ai encore reçu hier de Hong-Kong une 1960. Il arrivait également à Paris ; il venait de
demande d’une chronologie que j’ai faite sur vivre à l’étranger plusieurs années et il se trouve
Foucault). Cette pensée qui a une audience que j’ai été présenté à lui par un de mes anciens
internationale a fait partie de notre histoire à professeurs de la faculté de Lyon qui était
nous AIDES et elle a fait partie je crois des Robert Mauzi, un de ses meilleurs amis, et
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Roland Barthes. Je fais donc la connaissance de différences de classe sociale, tout cela était
Foucault, entre Roland Barthes et Robert Mauzi, structurant. Avec Foucault, d’emblée, on inven-
et d’emblée j’ai eu devant moi quelqu’un non tait une autre relation. C’était la modernité et
seulement dont l’intelligence était foudroyante j’avoue qu’il m’a fait entrer un peu avant d’au-
mais qui créait des relations différentes de ce tres dans cette modernité et cette modernité
que les autres créaient. Récemment, lors d’un elle est tragique puisque le sida en fait partie,
hommage à Jean Le Bitoux qui a fondé Gai Pied mais nous l’avons pensée avec son outillage
avec l’appui de Foucault, j’ai eu à évoquer le fait intellectuel.”
que finalement avec la génération de Roland
Barthes c’était encore l’homosexualité comme
on la lit dans Proust où les différences d’âge, les
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ZOOM

AIDES poursuit l’expérience du


dépistage communautaire
non-médicalisé Création
d’un observatoire
pour les étrangers
Après un peu plus de 18 mois de recherche bio-
médicale sur le dépistage communautaire, le
Conseil d’Administration de AIDES a décidé de
poursuivre “ANRS - Comtest”, faute d’un chan-
gement de la loi permettant de proposer ce
malades
dépistage hors recherche. Depuis 1998, grâce à la forte mobilisation
des associations de lutte contre le VIH, les
Au 30 juin, cette étude, évaluant une offre de étrangers malades venant de pays où il n’y a
dépistage communautaire et non-médicalisé pas d’accès aux traitements, sont protégés
s’adressant aux hommes ayant des relations contre l’expulsion et doivent être régularisés.
sexuelles avec d’autres hommes, a produit des Si la loi n’a pas bougé d’une virgule, son
données qui sont en cours d’analyse et permet- application a changé. Aux attaques gouver-
tent déjà de répondre par l’affirmative à la ques- nementales, s’ajoute une multiplication de
tion qu’elle posait : celle de la faisabilité de ce tracasseries et dysfonctionnements dans les
dispositif et de sa plus value par rapport à l’offre préfectures. Concrètement, sans carte de
de dépistage actuelle. séjour, c’est la précarité quotidienne, l’éloi-
gnement du soin et de la prévention.
La poursuite de l’essai permettra de continuer Aujourd’hui, AIDES donne une nouvelle
l’action jusqu’à obtention du nouveau cadre impulsion à sa mobilisation avec un nouvel
réglementaire du dépistage non-médicalisé en outil : l’observatoire “étrangers malades”.
France qui a été promis par la ministre de la Comment ça marche ?
santé lors de la conférence de Vienne fin juillet.
Objectiver l’ampleur
L’essai “ANRS - Drag’test”, lancé à Marseille en et la nature des dysfonctionnements
mars, à Paris en juin, et à Nice en juillet compare Les pouvoirs publics entretiennent un “black
quant à lui l’offre de dépistage classique en out” sur le nombre de titres de séjour pour
CDAG à une offre de dépistage rapide réalisée raison de santé. Cette opacité nourrit exagé-
par des intervenants communautaires dans les ration, fantasme et fragilise le dispositif. Les
mêmes lieux. données recueillies par nos partenaires
associatifs ne recoupent que partiellement
Pour plus de détails sur ces recherches : nos préoccupations. Aussi, la situation spéci-
http://depistage.aides.org fique des étrangers touchés par le VIH et/ou
les hépatites reste à documenter quantitati-
Elise Bourgeois Fisson - Chargée de mission MIRE - AIDES vement et qualitativement.
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ZOOM

Disposer d’outils pratiques


Pour avoir plus d'information pour faire face au quotidien
et/ou un accès autorisé Parce que la procédure à suivre est complexe,
à cet observatoire, parce que les préfectures regorgent d’imagina-
tion, parce qu’on se sent démuni pour accom-
contactez le référent selon
pagner au mieux les personnes concernées, il a
votre département : été prévu d’ajouter une dimension pratique
Départements : 21 – 25 – 51 – 54 – 57 – 67 – 68 – dans l’observatoire.
71 – 88 – 58 (région AIDES Grand Est) La grille de recueil de données, accessible en
observatoire.ema.ge@aides.org ligne, guide l’analyse des situations individuelles
Départements : 59 – 75 – 76 – 77 – 78 – 91 – 92 – et propose des rubriques d’aides vulgarisant la
93 – 94 – 95 (région AIDES NOIF) réglementation applicable, des modèles de
observatoire.ema.noif@aides.org courrier ou de recours, des suggestions de
Départements : 28 – 29 – 35 – 37 – 44 – 45 – 49 –
pistes de plaidoyer.
53 – 56 – 72 – 85 – 97 (Région AIDES Grand Ouest) : L’outil est aujourd’hui en place. Il est accessible
observatoire.ema.go@aides.org aux associations au contact avec les migrants
en dehors de AIDES. Une analyse des données
Départements : 03 – 11 – 15 – 30 – 31 – 34 – 63 –
65 – 66 (région AIDES AGL ) : collectées sera produite contribuant à l’amélio-
observatoire.ema.agl@aides.org ration des actions de AIDES et à l’alimentation
de notre plaidoyer.
Départements : 16 – 17 – 24 –33 – 40 – 47 –64 – 79 –
86 –87 (région Sud Ouest) :
observatoire.ema.so@aides.org Adeline Toullier - Responsable soutien – AIDES

Départements : 01 – 05 – 06 – 07 –13–38 – 69 – 83 –
84: (région AIDES RAM)
observatoire.ema.ram@aides.org

Départements 97 - zone Caraïbes :


observatoire.ema.caraibes@aides.org
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SUR LE FEU

7 – 10 Octobre -
Rencontres Mieux Vivre avec le VHC
Notre mot d'ordre : “prendre la parole
et se faire entendre”.Cet événement,
organisé par AIDES et SOS Hépatites,
est conçu par les personnes concer- 26 – 27 novembre :
nées par l’hépatite C. Sur place, les par-
Les Etats Généraux du VIH
ticipants seront là pour eux-mêmes
mais aussi comme porte parole des
en Ile de France
Les Etats généraux de l'organi-
autres malades. Ils élaboreront collec-
sation des soins en IDF ont été
tivement des propositions et des
demandés par les associations
recommandations, qu’ensemble nous
de lutte contre le VIH/sida, afin
porterons auprès des décideurs poli-
que les besoins des personnes
tiques, des soignants et des acteurs en
séropositives suivies dans les
santé publique.
hôpitaux de la région, notam-
ment à l'Assistance Publique-
Hôpitaux de Paris (AP-HP),
soient entendus et pris en
compte dans les plans admi-
nistratifs de réorganisation
11 – 14 Novembre - des services hospitaliers. Ils
Université des personn seront la voix des malades
es séropositifs
Notre objec tif à tous : une me dans la restructuration des
qualité de vie, ense illeure
mble en amont, en hôpitaux d'Ile de France et
novembre, et pour l’a seront placés sous la respon-
près !
Elles sont organisé sabilité de l'Agence régionale
es par AIDES Grand
Est et AIDES Rhône de Santé (ARS) d'IDF.
Alpes Méditerranée
Elles concernent de .
s personnes, en trai-
tement ou non, viv
ant depuis long-
temps avec le virus
ou ayant appris leur
contamination plus
récemment. Elles
vont construire ense
mble, partager leur
vécu et expérienc
es, prendre soin
d’elles et des autres,
également dans un
dialogue avec les so
ignants.
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