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Ch.

Picard

Nouvelles observations sur diverses représentations du Héros


Cavalier des Balkans
In: Revue de l'histoire des religions, tome 150 n°1, 1956. pp. 1-26.

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Picard Ch. Nouvelles observations sur diverses représentations du Héros Cavalier des Balkans. In: Revue de l'histoire des
religions, tome 150 n°1, 1956. pp. 1-26.

doi : 10.3406/rhr.1956.7141

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1956_num_150_1_7141
Nouvelles observations

sur diverses représentations

du Héros Cavalier des Balkans

Depuis que M. Gavril I. Kazarow a publié son remarquable


répertoire, devenu classique, des représentations du Héros
Cavalier en Bulgarie1, cet énigmatique génie protecteur des
pays balkaniques et autres continue ses chevauchées ; il n'est
guère d'année, sinon de mois, où son dossier antique2 ne
s'enrichisse, pour l'instruction et parfois pour l'embarras des
historiens des religions de tous pays, de pièces documentaires
nouvelles, à l'occasion surprenantes. C'est que, pendant toute
la durée de l'ère impériale, les syncrétismes ont provoqué
maintes combinaisons dans l'imagerie traditionnelle, tant pour

1} Die Denkmaeler des Thrakischen Reilergolles in Bulgarien, Dissertationes


Pannonicae, II, fasc. 14, 1938. Voir aussi, du même savant, dans la RE (Pauly
Wissowa, etc.), Supplem. Band., 3, 1147, s. v. Héros, et Thrakische Religion,
ibid., V A., 478 sqq.
2) II y aurait aussi à tenir compte, à vrai dire, d'un dossier moderne, car le
Héros Cavalier est resté un symbole fréquent, sur certaines stèles funéraires des
Balkans, bien après l'époque païenne. Il suffit pour s'en convaincre de visiter le
Musée ethnographique de Belgrade, avec ses collections d'art funéraire chré
tien, où le fantôme, dirait-on, du personnage reparait si volontiers (nécropoles
de Studeniéa, de Ratschka-Kragouevač, de Krajevo, par exemple, etc.). Le
« Cavalier thrace » avait été d'ailleurs « relayé » dans les Balkans par saint Georges :
au Musée même de Belgrade, on voit, provenant du monastère Djurjdevi Stubovi
(s Les Colonnes de Georges »), une petite esquisse du saint Georges, venant du
mur de la façade, et préparée en sous-œuvre par un artisan inconnu ; c'est l'image
même d'un Héros Cavalier. Sur le folklore moderne du personnage en Yougoslavie,
cf. l'étude de Filipovié Milenko, Trački Konjanik, Beograd, 1951 ; Talbot Rice,
Actes VI* Congr. inlern. Et. Byz., 1948 (Paris, 1951), II, p. 391-395, à propos de la
figure d'accompagnement du saint Georges : l'explication, non fournie, est à
chercher certainement dans l'imagerie païenne.
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le Cavalier lui-même que pour ses symboles familiers1. Au


moment où paraissent les substantielles études de M. Ernest
Will2, qui ont donné au culte du Héros Cavalier bonne place
parmi les documents concernant le relief cultuel gréco-romain,
on peut noter l'importance des récentes études erudites,
consacrées — aux Balkans mêmes — à préciser nos connais
sances. Je voudrais signaler ici, à côté des multiples publi
cations de M. Dim. Tsontchev, par exemple3, les recherches
diverses de M. Georgi Michailov4 : certaines à propos de
l'épigramme funéraire d'un Thrace, des parages de l'ancienne
Odessos (Varna, Bulgarie) : texte connu depuis 1928 et fr
équemment discuté depuis lors.
Mais ce n'est pas seulement du côté de la Bulgarie qu'on
travaille à établir l'iconographie et le rôle du Héros Cavalier.
Il ne conviendrait guère de méconnaître, par exemple, l'impor
tance de l'apport yougoslave : pays où MM. Miloje M. Vassič,
Rastislav Maric, Branko Gavela, Dj. Boskovic5, d'autres encore,
ont contribué déjà, avec tant de persévérance, à enrichir
nos dossiers.

1) Cf. par exemple, en dernier lieu, le curieux document publié par M. Dim.
Tsontchev (Rev. arch., 1054, II, p. 15-20) : Musée de Plovdiv : Sabbazios y
paraît en haut, et sur le registre inférieur, sorte de predelle, il y a un Cavalier
thrace, influencé par le type du dieu phrygien ; on voit aussi d'autres divinités,
haut et bas, et nombre de symboles, certains restés plus ou moins énigmatiques.
2) Le relief cultuel gréco-romain, conlribulion à l'histoire de Vart de l'Empire
romain, thèse de doctorat soutenue le 16 mai 1953 en Sorbonně, 1955 ;
cf. K. Schefold, Neue Zurcher Zeitung, 11 mai .1956. Le titre du livre de
E. Will est abrégé ci-après : Relief cultuel. Bibliogr. : p. 8-9.
3) Ci-dessus, n. 1.
4) Rev. Et. gr., 64, 1951, p. 404-418. L'auteur, p. 117, parle encore de « roses
répandues » pour le rite dit des Rosalia ; mais certains monuments figurés, dont
j'espère avoir à reparler, donnent la preuve irréfutable qu'on brûlait les roses,,
comme je l'ai toujours dit pour ma part, sans trouver jusqu'ici ailleurs la moindre
réfutation valable de ma première doctrine.
5) Je dois à M. Dj. Boskovic la connaissance d'une étude encore inédite
qu'il a récemment présentée, en langue serbo-croate, à l'Institut archéologique
de l'Académie des Sciences de Serbie, le 23 janvier 1956 : Sur le type du Cavalier
thrace de Ruljesovce, d'après un document nouveau. D'autre part, Mme Todorovié-
Vučkovič m'a remis aimablement à Belgrade les photographies d'un relief inédit
exhumé dans ses fouilles de Macédoine Nord ; c'est la stèle funéraire d'un P. iElius
P. fil. Posidonianus, qui n'a vécu que neuf ans, huit mois, huit jours. En tête de
l'inscription, il y a l'image du Cavalier, galopant vers la droite. Partout, les témoins
d'un culte jadis étonnamment prospère se multiplient actuellement encore, de la
Grèce à la Macédoine et de là, jusqu'au Danube.
SUR DIVERSES REPRESENTATIONS DU HEROS CAVALIER d

Je ne compte pas pour peu les études auxquelles ont donné


lieu, et donnent lieu encore, les « plaques danubiennes » ; elles
ont assemblé elles-mêmes un matériel d'étude fort original,
pour la Pannonie, la Dacie, la Mésie notamment ;. matériel
sur lequel on n'a pas fini de discuter jusqu'à maintenant1.
L'archéologie occidentale — en Allemagne et en France
notamment, ainsi qu'ailleurs — n'a pas manqué d'apporter des
contributions critiques, depuis le temps des articles trop
dispersés de Georges Seure, qui n'eut pas malheureusement
le temps de synthétiser sa récolte, diligemment entreprise2.
De récents débats engagés par M. P. Lambrechts et d'autres3,
la publication d'un traité général sur YHéroïsation équestre
par M. F. Benoît4, suffisent à signaler l'actualité persistante et
l'amplitude des débats, peu à peu élargis des Balkans à toute
la gent cavalière. du monde divin5. L'importance des pro
blèmes en cause n'est guère contestable.
S'il y a tant de mystère encore, toujours renaissant, et
tant de querelles, c'est que le Héros Cavalier n'est pas, aux
Balkans comme ailleurs, un génie facile à connaître. Il a
favorisé de sa protection surnaturelle de vieilles régions riches
en races différentes, souvent rivales, et qui, dans l'ensemble,
n'ont pas bénéficié intégralement — avant l'arrivée des
Romains, surtout — des clartés de l'histoire. Paeoniens,
Thraces, Triballes, Illyriens, Celtes de l'Europe centrale, etc.,
ne sont encore que partiellement connus. Ce qui touche à
leurs dieux, à leurs religions — qui ont subi tour à tour Yinter-

1) Diverses publications avaient déjà fait suite aux études fondamentales de


D. Tudor, sur les Cavaliers danubiens (/ Cavalieri danubiani, Ephem. daco-
romana, VII, 1917). Bibliographie et études dans E. Will, Relief cultuel, p. 89 sqq.,
p. 312 sqq. et passim.
2) Les articles fondamentaux du dossier ont été ceux de la Rev. Et. anc,
14, 1912, p. 137, 239, 383, et ceux de la Rev. arch., 1913, 1, p. 69 ; 1922, 1, p. 46, etc. ;
ceux de la Rev. philol., 54, 1928, p. 106 sqq., etc.
3) Cf. ci-après, p. 26, n. 2.
4) Annales Fac. Lettres, Aix-en-Provence, n° 3, 1 ; n° 7, 1954 (éd. Ophrys) :
compte rendu de M. A. Merlin, Journ. Sav., juillet-sept. 1955, p. 132 sqq.
5) Sur les déesses cavalières préhelléniques, cf. en dernier lieu, Ch. Picard,
Rev. arch., 1956, 1, p. 91-92. Les controverses entre MM. F. Benoît et P. Lambrechts,
où aucun point de vue n'a triomphé, quoiqu'on ait dit trop vite (Hellenica, 10,
1955, p. 158, n. 51, concernaient Épona, la Cavalière à l'anguipède, etc., et aussi
une part du folklore occidental des dieux et génies cavaliers.
4 REVUE DE L HISTOIRE DES RELIGIONS

pretatio graeca, Г inter prelalio romana — reste particulièrement


difficile à atteindre, surtout aux couches stratigraphiques
primitives, les plus importantes. On ne saurait trop recom
mander, en ce domaine, l'usage de méthodes rigoureuses, qui
seraient profitables à la plupart des historiens des cultes.
Comment ne pas souhaiter, par exemple, qu'on étende peu
à peu, le plus loin possible, à des régions autres que la Bulgarie,
le fructueux recensement dont M. G. Kazarow a donné le
modèle ? Un grand progrès serait accompli si nous possédions,
d'autre part, pour d'autres régions, l'équivalent valable de
tels travaux. Alors, de « dénombrements complets », justifiés
au nom de la méthode cartésienne, on pourrait tirer des cartes
cultuelles indispensables1. Cela donnerait occasion de préciser
divers éléments essentiels à l'étude : extension dans l'espace
du culte du Héros Cavalier ; surtout, date et durée de sa
prise de pouvoir ; longévité, survivance. Les êtres supra-
naturels du paganisme, produits de la croyance humaine, ont
droit, comme les hommes du passé, à une sorte de biographie
et d'histoire, si possible.
En ce qui concerne le Héros Cavalier, il n'est pas malaisé
d'apercevoir qu'on hésite encore beaucoup, faute de statis
tiques complètes, sur l'époque de son apparition première, dans
le monde des Balkans ou ailleurs2. Le recueil de G. I. Kaza
rowavait donné la première place au relief du Musée de
Sofia3, que j'ai jadis découvert et signalé à Bouloustra-Abdère,
des débuts de l'époque hellénistique. Peut-on se contenter
de croire maintenant que cette image ait été la plus ancienne?
Je ne le pense guère pour ma part, et j'ai attiré l'attention, à
ce sujet, récemment encore, sur les droits d'antériorité d'autres

1) Cf., par exemple, celles de F. Gumont, pour les Monuments de Mithra (fin
du t. I), celles de D. Tudor, pour les Cavaliers danubiens (p. 199) ; celles qu'a
constituées, si utilement, aussi, M. Bengt Hemberg pour les Cabires : Die Kabiren,
Uppsala, 1950. J'en ai parlé ici même (Rev. Hist, relig., 142. oct.-déc. 1952,
p. 219-229).
2) En 1927, M. H. Seyrig pouvait opiner de la façon suivante : « II n'y a pas
de Cavalier thrace qu'on puisse faire remonter sûrement avant notre ère ».
M. E. Will, Relief cultuel, p. 57 sqq., s'arrête aux « antécédents hellénistiques ».
.

3) G. I. Kazarow, /. /., pi. I.


SUR DIVERSES REPRESENTATIONS DU HEROS CAVALIER О

représentations maintenant connues : à Thasos, p. ex., à


Larissa-sur-l'Hermos, etc. ; elles sont antérieures à la fin
du ve siècle av. J.-G. ; là. déjà, il faudrait se garder de ne
vouloir reconnaître encore que des « chasses », sans convention
ni mystère1. Points de vue encore débattus, sans doute ; mais
de leur discussion on peut espérer voir naître certaines consta
tations intéressantes, peu à peu. Comment ne pas remarquer
déjà aussi, par exemple : qu'il y a eu des « Cavaliers thraces »
portant la chevelure des Abantes, et affrontés au-dessus d'une
proie gisante, sur certaines cymaises de terre cuite de Larissa-
sur-1'Hermos (Éolie)2 ; qu'en territoire thraco-phrygien, au
S.-E. du lac Manyas, aux - parages peut-être de l'ancienne
Dascylion — on connaît maintenant3 des représentations appel
ées« gréco-perses », de la Chasse du Cavalier, documents qu1
sont placés traditionnellement à l'époque classique (ve s.)?
Ils prennent eux aussi le pas, chronologiquement, sur le Caval
ierthrace d'Abdère, qui n'est pas un commencement, mais
une suite. Plus tard, dans la même région et en Ionie du
Nord, on reverra les Héros Cavaliers encadrant, à Éphèse, à
Mosyna (Phrygie), une déesse polymaste engaînée. On a parlé
à cette occasion de Dioscures4. Mais, comme on verra ci-après,
il n'y a aucune raison valable de penser plus spécialement à
eux qu'à une image doublée du Cavalier thraco-phrygien. Sur
Геп-tête de décret de Mosyna, l'un d'eux tient une « battle
axe » (W. Ramsay), ce qui aurait pu justement étonner; sur
les monnaies de Caracalla, à Ëphèse, les Cavaliers n'ont pas
davantage les attributs typiques des Dioscures. Et la troupe

1) Ch. Picard, CRAI, 1914, p. 295; BCH, 45, 1921, p. 139, 141 ; Monum.
Piot, 38, 1941, p. 55-92 ; Studia anliqua : Mél. Ant. Salatch, p. 156 sqq. (à propos
du thème de la Chasse au lièvre).
2) Larissa am Hermos : Die Ergebnisse..., 1902-1904, II, frise 5, fisr. 15 et
pi. 15.
3) BCH, 37, 1913, p. 340 sqq. (Th. Macridy-Bey).
4) En tête de décret de Mosyna (Phrygie), trouvé et publié par W. Ramsay ;
cf. F. Chapouthier, Les Dioscures au service d'une déesse, 1935, p. 74 sqq., n° 67 ;
monnaie d'Ëphèse (Caracalla), ibid., p. 75, n° 68. L'en-tête de décret de Mosyna
n'a pas été correctement transcrit ni lu, semble-t-il. Il semble qu'on puisse déchif
freraux lignes 1-2 : 'O Sîjjjloç ó Mo[ouvéwv xat oi èx. tîjç сиухХтргои, ■ etc.
La figurine représentée près du point de départ de l'inscription, à gauche, est
le haut d'un petit hermès, comme on en rencontre aussi ailleurs.
6 REVUE DE L HISTOIRE DES RELIGIONS»

thasienne des Cavaliers chasseurs thasiens, aux cymaises


de l'Héracleion et d'un édifice archaïque voisin du Prytanée
(peut-être l'ancien Prytanée même) annonce l'usage — qui a
provoqué des discussions et même des erreurs — de doubler
parfois les représentations du Héros Cavalier, sur les stèles
des. Balkans : légitimement, certes, quand les personnages
honorés par les stèles étaient au nombre de deux, ainsi
qu'il arrive, par exemple, sur la stèle 158 du Musée du
Louvre1.
M. P. Devambez a bien fait, récemment, de rouvrir, dans
les Mélanges offerts à M. Ant. Salatch2, le dossier de la stèle
macédonienne 158 du Musée du Louvre, en provenance de la
région de Salonique3 ; document que F. Chapouthier4 — avec
un annexionisme un peu téméraire — avait joint en 1935,
sans beaucoup de justifications ni de réserves, au dossier
des Dioscures servants d'une déesse.
Il faut réparer cette erreur, nous a dit le savant conser
vateur du Louvre, et reconnaître en fait, une double repré
sentation — pour, deux morts — du « Cavalier thrace », là
où l'on avait parlé des Jumeaux nés de Zeus. Les deux jeunes
écuyers de la stèle, antithétiques, montés à cru, l'un et l'autre,
sur leur cheval cabré, habillés d'une tunique courte et d'une
chlamyde flottante, sont restés dans la tradition du Héros
des Balkans.

1) II arrive d'ailleurs qu'il y ait eu deux Héros Cavaliers sur une même stèle
consacrée à un seul personnage. C'est le cas, p. ex., sur la stèle funéraire de
Dizalas (G. Mendel, Cat. sculpt. Constantinople, III," 1914," n° 1049),' où l'image
du génie protecteur du mort est répétée deux fois, intentionnellement, de chaque
côté du cartouche.inscrit de la stèle.
2) Studia antiqua Antonio Salač septugenario oblata = Studie zantiky Antonínu
Salačovi К. Sedmdesátinám, Prague, 1955, p. 166-169 et pi. 15.
3) Elle a passé par la Collection W. Frôhner (Inscr. gr. du Louvre, n° 194) ;
c'est Cousinéry qui l'avait achetée au xviii* siècle, et qui l'avait fait entrer dans
la Collection Choiseul, en France.
4) Les Dioscures au service ďune déesse, p. 285, flg. 55. La figure 55 (dessin
au trait) est non seulement « assez sommaire », ce qu'on peut accorder à
M. P. Devambez, mais inexacte et inutilisable. On se reportera à la photo donnée
dans les Studia... Salač, pl. 15, qui, seule, peut faire autorité. Le « dessin » passé
dans la thèse de F. Chapouthier a oublié, en bas de l'arbre, le sanglier dont la hure
seule est visible, et qui se trouvait nez à nez avec le chien. Il y a d'autres fan
taisies, plus ou moins graves, r de la transcription:
SUR DIVERSES REPRÉSENTATIONS DU HÉROS CAVALIER 7

On acceptera volontiers ce point de vue et l'on souscrira


aux différences soulignées en 1955 entre les Dioscures et le
Cavalier chasseur, si répandu dans la Grèce du Nord, où les
Dioscures sont aussi connus, mais moins fréquents1. Il n'y a
rien à ajouter à la partie négative de la démonstration anti-
dioscourienne. Mais il demeure — et c'est M. P. Devambez
qui le constate à son tour — que l'épitaphe du Louvre ment
ionnait un certain Dioskoridès, et que la présence de ce nom
théophore, évocateur, a bien. pu, en effet, comme on voit, pro
voquer l'image inadéquate ; les populations de la Grèce sep
tentrionale n'avaient-elles pas souvent confondu, déjà, ainsi
qu'ont fait certains des exégètes modernes, risquant indûment
l'assimilation entre le Cavalier et les Jumeaux ? Si l'on
n'accepte pas cette source du doublement embarrassant de
l'image, comment expliquer l'entraînement du praticien qui
aurait vu - double ? Dans sa note des Studia antiqua,
M. P. Devambez ne tient-il pas lui-même compte d'une stèle
funéraire de Thasos (p. 169, pi. 16; 1), où la présence, dans
l'épigramme, du nom allégorique Karpophoros, a fait surgir
par réflexe secondaire le buste « bien connu »2 de la déesse
Gé ? Un des résultats auxquels nous sommes conduits est
donc — une fois de plus ! — la constatation d'un usage
parfois mis en, doute : certains imagiers installaient encore
assez fréquemment sur les stèles funéraires grecques, vers la
fin du IIe siècle de notre ère, voire au début du ше, l'image
des dieux : vieille tradition pieuse dont il ne faudrait pas oublier
qu'elle remonte — en Attique, par exemple — au moins à la
stèle peinte de Lyséas, où paraît, quoiqu'on ait dit, un Dio
nysos. Au début comme à la fin, il n'est pas facile d'éluder

p. 199
1) W.
sqq.Baege,
; cf. aussi
DeJ.Macedoniím
Babelon, Mél.
sacris,
Ch. Dissert,
Picard, Rev.
phil. arch.,
Halenses,
1948, 22,
I, p.1,24 1913,
sqq.
2) Sûrement pas « tel qu'on le voyait aussi se dresser sur l'Acropole, jailli
ssantdu rocher au Nord du Parthenon », comme on nous dit. Ce qu'il y avait à
l'Acropole dut être une statue complète (Pausanias. I, 24, 3) implorant Zeus pour
qu'il fît pleuvoir l'eau du ciel en une période de sécheresse calamiteuse. Sur la
question, contre Heydemann et Furtwângler, cf. l'éd. Hitzig-BIumner, I, p. 268,
ad S. 55.5. (Seule l'inscription, à 9 mètres du N. de la 7e colonne Nord du
Parthenon, est sûre.)
8 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

les faits1, qui, d'ailleurs, ne provoquent point de surprise.


Combien de crucifix encore sur les images tombales les plus
modernes ?
Je voudrais attirer ici l'attention sur quelques remarques
qu'on peut faire en outre. M. P. Devambez a bien vu qu'une
stèle funéraire macédonienne — provenant de Salonique pré
cisément — donnait un autre exemple du doublement de
l'image, probablement à une date voisine de celle du document
du Louvre. Elle est au Musée dlïstanbulV C'est la stèle frag
mentaire de Dizalas et de sa famille, rectangulaire, brisée à
la partie inférieure. Au-dessus de quatre têtes conservées, qui
sont sans doute le reste — par apocope — de bustes, on voit
au registre supérieur, flanquant et encadrant l'inscription,
deux panneaux de même surface décorés de « Cavaliers
thraces », symétriquement et même héraldiquement disposés,
dirait-on. Tous deux chargent en direction de l'inscription :
face à face, sur leurs chevaux au galop, mais non cabrés ; au

1) Alors que les Grecs n'ont relativement pas abusé de l'image divine, sans
pourtant s'en abstenir — quoiqu'on veuille encore dire (cf. pour l'Attique clas
sique, K. Friis Johansen. The allie grave-reliefs, 1951, où tout n'est pas convainc
ant, à mon sens) — il semblerait que le nombre des divinités invoquées eût aug
menté à partir de l'époque hellénistique, particulièrement. Ceci ne pourrait être

fermement établi qu'à l'aide de dénombrements étendus dans le temps et l'espace.


Il ne peut être question ici que des régions macédoniennes, et sous l'Empire
romain ; mais notons que dans l'Egypte des Lagides, Macédoniens d'origine,
Héron, le Héros cavalier local, Dionysos, et d'autres dieux garants du salut
d'outre-tombe se sont montrés fréquemment aussi, sous l'influence des conqué
rantset immigrés venus sur les pas d'Alexandre. En Macédoine, à propos de
la stèle funéraire d'Agathéanis, au ше siècle de notre ère (Mus. Istanbul :
G. Mendel, Calai., III, p. 312 sqq., n° 1076), on a présenté déjà quelques sta
tistiques. L'Artémis type de la Diane de Versailles, par exemple, a été très à
l'honneur sur les stèles (G. Mendel, l. /., p. 313). On trouve aussi Artémis et
Apollon, Dionysos (statuettes : cf. Max. Collignon, Les statues funéraires dans
Vart grec, p. 315 sqq.; Istanbul; G. Mendel, Cat., 827, Salonique); Vénus, Hermès,
Hécate (Mesembria du Pont, Oesterr. Jahresh., 26, 1930, p. 111 sqq., et
G. Kazarow), etc. Généralement, le dieu représente le mort, la déesse une morte ;
mais il y a des exemples de monuments funéraires (Mus. Istanbul : G. Mendel,
Calai., III, n° 827) où la dédicace s'adresse à un homme, tandis que l'image
représentée est celle d'une divinité féminine, élue, dit G. Mendel, comme déesse
de la mort, en ce cas. Il faut tenir compte, d'autre part, de la présence attestée
du Cavalier thrace sur les stèles de Thasos (H. Seyrig, BCH, 51, 1927, p. 202 sqq.),
de celle d'Attis, sous sa forme anthropomorphique, ou sous les aspects de ses
curieux symboles (Ch. Picard, Numen, à paraître).
2) G. Mendel, Musées impér. ottomans, Calai, des sculptures grecques, etc.;
1914, III, n° 104U.
SUR DIVERSES REPRÉSENTATIONS DU HÉROS CAVALIER 9

bord du cartouche central, de chaque côté, ils ont devant eux,


en bordure du tableautin, Varbre qui est central sur la stèle 158
du Louvre ; un gros serpent s'y enroule. Sur le panneau de
gauche, qui est le mieux conservé et le plus complet (Dizalas),
l'arbre a l'air de sortir d'un autel. Comme caché, à l'arrière,
par le bômos, un sanglier, dont on voit seulement l'avant-
corps, débouche, face à face, lui-même, avec le chien du Caval
ierchasseur. Représentation très traditionnelle, mais qui
— on le voit — avait été doublée symétriquement, sans raison
apparente. Pourquoi ce dispositif? Affaire d'esthétique ?
Inadvertance ? Coutume ? Il est possible, à mon gré, de faire
deviner là un usage dérivé du décor des portes d'entrée, ces
portes qu'on reproduisait à l'occasion dans le décor funéraire
(stèles-portes). Je puis d'abord faire noter, à l'appui de l'hypo
thèse, un autre document macédonien aussi, et de provenance
thessalonicienne encore. C'est le grand relief en trois fragments,
rajoutés au type du « Cavalier thrace », qui est au Musée
d'Istanbul, n° 4921. On voit là un des plus grands des « Caval
iers thraces » connus2. Or, il est aisé de noter que le bloc
devait, avec sa hauteur de 1 m. 80, faire partie d'un ensemble
monumental (larg. 3 m. 055), et comporter un panneau symét
rique, de l'autre côté d'une entrée, où l'on a pensé parfois
voir une des portes de l'enceinte de Salonique3. Notons que
le sanglier qui figure en protomé, a l'air de sortir des racines
mêmes çlu gros arbre représenté à droite, arbre autour duquel
s'enroule un énorme serpent. On peut penser que le même
arbre figurait aussi symétriquement sur le pendant, près de la
porte ; les passants étaient ainsi encadrés, s'ils franchissaient
le passage public, entre les deux arbres, les deux serpents et
les demi-sangliers ; ensemble prophylactique dont le rappel
est sur la stèle 158 du Louvre et sur celle de Dizalas,

1) G. Mendel, Calai., l. L, II,.p. 172-175 ; E. Will, Relief cultuel, p. 62, fig. 1.


2) Cf. aussi le Cavalier de Karaagatch, Sofia (CHAI, 1900, p. 362).
3) Cf. C. G. Curtis, cité par G. Mendel, /. /. ; pour un cippe rectangulaire
à deux cavaliers, d'Imbros, cf. Ch. Picard et A. J. Reinach, Bull, corresp.
hellén., 36, 1912, p. 317-319 ; porte de ville de Bizya, Thrace : E. Baldwin Smith,
Architect, symbolism, p. 39, fig. 28.
10 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

où l'on s'explique mieux ainsi le doublement de l'image1.


Le Héros Cavalier était un génie Propylaios, ce dont
s'était aperçu, dès 1913, O. Weinreich2. Sa fonction était donc
de protéger les entrées, qu'on aimait flanquer de représentat
ions tutélaires. Deux garants ne valaient-ils pas mieux qu'un?
D'où la précaution pieuse prise par l'Hermès, fils de Diosco-
ridès du Louvre (stèle 158), qui, au surplus, avait perdu deux
fils, Eunous et Herméros, ainsi que l'inscription l'atteste.
Une épigramme célèbre de Callimaque avait montré, à
l'époque hellénistique déjà, dans un modeste prothyron, à
l'entrée de la maison d'Aiétion d'Amphipolis3, un petit Héros
isolé, mis à pied — peut-être privé de son pendant symét
rique — et qui s'ennuyait fort de sa déchéance relative,
de son maigre équipement : Xo£ov 6<piv xal (xouvov è'x«ov £i<poç.
Le sort de ce Cavalier devenu fantassin par disgrâce n'a
pas fini de soulever des discussions erudites, tant le spirituel
quatrain reste énigmatique. Aucun doute, du moins, sur la
fonction de Гетиатаб^ос, non pas « garnisaire » à la mode
d'Egypte, comme le voulait P. Roussel4, mais gardien de la
demeure- privée5. Une épigramme tardive (149 apr. J.-C),
rappelée par P. Roussel6 (/. /., p. 271-272) et qui se trouve
maintenant dans la collection Chandon de Briailles7, évoque
à point le rôle du Héros Cavalier, au temps même de l'in
scription 158 du Louvre : « Le Héros protecteur des portes
— le Fort qui se dresse dans les carrefours, l'Illustre — on
l'a placé devant la demeure de Claudianus, un gros propriét
aire.D'habiles hommes l'ont façonné, qui s'entendaient éga-

1) M. P. Devambez a supposé qu'on avait pu à l'occasion se tromper de


sujet en quelque sorte, afin d'utiliser des stèles préparées d'avance. On se rés
ignera difficilement à admettre cette désinvolture, même dans une « province
lointaine », qui, au surplus, ne manquait pas de sculpteurs (cf. ci-après).
2) Alhen. Mitt., 38, 1913, p. 62 sqq. (ci-dessus, p. 9, n. 3).
2e éd.,
3) P.
1940,
Roussel,
Coll. Budé,
Rev. p.Et.122,gr.,n° 34,
24 ;1921,
Waltz,
p. Rev.
266-274
Et. ; gr.,
E. 50,
Gahen,
1937, Callimaque,
p. 208-210.
4) Contre ce sens, cf. U. Wilamowitz-Môllendorf, Die hellenistische
Dichtung..., II, p. 127.
5) P. Roussel, Rev. Et. gr., 1921, l. L, avait donné de bonnes indications
sur le rôle prophylactique du Héros, à pied ou à cheval.
6) Cf. déjà G. Seure, Rev. Et. anc, 14, 1912, p. 384.
7) M. E. Will, Relief cultuel, l'a reproduite, pi. I, à la p. 60.
SUR DIVERSES REPRÉSENTATIONS DU HÉROS CAVALIER 11

lement à sculpter et à peindre. Le sculpteur fut ton dévoué Capi


ton, qui a fait sa réputation1 ; le peintre, ton serviteur favori,
Januarius, tous deux travaillant avec un soin pieux », etc.
Image et inscription venaient de Thrace (ce que men
tionne le texte). Certains de ceux qui se sont occupés du
Cavalier thrace . comme IIpouuXouoç auraient eu intérêt à
regarder de plus près les reliefs de Thessalonique, de Bizya, etc.,
dont celui que M. P. Devambez a remis à l'honneur (Louvre,
n0< 158)2. La stèle d'Eunous et d'Hermeros « syncope »,
dirait-on, et synthétise, en tout cas, autour de l'arbre
central — avec son serpent et son sanglier — le décor qu'on
avait coutume de voir souvent doublé aux portes des maisons,
dans les carrefours (ci-dessus) ; aux portes mêmes, parfois, des
villes, semble-t-il. Le Musée d'Istanbul est riche de documents
apportés au temps où la Turquie opprimait la Macédoine ;
s'ils ont tous leur individualité plus ou moins artisanale3, il
n'est guère douteux qu'ils répondent en commun à une cou
tume locale, religieusement et techniquement ; Capiton, le
sculpteur, et Januarius, qui travaillaient pour de riches pro
priétaires romains, campagnards, avaient eu des prédéces
seurs habiles, capables de créer sur place, sinon une école, du
moins des usages d'atelier.
On s'en aperçoit par la répétition des .symboles spéciaux,
dont le dispositif ne varie guère, et notamment pour cet él
ément très important, parfois central, du décor traditionnel,
que forment, l'arbre et l'autel, le serpent, le sanglier vu à
mi-corps. L'arbre paraît fréquemment comme s'il était
encore juché sur l'autel à la manière préhellénique4. Et com
ment ne pas penser, d'autre part, au symbole d'Attis-pin,
qu'on a trouvé à Ostie, en plein Attideion, dans le sanctuaire

1) La contrée ne manquait donc pas de sculpteurs.


2) Traduisant l'épigramme de Callimaque, E. Cahen mettait le serpent dans
la main du Héros amphipolitain. P. Roussel le met avec raison « dans le coin ».
3) M. P. Devambez n'exagère-t-il pas un peu en prêtant « un certain talent »
(Studia... Salač, p. 167) à l'auteur inexpert de la stèle. du Louvre 158 ? Qu'on
regarde, hélas ! les grosses mains des cavaliers, par exemple, et bien autre chose.
4) Ch. Picard, Mana, 1948 : culte de l'arbre : prophylactique.
12 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

de la Magna Mater, à la Porte Laurentine (11e siècle apr. J.-C)?


L'arbre riche en frondaisons et en fruits sacrés (pignes,
pommes de pin) est entouré là d'un énorme serpent, qui a
étonné tout le monde1. C'est que l'arbre et le serpent font
corps, en quelque sorte, associés en colonne torse ; et qui sait
si la colonne torse n'est pas dérivée du souvenir de cette
quasi-symbiose ? Une fontaine, en bronze, d'Herculanum,
récemment découverte2, haute de 2 m. 42, en garde, en tout
cas, en style monumental, le modèle, nullement réduit à une
valeur décorative, quoiqu'on ait dit, car l'Arbre des Hespérides
est aussi évoqué par ce curieux ouvrage.
Sur le grand relief, ci-dessus signalé de Salonique (Musée
d'Istanbul : cf. G. Mendel, Calai, sculpl., n° 492), le sanglier
a l'air de sortir des racines mêmes de l'arbre. Sur le document
de la Collection Chandon de Briailles, on ne voit plus guère
que la queue du serpent, enroulée en coquille. Pour la stèle 158
du Louvre, M. P. Devambez marque que « la hure se dis
tingue à peine des racines de l'arbre ». Mais est-ce bien la
preuve de l'effacement du rôle du sanglier, donc de l'oubli
du thème de la chasse, comme on nous le suggère3 ?
M. P. Devambez me paraît avoir relevé justement le geste
comparable à celui de la bénédiction4, qui remplace souvent
1) Mme de Raissa-Galza, Memorie délia Ponlificia Accad. romana di archeo-
logia, série III, vol. 6, 1946, Sculpture rinvenute nel santuario, p. 112, n° 4 (Musée
d'Ostie, n° 172) : flg. 13 à la p. 213. Marbre blanc italique : haut. 0 m. 91 ; l'ex-
voto bétylique porte en bas sa dédicace, sur un socle-autel :
Atti sacrum
C. Cartilius Euplu(s)
ex monitu deae.
G. Cartilius Euplous a consacré plusieurs autres sculptures dans l'Attideion
et le sanctuaire de la Magna Mater à la Porte Laurentine d'Ostie. C'était un fidèle
généreux, d'origine grecque. Nul besoin de rappeler que le pin personnifiait
Attis (Ovide, Métam., X, 103-105) et que les fidèles du favori de Cybèle se
fustigeaient à l'occasion avec des branches de pin.
2) A. Maiuri, Bollett. ďarte, 39, 4, 1954, n° 3, juillet-sept., p. 193-199.
3) P. Devambez, /. /., p. 167.
4) La comparaison avec la benedictio latina était peu à peu devenue
traditionnelle. Cette exégèse n'a pourtant pas rallié tous. les suffrages. Récem
.

ment, M. H. P. L'Orange, Studies on the iconography of cosmic Kingship in the


Ancient world, Oslo, 1953, chap. XVII, a contesté l'explication. Pour lui, il s'agit là
— ce qui ne va pas d'ailleurs sans difficulté — d'un geste qu'on appellerait d'ense
ignement. Geste de la pensée, dit-il ; et signe du logos ; il met en cause, à ce sujet,
l'iconographie du Christ docteur.
SUR DIVERSES REPRÉSENTATIONS DU HÉROS CAVALIER 13

— par exemple sur la stèle 158 du Louvre, voire ailleurs —


le mouvement meurtrier et primitif, par lequel la lance du
Chasseur devait être brandie. Il y a là la marque d'une évo
lution religieuse, qui a fait aussi que le cheval du Héros, au
lieu de se cabrer, au lieu de galoper, apparaît souvent mar
chant à l'amble. Il pose quelquefois les sabots d'avant sur
un autel, comme les lions de la Porte de Mycènes, les bouquet
ins de la Potnia sur la montagne (pyxis de Ras-Shamra). A
cet accroissement du mana religieux peut paraître corre
spondre le symbolisme du sanglier et du serpent, en haut et
en bas de l'arbre sacré, vers l'autel, où parfois le cheval, sur
les stèles trouvées en Bulgarie (Rec. G. I. Kazarow), pose le
pied. M. P. Devambez a pensé lui-même à bon droit qu'à
ces signes, les initiés de quelque mystère pouvaient se
reconnaître entre eux (p. 167, /. /.).
Arbre, serpent, sanglier — celui-ci semblant parfois sortir
du creux de l'arbre même, ou, de l'autel de l'arbre — n'ont
pas eu, à mon sens, sur les stèles macédoniennes à l'effigie
du Héros Cavalier, un intérêt purement décoratif1. Place

1) Le sanglier, dont on ne voit que l'avant, figure encore sur la stèle funé
raire de Gamos, de Salonique (Mus. Istanbul : G. Mendel, Calai. Sculpt., Ill,
n° 1047). Au même Musée, la stèle 1046, de provenance certainement rouméliote,
montre aussi le sanglier apparaissant à moitié derrière l'arbre ; de même sur la
stèle de Proclos (Istanbul : G. Mendel, Catal. Sculpt., Ill, 968) apportée de
Salonique, le sanglier paraît caché derrière l'autel. Autres exemples dans le
Bec. G. I. Kazarow. — On a parfois d'ailleurs l'impression que le serpent menaçait
la- tête du cheval ; cf. la stèle de Gaios Cousonios Crispos, de Salonique, Mus.
Istanbul : G. Mendel, Calai., III, 966, où il n'y a pas de sanglier au bas de
l'arbre et près de l'autel. Comme le Héros chasseur fait le geste dit de la bene-
dictio, avec trois doigts levés (G. Mendel pensait à tort qu'il brandissait un javelot
muni d'une áyxúXy] : contra, H. Seyrig, Bull. corr. hellén., 51, 1927, p. 202 sqq.),
on ne peut guère croire à l'agressivité du reptile enroulé à l'arbre et dont le Cavalier
bénisseur ne paraît guère, en fait, redouter l'attaque : il ne le regarde même pas !
Que penser d'ailleurs au juste du rôle du serpent sur ces stèles macédoniennes ?
N'est-il pas là comme guérisseur ? Dans un traité pour le moins aventureux,
P. Diel voulait, en 1950, qu'il eût représenté partout le symbole mythique et le
principe du mal. Il eût été bien difficile de le prouver avec les faits collectés en
Grèce. Il faut signaler toutefois ici la scène toujours énigmatique du relief de la
Glyptothèque Ny Carlsberg, à Copenhague, que G. Lippold, Studies... D. M. Robin-
son, I, 1951, p. 648-654 (Heilende Schlange) proposait de rapporter à Thasos, et
dont on n'a pas encore percé le mystère ; cf. encore Ulrich Hausmann, Kunst
und Heiltum, Unters. zu den griechischen Asklepiosreliefs, 1948, fig. 3 : l'arbre
au serpent enroulé est au centre, entre la civière du malade (?) et les menaçants
lithoboles : on échappe difficilement à l'impression que l'arbre des stèles, avec
son serpent, est un essentiel élément sacré, le symbole divin végétal, dont on
14 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

était faite, grâce à eux, aux forces secrètes, animales et végét


ales, d'un monde sanctifié d'autre part, purifié par la
bénédiction de la main levée, avec les trois doigts ouverts.
Dans une étude limitée à un seul document, et qui voulait
ainsi rester courte, il n'était pas attendu que M. P. Devambez
posât de nouveau le problème du rôle religieux du Cavalier
thrace. Il se défend légitimement d'avoir eu « à rappeler les-
hypothèses émises sur la personnalité, d'ailleurs variable, du
Cavalier » ; « tantôt, ajoute-t-il pourtant, il s'agit d'une
divinité, d'un Héros dont on sait le nom ; tantôt c'est le mort
lui-même qui, dans le monde : de l'au-delà, participe à la
Chasse fantastique, ou bien, de la main demi-ouverte, fait un
geste, comme de bénédiction, geste par lequel se reconnaissent
peut-être les initiés de quelque mystère » (/. /., p. 167).
Posé ou non, le problème du Cavalier thrace reste capital.
On n'a pas oublié l'intéressante étude de M. W. Seston,
publiée en 1949, dans les Hommages à J. Bidez et Fr. Cumont,
et qui traitait à propos de l'épitaphe d'Eutychos, de ce que
l'auteur a appelé « l'héroïsation par la pureté ». En 1935
avait été trouvée, en Italie, dans les ruines d'un Nymphée
dépendant de la grande villa de Domitien aux Monts Albains
(Albano Laziale), une stèle de marbre avec double épitaphe
métrique du nie siècle apr. J.-C, en grec et en latin, consacrée
à un enfant, Eutychos, . fils d'Eutychès1. M. W. Seston n'a
pas pensé qu'il pût s'agir, sur l'image, d'une variante du Caval
ierthrace, malgré ce qu'il écrit (/. /., p. 321) du rôle des
Castra Albana et de la présence, là, de contingents de soldats

détachait, à l'occasion, les rameaux protecteurs et purificateurs (H. Seyrig,


Bull, corresp. hellén., 51, 1927, p. 202 sqq.), et déjà, Ch. Picard, Rev. hist, relig.,
1922, 2, p. 44 sqq., pi. 4-5 (Philippes). L'arbre a une double nature : olympienne,
par ses branches, chthonienne par ses racines : ses animaux familiers sont le
serpent et le sanglier, le premier vivant sous terre à l'occasion. Dans la légende
du Sanglier de Calydon, l'épiphanie du ragot ravageur est liée à la réparation
d'une erreur sacrificielle (oubli de la part due à Artémis) ; sur une stèle de Svištov,
Bulgarie, dédiée par une famille Heroni Ithiostla (G. I. Kazarow, Rec, n° 486,
fig. 252), le monstre combattu est, au lieu du sanglier, le serpent lui-même :
un énorme ophidien enroulé sur lui-même ; cf. aussi les monnaies de Constant II,
debellalor hostium, où le serpent chthonien est terrassé.
1) W. Seston, Hommage Bidez-Cumont, Coll. « Latomus », H, s. d. (1949),
p. 313-322, pi. 26. Cf. « Les Robert », REG, 56, 1943, p. 347.
SUR DIVERSES REPRÉSENTATIONS DU HÉROS CAVALIER 15

orienlaux, qui s'y rencontraient à l'époque des Sévères. Et


pourtant, la représentation qui surmonte l'inscription bilingue
paraît bien significative. Sur une monture lancée au cabré
allongé, un tout jeune personnage, la bulle au cou, chevauche.
Il tenait de la main gauche un petit fouet, qui a été pris à
tort pour une simple « corde я1. La cassure du bras droit
empêche de voir quel geste était fait par la dextre : sans
doute bien celui qui est dit de la benedictio. L'aigle curie
usement représenté dans les airs au-dessus du groupe équestre
a saisi du bec le haut du fouet de l'enfant ; il ne touche pas
au cheval, mais il le dirige néanmoins à l'aide du fouet, vers
les hauteurs. Que le trop jeune Cavalier n'ait guère su se servir
lui-même de l'instrument propre aux auriges expérimentés,
c'est ce qui résulte de son âge, car il était mort, nous apprend
l'inscription, à deux ans, deux mois, et moins de cinq jours.
L'enfant a sur la tête un disque stellaire, étoile à six raies.
Des souvenirs de l'aventure de Ganymède se sont inconte
stablement mêlés ici à ceux de la chevauchée du Cavalier
thrace. Malgré les incertitudes qui subsistent pour la lecture
des textes2, l'héroïsation « équestre » est certaine, et la lecture
des vers grecs 7-8 en décide :
[o\> y]^P ÚTCO^Oóvtoc хата yíjc 'AÊStjç fxe xéxeuOs,
[<x]XXà At,oç roxpsSpoç аетос т]ртахае хг...

1) Sic, W. Seston, /. /., p. 314. D'autres détails de la représentation pourraient


être révisés à leur tour. Par exemple, p. 313, on est surpris de l'étrange explica
tion de l'arc en plein cintre, traditionnel, qui prenait appui sur les piliers corin
thiens de l'encadrement (celui de droite est conservé) : piliers au-dessus desquels il y
avait des acrotères d'angle en demi-palmette (cf. celui de droite est brisé légèrement
par le haut). M, W. Ses ton a voulu que cela évoquât le voile au-dessus de Caelus
p. 313, et n. 4), voire le ciel même : il paraît nécessaire d'en douter. On nous dit,
p. 313, qu'il s'agit d'un enfant souriant : mais le visage est complètement mutilé,
p. 314. Il est improbable aussi que l'enfant ait tenu une torche (sic : W. Seston).
2) M. W. Seston n'a guère fait état des restes, évanides, visibles aussi sur
le côté de la stèle : restes de l'inscription latine, plus ou moins déchiffrés avant
lui par A. Galieti, Rôm. Mitt., 58, 1943, p. 70-75 (cf. p. 73). Il conviendrait que
la pierre fût revue et étudiée à nouveau. Il semblerait, qu'on pût lire : non enim
abstint ab eo(?) septem fasci(ae), simul(acra) hujus(?) Phosphorou Hesperiouf? ),
quamobrem a(stra) crini(bus) velamen insident... Peut-être eût-il été plus sage
de ne tenter ici, encore, aucune restitution. Mais je croirais plutôt, pour ma part, à un
commentaire en latin — non à une traduction du texte grec placé sous l'image — ,
encore que Phosphoros et Hesperos apparaissent eux-mêmes dans l'épitaphe
grecque métrique.
16 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

Certes, la discussion n'est pas près de s'éteindre, sur le


rôle — mystique ou non — du Héros, qui, on le voit encore
par la stèle d'Eutychos, pouvait ne pas paraître déplacé sur
les stèles de jeunes enfants (ci-dessus, p. 2, n. 5). Depuis que
M. G. I. Kazarow, en 1938, avait rendu l'incomparable service
de réunir les 1.128 documents trouvés en Bulgarie1, on a tou
jours continué à s'interroger sur le sens des énigmatiques
epiphanies et sur le rôle secret, possible, du personnage ;
M. G. I. Kazarow a repris la parole lui-même à propos de ces
controverses, récemment encore2. Aucun- culte, pense-t-il
avec raison, n'a été jadis aussi répandu du ne siècle au
ive siècle apr. J.-C, et les nombreux surnoms donnés au
Héros attestent assez la complexité de sa nature. Génie de la
chasse, il a été aussi conducteur d'âmes3, chez les Gètes, en
Thrace, en Macédoine : il s'est apparenté en Macédoine et à
Thasos avec Dionysos, qui, dieu défenseur, Héros, cautionnait
lui-même l'immortalité des humains4. A travers la Thrace, la
Macédoine, et jusqu'au Danube, il a suscité toute une ima
gerie provinciale, où Dionysos, lui-même, et d'autre part
Apollon, Asclépios, voire Silvanus, etc., ont pu tour à tour
apparaître en cavaliers. — Je suis d'accord avec M. G. I. Kaza
row5 pour ne pas douter que le culte ait été très ancien dans
la Macédoine, la Thrace et la Grèce du Nord6, où malheu
reusement nous n'avons pas rencontré jusqu'ici de sanctuaire
remontant à une date assez haute : mais il ne faut pas perdre

1 ) Die Denktvàler des Thrakischen Eeilergottes in Bulgarien, 2 vol. — • Cf. ci-


tlessus, p. 1.
2) Zum Kult des Thrakischen Reilers in Bnlgarien, Wissenschafil. Zeilschrift
der Karl-Marx Universilat Leipzig, 3, 1953-54, II. 2-3, p. 135-137.
3) En ce sens aussi, Fr. Pfister, Sludien presented to D. M. Robinson, II,
p. 1116 sqq.
4) Cf. les études de II. Seyrig, ci-dessus rappelées, et Rev. hist, relig., 97,
1928, p. 275-278, sur quelques monuments du culte du Cavalier, thasiens et
autres. Cf. aussi, P. Collart, Philippes, 1937, p. 423 sqq. et passim. Certains
points de vue de l'étude de H. Seyrig ont été contestés en 1951, par
M. G. Mikaîlov (ci-dessus, p. 2, n. 4) ; cf. Rev. Et. gr., 64, 1951, p. 104 sqq., à propos
de l'épigramme funéraire d'un Thrace (p. 114 sqq., /. /.).
5) Wissenschafil. Zeilschrift, I. /., p. 136.
6) Cf. les remarques précitées : Studia antiqua, 1955, p. 156-159, concernant
les cymaises de terre cuite dites de la « Chasse du Lièvre », trouvées à Thasos
(pi. 15) ; ci-dessus, p. 5, n. 1 et ci-après.
SUR DIVERSES REPRÉSENTATIONS DU HÉROS CAVALIER 17

l'espoir d'en voir apparaître, un jour ou l'autre. D'ici là, il


est sage de développer et réviser l'étude des documents conser
vés1,sans vouloir trop tôt formuler de théories qui risque
raient de ne pas répondre assez à la complexité des faits, et
poussent actuellement à des jugements sans sérénité, mais
non sans contradictions2.

Lorsque nous pourrons disposer de répertoires régionaux


complémentaires, et des « cartes cultuelles » dont j'ai souhaité
ci-dessus la mise en œuvre, le moment viendra d'étudier
exhaustivement le Héros Cavalier ; de mesurer l'expansion de-
son culte; de. dater les cheminements de son influence. Il
sera sans doute moins difficile d'arriver à préciser son rôle.
De mieux en mieux, on apercevra, selon moi, qu'il a été
une divinité thraco-phrygienne de premier plan, venue d'Ana-
tolie dans, les Balkans; semble-t-il, à une date relativement
assez haute.. Son prestige s'est développé surtout à l'époque
hellénistique et romaine, en vertu des syncrétismes favorisés
alors dans un monde redevenu plus cosmopolite, comme à la
fin de l'ère des . Préhellènes.

1) En ce sens, Dimitr. Kranžalov, Československá Akademie, 1954 : Madraský


jezdec, p. 203-260, pi. 1-13.
2) En 1951 (L' Antiqiité class., 20, 1951, I, p. 107 sqq. : Divinités équestres
celtiques ou défunts héroisés ; cf. p. 114), dans un article qui n'a pas rallié tous
les suffrages, M. P. Lambrechts m'a accusé — sans beaucoup de retenue —■ mais
non convaincu, d'avoir dénaturé les conceptions et conclusions de G. Kazarow,
lors du compte rendu que j'avais donné en 1940 (Rev. arch., 1940, I, p. 136-141)
pour les Denkm. des Tlt^a'dschen Reitergottes in Rulgarien, ,1938. Je ne demand
erais pas mieux que de confesser mon erreur, s'il y avait lieu. Mais lorsque
M. P. Lambrechts, qui s'est trompé plus d'une fois sur les Dioscures et d'autres,
et n'a pas toujours émerveillé les archéologues et les historiens des religions par
ses méthodes (cf. G. Dumézil, Naissance de Rome, p. 28 sqq.) m'incrimine, il
ne semble pas qu'il ait lui-même relu de près les textes du savant archéologue
de Sofia. N'écrit-il pas pir exemple : « M. Picard semble croire [RA, 1940, p. 136)
que M. G. K. est lui-même partisan de la conception allégorique du Cavalier
thrace ; mais rien n'est moins vrai, et le savant bulgare, au contraire, s'insurge
avec raison contre ceux qui considèrent le Cavalier comme un défunt héroîsé ».
— On peut conseiller aussi à M. P. Lambrechts de relire, p. ex., dans la Wissen-
schaftliche Zeitschrift, l. /., les nouvelles appréciations nuancées qui ont été pré
sentées à propos du Cavïlier thrace : P. 135 : « Insbesondere verehrte man ihn als
Jagdgott und Seelenfânçer, der die Seelen der Verstorbenen in die Unterwelt abffihrt,
wo sie als Reiter ein gluckliches und unsterbliches Leben mit ihrem Gott fuhren ».
L'union du Héros et du défunt héroïsé n'est-elle donc pas marquée là ?
18 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

Tandis que le Héros Cavalier s'est manifesté en Asie


Mineure, bien avant le temps même d'Alexandre1, et qu'il s'y
est maintenu ensuite sous des formes plus ou moins barbares2,
il apparaît que le Heron connu en Egypte n'est arrivé aux
bords du Nil qu'après l'installation des Lagides. Les ancêtres
de ceux-ci avaient dû le connaître en Macédoine, et ils l'ont
importé comme d'autres divinités ou héros de leur panthéon
national,1 Dionysos et Héraclès, par exemple. Dans sa récente
étude sur V Héroïsalion équestre3, M. F. Benoît a justement
abandonné toute possibilité de rattachement du génie Héron
à Horus. En fait, le Héros Cavalier n'apparaît pas en Egypte
avant le 11e siècle av. J.-C. ; on le rencontre d'ailleurs surtout,
comme l'avait bien montré M. G. Lefebvre, dans l'icono
graphie du Delta ou celle du Fayoum.
C'est naturellement à travers les Balkans, et du Danube à
l'Archipel thrace4, que le Héros Cavalier a rencontré la chance,
et sa meilleure fortune. Son prestige n'est pas moindre en
Yougoslavie qu'en Bulgarie ; on le retrouve plus au Sud, sur la
côte méridionale de la Macédoine, voire dans les îles de l'Archi
pel thrace; notamment à Thasos, où son culte s'est uni à
celui de Dionysos (le Dyalos des Balkans). Dionysos est
devenu parfois dieu équestre à Thasos comme en Macé-

1) Ci-dessus, p. 5.
2) Cf., p. ex., ci-dessus, p. 5, pour l'en-tête de décret de Mosyna (Phrygie) ;
d'autre part, sur la série barbare, assez informe, des Kakasbos, cavaliers à la
massue en Anatolie : L. Robert, Hellenica, III, 1946, p. 37-73; H. Metzgeb, .
Calai, des monum. votifs du Musée ďAdalia, 1952. Cette imagerie se retrouve,
sur des monnaies lyciennes, où le -serpent de l'arbre était parfois, . notons-le,
piétiné par le cheval du personnage invoqué.
3) Cf. en dernier lieu : F. Benoît, L'héroïsation équestre, 1954, p. 49 sqq. ;
cf. aussi déjà Marcel Launey, Recherches sur les armées hellénistiques, 1949-
1950. Sur une stèle de Théadelphie, datée de 67 av. J.-C, le serpent figure der
rière le Héros Cavalier, qui lui présente la phiale en se retournant. L'iconographie
est changée sur certains tableaux de bois du Fayoum ; on voit là à l'occasion le
Cavalier accompagné d'un esclave nègre, et faisant l'offrande à l'aide d'une
phiale sur un autel bas ; il est aussi escorté là d'un autre dieu, brandissant la
bipenne et tenant une • lance la . pointe en bas. Curieuses sont les tablettes
de Sais/ terres cuites où le protagoniste est un Cavalier au galop dont la mon-
sture foule aux pieds un personnage accroupi, qui, de ses épaules, soutient les •
abots du cheval du Héros (cf. le Cavalier occidental piétinant l'Anguipède).'
4) Quelques exceptions se situent plus au Sud : cf. par exemple, W. Lameere,
BCH, 63, 1939, p. 256-274 : stèle de Phères, au Musée de Volo ; les sarcophages
conservés à l'Odéon romain de Patras.
SUR DIVERSES REPRÉSENTATIONS DU HÉROS CAVALIER 19

doine, ainsi que le révèlent d'importants documents figurés1.


En 1933, M. Rastislav Maric, dans un important essai
sur les cultes antiques en Yougoslavie — amorce des réper
toires dont on souhaite ici l'apparition — avait étudié, en
ce qui concerne le Héros Cavalier, une partie des. données
grecques et romaines dès alors connues, examinant au passage
les inscriptions et les monuments. Ses recherches révélaient
parmi les divinités thraces dont le culte est attesté en Youg
oslavie, Épona, à côté du Héros thrace, et ce dualisme eût
mérité d'être remarqué. Il eût évité certaines erreurs récem
ment commises à1 l'Occident2.
Le Héros Cavalier a eu aux Balkans une richesse d'appa
rentements qui se traduit à l'évidence par le nombre de ses
appellations et assimilations. Déjà, le Répertoire G. I. Kaza-
row en témoignait éloquemment à sa date ; ailleurs l'abon
dance des epicléseis n'a pas été moindre ; elle ne sera pas non
plus moins instructive, dans l'ensemble, quand nous aurons
obtenu des dépouillements plus complets.
Il faut noter en outre que la Thrace, la Macédoine n'ont
pas consacré seulement au Héros Cavalier des ex-voto de
moyenne et petite taille, comme ceux qui sont usuels à Phi-
lippes, à Amphipolis, et ailleurs, sur les côtes de Macédoine,
et en Thrace : documents dont le nombre s'accroît chaque
année: On connaît déjà, pour les Balkans, certaines représen
tationsen ronde-bosse du Héros Cavalier, pierre et bronze.
Le Répertoire de M: G. I. Kazarow en avait signalé ; et déjà
G. Seure, lui aussi, en avait fait connaître3. En général, ces
rondes-bosses restent d'assez petite taille, mais quelques fra
gments '- sembleraient s'être rapportés à des effigies plus
grandes4. Le Héros Cavalier, barbu ou imberbe, aux traits

p< 2,198
p. 1) n.Cf.
sqq.,
4. les avec
étudeslesde réserves
H. S eyrig,-
de M:Quatre
G. Michailov,
cultes, Bull,
REG,
corresp.
62, .1951
hellén.,b\,
; ci-dessus,
1927,

2) En dernier lieu, sur les déesses cavalières préhelléniques, Ch. Picard,


Rev. arch., 1956, I, 1, p. 91-92; et la controverse F. Benoît-P. Lambrechts.
3) Rev. arch., 1913, I, p. 48 : bronze de 0 m. 08-0 m. 06.
4) Pour la trouvaille de Diinikli, sur la voie Philippopolis-Hadrianopolis
(Bulgarie), cf. Sbornik, XIII, p. 426.
20 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

individuels, se présentait, selon cette imagerie, soit de profil,


soit le buste tourné de face. Sa chlamyde flottait au vent,
comme sur les ex-voto en relief des sanctuaires rustiques. La
main droite levée pouvait brandir l'épieu ou faire le geste
dit de la benedidio latina.
Les plaquettes danubiennes, on le sait, montrent à l'occa
sionl'image d'un Héros Cavalier qui porte la double hache,
comme le Kakasbos anatolien, et foule aux pieds un advers
aireétendu à terre1. Cette présentation est en principe doub
lée, et cela a pu entraîner à certaines interprétations, qui
paraissent encore peut-être téméraires. F. Chapouthier avait
intitulé, en 1935, un chapitre de sa thèse, Les Dioscures au
service d'une déesse, « les Dioscures Cavaliers thraces », sug
gérant ainsi une assimilation dont on a vu ci-dessus le dan
ger (p. 6 sqq.). Je crois, jusqu'à preuve du contraire, avec
M. P. Devambez, qu'il faut maintenir la distinction, strictement.
Pour les plaques dites aujourd'hui danubiennes — plaques
que Mich. Rostovtzefî appelait «thraco-mithriaques», comme il
le fit un jour à l'Académie des Inscriptions — on a mainte
nant,grâce. à. D. Tudor, un. Corpus, qui a permis déjà de
faire des observations importantes sur cent trente documents2.
Les plaquettes sont souvent en, plomb ; elles ont dû avoir une
valeur de phylactères; d'amulettes magiques. Leur nombre se -
complète depuis 1937 (REA, 41,-1939, p. 65, et M. Abramič,
Séria Hoffilleriana, 1940, p. 297-307). L'une d'elles avait- été
invoquée par F. Chapouthier, dans sa thèse, p. 287, fig. 56.
Elle a été rappelée très récemment par M. H. Seyrig, à propos
d'un document de Smyrně entré au Louvre3. Je ne crois pas
pour ma part, qu'il y ait eu des Dioscures sur les plaques danu
biennes ; les Cavaliers à la hache double (bipenne) — F. Cha
pouthier hésitait : bipenne ou « maillet » ? (l. L) — sont des
Cavaliers «danubiens », cousins du:« Cavalier thrace ». et il

1) Cf. D. Tudor, Ephemeris daco-romana, VII, 1937; F. Chapouthier, Les


Dioscures, 1937,' L L ; REA, 1939, p. 65-68; E. Will, l. /., p. 312 sqq.
2) Cf. par exemple, F. Cumont, Rev. arch., 1938, II, p. 67-70.

3) Rev. des Arts, 6, 1956, p. 35-36. ,


SUR DIVERSES REPRÉSENTATIONS DU HÉROS CAVALIER 21

reste douteux, malgré le seul cas invoqué par F. Ghapouthier


et M. H. Seyrig, que les Dioscures aient jamais porté la
bipenne. Aussi j'interpréterais comme des Héros Cavaliers à
la bipenne les deux personnages qui décorent l'étrange hache
double passée de Smyrně au Louvre (H. Seyrig, /. /.). La
Dacie avait, selon D. Tudor, un Cavalier à la double-hache ;
j'ai moi-même signalé une Cybèle accostée du symbole de la
double hache, près de Nisch(CiL4/, 1954, p. 93 sqq., fig. 7-8), et
la Magna Mater entretenait des affinités avec le Héros Cavalier
(statuette de Brindisi : F. Chapouthier, Les Dioscures, p. 247,
fig. 38 : le décor du socle n'a pas été jusqu'ici signalé1). La
bipenne n'est pas spéciale à l'Anatolie : Lycurgue, roi des
Édones, en était armé (bouplex) : ce qu'on savait déjà au
temps d'Homère. Je crains d'ailleurs qu'il n'y ait lieu de s'i
nterroger sur l'authenticité de la bipenne « votive » (inutili
sablepratiquement, M. H. Seyrig en convient) qui vient
d'entrer au Louvre, et n'est décorée que d'un seul côté
(côté vitrine ?). L'abondance des rameaux qu'on y voit est
insolite. Quant aux Cavaliers, ils seraient simplement des
Héros Cavaliers. Il y a, sur des stèles des Balkans (ci-des
sus, p. 6 sqq.) des exemples de Cavaliers affrontés sur la stèle
d'un seul mort.
Il est" urgent et nécessaire de classer partout les séries,
géographiquement si possible, pour faire apparaître les re
ssemblances et les diversités d'un type de Héros qui est
loin d'avoir été seulement « thrace », ou « danubien »,
mais révèle au contraire maints aspects, multiples, interchan
geables, ayant uni, du Nord au Sud de la Méditerranée,
et de l'Est à l'Ouest, surtout, le réalisme à la présentation
allégorique. On s'apercevra de plus en plus qu'il a été plus
ou moins commun à diverses religions des pourtours de la
Méditerranée : ici et là, son culte avait acquis une portée
eschatologique2.

1) Vu au Musée de Brindisi (août 1956).


2) Malgré P. Lambrechts, VAntiq. classique, 20, 1951, p. 116, n° 2 : Divi
nités équestres, ou défunts héroïsés?
22 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

Le culte en question s'est probablement enraciné, suc


cessivement, en des régions diverses ; mais il n'est pas nécess
aire, à mon sens, de lui supposer des origines séparées. Ceux
qui ont, par exemple, soutenu récemment l'hypothèse d'une
création celtique indépendante, en faveur d'un Héros Cavalier
occidental oublient un peu trop que certains clans migrateurs
des Celtes étaient venus jadis occuper divers points de l'Europe
centrale et orientale, aux Balkans, et qu'ils avaient installé,
par exemple, un habitat à Singidunum, non loin du confluent
de la Morava et du Danube. Celtes et Balkaniques ont mêlé
à l'occasion leurs races, leur folklore et leurs dieux. Cela peut
expliquer que, sur les plaquettes danubiennes, par exemple, le
Cavalier foule aussi, à l'occasion, un adversaire humain
étendu à ses pieds, et qu'on trouve encore d'indirectes ressem
blances, aux Balkans, avec les groupes célèbres de Karlsruhe,
Cologne, Neschers en Auvergne, etc.1 ; avec les diverses repré
sentations où un Jupiter, un Jupiter Taranis, etc., brandissent
le foudre triomphal, en semblant faire piétiner victorieus
ement par leur monture l'anguipède devenu hippophore. Là
encore des répertoires et des dénombrements plus complets
restreindraient les possibilités d'erreurs.
Sous des formes différentes, et parfois très diverses, on r
etrouve en général, peut-on croire, le même thème de combat
salutaire contre un monstrueux adversaire, sorte de maudit.
Celui-ci a pu être tantôt animal, tantôt de forme humaine :
soit qu'il s'agisse — des Balkans à Г Anatolie — , du sanglier, porc
sauvage impur, voire du serpent même, «encadrant» certaines
plaques danubiennes par doublement, enroulé à l'arbre sacré
sur les reliefs balkaniques; on penserait aussi à YAnguipède
occidental. Partout, l'assaut du Héros Cavalier, soit armé,
soit en acte d'exorcisme, vise à faire revivre le mythe co
smique des forces supra-humaines, ouraniennes ou autres,
engagées éternellement contre le maléfice des puissances sou
terraines, chthoniennes. La victoire du Héros — parfois assi-

1) J. Moreau, Colonnes du dieu cavalier au géant anguipède dans le territoire


de la Sarre, La Nouvelle Clio, 4, 1952, n°s 5-8, p. 219-245.
SUR DIVERSES REPRÉSENTATIONS DU HÉROS CAVALIER 23

milé signifîcativement, aux Balkans, par exemple, soit à


Apollon, soit à Asclépios1 — est une conquête sur la mort,
une promesse d'au-delà pour les fidèles du génie triomphateur.
Chasse au sanglier, chasse à l'homme, sont, ici et là, des
motifs de type édifiant, ou si l'on veut mythologique, sans
rapport autre que mystique avec la vie du Héros sous toutes
ses formes ; il y a là seulement les vieilles apparences gardées de
la chasse, de la bataille terrestre. Le détail des figurations, vu
de près, révèle un irréalisme foncier : de la chasse au lièvre
sur les cimaises archaïques thasiennes — « chasse » où les pour
suivants d'un inofîensif gibier sont armés de la lance, de
petites peltae d'osier !. — à la poursuite fantastique du sanglier,
qui ne peut manquer d'évoquer mutatis mutandis l'épisode, si
chargé de mystère, de la battue fédérale engagée jusqu'en
Arcadie contre le sanglier monstrueux de Calydon.
Pour l'aspect même du Héros Cavalier, bien d'autres
détails sont significatifs. En certains cas, n'a-t-il pas été tricé-
phale ? Effet inattendu, et combien conventionnel, d'une multi
plication de puissance. Ailleurs, il est devenu invisible,
quoique présent2.
L'apparentement du Héros Cavalier avec Dionysos, dans
l'Archipel thrace, en Macédoine, est lui-même révélateur,
d'autre façon3. A l'occasion, le génie équestre du Pangée
galope éperdument dans les vignes bachiques, comme sur la
célèbre stèle de Melnik4. Il est escorté là de la panthère dio
nysiaque, dissimulée à demi parmi les frondaisons magiques
des pampres ; un Pan ithyphallique l'accompagne parfois, qui
lui sert de piqueur, et dont il tient la barbe en pointe, tandis
qu'il élève la main vers les grappes magiques.
On retiendra, d'autre part que, sur une autre grande frise
en marbre de Costantza, l'ancienne Tomi, en Mésie Inférieure,
1) M. R. Maric, par exemple, a vu surtout dans le Héros Cavalier un « Heil-
gott » : Rev. intern, des Éludes balkaniques, II, 1938, 6 : Der Thrakische Relier :
eine Heilgotlheil.
2) Relief de Karien : P. Collart, ci-dessous, n. 3.
3) P. Collart, Philippes, ville de Macédoine, 1937, p. 423 sqq.
4) P. Perdrizet, Rev. arch., 1904, I, p. 19 et pi. I ; cf. Cultes et mythes du
Pangée.
24 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

vers la côte Ouest du Pont-Euxin, un document a révélé la


grande figuration d'un Héros Cavalier enfant, et ailé, bran
dissant un épieu : proche de Dionysos-Païs, ainsi, mais
aussi de Thanatos, le génie de la mort1 ! Le symbolisme
dionysiaque prend parfois une apparence plus concrète. Sur
une - stèle de Thasos2, deux défunts aux traits individuels,
Auphonios et Auphonia, furent assimilés à Dionysos-Héros
Cavalier et à une Persephone, celle-ci tenant le rameau de
lierre. Le Héros Cavalier - lève la main droite, ouverte à
l'exception des deux derniers doigts repliés. C'est le geste dit
de la benediclio latina, connu aussi dans le culte phrygien de
Sabazios, et dont on a eu tort, peut-être,* de contester, récem
ment encore3, l'identification : il se retrouve de la Bulgarie à
la Macédoine, et par exemple, sur la stèle 158 du Louvre4.
G. Kazarow avait pensé, on l'a rappelé — de façon trop étroit
ementréaliste — à un geste esquissé pour le lancement de l'épieu5;
mais il semble qu'on doive garder soigneusement, voire contre
H. P. L'Orange encore, l'exégèse religieuse du geste : exor
cisme, défense prophylactique, bénédiction.
Le rapport du « Heilgott » cavalier avec les dieux d'outre-
tombe explique au mieux la valeur de son culte, culte de
salut. On n'en est plus à compter les documents de ce que
M. F. Benoît a appelé YHéroïsation équestre, avec les attesta
tionsd'une caution procurée aux morts, à leur famille6. Une
stèle des environs de Varna, ci-dessus mentionnée7, révèie la
croyance profonde des dédicants. Elle était consacrée par un
Thrace, Dinis, à son fils mort enfant : iyévero, dit le texte,

1) G. Gantacuzène, Mél. Glotz, I, 1932, p. 103-115 (fïg. à la p. 104). Le


Cavalier attaque là toute une ménagerie d'animaux sauvages. On remarquera la
répétition du motif de l'arbre, à plusieurs reprises, au long de la composition
d'ensemble.
2) H. Seyrig, BCH, 51, 1927, p. 202 sqq.
3) Ci-dessus, p. 12, n. 4.
4) Ci-dessus, p. 6 sqq.
5) G. Seure, Rev. arch., 1913, I, p. 49, п. 2 ; cf. G. Michaïlov, REG, 64,
1951, p. 113-114, n° 14.
6) Kazarow, /. /., n. 283 : le défunt héroïsé est accompagné de sa femme et
de ses deux enfants.
7) H. Seyrig, RHR, 97, 1928, p. 275 ; G. Michaïlov, RE G, 64, 1951, p. 114-
118; L. Robert, REG, 65, 1952, p. 160, n» 97.
SUR DIVERSES REPRÉSENTATIONS DU HÉROS CAVALIER "25

TcoXuXaXocToç ^poç áOávaroc ; on rappellerait aussi la stèle


d'Ulmetum (11e siècle apr. J.-C), où le Cavalier paraît encadré
dans un tondo, et avec une petite meute de chiens : « Attas
Possei, dit le texte, a élevé cette stèle à son fils Justus, héros,
qui a vécu vingt ans1 ». Sur la stèle médite de P. iElius
P. fil. Posidonianus, qui m'a été communiquée par Mme Todo-
rovic-Vučkovič2, le Héros Cavalier commémore le souvenir
émouvant d'un enfant âgé de neuf ans, huit mois, huit jours.
Il ne faut pas vouloir fermer les yeux, d'autre part, sur le
fait que les compagnons symboliques — soit animaux, soit
végétaux — de la Chasse du Héros Cavalier, se comportent
souvent comme s'ils appartenaient à un monde de convention,
plein de sous-entendus sacrés. Ce n'est pas seulement le Héros
qui s'abreuve aux sources dionysiaques des vignobles merveil
leux.Ses familiers ont l'air de participer eux-mêmes aux
nourritures mystiques des banquets d'outre-tombe : ce que
montre, par exemple, la libation présentée au serpent. Les
animaux adversaires du Cavalier, dans la Chasse fantastique,
évoquent leurs gîtes : les cavernes infernales ; le monstre
dévastateur pourrait être ou Cerbère, ou la Chimère3, ou le
Sanglier calydonien : grotte et creux de l'arbre sacré lui sont
un écran et un-refuge protecteur.
Quant à l'arbre, j'ai indiqué ci-dessus son rôle essentiel :
il n'est pas seulement le support du serpent, le refuge du
sanglier ; il a sa valeur personnelle, dirait-on : arbre de vie,
arbre sacré, qui évoque les légendes des Hespérides, de la
Toison d'or ; et le pin d'Attis, et la fontaine éternelle. Sur une
plaque de bronze d'Ampurias, dédiée au culte de Sabbazios,
la scène cultuelle s'encadre entre deux grands arbres, dont l'un
culmine avec la forme divine (buste) de Dionysos Dendritis,

1) V. Parvan, Getatea Ulmetum, Annales Acad. roumaine, II, 34, p. 530-


533.
2) Ci-dessus, p. 2, n. 5.
3) Plutarque, De Mulier. virtute, rapporte une tradition où Bellérophon
combattait le sanglier ravageur. Cerbère tiré des Enfers n'appira t souvent,
à Olympie (métopes du temple de Zeus, et ailleurs Pseudo-Theseion), qu'à
mi-corps.
26 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

tandis que l'autre, où un serpent s'enroule, est menacé à sa


base par la hache d'un sacrificateur1.
On ne craindra donc pas d'insister sur le danger des inter
prétations systématiquement et exclusivement réalistes, qui
trouvent encore assez souvent des défenseurs mal avisés2.
Ce n'est pas une raison parce qu'on a beaucoup abusé, en
certains temps, des explications symbolistes qu'il faut les
minimiser désormais, ou les proscrire en règle. La vieille et
brillante communauté européenne à laquelle nous appartenons
tous encore, de l'Orient à l'Occident méditerranéen, a été
créatrice et adoratrice de dieux et de symboles divins qui
n'auraient pas subjugué toutes les races : même sous ses formes
populaires, la croyance des Méditerranéens a gardé, en ses
divers domaines, plus d'une trace d'unité.
Ch. Picard.

1) Cf. A. Bruhl, Rev. arch., 1932, II, p. 35 sqq. [Arch. Anz., D, 1912, p. 4561
flg. 50). On remarquera les grottes, sous le pied des deux arbres, animées de pré
sences divines. Plaque sabbaziaste de Copenhague, E. Will, Relief cultuel, p. 300,
pi. 3.
2) P. Lambrechts, Contribution à l'étude des divinités celtiques, 1947 (Uni
versité de Gand, Publ. Fac. des Lettres, fasc. 93, 1942). Le Sanglier de Calydon
débouche de YHadesmundung . Sur un sarcophage du Musée de Syracuse, on le
voit foncer, énorme, hors de la caverne infernale (cf. aussi un sarcophage, à l'Odéon
romain de Patras). D'autre part, sur un relief thrace (G. Kazarow, Recueil, n° 414,
flg. 231), l'animal n'est plus figuré, symboliquement, que par une tête coupée,
indication du caractère allégorique de la Chasse « infernale ». Inutile de rappeler
ici les études de L. Malten, de H. Jeanmaire, sur le caractère funéraire du Cheval,
porteur des défunts pour le dernier voyage, familier des stèles funéraires : le fait
que sur les stèles balkaniques (et à Thasos), il pose à l'occasion le pied sur un
petit autel, sur un tertre, est significatif (cf. déjà les lionnes de la Porte de Mycènes,
les bouquetins de la pyxis d'ivoire de Ras-Shamra-Ougarit).

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