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Supplément à la Revue

archéologique du centre de la
France

La pierre de Paris. Méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son


extraction jusqu'à sa mise en œuvre
Paul Benoît, Annie Blanc, Jean-Pierre Gély, Ania Skliar Guini, Daniel Obert, Marc Viré

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Benoît Paul, Blanc Annie, Gély Jean-Pierre, Guini Ania Skliar, Obert Daniel, Viré Marc. La pierre de Paris. Méthode d'étude de
la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre. In: La pierre dans la ville antique et médiévale. Actes du
colloque d’Argentomagus Tours : Fédération pour l'édition de la Revue archéologique du Centre de la France, 2000. pp. 121-
158. (Supplément à la Revue archéologique du centre de la France, 18);

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LA PIERRE DE PARIS.
MÉTHODE D'ÉTUDE DE LA PIERRE À BÂTIR
DEPUIS SON EXTRACTION JUSQU'À SA MISE EN ŒUVRE

Paul BENOIT, Annie BLANC, Jean-Pierre GÉLY


Ania GUINI-SKLIAR, Daniel OBERT et Marc VIRÉ

INTRODUCTION lève le plan des vides d'exploitation et entretient


ainsi une documentation de base exceptionnelle.
Depuis 1979, des chercheurs venus d'horizons Paradoxalement, ces carrières étaient fort bien
divers se sont réunis autour d'un thème commun : connues tant pour leur plan que pour la disposition
histoire et géologie de l'extraction des matériaux et des ouvrages de consolidation, mais leur histoire en
de leur usage (Fig. 1). Aux cinq chercheurs était à peine entrevue. L. Héricart de Thury (1815)
fondateurs, Claude et Jacqueline Lorenz, Annie Blanc, puis E. Gérards (1908) en avaient tracé des ébauches.
Daniel Obert et Marc Viré, d'autres sont venus se À l'heure de l'étude scientifique des cultures
joindre au fil des années. matérielles, il convenait d'analyser cet ensemble
Ce thème de recherche novateur a eu pour origine complexe en faisant appel à des disciplines peu
l'existence d'un magnifique ensemble de carrières habituées à travailler de concert. Il nous était évident
s'étendant sous Paris et sa banlieue. Ce domaine qu'un immense domaine d'investigation attendait
souterrain est remarquablement connu grâce au encore de livrer ses informations.
travail d'un service compétent, l'Inspection Générale Ainsi le géologue lève des coupes, prélève des
des Carrières (I.G.C.) qui, depuis 1777, consolide et échantillons et observe des fracturations, il compare

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Fig. 1 : Carte de localisation des carrières de pierre à


bâtir du Lutétien étudiées par l'équipe de recherche.
122 La pierre dans la ville antique et médiévale

aussi les matériaux des carrières avec ceux des documenté, connu, afin que, par éliminations
édifices de la ville ; l'archéologue relève les traces successives, l'on puisse cerner l'inconnu.
d'exploitation et, comme le géologue, recherche et Il est évident que bien des points restent en
compare les natures de pierre des édifices ; suspens. Ainsi telle superbe exploitation peut rester
l'historien découvre et analyse des textes, relie les faits dans le brouillard d'une datation incertaine, n'ayant
établis avec l'histoire de la ville, de ses institutions et pas eu encore l'occasion d'être confrontée à un texte
de ses habitants. ou à un ensemble de faits historiques la replaçant
En croisant toutes ces informations, nous dans une histoire. À l'opposé, tel texte magnifique
retraçons petit à petit un contour à ces cavités. Nous les peut rester dans l'incertitude d'une localisation
individualisons, les caractérisons, leur donnons enfin patente et être condamné à rester sans son
une identité qui leur font perdre leur image de indispensable apport de terrain. Et pour compliquer les
mystérieux vides dangereux et leur font retrouver choses, tel ensemble monumental antique bien
leur place dans la vie de la cité. Avant de devenir un défini n'a pas eu le bonheur de connaître son lieu de
espace de rejet, une carrière a d'abord été un lieu de production exactement localisé. Qu'importe !
création, un lieu ou la main de l'homme a façonné L'ensemble des constatations définit une trame de
son désir constructif. faits, et c'est cette trame qui est importante.
M. V. Au-delà de la simple étude des carrières, nous
approchons des ensembles plus vastes. Ainsi le
géologue n'étudie pas seulement le matériau exploité
LA PROBLÉMATIQUE mais une formation géologique complète, dans
laquelle l'exploitation n'est qu'un accident anthro-
L'exploitation des carrières de Paris est marquée pique. De même, l'historien n'étudie pas une cavité
par une évolution continue depuis l'Antiquité en tant que telle, mais un élément de l'histoire
jusqu'à la Révolution. Cette exploitation a été conduite humaine, technique et économique d'une
suivant les contraintes de la géographie et la logique communauté d'habitants : les carrières constituent un aspect
de la géologie, et suivant les besoins de la machine de la mise en valeur des terroirs péri-urbains au
urbaine au cours de son développement. même titre que les pratiques agricoles, la gestion de
La multiplicité des sources d'information oblige à l'eau ou le tracé des chemins. Mais encore, au-delà
deux approches différentes. Bien loin des querelles de cette redécouverte de l'organisation des terroirs,
d'école nous constatons sans arrêt que cette étude c'est l'ingéniosité humaine que nous redécouvrons,
constitue un éternel va-et-vient de la carrière au le désir de créer, de soigner l'esthétique, de tendre au
monument et du monument à la carrière. Mais cette parfait et au beau. Pourquoi à tel moment, tel type de
querelle est elle-même dépassée. La tentation de pierre est-il mis dans tel monument ? La réponse à
l'identification exacte de la provenance de tel bloc est cette interrogation est parfois fournie par des
un objectif très lointain, une sorte de prime, de mémoires écrits, presque toujours des XVIIe ou
récompense au travail inlassable des chercheurs. Avant XVIIIe siècles, mais là nous approchons l'intime de la
d'en arriver à cette consécration, il est tout un travail pensée humaine en terme de technique, de savoir-
fait d'accumulation de données et d'observations. faire et d'occurrence. Nous voyons comment
Ainsi l'ensemble des carrières doit-il être d'abord l'homme réagit dans son milieu au gré des
étudié pour lui-même. Cet aspect du travail consiste circonstances, et comment il le commente.
en l'étude générale du matériau, quel que soit le lieu. M. V.
De même, l'organisation des exploitations doit aussi
être détaillée, il faut définir les types d'abattage, de
plans, inventorier, localiser ces artefacts. DES TEXTES ET DE LA PIERRE
À l'autre extrémité de la pelote de l'écheveau, il OU LA REMONTÉE DANS LE TEMPS
faut tirer le fil des témoignages écrits. C'est un (ÉPOQUES MODERNE ET CONTEMPORAINE)
patient inventaire de tous les documents graphiques
où apparaissent, ou n'apparaissent pas, des Pour remonter à l'Antiquité et au Moyen-Âge,
indications relatives à l'exploitation du sous-sol. À ce titre l'étude de l'époque Moderne (XVIe-XVII? siècles)
l'étude des plans anciens de Paris, par exemple, a est indispensable car elle permet, paradoxalement,
permis de remonter le temps, de procéder d'une de remonter le temps et de reconstituer l'histoire
manière régressive : partir de ce qui est récent, bien de la pierre à bâtir à l'envers. Elle est également
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre 123

indispensable pour mieux appréhender la vision l'espérons, de faire la jonction avec la période
technique et esthétique que les architectes, les Moderne. Le deuxième exemple est celui de la
entrepreneurs, les maçons, les tailleurs de pierre et les famille Sibire, carriers de père en fils (y compris les
carriers avaient des matériaux de construction et plus branches latérales), également sur quatre générations
particulièrement de la pierre à bâtir. L'histoire de durant la même période (Fig. 3).
l'art monumental parisien ne peut donc que
s'enrichir de cette approche originale (guini-skliar, L'étude de ces deux familles est particulièrement
1998a). intéressante dans la mesure où elle révèle, de
Dans le cadre d'un travail de recherches surcroît, des associations professionnelles et des
pluridisciplinaires, pour l'historien des carrières parisiennes, la transactions foncières. En 1687, André Sibire
méthode employée est la suivante : tout d'abord s'associe à Arnoult Roze II pour l'exploitation de
découverte des documents — textes et plans —, puis plusieurs carrières qui appartiennent à ce dernier :
confrontation de ces documents avec les - 2 arpents de terres labourables en une pièce au
observations archéologiques et géologiques effectuées sur le terroir de Notre-Dame-des-Champs près de
terrain. l'Observatoire vendus par Gaspard Mathurin marchand
libraire le 5 octobre 1683 à Roze. Les deux tiers
Découverte des documents appartiennent à Roze et un tiers à Sibire. "La roue,
les chables et les outils servant à icelle " sont la
Les différents fonds d'archives (Archives propriété de Roze ;
nationales : Minutier central des notaires et Capitainerie - ces deux carriers s'associent également dans
des chasses de la Varenne du Louvre — série Zlq — , l'exploitation d'une carrière au lieu-dit la Fosse aux
Archives départementales, Archives de l'Assistance Lions. Là, les frais et les bénéfices sont partagés,
publique : fonds de l'Hôtel-Dieu, Bibliothèque mais les " chables et les outils " nécessaires
nationale) mettent à notre disposition une multitude de appartiennent à Sibire.
documents, plans et textes, qui nous renseignent sur
l'histoire, les techniques et les hommes. Ces archives Dans ces deux cas, il est fait mention de l'outillage
sont très riches, surtout à l'époque Moderne (XVIIe qui n'appartient qu'à un seul des deux associés. Mais
et XVIIIe siècles). Elles sont encore très peu d'une manière générale, les dépenses et les recettes
exploitées : comptes de construction, actes notariés, sont pour moitié partagées, sauf cas contraires
correspondances et mémoires d'architectes et de mentionnés dans le contrat. Le cadre de l'association
techniciens de la pierre. Toute l'histoire de la pierre peut est précisément défini dès le départ, ceci afin d'éviter
ainsi être retrouvée à travers les fonds d'archives les conflits :
existants : archives notariales, archives judiciaires et - 2 arpents de terre " en une plus grande pièce seize
administratives, archives hospitalières. derrière le clos des pères Chartreux ". L'acte passé
Les archives notariales permettent la devant notaire le 2 avril 1687 indique : "pour faire la
reconstitution de lignées de carriers et la découverte de la fouille de la masse de pierre [...] pour le temps et de la
nature exacte de leur patrimoine foncier ainsi que manière qui est porté au contrat de vente qui lui a été
l'aspect social et technique de ce métier (guini- fait le 22 mars dernier. [...] Ledit sieur Sibire s'oblige
SKLIAR, 1997; 1998a). Plusieurs familles ressuscitent, envers ledit Sr Roze de donner ses peines et soins pour
citons deux exemples : la famille Roze et la famille ce qui concerne l'exécution de ladite entreprise autant
Sibire. Le personnage le plus connu de la famille que ses affaires et santé le pourront permettre ". Ils
Roze est Arnoult Roze III, décédé en 1702, qui partagent les frais : sommes à verser aux Pères
remplit des fonctions officielles importantes pour Chartreux, "journées d'ouvriers, ustansiles et
l'histoire des carrières, notamment celle de voyer de attirail " nécessaires à l'exploitation. Les bénéfices
la Capitainerie des chasses de la Varenne du Louvre. résultant de la vente des pierres sont également
Pendant quarante ans, il contrôle toute l'exploitation partagés, sans qu'aucune des deux parties ne puisse
des carrières sur le territoire de chasse parisien du revendiquer un revenu supplémentaire.
Roi de France. Les archives mettent au jour quatre
générations de carriers, les dates extrêmes étant 1636 Chaque association est un cas particulier, les
et 1750 (Fig. 2). Nous connaissons d'autres Roze, exploitants n'ayant pas toujours les mêmes
laboureurs au faubourg Saint-Marcel au Moyen-Âge. compétences (ici nous sommes en présence de deux carriers
Des recherches sont en cours et permettront, nous mais parfois il s'agit d'une association entre carriers
124 La pierre dans la ville antique et médiévale

Arnoull Roze I x Marguerite Dcsgronair


(15..-vcrs 1630)
Carrier et tailleur de pierre
I
I I
Elizabeth X Arnoult
(16..- 1660)
Roze H x Marguerite Mauroy
Jean Villcrand
tailleur de pierre Gardc-mcuble de la Grande Ecurie du Roi
(en 1636)
Tailleur de pierre, marchand-carrier
et maître-maçon
I
Jeanne x Nicolas Maupin I I
Arnoult Roze III x (1660) Marguerite Debarry Marguerite Marie x Benoit Charron
(16..-ler mai 1702 (164.-1693) x JeanGuilloré (16..-1664)
Marchand bourgeois de Paris xx François Scrdan
Commissaire général Marchand-carrier, Fille d'un huissier au Châtclct carrier dit "La Croisée"
des vivres Tailleur de pierre de Paris xx Adrien Jubline
dans les armées du roi Voyer de la Varenne du Louvre Marchand-charron
(famille de carriers)

Marguerite Roze x (1693) Louis de la Serre


(16..-vcrs 1755) (16..-décembre 1738)
Contrôleur au Bureau des entrées du vin
(porte Saint- Jacques)
Voycr de la Varcnnc du Louvre cl carrier
(son parrain est ?, fermier général, conseiller Secrétaire du Roi)
xx (1698) Antoinette Turgis
Famille de couvreurs de maison

Fig. 2 : Arbre généalogique de la famille Roze (paroisse Saint-Jacques-du-Haut-Pas).

André x ?
marchand-carrier
i 1
Madeleine André x Marie Faucon xx Barbe Travers Jacques
x Laurent Famillon + 1706 + 1686 cm 1686 + 1730 ?
carrier carrier carrier
André + ~1721oul728
carrier
1 Marie- Anne
Marguerite Jacques Elizabeth née -1677 André né -1681
née -1668 né -1670 x François Pochet x Saulnier x Elizabeth Delaunay
x Charles Gratibus carrier en 1694 (née -1674) cm 1703 cm 1706
cm 1691 x Françoise Chevalier en 1692 épicier carrier
Denis et Jacques
carriers

Marguerite Jacques Elizabeth Geneviève


religieuse carrier
xx Louise-Geneviève Potel (fille de Geneviève Darest et Gilles Potel, marchand-carrier)
en 1706;+ 1727
André Joseph Jacques
+ avant son père md-épicier
carrier
x Marie-Anne Dutrou
Fig. 3 : Arbre généalogique de la famille Sibire (paroisse Saint-Sulpice).
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre 125

et maçons) ni les mêmes moyens (titulaires d'un bail, de localiser les exploitations qui sont, pour la plupart,
propriétaires de l'outillage etc.). Ces collaborations déjà anciennes, mais reprises et restructurées, et
mettent en évidence une gestion commune de ainsi, suivre leur histoire pendant plusieurs
l'exploitation. Nous découvrons un aspect inconnu décennies en remontant le temps.
de la vie et du métier des carriers qui donne à penser Grâce au dépouillement des archives judiciaires et
que ce type d'association était courant. administratives, notamment celles des institutions
Par ailleurs, les actes notariés révèlent des ventes chargées du contrôle des carrières sous l'Ancien
de carrières entre ces deux familles. L'unique Régime comme par exemple la Capitainerie des
héritière des Roze est Marguerite, épouse de Louis de La chasses de la Varenne du Louvre, nous retrouvons là
Serre, contrôleur au Bureau des Entrées au Faubourg aussi les mêmes fratries, les Roze et les Sibire.
Saint- Jacques. Ce dernier devient voyer de la
Capitainerie des chasses de la Varenne du Louvre en 1702 à Une carrière d'André Sibire est mentionnée dans
la suite du décès de son beau-père, Arnoult Roze III. des procès-verbaux de 1700. Arnoult Roze, alors
Roze l'avait associé à l'exploitation des carrières, voyer de la Capitainerie comme il est indiqué plus
mais vraisemblablement, il n'a pas su conserver le haut, est chargé de la surveillance des carrières sur le
patrimoine familial. Il en résulte d'importantes territoire de chasse du Roi, afin d'en assurer la
ventes de terres en 1715 réalisées au profit de la sécurité. Il visite par trois fois la carrière de Sibire, en
famille Sibire. Par exemple : Roze achète à Martin dresse le plan puis établit des procès-verbaux pour un
Gastorge, voiturier par terre, le 20 mai 1678, 2 arpents effondrement survenu vers le chemin d'Orléans (AN
de terre labourable en une pièce au terroir de Notre- Zlq68a) (Fig. 4). Voici la teneur des rapports de
Dame-des-Champs au bord du chemin de Che- Roze :
vreuse. Ces deux arpents sont ensuite vendus à
Jacques Sibire le 4 janvier 1715 par Louis de La Serre. 10 mars 1700
Puis, Jacques Sibire la vend à Antoine Delaunay, "L'an mil sept cent le mercredy dixième jour de mars
voiturier par terre (membre d'une autre famille de pour satisfaire à la sentence rendue par Monsieur le
carriers) le 27 décembre 1721. Jacques Sibire vend Bailli et Capitaine de la Varenne du Chasteau du
également le 4 mars 1726 à Louis Montbarquiez, Louvre, le cinquiesme février dernier, contre André
hôtelier, une autre terre au terroir de Sibire, marchand carrier, pour raison de plusieurs
Sainte-Geneviève, lieu-dit les Périchaux, qu'il avait acquise de descharges et ouvertures de terres arrivés dans le
Louis de La Serre le 4 janvier 1715. Chemin de la Croix du Gord qui conduit du Grand
Des ventes de fouilles existent aussi entre les Chemin d'Orléans, de Chevreuse et autres lieux venant
membres d'une même famille ce qui est le cas chez aufauxbourgSt Germain ; Et suivant le rapport fait par
les Sibire, presque tous carriers. Boudin garde de laditte Varenne du Louvre pour raison
Les trouvailles ne se font pas toutes dans les desdittes descharges et ouvertures de terres, J'ay Arnoul
dépôts d'archives. Parfois les visites des anciennes Roze, Voyer ordinaire de ladite Varenne du Chasteau
carrières livrent des informations écrites, comme les du Louvre me suis ledit jour transporté sur le trou de
graffitis de carriers qui confirment les informations carrière apartenant audit Sibire qui est esloigné d'une
apportées par les documents d'archives. En effet, droite ligne dudit Chemin de vingt six toises ou environ,
sous l'intersection de la rue Remy Dumoncel et de ou estant et en présence dudit Sibire et du sieur Potrie
l'avenue du Général Leclerc, se lit sur un front de marchand carrier et un frère de l'Institution de l'Enfant
taille la signature d'un André Sibire avec une date, Jésus envoyé de la part des Révérends Pères dudit
1721 (1721 est une année importante dans l'histoire couvent pour estre présent à ma descente, et en leurs
de la famille Sibire car, comme il est indiqué plus présence, j'aurois pris le plan de la superficie du dessus
haut, plusieurs transactions foncières — ventes, de la terre que fouille ledit Sibire apartenant à l'Hostel
achats et baux de carrières — sont réalisés par Dieu et dont la fouille de laditte terre a esté vendue par
plusieurs de ses membres). ledit Hostel Dieu audit Sibire ;
Là, avec le concours de l'archéologie, intervient Et après ledit plan fait, j'aurois descendu plomb et
l'importance d'une cartographie concernant des lignes au fond dudit trou pour tendre une ligne paralelle
zones sous-minées plus anciennes à Paris. En effet, la à celle de la superficie du dessus afin de morienter pour
plupart de ces exploitations peuvent être reportées faire le plan dudit trou de carrière avec lesdits sieur
sur les plans, les actes indiquant très souvent le nom Sibire, Potrie et le frère de l'Institution, J'aurois en leurs
des propriétaires des parcelles voisines. Il est possible présences tiré angle et triangle le long de la masse que
126 La pierre dans la ville antique et médiévale

Fig. 4 : Plan d'une carrière, exploitée


par André Sibire, effondrée sous le
chemin de la Croix du Gord, 1700,
coul., éch.? (AN Z1q 68a) (cliché
Jean-Louis DUBEAU).
A, trou de carrière à Mr André Sibire.
B, trou de carrière au Sr Sibire. C,
terre fouillée. D, masse à fouiller. E,
hague remply de terre. F, rue des
carrières. G, terre â l'Hostel-Dieu
dont la fouille a esté vendue à Mr
André Sibire. Cette partie est fouillée.
H, terre à l'Hostel-Dieu dont la fouille
a esté vendue â Mr André Sibire.
Cette partie n'est point fouillée. I, terre
à l'Hostel-Dieu qui a vendue la fouille
à Mr André Sibire. J, fouille faite sous
le chemin. K, fouille faite sous ledit
chemin. L, fossez nouvellement faits.
M, masse qui reste à fouiller sous le
chemin. N, masse qui reste à fouiller
sous ledit chemin. O, chemin de la
Croix du Gord venant du Grand
Chemin d'Orléans de Chevreuse au
faubourg St Germain. P, roches
bouleversées. Q, roches qui sont
bouleversées. R, cailloux. S, terre aux
Révérends Pères de l'Institution de
l'Enfant Jésus. T, terre auxdits
Révérends Pères. U, échelle de 20 toises.
V, cette partie est la grande rue de la
carrière et les lignes marquées
1-2-3-4-5-6-7-8 sont les angles et
triangles pris sous terrain dans la
carrière.

fouille ledit Sibire allant du costé dudit chemin et n'ay 23 mars 1700
pu aprocher dudit chemin qu'à trois toises et demy ou L'an mil sept cent le vingt troisiesme mars suivant la
les ouvriers dudit Sibire travaillent, attendu qu'ils ont sentence rendue par Monsieur le Bailli et Capitaine de
fait une hague qui empesche daller jusques dessous la Varenne du Chasteau du Louvre le vendredy
ledit chemin, douxiesme mars audit an, et suivant le procès-verbal de
Et ainsy, ilfaudroit desmolir la hague et d'autres sil la descente que j'aurois faite le mercredy dixiesme mars
y en a et rendre le chemin libre le long de la masse conformément à la sentence rendue le cinquiesme
jusqu'au bout d'icelle masse pour mieux connoistre février dernier, contre André Sibire marchand carrier,
d'où peut provenir les descharges et ouvertures de terres pour raison de plusieurs descharges et ouvertures de
arivés dans ledit chemin, suivant le rapport dudit terres arrivés dans le Chemin de la Croix du Gord qui
Boudin, ce que Monsieur je vous certifie véritable conduit du Grand Chemin d'Orléans, de Chevreuse et
demandant la jonction de Monsieur le Procureur du autres lieux venant au fauxbourg St Germain ; Et
Roy fais ce jour ainsy que dessus, A. Roze. suivant le rapport fait par Boudin garde de laditte
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre 127

Varenne du Louvre le quatriesme dudit mois de février la superficie du dessus, les descharges et ouvertures de
pour raison desdites descharges et ouvertures de terres, terres parroissent depuis l'encoigneure du fossé de la
et comme par mon précédent procès-verbal de la terre de l'Institution jusqu'au caillou qui est dans le
descente que j'ay faite au fond de laditte carrière dudit chemin, il y a de longueur 15 à 16 toises ou ont paru des
Sibire en sa présence et de Poterie, marchand-carrier, et descharges et ouvertures de terres, J'ay ordonné audit
un frère de l'Institution de l'Enfant Jésus, envoyé de la Sibire défaire quelques pilliers sous les roches
part des Révérends Pères dudit couvent pour estre bouleversées qui sont sous le chemin pour empescher quelles ne
présent à ma descente, je n'aurois pu approcher au fond tombe et a lesgard du reste de la fouille, je n'ay pu voir
de laditte carrière dudit chemin qu'à trois toises et demy ce qui seroit nécessaire de faire pour retenir le ciel
ou les ouvriers dudit Sibire travaillaient et avoientfait attendu que tout est remply de terre sous ledit chemin ;
une hague pour empescher d'aller plus avant comme il A. Roze.
est porté par ledit procès-verbal ;
Et la sentence rendue le (blanc) mars qui ordonne 26 août 1700
que ledit Sibire fera incessament descombler ladite L'an mil sept cent lejeudy vingt sixiesme août, jay
hague et autres s'il y en a, afin que moy, Roze, voyer Arnoul Roze, voyerre ordinairre de la Varenne du Chas-
ordinaire du Roy en ladite Varenne du Louvre puisse teau du Louvre suivant les santances cy devant randu
continuer ma visitte jusqu'au bout de la masse afin de par Monsieur le bailly et Capittaigne de laditte Varenne
connoistre d'où est provenu les descharges et ouvertures du Chasteau du Louvre, (illisible) et de mais procaist
de terres arrivés dans ledit chemin et qui a causé que verbeaux faist (illisible) me suis ledict jour transporté
ledit chemin est baissé à des endroits de 2 à 3 pieds du surre la carrierre de Andrée Sibirre en compalgnie du
rez-de-chaussée depuis un caillou qui est dans ledit frère Louis frère des pères de l'Institution de l'Enfant
chemin jusqu'à l'encoigneure de la terre des Pères de Jésus pour voirre et viziterre cy les pilliers que javois
l'Institution de 15 à 16 toises de longueur en cette partie ordonner auxdictt Sibirre déferre sous les roches boul-
dans ledit chemin; Et suivant ladite sentence j'aurois leversaye qui sonct sous ledictt chemain pour empescher
moy, Roze, fait advenir ledit Sibire de déboucher les quelle ne tonbe comme ille est porter par mon dernier
hagues et de m'en advertir afin de continuer ma procaist verballe du vingt troiziesme mars auxdy an ou
descente, ce qu'il auroit fait ; estempsje seroist dessendu auxfonct de ladite carrierre
Et leditjour 23 mars audit an, je me serois transporté avecque ledictt frère Louis et du fils dudictt Sibirre et
sur le trou de carrière dudit Sibire avec ledit Potrie et le aprest avoir en leurs pressence veriffie mon pland soux-
frère de l'Institution où estait ledit Sibire, et estant tous tairain danglle et trianglle nous serions venue aux
quatre descendu au fond de ladite carrière, j'aurois veu dernier repert marqué 8, ou ille falloy ferre les pilliers, J
et visité les trous de la masse voir si les hagues estoient ay trouvé que ledictt Sibirre les afaicttferre comme je
descomblées et ayant trouvé libre jusqu'au bout de la luy avoy ordonné.
masse, j'aurois tendu mes lignes oujestois demeuré à Et Jean nay encorpt faictt ferre deux par les carriers
cause de la hague qui estoit aux deux repert marqué 4 et dudit Sibirre en la pressance dudictt frère Louis pour
5 sur le plan et à la masse qui ne sont éloignés comme il plus grande surettée dudictt chemain et de la terre
est cy devant expliqué qu'à 3 toises 1/2 du chemin. desdictt perre de Linstitution. A. Roze ".
Ensuitte, j'aurois pris mes angles et triangles et
serois venu au bout de la masse qui finit sur le bord du Le plan est très précis, on reconnaît fort bien les
fossé de la terre des Révérends Pères de l'Institution où rues, les hagues et les piliers ainsi que les
les roches du ciel de la carrière sont tombés tant sous le effondrements. Ce fait mérite d'être souligné car les anciens
chemin que sous la terre de l'Institution qui a esté plans de carrières sont rares et la véritable
anciennement fouillée et où Ion avoit laissé seulement cartographie souterraine commence avec l'Inspection
la masse sous le chemin, comme il se voit par le plan, et Générale des Carrières en 1777. Cette carrière est
ce qui a causé que le chemin est baissé comme aussy les localisable sur les plans actuels et se trouve aussi dans une
descharges et ouvertures de terres cy devant énoncés, ne zone d'exploitation plus ancienne. De plus, les
proviennent que d'avoir pris et enlevé la masse qui procès-verbaux renseignent sur les techniques
estoit sous ledit chemin, et ainsy il afalû que le ciel de d'exploitation et la réglementation.
la carrière se soit baissé et pozé sur les hagues que les Le dépouillement des archives hospitalières,
carriers ont fait à mesure que la masse a esté enlevée, notamment celles de l'hôpital de l'Hôtel-Dieu
Je n 'ay pu voir par le fond de laditte carrière la apportent aussi de précieux renseignements (guini-
longueur de la fouille faite sous ledit chemin, mais par SKLIAR, 1996a et b). Ainsi, deux carrières appartenant à
128 La pierre dans la ville antique et médiévale

PHôtel-Dieu, ont été exploitées au milieu du carrières avec Marc Viré, en tant qu'archéologue et
XVIIIe siècle, pour la construction de la place Louis Jean-Pierre Gély, en tant que géologue. Marc Viré a
XV (place de la Concorde). Il faut très rapidement, retrouvé les lieux en confrontant les plans et Jean-
dès le début des travaux, chercher les carrières Pierre Gély a levé une coupe.
susceptibles de fournir des pierres de bonne qualité.
Le 12 mai 1758, un arrêt du Conseil du Roi "permet La comparaison des deux coupes, celle du XVIIIe
aux Prévôt des Marchands et Echevins de la Ville de siècle et celle d'aujourd'hui, a permis d'éclairer
Paris défaire ouvrir de nouvelles carrières de pierres de quelque peu les problèmes de terminologie soulevés
liais et autres, de quelque qualité que ce puisse être, par les noms des bancs de pierre qui ne cessent de
dans tous les endroits des environs de ladite ville, où il changer selon les lieux, les époques et les textes
pourra s'en rencontrer". Sont choisies plusieurs (Fig. 7). La coupe de l'Inspecteur des Bâtiments de
exploitations appartenant à diverses institutions : l'Hôtel-Dieu est remarquable de précision. Tous les
PHôtel-Dieu, la Commanderie de Saint- Jean-de- bancs exploitables de l'étage supérieur des carrières
Latran et la Congrégation de l'Oratoire. Malgré son souterraines du Lutétien ont été décrits et leur
désaccord, l'Hôtel-Dieu de Paris se voit contraint de épaisseur respectée. La description bien que succincte, est
céder à la Ville l'exploitation de deux de ses carrières, conforme à la réalité du terrain : hauteur des bancs,
situées près du Pavé d'Orléans (avenue du Général nature des pierres. Seule, la terminologie diffère et
Leclerc, Paris XIVe arrondissement). c'est là, bien sûr, tout l'intérêt de ce document. Voici
Malheureusement, cette exploitation tourne mal à cause de un extrait du texte qui l'accompagne, il s'agit de la
malversations de la part du carrier, Léonard Chapelle. succession des différents bancs de pierre, en partant
Au début des années 1760, s'ouvre un procès difficile du sol du niveau supérieur de la carrière :
entre lui, l'Hôtel-Dieu et le Bureau de la Ville de "Suivant le plan que j'ay lever de la carrière... :
Paris, procès qui durera plusieurs années. La - un banc de pierre de liais ferot de dix pouces franc, et
procédure est complexe car elle relève à la fois du droit quinze pouces de haut avec un lit caillaisseux...
privé et du droit public. Grâce à ce conflit, les - sur le banc de liais est un banc de terre appelé
carrières de l'Hôtel-Dieu sont décrites dans les textes. " coudesse " de 21 pouces de haut...
L'une d'entre elles se trouve "sous une pièce de terre - sur ce banc est un banc de moilon de six pouces...
en luzerne et en seigle contenant dix à douze arpents, - un banc de terre de sept pouces...
situé entre les deux moulins de la Pointe à droit du - un banc de pierre de souchet de 18 pouces de haut...
Grand Chemin de Paris à Montrouge ". Des plans ont - un banc de moilon de 21 pouces de haut...
été levés et permettent ainsi de les localiser (Fig. 5 et - un banc de pierre dure ditte plaque de 4 pouces de
6). Certaines de ces exploitations sont encore visibles haut... "
actuellement. Nous les avons retrouvées grâce d'une
part aux anciens plans parfaitement conservés et À partir de ce document, il semble possible de
d'autre part, grâce au travail de Marc Viré, faire des comparaisons et de comprendre — en
archéologue. partie — comment les carriers du XVIIIe siècle
nommaient les différents bancs. Car, au fil des
Confrontation des textes et du terrain siècles, la même pierre a pu avoir plusieurs noms, et
le même nom désigner plusieurs qualités de pierres.
Comme nous venons de l'indiquer, l'étude Ainsi, la comparaison des deux levés prouve la
archéologique du terrain complète celle des plans. pérennité de certains noms à travers les siècles
L'étude géologique est tout aussi indispensable et comme le "Liais", caractéristique d'un calcaire fin
enrichit considérablement la connaissance historique très dur non coquillier de très belle qualité.
des exploitations. En revanche, le Banc de Moilon peut
Si nous reprenons l'exemple des carrières correspondre à un calcaire fin tendre ou à un calcaire dur
exploitées pour la construction de la place Louis XV, une très coquillier comme le "Grignard", tous deux
découverte illustre notre méthode de travail : il s'agit impropres à l'appareillage. Les Bancs de Terre
d'une coupe géologique du XVIIIe siècle, correspondent à des calcaires fins tendres,
remarquable de précision, accompagnant les plans des légèrement argileux, impropres même au moellonnage.
deux carrières de l'Hôtel-Dieu, objet du conflit avec Le nom " Souchet " a subi une évolution
le carrier chargé de les exploiter. Nous sommes donc surprenante en un siècle. Au XVIIIe siècle, il correspond au
allés voir au plus près qu'il nous était possible, ces beau banc de calcaire fin mi-dur, appelé aujourd'hui
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre 129

Fig. 5 : Terrain appartenant à l'Hôtel-Dieu entre les


deux moulins, terrain compris dans l'angle formé
par le nouveau chemin d'Orléans et la barrière
des Chartreux (recherche de carrières pour la
construction de la place Louis XV), 1758, Ech. ?
Plume, dim. 425 cm x 335 cm. Ns. (AP Fonds
Hôtel-Dieu, liasse 72, plan n° 252).

" Banc à lucines ". Le souchevage était réalisé sous ce


banc exploité au niveau du Banc de Terre, que l'on
nomme aujourd'hui " Souchet ". Ainsi, le nom de
" Souchet " désignait le banc à souchever, c'est-à-dire
celui que l'on fait tomber par le souchevage, tandis
qu'aujourd'hui, il est attribué au banc qui a servi au
souchevage.
Ce document permet d'établir des
correspondances entre le milieu du XVIIIe siècle et notre
époque. Mais, il faudrait découvrir d'autres coupes
de ce type pour faire avancer cette délicate question.
C'est dans le même esprit de collaboration
qu'avec Annie Blanc et Jacqueline Lorenz,
géologues, et Marc Viré, archéologue et historien, nous
sommes allés visiter l'église Saint-Séverin afin d'en
étudier les pierres et comparer nos observations avec
celles des architectes, membres de l'Académie
Royale d'Architecture, figurant dans le fameux
rapport sur les carrières et les monuments de Paris et
de sa région que Colbert leur demanda en 1678
(Anonyme, 1852 ; cf. infra).
Dans le cas des carrières de l'Hôtel-Dieu, par
Fig. 6 : Localisation actuelle des carrières exploitées par le carrier chance, le texte et l'observation sur le terrain
Léonard Chapelle pour la construction de la place Louis XV,
quartier de Denfert-Rochereau (XIVe arrondissement). coïncident parfaitement, mais ce n'est pas toujours si
130 La pierre dans la ville antique et médiévale

J. ---
* sU~ SA'# calcaire
ciel mi-dur
de galerie banc de) roche10

calcaire fin à milioles (tendre) 50 cm


; frSJi.iXpn,'!
la_î j*,.. \ /. X—/
_ ir
/Z. j-
1 a; i t. m,
n i
banc à lucines (mi-dur) 52 cm

20 cm
grignard 15 cm
\iJtf ~pJr](fr
'

:
banc de laine (tendre)
52-55 cm
(dur ) _
( tendre)
liais (liais férot) 10-13 cm
liais (liais férot) 34 cm

calcaire tendre 30 cm
calcaire dur à potamides lapidura) 20 cm
llll 10 cm
|
!
1

o pu.*.- plaquettes
marnes
— vertes
beige-verdâtres
—? 10 cm

Fig. 7 : Coupe géologique de l'ancienne carrière au n° 36, avenue du Général-Leclerc, Paris, XIVe arrondisse¬
ment. Grande carrière Chapelle. Coupe du XVIIIe siècle: AP fonds de l'Hôtel-Dieu, plan n° 256, vers 1764.
Ech. 1/12. Plume, couleurs. Dim. 310 cm x 245 cm. Ns. La coupe actuelle a été levée par Jean-Pierre GÉLY.

simple. Nous sommes souvent confrontés à une diffi¬ initial et la mise en œuvre, que s'est-il passé ? Cette
culté qui est la contradiction entre le texte et l'obser¬ interrogation supplémentaire doit être mentionnée
vation. quand aucun d'entre nous ne peut apporter de ré¬
À ce moment-là, une question se pose : pourquoi ponse satisfaisante. Au mieux élaborons-nous des
un devis de maçonnerie annonce-t-il par exemple de hypothèses.
la Pierre de Saint-Leu dans telle partie architecturale À travers ces exemples, l'apport de la géologie et
alors que dans l'analyse du monument, on constate de l'archéologie à la connaissance historique apparaît
l'utilisation d'une autre pierre ? De toute évidence, comme indispensable. Pour mieux comprendre l'his¬
un événement s'est produit entre temps. toire de Paris, de ses carrières et de ses monuments,
nous nous devons de développer ce travail pluridisci¬
Quand ni l'archéologie, ni la géologie, ni les docu¬ plinaire.
ments ne l'indiquent, il faut envisager plusieurs A.G-S.
hypothèses :
- cherté du matériau ;
- changement de fournisseur ; UN TERRAIN ASSEZ BIEN CONNU
- problème de transport; ET PEU DE TEXTES (MOYEN-ÂGE
- changement de projet de l'architecte ou de l'entre¬ ET RENAISSANCE)
preneur ;
- terminologie variable. La période s'étendant du XIIe siècle jusque au
milieu du XVIe siècle est marquée par l'exploitation
Ici intervient un facteur humain, économique ou des grandes carrières par piliers tournés, par hagues
encore technique qui nous échappe : entre le projet et bourrages pour les périodes plus récentes (Fig. 8
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre 131

à 12). Pour Paris, il s'agit du grand ensemble de Deux textes nous situent très précisément la date
cavités que l'on trouve s'étendre depuis l'École et le percement de deux de ces grandes entrées que
normale supérieure au nord, jusqu'à la rue d'Alésia l'on nomme " cavages inclinés ".
au sud, sur une bande plus au moins large formant le Le premier texte connu date de 1332, il nous fait
coteau de la rive gauche de la Bièvre. C'est surtout ce état du percement par ordre de Philippe VI de Valois
vaste ensemble de carrières qui motiva en 1777 la d'une de ces entrées près la rue du Faubourg Saint-
création de l'Inspection Générale des Carrières. En Jacques vers l'Observatoire (AN J 151). Ce texte dit
ce qui nous concerne, c'est aussi l'exploration de cet que le roi achète deux arpents de terre pour faire
ensemble qui marqua le début de nos travaux. Le ouvrir " un embouchement de carrière à traire pierre "
levé systématique de toutes les traces d'exploitation et que cette carrière est clairement établie " tant pour
permit d'une part la définition des types d'abattage et le profit dudit seigneur (le Roi) que pour celui du menu
d'autre part le repérage des limites des ateliers. Mais commun ". Ce n'est probablement pas le plus ancien
la découverte la plus originale, par rapport à ce qui cavage incliné, mais c'est probablement l'un des plus
était connu sur le terrain, a été la mise en évidence de anciens, car le contexte de l'exploitation du lieu
grandes entrées en pente permettant aux chariots de montre que, plus anciennement, la pierre était sortie
descendre en carrière (Fig. 9). Ces accès sont encore par des cavages horizontaux. Ces entrées étaient
inconnus des plans de l'I.G.C. mais nous en ouvertes au fond de carrières à ciel ouvert percées
identifions maintenant plusieurs. dans le flanc ouest de la vallée de la Bièvre (Fig. 8).

Fig. 8 : Une carrière souterraine par piliers tournés à entrée Fig. 9 : Une carrière souterraine par piliers tournés à entrée
en cavage horizontal, type usité à partir du XIIe siècle. en cavage incliné, type usité à partir du XIIIe siècle.

Fig. 10: Une carrière souterraine par piliers tournés Fig. 11 : Une carrière souterraine par hagues
à puits et treuil, type usité à partir du XIVe siècle. et bourrages, type usité à partir du XVIe siècle.
132 La pierre dans la ville antique et médiévale

Le percement d'un cavage incliné traduit une ateliers loués à bail, sans qu'il y ait de référence à la
modification importante des circuits commerciaux, car la surface.
pierre était dès lors menée à Paris par le Faubourg Dans le cas de ces très grandes exploitations
Saint-Jacques. collectives, le niveau de la carrière apparaît comme
Le deuxième texte date de 1500. Il est consécutif à un deuxième sol, un deuxième terroir pourrait-on
l'effondrement du Pont Notre-Dame en 1499. Dès les dire, complètement indépendant du premier, où l'on
premiers mois de 1500, le nouveau Bureau de la Ville voit les carriers extraire les matériaux en ne se
nommé par le Roi s'occupe de faire venir en masse conformant qu'aux nécessités du terrain dictées par
des matériaux neufs pour reconstruire en pierre le la fracturation tectonique des terrains. Ainsi, les
pont et ses maisons. La municipalité parisienne fait exploitations passent indistinctement sous parcelles
donc creuser un nouvel accès afin d'extraire le Liais cultivées et chemins. La raison n'en n'était pas
franc. Ce grand cavage incliné est creusé à "Notre- l'incurie et la rapacité des carriers, comme l'ont dit
Dame des Champs " dans le secteur du boulevard C.A. Guillaumot et ses successeurs dans un discours
Saint- Jacques et de la rue Leclerc. Il s'agit sécuritaire, mais l'exercice d'un droit d'usage.
probablement de l'ultime percement d'une telle entrée. Le Lorsque le roi fait exploiter sa carrière, il agit comme
24 février 1500, le Bureau de la Ville décide que propriétaire eminent du sol, du sous-sol et des
"jeudi prochain on baillera aud. messire Jehan de chemins. De même pour la Commanderie de Saint-
Doyac deux cents pionniers garnyz de picqz, pelles et Jean-de-Latran, elle exerce son droit d'usage sur son
hottereaulx, pour par eulx faire en deux pièces de terre sous-sol. Dans le courant des XIIIe et XIVe siècles, où
appartenans, l'une à l'Ostel Dieu de Paris, et l'autre au ces choses se passaient, les cultivateurs n'étaient pas
commandeur de St Jehan de Latran, une nouvelle encore propriétaires de leur parcelle. Ils n'étaient
bouche et ouverture de la carrière Nostre Dame des encore que des "tenanciers ", et pour leur champ,
Champs, lesquelles deux pièces de terre seront pour ce leur " tenure ", on parle de " bail à cens " et non de
faire achettées " (Registre des délibérations du propriété. C'est sur la fin du Moyen-Âge et pendant
Bureau de la Ville, tome 1, 1499-1526, Paris, 1883, pp. 22 la Renaissance que la notion de propriété se définit.
et 50-51). Le marché de construction n'est finalement Encore distingue-t-on entre propriété utile, celle
passé que le 27 novembre suivant. Le carrier Huguet concédée au tenancier, et propriété éminente celle
du Floc qui prend le creusement à bail précise que que garde le seigneur.
cette "embouchure "aura cent toises de long et le L'examen archéologique des carrières nous révèle
chemin quinze pieds. Une description très précise du cependant qu'un bon nombre d'ateliers ne sont pas
travail à faire nous indique même deux trottoirs de deux accessibles par des "embouchures "mais par des puits
pieds de large chacun. Le luxe apporté dans cette (Fig. 10 à 12). L'usage du treuil de carrier est
réalisation indique suffisamment qu'une telle entrée largement connu à partir du XVIIe siècle, où ces machines
doit durer. Ce texte, par ailleurs, nous indique figurent sur les plans de Paris. Le treuil était mu par
précisément le soin avec lequel ces grandes exploitations une grande roue de charpente mise en mouvement
étaient organisées, et vient modifier l'image par un ouvrier grimpant sur des barreaux établis sur
traditionnellement défavorable d'un tel lieu. Une carrière son pourtour. Les textes nous parlent du treuil de
n'est pas forcément le vilain trou que l'on imagine, carrier pour le XVIe siècle, où il est nommé " engin ".
mais un lieu parfaitement organisé. Mais pour les XIVe et XVe siècles, nous ne
Ces deux cas, choisis pour leurs dates extrêmes, connaissons pas de texte parlant de cet " engin ". Pourtant le
liés à d'autres textes intermédiaires moins riches contexte historique bien précis de quelques-unes de
d'informations que le dernier, nous apprennent que ces exploitations permet d'affirmer que de tels puits
ces grandes carrières de pierre étaient collectives. étaient en usage depuis environ le milieu du XIVe
Elles étaient gérées directement par le roi lorsqu'il siècle.
s'agissait de très bons matériaux, dans ce cas le roi Ainsi, un ensemble de textes, des années 1489 à
faisait usage de son droit régalien de propriété 1492, concerne la vente d'un ensemble de parcelles
éminente des terres concernées. Mais dans d'autres riveraines par le commandeur de Saint-Jean-de-
cas, c'était le seigneur qui gérait ces carrières. Ainsi, Latran (AN S 5118). La communauté ayant besoin
en était-il de la seigneurie de Saint-Jean-de-Latran, d'argent, on vendit des parcelles que l'on retira donc
où les Hospitaliers paraissent très bien s'être occupés du " domaine proche " pour les faire entrer dans la
de ce capital. Un texte de la fin du XIVe siècle nous "censive". L'acte est un " ensaisinement " où l'on
apprend que l'intérieur de la carrière était réparti en définit la nature de la propriété. Or, pour certaines de
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre 133

Mais l'examen du lieu où l'on replace ces parcelles


montre qu'un deuxième étage de carrière était
exploité sous le premier. D'anciens puits traversent
l'étage supérieur et vont tous atteindre l'étage
inférieur (Fig. 12). Donc, quand le Commandeur de
Saint- Jean-de-Latran se réserve la pierre, il parle de
l'étage inférieur en cours d'exploitation. Nous
comprenons donc que l'on faisait usage des puits que
nous connaissons. De cette manière, la connaissance
de l'état du sous-sol était aisée. Chaque parcelle
mesurait en moyenne un demi arpent, nous voyons
que les unités d'exploitation suivent ce module, ainsi
les ateliers ne dépassaient pas trente ou quarante
mètres de rayon autour du puits pour les plus grands.
Ce changement de technique eut un effet non
négligeable sur la connaissance et la notion de propriété
du sous-sol. Dès l'instant où le sous-sol n'est plus ce
second terroir indépendant du premier, par la
présence des liens verticaux formés par les puits, la
dépendance devient évidente. On remarque que les
limites d'exploitation s'approchent au plus près des
limites des parcelles. Par ailleurs, la présence d'un
puits d'extraction entraînait l'usage d'une partie du
terrain : emprise du treuil, aire de stockage et de
chargement (le "friche " de la carrière), établissement
du chemin d'accès. Ces annexes du puits
constituaient la suite de l'exploitation en surface et
Fig. 12: Deux étages superposés dans la région de la représentaient autant de surface de terre retranchée de
Tombe-lssoire à Paris ; l'étage supérieur (XIVe siècle) a été l'exploitation agricole.
exploité à partir d'un cavage, l'étage inférieur (XVe siècle) a Mais nous sommes dans le cas de carrières
été exploité à partir d'un puits. fournissant un matériau très recherché. D'autres carrières
existent, pour lesquelles on remarque que le
matériau n'était pas extraordinaire. Ainsi, dans la région
du bourg Saint-Marcel, les marchés passés devant
notaire nous conservent le témoignage de paysans
ces parcelles, figure la mention "réserve à iceluy exploitant ou faisant exploiter le sous-sol de leur
commandeur la traicte de la carrière qu'il a audit lieu ". terre, pour fournir du moellon ou au mieux de la
Pourquoi seulement sur quelques parcelles? La "pierre au pied ". Il semble bien que, lorsque les
raison en est simple : là où la pierre était déjà matériaux extraits étaient de peu de valeur, le roi ou
exploitée, cela n'intéresse plus le Commandeur, par le seigneur du lieu n'ait pas fait grand cas de ces
contre, là où la carrière est commencée, ou non carrières. Cela apparaît bien pour le XVIe siècle, mais
encore exploitée, cela intéresse le Commandeur. qu'en était-il des siècles précédents ? Cette situation
Mais comment faisaient-ils pour connaître aussi semble avoir existé dans le ressort de la seigneurie de
exactement l'état du sous-sol ? Nous connaissons, en Saint- Jean-de-Latran à côté des grandes carrières.
effet, avec quelles difficultés, on termina le La lecture du terrain apporte beaucoup
percement du " voyage du Vernay " dans la mine de Pam- d'informations, dans la mesure où le plan a été levé. Une
pailly, sous Charles VII : il fallut faire venir de Bâle étude détaillée des traces vues sur le terrain permet
un expert, Klaus Smermant, largement payé pour cet de déterminer des ensembles de carrières. Dans
ouvrage (MOLLAT, 1952-1953). La technique de certains cas, lorsque ces carrières sont
topographie souterraine en usage au XVe siècle ne exceptionnellement visitables (sous le Val-de-Grâce par
permettait pas un tel levé depuis l'embouchure de la exemple), on arrive à délimiter assez exactement
carrière. plusieurs exploitations. Il devient alors intéressant de
134 La pierre dans la ville antique et médiévale

comparer les différents modes d'abattage et Mais il est très difficile d'aller plus loin. La
d'organisation des ateliers. comparaison des pierres des fronts de taille avec les pierres
Alors qu'en plan plusieurs carrières peuvent des monuments ne permet que d'évaluer des zones
apparaître absolument identiques, l'étude de l'abattage de production. Ainsi on peut assez aisément
détermine trois grands modes. Nous restons bien distinguer ce qui vient de la région du Val-de-Grâce et de
entendu, toujours dans le cas du seul grand mode l'Observatoire de ce qui vient du groupe de Charen-
d'exploitation souterraine que l'on connaisse au ton-Saint-Maurice à l'est de Paris, ou de la colline du
Moyen-Âge : l'exploitation par piliers tournés (Fig. 8 fort d'Ivry au sud-est (cf. infra). Mais il est pour le
à 10). Pour abattre la pierre en souterrain, le carrier moment impossible de donner un lieu précis
effectuait deux types de tranches : la tranche d'extraction.
horizontale ou " souchevage " et la tranche verticale ou Quand nous avons des comptabilités de chantier,
"défermage ". Si le souchevage change peu de mode ces textes sont plus de nature à nous renseigner sur le
opératoire, il n'en est pas de même du défermage. Il marchand-carrier, le prix et le type des matériaux et
convient de préciser qu'il existe deux types de les lieux globaux d'exploitation. Ainsi pour la
défermage : le défermage longitudinal, creusé dans le sens construction du Louvre de Charles V, deux marchands-
de progression, et le défermage transversal, creusé carriers, Jehan Le Mane et Guillaume du Moustier,
perpendiculairement à l'axe de progression. En plan, fournissent les matériaux (berty, 1885). Le Mane
on distingue trois modes suivant la position des fournit "28 corbeaux de pierre de lyais de Notre-Dame
défermages. des Champs, pour les quatorze poutres des sales et
Le premier mode montre le défermage chambre de la Royne à X sous chacun ", des blocs de
longitudinal dans l'axe de l'atelier. Les blocs sont arrachés à Liais de Notre-Dame-des-Champs pour la façon des
gauche et à droite, suivant les fissures du calcaire, et, corbeaux d'une grande salle. L'appellation de ces
en l'absence, à l'aide de petits défermages carrières concerne le grand ensemble de carrières
transversaux. Dans ce mode, on ne lit aucune trace de taille s'étendant du Val-de-Grâce à l'Observatoire, mais il
sur les parois de la galerie. est impossible d'être plus précis. Ces deux carriers
Le second mode montre le défermage exploitent-ils des ateliers accessibles par
longitudinal toujours dans l'axe de l'atelier, mais il est l'embouchure ordonnée par Philippe VI de Valois ? C'est
accompagné de petits défermages longitudinaux sur possible, mais rien ne permet de l'affirmer. Le
les côtés. Dans ce mode les traces de la progression compte, qui n'est connu que par une copie du
des carriers sont bien visibles dans les galeries. Les XVIIe siècle, ne contient qu'un résumé des articles
blocs sont mieux définis dans le front de taille, qui nous auraient intéressés et se contente d'énu-
et la fracture du banc de pierre un peu moins mérer : "les autres pierres venoient de Wicestre
aléatoire. (Bicêtre), pierre de lyais de Notre-Dame des Champs,
Le troisième mode montre le défermage pierre de Gentilly, pierre de Saint Leup de Serans
longitudinal rejeté sur l'un des côtés de l'atelier, gauche ou (Saint-Leu-d'Esserent), du Pont de Charenton, de
droit. Dans les carrières plus récentes ce défermage Vitry, carrières de Valgirard (Vaugirard) ". Peu
montre de très belles traces sur toute la hauteur de la importe l'absence du détail, seul compte la vision
galerie, alors que dans les carrières plus anciennes il d'ensemble de l'approvisionnement en très bons
est plutôt limité aux bancs à mi hauteur du front de matériaux par un exploitant et négociant suffisamment
taille. Les bancs en pied et en ciel font l'objet dans ce aisé pour posséder des exploitations en des lieux très
cas, d'abattage complémentaire dont l'organisation différents.
peut être différente de l'initiale. C'est ici que la géologie vient à point nommé
Ce sont donc ces modes d'abattage qu'il faut recouper les informations données par les textes. Le
cartographier afin d'individualiser chaque banc de Liais doit être étudié dans son étendue.
exploitation. Ainsi on obtient une géographie du sous-sol, Les différentes coupes levées, quand ce banc est
plus ou moins précise. En essayant de remettre visible, permettent une vision globale du banc (cf.
chaque unité et son type d'accès dans le contexte infra). En certains lieux ce banc est altéré et de
géographique de la surface on obtient des moins bonne qualité, en d'autres lieux il est
rapprochements très intéressants. Ils ne se substituent pas aux d'excellente qualité, mais pas assez épais. Ainsi peut-on
textes quand ils sont absents, c'est un autre type de préciser les lieux possibles d'extraction par
regard. La mise en concurrence de ces diverses l'identification des meilleurs bancs exploités dans chaque
approches restitue alors l'histoire des lieux. carrière.
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre 135

Une dernière compréhension de l'ensemble est Dans ce cas, la nécessité d'une observation "
possible en liant l'organisation des carrières à la frac- archéologique" des chantiers sur anciennes carrières
turation des terrains du lieu. Les relevés des fractures devient impérieuse. À titre de test nous avions suivi
étant portés sur les plans, on explique mieux la raison en 1988 un terrassement sur une zone très
de l'organisation des exploitations. Ainsi tel secteur, anciennement exploitée à ciel ouvert. On distinguait très bien
qui paraît très mal structuré en plan, sera expliqué dans les coupes, les tas de remblais successivement
par le fait que les carriers ont suivi de très près la rejetés. Malheureusement le terrassement suivi
réalité du terrain, et que le plan de la carrière n'est n'atteignit pas le sol de la carrière, ce qui nous priva
que le reflet de la fracturation des roches (cf. infra). d'informations importantes. On aurait aimé en effet
M. V. voir si des traces étaient visibles sur le sol, si des
blocs abandonnés pouvaient être retrouvés, si on
pouvait cerner une organisation spatiale de
UN TERRAIN PEU ACCESSIBLE l'exploitation. Seul un gros chantier de construction avec
ET AUCUN TEXTE (ANTIQUITÉ décapage complet des terrains, peut être de nature à
ET HAUT MOYEN-ÂGE) apporter la possibilité d'une étude fine d'une telle
exploitation.
Pour les carrières de l'Antiquité et du premier La problématique de travail sur ces très anciennes
Moyen-Âge, il n'existe aucun texte connu. Les carrières existe, puisque l'origine parisienne de
exploitations étaient toujours à ciel ouvert et quelques blocs antiques ou mérovingiens a été
remblayées au fur et à mesure de leur exploitation. Il démontrée. Où étaient exploités les blocs des quelques
n'existe pas de galeries souterraines identifiables sarcophages de la nécropole de Saint-Marcel, ayant
(Fig. 13). Ces carrières sont connues de diverses une origine locale ? Le moellonnage antique montre
manières, la plus courante est le forage de systématiquement le faciès des bancs du quartier de
reconnaissance carotté. la Montagne Sainte-Geneviève, ces exploitations
Pour étudier ces carrières invisibles, il y a pourront-elles être localisées? Certains blocs de
plusieurs voies. L'une est la logique de l'étude grand appareil ont probablement été produits à Paris,
géologique afin de reconstituer des milieux totalement alors que l'essentiel provient de la vallée de l'Oise,
exploités ou oblitérés. Dans les régions totalement d'un lieu, lui aussi, encore inconnu. De tels ateliers
exploitées, il est bien évident que le relief actuel n'est pourront-ils être un jour identifiés ?
pas représentatif de ce qui préexistait. Comme on Le périmètre de production de la pierre au Moyen-
travaille sur des zones exploitées très anciennement, Âge tardif est maintenant assez bien connu. Par
il devient aussi difficile de faire le travail de méthode régressive, il nous délimite le domaine antique
comparaison avec la surface comme au Moyen-Âge et à la et du haut Moyen-Âge. Pourrons-nous arriver à
Renaissance. Est-il si sûr que tel chemin existât autant de précision que pour le Moyen-Âge ?
depuis l'Antiquité? M. V.

LA PART DE LA GÉOLOGIE

Depuis l'Antiquité jusqu'au début du XXe siècle,


la pierre à bâtir a occupé une place privilégiée dans la
vie de la cité. Son histoire complexe n'a été
réellement abordée que depuis ces dernières années.
Ainsi, l'étude historique des carrières et la recherche
de l'origine des matériaux dans les monuments
deviennent aujourd'hui des thèmes de recherche
(lorenz et coll., 1993). En effet, comment
l'archéologue du bâti pourrait-il étudier un monument tout
en ignorant les matériaux qui le constituent,
comment l'historien comprendrait-il un texte ancien
Fig. 13: Une carrière à ciel ouvert telle qu'on a pu les voir en s'assurant de sa véracité, sans en chercher les
de l'Antiquité au Moyen-Âge sur les rives de la Bièvre. preuves matérielles encore existantes?
136 La pierre dans la ville antique et médiévale

L'histoire de la pierre à bâtir débute par son l'Académie Royale d'Architecture dès 1665, afin
extraction dans la carrière. Les caractéristiques de d'évaluer les ressources et de planifier l'emploi des
la roche et son mode d'exploitation reflètent le différentes pierres de construction en fonction de
contexte géologique. Cette pierre est ensuite leurs propriétés mécaniques et de leur résistance à
transportée vers le chantier de construction avant d'être l'altération (rapport de l'Académie royale
mise en œuvre. Le transport dépend en partie de la d'Architecture à Colbert, Surintendant des Bâtiments, 1678 in :
géologie et de la géographie des régions traversées. ANONYME, 1852) ainsi : " Ordre de Monseigneur Colbert
Enfin, l'utilisation de la pierre dans les bâtiments est surintendant des bastiments, tendant ce que les
fonction de sa qualité, également reflet de son Architectes eussent à visiter incessament toutes les anciennes
environnement géologique originel. Les études églises et les anciens batimens de Paris et des environs,
géologiques apportent donc les connaissances nécessaires à pour examiner la qualité des pierres dont ils sont bastis,
la compréhension du développement des centres celles qui ont subcisté en leur entier et celles qui ont esté
d'extraction (cf. supra), à la maîtrise de l'utilisation endommagées par l'air, l'humidité, le soleil et la lune,
de la pierre à bâtir, mais aussi indirectement aux de quelles carrières elles ont esté tirées, si les carrières
conditions de transport fluvial ou terrestre (lorenz subcistent, et former leurs jugemens sur la différente
et LORENZ, 1993). qualité des pierres ".
La reconstitution de cette histoire fait aussi bien La démarche adoptée par les académiciens est
appel à des géologues, des archéologues et des aujourd'hui encore la seule utilisée ; nous
historiens. Les approches sont vastes touchant ainsi à de empruntons ici leur témoignage pour illustrer notre méthode
nombreuses disciplines, à savoir : la stratigraphie et de recherche.
la sédimentologie (nature des roches), la tectonique Ainsi, des enquêteurs de l'Académie visitent
(fracturation des roches), la géotechnique (qualité toutes les carrières en activité, établissant les plans
des roches), l'histoire des sciences et des techniques des exploitations, levant les coupes géologiques et
(mode d'extraction, moyen de transport et mise en prenant des échantillons de roche : "5 Août 1678 -
œuvre), l'archéologie des carrières et du bâti, Nous avons veu une autre carrière qui est un peu plus
l'histoire politique, économique et sociale. La multidisci- hault en montant l'eau sur la mesme coste, laquelle
plinarité d'une telle recherche demande une appartient à M. de Foncheroles, les pierres sont d'un
méthode d'étude comparant et recoupant les grand appareil, il y en a qui portent jusques à 3 pieds et
données issues des différentes disciplines. demy net taillé, le grain fin et doux comme l'eschan-
L'étude de la pierre à bâtir apporte une approche tillon marqué G ".
novatrice à la connaissance de l'histoire d'une Les bancs de pierre qui se succèdent sur un front
province ou d'une ville (pomerol, 1992). La ville de de taille ont des faciès particulièrement variés dans le
Paris et ses alentours a été favorisée par la présence Lutétien de Paris et de sa banlieue : marnes et
d'une très belle pierre à bâtir : les calcaires du Luté- calcaires pulvérulents (Banc vert, Souchet...), calcaires
tien. C'est en étudiant ces calcaires que l'on a élaboré tendres à mi-durs homogènes ou en lits (Banc de
cette méthode d'étude. Laine, Banc à Lucines, Bancs francs), calcaires durs
grossiers et plus ou moins coquilliers (Banc de
Les carrières Roche), calcaires durs fins (faciès "Cliquart" du
Banc de Laine et surtout Liais de Paris) (Fig. 14). À
II est rare que les couches géologiques présentent cette forte hétérogénéité dans la succession verticale
une régularité et une homogénéité à l'échelle d'une des bancs, peut s'ajouter une évolution latérale des
région ou même d'une carrière. Les calcaires du faciès liée aux variations du paléoenvironnement lors
Lutétien à Paris et alentours en sont un bon exemple de la sédimentation : "Pour le bon ban, il ne se
(Fig. 1). Leur répartition stratigraphique et rencontre pas aussy dans toutes les carrières, il y en a de
géographique est tellement complexe que les carriers ont fort bon derrière les Chartreux, et dans leur clos il y a
souvent connu de fortes déconvenues. Les maîtres du bon ban tendre et du bon ban dure. Lorsqu'il n'y a
d'œuvre, ne connaissant pas toujours toutes les pas de bon ban dans la carrière le souchet touche le
qualités des nombreuses pierres d'appareil, ont vu hault ban "(ici le terme " souchet " doit être pris dans
parfois leur édifice s'altérer et présenter des son sens ancien, très différent de sa signification
désordres graves en cours de construction. actuelle ; guini-skliar, 1996a ; viré, 1997).
Ceci donna naturellement lieu aux premières Ainsi, un calcaire fin dur peut passer latéralement
explorations géologiques rationnelles, menées par à un calcaire grossier tendre, un banc de calcaire fin
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre 137

I Position stratigraphique des


exploitations de pierre de taille

Souchet
Grignard

1 1 i Banc de Marche
~ Banc vert s.s.
Banc de Saint-Nom

T Lambourdes et Vergelé
I

1
l

Banc à verrins

Banc de Saint-Leu et
Calcaire à Ditrupa strangulata

3S —co =<2 <S2rf _ Banc à mollusques


Pierre à liards
» » H (Calcaire à Nummulites laevigatus)
|

Glauconie grossière Fig. 14: Coupe générale des dépôts


marins du Lutétien du Bassin parisien avec
la position stratigraphique des
exploitations de pierre de taille. En trait plein,
niveaux géologiques systématiquement
-7 YPRESIEN r: exploités ; en trait pointillé, niveaux
J.Ffc: géologiques exploités exceptionnellement.

homogène à plusieurs bancs de calcaire coquillier, long de 1 à 2 cm et de 1 à 2 mm de diamètre, Vergelé


séparés par des joints de stratification (Fig. 15). et Lambourdes), des calcaires fins homogènes durs à
L'espacement de ces joints de stratification qui très durs (Liais de Senlis et Liais de Saint-Maximin).
séparent les bancs donne la hauteur maximale des blocs Les enquêteurs décrivent ainsi tous les bancs en
extractibles : une pierre ne pouvant pas être plus mesurant leur hauteur, estiment la qualité des pierres
haute que l'épaisseur du banc comprise entre ces et énoncent leur utilisation dans les bâtiments : "La
deux joints. carrière à droite du chemin (carrière dite " Vaugirard à
Si à Paris et dans sa banlieue, la géologie du droite ") a environ 22 pieds de masse pierreuse sous les
Lutétien est complexe, dans la vallée de l'Oise, le Valois, décombres, cette masse est composée de 10 bancs de
le Tardennois et le Laonnois, la succession des bancs différentes hauteurs et qualités compris celui qui se
est plus simple et régulière, avec des calcaires rencontre dans les dites décombres et qui ne se suit pas
homogènes plus ou moins fins en bancs métriques, si régulièrement que les autres. Le premier de ces bancs
mi-tendres à mi-durs (Calcaires à Ditrupa, les Ditrupa et le plus élevé de ces bancs se trouve en partie dans les
étant des vers marins habitant dans un tube calcaire décombres singulièrement dans ce qui compose le
138 La pierre dans la ville antique et médiévale

W
MONTPARNASSE
M 181-182 PLACEN 218-218
FALGUIERE BD N"AB73
LEFEBVRE

Fig. 15: Exemple de corrélation de coupes levées à Paris et dans sa proche banlieue (d'après BLANC et
GÉLY, 1997) ; les traits noirs indiquent les bancs exploités parfois en deux étages de carrières souterraines.

rideau de la montagne (morts-terrains au-dessus du Au-dessous de ce Cliquard est un autre de pierre


ciel de carrière) et change continuellement de hauteur propre à faire du moellon et qu'on a nommé " Coquillié
mais il est d'une excellente qualité très lié dans toutes sur glaise ", ce nom exprimant sa nature et sa position
ses parties tenant presque de la Roche par sa dureté au comme ce banc participe un peu de la glaise sur laquelle
moyen de quoi il est capable de résister à tout fardeau et il est assi, il serait plus utilement employé dans des
à toutes les impressions de l'air mais il est peu propre fondations et lieux souterrains, acqueducs, massifs des
par sa grande dureté à être employé à des parements murs, qu'exposé à l'air où il pourrait s'exfolier comme
extérieurs vu le prix qu'exigerait sa taille, on doit le fait la glaise, mais dans ces parties basses ce moellon
seulement l'employer dans toutes sortes de fondations pour est capable de recevoir tout fardeau... " (AN 01 1603
les fardeaux les plus considérables et dans les grands p. 86).
massifs des murs, enfin partout où il ne sera pas Ainsi, la pierre qui est "dure, pleine, serrée, toutes
nécessaire de le parementer. les parties bien liées " (calcaire homogène mi-dur à
Au-dessous de ce moellon, est une pierre sans dur) sert pour les parties exposées aux intempéries ;
consistance ou plutôt une terre de couleur de pierre qui la pierre qui renferme des "moyes, fils et molières "
est un véritable décombre (probablement un calcaire (calcaire hétérogène à lits tendres à durs) risque
argileux crème). d'être gélive ou altérable à l'air; elle ne sera
Après lequel est un banc de pierre de Cliquard [...] employée que dans les fondations et les massifs des
est plus pierre et tient moins de la Roche que le premier murs en la laissant " ressuyer son eau de carrière avant
banc dont vien d'être parlé et peut être employé aux de l'employer " (AN 01 1603 p. 86).
mêmes usages et même peut mieux être taillé, cette Les bancs de calcaire tendre fournissent les
pierre est très propre à la calcination et donnerait une moellons et le blocage, tandis que les calcaires mi-tendres
chaux admirable. à mi-durs, coquilliers ou non, donnent la belle pierre
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre 139

d'appareil. Mais c'est le calcaire dur homogène, le morcelés par un réseau de fractures antérieur à
Liais, et dans une moindre mesure un beau Cliquait l'ouverture des carrières, les diaclases, dû aux effets
(faciès induré du Banc de Laine), qui sont très de la tectonique. Le plus grand nombre de ces
recherchés : "Le cliquart est plus dur (que le " hault diaclases sont verticales. Chacune d'elle, limitant
ban "), a le grain plus fin que le meilleur bon ban, il est latéralement, les dimensions d'un bloc extractible.
aussy ferme que le hault ban, mais plus dangereux à Rapidement, pourtant, les carriers ont apprécié le
éclater. Le liais est une pierre très dure et qui a le grain parti qu'ils pouvaient tirer de cette fracturation. En
plus fin et plus beau que toutes les autres, mais aussy utilisant judicieusement ces cassures verticales, ils
plus flère et plus aisée à éclater ". s'épargnaient la taille d'une tranche de défermage
Si les enquêteurs ne comprennent pas les rapides (Fig. 16). C'est ainsi, que peu à peu, les galeries
évolutions latérales de faciès résultant d'une diage- d'exploitation vont longer les diaclases,
nèse précoce syn-lutétienne (dolomitisation locale occasionnellement, dans un premier temps ou lorsque le réseau de
des Calcaires à Ditrupa dans le Valois et le Tarden- diaclases n'est pas suffisamment régulier ; mais aussi
nois par exemple rendant impropre cette formation à de façon systématique lorsque la fracturation
tout emploi dans les constructions ; passage latéral comporte une direction dominante bien affirmée et
d'un calcaire à un falun calcaire), ils reconnaissent que la continuité des diaclases est suffisamment
implicitement les phénomènes tardifs quaternaires, longue. Dans bien des carrières, il est ainsi possible
engendrant l'altération karstique et la décompression de déduire l'orientation des diaclases en observant la
des calcaires en surface et sous les talwegs : "on a direction des galeries. Les diaclases ont favorisé la
tout lieu de présumer qu'aussitôt que l'extraction des progression et l'exploitation des pierres de taille.
pierres se fera sous le rideau des côtes, c'est-à-dire en Elles ont aussi imposé leurs contraintes. Un bloc ne
pleine masse et lorsque les assises seront pouvant être plus large que l'espacement des
horizontalement posées (unefois les masses glissées et altérées diaclases qui le limitent. Les enquêteurs constatent
traversées), leur taille en sera plus facile, leur consistance ainsi : "un banc de pierre de Cliquard encore fort dur
plus égale, plus liée et moins fllardeuse " (AN 01 1602). qui serait propre à servir de ciel de carrière si on
À cela, s'ajoute la facturation de la roche qui l'exploitait en puits si les fentes qui s'y trouvent étaient
s'organise en plusieurs familles de fractures moins fréquentes " (AN 01 1603 p. 86). Nous avons
d'orientation, de fréquence et de morphologie différentes. observé par ailleurs que les joints de stratification qui
Les bancs de calcaire exploités par les carriers sont séparent les bancs ont joué un rôle contraignant

Fig. 16 : Atelier avec un défermage latéral et un arrachement


en présence d'une diaclase (d'après VIRÉ, 1983, complété).
140 La pierre dans la ville antique et médiévale

semblable. Les techniques modernes d'exploitation parcellaires anciens et l'étude de la microtoponymie


ont affranchi les carriers des contraintes ancienne-
directionnelles imposées par les diaclases ; elles n'ont pu et ne Mais, la finalité des levers géologiques dans les
pourront pas les libérer des contraintes dimension- carrières est de déterminer la provenance des
nelles, joints de stratification et diaclases imposant matériaux dans les monuments (lorenz et viré, 1996;
toujours la taille maximale des blocs extractibles et mazeran, 1996), tout comme les académiciens :
donc des modules de construction. "Nous avons veu dans ces carrières (derrière les
La connaissance précise de la géologie à l'échelle Chartreux) des hault bans et des cliquarts semblables aux
de la carrière permet ainsi d'en comprendre le mode pierres qu'on a remarquées dans les plus anciens basti-
d'extraction (niveaux souchevés, bancs recherchés mens de Paris, ce qui fait juger que ce doit estre de ces
de belle pierre, fracturation guidant les ateliers et endroits là quelles ont esté tirées comme ont peu voir
donc la progression des chantiers, zones par l'eschantillon marqué cliquart des chartreux ".
abandonnées suite à la présence d'altérations...). Pour chaque
carrière étudiée, nous déterminons Les transports
systématiquement les différentes qualités des pierres
extraites mais également le module maximal que les Les contextes géologique et géographique
carriers ont pu sortir. Les contraintes géologiques peuvent fortement influencer les conditions de
pour l'extraction de la pierre à bâtir sont ensuite transport terrestre ou fluvial dans une région, ceci ayant
fournies à l'archéologue et à l'historien qui les intègrent un important impact sur l'économie des centres
dans leur réflexion (viré, 1993a, 1996 ; guini-skliar, carriers et dans le choix des matériaux par le maître
1996a). d'oeuvre d'un bâtiment.
Le lever systématique des coupes géologiques Par exemple, dans la vallée de l'Oise, les
dans les carrières, la prise d'échantillons et le relevé académiciens reconnaissent une qualité bien supérieure à la
de la fracturation des roches à Paris et alentours ont Pierre de Saint-Leu sur la rive droite de l'Oise par
commencé dès 1979, toujours en équipe regroupant rapport à celles de Mailles (sous le "Camp de
géologues, archéologues et historiens. Nous avons César ", commune de Gouvieux) sur la rive gauche
rassemblé à ce jour 320 coupes géologiques et (ce que nous avons également constaté ; montagne
2 300 échantillons. Ceci permet de définir les faciès et GÉLY, 1993) : "On peut voir par les échantillons
(couleur, texture, dureté, contenu fossilifère) pour mentionnés au procés-verbal tant de la pierre de Mailles
chaque banc, avec sa hauteur et son extension, et ceci que de celle de Saint Leu la différence sensible, c'est-à-
pour chaque carrière. Ensuite, le travail de dire la défectuosité à tous égards de la pierre de Mailles
laboratoire prolonge celui effectué sur le terrain : des lames et la beauté et bonté de celle de Saint Leu ", et pourtant
minces sont taillées dans les échantillons pour le site de Saint-Leu-d'Esserent est peu à peu
observer et comparer les microfaciès de chaque banc. supplanté : "La raison qui a fait quitter en partie les
Les propriétés géotechniques de ces pierres peuvent carrières de Saint Leu, n 'est autre chose que leur grande
être également déterminées (résistance à profondeur qui devient onéreuse aux marchands
l'écrasement, à l'altération, qualité de taille...). Cette puisqu'elle augmente le transport de la carrière au port de
recherche à long terme nous permet aujourd'hui de cinq sols par tonneau " (AN 01 1989, p. 26).
classer les grandes régions d'extraction (groupes À cela s'ajoute de nouvelles difficultés liées au
d'affleurements et bancs de calcaire non altéré ou tirant d'eau de plus en plus important des bateaux
peu fracturé, couches dénoyées...; (Fig.l). On navigant sur l'Oise et sur la Seine : "Malgrés cette
reconnaît dans le meilleur des cas huit groupes première difficulté, il y en avait une seconde qui n 'a pas
différents : "Valois-Tardennois-Laonnois", "Vexin- moins contribué à en faire ouvrir de nouvelles
Mantois ", " Saint-Leu ", " Pontoise ", " Saint-Nom ", (carrières) ; c'est que presque vis à vis du village de
"Saint-Cloud", "Paris", "Charenton". Saint Leu et dans la rivière de l'Oise, il y a un banc de
L'inventaire des centres carriers, commencé par Vergelé qui en traversant la rivière dans toute sa largeur
les levés de terrain, se prolonge par la recherche des empêche les bateaux de pouvoir charger la quantité de
anciennes carrières oubliées. Celle-ci est menée tonneaux de pierre qu'ils sont en état de transporter à
ensemble : les géologues avec la consultation des Paris et permet de ne charger que les deux tiers ce qui
cartes géologiques anciennes, les archéologues et les occasionne une double dépense, étant obligé de chargé
historiens avec la citation de carrières et de familles les bateaux à deux fois " (AN 01 1989 p. 26). En effet,
de carriers dans les textes, la découverte de plans avant que l'Oise ne soit canalisée, en recoupant le
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre 141

flanc court septentrional de l'anticlinal du Pays-de- douce de Trossy, le tout très bien conservé, quoiqu'en
Bray, elle coulait sur son bed-rock, c'est-à-dire sur des 1400 l'église ayant été brûlée demeura plusieurs années
bancs de roche qui formaient des écueils à travers découverte [...] ce qui nous a fait juger que l'inégalité
toute la rivière. que nous avons remarquée à plusieurs bâtiments faits
Ainsi, un environnement géologique pénalisant le de pierre de Saint Leu (et de Trossy), dont les unes sont
transport peut avoir des répercussions majeures sur bien mieux conservées que les autres, vient souvent du
l'économie des centres carriers et des conséquences mélange des dites pierres qui ont été tirées des
très importantes sur la qualité des monuments, ce différentes carrières ".
que déplorent d'ailleurs les académiciens : "On a Divers bancs extraits des anciennes carrières
même trouvé dans ce changement un triple avantage qui parisiennes de l'Antiquité et du Moyen-Âge ont été
est celui d'être presque au bord de la rivière et qu'au lieu utilisés pour la construction et la sculpture. Les
défaire douze voyages par jour comme on faisait à celle monuments de ces époques anciennes sont peu
de Saint Leu, on en fait vingt quatre, aussi c'est ce qui nombreux à Paris et au cours des restaurations des
fait que tous nos marchands de Saint Leu ont adopté derniers siècles, les pierres anciennes ont souvent été
par préférence le côté de Saint Maximin (rive gauche remplacées par des calcaires lutétiens de carrières
de l'Oise) ; il faut avouer cependant qu'ils ont préféré éloignées de Paris. Les observations doivent donc se
leurs intérêts à celui du public, car cette pierre est faire dans des parties de monument non restaurées
beaucoup plus tendre ou pour se servir de leur expérience ou sur des éléments sculptés déposés dans les
beaucoup plus douce et conséquemment l'exploitation musées.
ou transport plus aisée. Mais aussi elle est beaucoup La méthode est donc difficile à mettre en œuvre
plus sujette à la gelée que celle du côté de Saint Leu, ce car les observations ne peuvent être faites dans la
qui doit être attribué à la plus grande proximité de la plupart des cas qu'à partir d'un échafaudage
rivière de façon que l'on peut faire une différence totale permettant de toucher la pierre, de l'observer et d'en
de la pierre du côté de Saint Leu à celle de ce canton qui prélever un fragment pour l'identifier. Ce travail de
est appelé Mailles ; en effet, on est obligé pour ne courir longue haleine, a pu bénéficier des chantiers de
aucun risque de la faire tirer dans l'été où l'humidité de nettoyage et de restauration des grands monuments
la pierre s'évapore plus aisément " (AN 01 1989 p. 26). de Paris (thermes de Cluny, intérieur de la cathédrale
Les conditions de transport influencent le maître Notre-Dame, bâtiment du collège des Bernardins) et
d'œuvre dans son choix des matériaux pour de sa région (basilique de Saint-Denis, château de
l'édification d'un bâtiment. A contrario, la détermination des Vincennes, anciennes cathédrales de Mantes, Senlis,
matériaux de construction dans un bâtiment (blanc, Noyon, Laon, Meaux et Sens).
1993; BONNEFOUS et al., 1992; MOULINE, 1991; DE- Les calcaires lutétiens, s'ils sont globalement
LOFFRE et BONNEFOUS, 1993 ; VIRÉ, 1993b ; OBERT et identifiables sur un monument, posent le problème
ESTRADE, 1996) peuvent mettre en lumière des liens de la recherche de la carrière d'origine. En effet, il est
économiques ou culturels entre les provinces et très facile de reconnaître, grâce à une observation à la
l'importance de certaines voies terrestres ou fluviales (du- loupe, si le calcaire provient du Lutétien de la région
JARDIN, 1993, 1996 ; GÉLY, 1993 ; MONTENAT et ai, 1996). parisienne ou s'il s'agit d'un calcaire jurassique de
Bourgogne, de la Meuse ou du Poitou. De même à
Les monuments l'extérieur, où les conditions d'observation sont
favorables, il est possible de reconnaître les différents
La démarche consistant à lever des coupes faciès utilisés dans un parement, pour les entourages
géologiques des carrières en prenant des échantillons puis des baies, les bandeaux, corniches et pour la
en les comparant à ceux prélevés sur les édifices est sculpture. Des croquis sont levés pour repérer les
encore la seule utilisée de nos jours pour connaître dispositions de chaque faciès dans le bâtiment. Le cas
l'histoire des sites d'extraction d'une part, pour idéal étant d'avoir un relevé précis ou de bons tirages
comprendre l'histoire architecturale des monuments photographiques pour reporter les observations. De
historiques d'autre part (blanc et ai, 1991). Les petits échantillons sont parfois prélevés (quand c'est
académiciens avaient bien compris cette problématique en possible) pour l'observation en laboratoire, à la loupe
visitant les édifices anciens : " les premières assises de binoculaire et en lames minces au microscope. Ici
l'église (de Royaumont) sont de pierres de Vergelé très intervient notre collection de 2 300 échantillons
dur, comme aussi les colonnes qui servent de meneaux prélevés sur 320 coupes géologiques dans les
aux vitraux. Tout le reste est de haut-appareil de pierre anciennes carrières de Paris et de ses environs. Ces
142 La pierre dans la ville antique et médiévale

échantillons et leurs lames minces servent de Les qualités du Liais sont connues au Louvre de
référence. Philippe-Auguste. Les calcaires qui ont été utilisés
Les résultats des observations sur les monuments pour la construction de ce château-fort parisien ont
conduisent à montrer l'évolution des connaissances été étudiés au cours du dégagement de l'édifice, avec
des carriers et des bâtisseurs sur les propriétés des les archéologues de la Commission du Vieux Paris.
différents types de calcaire et leur utilisation dans les Les pierres des différentes tours et courtines
monuments anciens. proviennent des Lambourdes et des Bancs francs des
carrières de Paris. Par contre, le parement du donjon
Évolution des connaissances sur la pierre royal est en Liais, ce qui montre que cette tour devait
être particulièrement résistante. Les murs de
Un des rares monuments antiques bien conservés contrescarpe du fossé du donjon sont en calcaires tendres.
à Paris est celui des thermes, situé à l'angle des Sur certains chantiers, il semble que la
Boulevards Saint-Michel et Saint-Germain. Les murs connaissance des qualités mécaniques des calcaires et leur
sont édifiés en moellons de calcaire tendre issu des bonne utilisation dans le bâti aient été méconnues.
Lambourdes, mélangés à des blocs de divers bancs. Un exemple pouvant illustrer cette constatation est le
Pour le parement, en petit appareil, il est visible bâtiment des moines restant du couvent des
qu'un choix a été fait en connaissance de cause, Bernardins, rue de Pontoise dans le 5e arrondissement
parmi les calcaires les plus résistants des anciennes (blanc et ai., 1985). Les parements des murs sont
carrières parisiennes : les Bancs francs et le Liais édifiés en calcaires des différents bancs (Lambourdes
(BLANC et LORENZ, 1994). et Bancs francs) et les contreforts sont eux aussi
À Notre-Dame, les observations à l'intérieur de montés avec du Liais, des Bancs francs et des
l'édifice ont été faites au moment du nettoyage sur Lambourdes, le tout posé sans aucun ordre logique.
une longue période de 1982 à 1987. La construction a
commencé par le chœur (milieu du XIIe siècle) ; Diffusion du Liais
l'utilisation des divers bancs des carrières parisiennes, en vers les grands chantiers de sculpture
particulier les Lambourdes, en assises régulières a été
reconnue. Les colonnettes des piles sont en assises et L'observation et l'étude des sculptures des portails
celles des arcatures des tribunes sont monolithes ; des cathédrales de Chartres, de Sens, des églises de
elles sont toutes deux en calcaire à milioles et à céri- Provins, de Saint-Loup-de-Naud, de Rampillon, de
thes du type Bancs francs (blanc et lorenz, 1990). Rozay-en-Brie, de Donnemarie-Dontilly et celles du
Au cours de la construction de la nef, le choix des Senonais comme Villeneuve-P Archevêque, ont
pierres a légèrement changé ; le Liais a été utilisé au montré que le Liais des anciennes carrières
mieux de ses possibilités pour faire les colonnettes parisiennes avait été largement utilisé dès le XIIe siècle
en délit des arcatures des tribunes, pour les faisceaux (Fig. 17 ; blanc et lorenz, 1988). Les sculptures de
de colonnettes entourant les piliers des deux côtés de ces portails sont en calcaire lutétien fin et dur à rares
la nef (fin XIIe siècle), puis les meneaux et remplages cérithes et petites milioles que seules les anciennes
des fenêtres du XIIIe siècle (BLANC et ai, 1991). La carrières de Paris ont pu produire. Le reste des
sculpture des portails a aussi utilisé le Liais en édifices est en calcaire ou en grès des carrières locales :
majorité. calcaires lacustres de Beauce et d'Étampes, calcaires
L'observation des prélèvements des Lambourdes lacustres de Brie et de Provins, Grès de
de la nef révèle la présence de nombreux restes de Fontainebleau (OBERT et estrade, 1996). Seule l'étude
fructifications de characées (végétaux des eaux géologique des monuments a pu révéler l'importance du
douces et saumâtres). Ces fossiles, indiquant la transport de la pierre, sur des distances de plus de 80
proximité d'un rivage, sont fréquents dans tous les km au début du XIIe siècle. Dans le cas de la
niveaux des carrières de Charenton-le-Pont et de cathédrale de Sens, il est évident que la pierre a circulé par
Saint-Maurice, sur la rive droite de la Seine (groupe la Seine et l'Yonne, à contre-courant. Il reste à
de carrières dit de " Charenton "), mais sont trouver la raison de ce choix très onéreux alors que
inconnus dans ces niveaux à Paris même. Il est donc des carrières de calcaire jurassique se trouvaient en
probable que ce soit les carrières de la rive droite amont d'Auxerre et auraient pu expédier la pierre à
de la Seine, situées en amont de l'île de la Cité, qui moindres frais vers Sens. Y avait-il une interdiction
aient fourni la pierre du chantier de la nef de Notre- de commerce entre l'évêché de Sens et le Duché de
Dame. Bourgogne ? (cailleaux, 1997).
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en oeuvre 143

[zm 2

CH 3

ETAMPES
CHARTRES , .^ SENS
V// 6

Fig. 17: Carte schématique du Bassin parisien montrant les sites d'utilisation du Liais de Paris loin des zones
d'affleurement des calcaires lutétiens.

liais de Paris
Fig. 18: Église Saint-Séverin à Paris, croquis calcaire de Marly-la-Ville (restauration)
montrant la répartition des différents calcaires
lutétiens autour de la petite porte côté sud de la nef. 1
pierre remplacée ; 2 calcaire fin à milioles, pierre Fig. 19: Notre-Dame de Paris, tympan du portail
:

de Paris 3 calcaire à milioles, pierre de Paris 4 : central de la façade occidentale. Croquis


:

calcaire dur à cérithes, pierre de Paris 5 calcaire indiquant l'emplacement du Liais et du calcaire de
;
:

à Ditrupa, pierre de Saint-Leu. Marly-la-Ville en restauration.


;
:
144 La pierre dans la ville antique et médiévale

Mise en évidence de l'exploitation à ciel ouvert Concorde etc.. sont également en Pierre de Saint-
Leu. L'utilisation massive de cette pierre révèle
Dans certains édifices des XIIe et XIIIe siècles à d'une part que les carrières parisiennes ne pouvaient
Paris, l'utilisation du Banc de roche a été mise en plus fournir une quantité suffisante de pierre pour
évidence. C'est le cas dans le mur de l'enceinte de alimenter ces grands chantiers et d'autre part, que les
Philippe- Auguste, dans les fondations des piles ouest architectes avaient une nette préférence pour ce
de Notre-Dame et du chœur de Saint-Martin-des- calcaire tendre, facile à travailler, avec des hauteurs
Champs. Ces blocs provenant du Banc de roche, qui d'assises supérieures à celles des calcaires parisiens.
sert de ciel dans les carrières souterraines, nous
révèlent qu'ils ont été extraits dans des carrières à Mise en évidence des restaurations anciennes
ciel ouvert. On peut en déduire qu'aux XIIe et dans les monuments
XIIIe siècles, les carrières de Paris étaient encore à
l'air libre et que l'exploitation en galeries est À Notre-Dame de Paris, le Liais utilisé pour la
postérieure. sculpture des portails est un calcaire fin et dur
reconnaissable à la loupe. Après le nettoyage de 1969,
Au XIVe siècle, arrivée de la pierre un échafaudage a permis par l'observation des pierres
de la vallée de l'Oise du tympan du portail central de la façade occidentale,
de distinguer les éléments anciens en Liais de ceux
Le Calcaire à Ditrupa de la vallée de l'Oise arrive à qui avaient été refaits au siècle dernier. Ce portail a
Paris au XIVe siècle. Les architectes de l'Académie été modifié au XVIIIe siècle par Soufïlot, pour
Royale, le distinguent facilement des calcaires supprimer le trumeau et créer un arc à la place des
parisiens, en particulier à l'église Saint-Séverin qui est le registres inférieurs du tympan. Au milieu du XIXe siècle,
premier édifice visité, le 11 juillet 1678: "Comme E. Viollet-le-Duc a restitué la composition originale
cette église a été accreue et beaucoup augmentée en de ce portail (taralon, 1991). Pour refaire le linteau
différens temps, il est mal aisé déjuger ce qui peut rester et les sculptures le surmontant, il n'était plus possible
de sa première fondation. Ce que l'on a seulement de trouver des blocs de Liais de Paris. Il a été choisi
remarqué, c'est que les pierres qui sont les premières un calcaire fin des anciennes carrières de Marly-la-
employées et qui paroissent les plus vieilles, sont pierres Ville. Ce calcaire fin et le Liais d'origine ont pu être
dures de Paris. cartographies avec précision (Fig. 19).
Considérant l'élévation de l'église du costé du
cimetière qui regarde le midy, on a veu qu'il y a de la pierre Interprétation et vérification des textes
dure et du Saint-Leu ; que ce qui est de pierre dure est sur le terrain ou sur les monuments
fort gasté par le temps, la pluye, et que la pierre tendre
qui est de Trossy, de haut appareil, se trouve saine et Si les écrits et les dessins laissés par E. Viollet-le-
entière jusques aux moindres moulures... ". Duc au sujet des restaurations à Notre-Dame de
Ce texte est confirmé par le croquis levé sur place Paris sont facilement vérifiables sur le monument, il
en 1997, près de la porte méridionale (Fig. 18). On y est des cas plus anciens où les textes sont difficiles à
remarque que les hauteurs des assises en calcaire à comprendre. Deux textes anciens, en latin, au sujet
milioles des carrières parisiennes sont de 30 à 40 cm, de fourniture de pierre à Saint-Denis et à Laon n'ont
alors que celles en Calcaire à Ditrupa (Banc de Saint- pas pu nous éclairer.
Leu provenant de Trossy d'après les académiciens) Le premier est un passage du De consecratione de
ont entre 40 et 65 cm. Les calcaires de Saint-Leu et de Suger indiquant qu'une carrière, près de Pontoise,
Trossy ont eu beaucoup de succès à Paris à partir du aurait fourni la pierre des colonnes monolithes.
XVe siècle. Les églises de Saint-Méri, de Saint- Malgré les recherches de toute l'équipe (lorenz et
Eustache, de Saint-Germain-l'Auxerrois, de Saint- viré, 1996), avec les textes et dans les carrières,
Protais-Saint-Gervais, de Saint-Étienne-du-Mont, de l'origine des colonnes reste mystérieuse.
Saint-Louis-en-1'île sont en partie ou entièrement en Le deuxième texte est le don d'une carrière de
Pierre de Saint-Leu. À l'époque classique, le Louvre, pierre du seigneur de Chermizy au chapitre de Laon,
les Invalides, les hôtels particuliers (Palais Bourbon, pour la construction de la cathédrale en 1225. La
hôtel de Lassais, hôtel d'Évreux), la plupart des carrière se situait-elle sur l'actuelle commune de
façades des immeubles du centre de Paris, l'École Chermizy ? L'acte de 1225 étant écrit au passé,
Militaire (montagne et gély, 1993), la place de la s'agissait-il de la construction du XIIe ou du XIIIe siècle ?
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre 145

Dans ces deux cas, les textes ne sont pas assez Une première étape du travail a montré qu'il était
précis pour apporter des certitudes au sujet des possible de distinguer les calcaires lutétiens issus des
carrières ayant fourni les pierres des monuments. Les anciennes carrières de Paris, de Charenton-le-Pont,
précisions ne peuvent être apportées que par d'Arcueil, de Conflans-Sainte-Honorine, de Car-
l'observation des pierres, bloc par bloc, à l'extérieur et à rières-sur-Seine, de Saint-Ouen-1'Aumône et de
l'intérieur des bâtiments. Noyon (HOLMES et ai, 1986 ; HOLMES et HARBOTTLE,
À l'époque classique, le devis de construction de 1994). Ensuite des prélèvements sur les sculptures de
l'église des Invalides détaille la qualité et l'emploi des Notre-Dame de Paris, de Senlis, de Noyon et de
pierres : moellons durs des carrières des Faubourgs Reims ont montré que les calcaires de ces
Saint- Jacques et Saint-Germain à la base, parements monuments se distinguaient les uns des autres d'une part,
intérieurs en pierres de Trossy et tous les parements et que ceux de Notre-Dame de Paris étaient très
extérieurs en Pierre de Saint-Leu (guini-skliar, proches des calcaires des anciennes carrières de
1998a). Ici le texte est très clair et la visite des Charenton-le-Pont d'autre part (blanc et gély, 1997).
bâtiments des Invalides montre que les directives de L'identification des pierres des monuments
Mansart ont été suivies. (blanc et lorenz, 1987) et la recherche de leurs
carrières d'origine apportent des arguments décisifs
aux archéologues et aux historiens pour mieux
Techniques complémentaires pour distinguer comprendre l'histoire de la construction d'un édifice
les calcaires fins et homogènes avec les différentes phases du chantier et pour
distinguer entre pierre de restauration et pierre ancienne
Les géologues émettent parfois des réserves sur quand les sources documentaires sont manquantes
les indications peu précises des textes anciens sur ou imprécises. De plus, l'évolution des techniques de
l'origine des pierres des monuments. Ils ont raison taille et de pose de la pierre, en fonction des
dans certains cas, mais on peut aussi mettre en doute connaissances des bâtisseurs, est mise en évidence. Pour le
leurs déterminations lorsque les faciès et les transport de la pierre, si les géologues peuvent
microfaciès des pierres de différentes origines sont montrer les distances parcourues entre zone d'extraction
semblables. et monument, il reste aux archéologues et aux
Par exemple, nous affirmons que le Liais des historiens à proposer des hypothèses sur les moyens de
anciennes carrières de Paris a été utilisé pour les transport, l'état du réseau routier et des voies
sculptures des portails de Chartres et que par contre, à navigables, l'importance des circuits commerciaux...
Reims, à Senlis et à Noyon, les pierres statuaires, de A.B., J.P.G. et D.O.
faciès identique à celui du Liais de Paris, proviennent
pourtant de carrières locales. Il a donc fallu trouver
une autre technique pour distinguer ces calcaires CIRCULATION ET TRANSPORT
durs, fins et homogènes. DE LA PIERRE DE PARIS AUX ÉPOQUES
Nous avons fait appel au dosage des éléments en MÉDIÉVALE ET MODERNE
trace dans les roches, technique moins susceptible
d'être taxée de manque d'objectivité que Pendant des siècles, le calcaire du Lutétien, aussi
l'observation à la loupe et au microscope. En effet, les études bien celui de Paris et de ses environs immédiats que
pétrographiques sur les calcaires fins et homogènes celui de la vallée de l'Oise a alimenté les chantiers de
comme le Liais étant limitées, notre équipe s'est construction de Paris mais aussi de tout un espace
associée avec des chimistes américains du Brook- dont l'étendue a sans doute varié au cours des
haven National Laboratory qui ont mis au point une siècles. Les Romains, qui ont largement utilisé le
technique de dosage des éléments en trace par calcaire parisien pour édifier les bâtiments publics de
activation neutronique. Il suffit de prélever un gramme de Lutèce tels que les Arènes et les thermes de Cluny
poudre. Ainsi, nous avons pu prélever des ont-ils employé la voie d'eau pour transporter les
échantil ons non seulement dans les carrières mais aussi sur pierres extraites ? La présence d'un quai abandonné
les sculptures déposées dans les musées ou sur les sans doute à la fin du Ier siècle de notre ère serait la
monuments en cours de travaux. Cette technique preuve d'une exportation temporaire de la Pierre de
demande cependant un vaste échantillonnage pour Saint-Leu par la voie d'eau (DURVIN, 1971). À Paris
obtenir une base de données fiable sur les anciennes même, la question reste pour l'instant sans réponse
carrières. assurée, l'exploitation s'effectuait alors surtout à
146 La pierre dans la ville antique et médiévale

partir des affleurements perceptibles sur les versants précisent. Depuis quelques années les recherches
de la vallée de la Bièvre, il est très possible que les menées sur l'extraction et l'utilisation de la pierre à
carriers aient embarqué sur des embarcations légères bâtir ont multiplié les dépouillements de sources
le produit de leur travail pour atteindre la Seine mais comptables et les données touchant son transport se
aucun document ne confirme cette hypothèse très multiplient. La brève synthèse proposée aujourd'hui
plausible. Si les Gallo-Romains ont employé la voie risque d'être très vite périmée (cailleaux, 1994;
d'eau pour transporter les calcaires du Lutétien, ces LARDIN, 1995 ; GUINI-SKLIAR, 1998a ; DUJARDIN, 1998).
transports semblent s'être limités dans le temps et La Seine et ses affluents constituent un réseau de
dans des espaces restreints. Au Moyen-Âge, en communication de première importance mais non
revanche, le calcaire parisien se retrouve largement sans défauts. Les bateaux chargés de pierre
répandu dans un territoire qui va de Rouen à pouvaient à partir de Paris remonter ou descendre la
Auxerre et de Chartres à Provins avec des Seine, emprunter l'Oise, la Marne, l'Yonne ou le
concentrations particulièrement fortes dans les vallées de la Loing. Mais la navigation médiévale possédait des
Seine et de ses affluents. Les monuments l'attestent caractères radicalement différents de ce qu'est la
mais les textes apportent des données plus précises. circulation fluviale actuelle. Grâce à des bateaux de
En effet, l'identification d'une pierre sur un bâtiment petite dimension, il était possible, et alors rentable,
peut donner des renseignements indispensables sur d'emprunter des cours d'eau de bien moindre
son origine mais elle ne permet que de bâtir des importance. Il est maintenant attesté que la Bièvre a porté
hypothèses quant aux moyens de son transport. Il des bateaux chargés de pierre (blanc et lorenz,
faut donc recourir aux documents écrits. 1996) ; par ailleurs, il est probable que l'Yvette ait
Les sources les plus riches concernant le aussi servi au transport de matériaux lithiques, en
commerce parisien au Moyen-Âge et au début de particulier de grès. Cependant la navigation ne
l'époque moderne, celles qui proviennent de présentait pas que des avantages et les conditions
l'organisation spécifique du commerce parisien, sont variaient d'un cours d'eau à l'autre. Les voies
muettes ou presque pour tout ce qui touche à la fluviales n'avaient pas reçu les aménagements qui se
pierre. Un privilège connu par une charte de Louis sont multipliés au XIXe siècle et au XXe siècle.
VII de 1171, renouvelant un acte antérieur de son L'Yonne à la pente plus forte que les affluents de rive
père, accordait aux Parisiens le monopole du trafic droite nécessitait d'employer pour la remontée des
sur la Seine entre Paris et Mantes. Tout commerçant efforts tout particuliers et des bateaux plus
étranger à la ville désirant expédier par voie d'eau des légèrement chargés. En 1505-1506, un voiturier par eau dut
produits dans la ville devait passer un accord avec un abandonner environ un tiers de son chargement à
Parisien affilié à la Hanse des marchands de l'eau ou Montereau pour pouvoir conduire à Sens la Pierre de
à la Compagnie française, qui donnait au Parisien la Saint-Leu nécessaire à l'élévation de la croisée du
moitié des bénéfices. S'ajoutent pour certaines transept (cailleaux, 1994). Les méandres de la Seine
années du XVe siècle et du début du XVIe siècle, les rendaient l'utilisation de la voile très problématique
amendes perçues sur les contrevenants. Or jamais ces et il fallait utiliser la force des animaux ou celle des
textes ne font la moindre allusion au commerce de la hommes. Crues et étiages beaucoup plus marqués
pierre qui alimentait Paris alors que les grès de Brie qu'actuellement diminuaient le nombre de jours où
traversant Paris pour une destination plus lointaine les bateaux pouvaient naviguer dans de bonnes
sont taxés (favier, 1975). Force est donc de conditions. Des obstacles naturels gênaient la
rechercher ailleurs les documents concernant le transport navigation tels les rapides dus à la présence de barres
de la pierre vers Paris. Les comptes de construction rocheuses comme au pertuis de la Morue sur la Seine
et de réparations constituent de loin la source la plus en face de Bezons (N. RIMBERT, communication orale).
riche. Ils signalent souvent la qualité et la provenance Dans le cours de l'Oise, au niveau des grandes
à côté du prix et permettent parfois de saisir le coût et carrières de Saint-Leu-d'Esserent, un banc calcaire,
les modalités du transport. du Vergelé dur, créait une autre difficulté {cf. supra).
Malheureusement la documentation comptable À ces obstacles naturels se joignaient ceux que
est tardive et hormis quelques citations dans les l'homme avait mis en place. Les ponts en particulier :
comptes de la construction de Château-Gaillard ou là où le passage entre les arches accélérait la vitesse
du Louvre, les premiers textes intéressants ne du courant, il fallait dételer les bêtes, tirer à bras
remontent pas au-delà du XIVe siècle. C'est à partir les bateaux grâce à un équipement d'anneaux
du XVe siècle que les comptes se multiplient et se et de cordages, manœuvre qui alourdissait parfois
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre 147

considérablement le prix du transport (n. rimbert, celui qui a servi à Étampes a pu circuler sur l'Essonne
communication orale). Si à Paris les moulins laissaient à et la Juine (billot, 1989).
la navigation tout le bras qui longe la rive gauche et Il faut attendre le XVIIIe siècle pour connaître
une arche libre sous le Pont aux meuniers dans le avec précision les embarcations grâce aux
bras droit, s'il en allait de même à Pont-sur-Yonne le il ustrations de l'Encyclopédie qui donnent forme aux noms
moulin ne barrait qu'un bras de la Seine (J. rouil- cités dans les textes. Lors de la construction de
lard, communication orale), sur des rivières de moindre l'École Militaire, un des plus grands chantiers
importance les moulins pouvaient constituer des parisiens de la seconde moitié du XVIIIe siècle, des
obstacles infranchissables au passage des bateaux. bateaux ont apporté des tonnes de Pierre de Saint-
Les moulins du Roi, au sud de Sens empêchaient aux Leu (montagne, 1991). Il s'agissait essentiellement
bateaux chargés de pierre tout accès à la Vanne de " besognes " et de " marnois ". La besogne mesure
(ROUILLARD, 1996). Mais l'intérêt de la voie fluviale environ trente mètres et possède un immense
s'avérait tel que ces obstacles ont pu être surmontés gouvernail (Fig. 20). Le marnois, qui comme son nom
et que, partout où une possibilité apparaissait, le l'indique est une embarcation conçue pour la
transport par eau s'est imposé. navigation sur Marne, est un bateau parfois presque aussi
Aussi, l'essentiel du transport à longue distance long que la besogne, les plus grands mesurent
s'effectuait par la voie d'eau. C'est par la Seine que la 25 mètres, mais peu profond et étroit.
Pierre de Paris arrivait à Rouen, par la Seine et par Le port en lourd des besognes se monte à
l'Yonne qu'elle atteint Auxerre, par l'Oise et la Seine 450 tonnes lors de voyages de Saint-Leu à Paris dans
que la Pierre de Saint-Leu atteint Paris mais aussi de bonnes conditions (N. RIMBERT, communication
Rouen ; le trafic peut emprunter trois rivières voire orale). Lorsque l'eau manque, les bateaux doivent
plus : de Saint-Leu à Auxerre, les matériaux être moins chargés, ainsi les charges varient selon les
empruntent l'Oise, la Seine et enfin l'Yonne. Il est probable dimensions des bateaux et les conditions de
que le calcaire de la vallée de l'Oise, utilisé à Louviers navigation. Des charges de deux à trois centaines de tonnes
dans la construction de l'église Notre-Dame au ne sont pas rares dans le troisième quart du XVIIIe
XVe siècle ait descendu l'Oise et la Seine avant de siècle. Qu'en est-il auparavant? La documentation
remonter l'Eure, il est possible que le Liais parisien devient plus rare à mesure qu'on remonte le temps,
employé à Chartres ait suivi la même rivière et que les études aussi. Il faut notamment regretter ici

0 12 3 4 5 6 toises

Besogne

Fig. 20 : La besogne, bateau long d'une trentaine de mètres, d'après V Encyclopédie, ou


Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers par Diderot et d'Alembert.
148 La pierre dans la ville antique et médiévale

l'absence quasi totale de recherches sur le transport agglomérations. À Rouen, au début du XVe siècle,
de la pierre au XVIIe siècle, on peut cependant c'est l'Aublette, petit affluent de la Seine, qui sert à
estimer que les sources ne manquent pas. Les porter la pierre de la vallée de l'Oise vers la porte de
comptes de construction du transept de la cathédrale Martainville où des travaux ont lieu (richard, 1843 ;
de Sens, comme ceux de l'église des Célestins de la dujardin, 1998). À Paris, le chantier de réparation de
même ville fournissent de précieux renseignements la muraille entre la porte Bordelle et la porte Saint-
sur la circulation de la pierre à la fin du XVe siècle et Victor reçoit ses matériaux grâce à une " nacelle " qui
au début du XVIe siècle. Les bateaux utilisés a remonté le fossé sur la rive gauche. Dans cette ville
portaient le nom de " nacelles ", longs d'une vingtaine les comptes permettent d'apercevoir tout un trafic
de mètres, ils étaient étroits, leur largeur variait de 3 interne qui fait passer les pierres d'un lieu à un autre.
et 4 mètres, et peu profonds, environ 1 mètre (CAIL- Lors de la construction du pont de Juvisy, en 1504 et
leaux, 1994). Cependant les mésaventures du voitu- 1505, du Liais, stocké dans l'île-aux- Vaches, fut
rier obligé de laisser une partie de son chargement à embarqué pour le Port au Foin et de là conduit, par
Montereau laissent entendre que des bateaux voie d'eau selon toute vraisemblance, à Juvisy (guin-
nettement plus importants remontaient la Seine à défaut dollet, 1991). Si des textes normatifs indiquent,
de pouvoir s'engager dans l'Yonne. Leur charge aussi bien à Paris qu'à Rouen, des quais ou des ports
aurait avoisiné les 140 tonnes. À la même époque, attribués au trafic de la pierre (dujardin, 1998), en
des chargements comparables se retrouvent dans fait les bâtisseurs ont toujours cherché à limiter les
l'approvisionnement du château de Gaillon, la frais en débarquant les matériaux lithiques au plus
" batelée " s'échelonne de 90 à 130 tonnes. Quelques près de leurs chantiers. Le fait apparaît aussi bien au
décennies plus tôt, les rares renseignements chiffrés XVe siècle qu'au XVIIIe siècle. La construction de
dont dispose l'historien semblent indiquer des l'École Militaire a donné naissance à un port
bateaux de plus petites dimensions : les comptes de spécialisé dans la pierre à Grenelle pour décharger le
construction de l'hôtel de l'archevêque à Rouen calcaire de la vallée de l'Oise (guini-skliar, 1998a).
entre 1461 et 1465 citent 6 livraisons de Pierre de Ce choix du transport par eau s'explique par son prix.
Saint-Leu toutes de 54 tonneaux. Les données Même si le franchissement des ponts coûtait cher, il
antérieures sont encore plus difficiles à interpréter, un s'avérait plus rentable de faire traverser Paris en
bateau apporte à Rouen en 1352, 46 tonneaux de remontant la Seine au calcaire de Saint-Leu que de le
pierre mais on ne sait ni sa provenance ni si les débarquer en amont du Pont-au-Change pour le
matériaux lithiques constituaient son seul chargement transporter en charrette comme le prouvent les
(dujardin, 1998). Même si les précisions manquent, transports de pierre de la vallée de l'Oise jusqu'à la Tour
il est certain que la dimension des bateaux, donc de Billy (GUINDOLLET, 1991).
l'importance des cargaisons, s'est considérablement Au tournant des XVe et XVIe siècles, la pierre
accrue. À travers de trop rares exemples, on peut achetée à Saint-Leu pour la construction du transept
estimer que les cargaisons passent d'une soixantaine de la cathédrale de Sens valait environ 9 s. t. le
de tonnes au XIVe siècle à près de 150 au XVIe siècle tonneau, rendue sur place le même tonneau coûtait
pour atteindre 450 tonnes au XVIIIe siècle. entre 31 et 33 s. t. La valeur de la pierre avait été
La croissance des masses transportées a multipliée par 3,5. Le prix du transport représente ici
certainement nécessité une évolution des moyens mis en environ 70 %, voir plus, du prix de la pierre arrivée sur le
œuvre pour déplacer les bateaux. Malheureusement chantier. Dans le cas du Liais, pierre plus chère et
dans ce domaine, nous en sommes réduits aux venant d'un lieu de production plus proche, Paris, la
conjectures pour tout ce qui concerne les époques part du transport se montait seulement à environ
antérieures au XVIIIe siècle. Des chevaux halaient 20 % (cailleaux, 1985, 1994). Ces chiffres ne sont pas
alors les bateaux, accouplés deux à deux en des maxima. Lors de la construction de l'église des
"courbes ", selon le terme utilisé dans les comptes. Célestins de Sens, le coût du transport représente
Le nombre de courbes variait en fonction du trajet et plus de 78 % du prix sur le chantier sans tenir compte
de l'importance du chargement. Dans les passages de la traversée de Sens dont le coût reste inconnu.
difficiles, il fallait renforcer l'équipage. Les résultats provisoires obtenus pour le XVIIIe
Des bateaux de plus petite taille empruntent aussi siècle fournissent des chiffres très comparables. En
la voie d'eau, sans doute propulsés par la force moyenne, le transport, selon Nicolas Rimbert,
humaine. Ils servaient sur les affluents et les sous- représentait environ 65% du prix total de la Pierre de
affluents de la Seine ou à l'intérieur des grandes Saint-Leu rendue sur le chantier de l'École Militaire.
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre 149

Le trafic vers l'aval semble avoir été moins coûteux : tout aussi largement profité de la présence de la voie
dans l'état actuel de nos connaissances, d'eau.
l'augmentation de la taille des bateaux fluviaux ne semble pas P.B.
avoir été à l'origine d'une baisse remarquable de la
part du transport dans le coût de la pierre mais il
convient de poursuivre l'enquête. Les véhicules
portant la pierre avaient des noms variables, " CONCLUSION
charrette ", " chariots " ou " char " à Paris, " amyon " à
Sens. Les charrettes possédaient deux roues et L'étude des carrières nous donne une vision
portaient des masses d'environ une tonne. Il est complète d'une cité jusque dans les zones délaissées
possible qu'en certains cas des véhicules différents, à et considérées jusqu'ici comme lieu de rejet. Cette
quatre roues, aient été employés. vision complète a été rendue possible par
Sur terre, des transporteurs professionnels, voitu- l'interaction de diverses disciplines. L'étude géologique de
riers à Paris ou charretiers à Sens, assuraient une part fond (lithothèque, publication de coupes) a été
importante du trafic, mais non sa totalité. menée avec un rare souci du détail. L'étude
Intervenaient aussi des carriers, en particulier pour archéologique des zones d'extraction a été effectuée avec le
transporter les pierres de la carrière au bateau, des même souci lorsque les vides sont visitables ou
maçons, des laboureurs voire des professions les plus connus. Cette étude archéologique, au moins pour
diverses. En revanche, les transports par eau étaient les parties les plus anciennes, doit être menée
le fait de professionnels. Au XVIIIe siècle, de comme on le fait pour la surface habitable de la ville.
véritables entreprises se sont spécialisées dans le transport L'enjeu en a bien été compris par la Direction
de la pierre comme Leroux et Bordes (n. rimbert, régionale des Affaires culturelles de l'Ile-de-France : un
communication orale). travail, confié à l'un d'entre nous (M.V.), est en
Au cours des siècles qui vont de la construction de cours. Ce travail consiste à définir le contenu
Notre-Dame de Paris à celle de l'École militaire et du patrimonial des anciennes carrières, de manière à
Panthéon, le calcaire du Lutétien aussi bien celui de renseigner les services de la culture lors de la délivrance des
Paris et de ses environs que celui de la vallée de permis de construire. Ainsi peut-on espérer pouvoir
l'Oise, n'a cessé de circuler sur des distances qui un jour fouiller une carrière antique ou
dépassaient souvent la centaine de kilomètres. Ces mérovingienne en plein Paris.
transports se sont développés au cours des siècles à Nous avons aussi mis en évidence l'importance de
mesure que la demande s'accroissait et que les l'étude historique et monumentale. Cette étude
moyens mis en œuvre s'amélioraient. Une telle permet de connaître le rayon d'influence de la ville
diffusion lointaine de produits très lourds ne peut se par son commerce fluvial et terrestre. Une étude fine
comprendre que par la présence de la Seine et de son des environs de Paris, proches ou lointains, est
réseau d'affluents sur lequel les bateaux pouvaient amorcée. Nous recherchons l'usage de la Pierre de
naviguer malgré des obstacles certains. Paris dans le moindre petit village de la Brie, du Gâti-
La primauté du transport par eau des matériaux nais, du Hurepoix, etc. Cette étude, à peine
lithiques, sensible partout dans l'Europe médiévale commencée, nous apparaît porteuse d'intérêt. C'est
et moderne (salamagne, 1991), a sans doute une nouvelle dimension de l'histoire de la ville que
largement contribué à la diffusion de la Pierre de Paris, de nous découvrons : la définition d'une aire
la ville et de ses environs immédiats comme à celle d'influence d'une ville par la commercialisation de
de la vallée de l'Oise, mais l'ouverture de carrières a ses matériaux lithiques.

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:
152 La pierre dans la ville antique et médiévale

Planche 1 : Stratigraphie.
1 paroi d'une galerie de la
carrière souterraine de la

:
Brasserie sous le Bois de
Vincennes (12e
ar ondis ement de Paris) montrant â la
base les Lambourdes du
Lutétien moyen, le Banc vert
très laminé et dans la moitié
supérieure, le Banc de
Marche du Lutétien
supérieur (cliché J.-P. GÉLY).
2 le Calcaire à Ditrupa sous
son faciès typique montrant

:
les nombreux tubes de vers
et les coupes de Nummulite
laevigatus (flèche) (cliché
J.-P. GÉLY).
3 : carrière à ciel ouvert
moderne de Saint-Vaast-les-
Mello (Oise) montrant dans
la moitié inférieure le
Lutétien moyen exploité dans les
faciès de Saint-Leu, du
Vergelé et des Lambourdes,
et dans la moitié supérieure
le Lutétien supérieur, ici
impropre à toute
exploitation (cliché J.-P. GÉLY).
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre 153

1 : calcaire à milioles des Bancs francs, 4 : calcaire à Ditrupa, Banc de Saint-Leu,


Collège des Bernardins, Paris (cliché A. BLANC). Hôtel des Invalides, Paris (cliché A. BLANC).

2 calcaire fin à milioles du Liais, Collège 5 : calcaire a Ditrupa, Banc de Saint-Leu, carrières
des Bernardins, Paris (cliché A. BLANC). souterraines de Laon (Aisne) (cliché A. BLANC).
:

3 : calcaire tendre à milioles et Orbitolites complana- 6: calcaire à alvéolines et Orbitolites complanatus,


tus, Collège des Bernardins, Paris (cliché A. BLANC). carrières souterraines de Laon (Aisne) (cliché A. BLANC).

Planche 2 : microfaciès des calcaires lutétiens.


154 La pierre dans la ville antique et médiévale

1 : galerie de défermage en absence de toute fracture dans le 2 : défermages et arrachements en fonction de la présence de
Lutétien supérieur sous la rue L Thuillier (5e arrondissement de Paris) diaclases au niveau de chaque banc dans le Lutétien supérieur
(cliché D. OBERT). sous la rue Saint-Jacques (Ve arrondissement de Paris) (cliché D.
OBERT).

3 : réseau de fracturations d'un ciel de carrière du Lutétien moyen 4 entrée d'une carrière souterraine dans le Lutétien moyen à
à Isles-les-Meldeuses (Seine-et-Marne) (cliché J.-P. GÉLY). Trossy (commune de Saint-Maximin, Oise) montrant les parois de
:

l'accès guidées par de grandes diaclases (cliché J.-P. GÉLY).


Planche 3 fracturation et exploitation.
:
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre 155

1 : atelier du XVIIIe siècle, abandonné


en cours d'exploitation du Liais de
Paris, avec souchevage du Banc à lu-
cines, près de l'ancienne carrière
Chapelle (proche du n° 36 de
l'avenue du Général Leclerc, XIVe
arrondissement de Paris) (cliché J.-P.
GÉLY).

2 atelier médiéval, abandonné en


cours d'exploitation avec les déchets
:

du souchevage devant le front de


taille, sous le bastion NW du fort d'Ivry
(Ivry-sur-Seine, Val-de-Marne)
(cliché J.-P. GÉLY).

3 atelier probablement d'époque


Renaissance, abandonné en cours
:

d'exploitation avec la présence de


piliers à bras provisoires entre deux
niveaux de souchevage, sous le
bastion NW du fort d'Ivry (Ivry-sur-
Seine, Val-de-Marne) (cliché J.-P.
GÉLY).

Planche 4 : ateliers d'extraction de la Pierre de Paris.


156 La pierre dans la ville antique et médiévale

1 (en haut) : carrière sous le Séjour de Valois (XIIIe


et XIVe siècles), aujourd'hui l'Hôpital militaire du
Val-de-Grâce (Paris, 5e arrondissement) (cliché
M. VIRÉ).
2 (ci-contre) : front de taille dans l'une des
carrières des Chartreux (XIIIe et XVe siècles) ; le
souchevage tranchant à mi-hauteur le front de
taille est la première opération de l'abattage,
aujourd'hui sous la faculté de Pharmacie
(Université de Paris V) (Paris, VIe arrondissement) (cliché
M. VIRÉ).

Planche 5 méthode d'extraction.


:
La pierre de Paris : méthode d'étude de la pierre à bâtir depuis son extraction jusqu'à sa mise en œuvre 157

1 : ruines des installations d'un treuil


d'un puits d'exploitation d'une
carrière souterraine du XIXe siècle dans
les calcaires de Saint-Nom du Luté-
tien moyen à Chavenay (Yveiines)
(cliché J.-P. GÉLY).

2 : deux types d'extraction sur une


paroi de galerie de carrière
souterraine du XIXe siècle, dans les
Lambourdes (Jaulgonne, Aisne): à
gauche, le pic et à droite, la lance
(cliché J.-P. GÉLY).

3 : dessin des outils de carrier, daté


de 1844, dans la carrière souterraine
de Froidmont sous le Chemin-des-
Dames (commune de Braye-en-
Laonnois, Aisne) (cliché J.-P. GÉLY).

Planche 6 : archéologie des exploitations.


158 La pierre dans la ville antique et médiévale

Planche 7 pierre des monuments. 1 (en haut à gauche) : Paris, Cathédrale Notre-Dame, portail Sainte-Anne, sculptures du tympan en Liais de
Paris (cliché A. BLANC). 2 (en haut â droite) : Saint-Denis, Basilique Saint-Denis, porte des Valois, côté nord, construction en divers calcaires
:

lutétiens, sculptures en Liais de Paris (cliché A. BLANC). 3 (en bas à gauche) : Meaux, Cathédrale Saint-Étienne, portail côté sud, construction
en calcaires lutétiens des carrières des environs, sculptures en Liais de Paris (cliché A. BLANC). 4 (en bas à droite) : Chartres, Cathédrale
Notre-Dame, portail du bras sud du transept, construction en calcaire lacustre de Beauce (Pierre de Berchères) à patine blanche, sculptures
en calcaire fin lutétien du type Liais de Paris (cliché A. BLANC).

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