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Gérard Bailloud,
Christine Boujot, Serge Cassen,
Charles-Tanguy Le Roux

CARNAC
Les premières
architectures de pierre

CNRS ÉDITIONS
15, RUE MALEBRANCHE | 75005 PARIS

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CARNAC
Les premières
architectures de pierre
Collection PATRIMOINE
dirigée par Jean-Claude Golvin.

Notre-Dame de Chartres, Anne Prache, 2008


Notre-Dame de Reims, Patrick Demouy, 2008
Paris, genèse de la capitale, Philippe Velay, 2009
L’abbaye de Cluny, Dominique Vingtain, 2009

Couverture : les alignements de Carnac avec...


druides au premier plan.
Gravure du XIXe siècle par un artiste anonyme
(coll. de G. Bailloud)

Dépliant : dessins de Jean-Claude Golvin


les cartes assistées par ordinateur sont
l’œuvre de C. Boujot et S. Cassen

Conception : Bleu T

© CNRS ÉDITIONS, Paris, 2009


ISBN : 978-2-271-06833-0
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Sommaire

6
MÉGALITHES ET NÉOLITHIQUE
Édifices monumentaux
et premiers agriculteurs

12
HISTOIRE D’UN SITE

56
KERLESCAN, KERMARIO, LE MENEC
Alignements et enceintes
de pierres dressées

82
LE MENHIR ET LE TERTRE DU MANIO
Stèles « gravées » et tertres funéraires

114
LE DOLMEN DE KERMARIO
Les architectures funéraires
et le Mégalithisme

143
DÉNOUEMENT... À VENIR

147
ANNEXES

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Mégalithes et Néolitique
Édifices monumentaux
et premiers agriculteurs
Carnac, un des hauts lieux de la Préhistoire euro-
péenne, est aussi l’un des sites archéologiques français
qui frappe le plus l’imaginaire. La démesure de ces ali-
gnements, l’équilibre parfois miraculeux de ces blocs
énormes dont la masse peut atteindre plusieurs dizaines
de tonnes, l’environnement même de ces monuments
ont de tout temps suscité l’interrogation des curieux, des
voyageurs, des érudits et des artistes de passage.
En offrant une documentation trop souvent peu
accessible au grand public, nous voudrions dans toute la
mesure du possible éviter de reproduire les illustrations
ordinaires et certes familières, les commentaires habituels
et consacrés, peut-être aussi quelques lieux communs. Car
l’option adoptée tend à rendre sensible, dans le détail
parfois invisible, l’extraordinaire complexité d’un « phé-
nomène » vieux de 6000 ans, en apparence simple, et
qu’il est parfois tentant d’évoquer au seul niveau de l’ex-
ploit technique : soit en faisant appel aux manipulations
admirables de ces immenses dalles de granite, soit par le
recours au lancinant regret d’un savoir disparu, perdu à
tout jamais dans les landes balayées par le vent, et cela
peut être pire encore...
Nous verrons comment les chercheurs parviennent
à rendre cohérent ce qui peut paraître aléatoire dans la
disposition des pierres, comment ils restituent une logi-
que de construction dans un amoncellement de blocs, là
où tout semble pourtant chaotique, comment ils appré-
cient une évolution architecturale dans la longue durée
de l’histoire des sociétés humaines. Tout d’abord en rap-
pelant les principales étapes de la recherche archéolo-
gique qui ont permis d’accumuler les notes de terrain
et les objets recueillis en fouille, les théories successive-

6
M É GAL I T H E S E T N É OL I T I Q U E

ment élaborées et les hypothèses réfutées. L’état de nos


connaissances actuelles est bien entendu le résultat des
travaux de tous ces pionniers.
Mais avant tout, il nous faut résumer ici quelques
faits acquis dont la connaissance s’avère indispensable
à l’amorce de notre périple. Sans trop s’appesantir sur
le sujet, il est nécessaire de garder à l’esprit que l’envi-
ronnement naturel contemporain des alignements de
Carnac présentait de notables différences avec le nôtre,
à commencer par le niveau des mers, plus bas de 5 à
6 mètres par rapport à l’actuel. Cette modification des
lignes du rivage est une des conséquences du réchauf-
fement « naturel » du climat planétaire débuté voici déjà
plusieurs milliers d’années, réchauffement qui réduit le
volume des glaces accumulées aux pôles et alimente en
conséquence les océans. Un tel phénomène climatolo-
gique nous prive bien entendu des plaines littorales for-
mant autant de terroirs pour les sociétés humaines de
l’époque...

Le dolmen de Kermario
La photographie est prise de l’extérieur du monument,
devant l’entrée du couloir qui menait à la chambre funéraire.

7
Les Vikings
Stonehenge
TGV

Jules César

- 6000 - 5000 - 4000 - 3000 - 2000 - 1000 0 1000 2000


Introduction du blé Apparition
et de l'orge des objets
Anne
dans l'Ouest en cuivre
de la France et en or de Bretagne
Développement
de l’incinération
Premières Développement des tombes mégalithiques
Nécropoles de et des urnes
architectures en Bretagne
Téviec et Hoëdic funéraires Début
funéraires
en Morbihan de l’ère chrétienne
monumentales

8
à Carnac
Courant
méridional
Paléolithique ou atlanto- Mésolithique Néolithique Âge du Bronze Âge du Fer
méditerranéen
Courant
Invention Grandes pyramides Début Les Celtes

ION
oriental Première
de la roue en Egypte des écritures en Europe
ou

ISAT
métallurgie alphabétiques

ITH
« Arrivée » danubien de l’or
en Bulgarie

ÉOL
de la céramique

N
et du mouton
domestique
dans le sud
de la France Domestication
par le bassin du cheval dans
méditerranéen les Steppes Pontiques
Chronologie
M É GAL I T H E S E T N É OL I T I Q U E

Ensuite, le cadre chronologique ou chrono-culturel


doit être évoqué : l’époque est celle dite du Néolithique
et la tranche historique qui voit le développement de
ces monuments, sur les bords de la baie de Quiberon,
est comprise entre 4500 et 3000 ans av. J.-C. L’Ouest de
la France est alors l’une des rares régions d’Europe où
se rencontrent les principaux courants de diffusion des
idées et des techniques « néolithiques ». Ici vont s’interpé-
nétrer des traditions issues d’Europe centrale et d’autres
en « remontée » depuis le bassin méditerranéen. Cela
se traduit, pour les populations indigènes d’Armorique,
par l’adoption d’espèces végétales et animales domesti-
ques inconnues des biotopes régionaux : le blé, l’orge, le
mouton permettent ainsi la naissance d’une agriculture
céréalière et d’un élevage sur les terres limoneuses les
plus favorables. En parallèle à cette mise en place d’une
économie de production, l’homme se sédentarise : le ter-
ritoire « sauvage » et les parcours de chasse, de préda-
tion, font progressivement place à des espaces de plus
en plus modifiés par l’homme. La structure sociale des
groupes humains semble changer elle aussi; les ressour-
ces tirées de la terre sont stockées, gérées, contrôlées,
redistribuées selon des processus générant parfois de fla-
grantes inégalités sociales qui prennent ainsi le pas sur
le partage plus ou moins égalitaire reconnu pour la très
longue période précédente. C’est ici que débute l’his-
toire des architectures de pierre de Carnac...
Les alignements de menhirs sont à Carnac, à Erdeven,
à Quiberon, à Locmariaquer, les manifestations les plus
visibles, les plus démonstratives d’une certaine com-
munauté de pensée et d’action à l’échelle de l’Europe
préhistorique. Les archéologues l’ont appelée, par com-
modité langagière, le Mégalithisme, rendant ainsi par
l’étymologie du mot cette commune volonté de soule-
ver les rochers et de construire les premières grandes
architectures en pierre; c’est donc naturellement par
l’intermédiaire des monuments de Kerlescan, Kermario,
le Menec, que débutera la description moderne de ces
monuments.

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C ARN AC

0 1 km

0-10 m
10-20 m Le tertre de
20-25 m Kerlescan
25-30 m Le Petit-Menec
Le «Quadrilatère» du Manio

La
N

Le tertre Kerlescan

R ivière de C
du Manio

Kermario

rac
Le dolmen de

'h
Le dolmen de Kercado
Le Menec Kermario

Alignement
Le tumulus St-Michel
Principaux monuments
CARNAC funéraires

Les alignements de Carnac


Carte simplifiée d’implantation des alignements
et des principaux monuments funéraires de Carnac.

Mais le lecteur se rendra vite compte que l’on ne peut


éclairer la mise en place et l’évolution de ces files de
pierres dressées sans prendre en considération d’autres
constructions de terre et de pierre découvertes sur
les mêmes terrains, véritables monuments funéraires
en connexion plus ou moins lâche avec ces files de
menhirs : tel est le cas du tumulus du Manio qui nous
servira de repère. Et les enquêtes effectuées auprès de
ces tombeaux nous mèneront, par d’autres chemins, aux
grandes stèles gravées que le visiteur peut encore, de nos
jours, rencontrer au hasard d’une promenade. Enfin ces
dalles décorées parfois gigantesques, parfois si minces
et si réduites, fourniront matière à une transition idéale
avec l’autre grande famille de sépulcres de terre et de
pierre, les dolmens, qui se voient ou se devinent, ici et
là, et dont la variété de formes et de fonctions peut être
en partie décryptée. Notre propos s’appuiera ici sur le
monument de Kermario.
La place nous manque pour développer avec préci-
sion ce que des analyses fines nous permettent de saisir
de l’environnement naturel, de l’influence de l’homme
sur la végétation spontanée durant cette époque éloi-
gnée. De même, les habitations, les techniques des
potiers contemporains de ces monuments, l’exploitation
des roches rares, la diffusion, l’importation de certaines

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M É GAL I T H E S E T N É OL I T I Q U E

denrées, de certains produits de luxe ou de consomma-


tion courante, ne pourront être qu’évoquées. En déchif-
frant ces architectures de pierre, nous verrons cependant
comment un archéologue, à leur seule lecture, peut en
déduire une étonnante somme d’informations...
Par le biais des alignements et des tombeaux, beau-
coup sera donc malgré tout dit sur le quotidien de ces
sociétés : au même titre qu’un plan de maison en bois ou
qu’un outil en silex, ils participent tout autant à l’étude
d’une culture matérielle vieille déjà de 6000 ans. Les
structures sociales ou la pensée symbolique paraîtront
d’un abord bien plus difficile, mais peut-être pas insur-
montable...

11
Histoire d’un site
Tradition orale et tradition légendaire
Les pierres de Carnac, et singulièrement ses aligne-
ments, jouissent aujourd’hui d’une notoriété légitime
auprès du grand public, notoriété qui fait accourir les
foules estivales et a fini par rendre aigu le problème de
« l’érosion touristique » du site lui-même. Cette évolu-
tion est cependant récente, à l’échelle de la longévité des
mégalithes. Le tourisme de masse ne date que de quel-
ques décennies ; au XIXe siècle, Carnac n’attire que des
intellectuels ou des artistes ; les premières mentions des
pierres de la région de Carnac-Locmariaquer-Erdeven ne
sont pas antérieures à la deuxième moitié du XVIIIe siècle.
Au-delà, c’est le silence total. À défaut de mentions écri-
tes, peut-on se rabattre sur des traditions orales, suscep-
tibles de rétrécir, sinon de combler, le hiatus entre les
constructeurs et utilisateurs des mégalithes et les pre-
miers et bien tardifs témoignages écrits ?
Le morceau de choix, en ce domaine, est bien sûr la
légende de saint Cornely qui était, avec des variantes,
largement connue au XIXe siècle dans le sud du Morbihan.
Parcourant justement cette région, sans doute en évangé-
lisateur, le futur saint Cornely fut poursuivi par des sol-
dats païens décidés à lui faire un mauvais sort. Trouvant
l’océan devant lui, saint Cornely se cacha dans l’oreille
d’un des deux bœufs qui l’accompagnaient, et changea
en pierre la troupe de ses poursuivants. Ainsi seraient
nés les alignements de Carnac, au IIIe siècle de notre ère
si on accepte l’identification de saint Cornely au pape
Corneille. Si Cornely/Corneille est le patron de la paroisse
de Carnac, son culte se retrouve assez largement dans
une zone circonscrite du sud de la Bretagne, et singuliè-
rement en des paroisses, comme Languidic ou Plouhinec,
qui eurent autrefois des alignements de menhirs réduits
aujourd’hui à peu de chose. À côté de la liaison Cornely/

12
H I ST OI RE D ’ U N SI T E

alignements mégalithiques, la liaison Cornely/bœufs


permet-elle de remonter au-delà du IIIe siècle ? Bien des
auteurs ont tenté de franchir le pas, encore que la
lutte historiquement attestée de Corneille contre les
sacrifices d’animaux ait pu suffire à lui faire attribuer
le rôle de protecteur des troupeaux, et singulièrement
des bêtes à cornes. Les arguments ont été empruntés à
la linguistique (parenté entre Cornely et la divinité gau-
loise Cernumnos, voire Carnac, terrain glissant propre
au dérapage) ou à l’archéologie : trouvaille d’un bœuf en
bronze dans la villa gallo-romaine des Bosseno en Carnac ;
trouvaille d’ossements de bœufs lors des fouilles au tumu-
lus Saint-Michel à Carnac également. On pourrait y ajou-
ter la découverte toute récente de deux bœufs enterrés
sous le tumulus d’Er Grah à Locmariaquer. Saint Cornely
est-il la christianisation d’une divinité pré-chrétienne
(dieu-bœuf ?) et pourquoi pas pré-celtique ? Le croire ne
demande qu’un acte de foi.
À côté de l’hagiographie légendaire, la toponymie a
été également sollicitée pour y rechercher la trace de
très anciennes traditions. L’étymologie de Carnac à l’aide
de la racine pan-celtique carn, signifiant amas de pierres,
tertre, peut être considérée comme solide. Le toponyme
est bien attesté en Bretagne, en liaison avec des tumulus
ou cairns, autre forme du mot reprise au gaélique par
les érudits français. Les tertres propres à frapper l’ob-
servateur ne manquent pas à Carnac, à commencer par
l’imposant tumulus Saint-Michel, christianisé lui aussi.
Le terrain est en revanche beaucoup moins solide lors-
que du rapprochement déjà douteux Carnac-Cornely on
passe au breton karnel, ossuaire, pour faire de Carnac
et singulièrement des alignements un gigantesque cime-
tière. Bien des fausses étymologies de ce type ont été
sollicitées : ainsi pour faire évoquer une nécropole au
village de Kermario en jouant sur la ressemblance entre
les mots Mario (de l’anthroponyme Mary, toujours attesté
à Carnac) et marv (mort, en Breton), ou un crématorium
à Kerlescan ou Kerloquet (breton leskiñ, loskiñ, brûler).
Les noms des monuments eux-mêmes ne mènent pas très

13
C ARN AC

loin... Les alignements, s’ils sont appelés dans la légende


sudarded Sant Korneli (soldats de saint Cornely), étaient
dans le langage courant banalement appelés ar vein (les
pierres). Les dolmens et les restes de leurs tertres sus-
citent des toponymes purement descriptifs en Roc’h,
Crac’h, Manné, Cruc, Run. Pour leurs occupants, on
retrouve parfois l’avatar local des korrigans (kerioned,
krioned) : rien de bien original, ni qui puisse faire flairer
une tradition très ancienne. Quant à l’attribution à César
de tel ou tel monument, répétée à l’envi dans les écrits
du XVIIIe-XIXe siècle, il faut y voir plus une attribution semi-
savante qu’une véritable tradition populaire.

Les antiquaires du XVIIIe siècle


Après ce détour par l’oral, revenons à l’écrit. C’est au
milieu du XVIIIe siècle que les grosses pierres du sud du
Morbihan surgissent dans la littérature, de façon assez
fantomatique, avec l’érudit André-François Boureau-
Deslandes ; celui-ci mentionne dans plusieurs publi-
cations « des amas de pierres surprenants et où l’art
semble avoir quelque place », mais pour ajouter qu’il est
« comme démontré » que ce n’est pas le cas. On peut se
demander s’il a lui-même vu ce dont il parle : lorsqu’il
mentionne de 150 à 180 trilithes dans la région d’Auray-
Erdeven, il peut évoquer des informations concernant
les chambres mégalithiques (vues à travers le prisme de
Stonehenge ?). Le doute sur sa présence sur le terrain
s’accentue lorsqu’il dit que les habitants du pays appel-
lent ces pierres lie haven, mot breton certainement pas
en usage dans le Morbihan du XVIIIe siècle, et pris par lui
dans le dictionnaire breton-français de Le Pelletier qu’il
avait eu entre les mains (le terme existe effectivement
dans le Finistère).
Dans le même temps, des observations plus sérieuses
étaient faites par le président à mortier Christophe-Paul
de Robien, esprit curieux de tout ce qui concernait sa
province de Bretagne. Il se fixera près d’Auray au châ-

14
H I ST OI RE D ’ U N SI T E

teau de Plessis-Caër en 1729, et va s’intéresser de près,


à partir de cette date, aux monuments les plus visibles
de la région de Carnac, et surtout de Locmariaquer.
L’ensemble de ses observations, portant sur des domai-
nes très variés et sur toute la Bretagne, sera consigné en
un volumineux manuscrit, rédigé vers 1753-55, et publié,
avec quelque retard... en 1974 (Histoire ancienne et
naturelle de la province de Bretagne). Une planche
regroupe les dessins d’une dizaine de monuments néo-
lithiques : les sites les plus prestigieux de Locmariaquer,
quelques tombes mégalithiques de Crac’h et Quiberon,
et les alignements de Kermario à Carnac. L’ensemble est
qualifié d’antiquités gauloises, et c’est sous une forme
très dubitative que l’auteur évoque, à propos des aligne-
ments de Carnac, l’hypothèse d’un ancien cimetière.
De Robien cite sans la commenter favorablement une
opinion publiée en 1755, dans le Journal historique,
par l’officier du génie Royer de la Sauvagère ; celui-ci
fait des alignements de Carnac et d’Erdeven les vestiges
d’un camp romain, utilisé par César lors de la guerre
des Gaules. Le camp, dit-il, pouvait contenir 13 000 à
14 000 hommes, les menhirs garantissant tentes et bara-
ques contre les vents violents de cette région côtière. La
Sauvagère reprendra le même thème dans un ouvrage
publié en 1770 : Recueil d’Antiquités dans les Gaules,
ouvrage qui peut servir de suite aux Antiquités de feu
M. de Caylus.
Le comte Anne-Claude de Caylus avait cependant
vigoureusement réfuté, dans le tome VI de son Recueil
d’Antiquités paru en 1764, l’opinion de La Sauvagère
concernant les alignements de Carnac ; pour Caylus,
les alignements ne sont ni romains ni même gaulois,
mais sans doute dus à une population étrangère venue
s’établir dans le futur territoire vénète. Dès la fin du
deuxième tiers du XVIIIe siècle, les alignements de Carnac
ont acquis une bonne notoriété parmi les milieux éru-
dits. La première édition du Dictionnaire historique
et géographique de la province de Bretagne de l’ingé-
nieur-géographe Jean-Baptiste Ogée, parue en 1788-90,

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C ARN AC

à l’article Carnac, donne une description assez précise


de « ces pierres étonnantes dont les antiquaires ont tant
parlé ». Il prend ensuite parti, après force citations des
auteurs, pour l’opinion de La Sauvagère (camp de César)
contre celle de Caylus, mais l’étude se poursuit par un
texte dû au capitaine d’artillerie François de Pommereul
qui y voit, lui, « un monument religieux dû à la grossière
industrie des Celtes nos aïeux ».

Celtes et celtomanes
Les « Celtes nos aïeux » vont jouer un rôle de plus
en plus important dans la littérature pseudo-scientifique
française de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Les
effets du Romantisme, avec l’engouement pour les faux
poèmes d’Ossian, se conjuguent avec la virulente crise
de nationalisme français qui marque la Révolution et le
Premier Empire pour donner naissance au courant de
pensée dit celtomane. Il débute dans le domaine linguis-
tique avec les œuvres de Le Brigant, dans les décennies
1760-1790, puis s’y ajoute celui de l’archéologie avec
entre autres La Tour d’Auvergne et surtout Cambry, pre-
mier président d’une académie celtique qui fonctionne et
publie des Mémoires de 1804 à 1813. L’ouvrage de Malo
Corret de la Tour d’Auvergne intitulé Origines gauloises
(1792) ne parle de Carnac que dans une note infrapagi-
nale, mais sur un ton grandiloquent : il y soutient « d’après
une tradition constante parmi les Bretons » que la contrée
de Carnac était le lieu choisi par les druides de l’Armori-
que et de l’île britannique pour leurs assemblées généra-
les communes. La Table des Marchand de Locmariaquer
est également citée comme « autel druidique ».
L’ouvrage de Jacques de Cambry, Monuments cel-
tiques ou Recherches sur le culte des pierres, paru en
1805, consacre son premier chapitre à Carnac (lisez : aux
alignements) et propose une interprétation originale :
un « thème céleste », un zodiaque. Cinq grandes et belles
planches dépliantes accompagnent l’ouvrage, dont trois

16
H I ST OI RE D ’ U N SI T E

concernent les alignements dont les pierres sont surdi-


mensionnées par rapport aux personnages qui les accom-
pagnent : en magnifiant le monument, on exalte la force
et l’ingéniosité du peuple qui l’a élevé, les Gaulois, et par
là leurs descendants actuels, le peuple français.
La même année paraissait à Nantes une étude ano-
nyme intitulée Essai sur les monuments armoricains
qui se trouvent sur la côte méridionale du départe-
ment du Morbihan. L’auteur en était le comte Armand
Maudet de Penhouët, ancien officier de marine, émigré
et combattant royaliste lors des guerres de Vendée, qui
pour lors ne cherche pas à attirer l’attention sur lui. La
large utilisation qu’il fait d’Ossian rapproche à cette
époque Maudet de Penhouët des celtomanes. Il passe en
revue, et cite souvent in extenso, tout ce qu’ont écrit ses
prédécesseurs sur les alignements, procède à des com-
paraisons, en particulier à l’aide du travail de Pallas, dont
il cite les fouilles en Russie ; il indique, pour la première
fois, l’intérêt que pourraient représenter des fouilles pour
la compréhension des antiquités de Carnac. En atten-
dant, il opte pour les commentaires de César et identifie
menhirs et tumulus comme des monuments funéraires
élevés par les Gaulois en l’honneur de leurs compatriotes
tombés lors des combats qui ont marqué le siège et la
prise de Dariorigum (Vannes) par l’armée romaine.

Les premières fouilles archéologiques


en Morbihan
Au cours de sa longue carrière d’antiquaire, Maudet
de Penhouët eut par la suite plusieurs fois l’occasion
de changer d’avis sur les antiquités de Carnac. Lorsqu’il
publie, en 1814, ses Recherches historiques sur la
Bretagne, il prétend démontrer par des comparaisons
portant à la fois sur le domaine de la linguistique et celui
de l’archéologie monumentale l’établissement d’une colo-
nie phénicienne sur la côte sud du Morbihan. L’intérêt de
l’ouvrage est ailleurs : mentionnons d’abord six magni-

17
C ARN AC

fiques planches, dont deux montrent des monuments


ornés de gravures : la Table des Marchand et les Pierres
Plates à Locmariaquer ; Maudet cherche à interpréter les
gravures des Pierres Plates en faveur d’une origine phéni-
cienne de ses auteurs ; quant à la gravure de la Table des
Marchand, elle figure le monument en cours de fouille,
et la lithographie rend parfaitement sensible l’exis-
tence d’une stratigraphie visible en coupe. La fouille en

Les Pierres Plates à Locmariaquer


Planche publiée en 1814 par Maudet de Penhouët
montrant les gravures et le plan du monument mégalithique.

question, exécutée en juillet 1811, n’était pas le fait de


Maudet de Penhouët, encore qu’il y ait été convié en tant
que conseiller ; les initiateurs en étaient un groupe d’ha-
bitants d’Auray, dont l’animateur s’appelait Renaud, et
dont les activités n’ont guère laissé d’autres traces écri-
tes. Ils ont apparemment fouillé bon nombre de monu-
ments, dans le but d’y recueillir des trésors (des objets
en or) plus que dans l’optique d’une étude scientifique.
Maudet est le seul à avoir noté la présence d’objets pré-
historiques lors de ces fouilles : hache en silex et tes-
sons à la Table des Marchand, urne brisée aux Pierres
Plates. Dans les années 1820, la lecture d’un ouvrage
du Britannique Richard Colt Hoare sur les antiquités du
Wiltshire convertit Maudet à une nouvelle religion : la

18
H I ST OI RE D ’ U N SI T E

théorie de l’ophiolâtrie développée en Angleterre par le


Dr Stukeley (Mémoire sur les pierres de Carnac, 1824,
puis De l’ophiolâtrie, 1832) : les alignements sont deve-
nus la figure du zodiaque sous la forme d’un serpent, le
tumulus Saint-Michel la tribune du collège des prêtres y
ordonnant des processions et des illuminations.

Autels à sacrifices
et temples druidiques
Il est d’autres auteurs, dans les mêmes années, dont
les travaux méritent à plus juste titre de retenir l’atten-
tion. Le premier est le chanoine Mahé dont l’Essai sur
les antiquités du département du Morbihan parut en
1825. Son intérêt réside essentiellement du fait qu’il est
le premier essai d’inventaire global, commune par com-
mune, des monuments préhistoriques du département.
Homme de cabinet plus que de terrain, Mahé devait dis-
poser d’un important réseau d’informateurs, et lui-même

La première fouille en Morbihan


Gravure publiée en 1814 par Maudet de Penhouët illustrant
les premières fouilles archéologiques dans la chambre du dolmen
de la Table des Marchand, à Locmariaquer. Noter les différentes couches
stratigraphiques qui étaient encore conservées.

19
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C ARN AC

possédait une culture livresque approfondie dont il fait


étalage à tout propos. Mahé, se qualifiant lui-même de
« celte et quelque peu celtomane », reste dans la ligne de
ceux-ci en ce qu’il ne met pas en doute l’origine gauloise
de tous les monuments préhistoriques. Les dolmens sont
des autels, les menhirs des indicateurs de sépultures. À
Carnac, il voit dans le tumulus Saint-Michel un tombeau,
passe sur les dolmens dont il ne croit pas qu’ils soient en
grand nombre, et voit dans les alignements un temple
druidique, desservi par des druides dont les demeures et
les lieux d’assemblée se situaient dans les espaces vides
sectionnant les files de monolithes. Quant aux rites, « les
pierres de Carnac ont souvent été témoins des sacrifi-
ces inhumains des druides, souvent elles ont été rougies
du sang de nos semblables ». L’illustration, malheureuse-
ment, est quasi absente.
L’ouvrage du chevalier Christophe Paulin de la Poix
de Fréminville, Antiquités de la Bretagne-Monuments
du Morbihan, dont la première édition parut de 1827
à 1829, n’a pas le caractère d’inventaire systémati-
que du livre du chanoine Mahé. Dans le domaine de la
Préhistoire, il concerne seulement la zone Locmariaquer-
Carnac-Erdeven-Plouhinec, zone qui concentre, il est vrai,
la majorité des mégalithes du département. L’essentiel
de la documentation sur cette région a été obtenu lors
d’un voyage effectué en 1814, et en partie en compagnie
du meilleur connaisseur du terrain à l’époque, Joachim
Renaud, négociant à Auray puis député, que nous avons
déjà vu fouiller à la Table des Marchand, et qui avait vidé
les Pierres Plates. La relation et les descriptions assez
précises des monuments visités que l’on trouve dans
l’ouvrage de Fréminville atténuent le regret de ne rien
avoir de la main de Renaud. L’ouvrage est abondamment
illustré par 14 planches dépliantes, regroupant chacune
plusieurs monuments dont les dessins et les dimensions
sont exacts et ne font pas de concession au pittoresque
romantique. Deux plans des alignements de Carnac et
Kerzhero (Erdeven) méritent moins d’éloges, quoique
supérieurs à leurs rares devanciers. Les interprétations

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H I ST OI RE D ’ U N SI T E

sont peu originales. Les alignements sont les tombeaux


de guerriers tués lors d’une bataille mémorable, le tumu-
lus Saint-Michel est probablement la sépulture du chef
qui commandait l’armée.
L’iconographie des monuments mégalithiques du
Morbihan tente plus d’un artiste dans les années 1820-
1830. Signalons les très belles lithographies de Jorand,
dont la série de planches Monuments druidiques ou
celtiques est datée de 1823. On les retrouvera dans les
Mélanges d’archéologie publiés par Sébastien Bottin en
1831, avec un commentaire par Jorand des 25 planches,
dont la grande majorité concerne des monuments de
Carnac et de Locmariaquer.

Les alignements de Carnac


Sur cette gravure de Hugrel, datée de 1861, les
proportions du site ne sont nullement respectées.

Vers une description scientifique


des mégalithes
Non moins remarquables, par leur qualité et leur pré-
cision, sont les dessins faits en 1834 à Carnac par deux
Anglais, Alexandre Blair et Francis Ronalds ; ils furent
publiés à Londres en 1836 dans un petit album intitulé

21
C ARN AC

Sketches at Carnac, Brittany, in 1834. Les 24 dessins


de Ronalds concernent presque tous des monuments de
Carnac et des communes voisines ; animés par des per-
sonnages à l’échelle correcte, ils ont quasi la précision
d’un cliché photographique. Les deux plans publiés en
tête d’ouvrage représentent aussi, par leur précision, un
grand progrès sur leurs prédécesseurs. Les auteurs ont
utilisé un relevé topographique fait par un professionnel
britannique, Murray Vicars, en 1832. Celui-ci avait été
amené en Bretagne par l’antiquaire John Bathurst Deane,
au cours de sa seconde visite à Carnac ; celle de l’année
précédente, qui réunissait Deane et Maudet de Penhouët
sous l’égide de l’ophiolâtrie, avait dû être écourtée en
raison de la surveillance importune des mouchards de la
police louis-philipienne, craignant de voir dans la rencon-
tre d’un légitimiste notoire et d’un Anglais sur les lieux
mêmes du débarquement anglo-émigré de 1795 les pré-
misses d’une tentative de restauration de Charles X. Il
faudra attendre 1878 et la traduction française de Rude
stones monuments de James Fergusson pour que le plan
de Murray Vicars, sous une forme simplifiée, soit publié
en France.
À partir de 1835, l’intelligentsia parisienne commence
à s’intéresser aux mégalithes morbihannais ; la Bretagne
devient à la mode et il est de bon ton d’y aller en voyage.
La marche est ouverte par Prosper Mérimée en 1835, dans
le cadre d’une mission officielle liée à la toute nouvelle
charge d’inspecteur général des Monuments historiques,
dont il était alors le titulaire. Le rapport de mission parut
en 1836 sous le titre : Notes d’un voyage dans l’Ouest
de la France. Dans la lettre introductive au ministre de
l’Intérieur, Mérimée s’en prend aux antiquaires bretons
et étrangers dont les travaux sur les pierres dites celti-
ques ou druidiques s’appuient sur l’imagination plutôt
que sur des observations exactes et affirme qu’il évitera
de tomber dans de semblables erreurs. De fait, ses notes
sur Erdeven, Carnac et Locmariaquer sont essentiellement
descriptives, précises et assez détaillées, et s’il réfute les
théories ophiolâtriques alors en vogue, il n’en propose

22
H I ST OI RE D ’ U N SI T E

pas de son cru, se bornant à voir des temples dans les


divers alignements. Le plus nouveau dans l’ouvrage de
Mérimée concerne Gavrinis, dont la chambre et le couloir
avaient été vidés et rendus accessibles en 1832.
Les Voyages pittoresques et romantiques dans
l’ancienne France, d’Isidore Taylor, Charles Nodier et

Objets de prestige
En haut, collier en perles de variscite trouvé dans la sépulture
de Tumiac en Arzon (musée de Vannes).
En bas, hache polie en jadéite découverte dans le tumulus
Saint-Michel, à Carnac (musée de Carnac).

Alphonse de Caileux, dont les deux volumes consacrés


à la Bretagne paraissent en 1845, sont surtout à retenir
pour leur très belle et très riche illustration, due au talent
des artistes Ciceri, Dauzats, Gaucherel ou Guyesse. Belle

23
C ARN AC

invitation au voyage, que vont suivre en 1847 Gustave


Flaubert et Maxime du Camp dans une escapade de trois
mois en Bretagne, avec passage obligé, bien sûr, par
Carnac. Le compte rendu de ce voyage, pour la partie
rédigée par Flaubert, ne sera publié qu’en 1885 (Par les
champs et par les grèves). Celui-ci avait cependant déjà
fait paraître en 1858, dans la revue L’Artiste, un article
intitulé « Les pierres de Carnac et l’archéologie celtique »,
chef-d’œuvre d’humour, où après s’être gaussé des élucu-
brations accumulées depuis plus d’un siècle par antiquai-
res et celtomanes, il clôt son morceau de bravoure par
un texte souvent cité, et qui supportera bien de l’être
une fois de plus : « Pour en revenir aux pierres de Carnac
(ou plutôt pour les quitter), que si l’on me demande,
après tant d’opinions, quelle est la mienne, j’en émet-
trai une, irréfutable, irréfragable, irrésistible, une opinion
qui fera reculer les tentes de M. de la Sauvagère et pâlir
l’égyptien Penhouët, qui casserait le zodiaque de Cambry
et hacherait le serpent Python en mille morceaux. Cette
opinion la voici : les pierres de Carnac sont de grosses
pierres ! » Le jugement de Flaubert a bien résisté à l’usure
des ans puisque Pierre-Roland Giot, dans une brochure
sur les alignements publiée en 1983, ne serait pas loin de
le faire sien !

La Société polymatique du Morbihan


et les grandes découvertes
du XIXe siècle
Des progrès dans les connaissances relatives aux
« grosses pierres » de la région de Carnac ne pourront
provenir désormais que de nouvelles méthodes de recher-
che : solliciter moins la folle du logis et les auteurs clas-
siques, et davantage les monuments eux-mêmes : en
un mot, fouiller, non pour trouver un trésor, mais pour
mieux comprendre. Le processus va démarrer avec quel-
que éclat au début de la seconde moitié du XIXe siècle.

24
H I ST OI RE D ’ U N SI T E

Mieux, il s’agit d’une œuvre collective dont le cadre sera


la Société polymatique du Morbihan. Créée en 1826, avec
le chanoine Mahé pour président, dans la foulée du succès
de l’ouvrage de celui-ci, la Société polymatique entre en
léthargie en 1833. L’apparition à Vannes, en 1846, d’une
Société archéologique, émanation de l’Association bre-
tonne, crée pendant treize ans dans le Morbihan une dua-
lité de sociétés savantes plus ou moins interdépendantes,
jusqu’à leur fusion en 1859, après la dissolution, l’année
précédente, de l’Association bretonne.
L’œuvre de l’éphémère Société archéologique du
Morbihan n’est pas négligeable ; on y relève surtout des
inventaires, effectués collectivement – tel le Catalogue
des monuments historiques du Morbihan jugés dignes
d’être décrits ou conservés (1856) – ou individuellement
par les membres de l’association, comme le Morbihan,
son histoire et ses monuments de François-Marie Cayot-
Delandre, qui réactualise en 1847 le travail du chanoine
Mahé, ou Des monuments celtiques et des ruines romai-
nes dans le Morbihan du Dr Alfred Fouquet, publié en
1853 sur le même thème. La même année, le Dr Fouquet
et Louis Galles fouillaient le tumulus de Tumiac en Arzon,
et y reconnaissaient une chambre mégalithique renfer-
mant inhumation et mobilier de prestige (grandes haches
polies, collier de perles) : une seule fouille sérieusement
menée administrait la preuve que les dolmens n’étaient
pas des autels mais des sépultures et qu’ils dataient du
Néolithique. Le bulletin de la Société archéologique du
Morbihan de 1857 signalait, outre la fouille de Tumiac,
celle des « grottes » de Plouharnel, effectuée avec moins
de méthode par le maire de la commune, Grégoire Le
Bail. Il s’agit en fait d’un ensemble de trois tombes à cou-
loir au lieu-dit Rondossec, dans lesquelles le fouilleur mit
au jour deux colliers en or, datant en fait d’une réutilisa-
tion du monument au début de l’âge du Bronze (2500-
2000 av. J.-C).
La découverte de mobiliers de prestige à Rondossec
comme à Tumiac provoque un choc au sein de la Société
polymatique réunifiée, et les années 1860-1870 peuvent

25
C ARN AC

à juste titre revendiquer l’appellation d’époque glorieuse


de cette association. En quelques années, tous les grands
tumulus de Carnac et de Locmariaquer vont être explo-
rés avec succès par des équipes de polymathes, en liaison
étroite avec le préfet Lefèbvre et à l’aide de subventions
de ce dernier ou du conseil général, voire d’organismes
nationaux comme le Comité archéologique des Gaules.
C’est l’intendant militaire René Galles qui mène les
plus importantes des fouilles : le tumulus Saint-Michel
à Carnac en 1862-64, le tumulus de Kercado dans la
même commune en 1863, les tumulus de Mané er Hroëk
et de Mané Lud à Locmariaquer en 1863-64, le tumulus
du Moustoir à Carnac en 1864. Menées rapidement avec
des moyens importants, par puits central et galerie axiale
(Saint-Michel) ou tranchées (Mané Lud, Le Moustoir), ces
fouilles donnent lieu à des observations précises sur la
structure des tumulus ; les monuments qu’ils renferment
sont décrits avec précision, avec de très bons plans et
élévations ; le mobilier est recueilli avec soin, souvent
avec plan de localisation, décrit exhaustivement et figuré
sommairement ; il n’est pas dispersé, mais va en tota-
lité aux collections de la Société polymatique, à Vannes.
Les ossements ou leurs vestiges font l’objet d’études
approfondies dues au Dr Mauricet. Les publications sont
rapides, précises, denses, sans bavardage inutile ni élucu-
brations fantaisistes. L’essentiel de nos connaissances sur
ces grands tertres que l’on baptisera plus tard « tumulus
carnacéens » est acquis en trois ans. L’étude scientifique
des monuments de Carnac et de Locmariaquer vient de
débuter.
Encouragés par les mobiliers de prestige découverts
sous les grands tertres, les membres de la Société poly-
matique vont également s’attaquer aux dolmens plus ou
moins ruinés par la perte de leur tumulus, qui parsèment
toute la région de Carnac. La fouille, par Davy de Cussé
et Louis Galles, du tertre de la Vigie à La Trinité-sur-Mer
s’étant révélée décevante, les archéologues « utilisent les
instants de loisir qui leur restent » à fouiller à l’intérieur
des chambres de tous les dolmens visibles de la com-

26
H I ST OI RE D ’ U N SI T E

mune de La Trinité : recherches rapides, non exhausti-


ves, fournissant l’occasion de levés de plan qui seront
publiés, mais sans élévation ni recherche des structures
périphériques. Le mobilier est décrit sommairement, mais
non illustré. D’autres dolmens sont fouillés en 1864-66 par
le Dr Alphonse et Gustave de Closmadeuc, le Dr Gressy
(de Carnac) et encore René et Louis Galles sur les com-
munes de Saint-Philibert (Mané Carnaplaye), Crac’h (Parc
Guren, Coët Kerzu), Plouharnel (Kerroc’h, Runesto) et
surtout Carnac (Klud er Yer, Le Noterio, Mané Kerioned).
Ici encore, seuls des plans font l’objet de l’illustration, le
mobilier recueilli étant décrit sommairement ; du moins
ne sera-t-il pas dispersé. Des monuments des âges des
Métaux sont fouillés dans la foulée (tumulus de Crubelz à
Belz, de Mané Rumentur à Carnac, coffres de Mané Beker
noz en presqu’île de Quiberon).
L’équipe vannetaise n’est pas la seule à fouiller et à
lever des plans dans le Morbihan : une équipe britanni-
que composée de William Collings Lukis et Henry Dryden
lève de nombreux plans de dolmens, en plusieurs campa-
gnes entre 1864 et 1872, et Lukis fouille dans plusieurs
monuments ; citons à Carnac Klud er Yer, Kergrim,
Kerlagat, Keriaval, Keric la Lande, Kergo, Mané Kerioned,
l’allée à entrée latérale de Kerlescan, Mané Lavarec ;
d’autres monuments sont explorés sur Plouharnel (Mané
Remor, Kergazec), Erdeven (Keredo), La Trinité-sur-Mer
(Kermarquer), Mendon (Mané er Hloh), Belz enfin, où la
tombe à couloir du Moulin des oies livrera un intéressant
matériel. De tout cela, peu de chose sera publié : quel-
ques plans, mais la majorité d’entre eux est toujours iné-
dite aujourd’hui ; quant au mobilier, il a rejoint en 1875
le British Museum. Ne quittons pas les travaux de terrain
réalisés dans ces si fertiles années 1860 sans mentionner
le Recueil des signes sculptés sur les monuments méga-
lithiques du Morbihan de Davy de Cussé (1865), suite
de planches sans texte. La première étude d’ensemble
sur ce sujet sera l’œuvre de Gustave de Closmadeuc en
1873. Davy de Cussé sera le premier à avoir exécuté des
moulages des gravures.

27
C ARN AC

Diffusion des connaissances,


reconnaissance internationale
Les premiers essais de synthèse générale sur les acquis
scientifiques résultant des fouilles morbihannaises sont
remarquablement prudents. Gustave de Closmadeuc, en
1866, conclut son rapport sur les fouilles dans les dol-
mens à couloir de Carnac par cette phrase : « Si on nous
demande ce que ces dernières fouilles nous ont révélé
sur le peuple qui a élevé ces tombeaux et sur sa place
dans la chronologie humaine, nous sera-t-il permis, sans
être taxé de paradoxe, de répondre qu’elles ne nous ont
rien appris... » Il était un peu moins pessimiste lorsqu’il
avait répondu à l’archéologue Arcisse de Caumont qu’il
était acquis que dolmens découverts et dolmens sous
tumulus sont de même époque et sont des sépultures (à
inhumation ou incinération), non des autels ; que l’on
ne trouve pas de métal dans les tumulus vierges ; qu’il
n’y a aucune trace de sacrifices humains ; que les men-
hirs, seuls ou groupés, sont contemporains des dolmens
et partagent le même système religieux ; que rien ne
démontre qu’ils sont des monuments funéraires.
Les travaux des archéologues vannetais sont immédia-
tement intégrés dans les éléments de réflexion des érudits
parisiens en pèlerinage aux rives du Morbihan. En 1864,
l’historien Henri Martin visite Carnac et Locmariaquer
avec René Galles, en pleine période de fouilles. La série
d’articles publiée alors par lui sous le titre Les Antiquités
bretonnes sera reprise en 1872 dans l’ouvrage Études
d’archéologie celtique. Malheureusement, la vision chro-
nologique est faussée par l’incapacité de distinguer les
tumulus néolithiques et ceux de l’âge du Bronze, comme
celui de la forêt de Carnoët dans le Sud-Finistère qui avait
fourni en 1842 un riche mobilier métallique. Au lieu de
conclure à un diachronisme, Henri Martin avance que
« l’âge des dolmens et des menhirs serait âge du Bronze
aussi bien qu’âge de Pierre » ; tout est donc gaulois, les
belles haches de pierre signant des sépultures de druides,
les objets de métal celle de chevaliers. L’étude des gravu-

28
H I ST OI RE D ’ U N SI T E

res des mégalithes est invoquée à l’appui de thèses qui


sentent encore bon la celtomanie, avec la « lignée conti-
nue d’une tradition depuis les dolmens du Morbihan,
jusqu’aux églises du X e siècle ». Dans la même veine,
Louis Galles, en 1873, compare les thèmes des gravu-
res des mégalithes à ceux des monnaies gauloises, pour
conclure que si les dolmens ont été construits par tous
les peuples, ceux du Morbihan l’ont été par les Gaulois.
Il y a pire, en ces années 1870 ; le gros ouvrage de syn-
thèse sur les monuments mégalithiques dans le monde de
James Fergusson, publié en 1872 sous le titre Rude stone
monuments, doit être évoqué en raison de son impor-
tante diffusion ; il sera traduit en français en 1878 par
l’abbé Hamard, prêtre de l’oratoire de Rennes et adepte
de la chronologie biblique (Les Monuments mégalithi-
ques de tous pays, leur âge et leur destination). On
y trouve des plans empruntés aux relevés de Murray
Vicars, aux fouilles de René Galles (Le Moustoir) et de
W.C. Lukis (Kerlescan). Auteur et traducteur, hypnotisés
par la fréquence des objets d’époque romaine recueillis
en cours des fouilles, s’accordent pour condamner les
progrès de la chronologie préhistorique dus à Worsae
ou Gabriel de Mortillet, et pour dater les dolmens de la
période romaine et des siècles immédiatement antérieurs
ou postérieurs à celle-ci. La datation des alignements par
Fergusson est plus précise encore : « les alignements
de Carnac ne sont ni des temples, ni des tombeaux ni
des lieux de réunions », et ils ne sont pas antérieurs aux
Romains. Ce sont « des trophées et la bataille qu’ils rap-
pellent fut livrée entre les années 380 et 550 de notre
ère, c’est-à-dire à l’époque d’Arthur, à laquelle appartien-
nent également les constructions mégalithiques de la
Grande-Bretagne ».
Mais revenons au terrain où, dès la fin des années
1860, l’activité des fouilleurs vannetais s’essouffle ; les
fouilles ne cessent pas cependant, avec deux ecclésiasti-
ques, l’abbé Collet et l’abbé Lavenot, dont le premier fut
vicaire à Ploemel et le second à Quiberon avant d’être
recteur d’Houat. Si la presqu’île de Quiberon et les îles

29
C ARN AC

furent les principales bénéficiaires de ces recherches,


Collet fouilla néanmoins au pied de quelques menhirs
de Carnac, tandis que Lavenot explorait dans cette com-
mune les dolmens de Keric la Lande et de Roh en Tallec.

Rencontres d’archéologues à Carnac


L’année 1873 voit s’installer à l’Hôtel des Voyageurs
de Carnac, en mission d’étude officielle, un certain
Henri du Cleuziou, dont l’intention n’est pas d’effectuer
des fouilles, mais de compléter sa connaissance biblio-
graphique des auteurs ayant traité des mégalithes de
Carnac par une connaissance approfondie du terrain,
avec la réalisation de nombreux dessins. Ces matériaux
ne seront utilisés par lui que plus tard dans des ouvra-
ges généraux, L’Art national en 1882, et surtout La
Création de l’Homme en 1887, gros livre couvrant toute
la Préhistoire, mais où Carnac occupe une place de choix
tant dans le texte que dans l’illustration dont 23 figures
concernent la commune ; on y remarque en particulier
de curieuses pseudo vues aériennes des alignements de
Kerlescan et du quadrilatère du Manio, qui auraient pu
donner une bonne idée de l’état de ces monuments avant
toute restauration si, de croquis sommaires en aquarelles
puis en dessins destinés à la gravure, le résultat n’était
probablement assez éloigné de la réalité. Une vue du
Menec va même jusqu’à restituer deux grands tumulus
qui n’ont apparemment jamais existé.
C’est au cours de ce séjour à l’Hôtel des Voyageurs
qu’Henri du Cleuziou fit la connaissance d’un touriste
écossais attiré par l’archéologie, James Miln de Woodhill.
Disposant de moyens financiers lui permettant de vivre
à sa guise, Miln parcourt les landes de Carnac avec du
Cleuziou, qui lui communique sa connaissance fraîche-
ment acquise du terrain. Venu à l’origine pour voir les
mégalithes, Miln va s’enflammer pour les vestiges d’un
établissement gallo-romain encore bien visibles au lieu-
dit les Bosseno, et reviendra à Carnac en 1874 pour le

30
H I ST OI RE D ’ U N SI T E

Kerlescan à Carnac
Gravure des alignements, de l’enceinte et du tertre de Kerlescan,
publiée par Henri du Cleuziou dans La Création de l’Homme, en 1887.

fouiller. Cette fouille inaugure une série d’explorations


ininterrompues de Miln à Carnac, qui ne prendra fin
qu’avec la mort du fouilleur en 1881.
L’activité de Miln a concerné essentiellement le gallo-
romain (Les Bosseno, Kermario) et même le haut Moyen

31
C ARN AC

Âge (Saint-Michel). Un certain nombre d’explorations


concernent cependant le Néolithique : petits dolmens
ou dolmens très ruinés de Grah Tri Men, Run Mori, Mané
Ouah Tihir, Mané Grageux à Carnac, de Mané er Gongre,
Mané Carnaplaye et la Pointe en Saint-Philibert ; mais
aussi tertres quadrangulaires très peu élevés auxquels
Miln est le premier à s’être intéressé, à Klud er Yer, Mané
Ty Ec et Mané Pochat er Uieu. Ces explorations feront
l’objet de publications posthumes en 1881 et 1882, par
les soins de l’abbé Luco.

Deux hauts lieux du


tourisme archéologique
en pays de Carnac,
en 1879
Si Félix Gaillard utilise ses
collections pour appâter
le chaland,
madame Lautram ne dit
pas que son établissement
héberge depuis cinq ans
l’archéologue James Miln
et le produit de ses fouilles,
amorce du futur
musée de Carnac.

Un musée archéologique
et une politique patrimoniale
L’important mobilier recueilli par Miln lors de ses
fouilles se trouvait, à son décès, dans les deux pièces
qu’il occupait à l’Hôtel des Voyageurs de Carnac. Leur
possession fera l’objet de convoitises tant de la Société
polymatique de Vannes que des Carnacois ; l’amiral
Tremlett, autre hôte de l’Hôtel des Voyageurs, chargé de
régler sur place la succession, tranchera en faveur des
Carnacois : un bâtiment sera construit à Carnac aux frais
des Miln pour abriter les collections et sera inauguré en
1882, tandis que manuscrits, plans et dessins sont remis
à l’abbé Luco, de la Société polymatique. Une nouvelle

32
H I ST OI RE D ’ U N SI T E

compétition pour le gardiennage du musée opposera


deux Carnacois ayant fait partie de l’équipe de fouilles
de Miln : son contremaître Louis Cappé, et un jeune
garçon qui était entré dans la carrière en portant le maté-
riel d’aquarelliste de ce dernier, Zacharie Le Rouzic. Des
considérations politiques firent la différence en faveur
de celui-ci, qui inaugure ainsi une carrière archéologi-
que qui devait être fructueuse. Mais celle-ci ne débute
pas immédiatement. De 1883 à 1887, Le Rouzic fait son
service militaire dans la marine ; c’est Félix Gaillard qui
occupe, durant ces années, le rôle prééminent dans la
recherche archéologique au pays de Carnac.
Félix Gaillard était d’origine bordelaise, et ses pre-
miers liens avec le Morbihan sont des séjours de détente
et de chasse qu’il effectue à l’Hôtel du Commerce de
Plouharnel, à quelques kilomètres de Carnac et d’Er-
deven. Le propriétaire de cet hôtel n’était autre que
Grégoire Le Bail, l’heureux inventeur (et possesseur)
des colliers d’or de Rondossec : ce dernier avait une fille
à marier, si bien que de fil en aiguille Félix Gaillard va
se retrouver propriétaire et de l’hôtel et des colliers de
Rondossec. Fixé à Plouharnel, Gaillard va acquérir une
excellente connaissance du terrain et de ses monuments,
et rassembler les matériaux d’un inventaire exhaustif et
précis des monuments mégalithiques de la région. Il fera
profiter de son expérience les touristes attirés par l’ar-
chéologie qui se multiplient à l’hôtel après l’ouverture
de la ligne de chemin de fer Paris-Quimper en 1862, et
leur prépare des excursions qui fournissent la matière à
un Guide et itinéraire qui aura trois éditions illustrées à
partir de 1882.
Mais Gaillard n’a encore ni publié ni fouillé lorsqu’il
va être propulsé au premier rang de l’archéologie mor-
bihannaise, au tout début des années 1880, par un heu-
reux événement : l’État prend conscience de la nécessité
d’une intervention d’envergure pour assurer, contre les
démolisseurs en tout genre, la préservation du précieux
patrimoine que représentent les monuments mégalithi-
ques. Sans doute les tentatives en ce sens n’avaient pas

33
C ARN AC

manqué, depuis la Restauration, à l’initiative du préfet


et du conseil général du Morbihan, mais avec des effets
très limités. En l’absence de toute législation protectrice,
le seul moyen d’assurer la conservation des monuments
est leur achat par un acquéreur capable de leur offrir une
protection : personne privée (G. de Closmadeuc va ainsi
acheter Gavrinis), collectivités locales (département,
commune) ou État.
En 1874, une laborieuse opération destinée à faire
acheter par la commune de Carnac quelques fleurons
de son patrimoine archéologique échoue : la présence
du mot expropriation dans le décret pris à cet effet a
fait peur. C’est sur le plan national que les opérations
vont pouvoir être menées à bien. Félix Gaillard joue
un rôle décisif dans la campagne d’opinion qui va faire
pression pour l’acquisition par l’État de l’essentiel des
monuments mégalithiques de la zone qui va d’Erdeven
à Locmariaquer. Il fournit une documentation détaillée,
avec pour la première fois des photographies à l’appui.
La Société polymatique du Morbihan, la Société d’anthropo-
logie de Paris appuient la campagne. En 1879, l’adminis-
tration réagit : au ministère de l’Instruction publique et
des Beaux-Arts, une sous-commission des monuments
mégalithiques est détachée de la commission des monu-
ments historiques, sous la présidence d’Henri Martin,
et s’attelle immédiatement à un inventaire des mégali-
thes de France publié dans les trois mois. Les acqui-
sitions débutent en 1881 (Mané Remor en Plouharnel)
et vont dès lors se poursuivre de façon ininterrompue
jusqu’en 1889, de gré à gré, puis par voie d’expropria-
tion lorsqu’un terrain d’entente n’avait pu être trouvé à
l’amiable.
En 1882 et 1883, les acquisitions sont faites direc-
tement par Gaillard, mandataire de l’État. Il ira jusqu’à
payer de sa poche au moment de la signature de l’acte
de vente, sachant que les délais de paiement adminis-
tratifs pouvaient induire des conséquences fâcheuses.
Les travaux de restauration vont suivre immédiatement
l’acquisition ; sous la supervision de Gaillard, ceux-ci

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H I ST OI RE D ’ U N SI T E

seront exécutés par l’ancien chef de chantier de Miln, le


Carnacois Louis Cappé. Les acquisitions concerneront les
alignements du Menec et de Kermario à Carnac, ceux de
Kerzhero à Erdeven, ceux du Vieux Moulin et de Sainte-
Barbe à Plouharnel, le quadrilatère de Crucuno dans la
même commune, et de nombreux dolmens (Runesto,
Kergavat, le Cosquer à Plouharnel, Mané Groh à Erdeven,
Mané Kerioned et Keriaval à Carnac, le Mané Lud et la
Table des Marchand à Locmariaquer). Objet de critiques
et de vexations, Gaillard cesse de participer aux procé-
dures d’acquisition en 1884, année où disparaît Henri
Martin, qui l’avait énergiquement appuyé. Quant aux
restaurations de l’équipe Gaillard-Cappé, les principales
concernent les alignements du Menec à Carnac, ceux de
Kerzhero à Erdeven, le dolmen de Kergavat, le quadrila-
tère de Crucuno à Plouharnel. On connaît les curieuses
propriétés mathématiques et astronomiques de ce dernier
monument, et l’on insinue parfois qu’un coup de pouce
aurait été donné par les restaurateurs en vue de les obte-
nir ; un examen objectif des préoccupations de Gaillard
à l’époque et de son rapport de restauration, qui ne men-
tionne pas ces faits, rend cette supposition invraisemblable.

Des fouilles de mieux en mieux


conduites et publiées
Après Félix Gaillard, c’est Daniel Beaupré, agent
voyer à Auray, qui supervisera les restaurations. Sa
prise de distance avec les acquisitions et restaurations
de l’État ne fait que multiplier l’ardeur de Gaillard, qui
fouille et publie beaucoup tout au long des années 1880
et au début des années 1890 principalement sur Carnac,
Plouharnel, Erdeven et la presqu’île de Quiberon, mais
également plus à l’ouest, comme à Plouhinec et à Riantec
(dolmen de Parc Néhué). Parmi les fouilles les plus
intéressantes, notons le Mané Remor à Plouharnel, les
cistes néolithiques de Bovelane et du Puço à Erdeven,
le dolmen aujourd’hui détruit de Rogarte à Carnac ; en

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C ARN AC

1885, le dolmen de Mané Hir à Carnac ; en 1886, Kervilor


à La Trinité-sur-Mer ; en 1891, le dolmen de Conguel à
Quiberon et le site de Lann Vras (Le Castellic) à Carnac,
qui fournissent tous deux des ensembles céramiques
originaux ; de la poterie du type du « Castellic » sera
recueillie à nouveau par Gaillard au Mané Rouquellec en
Plouharnel en 1893 et dans un grand tumulus au Mané
Hui à Carnac en 1896.

Gaillard aura de grosses difficultés financières, vendra


successivement ses collections préhistoriques et son
hôtel, mais fouillera encore épisodiquement jusqu’en
1906 (dolmen de Kercado en Crac’h). Acquises par l’ar-
chéologue finistérien Du Chatellier, ses collections abou-
tiront finalement, avec celles de ce dernier, au musée des
Antiquités nationales. Si elles sont rapides, les fouilles de
Gaillard restent précises et soignées, et sont vite publiées.
Ses articles sont bien illustrés de plans et de coupes, la
situation des objets découverts étant souvent notée sur

36
H I ST OI RE D ’ U N SI T E

plan. Le mobilier est bien décrit et abondamment figuré,


avec souvent de bonnes séries de formes céramiques, ce
qui représente quelque chose de nouveau et d’apprécia-
ble. Les travaux de synthèse de Gaillard sont rares mais
de qualité : son Inventaire des monuments mégalithi-
ques du Morbihan dans le périmètre des acquisitions
de l’État (1892) est un modèle de précision, donnant
pour chaque monument le nom vernaculaire, la parcelle

Le dolmen de Kerhan à
Saint-Philibert
Déménagement en 1896
du dolmen pour le cimetière de
Meudon.
Les premiers pas de l’archéologie
expérimentale...

cadastrale, la date et les auteurs des fouilles exécutées,


les références bibliographiques, la localisation des objets
recueillis, l’orientation. Il publie par ailleurs, en 1895-96,
une importante étude thématique intitulée L’Astronomie
préhistorique : le thème étant promu à un bel avenir.
Malgré son titre général, l’ouvrage concerne exclusive-
ment les mégalithes morbihannais ; alignements en pre-
mière partie, puis coffres et dolmens, avec un important
inventaire montrant une ouverture de ces derniers « dans
l’axe de l’horizon du lever du soleil au solstice d’hiver » ;

37
C ARN AC

La tombe orientale du tumulus Saint-Michel


Découverte du dolmen est au tumulus Saint-Michel
à Carnac, en 1900.
Ch. Keller, le Cdt Le Pontois, G. d’Ault du Mesnil, en haut,
et Z. Le Rouzic, en bas, sont présents en ce jour du 22 juin.

une troisième partie étudie les menhirs isolés, les divers


types d’enceintes mégalithiques, les gravures et cupules,
les mobiliers funéraires ; la matière, on le voit, dépasse
ce qu’annonce le titre.
Les travaux de Gaillard, pendant la période faste
de son activité, éclipsent toute autre recherche rela-
tive à la préhistoire carnacoise. On ne peut cependant
passer sous silence la tentative de Philippe Salmon de
faire de Carnac le site éponyme d’une période carna-
céenne, censée correspondre à la troisième et dernière
phase d’une subdivision chronologique du Néolithique.
Basée sur un évolutionnisme sommaire, cette classifica-
tion n’obtiendra guère de succès, et le Carnacéen sera
sèchement exécuté en 1908 par le préhistorien Joseph
Déchelette.

38
H I ST OI RE D ’ U N SI T E

Retour de Zacharie Le Rouzic


au musée de Carnac
Le passage de l’ère Gaillard à l’ère Le Rouzic, en ce
qui concerne l’archéologie de terrain dans la région
de Carnac, se situe vers le milieu des années 1890. De
retour du service militaire, Zacharie Le Rouzic reprend
son poste de gardien du musée Miln, et ne le quittera
plus. Jusqu’à sa mort, il assurera en personne les visites
du musée pendant la saison touristique, tandis que l’hi-
ver, les touristes envolés, lui laisse plus de loisirs pour
les prospections et les fouilles. Au musée, il va s’inspi-
rer largement de ce que faisait Gaillard dans son musée
privé de Plouharnel : vente de photographies prises
par lui, vente de livres et de brochures, dont un petit

Tranchée de reconnaissance au tumulus Saint-Michel


Fouilles au tumulus Saint-Michel à Carnac en 1900.
Étude de la structure du tumulus, coupe dans la couche de « vase »

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C ARN AC

Guide des monuments mégalithiques de Carnac et


de Locmariaquer, de sa main, qui aura 18 éditions de
1897 à 1975 ; la vente de cartes postales, éditées par lui,
s’y ajoutera. Dans ses activités de terrain hivernales, on
peut distinguer quatre grandes étapes. De 1887 à 1895,
Zacharie Le Rouzic prospecte, acquiert pour le musée les
trouvailles fortuites, recompte et mesure les menhirs des
alignements à la demande de Gustave de Closmadeuc,
qui sera un peu son mentor pour son entrée dans la car-
rière. Mais il ne fouille pas encore, ne serait-ce que parce
qu’il n’en a pas les moyens financiers.
La situation se modifie à partir de 1895 par la conjonc-
tion de plusieurs faits ; un épisode pittoresque d’abord :
l’achat et l’enlèvement d’un des trois dolmens de Kerran
à Saint-Philibert par un carrier, Charles Piketty, qui veut
en faire son caveau de famille au cimetière de Meudon.
Le Rouzic tente de faire échouer l’opération, mais elle est
légale et Gabriel de Mortillet est d’accord. Ne pouvant
l’empêcher, il y participera et acquerra ainsi une pratique
du maniement et du déplacement des lourdes dalles qui
lui faisait défaut jusqu’alors. Par ailleurs, il fait connais-
sance d’un ingénieur de Nancy, Charles Keller, à qui il va
communiquer son amour des mégalithes. Une profonde
amitié liera vite les deux hommes, et Keller, à partir de
1897, subventionnera très régulièrement les fouilles que
Le Rouzic va dès lors entamer. En 1898 enfin, la mort de
Gabriel de Mortillet amène à la présidence de la sous-
commission des monuments mégalithiques des hommes
plus enclins à voir dans Le Rouzic l’homme de la situa-
tion pour la restauration des monuments.
Pendant la période d’étroite collaboration entre Keller
et Le Rouzic, de 1897 à 1913, ce dernier multiplie les
fouilles et interventions dans les dolmens de la région :
il s’agit le plus souvent de compléments de fouilles dans
des monuments déjà explorés sommairement, ou trop
ruinés pour avoir déjà attiré l’attention. Les résultats de
ces interventions, qui enrichissent les collections du
musée Miln, sont très ponctuellement publiés dans le bul-
letin de la Société polymatique du Morbihan, sous forme

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H I ST OI RE D ’ U N SI T E

de courtes notices, parfois illustrées de plans, regroupées


chaque année sous le titre : Carnac, fouilles faites dans
la région. On en détachera la fouille du dolmen à couloir
de Noterio à Carnac (1909) pour l’inhabituelle étude soi-
gneuse des structures de son tumulus, avec un plan met-
tant en évidence trois parements concentriques.

La tombe du tertre du Manio 5 à Carnac, en 1916


Vue rapprochée sur la structure funéraire close,
couverte de dalles en « encorbellement ».
On aperçoit Z. Le Rouzic à l’intérieur,
et St-J. Péquart sur la gauche du cliché.

La seule opération de grande envergure, au cours de


ces années, est la reprise des fouilles du tumulus Saint-
Michel de Carnac, dont la partie à l’est restait inexplo-
rée. Les fouilles, menées par galeries de mine, dureront
de 1901 à 1908, sous la tutelle du président de la com-
mission des monuments mégalithiques, Geoffroy d’Ault
du Mesnil, qui doit assurer la publication des résultats.
La seule structure mégalithique rencontrée au cours
des fouilles sera, près de l’extrémité est, une chambre
en mauvais état, stratigraphiquement postérieure aux
tombes centrales, et contenant la céramique classique
des tombes à couloir. D’Ault du Mesnil mourra en 1921
sans avoir publié les rapports de fouilles, et Le Rouzic
les publiera sous son propre nom en 1932. Mentionnons

41
C ARN AC

encore, de la période de collaboration entre Zacharie


Le Rouzic et Charles Keller, deux études, l’une signée
des deux hommes commentant les gravures de la Table
des Marchand et de la stèle de Mané er Hroëk (1910),
l’autre, signée du seul Le Rouzic, mettant en évidence la
présence de stèles ogivales anthropomorphes dans les
matériaux utilisés dans la construction des tombes à cou-
loir (1913).

De nouveaux chercheurs-mécènes
pour l’archéologie de la région
carnacoise : Saint-Just et Marthe Péquart
La mort de Charles Keller ouvre une troisième
période dans la carrière de Zacharie Le Rouzic, marquée
par sa collaboration avec deux autres Nancéens, Saint-
Just Péquart et sa femme : contribution financière de
la part des Péquart, mais aussi participation très active
de ceux-ci aux fouilles alors que Keller ne fouillait pas.
Durant les quatorze ans que va durer cette collabora-
tion, les interventions prennent de l’ampleur, et aussi du
champ géographique : région lorientaise et presqu’île de
Rhuys en 1921, puis îles lorsque Péquart aura fait l’acqui-
sition d’un bateau (Er Lannic en Arzon, Er Yoh à Houat).

Le dolmen de Kerdrain
La restauration d’un dolmen au début du siècle à Carnac consiste parfois à
reconstituer le tumulus autour des structures internes.

42
H I ST OI RE D ’ U N SI T E

Mais la commune même de Carnac continue à demeu-


rer le théâtre de recherches importantes, et même nova-
trices en certains domaines. À côté de nouvelles fouilles
dans des tombes mégalithiques déjà connues (comme
Kercado, Kerlagat), Le Rouzic et Péquart vont explorer
une série de tumulus n’abritant pas de mégalithes : ter-
tres d’une certaine importance comme Crucuny, fouillé
en 1922 et qui restera un peu une énigme ; mais surtout
une série de tertres subquadrangulaires peu élevés, ren-
fermant à l’intérieur d’une enceinte en pierres sèches ou
en orthostates des structures de type coffre, ou de petites
chambres en pseudo-encorbellement : un tumulus de ce
type est fouillé en 1916 dans les bois du Manio (Manio 5),
d’autres en 1922 près du Castellic et à l’extrémité est des
alignements de Kermario, où le tumulus du Manio 2, avec
son menhir indicateur gravé, est manifestement antérieur
aux alignements qui le recouvrent. Le grand tumulus
allongé de Kerlescan, dont Le Rouzic fouillera en 1926
la moitié ouest, est – avec une longueur double – une ver-
sion des mêmes monuments. La publication très détaillée
du Manio 2, richement illustrée de plans, coupes et photo-
graphies, procurera une base de choix pour l’étude de ces
monuments. Les habitats enfin, pour ainsi dire inexplorés
jusqu’ici, vont faire irruption dans le champ des recher-
ches carnacoises avec les fouilles de Zacharie Le Rouzic
au camp ceinturé de talus du Lizo, site qui livrera à la fois
structures et mobilier très abondant ; il fera l’objet d’une
publication en 1933.
Toutes ces recherches sont menées avec l’appui
enthousiaste du Dr Louis Capitan, qui préside la commis-
sion des monuments mégalithiques et qu’une réelle amitié
liera à Le Rouzic. Mais les relations se dégradent entre
Saint-Just Péquart et Capitan d’abord, puis Le Rouzic ;
des froissements d’amour-propre lors de la préparation
et de la publication de l’ouvrage, pourtant fondamental,
sorti en 1927 sous les noms des Péquart et de Le Rouzic,
Corpus des signes gravés des monuments mégalithi-
ques du Morbihan, amèneront une rupture définitive
entre les coauteurs.

43
C ARN AC

Classification et restauration
des mégalithes : l’œuvre de Le Rouzic
Dans la dernière période de l’activité de Zacharie
Le Rouzic, qui va de 1927 à sa mort en 1939, il connaît
des problèmes de santé et n’entreprendra pas de très
grands chantiers. Mais son activité est loin de faiblir. En
1933, il est nommé membre titulaire de la commission
des monuments préhistoriques, et peut être considéré
comme un préhistorien semi-professionnel. Ses inter-
ventions de terrain concernent essentiellement des res-
taurations ou consolidations de monuments, financées
et approuvées préalablement par la commission dont
il est membre, et où l’abbé Henri Breuil tient un rôle
prépondérant.

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H I ST OI RE D ’ U N SI T E

Les opérations font l’objet de rapports annuels accom-


pagnés de plans et coupes où les parties restaurées ou
déplacées, figurées en rouge, sont clairement reconnais-
sables. Une pastille rouge sera de même insérée, aux
alignements, sur les menhirs non en position originelle.
Comme celles de Gaillard, les restaurations de Le Rouzic
vont susciter des critiques ; en 1937-38, il procède à la
restauration de la Table des Marchand à Locmariaquer,
en application d’un plan de protection des monuments
ornés établi par l’abbé Breuil et demandé par la commis-
sion ; la reconstitution, sur ce pittoresque monument,
d’un tumulus protecteur va bientôt déclencher une
tempête de protestations, dans la presse locale, puis les
sociétés savantes bretonnes ; le séisme gagne Paris, où
la commission des monuments historiques et sa sous-

Les recherches récentes


en Morbihan
Restauration de la Table des
Marchand à Locmariaquer ;
vue en façade de l’entrée du
monument.

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C ARN AC

commission des monuments préhistoriques vont s’oppo-


ser sur l’éthique des restaurations. Le Rouzic décède au
milieu de ces remous, et l’affaire aura des séquelles dont
la moindre ne sera pas l’arrêt, pour de nombreuses décen-
nies, de toute mesure de protection des monuments car-
nacois. La grande majorité d’entre eux, heureusement,
avait été classée monuments historiques grâce à l’activité
inlassable de Le Rouzic, négociant auprès des propriétai-
res et établissant dossiers sur dossiers.
Hors des activités de terrain, les années 1930 sont
aussi pour Zacharie Le Rouzic celles des travaux de
synthèse. La publication essentielle paraît en 1933-34
dans la revue L’Anthropologie, sous la forme de deux
articles consacrés l’un à la morphologie et à la chrono-
logie des sépultures préhistoriques du Morbihan, l’autre
au mobilier qui y a été recueilli. On trouve dans la pre-
mière étude une classification typologique détaillée et lar-
gement illustrée des monuments et de leurs tumulus de
recouvrement. Sur le plan chronologique, les tertres bas
et allongés de type Manio y sont attribués au Néolithique,
les tombes à couloir court et chambres couvertes en
encorbellement à la transition Néolithique-Énéolithique
(on dirait aujourd’hui Chalcolithique), les chambres entiè-
rement mégalithiques à longs couloirs à l’Énéolithique.
Si cette sériation chronologique, qui ne s’imposera pas
d’emblée, peut paraître aujourd’hui fondée, l’attribution
à l’âge du Bronze des grands tertres carnacéens apparaît
moins heureuse.
L’article sur les mobiliers, illustré de dessins pour le
lithique et de photos pour la céramique, affine la vision
chronologique en attribuant au Néolithique moyen le
mobilier des tertres de type Manio, au Néolithique supé-
rieur celui des tombes à couloir court et couverture
encorbellée, et à l’Énéolithique celui des grands dolmens
à couloir et des allées couvertes. Zacharie Le Rouzic avait
projeté de publier, en collaboration avec la Britannique
V.C.C. Collum, un ouvrage de synthèse exhaustif. Ce
projet ne verra jamais le jour ; l’inventaire des monu-
ments établi en vue de cette publication, à la manière de

46
H I ST OI RE D ’ U N SI T E

celui de Gaillard, sera seul publié en 1965 par les soins


de la Société polymatique du Morbihan.
Bien que le nom de Le Rouzic y ait été associé, une
place à part doit être faite à deux publications sur les gra-
vures des dolmens morbihannais, cosignées par l’abbé
Breuil et M. Boyle. Très lié à Le Rouzic et à sa famille,
Breuil, au cours de séjours estivaux réguliers à Carnac,
reprendra selon ses techniques personnelles les relevés
des gravures du Morbihan, et les publiera en 1938 et
1959. Mais Breuil sera trahi par le granite, et considérera
comme des artefacts bien des irrégularités relevant seu-
lement de la structure de la roche. Les relevés de Breuil
n’entraînèrent pas la conviction, pas même celle de son
cosignataire Le Rouzic.

De la guerre de Troie
à la Seconde Guerre mondiale...
L’action de Zacharie Le Rouzic, au cours des quatre
premières décennies du XXe siècle, par son ampleur, sa
persévérance et sa qualité scientifique, rejette forcément
dans l’ombre l’œuvre de ceux de ses contemporains qui,
avec un bonheur inégal, se sont intéressés aux mégalithes
morbihannais. L’abbé Millon, en 1911, a rassemblé dans
un précieux recueil de citations, intitulé Pauvres pierres !,
les opinions exprimées par tous les auteurs ayant traité de
l’origine et de la signification des mégalithes jusqu’à la
date de 1908. Le XXe siècle fournirait aisément la matière
à un deuxième tome de cet ouvrage, où un peu de bon
grain se mêle à beaucoup d’ivraie, et où la région de
Carnac ne cesse d’occuper une position privilégiée.
Parmi les auteurs les plus prolixes du début du
XXe siècle citons André de Paniaga, auteur de nombreuses
publications entre 1897 et 1912, et H. Hirmenech dont
les principaux travaux se situent entre 1906 et 1913 ;
dans les deux cas, une imagination débordante tient lieu
de méthode scientifique. Ne résistons pas au plaisir de
citer les conclusions de l’étude de Hirmenech intitulée

47
C ARN AC

Les Vénètes, la guerre de Troie et les alignements de


Carnac (1906) : « les célèbres alignements de Carnac
constituent un rébus et ce rébus est relatif à la guerre
de Troie » ; et le rébus du Menec se déchiffre ainsi :
« une armée étrangère à la région, comprenant hommes
et femmes, venant du nord est allée combattre vers le
levant ; dans un combat ont été tués tant d’hommes,
tant de femmes. Ce monument est élevé à leur mémoire.
Leurs cendres sont réunies ici près ». Et l’auteur conclut
en émettant « le modeste vœu de voir placer près des
grands tumulus des environs une inscription dans le
genre de celle-ci : Visiteurs, saluez avec respect les
reliques vénérables de quelques héros de la guerre de
Troie ! ». Le vœu de Hirmenech n’a, heureusement, pas
été suivi d’effet.
Un auteur non moins prolixe, qui fut secrétaire géné-
ral de la Société préhistorique française, le Dr Marcel
Baudouin, nous fournit de son côté, en 1914, la date
d’édification des alignements de Carnac, grâce à une
méthode basée sur l’astronomie : le Petit Menec date
de 13 000 ans, le Menec et Sainte-Barbe de 12 000 ans,
Kermario de 8000 ans, Kerlescan de 6000 ans, et
Kerzhero a été construit entre 7800 et 6000 ans avant
le présent. Les alignements encore, dans un article d’A.
Baschmakoff publié en 1930 dans la très sérieuse revue
L’Anthropologie, sont donnés comme « l’image d’un clan
qui aurait possédé (en régime de communauté tribale)
les terres avoisinant le cromlec’h. Chacune des lignes
parallèles dans l’alignement serait l’image d’une phratrie
(subdivision de clan). L’ensemble de tous les champs
d’alignements représenterait donc la totalité de la nation,
qui occupait à cette époque le Morbihan ». Mais le bruit
de fond constitué par ce genre de travaux, dont la lignée
ininterrompue va du XVIIIe siècle à nos jours, ne doit pas
brouiller la perception des progrès scientifiques considé-
rables qui résultent des travaux des archéologues morbi-
hannais de 1860 à 1940.
Avec la mort de Zacharie Le Rouzic et la guerre de
1939-1945, une période de calme plat va succéder à une

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H I ST OI RE D ’ U N SI T E

période d’activité intense dans le domaine de l’explora-


tion archéologique de la région carnacoise. Sans doute,
pendant la guerre, les Allemands manifestent-ils un cer-
tain intérêt pour les mégalithes, avec des levés de plans
des alignements et une fouille effectuée dans la partie
du long tumulus de Kerlescan qui n’avait pas été tou-
chée par les fouilles Le Rouzic en 1926. Un ouvrage de
Werner Hülle, dont la première édition est de 1942, est
entièrement consacré à la préhistoire carnacoise (Die
Steine von Carnac). Sa chronologie des monuments
ne fait que reprendre celle de Le Rouzic, avec les longs
tumulus bas (ältere Langgrabkultur) situés avant les dol-
mens à couloir (Ganggrabkultur), et les grands tumulus
carnacéens (Fürstenhügel) suivant ceux-ci : schéma non
sans parallèle en Europe septentrionale. L’évolution de
la guerre mettra fin aux recherches allemandes à Carnac
et entraînera malheureusement la perte de la plupart de
leur documentation.

La recherche contemporaine
L’immédiat après-guerre voit les conditions de la
recherche archéologique en France totalement modi-
fiées : la création du Centre national de la recherche
scientifique, la loi sur les fouilles, la création des direc-
tions des Antiquités, signifient pour la première fois en
France une implication globale de l’État, avec en pers-
pective la substitution d’une archéologie de profession-
nels à une archéologie ne reposant que sur des amateurs.
Une telle évolution ne sera que très progressive en
France, beaucoup plus brutale en Bretagne où Pierre-
Roland Giot, directeur des Antiquités préhistoriques
de 1947 à 1972, cumule à Rennes cette fonction avec
celles de chercheur CNRS et d’enseignant à la faculté des
Sciences. Chacun de ses collaborateurs se voit attribuer
un champ de recherche bien précis, les mégalithes et
le Néolithique revenant à Jean L’Helgouac’h. La politi-
que générale est de rééquilibrer géographiquement les

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recherches en Bretagne, au détriment de la zone de


concentration mégalithique morbihannaise considérée
comme surexploitée. Jusqu’en 1986, celle-ci ne verra
l’implantation d’aucun chantier de fouilles ; dans le
Morbihan ceux-ci concernent ses marges occidentales
(dolmen coudé de Goerem à Gavres, dolmen transepté
de Crugellic à Ploemeur), septentrionales (ensemble
mégalithique de Larcuste à Colpo) et orientales, où
deux monuments prestigieux, Gavrinis dans le golfe du
Morbihan et le Petit Mont dans la presqu’île de Rhuys,
fournissent à leurs fouilleurs, Charles-Tanguy Le Roux et
Joël Lecornec, des résultats spectaculaires : à Gavrinis,
l’évidence que la dalle de couverture de la chambre de ce
monument et celle qui recouvre la chambre de la Table
des Marchand à Locmariaquer sont deux fragments se rac-
cordant d’une grande stèle gravée, débitée et réutilisée ;
au Petit Mont, une stratigraphie monumentale couvrant
un bon millénaire.
Mais à défaut d’apports nouveaux, les observations et
matériaux fournis par la région carnacoise demeurent,
ces derniers étant en grande majorité conservés dans des
collections publiques. Très sous-exploités jusqu’alors,
les mobiliers provenant des fouilles vont être considérés
et étudiés avec un intérêt nouveau, à partir des années
1950, où l’on prend enfin conscience en France de l’in-
térêt de la céramique pour l’élaboration de cadres chro-
no-culturels ; à défaut de stratigraphies, la typologie
comparée des mobiliers fournira à Jean L’Helgouac’h,
avec une typologie des architectures monumentales à la
fois plus simple et plus élaborée que celle de Le Rouzic,
les bases d’une séquence évolutive des divers types de
tombes mégalithiques de Bretagne. Son ouvrage Les
Sépultures mégalithiques en Armorique (1965) fera
autorité jusqu’à nos jours.
Une autre avancée notable des années 1960 est l’ir-
ruption de la datation absolue par le carbone 14. Elle
vient d’être mise au point au moment de la fouille des
grands cairns à chambres multiples du Nord-Finistère, qui
fournissent les premières datations concernant les méga-

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lithes bretons (et européens), avec des valeurs considéra-


blement plus hautes qu’il n’était attendu. La « révolution
du carbone 14 » qui s’ensuit va modifier radicalement la
chronologie du Néolithique de l’Europe occidentale, et
mettre en question les bases théoriques sur lesquelles
elle était fondée auparavant. La contribution carnacoise
à cet événement majeur est modeste, sous la forme de
quelques datages de charbons provenant d’anciennes
fouilles de Le Rouzic. Si Kercado fournit une date cor-
roborant les valeurs les plus élevées de l’île Guennoc et
de Barnenez, trois comptages effectués sur des charbons
provenant du tumulus Saint-Michel montrent une dis-
persion déconcertante. L’un des effets secondaires de la
méthode de datation par le carbone 14 sera le brouillage
de la vision chronologique s’esquissant dans les années
1930-1940 et plaçant en position diachronique les longs
tumulus bas, les tombes mégalithiques et les grands
tumulus carnacéens ; et le retour à une vision de ce type
(avec une séquence d’ailleurs différente) proposée en
1992 par Christine Boujot et Serge Cassen sur la base des
données fournies par la région de Carnac impliquera for-
cément un examen critique de la façon dont sont utili-
sées les datations carbone 14.

Les nouveaux développements


de l’archéoastronomie
Au cours des années 1970, Carnac et Locmariaquer
allaient cependant faire un retour en force sur la scène de
l’actualité archéologique, lorsque les Écossais Alexander
Thom et son fils A.S. Thom viennent poursuivre sur
les côtes morbihannaises les travaux menés par eux en
Angleterre et en Écosse. Excluant toute fouille, ceux-ci
concernent la géométrie, la métrologie, l’orientation et
l’éventuelle utilisation à des fins astronomiques des struc-
tures mégalithiques de type enceinte (ou cromlec’h)
ou alignement, ainsi que de certains menhirs apparem-
ment isolés. Les résultats de ces travaux, dont il sera

51
C ARN AC

donné un aperçu plus loin, seront publiés dans l’ouvrage


Megalithic remains in Britain and Brittany en 1978.
Le très important travail topographique réalisé à l’oc-
casion de ces recherches fournira la matière à la publi-
cation, à Rennes cette fois, d’un ensemble de plans des
alignements incluant ceux de Thom, ceux effectués par
Dryden et Lukis en 1872, par l’Allemand Schuchardt en
1912 et par l’Autrichien Modrijan en 1940 (La Géométrie
des alignements de Carnac, 1977). Les conclusions de
Thom feront l’objet, dans les années suivantes, de dis-
cussions serrées entre astronomes, mathématiciens et
archéologues anglo-saxons. Les archéologues français, de
leur côté, concluront avec P.-R. Giot : on doit rester sai-
nement sceptique (Les Alignements de Carnac, 1983).
Tous, en France, n’auront pas la même prudence, et
on voit fleurir, de 1978 à nos jours, travaux et ouvrages
cherchant à comprendre le sens, la raison d’être de la
concentration mégalithique dont Carnac et Locmariaquer
sont le cœur. Le travail le plus persévérant en ce sens
est celui de l’association archéologique Kergal, animé
par Hélène Fleury, qui publiera 18 études ; expositions
et visites guidées des mégalithes s’ajoutent à l’effort de
publication. Les considérations de métrologie et d’ar-
chéoastronomie inspirées des travaux des Thom y jouent
un rôle important, et l’on voit tous les plans se recouvrir
de cercles, de triangles ou de rectangles ; par ailleurs, les
thèmes d’interprétation philosophico-religieux emprun-
tés au monde entier y abondent, menant à des voies fort
aventureuses.
La même orientation, fortement teintée d’ésotérisme,
se retrouve dans l’ouvrage de Myriam Philibert, Carnac,
les sites sacrés (1994). De son côté, l’ouvrage de Pierre
Mereaux, Carnac, des pierres pour les vivants (1992),
prend d’emblée le contre-pied du titre d’un ouvrage
plus général de Roger Joussaume (Des dolmens pour les
morts, 1985). L’auteur développe la notion de Carnac,
centrale d’énergie à l’usage des vivants, sur la base d’une
étude des caractéristiques du sous-sol carnacois du point
de vue géologique, magnétique et sismique. Notons

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H I ST OI RE D ’ U N SI T E

encore la parution, en 1987, d’un ouvrage du très prolixe


écrivain Jean Markale (Carnac et l’énigme de l’Atlan-
tide), qui demande aux mythes antiques l’identification
des constructeurs des mégalithes morbihannais. Plus
objectif et moins enclin aux hypothèses aventureuses est
le Carnac de Denis Roche (1969), qui offre une bonne
information historique et une excellente iconographie.
Par leur volume bien moindre, les deux petits ouvra-
ges de Jacques Briard (Carnac, terre des mégalithes,
1993) et de Jean L’Helgouac’h (Locmariaquer, 1994)
fournissent une transition vers les guides itinéraires à
usage du touriste, catégorie déjà bien représentée depuis
le XIXe siècle. L’ouvrage collectif Mégalithes au pays de
Carnac, paru en 1980, est destiné à remplacer le guide
de Le Rouzic. Dans la série des guides archéologiques de
la France, un Carnac, l’armée de pierres (1992) est dû à
Anne-Élisabeth Riskine. Les auteurs britanniques ne sont
pas en reste, avec le Megalithic Brittany d’Audrey Burl,
en 1985, et The Archaeology of Brittany, Normandy
and the Channel islands de Barbara Bender, en 1986.

Pression touristique, sauvegarde


et mise en valeur des mégalithes
La prolifération des guides et des ouvrages à destina-
tion du grand public ne fait évidemment qu’accompa-
gner la progression croissante du tourisme saisonnier,
qui devient un tourisme de masse, et aussi une menace
de plus en plus précise pour les monuments eux-mêmes,
dont la protection et l’entretien laissent à désirer. Dans
les années 1980, une association privée, les Amis de
Carnac, devra se substituer à l’État pour l’entretien des
alignements. Une prise de conscience de la part des pou-
voirs publics de la nécessité de s’impliquer davantage
se fait jour. La rénovation en 1985 du musée de Carnac,
dont les collections sont transférées dans des locaux plus
vastes où elles font l’objet d’une présentation très didac-
tique, est un premier pas en ce sens.

53
C ARN AC

Fouilles archéologiques sur l’alignement


du Grand Menhir à Locmariaquer (1989-1994)
Durant les travaux, les touristes accueillis et guidés ont tout loisir
de découvrir un chantier archéologique en activité.

Le second pas sera, en 1986, l’implantation d’un grand


chantier de fouilles et de restauration à Locmariaquer,
autour du tumulus d’Er Grah (récemment mutilé, bien
que classé, par la création d’un parking), du dolmen
très visité de la Table des Marchand et du Grand Menhir
brisé. Menés à Er Grah sous la direction de Charles-
Tanguy Le Roux, et à la Table des Marchand par Jean
L’Helgouac’h, ces travaux se poursuivront jusqu’en
1994. La problématique a bien changé, depuis l’épo-
que de Le Rouzic ; plutôt que sur les chambres sépul-
crales déjà vidées depuis longtemps, l’effort principal va
porter sur la fouille, l’étude et la restauration des cairns
qui entourent et recouvrent ces dernières ; on s’effor-
cera de reconstituer à l’ancienne au moins la base des
parements ceinturant les cairns. Un autre centre d’inté-
rêt est fourni par l’étude des vieux-sols, antérieurs à la
construction des monuments qui les recouvrent et ainsi
susceptibles de fournir des données stratigraphiques qui
manquent cruellement jusqu’ici en Bretagne. Le vieux-
sol de Locmariaquer, exploré sur une surface importante

54
H I ST OI RE D ’ U N SI T E

entre la Table des Marchand et le Grand Menhir, se mon-


trera archéologiquement fertile, recelant entre autres une
céramique associant comme à Er Lannic coupes-à-socle
et poteries décorées dans le style de celles recueillies par
Gaillard au Castellic à Carnac. Ce vieux-sol devait livrer
en outre une surprise de taille, sous la forme d’un aligne-
ment de grandes fosses (incluant la fosse d’implantation
du Grand Menhir) où des monolithes (des stèles gravées
vraisemblablement) avaient été implantés, avant d’être
extraits, débités et réutilisés dès la période néolithique.
On verra dans les pages qui suivent ce qu’impliquent ces
découvertes.
Après le chantier de Locmariaquer, c’est vers les
alignements de Carnac que se tourne maintenant l’in-
térêt des pouvoirs publics. Un vaste programme de sau-
vegarde, d’aménagement et de valorisation du site est
dévoilé en 1990, et commence à se concrétiser l’année
suivante par une recherche expérimentale du type de
végétation le mieux adapté à une bonne conservation des
sols ; cela implique la pose de grillages autour des méga-
lithes pour en interdire l’accès aux visiteurs. En même
temps, la politique d’acquisitions foncières par l’État est
reprise, et un chargé de mission pour le site de Carnac
est nommé ; l’aspect fouille et recherche reste pour le
moment à l’arrière-plan, mais devrait logiquement s’insé-
rer dans ce programme global de réhabilitation.

55
Kerlescan,
Kermario, le Menec
Alignements
et enceintes de pierres dressées
Les grands champs de menhirs ont fait la réputation
touristique de Carnac bien avant que les archéologues
ne soient en mesure de proposer un âge et une significa-
tion pour ces déroutantes cohortes de pierres dressées
à perte de vue dans la lande. Dans l’esprit du public,
ce côté spectaculaire a même, pourrait-on dire, privi-
légié l’aspect « curiosité » au détriment d’une véritable
réflexion ; les « menhirs de Carnac » y ont fait oublier les
autres formes de mégalithisme (alors que, dans la même
commune, dolmens, tertres et tumulus se comptent par
dizaines). Mais porter un regard neuf sur les alignements
implique au préalable d’analyser le phénomène « pierre
dressée » sous ses différents aspects.

Le mot et la chose
Comme chacun sait, le terme menhir est un emprunt
à la langue bretonne, effectué dans l’ambiance celto-
mane et romantique du début du siècle dernier par les
premiers « antiquaires » s’intéressant aux « grosses pier-
res » dressées de main d’homme. À la différence d’autres
emprunts destinés à forger la terminologie mégalithique
naissante, le mot existe bien dans la langue courante,
mais son sens étymologique – pierre longue – ne pré-
suppose aucunement que le bloc soit dressé, a fortiori
de main d’homme (à la différence du terme concurrent
peulven – pilier de pierre – malencontreusement tombé
en désuétude chez les archéologues). À tout prendre, ce

56
K E RL E SC AN , K E RM ARI O, L E M ENE C

serait la terminologie occitane qui s’avérerait la plus per-


tinente avec sa dualité entre levade (pierre soulevée, soit
table de dolmen) et fichade (pierre fichée, soit menhir).
Ce rappel d’expressions occitanes évoque déjà l’am-
pleur géographique du phénomène. « Marquer d’une
pierre » (blanche ou noire selon le cas) un lieu ou un évé-
nement pour fixer la mémoire est une expression prover-
biale qui recoupe un comportement quasi universel et
de toutes les époques (y compris la nôtre avec ses stèles
commémoratives en tout genre), mais cela ne signifie pas
qu’il y ait filiation ou même communauté de motivation
entre toutes ces pratiques.
Dans l’Europe occidentale néolithique, l’érection
de pierres plus ou moins colossales en systèmes plus
ou moins complexes est une forme d’expression archi-
tecturale qui fait pendant à l’édification de sépultures
monumentales pour constituer ce que l’on appelle « le
Mégalithisme ». Pour autant, les deux pratiques ne sont
pas nécessairement liées ; il est des régions à menhirs à
peu près dépourvues de dolmens, la situation inverse se
rencontre également et, lorsque les deux types de monu-
ments se côtoient sur le terrain, il n’est pas toujours
assuré qu’ils soient véritablement contemporains.

Carnac avant le flux des touristes


Vue des alignements du Menec vers 1892.
On remarque, sur la droite et à l’arrière-plan, le tumulus Saint-Michel.

57
C ARN AC

Situer un menhir dans le temps n’est pas chose aisée,


les possibilités de conservation d’un matériel archéolo-
gique datable et clairement associé au monument étant
bien plus précaires que dans le cas d’une tombe par
exemple. En l’état actuel de notre information, on peut
cependant considérer que les plus anciens menhirs bre-
tons furent érigés dès le début du Néolithique dans la
région ; c’est ainsi que le menhir de la grève de Lilia,
dans le Nord-Finistère, se trouve à un niveau inférieur de
7 mètres à celui des grandes marées hautes actuelles,
c’est-à-dire le niveau justement atteint par la mer dès le
début du Ve millénaire av. J.-C. Abstraction faite des stèles
tardives d’époque gauloise, les menhirs les plus récents
pourraient appartenir au début de l’âge du Bronze, dans
la seconde moitié du IIIe millénaire av. J.-C. (une poterie
très caractéristique provient par exemple du calage du
grand menhir de Kerloas, à Plouarzel, dans le Finistère).

Aspects techniques
• À la recherche du bloc idéal
Dresser vers le ciel une pierre de plusieurs dizaines de
tonnes suppose des motivations puissantes, mais celles-ci
ne sauraient suffire. Disposer de blocs adéquats est le
préalable indispensable ; la « Bretagne terre de granite »
est une formule de poète qui ne correspond qu’impar-
faitement à la réalité géologique, et l’on trouve effecti-
vement des menhirs en grès (Lagadjar, à Camaret), en
quartz ou en schiste (Monteneuf), au hasard des ressour-
ces locales... On trouvait certainement aussi des stèles de
bois là où la pierre faisait totalement défaut.
Même en terrain granitique, le faciès de la roche
peut être très variable et le jeu des fissures naturelles
ne dégage des blocs de taille et de forme adéquates que
dans certaines zones privilégiées. Le littoral morbihan-
nais est de celles-là avec ses granites clairs, feuilletés et
relativement altérables, dans lesquels l’érosion géolo-
gique a pu dégager des blocs allongés et aplatis. Au fil

58
K E RL E SC AN , K E RM ARI O, L E M ENE C

des temps géologiques, les affleurements ont été soumis


aux agents atmosphériques qui n’en ont respecté que les
noyaux les plus résistants et y ont développé diverses figu-
res d’érosion, vasques et cannelures notamment (ce sont
les fameux « bassins » et « rigoles » dans lesquels des âmes
trop sensibles aux fantasmes d’une celtomanie sanguinaire
voyaient jadis bouillonner le sang de victimes immolées
sur ces prétendues « pierres à sacrifices druidiques »).
Les pointements rocheux ainsi dégagés par l’érosion
devaient jadis parsemer le paysage carnacois comme ils
le font encore en d’autres régions moins bouleversées
par l’homme, dans les Landes de Lanvaux par exemple.
Certains blocs pouvaient avoir été totalement séparés de
leur substratum, mais la plupart devaient y être encore
reliés par une base plus ou moins altérée ou fissurée qu’il
convenait de faire céder.

Les alignements de Kermario à Carnac


La taille des menhirs s’accroît progressivement à mesure qu’ils s’approchent
de l’enceinte, provoquant un raccourcissement artificiel de la perspective.

•Comment lire sur un menhir


C’est ainsi que l’on distingue clairement sur bon
nombre de menhirs en granite, à Carnac et ailleurs, une
face relativement plane correspondant à la diaclase mise
à profit par les Néolithiques. Parfois même, on devine
encore les traces des « boîtes de débitage » qui avaient
été creusées pour y glisser des coins.

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C ARN AC

Les autres faces du bloc correspondent aux fissures


sub-orthogonales ayant permis d’en dégager les chants
ou, plus arrondies et tourmentées, représentent les sur-
faces naturelles de l’affleurement. Dominique Sellier a
pu ainsi montrer que la majorité des menhirs de Carnac
(près des trois quarts à Kerlescan) provenaient d’affleu-
rements et non d’une extraction en carrière. Les vasques
(dont le fond était primitivement horizontal) et les canne-
lures (qui suivaient la plus grande pente) lui permettent
même de retrouver l’orientation primitive du bloc.
Mais cette érosion ne s’arrête pas avec l’érection de
la pierre : de petites vasques se creusent au sommet du
menhir lorsqu’il est tant soit peu aplati, de nouvelles
cannelures ravinent les épaulements de leur « drapé » et
des réseaux de fissures s’ouvrent ici et là. Ces témoigna-
ges de la vulnérabilité d’un granite que l’on imaginerait
volontiers immuable peuvent en outre aider à retrouver
la position correcte d’un menhir abattu que l’on veut
relever... et permettent de déceler des erreurs de res-
tauration commises autrefois, alors que ces phénomè-
nes n’étaient pas encore compris. Cette érosion récente
contribue aussi à expliquer la rareté des ornementations
conservées sur des pierres exposées aux intempéries.

• Le transport
C’est une opération plus ou moins ardue selon la dis-
tance à parcourir, la nature du terrain, la masse du bloc
et sa conformation. De multiples expériences ont été
tentées ces dernières années ; elles ont en général réussi,
montrant qu’une telle entreprise n’avait rien de surhu-
main. La mécanisation nous a fait oublier qu’il y a moins
d’un siècle, des manutentions lourdes s’effectuaient cou-
ramment à bras d’hommes dans l’industrie, la marine, les
carrières, etc. Jusqu’à quelques dizaines de tonnes, une
telle entreprise ne pose pas de problèmes majeurs, pour
peu que l’on maintienne la masse concernée en perma-
nence dans une situation de « quasi équilibre » permet-
tant d’appliquer les forces dont on dispose au plus près
du centre de gravité, avec une démultiplication énorme ;

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K E RL E SC AN , K E RM ARI O, L E M ENE C

celles-ci peuvent rester modestes et les moyens employés


rudimentaires (câbles, leviers, chèvres, rouleaux). Divers
ingénieurs se sont exercés à calculer les effectifs et le
matériel nécessaires, estimations qui ont été confirmées
sur le terrain.
Une leçon de ces essais rejoint l’expérience des pro-
fessionnels de jadis ; l’énergie humaine, « intelligente »
et facile à moduler quasi instantanément, est préférable
à la force plus brutale que peuvent fournir des animaux
de trait. Inutile donc d’imaginer d’immenses attelages de
bœufs (dont on ignore d’ailleurs dans quelle mesure les
Néolithiques auraient effectivement pu en disposer et
su les guider). Point besoin non plus, sans doute, d’en-
visager des fourmilières humaines dignes de superpro-
ductions cinématographiques ; les vieux carriers vous
diront que quelques compagnons rompus à travailler en
équipe sont infiniment plus efficaces, sauf pour quelques
manœuvres de force ponctuelles.

• Dresser un menhir
Cette opération délicate suppose que le bloc passe
par une position instable où le centre de gravité s’écarte
fatalement du point bas de la pierre qui en est le point
d’appui naturel. Le risque de ripage est réel, mais aussi
celui de casser un bloc fragile (parce que mince ou fis-
suré) s’il se trouve en porte-à-faux. On a beaucoup glosé
jadis sur les calages et sur l’importance de la partie enter-
rée des menhirs. Or, toutes les observations directes (en
fouille ou suite à des chutes accidentelles) concordent ;
10 à 15 % de la longueur du bloc, au plus, sont enterrés
et, le plus souvent, les structures de calage reconnaissa-
bles paraissent étonnamment succinctes. Ainsi s’explique
la fragilité des menhirs de Carnac dont les pierres ne sont
souvent enfoncées en terre que de quelques décimètres,
ce qui les rend particulièrement vulnérables à l’érosion
du sol.
Il semble que les bâtisseurs préhistoriques aient joué
au maximum sur l’équilibre de la pierre (y compris et
surtout lorsque celle-ci était renflée dans sa partie supé-

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C ARN AC

rieure comme on peut l’observer ici et là dans les ali-


gnements de Carnac), le calage n’intervenant en fait que
comme une « sécurité ». De plus, ce blocage n’était sans
doute pas assuré que par des pierres, bien reconnaissa-
bles à la fouille, mais aussi par de la terre soigneusement
pilée, voire par une sorte de mortier d’argile du type
reconnu, par exemple, à Locmariaquer ou à Monteneuf.

•Le problème des blocs géants


Dès que l’on dépasse quelques dizaines de tonnes,
les problèmes changent de nature ; des phénomènes
parasites apparaissent et la limite de résistance de maté-
riaux traditionnels comme le bois ou les cordages est vite
atteinte. Or, certains menhirs approchent ou dépassent la
centaine de tonnes (Plouarzel ou Plourin-Ploudalmezeau
en Finistère, Glomel en Côtes-d’Armor, Dol-de-Bretagne
en Ille-et-Vilaine par exemple... sans parler du Grand
Menhir de Locmariaquer proche de 300 tonnes).
Déplacer et installer de tels monstres suppose une totale
maîtrise des forces énormes qui sont en jeu sous peine
de courir à la catastrophe ; cela implique l’existence
de spécialistes expérimentés et d’équipes parfaitement
coordonnées. 6000 ans plus tard, nous ne pouvons que
saluer avec respect ces hommes qui, bien que de façon
sans doute très empirique, avaient déjà rassemblé les élé-
ments d’un tel savoir-faire.

Archéologie expérimentale
Ou comment soulever des dalles pesant
plusieurs tonnes à 2 mètres de hauteur.

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K E RL E SC AN , K E RM ARI O, L E M ENE C

• Mise en forme et décoration


Les menhirs de Carnac, qu’ils appartiennent aux ali-
gnements ou qu’ils se dressent isolément, sont tous des
blocs bruts à la différence des stèles de Locmariaquer
qui, elles, ont été mises en forme par bouchardage. De
tels façonnages se retrouvent à Goulvars (Quiberon) et,
plus tardivement à Saint-Samson (Côtes-d’Armor) ou sur
les grands menhirs du Nord-Finistère. Malgré quelques
allégations, aucune des pierres dressées dans les grands
alignements de Carnac ne porte non plus de décor indis-
cutable, mais, le menhir du Manio nous le démontre, ce
peut être dû pour une large part aux outrages du temps.

Les pierres dans l’espace


et dans le temps
Toute architecture s’inscrit dans le paysage qui l’en-
toure, mais rares sont les monuments qui atteignent à
une complémentarité aussi étroite et aussi évidente que
les grands champs de menhirs carnacois par rapport à
l’espace qu’ils occupent et qui les environne. Trois
aspects sont à considérer : l’organisation des pierres
entre elles, l’articulation de l’ensemble par rapport au
terrain et l’évolution du site dans le temps.

• Une fausse impression d’éternité


Contrairement aux apparences, les menhirs ne sont
pas immuables. Ils ont été dressés à une certaine époque
(mais pas nécessairement tous en même temps sur un
même site) et leur disposition a pu être modifiée, éven-
tuellement à plusieurs reprises, par les Néolithiques eux-
mêmes : les découvertes récentes de Locmariaquer sont
là pour témoigner de l’ampleur qu’ont pu atteindre ces
remises en cause et les fouilles de Saint-Just, en Ille-et-
Vilaine, ont montré comment des alignements apparem-
ment très simples (trois files concourantes rassemblant
une trentaine de pierres sur 150 mètres de long) pou-
vaient avoir une histoire complexe, étalée sur plus de

63
C ARN AC

deux millénaires. Celle-ci commence en effet au milieu


du V e millénaire avant le Christ par de grands foyers
empierrés, puis les menhirs sont érigés en deux phases
au moins, certains d’entre eux étant associés à une vaste
plate-forme empierrée. Des structures en bois (stèles,
palissades, cabanes) complètent transitoirement un dis-
positif où, pour finir, plusieurs sépultures viennent s’ins-
taller entre les menhirs à la fin du IIIe millénaire.
Au fil des siècles, dépeçages, modifications du parcel-
laire, de la voirie ou de l’utilisation des lieux ont introduit
de substantielles modifications à ces ensembles éminem-
ment fragiles. Les sites que nous visitons aujourd’hui
résultent de cette histoire complexe dont le dernier (?)
chapitre aura sans doute été, à Carnac notamment, les
travaux de restauration plus ou moins prudents entrepris
depuis un siècle. Dans ces conditions, vouloir argumen-
ter sur des détails de structure devient vite spécieux et,
quelle que soit notre frustration, la prudence comman-
dera de ne prendre en compte que des traits généraux
susceptibles d’être restés significatifs au travers de toutes
ces modifications.

L’extrémité occidentale des


alignements du Menec
La végétation a souffert à la fin
des années 1980 d’une sécheresse
exceptionnelle.

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K E RL E SC AN , K E RM ARI O, L E M ENE C

• Menhirs, files et enceintes


On sait que, sur le terrain, les menhirs peuvent se pré-
senter isolément (ou apparemment comme tels), ou bien
associés en dispositifs plus ou moins complexes qui peu-
vent se ramener à deux schémas fondamentaux : les files
et les enceintes.
Une trentaine de ces groupements de menhirs sont
connus un peu partout à travers la Bretagne ; l’organi-
sation la plus simple est évidemment celle qui ne com-
prend que deux pierres plus ou moins rapprochées ; on
trouve couramment des systèmes à trois ou quatre blocs
alignés sur quelques dizaines de mètres et l’on passe pro-
gressivement à des files plus importantes (l’alignement
du Moulin à Plouharnel en compte actuellement une
demi-douzaine), allant jusqu’à rassembler plusieurs dizai-
nes de blocs sur une ou deux centaines de mètres (la
Noce de Pierre – an eured vein – à Brasparts, Finistère,
ou le Cordon des Druides en forêt de Fougères, Ille-et-
Vilaine). Des systèmes encore plus complexes peuvent
associer plusieurs files, sub-parallèles ou se recoupant
franchement ; là non plus, les exemples ne manquent pas

65
C ARN AC

(Pleslin-Trigavou en Côtes-d’Armor, Lagatjar à Camaret,


Finistère, ou Cojou à Saint-Just, Ille-et-Vilaine).
Les « enceintes mégalithiques » (pour lesquelles
il serait souhaitable d’abandonner le terme ambigu de
cromlec’h) correspondent apparemment à une préoccu-
pation différente ; il s’agit cette fois de délimiter une sur-
face privilégiée. Celle-ci peut être totalement fermée, de
plan sub-circulaire ou quadrangulaire (le célèbre « quadri-
latère » de Crucuno à Plouharnel). Plus souvent, elle reste
incomplète ; le plan adopte alors une forme en para-
bole largement ouverte comme à Saint-Pierre-Quiberon
ou plus refermée, en « fer à cheval » (les deux célèbres
enceintes de l’îlot d’Er Lannic). À Kergonan, sur l’Ile-aux-
Moines, le tracé évoque de façon troublante l’« idole en
écusson » de l’art pariétal mégalithique, ce qui n’est peut-
être pas fortuit.

Les alignements de Kerlescan


De tous les grands « champs de menhirs » de la région
carnacoise (Kerzerho à Erdeven, le Menec, Kermario et
Kerlescan à Carnac), ce dernier est peut-être celui qui se
prête le mieux à l’analyse ; ses dimensions réduites per-
mettent en effet au visiteur d’embrasser d’un seul coup
l’ensemble de la structure, qui reste bien lisible malgré
d’assez nombreux manques. En outre, c’est celui dont
l’environnement immédiat a été le moins gravement bou-
leversé.
On remarque immédiatement que l’ensemble com-
porte l’association de files et d’une enceinte. À l’extré-
mité occidentale en effet, une vaste surface presque
carrée (80 x 90 mètres environ) est actuellement bien
dégagée ; à la périphérie se dressent des pierres de belle
taille (2 à 2,5 mètres de haut en moyenne). Le côté est,
sub-rectiligne et presque complet (mais très restauré),
en comprend une vingtaine, quasi jointives par endroits ;
au sud et à l’ouest, le tracé, plus lacunaire, est clairement
arqué, donnant un plan « en baril ». Aucune pierre ne

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K E RL E SC AN , K E RM ARI O, L E M ENE C

marque actuellement le côté nord, que ferme en partie


un long tumulus bas avec menhir terminal.
À hauteur du bord oriental de l’enceinte, débutent
treize files de menhirs bien reconnaissables sur une lar-
geur de 140 mètres environ, qui débordent donc l’en-
ceinte vers le nord et vers le sud. Dirigé globalement
vers l’est, ce dispositif se rétrécit rapidement, à la fois par
« pincement » des files et par diminution de leur nombre ;
à 200 mètres de l’enceinte, il ne reste plus que neuf files
sur 70 mètres de large et, 100 mètres plus loin, le bloc le
plus oriental marque, dans l’état actuel du monument, le
sommet d’une sorte d’éventail rappelant l’organisation
en « secteur » décrite par Alexandre Thom dans les îles
britanniques.
On note également que la taille des pierres n’est pas
constante ; malgré quelques discordances, les blocs les
plus importants (jusqu’à 3 mètres de haut) se trouvent
pour la plupart au voisinage de l’enceinte et la taille
moyenne décroît progressivement pour tomber à moins
d’un mètre près de l’extrémité orientale. De même, les
files ne sont pas équivalentes ; malgré les manques, il est
clair que deux d’entre elles tranchent sur les autres par
le rythme relativement serré et régulier de leurs consti-
tuants ; sub-parallèles, elles paraissent, comme l’a noté
Aubrey Burl, dessiner une « allée » dirigée vers l’angle
nord-est de l’enceinte (il semble d’ailleurs que l’on puisse
leur associer les deux files adjacentes pour former des
sortes de « contre-allées ») ; d’une façon plus lâche, toute
la partie septentrionale aux orientations sub-parallèles
s’oppose d’ailleurs à l’organisation clairement conver-
gente des lignes les plus méridionales.
Sur le terrain, l’enceinte occupe un point haut en
bordure est d’un vallon ; quoique modeste (7 mètres de
bout en bout), la dénivellation est plus que suffisante
pour qu’en terrain déboisé les pierres de l’enceinte
aient pu se découper sur l’horizon, aux yeux d’un obser-
vateur placé près de l’extrémité orientale du système.
D’autre part, le champ de menhirs n’est pas isolé ; nous
avons déjà évoqué le long tumulus qui ferme l’enceinte

67
C ARN AC

au nord, mais il convient d’y ajouter les restes d’une


seconde très vaste enceinte de plan parabolique plus au
nord et, au nord-est, une tombe mégalithique tardive du
type « à entrée latérale ». À 400 mètres vers l’ouest, se
dresse le grand menhir, dit le Géant du Manio, accompa-
gné de son « quadrilatère » et, vers l’est, les alignement
du Petit Menec, sur la commune de La Trinité, commen-
cent également à moins de 400 mètres des derniers blocs
de Kerlescan (mais les destructions ont été telles dans
ce secteur que l’on a pu envisager ces deux ensembles
comme ayant jadis fait partie d’un même complexe).

0 100 m

KERLESCAN

Hémicycle

Tombe mégalithique
à entrée latérale

Tertre

Enceinte

Alignements

S ol
stice d'hiver
Equinoxe Course du soleil

Solstice d'été

Plan des alignements et des enceintes


de Kerlescan à Carnac
Essai de positionnement des principales
directions astronomiques données par le soleil
pour un observateur situé
vers le centre de l’aire circonscrite
par cette enceinte.

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K E RL E SC AN , K E RM ARI O, L E M ENE C

Les autres grands alignements :


similitudes et différences
• Le Menec
Après Kerlescan, c’est l’ensemble qui paraît le mieux
conservé : bien plus considérable, il rassemble encore
quelque 1 050 pierres sur 950 mètres de long, selon une
orientation générale presque sud-ouest/nord-est. Mais,
à quelques variantes près, les composantes du système
sont les mêmes.
À l’extrémité occidentale, on retrouve les restes d’une
enceinte de blocs jointifs, malencontreusement très intri-
qués dans le village ; 71 rescapés marquent encore un
tracé ovoïde de 90 x 70 mètres environ, cette fois nette-
ment décentré vers le sud par rapport aux files de men-
hirs qui sont au nombre de onze, à peu près équidistantes
sur une largeur d’environ 100 mètres au départ. On note
ici aussi une réduction progressive de la taille des blocs
mais, à 400 mètres de l’enceinte, on a encore dix files
sur 85 mètres de large. Au-delà s’observe une angulation
générale assez nette vers le nord après laquelle l’ordon-
nance se dégrade ; la file sud sinue et recoupe sa voisine,
d’autres sont plus difficiles à suivre et, à 600 mètres du
départ, seules huit à neuf files sont encore bien identifia-
bles sur une largeur qui ne dépasse pas 70 mètres. Le ter-
rain est actuellement presque dépourvu de blocs visibles
sur une centaine de mètres (mais des documents anciens
indiquent qu’il y en a eu jadis) et, à la Croix Audran, neuf
files reprennent immédiatement après le C.D. 119. La
taille augmente à nouveau et onze séries de pierres vien-
nent s’arrêter contre une file transversale de blocs très
serrés qui, prolongée par quelques pierres isolées vers
le nord, semble représenter les restes d’une seconde
enceinte ovoïde.
Par rapport à Kerlescan, le système est donc dédou-
blé, avec une enceinte à chaque extrémité, chacune ici
aussi sur un point haut. Comme à Kerlescan également,
Aubrey Burl a noté, dans la partie sud des alignements
cette fois, deux files privilégiées paraissant marquer une

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C ARN AC

« allée » dirigée vers le centre de l’enceinte ouest, via un


hiatus dans sa paroi orientale.
L’environnement archéologique paraît ici plus suc-
cinct (tout au plus note-t-on quelques menhirs « satelli-
tes » près de l’extrémité occidentale) mais l’emprise
humaine a pu faire disparaître un certain nombre de ter-
tres, de même que l’installation du village du Menec dans
l’enceinte et de jardins entre les différentes files ont pro-
voqué un certain « mitage » du tissu mégalithique.
En revanche, des anomalies apparaissent dans l’or-
ganisation des pierres subsistantes ; nous avons déjà
évoqué cette file qui, dans la partie médiane des aligne-
ments, rejoint ses voisines à la manière d’un aiguillage
de chemin de fer, mais l’accident le plus spectaculaire
est certainement le grand menhir, dit le Géant du Menec,
décalé vers le nord par rapport à la troisième file ; sa
sveltesse et ses 3,50 mètres de haut contrastent avec la
morphologie des blocs voisins, plus trapus. Il n’est pas
impossible que ce soit là une relique de quelque dispo-
sitif antérieur, secondairement inclus dans le système
actuel.

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K E RL E SC AN , K E RM ARI O, L E M ENE C

• De Kermario au Manio
Un peu moins de deux kilomètres séparent les restes
de l’enceinte orientale du Menec et celle de Kerlescan ;
dans cet intervalle, le troisième des grands champs de
menhirs carnacois se déploie sur un peu plus de 1 100
mètres de bout en bout. L’orientation générale est cette
fois franchement sud-ouest/nord-est, malgré des sinuosi-
tés non négligeables sur le parcours.
Au sud-ouest, l’enceinte manque totalement, mais
l’analogie de situation avec le Menec est telle que l’on
peut l’imaginer couronnant jadis le point haut juste en
avant des alignements. Dix files parallèles sont à peu
près équidistantes sur 100 mètres de large ; comme au
Menec également, la taille des pierres diminue rapide-
ment et le nombre des files se réduit (neuf à hauteur de
la Petite Métairie, dont les abords ont par ailleurs été lar-
gement épierrés pour la culture). Plus loin, aux environs
de l’ancien moulin de Kermaux, les pierres escaladent
un second mamelon jadis attaqué par des carrières de
sorte que les sept à huit files les plus méridionales res-
tent seules distinctes ; le champ s’arrête sur une zone de

Er Lannic en Arzon
Un des hémicycles sur l’îlot a été
fouillé et restauré par Le Rouzic.
Le deuxième hémicycle,
recouvert par la mer, est invisible
sur la photo.

71
C ARN AC

très petites pierres à l’organisation assez confuse au bout


de 850 mètres environ.
À cet endroit, un vallon assez encaissé a été ennoyé
par un petit lac artificiel et les files de menhirs (que,
dit-on, l’on voyait jadis escalader les versants) sont
aujourd’hui très perturbées par cet aménagement. En
rive est, une disposition beaucoup plus resserrée (neuf
files de petites pierres sur 45 mètres de large) couvre
environ 200 mètres de long ; c’est dans cette zone, qui
d’ailleurs constitue peut-être une entité indépendante
du champ principal, que s’observe le franchissement du
tertre du Manio décrit par ailleurs.
Ce tertre et son grand menhir bien visible ne consti-
tuent pas la seule anomalie du champ de Kermario ;
d’autres tertres existent alentour, au sud-est de la Petite
Métairie un groupe de grands menhirs quasi jointifs des-
sine une courte ligne perpendiculaire à l’alignement
général et, juste au sud de l’extrémité occidentale des
files, se dresse un beau dolmen à couloir encore enchâssé
dans les soubassements de son cairn. On retrouve donc,

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Les alignements de Kermario


à Carnac
Les pierres jointives, au premier
plan, pourraient être les vestiges
d’une enceinte.

comme à Kerlescan, une association étroite du champ de


menhirs avec des monuments funéraires variés.

• Kerzerho à Erdeven
À une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Carnac,
cet ensemble est plus difficile à appréhender car plus
diffus et très largement perdu dans les bois. Le plan
de Vicars et Deane (1832), bien que schématique et
sans doute quelque peu idéalisé, laisse penser qu’un
dispositif quasi continu s’étirait alors sur près de deux
kilomètres d’ouest en est, selon un parcours assez
sinueux. Un siècle plus tard, un croquis de Zacharie
Le Rouzic montre déjà une situation beaucoup plus
lâche entre deux concentrations principales aux extré-
mités (Kerzerho, au bord du C.D. 781 à l’ouest, et la
Chaise de César à Coet er Bleis vers l’est), seuls ensembles
encore clairs aujourd’hui.
L’ouest du groupe de Kerzerho a été malencontreuse-
ment bousculé au siècle dernier par la construction de la
route actuelle ; malgré cela, on y reconnaît bien la dispo-

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C ARN AC

sition classique : départ d’une dizaine de files parallèles à


flanc de coteau vers l’est et blocs de taille décroissante.
Tout laisse penser qu’une enceinte pouvait là aussi cou-
ronner le mamelon à l’ouest de la route et les restes de
tertres se devinent encore alentour au modelé du terrain.
Plus à l’est, d’autres sépultures jalonnent le parcours : les
deux cairns du Mané Bras à mi-longueur, le dolmen du
Mané Croh et les tertres de Lann er Croh près de l’extré-
mité orientale.
Mais l’originalité de cet ensemble lui vient d’une file
transversale pratiquement orientée nord-sud qui débute,
à 80 mètres au nord-est de la « tête » des alignements par
quelques blocs gigantesques et se prolonge vers le nord,
sur 120 mètres environ, par une douzaine de pierres
plus modestes dont l’une porte les restes d’un écusson
finement gravé, seul exemple d’art pariétal indiscutable
dans ces grands champs de menhirs.

• Saint-Pierre-Quiberon
Au voisinage de l’ancien moulin à vent se dresse
le dernier complexe qui retiendra notre attention. Lui
aussi a souffert des outrages du temps et des hommes ;
jadis, il se prolongeait, dit-on, jusque sur la grève. Ce
qui en reste aujourd’hui frappe par la claire séparation
qui existe entre les files et l’enceinte ; peut-être avons-
nous là un type intermédiaire entre les alignements tels
que nous les avons évoqués en début de chapitre et les
grands complexes carnacois.

Quel sens pour ces pierres ?


C’est évidemment une question qui a taraudé les
esprits depuis toujours. On ne refera pas ici l’historique
du légendaire traditionnel ni le sottisier des fausses cer-
titudes savantes. Parmi les théories raisonnables sinon
plausibles, celles fondées sur des considérations astro-
nomiques et métrologiques ont cependant connu un
succès durable.

74
K E RL E SC AN , K E RM ARI O, L E M ENE C

• Cosmographie et arpentage
Dès le siècle dernier, certains chercheurs ont tenté de
rapprocher l’orientation des files de menhirs ou des cou-
loirs de dolmens et les directions des levers et couchers
remarquables du soleil, de la lune, et accessoirement de
quelques astres remarquables (Vénus, Sirius, etc.), pro-
posant des systèmes à vocation générale à partir de quel-
ques cas flagrants (Stonehenge en Angleterre ou New
Grange en Irlande). En Bretagne, après quelques précur-
seurs comme F. Gaillard ou R. Merlet dans le Morbihan,
mais aussi A. Devoir dans le Finistère, les travaux les plus
importants en ce sens ont été ceux de A. et A.S. Thom
qui, dans les années 1970, ont tenté d’y transposer les
théories qu’ils avaient précédemment bâties en Grande-
Bretagne.
Les résultats les plus séduisants des Thom concer-
naient le Grand Menhir de Locmariaquer, interprété
comme le « guidon » central d’un vaste système installé
entre la presqu’île de Rhuys et celle de Quiberon pour
repérer les levers et couchers extrêmes de la lune. Mais
on sait maintenant que le Grand Menhir n’était qu’un élé-
ment dans un alignement qui était probablement déjà
démantelé à l’époque où cette pierre aurait dû servir à
réguler un calendrier lunaire.
Quant aux champs de menhirs carnacois, A. et
A.S. Thom les envisageaient comme d’immenses abaques
qui auraient permis, en suivant la projection des ombres
d’une pierre sur l’autre au lever de la lune, de suivre les
« cycles longs » de cet astre et, par là, d’en prédire les
éclipses. Mais les calculs sophistiqués qui ont été propo-
sés se heurtent à une précision insuffisante des mesures
de terrain (elle-même reflet d’une certaine indétermina-
tion dans l’organisation des pierres et des incertitudes
introduites par les différentes restaurations), de sorte
que les conclusions résistent mal à une critique tant soit
peu serrée.
De la même manière, les orientations solaires très
précises relevées de longue date sur le quadrilatère
de Crucuno à Erdeven concernent un monument res-

75
C ARN AC

tauré ; un plan de Dryden et Lukis, levé en 1867, nous


en montre un état antérieur un peu moins régulier. Une
reprise complète des travaux sur le site permettrait seule
de trancher, si du moins les vestiges archéologiques
enfouis n’ont pas trop souffert des travaux anciens.

Enceinte
de Crucuno Course
O 5m
du soleil

Sol
stice d'hiver

Equinoxe
Solstice d'été

Plan de l’enceinte quadrangulaire


de Crucuno à Plouharnel
Essai de positionnement des principales directions
astronomiques données par le soleil
sur l’état actuel (restauré) du mouvement.

Pour Thom, comme pour beaucoup de ses prédéces-


seurs, la précision angulaire des visées astronomiques
allait de pair avec une métrique rigoureuse des tracés.
Tout en proposant des règles géométriques de construc-
tion complexes (et d’ailleurs variables d’un site à
l’autre), Thom crut ainsi pouvoir retrouver une « coudée
mégalithique » – megalithic yard – de 83 centimètres
qui aurait été en usage chez tous les bâtisseurs de mégali-
thes. Mais là encore, on se heurte à la significativité réelle
de calculs basés sur des mesures de terrain en fait moins
précises que ne l’estimait leur auteur... Et l’on reste son-
geur sur la réalité d’une métrologie commune à toute

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K E RL E SC AN , K E RM ARI O, L E M ENE C

l’Europe occidentale préhistorique pendant deux mil-


lénaires quand on se remémore la jungle des unités de
mesure traditionnelles avant l’adoption du système métri-
que, moins de 1500 ans après l’effort de systématisation
romain ; et que dire des réticences britanniques persis-
tantes en ce domaine ?
Bien qu’apparemment décevantes, ces tentatives sont
loin d’être sans intérêt ; même si elles s’inscrivent dans
une logique probablement bien différente de l’état d’es-
prit des hommes du Néolithique, elles ont au moins le
mérite d’avoir suscité des observations précises et des
relevés méticuleux. Les compléter par un examen de l’in-
sertion topographique de ces ensembles amène à déga-
ger quelques constantes qui peuvent ouvrir des pistes
intéressantes.

• Les pierres dans l’espace


Lorsqu’elles existent (comme à Kermario ou au
Menec), nous avons vu que les enceintes terminales des
champs de menhirs carnacois occupent systématique-
ment un point haut ; aussi modeste soit-il dans ce pay-
sage très peu accidenté, celui-ci reste suffisant pour que
les pierres s’y détachent sur l’horizon aux yeux d’un
observateur placé au cœur de l’alignement, pour peu que
l’on imagine un paysage découvert (ce qui fut sans doute
le cas au départ, les manutentions de centaines de blocs
impliquant de nettoyer les lieux au préalable). Lorsque
l’enceinte est absente (détruite ?) comme à Kerlescan ou
à Kerzerho, l’emplacement correspondant présente les
mêmes caractéristiques.
Les files de menhirs partent quasi perpendiculaire-
ment au bord est de l’enceinte, approximativement selon
la pente naturelle du terrain, et la taille des pierres dimi-
nue systématiquement quand on s’éloigne de celle-ci,
rapidement tout d’abord, puis de façon bientôt insensi-
ble. De ce fait, un observateur placé entre les menhirs
et regardant vers l’enceinte sera le jouet d’une véritable
illusion d’optique, la perspective créée par les files lui
paraissant artificiellement raccourcie (un peu comme

77
C ARN AC

sur une photographie prise au téléobjectif) ; l’enceinte


semble donc plus proche qu’elle n’est en réalité..., mais
s’il avance, notre visiteur devra bien entendu parcourir la
distance réelle sur le terrain et non celle subjectivement
perçue, d’où une curieuse impression de dérobade.
Une telle organisation paraît témoigner d’un parti déli-
béré, celui de mettre en valeur ce qui était certainement
la structure essentielle de ces complexes aux yeux de
leurs bâtisseurs, à savoir l’enceinte dont les immenses
files de menhirs n’auraient été, dans cette perspective,
que le faire-valoir.
Aller au-delà devient vite hasardeux en raison de la
conservation incomplète des sites et de leur restauration
parfois importante, voire incertaine ; on peut cependant
se demander si la forme des enceintes conservées (deux
semblent ovoïdes et une quadrangulaire) est représen-
tative et dans quelle mesure la différence de plan cor-
respond à une différence de fonction. De même, on

78
K E RL E SC AN , K E RM ARI O, L E M ENE C

peut s’interroger sur la longueur des files (moins de 300


mètres apparemment à Kerlescan, plus de 1 kilomètre
à Kermario si l’on considère l’ensemble comme homo-
gène), sur leur disposition (en éventail ou sub-parallèles)
et sur leur éventuelle différence de signification selon
qu’elles sont en position centrale ou latérale, qu’elles
aboutissent sur l’enceinte ou à côté, etc.
À cet égard, la remarque d’Aubrey Burl, croyant
reconnaître au Menec et à Kerlescan des paires de files
privilégiées déterminant une allée d’accès aux encein-
tes, nous amène à retrouver la conjonction de deux élé-
ments fondamentaux du sanctuaire-type dans la plupart
des religions primitives, bien mise en évidence par un
historien des religions comme Mircea Eliade : d’une part
l’espace sacré, lieu privilégié du contact avec le divin, de
préférence situé sur une hauteur et clairement séparé de
l’« espace sauvage » environnant, et d’autre part la voie
sacrée, moyen d’accès initiatique à ce haut lieu.

Les alignements du Menec


à Carnac
Au premier plan, le rocher
apparent illustre les phénomènes
d’érosion.

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C ARN AC

• De l’identité des pierres


La structure de l’ensemble ne doit cependant pas faire
négliger ses éléments constitutifs ; le modèle carnacois
avec enceinte terminale ne se retrouve d’ailleurs pas,
semble-t-il, dans les autres ensembles armoricains (sauf
peut-être à Saint-Just).
Isolée ou en groupe, la pierre dressée préhistorique a
de tout temps alimenté les spéculations et rien ne permet
d’affirmer que, même intégrée à un ensemble complexe
et parfaitement structuré comme c’est le cas dans les
grands systèmes carnacois, chaque pierre ne conserve
pas une valeur individuelle. L’identification la plus répan-
due est peut-être celle du personnage pétrifié par la malé-
diction divine, transposée à Carnac par la légende de
saint Cornely, vraisemblable avatar breton de Cornelius,
ce pape martyr du IIIe siècle qui fulmina contre les céré-
monies tauroboliques, d’où son rôle de protecteur des
bêtes à cornes. Comme bien souvent, il est difficile de
trancher entre une adaptation populaire de la « statue de
sel » biblique et la réminiscence d’une authentique tradi-
tion indigène.
Un autre mythe populaire très fort n’a curieuse-
ment aucune prise à Carnac, c’est celui du Géant (ogre,
Gargantua, Rannou, voire fée) dont les dents, palets ou
quenouilles parsèment les campagnes gauloises, peut-être
depuis la Protohistoire. Également courante est l’identifi-
cation de la pierre dressée à une stèle commémorative,
héroïsant du même coup le défunt concerné ; globali-
sée à l’échelle de Carnac, cette notion devient celle de
« champs-élysées » ou d’un « cimetière des héros ». Si le
concept peut remonter à l’âge du Bronze, son expression
à Carnac semble bien n’avoir été que greffe artificielle
d’une érudition récente ; elle n’apparaît d’ailleurs prati-
quement pas à propos des autres menhirs de la région.

• Pistes et contraintes pour l’avenir


En l’état actuel de nos connaissances sur le terrain,
tout cela reste bien entendu largement spéculatif. Des
fouilles de très grande ampleur dans les champs de

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K E RL E SC AN , K E RM ARI O, L E M ENE C

Carnac apporteraient peut-être des éléments de réponse


à comparer avec le bilan des recherches menées jadis
par Zacharie Le Rouzic à Er Lannic. Ces enceintes sont
les seules à avoir été méthodiquement explorées en
Bretagne, bien que les fouilles n’y aient pas été exhaus-
tives, loin de là. Elles ont néanmoins livré foyers, cais-
sons à ossements et la célèbre série des fragments de
« coupes à socle » – brûle-parfums ; l’ambiance est donc
clairement celle d’un sanctuaire. Certes aucune repré-
sentation de divinité n’y a été retrouvée mais, outre la
possible évocation de l’« idole en écusson » par la forme
même de l’enceinte à laquelle nous faisions allusion, rien
n’interdit d’envisager des icônes en matériau périssable...
N’oublions pas non plus qu’un tabernacle apparemment
vide peut néanmoins abriter un dieu puissant et redouté.
Dans une telle logique, on conçoit que sépultures et
mausolées entourent des lieux aussi privilégiés que ces
grands alignements. Quant aux menhirs isolés du voisi-
nage, ils pourraient témoigner de rapports avec une autre
notion importante et complémentaire, celle d’un « axe
du monde » reliant ciel, terre et enfers. Une telle idée
pourrait survivre dans les appellations traditionnelles de
« pierre du soleil », « pierre aux oiseaux » ou « bonde de
l’enfer » conservées ici et là. Mais l’archéologue atteint là
les limites de sa méthode...
On le voit, l’espoir de pouvoir déchiffrer un jour les
alignements de Carnac ne passe pas seulement par le
respect des pierres elles-mêmes, mais aussi (et peut-être
surtout !) par la bonne conservation d’indices très divers
et souvent ténus, ainsi que par le respect de leurs abords
à une échelle insoupçonnée naguère encore, alors
même que l’urbanisation de la région commençait déjà
de les engluer. Il serait utopiste de prétendre retrouver
un hypothétique « espace sauvage » jusqu’à l’horizon
autour des « espaces sacrés » que devaient constituer ces
cohortes de pierres ; pensons néanmoins qu’une grande
discrétion s’impose au voisinage de ces champs de men-
hirs qui furent peut-être les premières cathédrales de
Bretagne.

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Le menhir
et le tertre du Manio
Stèles « gravées » et tertres funéraires

Comme il a été déjà bien précisé dans les premiè-


res pages, l’opération de fouille menée en 1922 sur le
tertre du Manio à Carnac marque une date importante
dans l’historique des recherches consacrées au vaste
complexe mégalithique de la région. Si l’on excepte les
travaux de James Miln menés dans les années 1880 et
consacrés à l’exploration rapide de tertres semblables
à celui que nous allons maintenant décrire, l’essentiel
des enquêtes de terrain dans l’Ouest de la France s’est
principalement porté sur les dolmens dont les caractè-
res architecturaux spectaculaires font, bien entendu, un
sujet d’investigation attractif et populaire.
En portant leur attention sur des monuments délaissés
par la curiosité des archéologues de l’époque, Zacharie
Le Rouzic accompagné de Marthe et Saint-Just Péquart
veulent démontrer leur ancienneté, rapporter certaines
régularités observées dans leur architecture et faire valoir
enfin leur fonction funéraire.
À l’extrémité des alignements de Kermario, ils remar-
quent ainsi un léger bombement recouvert par les diffé-
rentes files de menhirs. Ce relief est aujourd’hui toujours
aussi visible depuis la route. Le Rouzic et ses collabora-
teurs en déduisent qu’il ne peut s’agir là que d’un tertre
artificiel construit de main d’homme. Qui plus est, un
grand menhir planté au sommet semble à leurs yeux en
indiquer le lieu et en consacrer l’espace. Ils remarquent
aussi que ce menhir est quatre fois plus haut que la
moyenne des autres pierres dressées sur le tertre et qu’il
est manifestement décalé par rapport aux alignements
visibles sur le terrain.

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LE M E N H I R E T L E T E RT RE D U M A NIO

De manière encore plus précise, les chercheurs


constatent que si les alignements sont bien orientés
est-ouest, le grand menhir indique une direction radi-
calement perpendiculaire, nord-sud. Ces différences –
cumulées aux résultats des fouilles qui démontrent que
ce menhir est planté dans le sol sous-jacent au monu-
ment, alors que les autres menhirs inférieurs en taille
sont enracinés dans la masse même du tertre – leur font
comprendre une distinction chronologique de premier
ordre : le grand menhir ne fait pas partie des alignements
mais leur est antérieur.
Dépôts céramiques

Stèle gravée
Foyers
Stèle cassée

LE MANIO

Coffres funéraires

Alignements de menhirs
0 10 m

Le tertre à coffres multiples du Manio 2 à Carnac


Le plan indique l’implantation des coffres funéraires
et des céramiques qui furent découvertes.

La fouille du Manio
À partir des dimensions mesurées sur le terrain et qui
leur donnent une première idée de l’envergure du monu-
ment (une cinquantaine de mètres de long pour trente
mètres de large et un mètre de hauteur), Le Rouzic et les
Péquart lancent leurs ouvriers terrassiers dans le creuse-
ment de tranchées exploratoires. Très vite, ces tranchées
permettent de se faire une idée précise des limites du
tertre : ils rencontrent en effet une « muraille formant
enceinte quadrilatère ». Des photographies prises durant
les fouilles illustrent tout à fait le propos et montrent une

83
C ARN AC

succession de dalles plantées, à l’origine à la verticale,


limitant et contenant la masse des matériaux constituant
le tertre.
La mise en évidence de ces limites bien architecturées
permet donc de se faire une idée de l’emprise au sol du
monument. Cette emprise dessine en fait un trapèze de
35 mètres de long, aux façades larges de 16 mètres à l’est
et 11 mètres à l’ouest. Cette dissymétrie est remarquable,
car nous verrons plus loin qu’il s’agit d’une constante
formelle décrite ailleurs qu’en Bretagne pour d’autres ter-
tres néolithiques.
À l’intérieur de ces limites bien matérialisées au sol, les
fouilleurs accumulent les observations relatives à l’organi-
sation du tertre. Ainsi la pierre joue ici un rôle primordial
dans la structure de l’ensemble. Les dalles et blocs de gra-
nite sont appuyés jointivement les uns contre les autres
en formant des sortes de massifs circulaires, non pas des-
tinés à un usage particulier, mais reflétant simplement
un mode de construction par ajouts successifs de masses
structurées et cohérentes. Il semble d’ailleurs que ces
pierres soient plantées dans des couches argileuses rap-
portées formant une sorte de base ou d’assise primitive.
Ce mélange de terre et de pierre est la définition même
du tumulus, et ce par l’étymologie du mot.
Le dégagement progressif des surfaces internes
permet aussi aux archéologues de 1922 de décrire, à l’an-
gle nord-est du tumulus, deux autres murailles concen-
triques qui laissent présager une indéniable organisation
architecturale des matériaux mis en œuvre.

Le menhir gravé
La mise au jour de la partie enfouie du grand menhir
qui domine l’extrémité la plus élevée du tumulus est l’oc-
casion de faire trois découvertes essentielles. Chacune
d’entre elles renvoie à des domaines précis qui sont
autant de directions modernes de recherche. Nous vou-
lons parler des techniques de construction, du mobilier

84
LE M E N H I R E T L E T E RT RE D U M A NIO

archéologique et de la représentation idéographique pro-


pres aux sociétés néolithiques de l’Ouest de la France.
Ce monolithe dressé mesure plus de 4 mètres de
haut dont 3,5 mètres hors de terre. Sa base repose sur le
substrat rocheux, qu’elle entame par une fosse de fon-
dation remplie d’arène granitique, et se tient enserrée
par un massif de pierres « non pas jetées au hasard en
désordre, mais placées à la main et qui, partant du sol à 3
mètres environ du menhir, viennent s’y appuyer jusqu’à
une hauteur de 80 centimètres ». Ce mode de calage bien
structuré rappelle les observations récemment faites à
Locmariaquer lors de l’exploration de la base du Grand
Menhir en 1993.

Une dalle gravée à Gavrinis


Une vue rapprochée sur un pilier en granite permet de découvrir
une crosse, deux « serpents » et une paire de lames de haches polies.

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C ARN AC

Archéologie expérimentale
Comment obtenir une gravure sur granite par l’expérimentation :
après 33 heures de piquetage sur la surface de la roche,
la crosse émerge en relief.

Et c’est au contact basal du menhir du Manio que


les ouvriers dégagent quatre lames de haches polies en
roche tenace. Une cinquième est d’ailleurs découverte
à un mètre de là et participe probablement du même
dépôt intentionnel. Ces lames polies sont, on le sait, plus
que de simples outils de pasteurs ou d’agriculteurs. Elles
sont emblématiques de la période, et nous reviendrons
plus loin sur le rôle symbolique que les archéologues leur
prêtent dans la préhistoire récente de l’Europe.
Car dans l’immédiat, une troisième découverte vient
enthousiasmer les fouilleurs. Des traits ondulés appa-

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LE M E N H I R E T L E T E RT RE D U M A NIO

raissent avec netteté après le nettoyage d’une des faces


du monolithe, située hors de la fosse de fondation, mais
qui était cependant occultée par les matériaux du tumu-
lus. Cinq motifs parallèles en forme de serpents, dont on
pourrait deviner les têtes aux extrémités, ornent ainsi
le grand menhir du Manio sur 90 centimètres de hau-
teur. Il s’agit sans nul doute d’une révélation capitale :
signes et pierres dressées sont ici associés et s’intègrent
de manière indiscutable au tumulus. De surcroît, les tra-
vaux de terrassement montrent très vite que ce tertre
renferme des coffres funéraires.

Les tombeaux
À un mètre de la base du menhir gravé, en effet,
une grande dalle posée à l’horizontale est progressive-
ment dégagée de son enveloppe terreuse. Là encore, et
sur la face supérieure tournée vers le ciel, une gravure
nette apparaît et l’on devine alors le dessin d’une hache
emmanchée de 60 centimètres de longueur. Cette dalle
de plus de 3 mètres de long, protégée par d’autres pier-
res bien agencées, repose sur une muraille qui détermine
une cavité spacieuse curieusement remplie, au moment
de la découverte, d’une argile compacte résultant de
l’infiltration des sédiments de surface. Mais ce remplis-
sage n’occupe pas tout l’espace intérieur du coffre car,
au centre, les pelles des ouvriers rencontrent une fosse
constituée de terre meuble noirâtre. Dans ce comble-
ment sombre de 1,50 mètre de long sur 50 centimètres
de profondeur (qui peut marquer l’emplacement d’un
corps enveloppé d’une matière périssable), les fouilleurs
recueillent une poterie et une armature de flèche à tran-
chant transversal, et interprètent le tout comme un coffre
funéraire.
Dans le même axe directionnel donné par ce premier
ensemble clos et à quelques mètres de lui, une seconde
fosse est identifiée, mais cette fois-ci délimitée par des
dalles jointives, fichées en terre. Malheureusement,

87
C ARN AC

cette nouvelle tombe semble avoir été bouleversée à


une époque indéterminée et la dalle de couverture gît
sur le coté. Également brisée pour ne pas avoir pu être
extraite, une pierre encore volumimeuse (1,30 mètre
de haut sur 1,10 mètre de large) se distingue sur le côté
nord de la structure précédente, et semble calée exac-
tement comme pourrait l’être un menhir. D’ailleurs, la
disposition de cette embase dans le corps du tumulus est
analogue à celle du grand menhir et peut donc plaider,
ici encore, en faveur d’une véritable « signalisation » du
tombeau.
À ces espaces clos qui renvoient à des structures
funéraires, s’ajoute une liste d’autres petites « cavités »
constituées de pierres de chant laissant un espace gros-
sièrement quadrangulaire et dont les dimensions moyen-
nes internes tournent autour de 20 à 30 centimètres, à
l’ouverture et en profondeur. Ces petites constructions
ne sont certainement pas des espaces funéraires, mais
pourraient aujourd’hui être interprétées comme d’an-
ciens calages maintenant la base de poteaux en bois
disposés dans la masse du monument. Une dizaine de
ces « trous de poteaux » s’alignent d’ailleurs en deux
files parallèles, en arrière du deuxième coffre, c’est-
à-dire à l’ouest du tumulus. Si l’hypothèse est bonne,
quelle superstructure a-t-on voulu ici édifier ? Et à quelle
époque ? Le problème ne peut être résolu par de sim-
ples spéculations et il nous faudra fouiller à nouveau de
semblables monuments pour savoir si des charpentes de
bâtiments, ou de simples espaces ainsi délimités et sans
toit, participaient à l’architecture générale, au « fonction-
nement » du monument...

Le mobilier archéologique
La découverte du dépôt des lames de haches polies
trouvé au pied du grand menhir fut, on s’en doute, un
moment important des fouilles du Manio. Plusieurs céra-
miques, trouvées brisées sur le terrain mais reconstituées

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LE M E N H I R E T L E T E RT RE D U M A NIO

au musée de Carnac, permettent par ailleurs de se faire


une idée de la culture matérielle des groupes humains
plus ou moins contemporains de l’utilisation du tertre.
Cette incertitude chronologique tient à l’absence d’une
stricte liaison de contemporanéité entre les poteries et
les coffres funéraires dégagés au cœur du monument :
« Pourquoi tous les vases ont-ils été placés à l’extérieur
de la muraille d’enceinte ? », s’interrogent à l’époque
Le Rouzic et les Péquart. De nos jours, les réponses peu-
vent encore varier : il peut sans doute s’agir d’offrandes
déposées au pied des murs afin d’honorer les morts des
deux coffres intérieurs ; mais de nouvelles sépultures ont
pu être également construites à la périphérie du monu-
ment, voire dans l’éboulis des matériaux constituant le
tumulus, les récipients devenant dans ce cas les vérita-
bles viatiques de défunts n’ayant pas eu accès au grand
sépulcre principal. L’espace de temps séparant la phase
d’utilisation des coffres du tertre et les dépôts cérami-
ques recueillis lors des fouilles de 1922 est donc difficile-
ment appréciable ; la période dite du Néolithique moyen
est cependant commune aux différents événements...
Quoi qu’il en soit, les céramiques sont modelées à la
main à l’aide de colombins d’argile et parfaitement lis-
sées ou polies avec un galet durant la phase de séchage.
Certaines formes sont celles que les archéologues
d’aujourd’hui peuvent trouver dans la commune voisine
de Locmariaquer, dans le sol antérieur à la construction
du fameux dolmen de la Table des Marchand.
Excepté la pointe de flèche découverte dans un des
deux coffres, l’outillage en silex est peu représenté au
Manio. En revanche, les auteurs de la fouille remarquent
une proportion inhabituelle de fragments de meules à
moudre les grains ayant subi l’action de feux violents. La
dispersion des morceaux sur tout le site ne les empêche
pourtant pas de remonter, par un jeu de puzzle, plusieurs
objets. En fait, ces bris volontaires ne sont pas une surprise
et l’on connaît d’autres gisements dans le Néolithique
breton et européen où cette pratique est attestée, sans
que l’on sache vraiment ce qu’elle signifie. Sinon, par une

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sorte d’analogie, la « mort » de l’objet ou du symbole que


cet objet du quotidien pouvait représenter dans la pensée
religieuse de ces sociétés d’agriculteurs sédentaires.

L’environnement archéologique
du Manio
Le tertre du Manio n’est pas un monument isolé. À seu-
lement 40 mètres au nord-ouest, se tenait un autre monu-
ment similaire contenant un coffre couvert par une dalle de
plus de 2 mètres de long. Il fut malheureusement détruit.
Mais dans un périmètre de quelques centaines de mètres,
plusieurs autres témoignages résistent encore à l’épreuve
du temps et prouvent en ces lieux un choix délibéré pour
édifier et regrouper des architectures funéraires.
Le visiteur peut ainsi côtoyer deux tertres à proximité
immédiate. À l’est tout d’abord, celui de Kerlescan se
devine dans un bois de pins, en bordure de l’enceinte
de menhirs assez bien reconnaissable sur le terrain. Une
grande pierre dressée, très visible, marque l’extrémité
occidentale du tertre et permet en tous cas de se repé-
rer aisément. Les anciennes fouilles menées au cœur du
monument ont mis en évidence un alignement de dal-
lettes dressées, qui le ceinture et le limite sur près d’une

Serpentiforme Crosse
Hache
« Hache-charrue »
Hache emmanchée

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LE M E N H I R E T L E T E RT RE D U M A NIO

centaine de mètres. La forme ainsi dessinée au sol par ces


blocs de contention rappelle un trapèze très allongé dont
la grande base serait dirigée vers l’orient. Des coffres en
dalles de granite furent découverts dans l’axe du tumulus
et dans sa partie occidentale, marquant l’emplacement
des anciennes tombes dont le mobilier d’accompagne-
ment, s’il exista, nous reste inconnu.
Au nord-ouest du Manio, près du menhir « Géant »
indiqué depuis la route, une enceinte également trapézoï-
dale de dalles fichées en terre reproduit la même organi-
sation architecturale qu’à Kerlescan, à la différence près
que la masse centrale des terres rapportées a ici disparu.
Seule une gravure ancienne nous rappelle que le tertre
fut, jusqu’à peu, conservé, prouvant une nouvelle fois la
fragilité de ces vestiges.
Trois autres monuments semblables sont essaimés
alentour, enfouis dans les landes actuelles. Il est certain
qu’à l’époque de son utilisation, l’ensemble de la nécro-
pole, ainsi défini dans l’espace, devait être perceptible
par tous ceux qui empruntaient telle ou telle voie de pas-
sage la bordant ou y conduisant. Le développement plus
ou moins artificiel de la végétation arborée de cette fin
de siècle ne doit pas nous faire oublier qu’un environne-
ment défriché de ces monuments pouvait laisser en fait
des perspectives fort dégagées.

Le répertoire des gravures


« Idole » régionales
« cornus » Les principaux signes et symboles
hée sur les pierres dressées du
Néolithique morbihannais.

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Les pierres gravées et sculptées


Le grand menhir du Manio porte à sa base une série
de gravures en lignes parallèles ondulées, les fameux
« serpents du Manio ». On ne saura probablement jamais
si d’autres signes étaient gravés sur les parties hautes de
ses faces brutes ; le passage du temps, le ruissellement de
l’eau de pluie, les écarts de température sont à l’origine
de la desquamation du granite et seules les conditions
idéales d’enfouissement des parties basses du monoli-
the ont permis la remarquable préservation des gravures.
Soixante-dix ans après la découverte, on peut d’ailleurs
mesurer l’altération progressive des surfaces de la pierre
en comparant la fraîcheur, l’éclat, la lisibilité des traits,
tels qu’ils apparurent aux yeux des premiers archéolo-
gues, saisis par une chambre photographique, et leur état
actuel d’observation, en plein air...
Cela pour dire que si l’étude des gravures et des sculp-
tures sur pierre du Néolithique nous portera le plus sou-
vent à l’intérieur des dolmens, autrement dit au sein des
tombes à couloir, lieux privilégiés de leur conservation,
elle devra ne pas négliger cette part difficilement quantifia-
ble de l’art pariétal qui échappe à l’attention de l’analyste.

Le motif de l’« Idole » et la représentation de la crosse


La stèle de chevet après restauration de la Table
des Marchand à Locmariaquer.
Le signe de la crosse est ici multiplié en deux panneaux symétriques.

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Quoi qu’il en soit, le Morbihan et plus précisément


la région de Carnac-Locmariaquer offrent cette parti-
cularité exceptionnelle de réunir, dans un territoire si
restreint, la grande majorité des signes marqués dans
la pierre pour tout le Néolithique français, et que l’on
date du passage entre le Ve et le IVe millénaire av. J.-C.
Une telle densité d’informations est aussi une chance
supplémentaire pour le chercheur de pouvoir accéder
à la dimension symbolique, à la religiosité, à la pensée
des populations humaines d’un passé lointain. Ce riche
potentiel n’a guère d’équivalent en France, mais ne doit
pourtant pas nous faire oublier l’existence de représen-
tations similaires plus isolées sur les monuments mégali-
thiques d’autres régions.
En Bretagne même où, de la Loire-Atlantique
(Dissignac) au Finistère (Barnenez), menhirs et dalles de
construction des différents dolmens conservent des gra-
vures identiques. À l’ouest de Paris, dans l’Eure-et-Loir,
la ressemblance formelle des signes relevés dans d’autres
sépultures mégalithiques (Le Berceau) ou sur d’autres
pierres dressées (La Mère aux Cailles) est tout aussi frap-
pante, bien que la densité des témoignages chute ici de
façon spectaculaire. Ailleurs, en Bourgogne, des menhirs
« décorés », dont certains reconnus depuis le siècle der-
nier (Saint-Micaud), permettent des comparaisons graphi-
ques tout à fait pertinentes avec les « modèles » bretons.
Et ne trouve-t-on pas jusqu’en Suisse, à Yverdon, des ali-
gnements de menhirs eux aussi signalés par des gravures
analogues et contemporaines ?
Cette évidente communauté de caractères, qui ne
peut s’expliquer par de simples phénomènes de conver-
gence, est en fait une réalité européenne, tout au moins
dans sa partie occidentale. Du Portugal à l’Écosse, une
même volonté de représentation dans la pierre semble
bien traduire un véritable fonds commun d’idées et de
comportements dans la vie spirituelle des sociétés néo-
lithiques, au-delà de la diversité des expressions. Mais
cela mériterait d’autres prolongements, et c’est une autre
histoire...

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C ARN AC

Bref historique de la recherche


La découverte et la description des gravures faites
sur les dalles des monuments mégalithiques ne coïncide
pas tout à fait avec celles de ces derniers, bien qu’en
Morbihan Maudet de Penhouët rapporte, dès le début du
XIXe siècle, les descriptions de figures sculptées rencon-
trées à Locmariaquer. Soit qu’on ne les ait pas vues parce
qu’on ne les cherchait pas, soit qu’elles n’aient pas pré-
senté aux yeux des premiers observateurs l’aspect d’une
intentionnalité humaine, il faudra attendre les années
1830-1860 pour que leur authenticité soit affirmée sans
ambages et qu’une terminologie descriptive voie le jour.
Gustave de Closmadeuc appelle signes « juguiformes »
cette stylisation convaincante des bucrânes (ou « têtes
de bœuf »), sur laquelle nous reviendrons, et qui se
répète dans nombre de tombes du Morbihan. Vers 1890,
le fameux préhistorien Gabriel de Mortillet décrit les
« crosses » dessinées sur les parois des plus fameux monu-
ments et les assimile aussitôt à des objets prestigieux,
emblèmes du pouvoir politique ou spirituel, par analogie
avec les sceptres des pharaons ou les crosses des évêques
de la chrétienté. À la même époque, C. Letourneau se
penche aussi sur l’art pariétal d’Armorique et n’hésite
pas à parler de signes alphabétiformes, ce qui est sans
doute aller vite en besogne... À partir des années 1910,
Charles Keller et Zacharie Le Rouzic confirment l’identi-
fication antérieure faite par de Closmadeuc d’un animal,
un quadrupède, sur le plafond de la Table des Marchand
de Locmariaquer, et signalent une grande hache polie
au-dessus de la figure « en écusson » de la grande dalle
de couverture de Mané Rutual, toujours dans la même
commune. Nous verrons par la suite l’importance de ces
premières estimations. Cet « écusson » est identifié à la
même époque comme représentation humaine, anthro-
pomorphe, par G.H. Luquet alors que Joseph Déchelette,
grande figure de l’archéologie française, expose l’univer-
salité du signe « cornu ». Au début des années 1920, les
magnifiques piliers ornés de Gavrinis sont d’une manière

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étonnante interprétés en tant que « dessins papillaires


digitaux »... Mais c’est l’ouvrage écrit en 1927 par Saint-
Just et Marthe Péquart, en collaboration avec Zacharie
Le Rouzic, qui marque une étape importante de la
recherche dans cette si difficile analyse de l’art pariétal
néolithique.
Ce « corpus des signes gravés des monuments mégali-
thiques du Morbihan », à l’illustration abondante, restera
un modèle du genre ; jusqu’à ces dernières années, peu
de progrès seront faits par les générations successives d’
archéologues, immobilisés par un sujet aussi impalpa-
ble, qu’il s’agisse du domaine descriptif des signes ou
de celui de l’interprétation historique, de l’interpréta-
tion sémantique. De fait, beaucoup de termes employés
ici pour présenter les différents types de gravures seront
extraits des classifications proposées dès cette époque. À
cela s’ajoute cependant un autre travail de référence qui
est celui publié en 1981 à Oxford (Grande-Bretagne) par
Elizabeth Shee-Twohig. Mais, avant d’aborder la question,
arrêtons-nous un moment sur les techniques de réalisation.

Les techniques de réalisation


La qualité du support, de la pierre, a-t-elle pu jouer
un rôle dans l’application des motifs ? A-t-on pu recon-
naître des régions plus favorables que d’autres ? On peut
en douter, car autant le calcaire tendre utilisé dans les
constructions mégalithiques des régions sédimentaires de
Poitou-Charentes et de Normandie se prêtait en théorie
de façon admirable à la gravure et à la sculpture, autant
les granites et les schistes du sous-sol métamorphique de
Bretagne, toutes roches mises en œuvre dans l’édification
des mêmes types de tombes, n’accordaient en revanche
aucune facilité d’exécution à l’artiste, et cependant ces
dernières furent les plus travaillées, sans comparaisons
possibles. On concèdera certes que les blocs les moins
tourmentés ont ici été choisis pour avoir fourni les surfa-
ces les plus planes.

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Dans certains cas, la surface d’origine est soigneuse-


ment préparée par un bouchardage régulier de la roche,
au moyen de lourds percuteurs de quartz. Mais, à vrai
dire, les surfaces brutes sont de loin les plus fréquentes
dans ce qui nous est donné à voir aujourd’hui. En sorte
que, après avoir martelé, piqueté, écrasé le grain du gra-
nite au moyen de ces « marteaux » adaptés aux différents
moments d’exécution, les lignes des figures apparais-
saient en blanc sur fond gris, le blanc des cristaux percu-
tés et cassés sur le fond sombre de la roche-support.
Une deuxième technique oppose à cette manière
de tracer en creux sur une matière dure celle consis-
tant à obtenir un effet de relief. La surface de la roche
est ainsi défoncée par un martelage répété afin que les
motifs ornementaux apparaissent en réserve. Dans cer-
tains cas, comme dans l’exemple du Grand Menhir de
Locmariaquer, le travail exigé est considérable. La colo-
ration de l’ensemble devait alors changer par rapport à
la précédente ; seule la figure en réserve, en bas-relief,
conservait les tonalités sombres de la roche brute sur
un fond éclairci par l’écrasement conséquent. Que des
colorants naturels aient pu être appliqués sur les sur-
faces n’est d’ailleurs pas une éventualité farfelue, plu-
sieurs cas de dalles peintes au Néolithique sont connues
en Espagne quand les conditions de conservation sont
idéales...

Les signes
• Les serpentiformes
Choisis pour avoir été précédemment décrits à la base
du grand menhir du Manio, les signes « serpentiformes »
ne sont pas les plus rares mais ils restent peu nombreux.
Ils sont néanmoins les plus vite identifiables et ont frappé
l’imagination des observateurs qui les décrivaient, sans
doute en raison de l’universalité de leur représentation.
Les belles gravures ondulées de Gavrinis ou du Petit
Mont furent d’ailleurs parfois mises à contribution pour

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LE M E N H I R E T L E T E RT RE D U M A NIO

alimenter les thèses relatives à l’ophiolâtrie, le culte du


serpent, en vogue jusqu’au milieu du XIXe siècle. On a
même voulu reconnaître dans les rendus ondulatoires
provoqués par les alignements de menhirs couvrant le
léger relief valonné de la région de Carnac, les effets de
ce culte du serpent... Mais ces explications ne furent pas
les seules à être proposées ; l’évocation d’une symboli-
que de l’eau ou encore d’une chevelure humaine furent
aussi le résultat fréquent des réflexions menées par les
érudits locaux des diverses sociétés savantes, à la fin du
siècle dernier.

• La crosse
Un autre signe de base à l’origine d’interprétations
distinctes est celui de la « crosse », décrit en Armorique
aussi bien sur des pierres dressées comme celles du
de Kermarquer à Moustoirac (Morbihan), qu’à l’inté-
rieur des tombes à couloir régionales de la Table des
Marchand, du Petit Mont et de Gavrinis. Mais, dans ces
monuments, les gravures peuvent être placées sur les
faces externes des supports, comme nous le verrons
par la suite, et donc invisibles puisque masquées par la
masse du tumulus recouvrant l’espace funéraire délimité
par ces dalles.
On a parfois voulu reconnaître une faucille dans cette
figuration, objet emblématique des pratiques agricoles,
mais aussi un boomerang, une canne de berger, une
hache emmanchée... L’interprétation qui prévaut depuis
la fin du siècle dernier reste cependant celle d’une
crosse, sorte de sceptre identifié dans les temps antiques
et modernes, archétype de l’insigne de commandement
ou de la dignité sacerdotale. Dans l’Égypte ancienne, une
arme serait à l’origine du symbole identifié aux mains de
Pharaon. Des objets véritables sont d’ailleurs connus dans
le Néolithique européen, datés d’une époque contempo-
raine de celle des gravures de la région de Carnac, cros-
ses en or déposées dans les tombes découvertes sur les
bords de la mer Noire, crosses en schiste dans les monu-
ments mégalithiques du sud du Portugal.

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C ARN AC

• La hache
Voici certainement le signe qui fait l’unanimité autour
de lui, tant les analogies repérées depuis longtemps avec
l’outil universel semblent incontestables. Qu’il s’agisse de
la lame polie isolée ou figurée en couple, ou encore de
l’objet emmanché, toutes ces gravures se portent indif-
féremment sur les pierres dressées isolées, ou réunies en
hémicycle, et sur les dalles des tombes monumentales.
Les immenses « tables » de couverture des dolmens des
Marchand ou de Mané Rutual à Locmariaquer en présen-
tent des modèles fameux, tout comme la dalle de couver-
ture du coffre principal du tertre du Manio ; le menhir de
Crucuny et ceux des enceintes d’Er Lannic, de Kergonan,
plantées dans les îles du golfe, en laissent encore certains
visibles dans le granite, en les cherchant bien.
Ce n’est certainement pas un hasard si la hache reste
un puissant symbole du Néolithique. Si, par l’étymologie
adoptée, ce « nouvel âge de Pierre » faisait allusion à la
lame polie en silex ou en roche tenace, c’est bien que
l’on reconnaissait un progrès indéniable dans l’obtention
d’un outil à trancher et couper que le polissage des sur-
faces brutes de taille rendait plus efficace en pénétration,
plus résistant aux chocs répétés, et qu’un emmanche-
ment adéquat décuplait la force du bras humain.

La hache, symbole de puissance


L’abondance de ces représentations atteste l’importance d’un outil
qui permit aux premiers agriculteurs de gagner sur la forêt.
À gauche, hache gravée au plafond de La Table des Marchand ; à droite,
couples de lames de haches polies triangulaires sur un pilier, à Gavrinis.

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LE M E N H I R E T L E T E RT RE D U M A NIO

Durant cette période cruciale où l’homme tente de


maîtriser certains cycles naturels, cultures céréalières
et élevage des animaux domestiqués sont les nouvelles
contraintes qui obligent à gagner sur la forêt primaire
couvrant alors la plus grande surface de l’Europe tempé-
rée. La hache est l’instrument qui s’impose pour abattre
les arbres, accompagner les brûlis, et dégager les espaces
où germeront les semences de blé et d’orge ; elle devient
l’outil indispensable qui permet de tailler, tronçonner et
fendre les fûts, lever les planches de chêne mis en œuvre
dans la construction des maisons et des clôtures. À l’es-
thétique fonctionnelle de cet instrument simple, mais
vital, s’ajoute bien entendu une valeur symbolique que
trahissent des lames fragiles, trop minces ou trop grandes
pour avoir servi en tant qu’outil, prises dans des roches
aux origines si lointaines qu’il est impensable qu’elles
aient pu servir autrement que dans le cadre d’une accu-
mulation des biens de prestige et des échanges générali-
sés entre communautés.
L’outil de la déforestation, symbole de la progression
pionnière des premiers agriculteurs, restera en usage
bien longtemps. La « hache emmanchée » sera donc
représentée durant tout le Néolithique, sans grande
modification. Un type de gravure présente néanmoins
une déviation énigmatique : présent sur les montants
des dolmens de Gavrinis et de Pen Hape dans le golfe
du Morbihan, mais également sur le grand menhir de
Kermorvan en Finistère, ce signe pourrait faire penser
à une lame de pierre rangée dans une espèce de gaine la
protégeant ou « l’habillant »...

• La « hache-charrue »
Tout aussi énigmatique mais pourtant affublé d’une
appellation qui présuppose la fonction, ce signe est très
peu répandu en dehors de cette partie du Morbihan qui
nous intéresse, sinon en Loire-Atlantique, sur la dalle cou-
vrante d’une des tombes de Dissignac. À proximité des
alignements, le dolmen de Kermario en offre une illustra-
tion remarquable, gravée au plafond de la chambre funé-

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C ARN AC

raire. Un autre exemple, piétiné par des générations de


visiteurs irrésistiblement attirés par l’escalade du Grand
Menhir de Locmariaquer, est en partie visible, en fin de
journée, grâce à l’éclairage oblique du soleil d’été.
Rapporté au contexte du travail de la terre, à la germi-
nation des blés, ce symbole serait celui de la fécondité.
L’ennui, c’est que les araires néolithiques découvertes en
Europe ne présentent pas du tout l’allure qu’il restitue.
Certes, une stylisation devrait nous éloigner de l’objet
réel, a fortiori si nos prédécesseurs y ont vu la combinai-
son symbolique avec une lame de hache. Mais, au fond,
rien de bien convaincant à qui s’efforce pourtant de lais-
ser aller son imagination et son goût à l’abstraction...

KERCADO

Le dolmen de Kercado
à Carnac
La « hache-charrue » figurant au
plafond du dolmen est identique
aux modèles de Locmariaquer.

• Le cornu
Signe en « U » ou signe « juguiforme », les précautions
de langage ne peuvent atténuer la conviction largement
partagée qu’il s’agit bien de la représentation stylisée
d’un bucrâne, autrement dit la paire de cornes d’un
bovin. Bien que certains chercheurs aient voulu autre-
fois y voir la figuration d’un bateau, l’interprétation qui
prévaut désormais s’appuie sur de nombreux rappro-

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LE M E N H I R E T L E T E RT RE D U M A NIO

chements démonstratifs, pris dans toute la préhistoire


du vieux continent. Là encore, qu’il s’agisse de l’animal
sauvage, de l’aurochs à la taille impressionnante qui est
chassé en Europe occidentale, ou qu’il s’agisse dans
les périodes plus récentes de la bête domestiquée, pro-
ductrice de viande et des dérivés du lait, mais aussi du
bœuf tractant les instruments aratoires, tout concourt
à ce que les bovins se chargent d’une grande valeur
symbolique et fassent l’objet d’un culte affirmé dont les
archéologues ont tendance à vouloir trouver l’origine en
Méditerranée orientale.
Ces signes cornus sont identifiés sur des pierres dres-
sées mais le plus souvent sur les orthostates des tombes
à couloir, comme celles du Mané Lud, à Locmariaquer.
Des objets sont même connus dans le Néolithique euro-
péen et les dessins des appliques en or de la nécropole
de Varna, en Bulgarie, sont tout à fait analogues aux gra-
vures des tombes du Morbihan ou du Finistère.

Stèle du Mané er Hroëk à Locmariaquer


Des haches emmanchées apparaissent vers
l’extrémité de la stèle.

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C ARN AC

• La Déesse-mère
Dernier des signes de base, figuration de référence
bien souvent citée par les chercheurs des régions voisi-
nes, la « Déesse-mère », « l’Idole néolithique », a permis à
de nombreux auteurs d’argumenter, par le biais de cette
gravure, en faveur de la pensée religieuse développée par
ces sociétés néolithiques d’Armorique. Cette divinité tuté-
laire, que l’on voudrait croire universelle parmi les com-
munautés d’agriculteurs, est là encore présente sur des
pierres dressées comme à La Tremblais à Saint- Samson-
sur-Rance (Côtes-d’Armor), sur des dalles de couverture
de dolmens comme à Mané Rutual à Locmariaquer, ou
encore sur les piliers des mêmes tombes à couloir comme
à l’Ile Longue, dans le golfe du Morbihan.

La tombe à couloir de l’Ile Longue


en Larmor-Baden
La figuration de « l’Idole néolithique » sur une dalle
du couloir du dolmen de l’Ile Longue.
La partie supérieure de la gravure a été occultée
lors de la construction du couloir d’accès.

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LE M E N H I R E T L E T E RT RE D U M A NIO

L’interprétation anthropomorphique ne s’est pas


immédiatement imposée et l’on a vu des auteurs décrire
des maisons d’habitations avec toit et chaume de couver-
ture... Mais il semble que, dès 1913, ces extrémités libres
de brins d’osier, de plumes, se soient vite transformées
en cheveux, les anneaux latéraux en bras, et la partie
supérieure des figures, dégagées par des étranglements,
en tête surmontée d’un drôle de pointement.
Une autre interprétation à la mode proposait dans les
années 1920 de voir dans ces gravures des sortes de bou-
cliers touaregs. L’idée a cependant perduré jusqu’à nos
jours, et se mêle à celle de la divinité néolithique, par
analogie plus ou moins avouée avec le monde médiéval
où le bouclier devint, par une évolution symbolique, un
écu emblématique, blason, cartouche, panonceau, un
« écusson » qui servait d’encadrement destiné à recevoir
divers attributs ou idéogrammes. Il n’est alors pas rare
de lire « déesse en écusson » pour désigner dans certains
écrits cette figure fondamentale...

Les figurations zoomorphes


Exceptionnelles dans le Néolithique français, les
représentations naturalistes sont tout aussi rares dans l’art
pariétal des architectures mégalithiques. Bien qu’il ne
s’agisse pas, à proprement parler, de reproductions fidè-
les de l’animal « naturel », les gravures découvertes sur
la face supérieure de la dalle de couverture du dolmen
de Gavrinis, dans le golfe du Morbihan, sont suffisam-
ment réalistes pour s’écarter distinctement du corpus
des signes et des symboles jusqu’ici entrevus. Cette
découverte fut également remarquable pour avoir permis
aux archéologues de rapprocher les lignes figurées avec
d’autres dessins déjà connus sur la dalle de plafond
du dolmen de la Table des Marchand, à Locmariaquer,
quelques kilomètres plus loin vers le sud-ouest. Ainsi, la
partie inférieure du « quadrupède » de ce dernier site,
identifiée depuis plusieurs décennies grâce à de formi-

103
C ARN AC

dables intuitions, trouve son prolongement à Gavrinis,


sous la forme du dos et des cornes de l’animal en ques-
tion. Voici la preuve éclatante du déplacement et du
réemploi d’une production humaine chronologiquement
antérieure : une dalle gravée, stèle de plus de 10 mètres
de haut, fut peut-être volontairement sectionnée pour
être intégrée comme matériau de choix dans la construc-
tion de deux dolmens. Nous reviendrons plus loin sur ce
qu’impliquent ces observations.
Les animaux figurés sur le granite ont été assimilés à
des bovins, ce qui est vraisemblable si l’on en juge par le
dessin de l’encolure et le développement des cornes qui,
certes, semblent en partie stylisées mais sans pour autant
atteindre au motif standard du signe « cornu », décrit dans
les lignes précédentes... À ce sujet, il peut être intéres-
sant de signaler que deux squelettes de vaches furent
dégagés sous le long tumulus d’Er Grah, voisin immédiat
de la Table des Marchand, comme si nous avions là un
prolongement du signe... Mais la bête aux cornes large-
ment courbées vers l’échine pourrait aussi vouloir repré-
senter un capridé, qu’il ait été sauvage ou domestique.
On a souvent relevé, en effet, des associations de bovins
et de capridés dans l’art pariétal de différentes régions
du Vieux Monde : les peintures découvertes sur les

Représentation animale
Figuration d’un animal (bovin) sur la face supérieure
de la dalle de couverture du dolmen de Gavrinis.

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LE M E N H I R E T L E T E RT RE D U M A NIO

parois des falaises calcaires de la province de Castellón,


en Espagne, prouvent des chasses à l’arc sur des grou-
pes de bovins et de bouquetins ; ce sont aussi des gra-
vures de capridés pourchassés par des chiens qui sont
identifiés en Savoie, en pleine montagne – les figurations
offrent, ici encore, quelque ressemblance avec celles de
Locmariaquer-Gavrinis. Si les premières, en Espagne, sont
datées du Mésolithique final ou du Néolithique ancien, les
gravures alpines seraient attribuées aux âges des Métaux.

Les autres signes...


Des motifs rayonnants, en forme de soleil, sont ici et là
parfois décrits mais seules certaines dalles du monument
complexe du Petit Mont en conservent des exemples
peu contestables. Ailleurs, des figurations « topographi-
ques » gardent encore leur caractère énigmatique : des
traits gravés entrecroisés, répétés en ligne, comme le
visiteur peut en distinguer sur les parois du dolmen de
Kercado, au sud des alignements de Kermario, ont fait
songer à des filets de pêcheurs, à des plans cadastraux, à
des jeux de marelles, sans convaincre personne... Enfin,
un des derniers signes et probablement le plus commun,
la cupule, se rencontre aussi bien sur des roches dénu-
dées par l’érosion, et qui percent en surface des champs,
que sur des menhirs et des éléments de construction des
sépultures mégalithiques. Ces petites dépressions, creu-
sées à la surface de la pierre, peuvent être organisées en
lignes mais semblent le plus souvent réparties suivant un
ordre qui nous échappe, bien que l’on ait parfois tenté
un peu hâtivement d’y reconnaître des repères et des
agencements cosmographiques.
Mention doit être bien entendu faite de certains autres
décors sur lesquels nous ne nous sommes pas étendu
quoiqu’ils appartiennent à des monuments prestigieux
du Morbihan. Gavrinis à Larmor-Baden, tout d’abord,
dont l’exubérance des « décors » concentriques ne peut
occulter les signaux de base que sont la crosse, les ser-

105
C ARN AC

Les gravures les plus récentes


dans les mégalithes morbihannais
Pilier gravé dans la sépulture mégalithique
coudée des Pierres Plates à Locmariaquer.

106
LE M E N H I R E T L E T E RT RE D U M A NIO

pents, le cornu, la hache en pierre, peut-être d’ailleurs


tracés avant la gravure totale du bloc de granite. Les
Pierres Plates à Locmariaquer, enfin, qui marquent avec
d’autres tombeaux semblables de la région et datés de
la fin du IVe millénaire – comme le Luffang à Crac’h –
une nette évolution du style des figurations néolithiques
mais pourtant en accord avec les représentations anté-
rieures. Dans ce cas, la gravure de « l’idole » semble faire
partie intégrante de l’architecture du monument et être
« pensée » pour lui.

Datation, éléments de chronologie


Un tel problème peut paraître secondaire et ne pas
mériter une telle attention ; les gravures étant relevées
sur des menhirs ou sur les supports des dalles de cou-
verture des tombes à couloir, elles sont donc néolithi-
ques et témoignent de la pensée religieuse de l’époque
en participant, par exemple, du rituel funéraire d’accom-
pagnement à l’intérieur de ces dolmens. L’ennui, c’est
qu’un nombre très significatif de signes, gravés ou sculp-

La tombe à couloir
de Gavrinis
Plan du dolmen
et figuration des dalles
gravées du couloir
et de la chambre.

107
C ARN AC

tés en bas-relief, ne semblaient plus conserver leur inté-


grité originelle ou ne pouvaient plus être rendus visibles
aux défunts ou aux vivants qui s’introduisaient dans le
tombeau pour y déposer les corps. Des dessins sont tron-
qués par des cassures comme à la Table des Marchand ;
d’autres sont découverts au dos des orthostates ou sur les
faces supérieures des dalles de couverture d’une cham-
bre ou d’un couloir, tel celui de l’Ile Longue, occultés
par la masse du tumulus ; d’autres encore sont enfouis
dans le cairn comme à Mané Kerioned, ou reconnus sur
des pierres de calage des piliers de soutènement, comme
à Grah Niaul.

Représentations
animales
Une hache, une crosse
et les pattes avant
d’un animal gravées au
plafond de la Table des
Marchand. Ces gravures
ornaient la partie
inférieure d’une stèle
probablement dressée
dans l’environnement
proche.

Une question s’impose dès lors : si certaines gra-


vures sont pensées pour le sépulcre, pourquoi les
mêmes signes seraient-ils occultés, négligés, détruits
dans le même monument ou dans un autre, voisin, et
de type identique ? Des éléments de réponse apparais-
sent enfin dans les années 1980. En effet, si plusieurs
auteurs comme de Fréminville, G. de Closmadeuc et
A. de Mortillet s’accordaient déjà à reconnaître, depuis

108
LE MEN H I R E T LE T ERT RE DU M A NIO

le XIXe siècle, ce phénomène des dalles tronquées, ces


signes amputés ou escamotés, si Le Rouzic désignait les
grandes dalles de couverture ou de plancher des dol-
mens du Mané Lud, Table des Marchand, Mané Rutual,
Pierres Plates comme d’anciens « menhirs-statues »,
seules les hypothèses de Charles-Tanguy Le Roux et Jean
L’Helgouac’h permettent de nos jours de rendre cohé-
rent le faisceau des observations précédentes, en propo-
sant l’idée d’un réemploi de monolithes primitivement
signifiants dans un tout autre contexte. Ainsi la dalle

Taille et polissage d’outils en Nouvelle-Guinée


Les travaux de Pierre Pétrequin menés en Nouvelle-
Guinée sur les sociétés d’agriculteurs de l’Irian Jaya
permettent aujourd’hui de mieux comprendre les dif-
férents procédés d’acquisition des roches tenaces, de
fabrication des lames de haches et leur diffusion sur
d’immenses territoires, au-delà des limites linguistiques
et culturelles, comme par exemple dans le cadre des
échanges compétitifs entre communautés. Ces photo-
graphies nous montrent ainsi 1- la taille au percuteur
dur qui donnera naissance à une ébauche; 2- le polissa-
ge long et soigné d’une très grande lame de prestige qui
ne sera jamais destinée à l’abattage des arbres (photos
P. Pétrequin).

Taille au percuteur dur d’une Grande lame de hache


lame de hache par un membre en cours de polissage.
d’une communauté d’agriculteurs Irian Jaya, en Nouvelle-Guinée.
de l’Irian Jaya, en Nouvelle-
Guinée.

109
C ARN AC

de chevet de la Table des Marchand aurait été visible à


l’air libre avant d’être incorporée dans l’architecture du
dolmen ; de même, les dalles immenses et débordantes
à l’excès de Mané Rutual auraient été de grandes stèles
plantées avant d’être brisées et réutilisées...
La meilleure validation qui soit à ces hypothèses
est venue de la fouille moderne de la tombe de l’île de
Gavrinis. Certainement l’un des plus beaux dolmens
« décorés » d’Europe, ce monument visité avec fréquence
n’avait pourtant pas fini d’étonner : la face supérieure de
la dalle de couverture de la chambre, à l’origine entière-
ment surmontée des blocs du tumulus, était parcourue
de figures mi-gravées, mi-sculptées en bas-relief. Mais le
plus extraordinaire fut de constater que les lignes dessi-
naient, entre autres, la forme d’un animal cornu et qu’un
second spécimen, à peine visible à l’extrémité de la
dalle, n’était en réalité que le prolongement du « quadru-
pède » décrit depuis déjà plus d’un siècle, à la Table des
Marchand, à 3 kilomètres de là...

Retour à l’interprétation
Conséquence de ces découvertes successives, les
archéologues de notre siècle se trouvent placés face à
deux interrogations majeures : si une majorité de signes
gravés contenue à l’intérieur des tombeaux de l’Ouest de
la France renvoie en définitive à des contextes religieux
en apparence plus anciens, sommes-nous confrontés
à un hiatus chronologique entre la période des pierres
dressées, sculptées, et celle des tombes qui réutilisent
ces matériaux de choix ? S’agit-il plutôt d’un changement
dans un temps court ? L’interprétation que l’on donne
aux signes ne va-t-elle pas aussi se modifier suivant cette
reconnaissance d’un contexte originel différent, déve-
loppé « à l’air libre » ?
Pour résumer la situation sans entrer dans le détail
du champ de la recherche qui s’ouvre devant nous,
on avancera plusieurs éventualités. Ainsi, dans l’hypo-

110
LE M E N H I R E T L E T E RT RE D U M A NIO

thèse d’un bref espace de temps déroulé entre la créa-


tion du bloc gravé et son réemploi dans les différentes
architectures funéraires, l’archéologue peut expliquer
le changement en question par l’alternative suivante.
D’un côté, une « rupture » au sens propre et figuré entre
deux types de sociétés aux références spirituelles dis-
semblables, la seconde remplaçant la première de façon
brutale. De l’autre côté, une « continuité » culturelle par
laquelle le système politico-religieux exige que les stèles
gravées, stèles commémoratives ou images des divini-
tés protectrices, soient débitées, ostensiblement détrui-
tes et réemployées dans la construction des tombeaux
afin de participer au rite de fondation, au rituel funé-
raire dans son acception la plus large... Ici, tout reste à
faire pour démontrer les propositions, sinon pour argu-
menter les intuitions de départ. On ne peut s’empêcher
d’ailleurs de rappeler l’interrogation portée en 1814 par
Maudet de Penhouët sur les vicissitudes des dolmens
de Locmariaquer, interrogation qui le poussait à citer
un passage de l’Écriture : « Vous détruirez les idoles de
vos ennemis, et vous bouleverserez leurs tombeaux »...
Une autre interprétation plus prosaïque demeure égale-
ment en tout point recevable : les stèles en ortho-gneiss
amenées à l’entrée du golfe du Morbihan par certains
groupes humains devenaient des matériaux de choix,
pour d’autres groupes plus tardifs, dans une région où
le sous-sol granitique très fissuré ne permet pas l’extrac-
tion de dalles de cette envergure. Cela expliquerait que
des monuments d’âges aussi différents que la Table des
Marchand et les Pierres Plates à Locmariaquer se distin-
guent par des pierres de couverture prises dans ce maté-
riaux fameux, récupération pure et simple des anciens
menhirs trouvés dans l’environnement immédiat...
Quant à l’interprétation des signes, nous sentons com-
bien elle peut se modifier à la lumière de ces récentes
découvertes. Une réelle perspective d’avenir consiste
certainement à prendre en compte la sexualisation
des différents types de signaux. En effet, si la « grande
Déesse-mère », « l’Idole néolithique », sont affectées

111
C ARN AC

depuis le début du siècle de l’incontournable connota-


tion féminine héritée des études menées au XIXe siècle
et au début du XXe dans le bassin méditerranéen, les
autres symboles de base ne font appel qu’à des principes
masculins.
• Le serpent tout d’abord, qui est un thème dominant
dans tout le Néolithique de la « vieille Europe » (centrale
et balkanique) et dont Marija Guimbutas a bien décrit
le mystérieux dynamisme, l’extraordinaire vitalité et
la périodique renaissance (la mue, l’hibernation...).
L’association anatomique avec le phallus lui vaut d’être
bien souvent reproduit avec celui-ci. Les plus récentes
découvertes faites dans la péninsule ibérique dévoilent
aussi, sans ambiguïté aucune, nombre de menhirs ana-
tomiquement suggestifs et gravés de motifs serpenti-
formes...
• La hache de pierre ensuite, étudiée sous tous ses
aspects en Nouvelle-Guinée où les processus de fabrica-
tion sont encore observables chez certaines populations
isolées de l’Irian Jaya. Dans une récente étude ethno-
archéologique, Pierre Pétrequin souligne ainsi son rôle
primordial au sein du fonctionnement des communautés
d’agriculteurs en milieux forestier ; comment la lame de
pierre apparaît peu à peu déconnectée de sa fonction
primaire, l’action sur la matière et la reproduction tech-
nique (l’abattage des arbres, les défrichements...), pour
accéder à la sphère des échanges et de la reproduction
sociale. La hache, maniée par les hommes, devient alors
un élément de la domination de ceux-ci sur les femmes
et sur la reproduction biologique réelle.
• La crosse enfin, objet encore énigmatique, qui rap-
pellerait pour nos collègues d’Europe centrale ou bien
un boomerang ou bien une faucille, et dont on connaît,
en dehors des spécimens réels découverts en fouille, de
magnifiques exemples de représentation ; par exemple
sur cette statuette en terre cuite trouvée en Hongrie,
modelée à l’image d’un personnage assis, dénudé et
dévoilant ses attributs masculins, portant ostensiblement
une grande crosse sur l’épaule droite.

112
LE M E N H I R E T L E T E RT RE D U M A NIO

•฀Quant฀aux฀figurations cornues, il n’est pas besoin


de s’appesantir sur le caractère mâle évident du symbole,
là encore révélé par toutes les cultures de la préhistoire
récente européenne, en particulier sur les rochers gravés
des Alpes italiennes et de Scandinavie où des guerriers
en érection notable sont couverts de casques à cornes
démesurées... En définitive, quoi qu’il advienne à cette
possible sexualisation des signes, il ne faudrait pourtant
pas en conclure à une partition franche, exclusive. Bien
des exemples de figurines néolithiques nous prouvent
qu’au contraire ces divinités tendaient vers un aspect
androgyne, peut-être pour mieux accentuer ce pouvoir
absolu que l’on voulait bien leur prêter, leur reconnaître.

113
Le dolmen de Kermario
Les architectures funéraires
et le Mégalithisme

Les différents aspects développés jusqu’ici à propos


du Mégalithisme de la région de Carnac témoignent de la
richesse des enseignements qu’il est possible d’obtenir
à partir de l’étude de son expression la plus emblémati-
que, celle présentée par les alignements. Ainsi, à travers
l’historique des recherches et parallèlement à la multipli-
cation des questions que provoque le franchissement de
chaque nouvelle étape dans la connaissance de ces agen-
cements de pierres, apparaissent à la fois la diversité et la
complexité des manifestations culturelles comprises sous
le terme générique de « Mégalithisme ». Sensible à l’échelle
d’une région, cette pluralité se retrouve au niveau d’un

Le dolmen de Kermario
à Carnac
Le « dolmen » est ici privé
de plusieurs de ses dalles de
couverture débitées par
les carriers et réemployées
dans la construction des
maisons de la région.

114
L E D OL M E N D E K E RM ARI O

même site par association de différentes structures :


au Manio comme à Kermario, par exemple, en dehors
des files parallèles ou divergentes de pierres dressées,
nous avons vu qu’il existait d’autres types d’installations
dont certaines, interprétées comme funéraires, vont per-
mettre d’aborder dans cette ultime partie de l’ouvrage
les rapports entre ces rangées de menhirs et les autres
formes de mégalithisme attestées tant en Armorique
qu’en Europe.

Du tertre du Manio au dolmen


de Kermario : alignements
et architectures funéraires
Avec son étendue de blocs de granite qui défilent
pour partie sur les restes d’un tertre funéraire, le site
du Manio offre l’exemple d’une stratigraphie verticale
témoignant d’une succession chronologique entre deux
types de monuments différents : le premier, le plus

115
C ARN AC

récent, répond à une installation strictement mégalithi-


que alors que le second, constitué d’une masse de terre
et de moellons recouvrant des structures en matériaux
plus légers, apparaît moins conforme à cette tradition
technique tout en appartenant, cependant, au nombre
des réalisations monumentales.
À l’extrémité sud-ouest des files de pierres plantées
dans les champs de Kermario, l’existence d’un autre
dispositif de piliers supportant des tables de granite (le
dolmen de Kermario) nous offre cette fois le cas d’une
association entre deux formes différentes d’aménage-
ments mégalithiques monumentaux. Si la finalité des
premiers est encore incertaine, en revanche la probable
utilisation du dolmen comme tombeau peut être déduite
par analogie avec des architectures similaires, implan-
tées sur des terrains plus favorables à la conservation des
ossements, comme sur les calcaires de Normandie et de
Poitou-Charentes. Les sols trop acides de Bretagne dissol-
vent malheureusement ces restes et seuls quelques rares
monuments morbihannais réunissent des conditions
particulières de préservation – remplissages de sables

116
L E D OL M E N D E K E RM ARI O

coquilliers par exemple – comme ceux de Conguel à


Quiberon et de Port Blanc à Saint-Pierre-Quiberon.
Ainsi, l’exemple de Kermario s’ajoute à celui du Manio
pour montrer la répétition de l’association, sur un même
site, entre divers types d’installations et notamment entre
monuments funéraires et alignements de pierres dres-
sées ; association que l’on retrouve ailleurs dans la région,
comme à Erdeven, à quelques kilomètres de Carnac, où
un vaste ensemble mégalithique se compose des aligne-
ments de Kerzhero, d’une série de tertres bas et de plu-
sieurs tombes à couloir. Mais, contrairement au Manio
où la superposition des monuments indique une relation
chronologique avec antériorité du tertre funéraire sur
les lignes de pierres, l’état de conservation du site de
Kermario ne nous permet aucune lecture directe de la
stratigraphie, sinon le constat d’une relation non plus ver-
ticale mais horizontale de proximité entre l’édifice funé-
raire et les alignements. Aussi, sommes-nous contraint
de recourir à d’autres moyens que la seule enquête de
terrain pour rechercher, démêler les liens pouvant exis-
ter entre des monuments funéraires d’aspects aussi dif-

Le cliché habituel
d’un mégalithe breton
Le dolmen de Kercadoret à
Locmariaquer... en l’absence
de son tumulus.

117
C ARN AC

férents que ceux du Manio ou de Kermario, monuments


qui ont, pourtant, comme point commun, une fonction
comparable et leur rattachement à un même contexte
archéologique, celui des alignements de Carnac.

0 3m

Chambre

Plan du dolmen
Couloir de Kermario à Carnac
Seules figurent les
structures internes,
Dolmen de Kermario le tumulus ou cairn
n’ayant pas été fouillé.

Les problèmes de conservation, d’érosion du terrain,


déjà évoqués pour avoir effacé à Kermario les traces
visibles de tout rapport entre les divers aménagements,
expliquent pour partie ces différences d’aspect entre les
deux types de tombes retenus pour exemple : alors que
l’édifice de Kermario présente essentiellement un dispo-
sitif complexe de pierres émergeant au centre d’un petit
relief empierré (encore mieux visible sur les cartes pos-
tales du début du XXe siècle), celui du Manio est simple-
ment perceptible par un léger renflement de la surface
du terrain. Dans le premier cas, cet assemblage méga-
lithique apparent, composé d’une série d’orthostates
supportant une couverture de dalles, correspond en réa-
lité à l’ossature d’une architecture ruinée, dépouillée de
son tumulus ou cairn protecteur dont ne subsistent plus
que quelques assises de base ; cette image, réduite à une
table soutenue par des piliers, explique l’appellation de
« dolmen » qui se réfère, selon une ancienne terminolo-
gie, aux squelettes de monuments à l’origine plus impo-

118
L E D OL M E N D E K E RM ARI O

sants et d’allure bien différente, comme en témoignent


encore quelques rescapés (Gavrinis par exemple). Au fil
du temps, la majorité d’entre eux ont ainsi perdu leurs
enveloppes tumulaires, exposées à toutes époques aux
divers facteurs de dégradation dont un des plus destruc-
teurs fut sans conteste celui de leur exploitation comme
carrière de pierres, ainsi que nous le rappelle le topo-
nyme breton Er Vinglé, attribué à l’un des fameux monu-
ments de Locmariaquer, en face du Grand Menhir.
Inversement, dans le second cas, celui du Manio, l’en-
semble du monument nous est parvenu relativement
complet : bien que très altérée et présentant l’aspect d’un
monticule oblong de faible élévation, la première structure
directement visible pour le visiteur est justement cette
gangue externe, dénommée tertre – pourtant plus fragile
qu’un cairn puisque composée de couches de sédiments
(terres, limons, argiles plus ou moins pures) – qui nappe
et englobe une série de dispositifs en matériaux divers.
Cette différence entre les deux types de monuments
relève donc tout d’abord de leur état de conservation. Le
« dolmen », amputé de l’une de ses composantes principa-
les (son enveloppe externe) n’offre plus aux regards que
les parois mégalithiques dénudées de sa structure interne
alors que le tertre, mieux préservé dans son ensemble,
ne montre au contraire que cette enveloppe externe
qui dérobe à l’observation des chercheurs la forme des
constructions internes (ou tombes) seulement connues
par quelques rares fouilles déjà citées dans le cours de
cet ouvrage.

Ordonnances architecturales :
ressemblances et différences
Mais une analyse, une description comparative pous-
sées au-delà de ce premier constat révèlent, dans un
second temps, de nombreuses variations architectura-
les qui résultent de la conception même de chacun de
ces monuments. À Kermario, par exemple, plus qu’un

119
C ARN AC

assemblage formant « table de dolmen », les pierres sont


disposées de façon à constituer effectivement les parois
et la couverture d’un espace, mais en répondant à des
normes et à un plan précis composé, en l’occurrence,
de deux parties : une chambre et un couloir d’accès. Au
Manio, les publications des fouilles nous apprennent que
les structures internes à la masse tumulaire, qui corres-
pondent par conséquent d’un point de vue fonction-
nel à celles de Kermario, circonscrivent cette fois une
unité spatiale fermée. Dans un cas, les piliers dressés des
parois dessinent au sol le plan d’une tombe à couloir ;
dans l’autre cas, le contour simple du caveau est com-
plètement fermé, matérialisé par un entourage de dalles
debout pour le coffre principal, d’un muret de pierre
sèche pour le coffre secondaire. Alors que l’édifice de
Kermario est clairement bâti au-dessus du sol, les docu-
ments relatant les fouilles du Manio ne livrent que peu
d’informations sur les modes d’implantation de ses deux
tombes, bien qu’il semble néanmoins que pour l’une
d’entre elles le coffrage de dalles jointives retenait les

La tombe des Pierres Plates à Locmariaquer


Le menhir à l’entrée de la sépulture mégalithique coudée
a été relevé lors des restaurations au début du XXe siècle.

120
L E D OL M E N D E K E RM ARI O

parois d’une fosse. Enfin, comme en témoignent les pier-


railles étalées au pied de ses supports, la structure dolmé-
nique de Kermario devait être, à l’origine, incluse dans
l’épaisse muraille d’un cairn ; le manque d’indications sur
les modes d’implantation des coffres du Manio ne nous
permet pas de savoir leur position dans ou sous l’appa-
reillage de pierre et de terre qui les recouvre, ce qui n’est
pas sans importance, comme nous le verrons par la suite.
Ce bref va-et-vient comparatif, cette rapide descrip-
tion des principaux paramètres relatifs aux composantes
architecturales, à la fois internes et externes, des deux
exemples de monuments nous permettent d’apprécier
à quel point leur conception générale d’ensemble dif-
fère au point d’être opposés tant par leurs plans que par
les matériaux de construction, les modes d’implantation,
etc. Dans ces conditions, la compréhension de leurs rela-
tions nécessite d’aller rechercher à travers la diversité
des formes d’architectures funéraires les liens, les critè-
res susceptibles de les relier de manière cohérente, au
sein d’un processus ordonné.
Ainsi qu’il a pu être rappelé à différentes reprises
dans le cours de cet ouvrage, l’exceptionnelle densité
et variété de formes architecturales qu’elle contient font
de cette région de Carnac-Locmariaquer, et de l’ensem-
ble du Morbihan, une sorte de laboratoire privilégié en
matière de recherches sur le Mégalithisme. On peut en
effet y disposer d’une série archéologique de référence
qui recoupe, par exemple, un certain nombre de types
de tombes recensées, tant en France qu’en Europe. Cette
masse documentaire importante a favorisé une tradition
de la recherche archéologique orientée vers la connais-
sance de ces structures mégalithiques, et ce par la mise
au point de typologies, de procédés de classifications de
plus en plus perfectionnés.
Étant donné la dégradation de nombre de ces édifices,
souvent réduits, comme à Kermario, à l’état de « carcas-
ses » mégalithiques, les bases des premières classifications
se sont bien sûr limitées aux caractères morphologiques
de ces structures internes demeurées apparentes. Malgré

121
C ARN AC

une progression des recherches vers une connaissance


plus complète des monuments par l’étude des restes,
parfois des lambeaux, de leurs tumulus, les données
nouvelles acquises sur la forme et/ou les techniques de
construction de ces structures externes ne suffisent pas
encore pour ébranler et perfectionner les fondements
d’un classement typologique qui s’en réfère toujours aux
critères livrés, notamment, par le plan des aménagements
internes.

Une séquence évolutive


pour les tombes « mégalithiques »
Au fur et à mesure du développement de ces typo-
logies, l’organisation de l’importante variété des archi-
tectures armoricaines en classes de plus en plus fines a

122
L E D OL M E N D E K E RM ARI O

Un squelette
à l’abandon...
Vestiges des structures internes
(couloir et chambres latérales)
du dolmen de Keriaval à Carnac.

permis à différents chercheurs d’esquisser les grandes


lignes d’une séquence évolutive depuis les tombes à cou-
loir jusqu’aux « allées couvertes » construites à la fin du
Néolithique. Ce processus, observé aussi bien en plan
qu’en élévation, s’articule bien sûr autour des unités
spatiales principales de la tombe interne (la chambre et
son accès) mais également autour de la sépulture prise
globalement par rapport à son enveloppe externe ; il
se manifeste par une augmentation progressive de la
superficie de la chambre funéraire aux dépens de celle
de son couloir d’accès, mais également du volume de la
masse tumulaire qui les entoure. Ainsi, par exemple, la
différenciation fondamentale entre une chambre funé-
raire et un couloir d’accès, qui caractérise le plan géné-
ral de base de l’espace interne des premières tombes à
couloir (Mané Brizil, Parc Guren), s’atténue progressi-
vement pour disparaître avec les allées couvertes dans

123
C ARN AC

lesquelles les parois des deux unités spatiales sont dans


le prolongement direct l’une de l’autre. Les étapes de
cette transformation, représentées sur la figure ci-con-
tre, s’accompagnent d’une inversion dans les rapports de
dimensions entre ces deux parties. Ainsi peut-on distin-
guer clairement les tombes à couloir et chambre simple
bien différenciée des tombes à couloir et chambre évasée
où la distinction couloir/chambre devient de moins en
moins marquée pour aboutir aux allées couvertes par
l’intermédiaire des tombes à couloir et chambre trapézoï-
dale, puis des sépultures mégalithiques en « V », selon les
travaux de Jean L’Helgouac’h. C’est le même principe,
semble-t-il, qui permet d’expliquer la structuration des
dolmens dits « angevins » – édifiés jusqu’en Armorique
– par modification du couloir vers la constitution d’un
portique distinct de la chambre du fait de ses dimensions
plus restreintes. Les sépultures mégalithiques en « T », en
équerre, coudées ou à entrée latérale résultent également
d’un développement axial ou désaxé de la chambre funé-
raire par rapport au corridor d’entrée. La catégorie des
tombes à couloir et chambre compartimentée peut être
interprétée comme une autre manifestation de cette ten-
dance évolutive par prolongation et résorption du cou-
loir à l’intérieur de la chambre de manière à constituer
les parois latérales des compartiments.
Les modulations de cet espace, surtout déchiffra-
bles en plan, le sont également en élévation lorsque les
conditions de préservation le permettent ; les variations
de volume ne sont pas non plus sans répercussion au
niveau de la masse tumulaire enveloppante dont les pro-
portions diminuent au fur et à mesure de l’augmentation
de la chambre. Comme le montrent les investigations
modernes, orientées vers une compréhension plus com-
plète de ces monuments, et cela grâce à une extension
des recherches aux structures externes (ou tumulaires),
il apparaît que les tombes à couloir classiques dressées à
la surface du sol (Barnenez, par exemple) sont à l’origine
totalement encastrées à l’intérieur de volumineux édi-
fices renforcés par plusieurs murailles de pierres, alors

124
L E D OL M E N D E K E RM ARI O

que les tombeaux à chambres démesurément allongées


(sépultures à entrée latérale et allées couvertes) semblent
au contraire – ainsi que nous le restituent les spécimens
les mieux préservés comme Crec’h Quillé dans les Côtes-
d’Armor et Coat Menez Guen dans le Finistère (ou même
Kerlescan à Carnac) – n’avoir été entourés que d’une fra-
gile enceinte de terre, peu épaisse et de faible élévation,
ne dépassant guère le niveau supérieur des parois, voire
laissant apparaître les dalles de couverture. Des constats
similaires ont d’ailleurs été déjà dressés par les archéolo-
gues travaillant sur les sépultures mégalithiques contem-
poraines de l’Europe du nord (Allemagne, Danemark).

Le tumulus de Barnenez
Le cairn gigantesque (ou tumulus) éventré par une carrière
permet aujourd’hui de découvrir les sépultures mégalithiques
nichées en son milieu.

En l’absence, comme sur le site du Manio, de rela-


tions stratigraphiques, l’élaboration d’un tel « modèle »
typologique est bien entendu un moyen artificiel de
combler cette lacune et d’établir un lien entre deux dis-
positifs monumentaux. Il repose non pas sur la totalité
des données architecturales, mais sur un ensemble de
traits caractéristiques relatifs aux structures internes, les
plus fréquemment préservées pour la majorité des monu-
ments. Tentons alors de les organiser selon un ordre de
succession qui présente un enchaînement d’événements

125
C ARN AC

plus régulier et harmonieux qu’il ne l’est en réalité,


certes idéalisé puisque nombre de monuments ont dû
fonctionner en même temps, à un moment donné du
développement des sociétés néolithiques concernées.
Si elle ne permet pas d’apprécier dans sa totalité la com-
plexité d’un phénomène, cette procédure contribue
– à l’image de la structure sur laquelle elle s’appuie –

Les Pierres Allée couverte


Plates Sépulture à entrée latérale
Sépulture à chambre évasée
Sépulture coudée ou en équerre

Penhape

Kerlescan

Petit Mont III A

Kerdrain Parc Guren I

N
Golfe
du
Morbihan

Baie de Quiberon

0 5 km
0-10 m 10-20 m 20-30 m 30-40 m

126
L E D OL M E N D E K E RM ARI O

à en dégager l’ossature, quitte à revenir plus tard sur le


détail de l’entrelacs des liens qui la ficelle. Elle constitue
le fondement d’autres classifications adaptées à des com-
paraisons à l’échelle de l’Europe, afin de se donner les
moyens de comprendre certaines ressemblances, sou-
vent rejetées par les observateurs comme relevant de
simples convergences.

Tombe à couloir et chambre simple


bien différenciée, quadrangulaire ou
polygonale, couverte d'une dalle.

Distribution des tombes


mégalithiques
en pays de Carnac
Reconstitution théorique
Plans actuels et reconstitution
Tombe à couloir et chambre simple
théorique des dolmens à
bien différenciée, arrondie, voûtée chambre ronde,
en encorbellement de pierres sèches. quadrangulaire, dolmen en
équerre et allée couverte.

127
C ARN AC

Des tombes collectives aux sépultures


individuelles : une enquête à rebours
Seulement fondée sur des critères choisis à partir des
structures les plus fréquemment représentées, c’est-à-
dire les structures mégalithiques apparentes, la séquence
typologique armoricaine concerne essentiellement les
tombes à couloir et les allées couvertes sans y intégrer la
catégorie des caveaux fermés (comme ceux du Manio)
qui, ensevelis sous des tertres à peine visibles ou au
contraire sous des tumulus gigantesques, sont finalement
très peu connus en dehors des indications livrées par les
documents écrits et photographiques des chercheurs du
début du siècle. Si l’on peut déterminer, à partir de son
plan, le type architectural auquel appartient le dolmen
de Kermario, en revanche sa relation avec le complexe
du Manio n’est pas encore clairement définie.
L’historique des recherches fournit pourtant à ce
propos quelques indications précieuses puisque, en
1933, Zacharie Le Rouzic place les tertres allongés à
coffres multiples dans la première de ses trois grandes
étapes de la « civilisation néolithique » et qu’en 1955
Gérard Bailloud introduit l’hypothèse de l’appartenance
des tertres allongés du Morbihan à une étape ancienne du
Néolithique, en parlant de sépultures pré-mégalithiques
du type Manio-Castellic. Aussi, à partir de ces quelques
indices, les recherches les plus récentes s’engagent-elles
sur une piste nouvelle avec l’idée de remonter le cours
de l’évolution architecturale des tombes à couloir (dites
mégalithiques), dans l’espoir de découvrir les formes de
sépulcres réunissant les conditions d’apparition des pre-
mières tombes à couloir, et d’établir un lien avec les tom-
beaux mésolithiques régionaux de Téviec et Hoëdic. Ces
derniers, en effet, en raison de certains de leurs carac-
tères, parmi les plus spectaculaires, et notamment de la
présence d’un dispositif de repérage sépulcral en dalles
de granite évoquant une sorte de petit cairn, ont souvent
été proposés comme représentatifs des formes embryon-
naires du Mégalithisme.

128
L E D OL M E N D E K E RM ARI O

Le tumulus de Barnenez
La voûte en « encorbellement »sur une chambre
circulaire pouvait monter à 5 ou 6 mètres de
hauteur dans le corps du tumulus.

Parmi les constructions funéraires recensées – dans


la région de Carnac comme dans toute la France occi-
dentale – sous les termes de « fosses », « cistes », « coffres »,
il existe en réalité une grande variété de structures qui
peuvent s’intercaler entre la simple cavité, dévolue à
l’enterrement d’un seul corps avant d’être définitivement
refermée, et les imposants bâtiments funéraires édifiés
en surface, destinés au dépôt successif de plusieurs indi-
vidus au sein de tombes à couloir dont certaines peuvent
être parfois associées et enserrées dans la masse d’un
même édifice monumental. Mais ce sont surtout les deux
grands types classiques de monuments identifiés sous
les vocables de « tertres tumulaires » et « tumulus carna-
céens » qui rassemblent le plus d’éléments permettant

129
C ARN AC

O 50 m
Kerlescan
Enceinte de pierres dressées

Alignements

Coffres funéraires

Enceinte

Le complexe de Kerlescan à Carnac


Plan du tertre et des alignements d’après les fouilles anciennes.

de les rattacher aux tendances d’évolution des tombes


à couloir. Ils contiennent en effet des structures aux
plans complètement fermés (Le Manio, Kerlescan, Le
Moustoir, Mané Hui à Carnac) alors que d’autres sem-
blent cependant avoir été pourvues d’un passage les
reliant à l’extérieur (Mané er Hroëk à Locmariaquer) : les
fouilles récentes dans cette dernière commune ont ainsi
démontré l’existence d’un accès transitoire (condamné
en fin de construction) pour la sépulture du tumulus d’Er
Grah. En élévation, certaines de ces constructions pré-
sentent des formes intermédiaires entre le caveau souter-
rain et l’édifice non seulement aménagé au-dessus du sol
mais s’imposant dans le paysage par le biais de cairns/
tumulus monumentaux : c’est le cas d’une des cistes du
tumulus de Crucuny à Carnac qui est décrite comme
semi-enterrée, mais aussi du Manio, du Moustoir, de Saint-
Michel à Carnac, Mané Lud à Locmariaquer, tombeaux
dont les modalités de construction font qu’ils émergent
de terre par l’intermédiaire d’une voûte réservée dans
la masse de l’édifice qui les surmonte. Ce dernier est
représenté par deux formes extrêmes de monumentalité
(modestes tertres bas du Manio, monument démesuré de
Saint-Michel) entre lesquelles doit se déployer un éventail
de structures diverses conduisant de l’une vers l’autre.
Des travaux récents menés sur le tertre de Lannec er
Gadouer à Erdeven, en révélant en effet des techniques

130
L E D OL M E N D E K E RM ARI O

de construction qui combinent à la fois celles adoptées


pour les tertres et les grands tumulus carnacéens, suggè-
rent des éléments de passage des premiers aux seconds.
Enfin, les quelques bribes d’information se rapportant
aux traitements funéraires associés à ces caveaux ne favo-
risent, pour le moment, aucune généralisation. En raison
des charbons ou cendres qu’elles contenaient, les struc-
tures « encorbellées » enfouies dans les tertres de Mané
Pochat et Mané Ty Ec à Carnac ont été interprétées, par
James Miln au XIXe siècle, comme des ruches à crémation.
Les observations se diversifient dans les caveaux nichés
au sein des plus grands tumulus où furent, à plusieurs
reprises, découverts des ossements : à Saint-Michel, tout
d’abord, où les vestiges osseux conservés sont des os
brûlés se rapportant à au moins un bovin ; dans la crypte
centrale du Mané Lud ensuite, où l’empreinte d’un
squelette désagrégé permit de reconnaître un individu
en position repliée, accompagné des fragments d’une
mandibule d’une autre personne. Ces quelques données
partielles s’ajoutent à d’autres indices pour laisser espé-
rer trouver, dans les monuments les mieux conservés,
les étapes intermédiaires entre les modalités d’inhuma-
tion individuelle et les conduites mortuaires collectives,
telles qu’elles apparaissent dans les tombes à couloir,
pour aboutir finalement à la formation des ensembles
d’ossements caractéristiques du remplissage des allées
couvertes. Ces ensembles résultent, là où ils sont les
mieux observés (Bassin parisien et Sud de la France), de
l’apport successif de plusieurs centaines d’individus dont
les cadavres ont, pour la plupart, fait l’objet de pratiques
complexes impliquant diverses interventions, manipula-
tions, rangements...
Les connaissances acquises au début du XXe siècle à
propos des tertres et grands tumulus carnacéens n’ont
pas été actualisées par de nouvelles données provenant
d’investigations modernes. Elles fournissent, cependant,
un faisceau d’indices qui permet de relier ces monu-
ments au processus d’évolution des premières tombes
à couloir. Ainsi, cette analyse typologique contribue-t-

131
C ARN AC

elle à la lecture des relations entre structures et à l’éta-


blissement de la chronologie relative : combinée, sur le
gisement du Manio, aux observations stratigraphiques,
elle conforte l’hypothèse précédente sur la position des
tertres dans une étape « pré-mégalithique », antérieure
aux premières tombes à couloir, et, pour en revenir à
nos deux exemples, donnerait le monument du Manio
comme plus ancien que celui de Kermario.
Pour parvenir à des résultats pertinents, cette typo-
logie architecturale doit être confrontée aux autres élé-
ments de la culture matérielle – en particulier les vestiges
mobiliers, céramique, parures, armes – qui sont autant
d’outils à la disposition des archéologues pour établir
et affiner le cadre chrono-culturel. Sans entrer dans le
détail de développements par trop spécialisés, il nous
faut maintenant aborder la description de ces objets et la
manière de les interroger.

Les collections du musée de Carnac


Poteries, colliers et haches polies des
tombes mégalithiques de la région de Carnac.

132
L E D OL M E N D E K E RM ARI O

Les vestiges traditionnels


de la culture matérielle
Le préhistorien penché sur l’étude des différents
monuments mégalithiques – qu’il s’agisse des tombes à
couloir, des coffres funéraires ou encore des alignements
de pierres dressées – est fréquemment amené à décrire
un certain nombre d’objets manufacturés découverts à
leur contact. Sur les terrains acides de Bretagne qui ne
permettent pas en général de conserver les restes osseux,
seules deux grandes familles de vestiges sont à prendre
en compte : les récipients céramiques, d’une part, les
outils et parures en pierre, d’autre part. Leur description
doit être la plus précise possible mais les exigences, le
raffinement des observateurs et des analystes varient tout
naturellement avec l’évolution des recherches... Plus les
caractères d’un objet seront appréciés et connus (mor-
phologie, technologie, etc.), meilleures seront les com-
paraisons établies entre divers objets d’origine distincte.
Car voilà bien le principe de base permettant d’ordonner
ces découvertes : le raisonnement analogique des archéo-
logues postule ainsi que deux céramiques présentant des
formes semblables, marquées d’un thème décoratif iden-
tique, fabriquées selon un processus opératoire similaire,
appartiendront de fait au même ensemble de traditions
culturelles. Autre exemple : les manières de tailler le
silex et de façonner des pointes de flèches sont forcé-
ment limitées, mais les variations décelées dans le dessin
d’une armature ou dans la technique d’enlèvement des
éclats sont autant de « traceurs » dignes d’être suivis, car
telle ou telle méthode, suite de gestes techniques, « style »
artisanal, seront pareillement reproduits, sur une durée
de temps plus ou moins longue, par une même commu-
nauté humaine. Ces quelques constantes, ces régulari-
tés sont donc une chance pour celui qui tente d’y voir
plus clair dans l’abondance des mobiliers recueillis. Cela
étant, il faut cependant se garder de toute interprétation
ou généralisation hâtives. Par exemple, si grâce à ces rap-
ports de correspondances entre matériels, des ensem-

133
C ARN AC

bles géographiques sont reconnus et bien cernés, ils ne


témoignent pas à coup sûr d’une juxtaposition conforme
de groupes ethniques ou linguistiques limités aux mêmes
espaces ; la « superposition » suggérée par les rapports en
question ne se vérifie pas souvent quand les ethnologues
étudient les sociétés actuelles comparables à celles de
notre présent champ d’étude.
Quoi qu’il en soit, l’inventaire des ressemblances et des
différences établi pour chaque catégorie d’objets est un
passage obligé qui permet très vite de les faire participer au
jeu chronologique. Des poteries bien datées à un endroit
déterminé impliquent que les même types décrits sur un
autre site archéologique leur seront contemporains... Par
datation, nous faisons référence tout d’abord aux strati-
graphies, c’est-à-dire aux accumulations de couches sédi-
mentaires différenciées, les plus anciennes de formation
étant bien entendu les plus profondes. Les vestiges cérami-
ques et lithiques associés à ces unités distinctes suivent en
conséquence cette loi de distribution dans le temps.
Un mur de pierres bouleversant lors de sa construc-
tion une autre structure préexistante illustre un autre cas
de relation stratigraphique – parfois observé au sein des
architectures monumentales néolithiques du Morbihan.
Quand, de surcroît, les couches ou les structures en ques-
tion ont bénéficié de datations « radiocarbone » (mesure
du taux de radioactivité du carbone contenu dans les
matières organiques) par le biais des charbons de bois
ramassés à leur contact, le cadre chronologique et cultu-
rel s’en trouve davantage précisé.

Le matériel céramique et lithique


dans les sépultures des tertres
de la région de Carnac
Bien que seules quelques fouilles anciennes nous
informent sur les dépôts contenus dans les différents
espaces funéraires clos (tertres bas et longs tumulus de

134
L E D OL M E N D E K E RM ARI O

la région de Carnac), leur relative inaccessibilité a permis


d’y préserver au cours du temps l’intégrité des associa-
tions d’objets. Les poteries à fond rond s’y ajoutent le
plus souvent aux haches polies en roche tenace et aux
quelques outils en silex (couteaux ou armatures de flè-
ches), alors que les éléments de parure (bracelets ou
perles de colliers) restent l’exception. Ce registre de base

Récipients du débuts
du VIe millénaire av. J.-C.
Céramiques dites « Castellic »
du Néolithique moyen
morbihannais.
Les cannelures du décor sont
obtenues par la pression
de l’extrémité mousse
d’un poinçon en os et en bois.

135
C ARN AC

varie cependant d’un point de vue qualitatif et quanti-


tatif. Ainsi, les coffres en dalles de granite du Castellic
et du Mané Hui à Carnac renfermaient des viatiques
très différenciés. Sur ce dernier site, la céramique de la
sépulture est fort bien décorée, les armatures de flèches
en silex sont plus nombreuses, un bloc de silex pesant
plusieurs kilogrammes représente d’ailleurs une réserve
d’un matériau rare car importé des régions calcaires ;
rares également sont les jadéites qui ont servi à fabriquer
les lames polies accompagnant le défunt. Bien que dans

Les grandes découvertes


du XIXe siècle
Grande lame de hache
polie et bracelet en jadéite
provenant du caveau
du Mané er Hroëk à
Locmariaquer.

136
L E D OL M E N D E K E RM ARI O

les deux cas les espaces des coffres offrent un volume


sépulcral semblable, l’ampleur des dimensions respec-
tives des tumulus varie suivant un rapport allant de 1 à
10, au point que la relative « richesse » du coffre du Mané
Hui, comparé à celui du Castellic, semble aller de pair
avec la démesure du tertre l’enveloppant. Il est bien sûr
tentant d’interpréter ces irrégularités flagrantes dans le
traitement des morts par des différences au niveau des
statuts sociaux respectifs. Cela peut être d’autant plus
vrai qu’il nous manque la majorité des sépultures élé-
mentaires ou « simples » dont la densité effective serait
en mesure de renforcer le caractère isolé et exceptionnel
des plus grands tumulus ; en effet, les dispositifs superfi-
ciels de repérage des premières, moins élaborés et moins
monumentaux, ont disparu avec le temps et les pratiques
agricoles récentes...
Les gigantesques tumulus de Carnac et des presqu’îles
de Rhuys et Locmariaquer ont permis, quant à eux, de
protéger, grâce à leur masse impressionnante, des assem-
blages d’objets dont le « luxe » a de tout temps frappé les
observateurs. Ce sont surtout les lames de haches polies
qui rendent cet effet, par leur nombre et par la qualité
des roches employées. Des centaines de ces lames furent
déposées avec le corps de personnages sans doute hors
du commun, comme au Mané er Hroëk à Locmariaquer
et au Saint-Michel à Carnac. Les tranchants encore bien
effilés prouvent qu’ils ne furent jamais mis à l’épreuve
des souches d’arbres ou des carcasses de bovins... Malgré
leur taille, certains spécimens sont en effet si minces
qu’il est impossible de les envisager comme purement
fonctionnels. De plus, une des roches utilisées dans leur
fabrication (mais également dans celle du bracelet du
Mané er Hroëk), parmi les plus rares et parmi les plus
belles à regarder et à toucher, la jadéite, semble bel et
bien provenir des Alpes, à quelque 800 kilomètres de là...
On comprend dès lors le caractère si exceptionnel de ces
objets de prestige pour celui qui en détenait un assorti-
ment, symboles de pouvoir, objets emblématiques dans
ces sociétés où la conquête des terres agricoles passait

137
C ARN AC

par le défrichage de la forêt au moyen d’outils d’abattage


à lame de pierre polie. Un détail curieux doit être enfin
noté : les plus grandes de ces haches furent très souvent
découvertes brisées net en trois morceaux. Le caractère
systématique de ces fractures, dans des caveaux pourtant
inviolés, a poussé les chercheurs du siècle dernier à les
interpréter comme des destructions volontaires. Ainsi
Émile Cartailhac s’interrogeait-il en ces termes dès 1889 :
« A-t-on voulu les tuer pour permettre à leurs âmes d’ac-
compagner plus sûrement quelque mort illustre dans la
terre des esprits ? » La nature des cassures fut d’ailleurs
déterminée par le mode d’emmanchement bien spéci-
fique aux plus longues lames, ces dernières étant fixées
dans la mortaise ouverte d’un manche en bois massif. Les
gravures de la grande hache de la Table des Marchand
et du coffre du Manio illustrent parfaitement cette tech-
nique ; le corps médian d’une lame est enserré dans le
manche alors que son talon reste dénudé. La destruc-
tion matérielle de la hache devait donc passer par celle
de la pierre polie – celle qui exigea l’investissement le

Un aspect de la culture matérielle


Un répertoire des céramiques découvertes
dans les différents dolmens régionaux.
Les récipients sont à fond rond, le fond plat véritable
n’apparaissant qu’à la fin du Néolithique d’Armorique.

138
L E D OL M E N D E K E RM ARI O

plus considérable en heures de travail – en la fracturant


de part et d’autre du manche. Remarquons au passage
qu’avec leur manche recourbé les proportions de ces
haches s’inspirent de la crosse...
D’autres roches « nobles » furent employées et en par-
ticulier la fibrolite dont on connaît un gisement en bord
de mer, à Port-Navalo, en face de Locmariaquer. Il s’agit
d’une roche vraiment tenace, qui ne se taille pas comme
la plupart des autres matériaux utilisés, mais se travaille
par sciage, à partir de blocs souvent réduits. Rares sont
les grandes haches « d’abattage » obtenues sur fibro-
lite, mais la beauté et la dureté de cette pierre une fois
polie ont dû séduire l’homme du Néolithique. Plusieurs
exemplaires aux dimensions réduites furent exportés en
dehors de l’Armorique jusqu’en Charente. Mais les plus
longues et donc les plus rares (15-17 centimètres) sont
demeurées en Morbihan, accumulées dans quelques
tombeaux, ainsi détruites de façon virtuelle...
La variscite, un minéral bleu-vert proche de la tur-
quoise, a servi pour sa part à la fabrication de la plupart
des pendeloques et perles de colliers. Là encore, les plus
gros spécimens et les plus nombreux sont associés aux
tombes individuelles contenues dans les gigantesques
tumulus régionaux. L’origine pourrait être, cette fois-ci,
plus régionale puisque des encroûtements de ce matériau
sont connus des géologues dans les profondeurs d’une
carrière en Loire-Atlantique. Il n’est donc pas impossible,
en Armorique, que des nodules aient pu être accessibles à
des prospecteurs, sur des surfaces naturellement érodées,
avant que la source ne s’épuise à la fin du Néolithique.
Cela dit, le réseau complexe de relations qu’exigeait par
ailleurs l’approvisionnement en lames polies de jadéite
rend tout aussi plausible une importation de la variscite.
Nous connaissons à l’heure actuelle de véritables mines
d’exploitation, situées en Catalogne, mines dont la pro-
duction s’est diffusée dans un rayon attesté d’au moins
300 kilomètres de part et d’autre des Pyrénées. Dans ces
régions, le polissage de ce précieux matériau remonte au
Néolithique ancien, en plein Ve millénaire av. J.-C.

139
C ARN AC

Le matériel archéologique des dolmens


(tombes à couloir)
Si un certain nombre de points communs peuvent être
relevés entre les catégories d’objets contenus dans les
dolmens à couloir et dans les tombes individuelles décri-
tes plus haut – haches polies, armatures de flèches, perles
en roche rare – de réelles différences sont à noter dès
l’instant où sont décrites les céramiques d’accompagne-
ment recueillies dans les tombeaux collectifs. Un ensem-
ble homogène et varié de formes et de décors illustre
cette fois-ci les étapes successives du Néolithique armori-
cain. La technologie des pâtes argileuses et les modes de
fabrication laissent transparaître un indéniable savoir-faire
artisanal, peut-être augmenté du fait que les récipients à
vocation funéraire firent l’objet d’une sélection.
L’une des céramiques les plus représentatives de
l’époque est celle que les archéologues dénomment le
plus souvent « coupe-à-socle ». Identifiée depuis plusieurs
dizaines d’années, grâce à une fréquente ornementation

140
L E D OL M E N D E K E RM ARI O

Le Néolithique récent
Céramiques du début
du IIIe millénaire av. J.-C.

et une morphologie spécifique, elle « couvre » à peu près


tout le territoire français avec, certes, des concentrations
sur le littoral sud de la Bretagne et dans le bassin de Paris.
Ni récipient ni poterie à vocation culinaire, on a voulu
y reconnaître tour à tour des supports de vases à fond
rond, des autels domestiques, des brûle-parfums... Le fait
qu’une coupelle haut placée semble vouloir « présenter »
de manière ostensible ce que l’on pourrait y déposer
a sans doute influencé l’interprétation en faveur d’une
catégorie d’objets pouvant participer d’un rituel reli-
gieux, magique, funéraire. Les fûts circulaires très déco-
rés ajoutent d’ailleurs à l’impression d’ensemble. Andrew
Sherratt a même avancé l’hypothèse que ces fameuses
coupelles aient pu servir de réceptacles pour des subs-
tances psychotropes (hallucinatoires, hypnotiques...),
dont on connaît le rôle essentiel et universel quand il
s’agit pour un individu particulier ou même une collec-
tivité d’approcher le monde des « esprits », à des fins divi-
natoires, thérapeutiques, etc. Les fumées dégagées par
la combustion de la toxique datura ou encore les décoc-
tions bien dosées de la jusquiame, toutes plantes commu-

141
C ARN AC

nes dans nos contrées, étaient ainsi inhalées ou bues par


les anciens Grecs durant certaines séances de prédiction.
La diversité stylistique des objets découverts dans les
dolmens traduit dans bien des cas une utilisation pro-
longée du sépulcre. Le couloir et la porte véritable, sans
doute en bois, permettaient en effet d’y accéder tant
que l’entretien du monument était assuré. Des effondre-
ments de murs ou des occultations volontaires de ces
entrées ont même obligé de nouveaux et tardifs utili-
sateurs à percer un autre accès, à travers le tumulus et
directement à la hauteur des chambres funéraires... À
la différence d’une tombe discrète à inhumation indivi-
duelle, une telle « occupation » continue d’un lieu et d’un
espace à vocation funéraire laisse parfois entrevoir, par
les dépôts matériels successifs tout au long de quatre à
cinq siècles de visites, une nette évolution des modes
céramiques et de la morphologie des outils en silex. Ainsi
apparaissent par exemple dans les carquois déposés avec
certains morts les premières pointes de flèches perçantes
munies d’ailerons permettant, après la pénétration, de
fixer le trait dans le corps de l’animal... ou de l’adver-
saire. Ces pointes perçantes sont pour le spécialiste un
signe annonçant la fin de la période néolithique dans le
Morbihan.

142
Dénouement...
À venir
« Les pourpres du couchant, disent les physiciens,
sont le fait d’une plus grande épaisseur d’air que seules
traversent les ondes courtes. Quand rien ne se passe
au ciel vers midi, une telle apparence nous troublerait
moins, la merveille c’est qu’elle se produise le soir, au
moment du jour le plus pathétique, quand le soleil se
couche, quand il disparaît afin de poursuivre un mysté-
rieux destin, quand il meurt peut-être. Pour donner au
ciel tant de fastes, un certain phénomène de physique
n’est possible qu’à l’instant le plus exaltant pour l’imagi-
nation : le coucher du plus brillant des astres. »
Cette citation extraite du Journal du voleur écrit en
1949 par Jean Genet n’est pas ici rapportée pour plai-
der la cause d’une archéoastronomie délaissée par la
recherche officielle ou au contraire pour dénigrer, par
le recours à la subjectivité pure du littérateur, les tenta-
tives diffuses de ces poètes-mathématiciens qui ont pris
et prennent pour théâtre de leurs calculs compliqués les
sites prestigieux de Carnac. Il y a simplement condensé
dans ce passage ce que tout un chacun peut ressentir
à l’issue d’un voyage ou d’un temps de vacance sur les
rives de la baie de Quiberon : la juxtaposition de l’océan,
des lagunes, des rias, les différents horizons des îles et
des presqu’îles, la coïncidence entre un environnement
unique et des monuments exceptionnels, la rencontre
d’événements ne devant rien au hasard.
Bien sûr, on aura quantifié et comparé ce qui pouvait
l’être. Ainsi les méthodes de datations ont assez précisé-
ment situé vers 4500 ans av. J.-C. les débuts de ces socié-
tés qui se feront connaître dans l’histoire de l’humanité
par le gigantisme de leurs architectures de pierre à une
époque où la métallurgie leur était encore inconnue.

143
C ARN AC

Pourtant, sur ces zones du littoral vivaient déjà depuis


des siècles des groupes humains, révélés par leurs nécro-
poles de tombes en fosses aux aménagements et aux
viatiques diversifiés, preuves précoces d’un traitement
inégal des individus.
Que l’on penche en faveur d’un déplacement de
populations dites « néolithiques » vers cet Occident
où disparaît le soleil, ou que l’on privilégie l’hypo-
thèse d’une adoption par les « mésolithiques » locaux
des techniques agricoles alors en pleine diffusion à tra-
vers l’Europe entière, il est probable que la confronta-
tion même de toutes ces composantes renvoyant à des
modèles de sociétés distincts est à l’origine des manifes-
tations les plus spectaculaires réunies sous le terme de
Mégalithisme.

144
D É N OU E M E N T ... À V E N I R

Les alignements du Menec


à Carnac
La lumière du couchant sur les
alignements est à l’origine
de bien des rêveries.

Bien sûr, il existe d’autres alignements en Bretagne


côtière, et à l’intérieur des terres ; on connaît aussi des
tertres funéraires semblables ailleurs qu’en Morbihan, des
dolmens aux plans similaires sont également inventoriés
sur les bords de la Charente, et même les signes gravés
sur les pierres dressées sont relevés selon des patrons
identiques aux environs de Chartres. Mais que tout cela
se conjugue, se développe et s’ordonne en un territoire
limité, seul Carnac peut encore l’offrir à l’attention de
tous et faire d’une région un véritable laboratoire autant
qu’une réserve archéologique.
Il peut paraître paradoxal, par ailleurs, de ne recen-
ser aucun plan d’habitation sur plusieurs milliers de
kilomètres carrés en Bretagne et compter cependant
plusieurs dizaines de plans de sépulcres sur les quelques

145
C ARN AC

kilomètres carrés de la zone carnacoise. Il ne faut pas en


imputer la faute aux seuls archéologues. Ces structures
domestiques en bois et en torchis n’ont guère laissé de
traces, contrastant justement avec ce goût d’éternité que
donnent à voir les gigantesques tumulus et les rochers
soulevés. Et puis, il a fallu tant d’énergie à nos prédéces-
seurs pour sauver parmi la multitude des destructions
qui ne laissent aucun souvenir les quelques monuments
restant encore sur ces terrains...
Bien sûr, beaucoup reste à faire, comme on dit, ne
serait-ce que pour un jour trouver une réponse à la
question de savoir ce qui, dans la sphère du politique,
du religieux, de l’économique, a entraîné la réalisation
d’ouvrages aussi démesurés et l’accumulation d’autant de
« richesses » entre les mains de si peu de personnes.
Au-delà des analyses scientifiques, celles des roches
ayant servi à la fabrication des haches d’abattage ou
de prestige, celles des sols et des pollens piégés vieux
de 6000 ans, au-delà des faits que nous expliquent les
chimistes et les physiciens, il n’en reste pas moins que
les monuments de Carnac sont autant de productions
humaines, c’est-à-dire autant de productions symboli-
ques. Voilà pourquoi il nous plaît d’avoir introduit
cette ultime partie de l’ouvrage par un texte littéraire
et de conclure par la grâce d’un autre écrivain, car il
s’agit bien de comprendre à travers tout cela un com-
portement humain, les invariants du comportement de
l’Homme – et qui d’autre pourrait également rendre
compte d’une histoire commune, sinon les romanciers
et leurs intuitions fulgurantes ?
« [...] il n’est pas apparu dans le monde une pensée
un peu compliquée qui ne se soit faite édifice [...] Et
pourquoi ? C’est que toute pensée, soit religieuse, soit
philosophique, est intéressée à se perpétuer, c’est
que l’idée qui a remué une génération veut en remuer
d’autres, et laisser trace. » (Victor Hugo, Notre-Dame de
Paris, 1831).

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REMERCIEMENTS
Les auteurs remercient tout particulièrement, pour l’aide apportée,
A. Beillard, J.-J. Beyrière, M.-L. Fromont (CNMHS), J. Lecornec (mu-
sée de la Société polymatique du Morbihan,Vannes), J. L’Helgouac’h
(CNRS, Nantes), P. Pétrequin (CNRS, Besançon), L. Pirault et F. Sala
(AFAN et Service de l’inventaire, Nantes), A.E. Riskine (musée de
Carnac), D. Vellet (Sagemor, Vannes), H. de Lumley et D. Vialou (IPH,
Paris).

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CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES
Bailloud, G. (collection) :
p. 13, 18, 19, 21, 31, 32, 36, 38, 39, 41, 42, 44, 57 (cl. Le Rouzic)

Cassen, S. :
p. 7, 44, 54, 59, 72, 78, 92, 98 à gauche,
101, 106, 108, 114, 116, 120, 122, 125, 129, 136

Centre départemental du Tourisme du Morbihan :


p. 70

CNMHS :
p. 64 (cl. A. Beillard)

Pétrequin, P. :
p. 109

Poissonnier, B. :
p. 62, 86

SAGEMOR :
p. 23, 132, 144 (cl. A. Dugas); 85, 98 à droite,
106, 120 ; 104 en haut (cl. F. Brussat)

Les cartes et les dessins assistés par ordinateur


sont l’œuvre de C. Boujot et S. Cassen.

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