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Firth, Susanna - (HP-624, MB-1760 (UC) ) - Master of Shadows
Firth, Susanna - (HP-624, MB-1760 (UC) ) - Master of Shadows
Susanna Firth
Ce fut le premier d'une longue série d'emplois. Vanessa travailla pour des
médecins, des experts comptables, des agents de publicité. Toutefois, si le
salaire qu'elle gagnait était le bienvenu, la perspective de passer sa vie
derrière un bureau ne réjouissait guère la jeune femme.
— Je me demande comment tu résistes! finit-elle par dire un jour à sa
sœur. Comment peux-tu supporter de travailler toujours au même
endroit, de voir toujours les mêmes gens? Tu n'as jamais l'impression que
tu vas exploser?
Jill eut un sourire indulgent.
— Si, mais je refrène mes impulsions. Je ne suis pas comme toi, Van.
J'aspire à une vie calme.
— En tout cas, la mienne ne l'est que trop, en ce moment! Je n'ai passé
que trois auditions, depuis quinze jours, et je n'ai aucune nouvelle de
Jonathan. J'en viens à douter de sa bonne foi...
— Laisse-lui un peu de temps. Je suis certaine qu'il te trouvera bientôt
quelque chose.
— C'est ce qu'il prétend, soupira Vanessa. Pour le moment, hélas, je
suis enchaînée à une machine à écrire.
Le jour suivant, la directrice de l'agence qui était devenue une amie
l'accueillit avec un sourire radieux.
— Quand je vous aurai dit ce qui vous attend, vous n'en reviendrez pas!
— Je vais gagner des sommes folles à ne rien faire! plaisanta Vanessa.
— C'est mieux que cela. La moitié des postulantes qui sont sur nos
registres se damneraient pour rencontrer ce client.
— Vous me faites brûler de curiosité. S'agirait-il de Robert Redford?
— Pas tout à fait. Mais, à mon avis, il est beaucoup plus séduisant. La
dernière fois que je l'ai vu à la télévision, j'étais absolument fascinée. Je
préfère les bruns, pas vous? Et ces yeux... on ne peut pas s'en détacher!
Une crainte fugitive traversa l'esprit de la jeune femme. Elle la repoussa
avec fermeté. Son ennemi juré n'était pas le seul homme brun à apparaître
sur le petit écran...
— Shakespeare m'a toujours ennuyée à l'école, continuait la directrice.
Mais il a une façon d'en parler qui rend le sujet passionnant. Il a une si
belle voix !
— Qui est-ce? s'impatienta Vanessa.
— Vous n'avez pas deviné? Max Anderson, évidemment !
Le choc qui ébranla la jeune actrice lui apprit qu'elle n'était pas encore
guérie de sa rencontre avec le critique.
— Ça ne va pas? s'enquit son interlocutrice. Vous êtes blanche comme
un linge !
Vanessa fit un effort sur elle-même et répondit avec difficulté :
— Juste un petit malaise. J'ai eu la bêtise de ne pas prendre de petit
déjeuner, ce matin.
— J'espère que cela ne vous arrivera pas lorsque vous travaillerez pour
Max Anderson. Il n'est pas du genre indulgent.
A cette remarque, Vanessa sourit amèrement son amie poursuivit ses
explications tandis qu'elle s’efforçait de reprendre contenance :
— Tenez, voici l'adresse à laquelle vous devez vous rendre. Ce n'est pas
très loin de votre domicile. Vous n'aurez qu'une station de bus. Il a
demandé expressément quelqu'un pour ce matin à onze heures. J'ai dit
que vous y seriez. C'est d'accord?
Vanessa émergea de sa torpeur.
— Pardon...?
— Vous acceptez, n'est-ce pas? s'enquit la directrice, inquiète. Vous
savez, je vous l'ai réservé, parce que je savais que cela vous rapprocherait
un peu de votre métier.
— C'est vraiment gentil à vous, réussit à articuler la jeune femme.
Malheureusement, je ne pense pas...
— Si vous lui convenez, il offre le double du salaire habituel. Ce doit
être très urgent. Je crois que sa secrétaire l'a laissé tomber.
— Je comprends, mais...
— Vous feriez mieux de partir maintenant. Il est presque dix heures, et
d'ici, c'est assez loin.
Vanessa hésita. Apparemment, elle aurait du mal à se sortir de la
situation. Si elle rejetait purement et simplement cette offre, la directrice
de l'agence la jugerait difficile...
Une bouffée de colère l'envahit soudain. Tout cela était la faute de cet
homme ! Il était délicat de refuser un aussi bon salaire à seule fin de
l'éviter! Eh bien, il en serait pour ses frais! Quant à elle, elle observerait
avec le plus grand intérêt son attitude lorsqu'il ferait connaissance avec sa
secrétaire...
— Eh bien, j'y vais tout de suite, lâcha-t-elle brusquement.
La jeune femme saisit son sac et prit rapidement congé de son amie qui la
regarda partir d'un air éberlué.
A peine une demi-heure plus tard, elle pénétrait dans l'immeuble où
habitait Max Anderson. La crainte commença à l'assaillir dans l'ascenseur.
Elle atteignit l'appartement du critique dans un état de nervosité avancé.
Sans se donner le temps de réfléchir, elle sonna puis attendit, le cœur
battant.
— Que faites-vous ici? demanda-t-il d'une voix glaciale dès que la porte
s'ouvrit.
L'accueil lui produisit l'effet d'une douche froide. Vanessa releva le
menton d'un air de défi.
— L'agence m'envoie. Je suis la remplaçante de votre secrétaire.
— Vous êtes ma... !
En silence, elle lui tendit la lettre de recommandation que lui avait
donnée l'employée. Il la parcourut en fronçant les sourcils.
— Nous allons voir ça, dit-il sur un ton vaguement menaçant. Entrez.
Je n'aime pas discuter sur le seuil.
Il s'effaça pour laisser passer la jeune femme. Avec une précision
étonnante, celle-ci se souvint des moindres détails de l'appartement.
— La salle de séjour est à droite, précisa-t-il, comme si elle n'était
jamais venue.
Elle pénétra dans la pièce, où tout indiquait la profession du propriétaire
des lieux. Les murs étaient entièrement recouverts par des bibliothèques
surchargées de livres. Une chaîne hi-fiultra perfectionnée occupait un
angle, ainsi que du matériel d'enregistrement et une caméra. De l'autre
côté, devant une large fenêtre qui donnait sur un parc, un énorme bureau
croulait sous les papiers. La machine à écrire y était posée.
Avec une assurance qu'elle était loin d'éprouver, Vanessa prit la chaise qui
était devant comme si elle entrait en fonction.
— Surtout, faites comme chez vous ! jeta Max Anderson, ironique.
Elle lui sourit gracieusement.
— Je vous remercie.
— Vous ne manquez pas d'une certaine audace, pour vous être
présentée ici, poursuivit-il.
La jeune femme haussa les épaules en signe d'impuissance.
— Je n'ai guère eu le choix. Une actrice au chômage ne peut pas se
montrer difficile.
— Moi, si.
Sur ce, le critique décrocha le récepteur de son téléphone, et composa un
numéro d'une main fébrile.
— Allô, l'agence Spécial-Intérim! Ici Anderson. J'aimerais que vous
m'envoyiez une autre dactylo. Celle-ci ne me plaît pas.
Son ton était sec, cassant. Vanessa se demanda si son amie le trouverait
toujours aussi attirant. Mais sans doute était-il davantage permis aux
célébrités comme lui qu'au commun des mortels...
Pendant qu'il parlait, elle put l'examiner à loisir. Décidément, il n'avait
rien de l'homme de lettres évanescent et distrait! Sous le pull-over de laine
beige, elle devinait un corps rompu aux exercices physiques. Les traits
décidés, le menton énergique trahissaient un caractère volontaire et le
goût de l'action. A n'en pas douter, il ne devait pas être habitué à ce qu'on
lui résiste...
Et apparemment, c'était le cas, si elle en jugeait par son air furieux.
— Au revoir, grommela-t-il avant de raccrocher brutalement.
Il se tourna ensuite vers sa visiteuse.
— Malheureusement, je vais être obligé de vous supporter. ,
Vanessa se leva d'un bond et agrippa son sac.
— Vous ne pensez tout de même pas que je suis venue ici de mon plein
gré. Je serai très heureuse de m'en aller ! Les agences ne manquent pas, il
vous suffit d'en contacter une autre.
— Attendez! je n'ai pas envie de recommencer les mêmes démarches.
Vous allez rester ici, bien qu'on puisse tout craindre de votre
incompétence !Savez-vous taper à la machine?
— Naturellement!
— C'est déjà quelque chose. Asseyez-vous, j'ai horreur des gens qui
piétinent sur place, comme s'ils s'excusaient d'exister.
— Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas de ceux-là, assura sèchement la
jeune femme.
— En effet, convint le critique. L'humilité ne semble pas être votre
point fort.
— Si vous exigez que je sois tout sucre et tout miel, je ferais mieux de
partir...
Un sourire rapide étira les lèvres de Max Anderson.
— Reprenez votre place, commanda-t-il.
Vanessa obéit, avec une soumission feinte.
— Je vais vous dire ce que j'attends de vous, reprit-il. D'abord et
surtout, un travail consciencieux et rapide. Ensuite, je vous demanderai
d'avoir un minimum de bon sens, de faire preuve d'un peu d'initiative si
l'occasion s'en présente, d'avoir une voix agréable au téléphone, et enfin
d'être capable de garder votre calme si je perds le mien durant une
journée de travail.
— Ce n'est pas trop difficile. Rien d'autre?
Son employeur lui décocha un coup d'œil amusé.
— Si. J'exige de jolies jambes...
— Et vous pensez que je réponds à toutes ces attentes?
— Pour ce qui est de la dernière condition, certainement...
Le regard vert et fauve s'attarda sur la jeune femme qui résista à l'envie de
tirer sa jupe sur ses genoux exagérément découverts. Ça lui apprendrait à
utiliser de vieux vêtements par souci d'économie ! La mode avait
sensiblement rallongé ces derniers temps!
— Et pour le reste? s'enquit-elle hâtivement.
— Nous verrons cela au fur et à mesure. Quand j'aurai fini de vous
former, je suis certain que vous serez parfaite...
Cette réflexion n'était pas faite pour réconforter Vanessa ; elle se borna
cependant à constater :
— Dois-je comprendre que je suis engagée?
— A l'essai, en tout cas. Seulement, je vous renvoie à la première faute.
— Je ne jouerais pas les difficiles à votre place, remarqua suavement la
jeune actrice.
— Vous voulez dire que je devrais me montrer indulgent, vu votre
inexpérience?
— L
— Au contraire. Je veux dire que les bonnes secrétaires sont rares.
— Votre compétence reste à prouver. Je vous avertis que je ne tolère
pas les erreurs.
— Il est inutile de me le rappeler, monsieur Anderson.
— Vous feriez mieux de m'appeler par mon prénom.
— Je croyais que ce privilège était réservé à vos amis?
— Il n'est pas interdit de penser que vous en ferez partie un jour.
Vanessa éclata d'un rire provocant.
— C'est un plaisir que je laisse à d'autres.
Un éclair menaçant traversa le regard du critique.
— Je suis sûr que vous pouvez vous montrer aimable, si l'on y met le
prix. Que cherchez-vous, Vanessa Herbert? L'argent? La promesse d'un
rôle dans une nouvelle pièce? Ou autre chose?
Il fixa les lèvres de la jeune femme, comme s'il savait exactement ce qu'elle
désirait, au plus profond d'elle- même. Elle se leva.
— Soyons clairs, monsieur Anderson. Vous perdriez votre temps en
croyant trouver en moi davantage qu'une bonne secrétaire. Je suis tout à
fait insensible à votre fameux charme.
— Vraiment? Allons, Vanessa, nous savons parfaitement tous les deux
que ce n'est pas vrai.
Malgré elle, le souvenir de leur étreinte s'imposa à elle. Elle se revit dans
les bras de Max Anderson, alanguie et consentante...
— Il me semble que vous n'avez pas obtenu ce que vous espériez!
souligna-t-elle avec aigreur.
— Peut-être n'ai-je pas assez insisté? Si je l'avais voulu, cette petite
scène se serait conclue bien différemment...
— Non! affirma Vanessa d'un ton faussement convaincu.
Il fallait mettre un terme à cette conversation dangereuse, songea-t-elle,
l'esprit en effervescence. Elle reprit, d'une voix toute professionnelle :
— Si vous me disiez ce que je dois faire, je pourrais me mettre au
travail sans tarder...
— Surpris par ce changement d'attitude, le critique s'abstint cependant
de toute remarque, et lui fit signe de s'asseoir devant le bureau.
— L'agence vous a-t-elle donné des détails?
— On m'a dit que vous payez le double des autres ! lança Vanessa.
— Eh bien! Au moins, c'est direct!
Il fouilla impatiemment dans le monceau de papiers, et finit par en
extirper une liasse de feuillets grossièrement agrafés.
— Voici. Parviendrez-vous à me relire?
— Ma foi, l'écriture paraît assez indéchiffrable, mais j'ai vu pire. Je
devrais être capable de m'en sortir.
— Parfait. En cas d'urgence, vous pourrez toujours me joindre aux
numéros que je vous indiquerai. Mais je suis un homme occupé, tâchez de
ne pas m'importuner pour des bêtises.
La jeune femme obser.va le manuscrit.
— C'est un scénario?
— Brillante déduction. C'est en effet une pièce destinée à la télévision.
— Elle est de vous ? J'ignorais que vous écriviez ce genre de littérature!
— Il s'agit de mon premier essai. Personne n'est encore au courant, je
vous demanderai donc d'être discrète.
— Evidemment.
— Oh, vous seriez bien la première actrice â l'être. Bon, j'ai un
rendez-vous dans une demi-heure. Pas de questions?
— Je ne pense pas.
— Vous travaillerez de 9 heures à 5 heures. Je préfère que vous
déjeuniez ici, afin de ne pas perdre de temps. Vous trouverez ce qu'il vous
faut dans le réfrigérateur. Si le téléphone sonne, prenez les messages.
Quant au manuscrit, j'en voudrais trois exemplaires. Vous connaissez la
présentation à adopter, je suppose?
— Je ne suis pas complètement stupide! s'exclama Vanessa qui perdait
patience.
— Prouvez-le. Les actes valent mieux que les mots.
Max ramassa son blouson de cuir, qui traînait sur le sol.
Avant de sortir, il se tourna une dernière fois vers Vanessa
— Ah, j'oubliais...
— Oui? dit-elle d'une voix exagérément douce.
— Surtout, n'allez pas vous faire des idées à propos de ma pièce. Les
comédiennes qui l'interpréteront seront de premier ordre.
Vanessa se raidit sous l'insulte, puis laissa tomber du bout des lèvres :
— Si elle est jouée un jour! A ce qu'on en dit, la télévision en accepte
une sur mille...
— Quelque chose comme ça, en effet.
Il ne semblait vraiment pas se faire du souci.
— J'espère qu'elle vous plaira, ajouta-t-il d'un ton moqueur.
— Cela m'étonnerait! s'exclama la jeune femme avec force.
Le critique éclata de rire.
— Vous pourriez bien être surprise! lança-t-il, avant de claquer la porte
derrière lui.
5.
Max Anderson avait vu juste, évidemment. Vanessa éprouva un réel plaisir
à la lecture de sa pièce, une comédie légère dans laquelle il avait glissé
quelques idées sérieuses. Plus étonnant encore, elle s'aperçut au fil des
jours qu'elle appréciait de travailler pour le critique.
Ce n'était pourtant pas un homme facile à contenter. Il était exigeant,
pointilleux et, à la moindre erreur, il obligeait sa secrétaire à retaper les
pages mal faites. Mais la jeune femme se piqua au jeu, et réalisa de grands
progrès.
Je ne sais même pas s'il s'en est rendu compte, déclara-t-elle un soir à Jill.
Je compte pour lui à peu près autant qu'une machine...
— Qu'est-ce que cela peut bien te faire, puisque tu le détestes? observa
sa sœur. Quand tu m'as appris que tu entrais { son service, j'étais
persuadée qu'il ne s'écoulerait pas une semaine avant que tu lui claques la
porte au nez!
— Mes sentiments n'ont pas changé, sinon que, par une sorte de justice
divine, l'homme par la faute duquel j'ai perdu mon emploi est aujourd'hui
mon employeur.
— Mais lorsque tu as accepté cette place, n'avais-tu pas
d'arrière-pensées?
La jeune actrice éclata d'un rire sincère.
— Tu m'imagines en train de lui déclamer Shakespeare, derrière ma
machine à écrire pour le convaincre de mon talent !
— Ne sois pas stupide, il y a bien d'autres façons de parvenir à ce
résultat !
— Le séduire, par exemple, ironisa Vanessa. On voit que tu ne le
connais pas!
— D'après ce qu'on dit, il apprécie les femmes.
— Et c'est réciproque! Mais elles n'obtiennent rien de lui. Quand il en
est las, il les délaisse et, crois-moi, Max Anderson se lasse très vite !
— Est-ce qu'elles en souffrent? demanda Jill.
Sa sœur se souvint de certains messages douloureux qu'elle avait dû
transmettre au critique. Il n'avait pas paru s'en soucier outre mesure. Elle
haussa les épaules.
— Quelquefois. En tout cas, si cet homme a la moindre sensibilité, il la
cache joliment bien.
Jill prit un air inquiet.
— Tout cela ne t'affecte pas, n'est-ce pas, Van?
La jeune femme retint un soupir. Qu'est-ce que cela changeait puisque
Max Anderson la considérait comme une simple collaboratrice?
— Non. Simplement, je suis pleine de compassion pour toutes celles
qui n'ont pas la sagesse de s'écarter de son chemin...
Le jour suivant, Max resta chez lui. Étendu sur le sofa, il griffonnait des
notes. Ordinairement, il laissait Vanessa seule, se contentant de lui
donner des directives par téléphone ou par écrit. Troublée par sa
présence, la jeune femme dut s'y reprendre à plusieurs fois pour taper une
page. Rageusement, elle jetait dans la corbeille les feuilles de papier. Son
patron finit par s'en apercevoir.
— J'espère que nous avons des provisions, fit-il remarquer. Sinon, au
rythme où vous allez, nous ne tiendrons pas longtemps.
— Il ne vous restera plus qu'à retenir cette dépense sur mon salaire!
s'exclama-t-elle, excédée.
— Quelque chose ne va pas?
— Quand je travaille, je ne supporte pas que l'on soit derrière mon dos.
— J'aurais cru que, dans votre métier, vous étiez habituée à ce genre de
proximité, observa-t-il doucement. Cet appartement est certes un peu
étroit, je l'admets. Sauf pour des amoureux, évidemment...
— Ce qui n'est pas notre cas!
— En effet.
— Lorsque vous vous marierez, il faudra en trouver un plus grand.
A peine eut-elle prononcé ces paroles que Vanessa se mordit les lèvres.
Quel besoin avait-elle eu de faire un commentaire aussi stupide!
— Si je me marie un jour ! lâcha le critique. Ce qui ne fait certainement
pas partie de mes projets pour l'instant, quoi qu'en disent les journaux à
scandales. Le salut est dans la diversité!
— Et cela ne vous fatigue pas?
— Non, pourquoi?
Elle haussa les épaules.
— Vous êtes sans cesse assiégé par des sottes qui ne songent qu'à vous
prendre au piège. Statistiquement, l'une d'elles devrait bien y réussir un
jour.
— J'en doute, objecta Max Anderson. Je les ai en horreur!
— J'avoue ne pas l'avoir remarqué. Toutes ces femmes qui sont
pendues à votre téléphone ne semblent pas briller par leur sagacité.
— Tandis que vous, en fine psychologue que vous êtes, vous connaissez
mes intentions secrètes? railla-t-il.
— Elles sont assez claires! A chaque fois que vous vous promenez en
ville avec une nouvelle conquête, on peut aisément en déduire que vous
avez rompu avec la précédente. Mais elles refusent toujours de l'admettre.
— Est-ce ma faute? demanda doucement le critique.
— Non, c'est la leur. Ce sont des écervelées ! jeta Vanessa avec mépris.
— Alors pourquoi dépenser votre sympathie pour elles? Elles ont ce
qu'elles méritent.
— Parce que vous profitez de leur crédulité et que j'ai pitié d'elles.
Son patron haussa les épaules avec indifférence.
— Elles sont majeures et vaccinées. Tant pis pour elles si elles y
perdent des plumes!
— Evidemment, ça ne vous est jamais arrivé, à vous!
Le visage de son interlocuteur se ferma. La jeune femmese demanda si elle
avait touché un point sensible. Mais déjà, il s'était repris.
— Les peines d'amour sont des pertes de temps, se borna-t-il à
constater froidement. J'ai appris cela il y a bien longtemps.
— Et vous pensez que les aventures sans lendemain suffisent au
bonheur?
Le critique partit d'un rire sans joie.
— Je n'ai jamais rien prétendu de tel ! Mais lors de votre petite
entrevue avec Sam Galveston, vous étiez moins idéaliste.
— Ce n'est pas votre affaire!
— En effet. Et je vous rappelle que vous n'avez pas non plus à vous
mêler des miennes. A l'avenir, vous feriez mieux de garder vos réflexions
pour vous.
— Ne vous inquiétez pas, je connais ma place.
— C'est ce dont je doute.
Résistant à l'envie de lui répondre, elle s'efforça de l'ignorer et s'absorba
dans son travail.
— Vous voulez du café?
Elle sursauta.
— Quoi? Oh, avec plaisir!
Max disparut dans la cuisine et revint aussitôt avec deux tasses.
— Je vous ai mis deux sucres. Si je me souviens bien, c'est ainsi que
vous l'aimez...
Vanessa évoqua l'unique occasion qu'ils avaient eue de boire le café
ensemble. Elle s'agita gauchement sur sa chaise.
— Je n'en prends pas d'ordinaire, mais cela ira, merci.
Il l'enveloppa d'un regard appréciateur.
— Vous faites la diète? C'est tout à fait inutile. Vous avez une
silhouette que nombre de femmes vous envieraient.
Il sourit, comme s'il était bien placé pour le savoir. La jeune femme sentit
la colère monter en elle.
— Faut-il absolument que vous me le rappeliez à chaque instant?
— De quoi parlez-vous donc? demanda-t-il d'un air candide.
— Vous le savez parfaitement!
— Ah oui ! Mais comment oublier que je vous ai vue dans le plus
simple appareil... Hélas, c'est impossible!
Visiblement, son patron éprouvait un malin plaisir à la provoquer.
Vanessa s'exhorta au calme.
— Je préfère changer de sujet, si vous le permettez.
— Dommage! Je serais curieux de savoir combien d'hommes il y a eu
dans votre vie. A moins qu'il soit impossible d'en faire le compte?
C'en était trop! Incapable de se contenir plus longtemps, Vanessa lui lança
le contenu de sa tasse au visage. Il s'écarta, mais le liquide chaud se
répandit sur son pull. Horrifiée par son propre geste, elle retint un cri.
— Petite peste! rugit Max.
Prise de panique, elle voulut s'échapper.
— Oh non, ce serait trop facile!
Des bras puissants l'enlacèrent avant qu'elle n'ait pu atteindre la porte.
Max la contraignit à faire volte-face, et elle dut affronter son regard empli
d'une colère glacée.
— J'ai l'impression que vous avez un peu trop dépassé les bornes,
murmura-t-il.
Tel un animal pris au piège, elle le vit se pencher sur elle. Quand elle
sentit sa bouche forcer la sienne avec violence, elle songea que si elle
restait passive, il finirait par la libérer; mais un plaisir inattendu, sauvage,
la submergea tout entière. Malgré elle, son corps se pressa contre celui de
Max; elle ne protesta pas lorsque ses doigts fermes se glissèrent sous son
chemisier pour effleurer ses seins. Au contraire, elle fut bientôt la proie
d'une vague de désir qui la submergea totalement...
Alors, tout aussi soudainement qu'il s'était emparé d'elle, il la lâcha.
Vanessa vacilla sous le choc, l'esprit en déroute. De son côté, Max
recouvrait son calme avec difficulté. Un muscle au coin de sa bouche
saillait, et sa respiration était saccadée.
— C'est tout ce que vous attendiez, réussit-il à articuler, aussi n'espérez
pas de moi des excuses.
La jeune femme le regarda avec rage.
— Je vous déteste !
— Vraiment? Ce n'est guère l'impression que j'ai eue. Seulement vous
n'êtes pas assez honnête pour l'admettre !
Brûlant de honte, Vanessa baissa la tête. Il avait raison, bien sûr. Elle
s'était offerte à lui, sans aucune retenue.
— Les femmes comme vous sont absolument dénuées d'attrait, à mes
yeux, laissa-t-il tomber avec mépris.
— En tout cas, vous avez une curieuse façon de le montrer.
— J'ai simplement voulu vous donner une leçon. Depuis que je vous
connais, vous n'avez cessé de tenter le sort.
— Ce n'est pas vrai ! s'insurgea-t-elle farouchement.
Mais au fond d'elle-même, elle savait qu'elle avait délibérément joué avec
le feu.
Le critique haussa les épaules.
— Niez tant que vous voudrez. Vous savez maintenant ce qui vous
attend, si vous persistez dans cette attitude.
— Je m'en souviendrai, murmura-t-elle comme pour elle-même.
— Il baissa les yeux sur ses vêtements maculés, les sourcils froncés,
puis se dirigea vers la porte. Vanessa l'entendit entrer dans sa chambre,
sans doute dans l'intention de se changer.
Une fois seule, elle se laissa tomber sur le sofa, vidée de toute son énergie.
Elle resta ainsi plusieurs minutes, les yeux fermés, avant de retourner à
son bureau. Apparemment, quelle que fût l'opinion de son employeur à
son sujet, il appréciait toujours son travail, puisqu'il ne l'avait pas
renvoyée !
Elle s'assit, les sens en alerte. Que ferait-elle s'il reparaissait dans la salle
de séjour? Heureusement, cette épreuve ne lui fut pas imposée. Elle ne
tarda pas à entendre la porte de l'appartement claquer.
A cet instant, la jeune femme se sentit gagnée par une immense lassitude.
Comment aurait-elle le courage de reprendre son travail? Saisie d'une
impulsion subite, elle gagna le bar pour se servir un verre de cognac.
Après la réception, elle s'était juré de ne jamais plus avaler une goutte
d'alcool, mais en l'occurrence il s'agissait plutôt d'un remontant. Elle but
une première gorgée, puis une seconde. Une chaleur réconfortante
l'envahit. Toute ragaillardie, elle décida de se remettre à la tâche.
De retour devant sa machine à écrire, Vanessa dut rapidement déchanter.
Le visage de Max ne cessait de s'interposer entre elle et sa copie, et elle
multipliait les erreurs. Par chance, il n'était pas là pour constater les
dégâts !
A deux reprises, elle fut dérangée par le téléphone. Elle ne pouvait
s'empêcher d'espérer et de craindre à la fois que ce soit un appel du
critique. Enfin, ce fut l'heure du déjeuner. Vanessa se rendit sans
enthousiasme dans la cuisine afin de préparer son repas.
— La porte d'entrée claqua quelques secondes plus tard. Ainsi Max
était déjà revenu ! Mais ce pas léger et rapide n'était pas celui de son
employeur...
— Max! Où te caches-tu?
Si le visiteur fut étonné de se trouver nez à nez avec une étrange créature
qui brandissait un couteau de cuisine, il le cacha admirablement bien.
Aussi grand que Max, il était âgé comme lui d'une trentaine d'années.
Mais la ressemblance s'arrêtait là. L'inconnu était plutôt frêle, et une
tignasse de cheveux blonds lui tombait sur les yeux. En tout cas, il n'avait
rien d'un cambrioleur. Vanessa se détendit devant son regard pétillant de
malice.
— Cette arme était-elle destinée à Max ou bien avez-vous cru qu'un
indésirable s'était introduit dans l'appartement ?
Vanessa éclata de rire et baissa le bras.
— Vous m'avez surprise. J'ai attrapé le premier objet qui m'est tombé
sous la main.
— Je m'appelle Daniel Jensen. Malheureusement pour lui, je suis un
ami de Max.
Il lui tendit la main. Rassurée, Vanessa la lui serra chaleureusement.
— A votre accent, je parierais que vous êtes américain, hasarda-t-elle.
— Canadien. Attention, nous sommes très susceptibles, à ce sujet. En
fait, je suis presque anglais d'adoption. Je viens très souvent ici. Max me
prête son appartement chaque fois qu'il ne s'y trouve pas lui-même. Je suis
las des chambres d'hôtel.
— C'est pour cette raison que vous avez la clé, termina Vanessa,
soulagée de voir ce mystère résolu.
La jeune femme songea alors à se présenter :
— Je m'appelle Vanessa Herbert.
— Et Max est votre...
— Je suis sa secrétaire, coupa-t-elle hâtivement.
— Je vois... Vous devez certainement le maudire de ne pas vous avoir
prévenue de mon arrivée?
— En effet, il aurait pu m'en parler.
— Je suis le seul coupable. Il n'était pas au courant de ma visite. J'avais
quelques heures à tuer entre deux avions, et j'ai horreur des aéroports. Je
suis donc venu à tout hasard. Désolé de vous avoir fait peur.
Vanessa lui sourit, désarmée.
— Ce n'est rien. Malheureusement, je n'ai aucune idée de l'endroit où
est allé Max. Il peut être aux studios de la télévision, ou bien à son bureau
de Fleet Street. Voulez- vous que je téléphone?
— Ne vous tracassez pas, je le verrai une autre fois. En fait, j'ai une bien
meilleure idée. Que diriez-vous de m'accompagner au restaurant, à la
place de Max? Vous réjouiriez le voyageur fatigué que je suis.
— Je ne sais que répondre.
— Acceptez, et rendez-moi heureux ! supplia-t-il comiquement.
La suggestion de Daniel Jensen tentait fortement Vanessa. D'après le peu
qu'elle connaissait de lui, il était simple et amical. Une heure passée en sa
compagnie la distrairait de ses pensées moroses. Mais quelle serait la
réaction de Mark, s'il revenait avant elle? Elle frémit à cette seule pensée.
Le Canadien paraissait amusé.
— A vous voir, la décision semble lourde de conséquences. Je ne mords
pas, vous savez...
La jeune femme se mit à rire.
— Ce n'est pas à cause de vous que j'hésite.
Il fit mine de pousser un gros soupir de soulagement.
— Vous me rassurez, je commençais à me poser des questions!
— Faisons un compromis, proposa-t-elle. Vous allez prendre une
douche, pendant que je préparerai le déjeuner. Comme cela, si Max
revient, vous ne le raterez pas.
Daniel Jensen haussa les épaules.
— Cela me convient tout à fait, seulement je ne voudrais pas vous
donner du travail.
— Attendez d'avoir goûté ma cuisine. Peut-être vais-je vous offrir des
tartines de beurre, plaisanta Vanessa.
— Avec vous, tout me paraîtrait délicieux!
— Est-ce que par hasard vous me feriez la cour, monsieur Jensen? se
moqua-t-elle dans un sourire.
— J'essaye simplement, admit-il. Mais appelez-moi Daniel, je vous en
prie. Je serai de retour dans dix minutes, ajouta-t-il en se dirigeant vers la
porte.
Lorsqu'il reparut, la jeune femme n'avait pas perdu de temps. Elle avait
mis à griller deux steaks, une délicieuse salade assaisonnée à l'huile et au
citron attendait sur la table, et le fromage était disposé sur un plateau.
— Mmm, ça sent bon, murmura Daniel en lui glissant un bras autour
de la taille.
Elle s'échappa prestement.
— On ne distrait pas la cuisinière ! Votre viande ne sera plus qu'un
morceau de charbon, si je n'y prends pas garde. Voulez-vous du vin ? En
ce cas, jetez donc un coup d'œil sur la cave de Max, vous verrez si quelque
chose vous convient.
— Ce qui me convient est devant le fourneau, affirma son compagnon.
Mais je vois bien que je ne gagnerai rien à insister.
Il lui sourit avec bonne humeur, avant d'examiner la provision de vin et
porta son choix sur une bouteille de bordeaux.
— Je pense que celle-ci fera l'affaire.
— J'ai mis le couvert dans la cuisine, s'excusa Vanessa. Nous en aurions
eu jusqu'à demain, s'il avait fallu débarrasser la table de Max.
— C'est parfait ainsi, assura Daniel en s'installant à la place qu'elle lui
désignait. Et maintenant, parlez-moi de vous.
— Qu'aimeriez-vous savoir?
— Tout!
— Vous êtes plutôt exigeant, s'exclama-t-elle avec gaieté. Eh bien, je
suis célibataire, Agée de vingt-deux ans. En réalité, je suis actrice, mais je
fais du secrétariat...
— Entre deux rôles? suggéra-t-il avec tact.
Vanessa ne put retenir un léger rire.
— Exactement. En fait, j'ai subi un terrible échec. J'espère jouer de
nouveau un jour, seulement en attendant je travaille ici pour gagner ma
vie.
— Cela vous plaît?
— C'est un emploi comme un autre.
— Ce qui veut dire que non, conclut-il, l'air amusé.
La jeune femme ne chercha pas à nier l'évidence.
— C'est affreux, n'est-ce pas? La plupart des femmes, à Londres,
donneraient n'importe quoi pour être à ma place. Pensez-vous que je sois
une enfant gâtée?
Le Canadien lui lança un regard admiratif.
— Vous êtes belle comme un ange. Je ne vois pas ce qu'un homme
pourrait désirer de plus!
— Sauf s'il se nomme Max Anderson, ironisa Vanessa. Mais changeons
de sujet... Que faites-vous dans la vie?
Elle eut l'impression qu'il hésitait légèrement.
— Je suis dans les affaires, répondit-il évasivement.
— Haut placé?
— J'ai tout l'avenir devant moi ! assura Daniel avec gravité.
Vanessa éclata de rire. Avec son air juvénile et ses cheveux ébouriffés, il ne
ressemblait certes pas à un capitaine d'industrie. Il s'empara de la
bouteille de vin.
— Vous ne buvez pas! Tendez-moi donc votre verre, que je le
remplisse.
A contrecœur, Vanessa obéit.
— Le vin rouge m'endort toujours un peu, expliquât-elle. Je me
demande comment je vais pouvoir travailler cet après-midi...
— Je vous donne congé pour le reste de la journée!
— Merci, mais vous n'êtes pas mon patron.
— Hélas! Chez moi, les secrétaires ne sont pas aussi jolies ! Dites-moi,
il y en a beaucoup comme vous à l'agence?
— Ils ont changé le moule, après mon arrivée, plaisanta- t-elle.
— Ah, je m'en doutais!
Le repas s'acheva ainsi, ponctué par leurs plaisanteries. Vanessa trouvait le
jeune homme sympathique et se sentait parfaitement à l'aise en sa
compagnie. Il insista pour l'aider à laver la vaisselle.
— Quand devez-vous reprendre l'avion? s'enquit la jeune femme, en lui
tendant le dernier plat.
— Etes-vous si pressée de me voir partir?
— Bien au contraire! s'écria-t-elle spontanément. Je ne m'étais pas
autant amusée depuis des semaines!
— Et moi de même, appuya-t-il en déposant un baiser léger sur la joue
de sa compagne. Me permettrez-vous de vous offrir à dîner, un de ces
soirs, pour vous remercier?
Il la prit gentiment par les épaules et l'obligea à le regarder. Vanessa ne
savait que répondre. Elle avait envie d'accepter, mais que dirait Max, si sa
secrétaire sortait avec l'un de ses amis?
Au moment où elle s'apprêtait à acquiescer, une voix glaciale retentit dans
son dos :
— Je suis ravi de constater que vous vous amusez, Vanessa !
6.
Max se tenait sur le seuil de la cuisine et la contemplait d'un air glacial.
Vanessa s'écarta de Daniel, comme si elle avait été brûlée au fer rouge. Ce
dernier ne semblait pas gêné le moins du monde.
— Bonjour, Max ! lança-t-il. J'espère que tout va comme tu veux?
La jeune femme retint sa respiration. Quelques secondes s'écoulèrent,
puis Max haussa légèrement les épaules.
— Ça va bien. Je vois que tu ne perds pas ton temps. Et, bien entendu,
c'est sur ma secrétaire que tu as jeté ton dévolu.
— Je n'ai jamais su résister à un joli visage.
— Et elle ne s'en plaignait pas, n'est-ce pas, Vanessa?
Le regard froid se posa sur la coupable qui garda le silence.
Daniel comprit alors que quelque chose n'allait pas. Il s'efforça de
détendre l'atmosphère :
— Allons, Max, je suis arrivé à l'improviste, et j'ai fait une peur bleue à
Vanessa. Je lui ai demandé de me préparer un déjeuner. Tu voulais qu'elle
refuse?
— Non, bien sûr, admit son ami. Je me demande simplement jusqu'où
allait sa complaisance...
Le coup d'œil méprisant qu'il jeta { la jeune femme disait clairement ce
qu'il en pensait. Puis il parut chasser le sujet de son esprit.
— Si nous allions dans la salle de séjour? Je veux que tu me racontes où
tu en es.
Il entraîna Daniel vers la porte, nonsansavoir lancé par-dessus son épaule :
— Nous prendrons le café, dès que vous l'aurez préparé.
Vanessa présuma que cet ordre s'adressait à elle.
— Avez-vous déjeuné? Je peux vous faire des sandwichs.
— Epargnez-moi votre sollicitude! rétorqua Max d'un ton cassant. Et
ne croyez pas que j'en aie fini avec vous.
Le critique referma sans douceur la porte derrière lui pour rejoindre son
ami. Sans s'attarder sur le sens de ces paroles, Vanessa se hâta de faire ce
qu'on lui avait demandé. Après avoir disposé des tasses et du sucre sur un
plateau, elle gagna la salle de séjour.
A l'évidence, la jeune femme interrompait une conversation sérieuse.
Daniel s'arrêta net au beau milieu d'une phrase et lui adressa un clin d'œil
complice. Elle se demandait si elle devait servir, mais Max lui fit signe de
disparaître. Dès qu'elle eut refermé la porte, elle les entendit reprendre
leur discussion.
De retour dans la cuisine, Vanessa s'empressa d'y remettre de l'ordre.
Quand tout fut en place, il ne lui resta plus qu'à s'asseoir et à attendre.
Visiblement, Max n'avait pas voulu faire une scène devant son ami, mais
c'était reculer pour mieux sauter! Elle frissonna à l'idée de ce qui allait se
passer.
Soudain, la porte de la salle de séjour s'ouvrit. Souriant, Daniel apparut
sur le seuil.
— Je m'en vais. Encore merci pour le déjeuner.
— Je suis contente qu'il vous ait plu. Voulez-vous que j'appelle un taxi?
— Inutile, Max m'accompagne. A bientôt, Vanessa.
Deux minutes plus tard, il était parti avec Max. Cedernier n'avait pas
daigné lui adresser la parole avant de s'en aller.
La jeune femme se dirigea vers son bureau. Peut-être que, si elle lui
fournissait une copie parfaite, Max oublieraitl'incident? Quelques minutes
suffirent à lui démontrer la vanité de cet espoir : ses doigts ne lui
obéissaient plus!
Quand cinq heures sonnèrent, le critique n'était toujours pas rentré. En
temps ordinaire, la jeune femme n'aurait pas traîné mais, aujourd'hui, elle
hésitait. D'un autre côté, elle n'allait pas rester là comme une écolière que
l'on a punie!
Elle quitta l'appartement et appela l'ascenseur, tremblant à l'idée de le
rencontrer. Nul doute que, s'il la croisait, il ne lui épargnerait passa
mauvaise humeur. Mais, pour une fois, la chance sourit à Vanessa ; elle
parvint chez elle saine et sauve.
Jill était déjà dans la cuisine.
— Tu as passé une bonne journée?
— Désastreuse, tu veux dire l
Tout en dînant, elle raconta { sa sœur ce qui s'était passé.
— Je ne pouvais tout de même pas refuser de lui offrir un déjeuner!
conclut-elle avec indignation.
Jill sourit malicieusement.
— Le baiser était-il compris dans le service?
— C'est lui qui m'a embrassée, et sur la joue encore ! De toute façon,
quand Max est arrivé, nous bavardions! N'importe quel imbécile l'aurait
compris.
— Je ne crois pas qu'on puisse qualifier ainsi Max Anderson.
— Il est tout simplement aveugle et sourd, quand il s'agit de moi ! Je
me demande pourquoi il ne m'a pas renvoyée aussitôt. Mais sans doute
a-t-il voulu éviter une scène devant Daniel Jensen !
— Qui ça?
— Daniel Jensen. Pourquoi?
Jill la contempla avec des yeux ronds.
— Tu as invité Daniel Jensen dans la cuisine!
— Evidemment! Et alors?
— Ça a dû être une nouveauté pour lui !
— Cesse de t'exprimer par énigmes, Jill, s'exclama sa sœur avec
impatience. Tu connais cet homme?
— Les petites secrétaires comme moi ne fréquentent pas les Daniel
Jensen !
Vanessa fronça les sourcils.
— Maintenant que tu insistes tant, il me semble que ce nom m'est
vaguement familier. Il est connu?
— C'est un grand financier, expliqua Jill. Il a hérité dès l'enfance de
plusieurs millions. Quand il a été en âge de gérer lui-même sa fortune, il a
écrasé ses concurrents, et doublé son capital en trois ans. Son empire
s'étend sur le monde entier.
— Tu n'as rien d'autre à m'apprendre? murmura Vanessa, atterrée.
— On dit aussi que c'est un véritable play-boy.
— Ça, j'aurais pu m'en apercevoir toute seule, ironisa la jeune femme.
Il m'a invitée à dîner.
A cette nouvelle, les yeux de Jill brillèrent d'excitation.
— Tu as accepté?
— Je n'en ai pas eu le temps. Je comprends maintenant pourquoi il
paraissait étonné que j'hésite à sortir avec lui.
— En effet, il doit être habitué à ce que les gens se précipitent sur lui,
au contraire.
— Je n'imagine pas Max se précipitant sur qui que ce soit, remarqua
Vanessa, songeuse. Je me demande ce qui les unit. Pourtant, ils ont l'air
d'être de vieux amis.
— Je crois que le théâtre est un de leurs intérêts communs. Daniel
Jensen produit des spectacles à Broadway qui sont toujours des succès !
— Quelle gaffeuse je fais! On pourrait écrire une encyclopédie, rien
qu'avec mes bourdes!
— Je ne vois pas comment tu pourrais aggraver ton cas !
Sa sœur la considéra d'un air sombre.
— Tu oublies que je vais devoir affronter l'ogre, demain.
— Allons, il ne va pas te manger toute crue.
— Je n'en suis pas si sûre, murmura Vanessa.
Le lendemain matin, elle sut que l'orage allait éclater dès qu'elle eut
pénétré dans l'appartement. Max Anderson l'attendait, visiblement d'une
humeur massacrante.
— Il est 9 heures trois minutes, observa-t-il après avoir consulté sa
montre. Vous est-il vraiment impossible d'arriver à l'heure?
— C'est l'autobus..., commença Vanessa. Cela ne se reproduira plus,
ajouta-t-elle, résignée.
— J'en suis certain... Et que pouvez-vous me dire à propos de vos
petites fredaines d'hier?
— Mes quoi?
— Ne faites pas l'innocente! Dois-jc vous surveiller à chaque instant,
pour être certain que vous n'exercez pas vos charmes sur le premier qui
passera à votre portée?
— Est-ce une question de moralité, ou bien êtes-vous contrarié parce
que j'ai reçu un homme pendant mes heures de bureau? demanda
Vanessa d'une voix exagérément suave.
— Je vous paie, j'ai donc le droit d'utiliser votre temps à mon gré. A
l'avenir, vous êtes priée de vous tenir à l'écart de mes amis.
— Vous ne pensez pas que Daniel est assez grand pour choisir
lui-même ses fréquentations?
— En effet, concéda Max. Je suis surpris qu'il n'ait pas vu à quel genre
de femme il avait affaire. Et dire que vous lui avez offert à déjeuner,
comme une bonne petite maîtresse de maison !
— Sans doute auriez-vous préféré que je le mette à la porte?
— C'était évidemment la seule chose à faire. Mais, ayantpressenti le
bon filon, vous n'avez pas voulu rater cette chance.
Le critique éclata d'un rire sardonique.
— C'est vraiment bien dommage que je sois arrivé si mal à propos,
reprit-il avec mépris. Que se serait-il passé, si j'étais rentré une
demi-heure plus tard? Je vous aurais retrouvés tous les deux en train de
filer le parfait amour, je suppose?
Indignée, la jeune femme le défia du regard.
— Comment osez-vous me parler ainsi?
— En général, j'adapte ma conversation à mon interlocutrice. Tirez
vous-même les conclusions...
La main de Vanessa fendit l'air, mais Max fut plus rapide qu'elle.
— Je vous avais pourtant prévenue de ce que vous risquiez à jouer à ce
genre de jeu avec moi ! Seulement vous êtes têtue, n'est-ce pas?
Il lui tordit le bras en la serrant contre lui.
— Lâchez-moi! cria-t-elle.
— Ne vous inquiétez pas, ce que vous avez à offrir ne m'intéresse pas.
— Qui vous a dit que je vous offrais quoi que ce soit?
— En effet, je suis moins riche que Daniel.
Piquée au vif, Vanessa voulut se défendre :
— Je vous jure que je ne connaissais pas son identité.
Max ignora sa protestation.
— Regardez-moi, Vanessa, lui intima-t-il.
Elle rejeta la tête en arrière. Malgré la douleur qu'il lui infligeait, elle se
sentait irrésistiblement attirée par cet homme. Il ne fallait pas qu'il s'en
aperçoive! Elle obéit, pourtant, et leva vers lui des yeux hostiles.
— Vous me faites mal.
— Promettez-moi une chose, si vous voulez que je vous libère.
— Dites toujours.
— Je me moque de la façon dont vous occupez vos loisirs, mais
j'entends que vous suiviez mes directives pendant vos heures de bureau.
C'est compris?
— C'est parfaitement clair.
Aussitôt, Max la lâcha.
— Nous avons assez perdu de temps pour aujourd'hui. Mettez-vous au
travail.
Les deux semaines suivantes s'écoulèrent dans la fièvre, ne lui laissant que
peu de temps pour réfléchir à l'incident. Elle songeait surtout à la grande
première qui devait être donnée à Londres et dont la réussite marquerait
sans aucun doute un nouveau tournant dans sa carrière.
Et puis enfin, le grand soir arriva. Dans sa loge, quelques minutes avant
son entrée en scène, la jeune femme frôla la panique.
La rumeur de la salle lui parvenait dans un brouillard. Malgré les
télégrammes de félicitations éparpillés sur la table, les monceaux de fleurs
qui encombraient la pièce, Vanessa se demanda ce qui lui avait pris de
vouloir monter sur la scène. Et dire que Max était là, quelque part dans le
public...
Enfin, elle traversa l'étroit corridor. Les lumières de la rampe lui parurent
chaudes et rassurantes ; sa peur s'envola au moment même où elle lançait
les premières répliques...
Quand la salle croula sous les applaudissements, elle sut qu'elle avait
gagné.
— Regarde-moi ça! murmura une de ses compagnes, tandis que la
troupe saluait. Même les critiques sont debout !
Max était-il parmi eux? Vanessa le chercha en vain du regard. Peut-être
n'était-il pas venu?
Un peu sombre, malgré son triomphe, elle revint seule sur les planches
pour recevoir les ovations. Lorsque le rideau tomba, des cris et des
applaudissements retentissaient encore, comme si les gens n'avaient pas
voulu la laisser partir.
— Tu as été formidable, ma chérie! s'écria Jonathan un quart d'heure
plus tard. Je le savais que cette pièce ne pouvait pas échouer!
— Tu as eu raison, opina Vanessa avec docilité.
— Il était inutile de lui rappeler qu'il en avait dit autant de Sur les
quais. La soirée n'était pas à la tristesse. Sa loge était envahie de monde.
Certains visages lui étaient familiers, d'autres totalement inconnus. Un
directeur de troupe, qui n'avait pas eu une minute à lui consacrer deux
mois auparavant, lui promettait un rôle dans une série télévisée. Elle
croyait rêver.
Daniel parut soudain et la fit tournoyer dans la pièce.
— Je croyais que vous étiez aux États-Unis? s'étonna la jeune femme,
hors d'haleine.
— Je voulais garder un œil sur mon investissement, plaisanta-t-il. Je
suis revenu spécialement pour la première.
Vanessa aperçut à son côté une fort jolie blonde.
— Je constate avec plaisir que votre cœur n'est pas totalement brisé, lui
chuchota-t-elle à l'oreille.
— Vous faites allusion à Caroline? Un simple caprice!
— Comme moi? ironisa Vanessa.
— Vous ne l'avez jamais été. Et si je pensais avoir une chance...
Elle l'interrompit en lui serrant amicalement la main.
— N'y pensez plus.
— Vous en êtes sûre?
— Tout à fait.
Tel un ange gardien, son habilleuse intervint :
— Allons ! Que tout le monde sorte. Mademoiselle Herbert doit se
préparer pour la réception.
Il y eut quelques protestations, mais en quelques minutes la foule disparut
comme par miracle. La jeune femme aida Vanessa à ôter son costume de
scène et quitta ensuite la loge.
— Une fois seule, la jeune actrice se démaquilla, la tête bourdonnante.
Elle se sentait soudainement épuisée comme vidée de toute l'énergie qui
la soutenait depuis six semaines.
De nouveau, le visage de Max s'imposa à son esprit. Avait-il apprécié la
pièce, et surtout l’avait-il appréciée, elle?
S'arrachant à sa rêverie, elle se dirigea vers sa garde-robe et enfila sa robe
du soir, une merveille de soie noire qui épousait très précisément ses
formes. C'était une folie qui dépassait largement ses moyens, cependant
elle semblait faite pour elle. Il lui avait été impossible d'y résister.
Avant de quitter la loge, elle regarda d'un œil critique l'image que lui
renvoyait le miroir. La ravissante créature qui lui faisait face la rassura :
elle pouvait affronter sans crainte la foule des invités.
Quelques instants plus tard, Vanessa sortait du théâtre. Bien que la rue
obscure et déserte ne fût pas très engageante, elle se mit bravement en
route. La station de taxis n'était pas éloignée, elle y serait en quelques
minutes.
— Une haute silhouette émergea brusquement de l'ombre. Pendant
une seconde, l'affolement paralysa la jeune femme.
— Bonsoir, Vanessa.
— La voix grave et familière la bouleversa au plus profond d'elle-même.
— Bonsoir, articula-t-elle faiblement. Que faites-vous là?
— J'ai téléphoné au journal pour leur lire mon article, répondit Max
Anderson. Puis je suis revenu vous attendre.
Il y avait sans doute une réplique spirituelle à faire, cependant Vanessa
n'en trouva aucune.
— Pourquoi? se borna-t-elle à demander.
— Je voulais vous parler.
Son ton était plus glacial que jamais. Vanessa refréna l'élan qui la poussait
vers lui. Il ne fallait pas oublier que c'était cet homme qui l'avait
congédiée avec tant de mépris peu de temps auparavant!
Elle se força donc à la froideur.
— Vraiment? Je pensais que tout était dit entre nous. A moins que vous
ne me réserviez l'une de ces sentences dont vous avez le secret.
— Je constate que vous n'avez pas perdu votre langue acérée,
commenta le critique.
— Vous l'espériez?
— Je ne comptais pas sur un tel miracle, dit-il d'une voix étrange.
Venez, ma voiture est garée tout près. Je vous emmène à la réception.
La jeune femme ouvrit la bouche pour refuser et se ravisa aussitôt.
Puisqu'ils allaient au même endroit! Et puis, ce serait peut-être l'occasion
de savoir ce qu'il pensait de la pièce...
En silence, elle se laissa entraîner.
— De quoi vouliez-vous me parler? demanda-t-elle enfin quand elle fut
installée dans la voiture.
Sans répondre, il démarra. Vanessa crut d'abord qu'il n'avait pas entendu
sa question. Comme elle s'apprêtait à la répéter, Max laissa tomber :
— Daniel m'a dit que vous m'aimiez. Est-ce vrai?
Vanessa s'attendait à tout sauf à un tel préambule. Elles'imaginait qu'il
allait commenter la pièce, ou peut-être son jeu, ou encore lui rappeler les
ennuis qu'elle lui avait causés... mais pas l'interroger sur ses sentiments.
— Eh bien, reprit-il sur un ton impatient. C'est vrai?
— C'est mon affaire! rétorqua-t-elle vivement.
— Si c'est la vérité, je suis concerné au premier chef!
La jeune femme lança un coup d'œil désespéré vers savitre.
— Rassurez-vous, c'est complètement faux ! s'écria- t-elle avec force.
A la lumière des réverbères, elle le vit froncer les sourcils. Pourquoi Max
attachait-il soudain de l'importance à ce qu'elle éprouvait?
Elle s'avisa brusquement qu'ils auraient déjà dû arriver à l'hôtel, situé non
loin du théâtre.
— Où allons-nous? demanda-t-elle. On m'attend, à la réception.
— Eh bien, ils patienteront. Je vous emmène chez moi. Nous avons à
parler d'un certain nombre de choses.
— Je n'ai rien à vous dire, jeta Vanessa rageusement, sinon que je vous
déteste, Max Anderson!
— Vous me l'avez déjà précisé... Les femmes qui se répètent m'ennuient.
— Faites demi-tour tout de suite ! C'est un enlèvement !
Max eut une grimace amusée.
— Vous croyez? Vous avez raison, dans le fond...
— On va me chercher partout!
— J'ai prévenu Daniel. Il vous excusera.
— C'est à moi de décider si j'ai envie de me rendre chez vous, et
justement ce n'est pas le cas!
Un mince sourire étira les lèvres du critique.
— Je vous préviens que, si vous sautez, vous vous romprez le cou, à
cette vitesse.
— Pour ce que vous vous en souciez!
— Vous seriez surprise de savoir à quel point, affirma- t-il.
Maussade, Vanessa s'enfonça dans son siège. Pour l'instant, il n'y avait
rien à faire. Pendant le reste du trajet, elle s'interrogea sur les intentions
de son compagnon. Elle n'aimait pas beaucoup l'expression cynique qu'il
arborait. Elle courrait certainement un risque, à le suivre dans son
appartement.
— Je Refuse d'aller chez vous, dit-elle le plus fermement possible
lorsque la Maserati fut garée.
— Pourtant, vous allez descendre de la voiture et monter dans
l'ascenseur, assura Max. A moins que vous ne préfériez que j'utilise la
force. Vous y perdriez en dignité, mais peut-être cela ne vous
chagrinerait-il pas?
— La jeune femme obéit. Une fois sur le trottoir, elle évalua ses
possibilités de fuite. Sans aucun doute, elle ne ferait pas quinze mètres
avant d'être rattrapée par son bourreau. Résignée, elle lui emboîta le pas
vers l'entrée de l'immeuble.
Quelques minutes plus tard, elle pénétrait dans la salle de séjour de Max.
Rien n'avait changé et le bureau disparaissait sous un monceau de papiers.
Apparemment, la nouvelle secrétaire manquait d'ordre.
Pour une raison obscure, la vue de cet endroit familier lui fit perdre son
sang-froid. En dépit de sa résolution de rester muette, elle ne put
s'empêcher de demander :
— Où en êtes-vous, avec votre pièce? A-t-elle été prise, finalement?
— Oui.
Vanessa s'agita avec nervosité.
— Je le savais bien ! Elle est vraiment bonne, vous savez. Très
spirituelle...
— Je sais!
Max ne faisait vraiment rien pour l'aider! Plus séduisant que jamais dans
son costume de soirée, il la contemplait sans mot dire. Vanessa repoussa
de toutes ses forces le violent désir de se précipiter vers lui.
— Ainsi, vous voilà lancé dans une nouvelle carrière! reprit-elle en
hâte. Auteur dramatique pour la télévision, rien de moins! Comment
ferez-vous pour continuer vos autres occupations?
Comme Max s'était avancé vers elle, la jeune femme dissimulait son
trouble dans un flot de paroles.
— Taisez-vous, lui ordonna-t-il doucement.
— Pourquoi? protesta-t-elle d'une voix tremblante.
Il la prit dans ses bras. Elle vit avec terreur la tête brune se pencher vers
elle.
— Parce que je veux vous embrasser.
— Mais vous me haïssez ! s'insurgea Vanessa.
— Eh bien, nous sommes quittes, ainsi.
Avant qu'elle n'ait eu le temps de protester davantage, les lèvres de Max
effleurèrent les siennes... Quand il la lâcha, elle vacilla.
— Maintenant, écoutez-moi bien, ma chérie. Tout ce que je désire pour
l'heure, c'est vous entraîner dans ma chambre, et faire l'amour avec vous.
Mais auparavant, je vous dois quelques explications.
— A quel propos? s'enquit Vanessa encore tout étourdie.
Eperdue, elle se demandait pourquoi il la regardait si tendrement, comme
s'il la voyait pour la première fois...
— Je vous aime, déclara-t-il tendrement.
Stupéfaite, Vanessa fixait son compagnon sans mot dire.
Ce n'était pas possible, elle avait dû rêver. Ce n'était pas Max Anderson, le
critique acerbe, qui venait de prononcer ces mots...
— C'est ce que vous appelez une explication? souffla- t-elle.
— Bien plus, une excuse. J'ai été injuste, Vanessa. Vous exerciez un
ascendant irrésistible sur moi et, pourtant, vous représentiez tout ce que
je méprisais, du moins je le croyais. Je me débattais comme un beau diable
dans ces contradictions car je craignais par-dessus tout de revivre le
même calvaire une seconde fois.
Vanessa se souvint de la fiancée de Max, dont Daniel lui avait parlé.
— Pourquoi avez-vous changé d'avis? s'étonna-t-elle.
— C'est vous qui m'avez changé. Vous étiez différente des autres
femmes. Vous n'étiez pas à mes pieds. Vous me faisiez clairement savoir
que vous n'en arriveriez jamais à cette issue. C'était le monde à l'envers!
conclut-il avec un sourire ironique.
— Je me suis aperçue que vous doutiez de vous-même, appuya la jeune
femme, mi-figue, mi-raisin.
Max la serra contre lui.
— J'admets que cela n'a pas dû être facile, pour vous. Malgré l'image
que j'avais de vous, je vous désirais, plus qu'aucune autre. C'est pourquoi
je vous ai laissée partir. J'imaginais qu'une rupture brutale me guérirait.
Vanessa leva vers lui ses grands yeux verts.
— Ainsi, vous m'aimiez? Et dire que je vous ai quitté parce que j'étais
persuadée que vous ne réviseriez jamais votre opinion à mon sujet.
Le regard perdu, le critique répliqua :
— Je ne cessais de penser à vous. Quand j'ai su que vous teniez le rôle
principal dans cette pièce, j'ai commencé par bénir le ciel qui vous
éloignait de moi. Pour moi, vous étiez une petite allumeuse, qui se servait
de Daniel à des fins carriéristes. Mais, j'avais beau faire, votre image ne me
quittait pas. Après cette fameuse soirée chez Lydia, j'étais comme fou !
Vingt fois j'ai failli vous appeler et vingt fois j'ai lutté contre mon élan. Je
ne savais pas comment vous me recevriez.
— Vous ne le saviez pas! s'exclama Vanessa, incrédule.
— Pour en finir, c'est Daniel qui m'a révélé la vérité. Il m'a assuré de
votre honnêteté, de votre pudeur, de votre... vertu, si je puis dire. Tout ce
dont j'aurais dû m'aviser moi-même, si je n'avais pas été aveuglé par un
premier échec.
— Vous l'auriez su, si vous n'étiez pas parti, le soir où Daniel nous a
interrompus par son coup de téléphone, murmura la jeune femme.
Son compagnon se troubla à ce souvenir.
— J'avais tellement envie de vous, ce soir-là. Il m'a fallu fournir un
effort surhumain pour vous quitter.
— J'en ai une vague idée. J'étais moi-même dans un triste état.
Max l'embrassa de nouveau.
— Je vous ferai oublier cette nuit-là, et toutes les fois où je vous ai
blessée.
Posant avec abandon sa tête sur l'épaule de son compagnon, Vanessa
suggéra, malicieuse :
— Vous pourriez commencer maintenant en me donnant un aperçu de
votre article? Alors, qu'a pensé le grand critique Max Anderson?
Une étincelle jaillit dans les prunelles de Max.
— Que tu étais éblouissante, et qu'il ne pouvait détacher les yeux de
toi, dit-il d'une voix rauque. Il a admis sans réserve qu'il t'avait mal jugée
au début.
Mutine, Vanessa lui sourit.
— C'est vraiment gentil de sa part. Je ne sais comment le remercier.
— Je crois que je connais un moyen, chuchota Max.
— Et, l'enlevant dans ses bras, il la porta dans sa chambre.