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À

PROPOS DES DUELS

D
ans mes Chroniques, je peux maîtres du sabre, et les tua tous. bataille. Piqué au vif, si l’on peut dire
vous assurer que rien n’est Curieusement, c’était à l’époque de pour un maître de l’épée et du sabre, il
futile. À la fois pour vous notre d’Artagnan (1611 morts en 1673, défia treize maîtres d’armes qui
aider à aller plus profond dans votre à Maastricht). Sous Louis XIV, les avaient eu l’imprudence d’ironiser. Et,
art martial, et pour vous aider à duels étaient monnaie courante. De devant l’armée d’Italie, il les tua tous,
utiliser votre art martial pour aller plus vrais duels, jusqu’à la mort. Avec une les uns après les autres, au cours de la
profond dans la vie. Du moins, je m’y rapière dans la main droite (une épée même matinée … puis participa à la
efforce. Et j’espère toujours qu’il ne fine d’estoc qui coupait également bataille, où il tua neuf ennemis au
vous sera pas nécessaire d’assembler comme un sabre ; j’en ai dans ma sabre, avant d’être abattu d’une balle.
votre puzzle en entier pour compren- collection d’armes), et un long poi- Ce qui fait que l’on ignore son nom et
dre clairement ce qu’est ce fameux gnard dans la main gauche (on sa technique. Mais l’exploit fut
« dō » si mystérieux. l’appelait d’ailleurs « main gauche »). tellement impressionnant que de
Ainsi, dans une précédente Chroni- Duels où il y avait aussi des coups nombreux soldats présents le rappor-
que, j’ai parlé de l’erreur, grave et (tête, coude, pied), des projections tèrent, et qu’un des spectateurs des-
commune, de penser le « passé » avec (surtout des balayages et des sina l’événement, les corps alignés et
crochetages de jambes), et des le dernier traversé. C’est grâce à cette
une mentalité de « maintenant ». Et,
par là, de s’attacher à approfondir luxations. peinture (page 257 du livre « Duels »
l’inutile en oubliant l’essentiel. On ne peut s’empêcher que penser : de Martin  Monestier, Edition Sand)
À nouveau, je précise, parce que cela « Quel   maître   d’armes   devait   être que l’on connaît l’événement. Sans
me paraît important, que je m’appuis Mūsashi ! ». Et quel combat intéres- aucun doute, il y avait, dans la
sur le « karaté » dans mes Chroni- sant aurait été un duel entre Mūsa­ conception de l’escrime martiale de ce
ques, mais n’oubliez jamais que c’est maître d’armes, la différence entre
shi et d’Artagnan ! escrime-sport et escrime avec esprit
par facilité que j’utilise le mot
Maître bretteur, Miyamōtō Mūsashi martial. Car, dit-on, il n’utilisa aucune
« karaté » pour toutes les techniques le fut incontestablement, et il fut aussi
et tous les styles de l’Art de la Main, botte secrète du genre du « coup de
un grand stratège ; mais en tant que
qu’ils soient du Japon, d’Okinawa, de Jarnac ».
maître instructeur, il n’eut que deux
Corée, de Chine, d’Indonésie, ou disciples … qui moururent avant lui,
d’Occident. Et n’oubliez pas non plus sans transmettre. Le coup de Jarnac
que, sous le nom karaté, je sous- Ce qui fait que l’on sait plus ou moins À propos du « coup de Jarnac », sau-
entends également tous les autres quelle fut sa vie, que l’on sait quel tons allégrement et volontairement
arts martiaux pour ce qui constitue le
était le style « en croix » inventé par trois siècles. Remontons à l’époque
« tronc   commun ». Certains prati- du roi Henri II, celui qui, en 1559, reçut
Mūsashi (il combattait avec le sabre
quants de aïkidō, jūdō, et même en tournoi une pointe de lance dans
long dans la main droite et le sabre
kendō, qui m’écrivent l’ont bien court dans la main gauche, ce qui ne l’œil, et qui en mourut. C’est à cette
compris. se faisait jamais … et que personne ne époque qu’au Japon, Ōda Nōbūna­
Pour sortir de notre « mentalité   de put faire efficacement par la suite), ga (celui du film « shōgūn ») gagna sa
maintenant » et comprendre le cou- mais on ignore tout de ses techni- première bataille en utilisant des
rage de nos ancêtres, qui « en ques. armes à feu portugaises, révolution-
Une grande perte, comme il y en eut nant l’esprit samouraï. Ce fut aussi le
avaient » d’autrement plus solides
dans de nombreux arts martiaux et premier général japonais à utiliser des
que les nôtres, je vais vous parler d’un styles personnels exceptionnels. Lisez boucliers. C’est ce général qui unifia le
passé relativement proche.
« Le livre des cinq roues » (Gōrin­ Japon et permit aux divers shōgūn de
Bien sûr, il sera question de « duels »,
nō­shō) de Mūsashi , une seule page contrôler la totalité du Japon jus-
donc pas tout à fait d’arts martiaux,
de conseils délayés en des multitudes qu’aux environs de 1900. les shō­
mais quand même, cela vaut la peine
d’être raconté. Comme dit plus haut, d’ouvrages qui sont le livre de chevet gūn étaient des généraux-dictateurs
retenez l’essentiel, et non pas seule- de bien des būdōka. qui prenaient le pouvoir ; les empe-
ment l’anecdote. Eh bien, nous eûmes l’équivalent de reurs n’étant plus qu’un symbole sans
Mūsashi en Europe. Et relativement aucune autorité politique ni militaire.
Musashi contre récemment. Voici l’histoire rigoureu- Un shōgūn était donc l’équivalent de
sement authentique. nos « maires du palais » qui prirent
d’Artagnan En Italie, en 1813, un maître d’armes
Vous avez entendu parler, avec la place de nos rois (dit « fainéants »).
de l’armée fut critiqué pour son style
admiration, du célèbre Mūsashi qui, Mais les shōgūn maintinrent leur
non orthodoxe. On se préparait à une
dans sa vie, défia une vingtaine de position du XVIIème au XIXème siècle (ce
sont les Occidentaux qui leur fait la description dans la revue Bu­ fureur.
cassèrent la baraque et favorisèrent la shido, peu avant sa fusion avec Ka­ Pourtant, il y en eut plusieurs qui
restauration impériale). devinrent célèbres pour leurs exploits
Le 10 juillet 1547, le seigneur de Jarnac rate), mais les deux armes « nobles » à l’épée contre des hommes. Parfois
ne coupa pas par traîtrise – comme on (car les samouraïs n’étaient pas de la même, seule contre trois.
le croit communément – le tendon noblesse) étaient le sabre et l’arc. Comme madame de Saint-Balmond,
d’Achille de son adversaire, le Alors qu’en Europe, c’était l’inverse. sous Louis XIII, qui, attaquée en
seigneur de la Châtaigneraie, mais L’arc, ainsi qu’une variété infinie de chemin par trois brigands armés
hallebardes, n’étaient utilisés que par d’épées, en tua un et mena les autres
d’un revers de « main gauche », il lui
les non-nobles, parce qu’ils étaient en prison. Pas de pot pour ces
coupa les tendons de l’arrière du
habiles au bâton. Mais la noblesse de- brigands machos.
genou. Un coup parfaitement loyal,
vait probablement s’y exercer, puis- Il y eut aussi La Maupin, qui tua en
bien que le « coup  de  Jarnac » soit qu’il y eut des combats entre nobles duel pas mal d’adversaires, et qui,
passé dans la postérité comme un au bâton. La preuve en est que de s’étant habillée en homme, essaya, un
coup déloyal. De la Châtaigneraie Jarnac l’avait proposé entre autres soir de fête, de séduire trois jeunes
tomba bien entendu au sol. Il deman- armes. femmes. Défiée par les trois
da d’être achevé, ce que refusa de
soupirants … elle sortit du bal et les
Jarnac. La blessure n’était pas du tout
mortelle. De la Châtaigneraie fut soi-
Les femmes aussi tua les uns après les autres, à l’épée
Les femmes ne se laissaient pas faire, (Théophile Gauthier prit cette
gné et bandé, mais il refusa de se
et toutes ne passaient pas leur temps homosexuelle peu ordinaire comme
confesser, arracha le bandage et ne
à broder, parler chiffons, et faire crac- modèle pour son roman « Made­
voulut plus recevoir de soins. Il mou-
crac. Parfois, elles provoquaient en
rut 3 jours plus tard, vidé de son sang. moiselle de Maupin »).
duel une autre femme, ou même un
On avait l’esprit martial en ce temps-là Il y eut aussi de nombreux duels
homme.
… Un vrai samouraï, ce de La féminins au pistolet, car depuis Henri
Si, pour offense, une femme défiait un
Châtaigneraie ! IV, les pistolets (à un coup et à rouet)
homme, on pouvait creuser dans le
Pour les amoureux des kō­būdō et commençaient à être performants.
champ clos un trou d’environ un
autres armes, précisons que de Jarnac mètre de profondeur, l’homme s’y
avait défié de la Châtaigneraie (pour tenait armé d’un bâton, et la femme La chevalière d’Éon tua
une parole déplacée à propos d’une pouvait évoluer autour de lui, armée 17 hommes en duel
intrigue amoureuse … le cul tua d’une épée ou d’une autre arme. Pour revenir à l’épée, où il faut une
beaucoup en duels) en lui proposant Souvent, cette arme était une pierre autre forme de courage qu’au pisto-
de « se   présenter   au   champ   clos de cinq livres attachée à une lanière let, la femme la plus célèbre et la plus
avec   le   choix   entre   plus   de   30 en cuir. efficace fut la « Chevalière   d’Éon ».
sortes   d’armes,   pour   combattre Pour se défendre et contre-attaquer, Dans sa vie, elle tua 17 hommes en
l’homme disposait d’un bâton de la duels, et parfois, se contenta de les
aussi bien à pied qu’à cheval ».
longueur du cuir, et s’il manquait trois humilier en les touchant sérieuse-
Normalement, en tant qu’offensé, de
fois de parer la pierre, ou touchait le ment, mais pas mortellement (je me
Jarnac avait le choix des armes, mais,
sol de son bâton, il était déclaré battu. demande bien où ?). Ainsi, en 1787, à
en grand seigneur, il laissa ce choix à
Certains hommes y laissèrent leur vie. Londres, habillée en femme, elle
son adversaire. C’est de la
Châtaigneraie qui, ayant déjà tué bon Bien fait ! (« un bienfait n’est jamais toucha 7 fois grièvement le Chevalier
nombre d’autres « offenseurs » à perdu »). de Saint George, réputé être la plus
Il y eut des femmes « fines lames », fine lame d’Europe (et qui avait déjà
l’épée, choisit cette arme.
mais elles n’étaient pas prises au tué plus de 20 hommes en duel).
Comme vous le voyez, dans le
Notez qu’à l’époque, on ne s’avouait
« passé », non seulement on avait sérieux par les véritables « hommes
pas vaincu au « premier sang » ; être
l’esprit martial (nous aussi), mais on d’épée ». À tel point que, lorsque des
blessé sérieusement 7 fois et
était également expert dans un vaste édits interdirent les duels à l’épée continuer à combattre, il faut le faire.
éventail d’armes de guerre. Que les (notamment, et vainement, sous
seigneurs des années 1500 soient ex- « Nouvelle   Jeanne   d’Arc » (selon
Louis XIII, car bien des hommes
perts en plus de trente armes … à préfèrent laver leur honneur en duel, Beaumarchais), belle, imberbe et avec
pied et à cheval, c’est étonnant, non ? quitte à être exécutés après pour de magnifiques seins, la Chevalière,
Ça ne vous rappelle pas les samou- avoir désobéi au Roi), on considéra qui servit Louis XV puis Louis XVI,
raïs ? que l’interdiction ne s’appliquait comme diplomate ou espionne (nota-
qu’aux hommes. mment à la Cour de Catherine de
Russie … qui la courtisa), continua à
Les kakuto bugei Les femmes montraient en duels,
se battre en duel jusqu’à l’âge de 82
Mais il y avait une différence. Au surtout entre femmes, un esprit du
ans. C’est à la suite d’une blessure en
Japon, un samouraï devait obliga- « tout ou rien ». Plusieurs fois, après
duel qu’elle mourut, à cet âge, en août
toirement connaître environ une ving- un affrontement à l’épée, blessées, 1796 (elle avait survécu à la Révolution
taine de « kakūtō   būgeï » (tech- elles en vinrent aux mains, se mordant en émigrant à Londres, où elle vivait
niques martiales de guerre, j’en avais à la gorge ou se crevant les yeux avec
en y enseignant l’escrime). Que le moyen de voir si nos attaques sont
Mouvement de Libération de la efficaces.
Femme ne prenne pas la Chevalière
d’Éon en exemple. Ce fut un cas. À la La pensée du mois
mort de la Chevalière d’Éon, le « Celui qui dissimule sa faiblesse est
chirurgien Copeland, chargé de l’auto- comme un voleur entrant chez autrui
psie du corps, fit un bond en arrière et par effraction. »
s’écria : « Mais c’est un homme ! ». Confucius
Une femme a deux chromosomes XX,
un homme deux chromosomes XY.
Mais, il y a des hommes-femmes XYX
et des femmes-hommes XXY (1/1000,
c’est beaucoup quand même). Tous
deux sont stériles, mais bénéficient de
la supériorité du sexe opposé (une
chanteuse française célèbre est XXY).
C’est pourquoi, aux derniers jeux
olympiques, on ne se contenta pas de
contrôler de visu le sexe des femmes
(comme on contrôle celui des papes –
« il les a bien pendantes » – depuis
le scandale de la papesse Jeanne), on
contrôle maintenant le sexe généti-
quement, car on peut avoir tout d’une
femme, et être en fait un homme …
et vice versa, encore que, souvent, les
hommes-femmes ont des seins, sont
imberbes, ,mais les ont « bene   pen­
dante ». Ce fut probablement le cas
du Chevalier-Chevalière d’Éon.

Le conseil du mois :
Il sera bref, mais capital : n’aban-
donnez jamais, même dans les
kūmite d’entraînements.
N’acceptez jamais d’être le premier à
vous relever lorsqu’en kihōn, le pro-
fesseur vous laisse en kiba­dachi
ou kō­kūtsū pendant une explica-
tion. Prenez-le comme une question
d’honneur : si d’autres tiennent le
coup, pourquoi pas vous.
Ne soyez jamais le premier à saluer en
signe d’abandon.
Au Japon, si un junior le fait, il y a
toujours un senior qui lui saute dessus
pour lui donner la raclée de sa vie. J’ai
même vu un senior étrangler un junior
qui avait flanché ; il l’a réanimé … puis
étranglé, puis réanimé. J’en ai vu un
autre qui, après une raclée terrible,
prit la tête du junior à deux mains et
lui croqua l’oreille jusqu’au sang (je
crois même qu’il lui en avait croqué un
petit bout, car il cracha).
Cela forge le mental … ou débarrasse
le dōjō des fainéants m’a-t-on dit.
Impensable chez nous ? Pourtant, une
bonne raclée motivée, c’est un bon

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