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L’ÉVOLUTION DU DROIT À LA SANTÉ EN FRANCE

En France, le droit à la santé est l’objet de nombreuses évolutions, quelle que soit l’échelle de
temps retenue. Sur un plan notionnel, il a fallu attendre la Constitution de la IVe République
pour que ce droit soit solennellement reconnu, alors que son existence était débattue depuis la
fin du XVIIIe siècle. Restait à définir l’objet de ce droit – la santé - ; à cet égard, le XXe
siècle marque une large extension de la notion de santé, ce qui ne manque pas de susciter des
mutations du droit à la santé. Sur un plan pratique, l’obligation incombant à l’Etat du fait de la
proclamation du droit à la santé se traduit par la mise en place de nombreux outils juridiques :
il s’agit de rendre matériellement et financièrement accessible la santé à tout individu. Les
récentes évolutions en la matière montrent un Etat qui doit composer avec des contraintes
juridiques, pratiques et budgétaires, tout en préservant la substance d’un droit effectif à la
santé, cher à la société française.

Dès lors qu’on en admet l’existence, la question du droit à la santé appelle apparemment une
réponse bien plus pratique que théorique ; il s’agit alors de décrire les outils juridiques propres
à en assurer l’effectivité. Toutefois, ce serait négliger a minima deux niveaux de complexité.
D’une part, comme le suggère l’intitulé du sujet, le droit à la santé ne peut s’envisager que
dans un contexte temporel et spatial donné, si bien qu’il n’est pas possible d’en donner une
définition unique ni même d’en aborder l’étude sans mentionner les divers facteurs exogènes
d’influence. D’autre part, il importe de souligner la multiplicité et l’interdépendance des
problématiques soulevées par le sujet. Par exemple, la notion même de santé nous semble
devoir être définie dans le corps de l’exposé et non dès l’introduction, tant l’évolution du droit
à la santé est dépendante de celle de la définition de la santé.

Par conséquent, la réponse proposée s’efforcera d’articuler ces considérations initiales en


tentant de dégager les tendances lourdes en la matière. A ce titre, un premier arrêt semble
devoir être marqué sur l’évolution qui a conduit à une reconnaissance toujours plus grande du
droit à la santé (I), avant d’aborder les mécanismes juridiques au service d’une meilleure
effectivité de ce droit (II).
I – EVOLUTION VERS UNE MEILLEURE RECONNAISSANCE DU DROIT À LA
SANTÉ

Le concept de droit à la santé ne va pas de soi. En effet, si l’on ne peut nier tout intérêt de
l’Etat en matière de santé afin de prévenir et de résoudre les crises sanitaires de grande
ampleur, l’idée d’une prise en charge étatique de la santé individuelle est moins évidente. Du
reste, en matière de santé publique et collective, la logique consiste davantage en un devoir de
santé imposé aux individus afin de protéger la vie des autres, qu’en un droit à la santé. Ainsi,
la consécration d’un véritable « droit créance » avec l’avènement de l’Etat Providence (A) est
le fruit d’une longue évolution des idées. Toutefois, la reconnaissance croissante du droit à la
santé en France est également liée à la mutation de l’objet de ce droit : comment définir le
domaine de la reconnaissance du droit à la santé sans préciser les contours de la notion de
santé (B) ?

A. Reconnaissance accrue par la consécration juridique du droit à la santé

De l’émergence de l’idée de dette sociale en matière d’assistance


Le pouvoir politique n’a jamais été indifférent aux questions de santé. Dès l’Antiquité, il
existait des formes embryonnaires d’organisation de l’assistance, dont la protection de la santé
n’est qu’une composante. Avec la chute de l’Empire romain en 476, l’Eglise chrétienne prend
le relais car seule institution solide jusqu’à l’avènement de l’Etat au XVIe siècle au cours
duquel apparaissent les premières mesures de reprise en main, par le pouvoir politique, de
l’administration de l’assistance, toutefois limitées au contrôle de ce qui existe déjà. Au XVIIIe
siècle, des besoins sociaux nouveaux apparaissent alors que l’assistance traditionnelle se
révèle incapable de progresser, si bien que l’opinion éclairée et laïcisée commence à repenser
la notion d’assistance. L’idée que l’Etat détient une dette sociale en la matière apparaît, même
si l’état désastreux des finances publiques ne permettra que des applications timides. Le XIXe
siècle sera, quant à lui, celui de l’immobilisme social, guidé par le libéralisme économique et
hostile à l’intervention de l’Etat d’une manière générale. La totalité de la prise en charge de
l’assistance dépend alors de la charité privée, ainsi que des collectivités territoriales.

A la consécration solennelle du droit à la santé


Si la loi du 15 juillet 1893 avait d’ores et déjà mis en place un système d’ « assistance
médicale et gratuite », la proclamation, à hauteur de principe, d’un droit à la santé, général et
systématique, n’a lieu qu’en 1946, avec la Constitution du 27 octobre, dans un contexte
mondial de reconnaissance des droits économiques et sociaux. L’alinéa 11 du Préambule
dispose en effet que « la Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux
travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Le
Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 y renvoie explicitement. Le droit à la
protection de la santé a ainsi valeur constitutionnelle. Par la suite, le Conseil constitutionnel
précisera qu’il s’agit d’un principe particulièrement nécessaire à notre temps puis
d’un objectif constitutionnel. En 1946 également, la Conférence internationale de la Santé
adopte la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont le Préambule
dispose que « la possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue
l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses
opinions politiques, sa condition économique ou sociale ». Au-delà de la valeur internationale
que ce texte confère au droit à la santé, il illustre, par ailleurs, l’évolution de la définition de la
santé.

B. Reconnaissance accrue par la mutation permanente de la notion de santé


La santé, une notion par nature évolutive
Beaucoup de textes juridiques s’intéressent au droit à la santé, peu en définissent l’objet.
Ainsi, seule la Constitution de l’OMS tente d’apporter une définition à la santé : « un état de
complet bien-être physique, mental et social ». Le bien-être physique renvoie à l’acception
classique : l’absence de maladie et d’infirmité. Quant au bien-être mental, il traduit une autre
dimension de la notion de santé, laquelle commence à être prise en compte par le droit (débat
sur la prise en charge de la dépression et celle de la santé mentale au travail). Enfin, l’idée de
« bien-être social » modifie l’approche traditionnelle de la santé : ce n’est pas qu’un état
négatif ; c’est aussi l’état positif de l’individu qui a des conditions de travail sûres et saines,
un logement décent, une alimentation nutritive.

L’autonomie de l’individu dans la prise en charge de sa santé


Traditionnellement, il existe un fort paternalisme en matière de santé : l’Etat définit un certain
nombre d’actes de prévention et de soins obligatoires (vaccinations, port de la ceinture et du
casque) ; le médecin s’empare de la situation du patient pour tenter de le mener à l’état qu’il
juge le meilleur. La montée de l’individualisme et des droits fondamentaux a pourtant eu une
incidence en matière de santé : désormais, chacun est en mesure de définir beaucoup plus
librement son état de santé. De nombreuses illustrations pour s’en convaincre : obligation
d’information du médecin à l’égard de son patient, consentement du patient à tout acte
médical, euthanasie, automédication.

II – EVOLUTION VERS UNE MEILLEURE EFFECTIVITÉ DU DROIT À LA


SANTÉ

Le droit à la santé constitue un droit créance : il ne se contente pas de postuler l’existence du


droit, mais implique aussi une intervention positive du pouvoir politique, à peine de n’être
qu’une déclaration de principe. Il n’est plus question de l’évolution notionnelle du droit à la
santé, mais bien du contenu que l’Etat a jugé bon de lui donner afin de le rendre effectif. A cet
égard, l’effectivité du droit à la santé dépend tout entier de l’accessibilité du système de santé,
laquelle se décline sur deux tableaux : accessibilité matérielle (A) et accessibilité financière
(B).

A. Accessibilité matérielle

Par l’offre de soin


Avoir droit à la santé, c’est avant tout avoir un accès garanti au service de santé (médecin,
établissement de santé, médicaments). De nombreux problèmes concrets suscitent
l’intervention de l’Etat : ajustement du numerus clausus à l’évolution démographique (créé en
1971), conciliation de la liberté d’installation des médecins libéraux et des mesures propres à
assurer une répartition homogène sur le territoire, réforme hospitalière, aide médicale urgente,
limitation du libre choix par le patient de son médecin, égalité et absence de discrimination
face aux soins, santé en prison, automédication, achat de médicaments sur Internet.
Actuellement, les contraintes budgétaires, la montée des droits fondamentaux et l’évolution
démographique commandent à l’Etat de remodeler le système de santé selon deux axes :
garantir l’accessibilité à ceux qui en étaient privés, la rationaliser pour les autres (ajustement
quantité/qualité).

Par la prévention
Le déplacement du centre de gravité entre curatif et préventif constitue une autre tendance
importante en matière de droit à la santé. Beaucoup de mesures gouvernementales peuvent
être vues comme servant l’objectif de prévention des troubles de santé (l’hygiène, le temps de
travail, la sécurité). Plus spécifiquement, la protection de la santé par la prévention passe par
la multiplication des campagnes gouvernementales de sensibilisation à certains risques (le
tabac, pour un exemple récent), par les dépistages gratuits à certaines maladies de masse (le
cancer du col de l’utérus, le cancer du sein, les maladies sexuellement transmissibles), par la
vaccination obligatoire ou facultative (grippe H1N1). L’influence du principe constitutionnel
de précaution en matière de droit à la santé n’est pas encore manifeste, mais pourrait le
devenir dans certains domaines (OGM, antennes relais).

B. Accessibilité financière

Réduire le coût de la santé


Au-delà de la mise en place de moyens pratiques propres à assurer la santé des individus, se
pose une question de coût : chacun doit pouvoir subvenir à ses besoins de santé. En France,
cela consiste d’abord, pour l’Etat, à réduire le coût de la santé. A cette fin, deux voies ont été
prises. D’une part, il s’agit de contrôler le prix des prestations de santé : fixation du prix de la
consultation chez le généraliste, fixation du prix des médicaments, autorisation des
médicaments génériques. D’autre part, l’Etat s’applique désormais à éviter au patient de
multiplier les consultations pour les opérations courantes de santé : possibilité pour les sages-
femmes et infirmières de prescrire certains dispositifs médicaux, possibilité pour les opticiens
d’adapter la prescription de l’ophtalmologue dans le cadre d’un renouvellement de verres
correcteurs.

Améliorer la prise en charge du coût de la santé par la collectivité


La réduction des coûts de santé n’est pas suffisante pour assurer une accessibilité financière
optimale de la santé ; la solidarité nationale impose à la collectivité de prendre en charge ce
coût, autant que faire se peut. L’histoire de la Sécurité sociale en France débute en 1830, avec
des systèmes de mutualisation des risques fondés sur le volontariat, se poursuit avec la
multiplication d’assurances obligatoires au début du XXe siècle, trouve son dénouement en
1945-1946 avec la création de la Sécurité sociale dont le triple objectif était l’unité de la
sécurité sociale, la généralisation quant aux personnes et l’extension des risques couverts.
Désormais, l’institution a pour rôle de prendre en charge financièrement les coûts de santé des
individus, lesquels peuvent trouver leur cause dans le système de santé lui-même (question de
la prise en charge des accidents médicaux et des infections nosocomiales, avec une répartition
de la responsabilité entre la collectivité et les professionnels de santé). Depuis 1945, la
tendance est à l’approfondissement de la prise en charge, l’institution de la CMU en 1999 en
est le meilleur exemple. Actuellement, les difficultés budgétaires appellent une rationalisation
des dépenses de santé et une multiplication des recettes ; plusieurs réformes sont prises dans
ce sens : déremboursements (ticket modérateur, forfait hospitalier, participation forfaitaire,
franchise), mise en place d’autres recettes (en plus des cotisations sur la masse salariale, il y a
désormais des taxes fiscales, la CSG et la CRDS assises sur le revenu).

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