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SUMMARY. — Hobbes had never heard of Galileo's works till 1634, but he was acquainted with F. Bacon's scientific circle, as a
secretary to the (very likely ex-) Chancellor. Directly or not, he probably learnt the so-called principle of inertia, or, more vaguely,
a law of conservation of the state of uniform motion, which was the key to modern mechanics, from I. Beeckman, Bacon's Dutch
correspondent. Beeckman' s ideas and researches were certainly not kept secret in Northern countries.
Résumé
RÉSUMÉ. — Hobbes n'avait jamais entendu parler des travaux de Galilée avant 1634, mais il était en relations avec le cercle
scientifique de F. Bacon, en tant que secrétaire du (vraisemblablement ex-) chancelier. Directement ou non, il est probable que
ce que l'on appelle le principe d'inertie, ou plus vaguement la loi de conservation de l'état de mouvement uniforme, lui fut
enseigné par I. Beeckman, le correspondant hollandais de Bacon. Les idées et recherches de Beeckman n'étaient certainement
pas gardées secrètes dans les pays nordiques.
Bernhardt Jean. Le rôle des conceptions d'Isaac Beeckman dans la formation de Thomas Hobbes et dans l'élaboration de son
Short Tract. In: Revue d'histoire des sciences, tome 40, n°2, 1987. pp. 203-215;
doi : https://doi.org/10.3406/rhs.1987.4047
https://www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105_1987_num_40_2_4047
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SUMMARY. — Hobbes had never heard of Galileo's works till 1634, but he was
acquainted with F. Bacon's scientific circle, as a secretary to the (very likely ex-)
Chancellor. Directly or not, he probably learnt the so-called principle of inertia, or, more
vaguely, a law of conservation of the state of uniform motion, which was the key to
modern mechanics, from I. Beeckman, Bacon's Dutch correspondent. Beeckman' s
ideas and researches were certainly not kept secret in Northern countries.
(1) Extrait d'un travail à paraître sous le titre : La naissance de Thomas Hobbes à la
pensée moderne, Le Short Tract on First Principles de 1630-1631, édition critique avec
traduction française et commentaire.
(2) Sur les relations mal connues, mais certaines, de Hobbes avec Bacon, cf. mon
étude : Sur le passage de F. Bacon à Th. Hobbes, Etudes philosophiques, n° 4 (1985),
449-457, notamment 451.
(3) Sur le « triumvirat » Hobbes-Harvey-Selden, cf. G. Keynes, Life of William
Harvey (Oxford, 1966), 387-388.
Reo. Hist. Set, 1987, XL/2
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rite vers les dernières années de Bacon (4), ait retenu l'attention de
Hobbes dès avant l'illustre ouvrage de 1628 sur le mouvement du
cœur et la circulation sanguine. Toutefois, on doutera qu'en dépit
d'aspects mécanistes, d'ailleurs nullement surprenants chez un
homme de formation aristotélicienne (5), les idées du médecin aient
exercé une influence particulière sur le philosophe, lui aussi formé,
en gros, à la même école, mais moins « empirique » et plus théoricien.
Harvey n'hésite pas à faire appel à telle ou telle force de nature
inconnue, comme la vis pulsifica du cœur, définie uniquement par
son effet ; il admet de même « âmes » et « facultés » agissant dans la
génération (6). Il se guide en quelque mesure sur un très vieux mythe
remis en honneur à la Renaissance, en faisant du cœur « le Soleil du
microcosme » (7). Sans doute un rapprochement vient-il à l'esprit :
vers 1639, Hobbes concevra pour sa théorie de la lumière le modèle
d'une pulsation rayonnante dont l'analogie cœur-soleil, encore
implicite dans les Elements of Law, deviendra transparente sous les
termes techniques de la médecine grecque que sont systole et
diastole (8). Mais précisément, l'analogie était trop connue (9) pour que
Hobbes eût dû l'apprendre de Harvey et surtout, dans son schéma
optique, Hobbes aura besoin de faire de la diastole le temps actif
d'un processus de dilatation, conformément à la tradition médicale
que renverse Harvey ; la théorie de celui-ci ne rencontra de son côté
que peu d'approbation au xvne siècle. On peut admettre que le
moment venu, c'est-à-dire quelques années après son secrétariat
auprès de Bacon, Hobbes ait médité sur les aspects cinétiques de la
théorie circulatoire et même qu'il ait commencé à prendre goût, dès
l'époque du secrétariat, aux recherches médicales et à la fréquenta-
tion des médecins. Il n'en reste pas moins entre les deux hommes un
vif contraste, qui se dégage bien, lorsqu'on lit, en pensant au
philosophe, ce que dit M. Jacques Roger du médecin, dans son grand
ouvrage sur Les sciences de la vie : « II connaît la complexité des faits,
et il n'est pas tenté de la simplifier abusivement, fût-ce pour y
introduire, de force, la clarté » (10). Hobbes reconnaîtra de plus en plus « la
complexité des faits », mais ce sera pour s'en défier et son mécanisme
de principe vise, en effet, à « introduire de force la clarté » (11).
En élargissant le cercle baconien jusqu'aux correspondants, il
est possible de faire des rapprochements plus intéressants et de
déceler des sources qui ont concouru à la formation des doctrines
mécanistes et qui peuvent avoir contribué à celle du mécanisme de
Hobbes. Ici encore, la prudence est de rigueur, d'abord parce que
les contemporains ne se connaissent pas toujours les uns les autres
aussi bien que l'on serait aujourd'hui tenté de le croire, ensuite parce
que, à la faveur de ces manques réciproques d'information, il n'est
pas certain que l'élan conquérant vers le mécanisme ait été incapable
de suivre une pluralité de voies distinctes et individuellement
indépendantes. Quoi qu'il en soit de tels problèmes, difficiles, de
filiation ou de développement parallèle, l'attention ne trouve pas à
s'attarder en particulier sur Galilée (qui sans être directement en
relation avec le cercle de Bacon l'était indirectement par
l'intermédiaire, lui-même à la fois direct et indirect, de Micanzio,
correspondant de Bacon et du premier comte de Devonshire, soit du premier
protecteur de Hobbes). Le nom de Galilée n'était pas inconnu de
Bacon, mais il est clair que le chancelier ne prit jamais la mesure du
savant italien, ne le citant que rarement, le critiquant de manière
hâtive et imprécise, ne comprenant même pas la lettre de certaines
de ses théories, notamment de celle des marées (12). On sait du reste
suisse qui connaissait l'un et l'autre (cf. Correspondance de Mersenne, 1, 171 et 194), sans
compter le P. Micanzio. Mais le fond de l'affaire est que Bacon et Galilée, bien que tous
deux orientés, en première approximation, vers la science moderne, n'appartenaient
pas exactement au même « univers mental ».
(13) Dans l'ouvrage d'où sont tirées ces pages (cf. ci-dessus, n. 1), où l'on montre que
Bacon, animé par l'idéal moderne de la scientia activa, continue néanmoins à penser dans
le cadre traditionnel de l'aristotélisme pour une large part. Voir l'article cité à la n. 2
ci-dessus, Etudes philosophiques, n° 4 (1985), 453-455.
(14) Cf. mon article : Légendes coperniciennes et modernité de Copernic, Revue
philosophique, n° 2 (1980), 164, n. 73. — indication d'un travail à faire pour savoir si la
méthode de Copernic a introduit des changements importants dans celle de Galilée.
(15) Cf. la première mention de Galilée par Hobbes, lettre à Newcastle, janvier 1633/
février 1634, Manuscrits Portland, vol. 2, p. 124.
(16) Sur le mécanisme de Hobbes dans le Short Tract, une vue d'ensemble au début
de mon article : Nominalisme et mécanisme chez Hobbes, lre Partie, Archives de
Philosophie, 48 : 2 (1985), 235-249.
(17) La liste Chatsworth E 2, publiée par Pacchi in Acme n° 1 (1968), 5-42, comporte,
certes, des traités de mécanique, notamment celui de Jordanus de Némore (n° 175), mais
on ne saurait trop redire que cette liste autographe reste de destination obscure, surtout
compte tenu du fait que Hobbes a très souvent fait office de secrétaire auprès de ses
protecteurs et de ses amis.
Isaac Beeckman el Thomas Hobbes 207
(18) Sur l'importance d'Isaac Beeckman, cf. Koyré, Etudes galiléennes, II (Parie,
1939), 100, n. 2. — II ne m'a pas été possible de recourir à temps à Klaas Berkel, Isaac
Beeckman, 1588-1637 en de mechanisering van het wereldbeeld (Amsterdam, 1983).
(19) Cf. R. Taton, Galilée (1564-1642), in Galilée, Aspects de sa vie et de son œuvre
(Paris, 1968), 24-25.
(20) Beeckman lecteur de Bacon : Journal, t. 179 r-v, fin juillet 1623, cf. De Waard,
Expérience barométrique (Thouars, 1936), 163-164 ; Journal, f. 187 v, juillet 1623, sur
YHistoria ventorum, cf. Corr. Mersenne, II, 477 et n. 4 (voir le texte de Bacon, ibid., I,
597) ; Journal, t. 316 r, mai-juin 1628, sur la Sylva Sylvarum, cf. Corr. Mersenne, I,
493 ; II, 294 et n. 3 et 4. — Indications biographiques sur Beeckman, Corr. Mersenne,
II, 217, notamment sur la célébrité du médecin-philosophe. Relations étroites entre
l'Angleterre et la Hollande, cf. Daumas, in Histoire de la Science sous sa direction (Paris,
1957), 69.
(21) F. 3 r, Corr. Mersenne, II, 236 et n. 3. Texte : « Coelum semel motům, semper
movetur. »
(22) F. 13 r, Corr. Mersenne, II, 236 et n. 4. Texte : « Omnis res, semel mota, nun-
quam quiescit nisi propter externum impedimentum ; quoque impedimentum est imbe-
cilius, eo diutius mota movetur » ; et en marge : « Mota semel nunquam quiescunt nisi
impediantur. ■
208 Jean Bernhardt
(23) Texte : « Lapis ex manu emissus pergit moveri non propter vim aliquam ipsi
accedentem, nec ob fugám vacui, sed quia non potest non perseverare in eo motu, quo
in ipsa manu existens movebatur », fac-similé dans De Waard, Expérience barométrique,
79 ; thèse soutenue le 6 septembre 1618 à Caen (Corr. Mersenne, II, 120). De Waard
note que « Beeckman n'hésitait pas à défendre publiquement ses idées » (Expérience
barométrique, 77; même observation dans Corr. Mersenne, II, 120-121). La rencontre
avec Descartes est du 10 novembre 1618 ; Descartes est mis au courant du principe de
conservation du mouvement (Corr. Mersenne, II, 359 et 341, 1. 150 sq.).
(24) Sur Vimpetus, cf. les études classiques d'A. Maier, notamment : Die Impetus-
lehre in der Scholastik, in Verôffentl. des Kaiser-Wilhelm- Instituts fur Kulturwissens-
chaften... (Wien, 1940). L'expression de fuga vacui se trouve dans la polémique de
J.-C. Scaliger contre Cardan, cf. De Waard, Expérience barométrique, 60. SmVantiperis-
tasis, Aristote, Physique, 4, 8, 215 a 14-15 (cf. Platon, Timée, 80 c).
(25) Corr. Mersenne, II, 457, 1. 153 sq. et 460, 1. 239 sq. ; on retrouve notamment
l'expression : « non possunt non perseverare in eo motu quo in manu, etc. », 1. 154 sq.
Isaac Beeckman et Thomas Hobbes 209
(32) « Quies non est magie naturalis quam motus », Corr. Mersenne, II, 460, 1. 240.
(33) Dès 1614, Beeckman considère la pesanteur comme une force constante dont
l'effet est un mouvement accéléré [Journal, t. 20 v, avril 1614, Corr. Mersenne, II, 122),
cela à titre de conséquence logique, appliquée au mouvement « uniformément difforme »,
du principe de conservation du mouvement uniforme (selon toute vraisemblance, cf. les
dates). L'influence des « idées de Démocrite, d'Epicure et de Lucrèce » (De Waard, ibid.,
118 ; cf. sur un autre problème, celui de la pression des fluides, ibid., 119-122) est ici de
première importance et elle ne conduit pas à l'indifférence du mouvement et du repos
et à la relativité mécanique. L'approche de Galilée est différente : s'il découvre la loi de
la chute des graves avant Beeckman, il le fait d'une façon plus technique, dans le
prolongement de la statique du plan incliné, dont il approfondit l'étude à partir de la
science médiévale. M. Clavelin a montré (Philosophie naturelle de Galilée (Paris, 1968),
176, 363-364, 377, en particulier 363, n. 83) que l'idée d'inertie ou de ce qui sera plus
tard l'inertie surgit chez Galilée comme conséquence rigoureuse d'une conception
archaïque de la pesanteur, mise en œuvre avec précision et se retournant finalement contre ses
propres prémisses. Par cette voie quasiment contraignante, Galilée évite de tenir pour
compatibles un principe de conservation du mouvement < circulaire uniforme », pour lui
vrai physiquement en rigueur, et un principe de conservation du mouvement rectiligne
uniforme, qu'il admet comme simplification géométrique, de vérité physique seulement
approximative (cf. Galilée, Discours... (Paris, 1970), trad. Clavelin, voir Г «Introduction
et les notes du traducteur », xix et 261, n. 98). Voyons maintenant comment les
deux auteurs examinent le même problème de la pierre tombant du haut d'un mât de
navire (Hobbes ne semble pas avoir lu La Cène de le Ceneri de G. Bruno). Beeckman
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(36) Journal, t. 314 r, Corr. Mersenne, II, 475 : « Cùm nihil corporeum, momento
temporis moveatur. » Cf. Basso, Corr. Mersenne, II, ibid. : si la lumière est corporelle,
son mouvement se fera in tempore.
(37) Cf. Journal, t. 44 r-v, in De Waard, Expérience barométrique, 86, n. 4 ; aussi
Corr. Mersenne, I, 312 et remarques sur Bacon, Nov. Organum, II, § 46 : Journal,
t. 179 v, juillet-août 1623, Corr. Mersenne, I, ibid.
(38) Exception d'origine baconienne : Sylva Sylvarum, IIIe Centurie, n° 269.
(39) Pesanteur chez Beeckman : Corr. Mersenne, II, 60, 122-123 ; balistique sans
pesanteur : cf. ci-dessus, n. 23 ; difficulté à composer les mouvements : ci-dessus,
n. 33.
Isaac Beeckman et Thomas Hobbes 213
(45) Dans le commentaire d'où sont extraites ces pages, à propos de Short Tract,
section II, concl. 6.
(46) Cf. l'article de Pelseneer cité plus haut, aux n. 11 et 12, ainsi que dans le recueil
Harriot, J. W. Shirley éd. (Oxford : Clarendon Press, 1983), l'article de présentation
générale d'E. Rosen : Harriot's Science, The Intellectual Background, p. 2-4.
(47) Liste citée plus haut, à la n. 17.
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Jean Bernhardt.
CNRS, LP 21