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19 septembre 1995
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INTRODUCTION
1in Zibaldone.
2In Les Inrockuptibles, 23 août - 5 septembre 1995, n. 21, p. 35.
3in Jacques PERRIAULT, Mémoires de l'ombre et du son. Une archéologie de l'audiovisuel , Paris,
Flammarion, 1981, p. 10.
4Tribune de Genève, 31 décembre 1893 - 1 et 2 janvier 1894.
5Tribune de Genève, 16-17 décembre 1894.
2
échanges, mouvement, mimétisme, innovation
3
suppose d'excitant et d'inquiétant. Voyageuse, elle récolte et dissémine des
apports divers qu'elle réélabore à travers ses codes propres : elle produit
ainsi un cosmopolitisme populaire , facteur d'homogénéisation culturelle.
5
la face en ombre des cultures populaires ?
6
POUR UNE HISTOIRE DE LA CULTURE
FORAINE
place, dans la figure méprisée du jongleur. Mais l'usage brouille les cartes
et utilise tour à tour chacun de ces termes pour désigner toutes sortes
8
6Le phénomène se retrouve dans les autres langues européennes. Cf Luciana STEGAGNO PICCHIO,
"Lo spettacolo dei giullari", in Il contributo dei giullari alla drammaturgia italiana delle origini , Viterbo,
Bulzoni, 1978, p. 188, 191.
7Victor FOURNEL, Tableau du vieux Paris. Les spectacles populaires et les artistes des rues , Paris,
Dentu, 1863, p. 119.
8Auxquels on pourrait ajouter celui, générique, de bateleur (en italien bagatto ou bagattelliere), en usage
à partir du XIIIe, dérivé de l'ancien français baastel, "instrument et tour d'escamoteur"
9V. FOURNEL, op. cit., p. 118. Pour le Petit Robert (éd. 1990), le baladin est un "bouffon de comédie,
comédien ambulant" assimilé à un "histrion, paillasse, saltimbanque" ; à noter que ces trois derniers
termes, mais aussi ceux de baladin et de bouffon, remontent tous au XVIe siècle.
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Le terme de jongleur , qui finit par s'imposer à la fin du XIIe siècle
10
Dans la société féodale, le jongleur est mêlé aux faits d'armes : son
rôle consiste en ce domaine à donner en musique les signaux du combat,
exciter le courage, railler la faiblesse, fonctionner comme messager dans
les négociations entre les camps ennemis, célébrer la victoire et proclamer
la paix, tout en exécutant des tours d'adresse et de prestidigitation Devenu 14
8
jongleur se mêle également des vies et miracles des saints et égaye en
musique l'administration des sacrements.
Ce répertoire déjà éclectique, fait d'un fond chevaleresque, de
préoccupations et d'humeurs populaires et de récits religieux et édifiants,
s'enrichit encore des éléments les plus immédiatement merveilleux ou les
plus facilement parodiables de la culture savante : bestiaires, descriptions
géographiques et récits de voyages, mais aussi traités de grammaire et de
philosophie . Aucune portion de la culture médiévale ne semble échapper à
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produit dérivé d'un spectacle qui, par un véritable jonglage verbal -proche 26
10
sous l'emprise de la "drogue du discours", pour subir, par la force de
l'éloquence, l'"effraction" de son monde fermé . Rien ne l'empêche 28
d'une rigueur inouïe et sans appel. Ministri Satanae , à qui il faut nier 32
28ibid., p. 269.
29Selon la définition donnée par Bertholde de Regensbourg autour de 1300, citée par Chiara SETTIS
FRUGONI, "La rappresentazione dei giullari nelle chiese fino al XII sec.", in Il contributo..., op. cit., p.
132).
30Selon une somme de pénitence du milieu du XIIIe siècle, citée par V. FOURNEL, op. cit., p. 167.
31Ibid., p. 162.
32Selon l'expression de Saint Augustin, citée par C. SETTIS FURGONI, op. cit., p. 115.
33Carla CASAGRANDE, Silvana VECCHIO, "L'interdizione del giullare nel vocabolario clericale del
XII secolo", in Il contributo..., op. cit., p. 216.
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est un facteur de pollution morale ; histrions et jongleurs sont des véhicules
de corruption diabolique ; ils poussent, avec les prostituées, à la
banqueroute morale et financière des puissants trop enclins à la largesse et
aux plaisirs. Aucune nuance n'est possible : le commerce avec les jongleurs
est un péché mortel . Les interdictions ecclésiastiques et, dans une moindre
34
mesure, les bannissements par édit royal se répètent ainsi, aussi acharnés
qu'inefficaces, tout au long du Moyen Age . 35
qu'ils suscitent des dépenses inutiles, mais aussi parce qu'ils détournent la
34Massimo OLDONI, "Tecniche di scena e comportamenti narrativi del teatro profano mediolatino (sec.
IX-XII)", in Il contributo..., op. cit., p. 29.
35V. FOURNEL, op. cit., p. 165 ; C. SETTIS FRUGONI, op. cit., p. 121.
36Diego CARPITELLA, "I giullari e la questione della circolazione culturale del Medio Evo", in Il
contributo..., op. cit., p. 65 ; L. STEGAGNO PICCHIO, op. cit., p. 190 ; C. CASAGRANDE, S.
VECCHIO, op. cit., p. 218.
37C. CASAGRANDE, S. VECCHIO, op. cit., p. 219.
38L. STEGAGNO PICCHIO, op. cit., p. 197.
39R. BRUSEGAN, op. cit., p. 261 ; C. CASAGRANDE, S. VECCHIO, op. cit., p. 227.
40G. TAVANI, op. cit., p. 166.
41Selon un texte de la fin du XIIIe siècle, cité par Eugenio BATTISTI, "Interstizi profani nell'arte
figurativa", in Il contributo..., op. cit., p. 73.
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charité de son objectif légitime, car tout ce qui leur est donné est soustrait
aux moines et aux "bons" pauvres . 42
aucun, ils sont dans les villes et dans les campagnes mais ne sont ni des
paysans, ni des citadins (...). Compagnons des marchands dans les foires et
des artisans dans les villes, ils ne sont cependant (...) insérés dans aucune
structure sociale organisée et reconnue. (...) Etrangers à toute institution,
les jongleurs n'ont aucune fonction dans le corps social, ils ne répondent à
aucune de ses nécessités" . 45
d'Europe, il faudra faire valoir une infirmité invalidante pour obtenir une
patente de joueur d'orgue de Barbarie : le handicap légitime ici l'activité de
l'amuseur par exclusion de toute autre possibilité d'emploi.
D'autres figures évoluent dans une dimension de pure spectacularité :
elles se différencieront progressivement le long des frontiéres entre les
genres et les disciplines, mais aussi suivant une division du travail qui
n'épargnera pas les amusements nomades. Ces amuseurs professionnels
populaires et nomades constituent le groupe social dans lequel s'enracinera
49F. CARDINI, op. cit., p. 36, 41.
50V. FOURNEL, op. cit., p. 289-290.
51Ibid., p. 172.
52L. STEGAGNO PICCHIO, op. cit., p. 197.
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la culture foraine au cours des deux siècles de son essor, le XVIIIe et le
XIXe.
La stratégie qui consiste à combiner le spectacle et la vente d'un
remède miraculeux, matérialisant dans ce dernier l'échange immatériel
avec le public, trouve son incarnation spécialisée dans une nouvelle figure
d'amuseur qui, tout en restant bien ancrée dans l'univers spectaculaire de la
parole et du geste, rapproche l'amuseur du monde de la marchandise : c'est
l'opérateur ou charlatan, personnage qui traverse toute l'époque moderne
et ne s'efface qu'à peine au XIXe siècle . 53
siècle par les docteurs de la Faculté pour désigner leurs rivaux de la rue , 55
15
manifestement du côté de la marchandise ou de la prestation de services.
Les références culturelles ont également bougé : celles du jongleur étaient
dans la geste chevaleresque et dans les vies des saints, alors que le
charlatan s'inspire pour son boniment des descriptions des géographes et du
savoir médical.
Le charlatanisme semble avoir été une voie de recyclage
professionnel privilégiée pour les trompettes des armées démobilisées, que
l'usage d'un instrument et l'habitude du voyage préparaient à ce genre de
travail . Le voyage mettait également les charlatans en relation avec les
59
plutôt que la tutelle institutionnelle, vivant de la foule dans la rue, sur les
routes et dans les foires, le jongleur, le charlatan sont des incarnations du
tout-à-l'échange, d'une intégration à la société qui se construit à travers
59Ibid., p. 224.
60Ibid., p. 231-232.
61Ibid., p. 288.
62Ibid., p. 307.
63F. CARDINI, op. cit., p. 48.
16
l'échange vénal plutôt que par l'appartenance à une communauté ou à un
corps consitué. L'altérité de l'amuseur nomade réside alors en cela aussi :
contre une société de solidarités organiques et institutionnelles il figure (ou
préfigure, si l'on veut) une société éclatée où la survie dépend d'une
compétition libérée de toute moralité. Figure primaire et brutale de l'esprit
d'entreprise, l'"industriel forain" du XIXe siècle fonctionnera encore
comme miroir grinçant dans lequel la société de l'époque retrouvera son
image refoulée, celle d'une rue sans joye et sans loi où chacun se bat contre
les autres et où l'échange n'est jamais que le masque de la vexation.
17
la foire : un fait social total (XVIe-XIXe siècle) 64
LA DRAMATISATION DE L'ECHANGE
66En dilatant le cadre chronologique et géographique vers l'antiquité et vers les sociétés non-européennes,
il faudrait également élargir la typologie des rencontres périodiques sur lesquelles se greffe le commerce
en incluant, à côté des fêtes religieuses, d'autres manifestations à but politique, militaire ou ludique (Anne
RADEFF, Monique PAUCHARD, Monique FREYMOND, Foires et marchés de Suisse romande. Images
de l'histoire des oublié(e)s, Yens sur Morges, Cabédita, 1992, p. 9).
67"En Scandinavie et en Grande Bretagne, par exemple, [des petites foires] se tiennent devant l'église, à
l'occasion du service dominical" (ibid., p. 18).
68L'étymologie semble garder la trace de ce glissement et de cette superposition : des feriae (jours de
fête) du latin classique vient la feria (marché, foire) du bas latin (Petit Robert).
69Franco CARDINI, "Il sagrato, la piazza, la corte", in ELISABETTA SILVESTRINI (éd.), La piazza
universale. Giochi, spettacoli, macchine di fiere e luna park , Milano/Roma, Mondadori/De Luca, 1987,
p. 38.
70Ibid.
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La nécessité de s'appuyer sur un rassemblement votif pour venir au
monde se prolongera tout au long de l'histoire des foires. Au XVIIIe et au
XIXe siècle, "[o]n opère facilement un glissement de la fête patronale à la
foire" : les nombreuses foires rurales et de bourgade créées à cette période
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subalternes de la nourriture à satiété (...), du Merveilleux à portée de la
main" , qui répondent de façon imaginaire à des besoins et des élans liés
77
au bas corporel, "le ventre gras de la jouissance physique (...) fondée sur le
rire et sur la nourriture", mais aussi aux vertige panique de la conscience
projetée "vers le cosmos mystérieux de la magie et de la merveille" . 78
21
mais aussi dans les défis plus ou moins truqués lancés aux spectateurs.
D'ailleurs, l'échange commercial en général n'est-il pas toujours à la lisière
de l'escroquerie aux yeux des consommateurs, au Moyen Age et bien au-
delà ? Cette méfiance de fond, qui n'est pas réservée au seul forain, se
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comme dans un jeu de masques, elle culbute la réalité sociale et matérielle
et brouille les identités des êtres et des choses. Mais à la différence d'un rite
d'inversion, elle ne se contente pas de faire basculer une communauté la
tête en bas - on prend les mêmes et on les mets à l'envers - ou de
redistribuer différemment le même jeu de cartes entre les joueurs : au
contraire, elle perturbe durablement le jeu en brisant son cadre symétrique
et clos et en y introduisant à chaque passage des éléments nouveaux.
La ressemblance des jeux et des spectacles de foire avec les rites
d'inversion est donc trompeuse. Ceux-ci retournent de temps en temps le
monde pour mieux le maintenir à l'endroit, ceux-là contaminent
l'expérience des sédentaires par des injections d'inconnu. Tout se passe en
définitive comme si les quelques poignées d'êtres expulsés dans la
marginalité par les communautés des sédentaires revenaient pour remplir
leur mandat : dilater les limites du connu.
rencontres, ils "se corrompent dans leur moeurs et, de retour dans leur
pays, ils transmettent la contagion aux bons paysans" 85
84Ibid., p. 71.
85Lettre anonyme à la police de Naples, 1851, citée in Chiara Trara GENOINO, "Suonatori ambulanti
nelle province meridionali. Archivi della polizia borbonica e postunitaria nell'Ottocento", in Glauco
SANGA (éd.), La piazza : ambulanti, vagabondi, malviventi, fieranti... Studi sulla marginalità storica in
memoria di Alberto Menarini, Brescia, Grafo, 1989, p. 70. "[S]i arriverà, in alcuni casi, a chiedere la
collaborazione dei vescovi per controllare la “salute morale” dei suonatori che rientrano in patria" (ibid.).
23
terre pour aller de foire en foire avec femme et enfants" et qui doivent
souvent compléter leur revenu par la mendicité . 86
goût du luxe ou se pervertir" . "[Q]uel triste avenir ont les villes si les
88
93Les foires autrefois si prospères tendent à devenir pour le public de simples lieux de divertissement"
(Paul HUVELIN, Essai historique sur le droit des foires et des marchés , Paris, 1897, cité par D.
MARGAIRAZ, op. cit., p. 8).
94D. MARGAIRAZ, op. cit., p. 193.
95L'expression apparaît autour de 1880 (A. RADEFF..., op. cit., p. 7). Déjà à la fin du XVIIIe siècle
cependant, l'expression "foire champêtre" - qui indique en province une foire avec louée de domestiques -
désigne dans le bassin parisien "un pur divertissement" (D. MARGAIRAZ, op. cit., p. 158).
96A. RADEFF, op. cit., p. 15 ; Marian Hannah WINTER, "Le Spectacle forain", in Guy DUMUR (éd.),
Histoire des spectacles , Paris, Gallimard, 1965, p. 1436.
25
résignera enfin à rationnaliser son exploitation en finançant la culture
populaire et en lançant, dans la deuxième moitié du siècle, cette institution
redoutable : les comités des fêtes . 97
97Albano TREVISAN, "Dal “casotto” al luna park". Conflitti e adesioni popolari alle attrazioni foranee a
Venezia", in G. SANGA, op. cit., p. 78.
26
un synchrétisme en devenir : nomades et
sédentaires
seulement quelqu'un qui vient d'ailleurs et qui apporte des éléments d'une
culture autre : c'est aussi quelqu'un qui s'est éloigné et qui revient. Ainsi,
27
les cultures populaires prennent des distances par rapport à elles-mêmes,
s'offrent un regard en retour à travers cet être qui leur appartient toujours
tout en étant devenu autre. Agent d'acculturation, agent d'échange, le forain
est aussi l'opérateur d'une sorte d'auto-réflexivité des cultures populaires.
Porteur de changement, éponge imprégnée de facteurs exogènes, il reste
toujours aussi un facteur endogène d'innovation, une sorte de ruse par
laquelle les cultures populaires rompent le cercle du connu.
exposés aux rencontres les plus diverses avec les êtres et les choses du
vaste monde, gorgés d'expériences et de visions, aiguillonnés par la
précarité d'une existence qui les oblige à ruser et à se réinventer à chaque
crise, excités par la demande du public qui recherche l'ivresse de l'inconnu,
les amuseurs nomades sont les producteurs et les vecteurs désignés de la
nouveauté dans les mondes populaires.
Produit de la "culture de l'anxiété" qui caractérise les nomades, de
102
devient à son tour source d'anxiété pour les sédentaires, contribuant ainsi à
la rupture du quotidien dont la nécessité est inscrite dans la fête. En
confiant à des forains - c'est-à-dire à des étrangers - la tâche de produire la
décharge anxiogène, les sédentaires croient s'en assurer le plaisir tout en en
maintenant à distance le danger. Mais ce plaisir - plaisir de s'altérer : la
nouveauté est bien une drogue, un sociotrope comme d'autres produits sont
psychotropes - n'est pas innocent : ce qui s'y expérimente l'espace d'un
instant, ce que l'amuseur nomade incarne de façon permanente, ce sont des
alternatives au quotidien, d'autres manières possibles de vivre. "Alors que
les cultures paysannes, stables, domestiquent le monde, le rendent familier
et connu, les cultures marginales, nomades, vivent dans le dépaysement et
104Ibid., p. 5-6.
29
LES ATTRACTIONS DE LA FOIRE
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fabuleuses de la fête, bonimenteurs dans leurs "brillants uniformes" ou
personnages de tableaux vivants : "[a]insi, Diogène rive des clous, et Sapho
racommode les maillots dans la roulotte, à Bel Air. Pygmalion en est arrivé
à recoudre la toile de fond. Pranzini et Ravachol se font la courte échelle" . 109
109Tribune de Genève, 29 décembre 1893. Les personnages cités font partie du musée vivant de M.
Redonnet.
110Tribune de Genève, 30 décembre 1892.
111Tribune de Genève, 29 décembre 1893.
112Tribune de Genève, 3 janvier 1895.
113Tribune de Genève, 4 janvier 1890.
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plus ou moins aléatoire mais doté d'une certaine cohérence, dont elles font
partie. Leur concentration permet de cumuler les plaisirs, de les ordonner le
long d'un parcours librement choisi qui peut prendre les formes les plus
diverses, du rituel scrupuleusement observé à la flânerie la plus
désordonnée. Plus fondamentalement, la concentration des objets et des
êtres est vécue comme un plaisir en soi : plaisir de l'amoncellement, de
l'abondance, du mélange des choses, des sensations et des corps, de
l'abolition des distances. "[L]a foule moutonne, elle s'égaie, elle a des
promiscuités dont elle aurait rougi hier et qui la réjouissent aujourd'hui que
c'est fête" . Element central du déréglement festif, ce frottement de chacun
114
La fête foraine est ainsi bien plus que la somme de ses attractions,
elle fonctionne comme une totalité et ne peut être comprise que comme
telle. Sans perdre de vue le tableau d'ensemble et l'objectif d'une approche
synthétique, nous allons néanmoins commencer dans ce chapitre par
découper le phénomène en ses unités élémentaires.
Le critère de classement retenu pour présenter les attractions de la
foire sera le type de plaisir ou, plus généralement, d'expérience que
chacune d'entre elles procure à ses usagers. La typologie désormais
classique établie par Roger Caillois pour l'étude des jeux permettra un 116
dans les "noces à Thomas" : "on “tape” surtout sur la fiancée, en costume
blanc, dont la virginité est sérieusement entamée sous les coups des
vigoureux gars de la Savoie" . 126
34
parfois une ambitieuse reconstitution historique ou d'actualité. Ainsi
Gustav Kunz, propriétaire d'un "salon de tir Flobert" présente sa merveille :
"installé d'après les tous derniers principes de l'art moderne, [le salon] est très
remarquable, par la richessse de son agencement et surtout par une cible mécanique
d'un tout nouveau genre représentant l'arrivée de l'escadre française à Cronstadt, le
défilé des bâtiments devant le vaisseau amiral russe ; dont l'artillerie des vaisseaux
exécute successivement les salutes réglementaires ; ce mécanisme, se met en
mouvement chaque fois qu'un tireur a touché le bouton de cette grande attraction" 129
"Le métier que j'aurais l'honneur de vous présenter est un grand Tir mécanique
monté tout dernièrement et à la haute nouveauté" . 132
"Il n'existe nulle part de tir comme le mien. D'ailleurs il a été breveté et mis en
exploitation pour la première fois cette année-ci à Amsterdam" 133
"massacre vivant a du succès : "[l]e “populo” tape là-dessus avec une joie
immense" . Cette irruption de brutalité physique, burlesque mais réelle,
135
massacre vivant est bien une "noce à Thomas", et que la fiancée sur
129AEG A86 (Exposition Nationale), 57/66, "Demandes d'emplacement" (Gustav Kunz - Strasbourg - Tir
Flobert).
130"Le Tir à surprises", in Marcel BOVIS, Pierre MAC ORLAN, Fêtes foraines, Paris, Hoëbeke, 1990
[1954], p. 27.
131AEG A86 (Exposition Nationale), 57/94, "Demandes d'emplacement" (Benno Hill - Lübeck - Tir).
132AEG A86 (Exposition Nationale), 57/98, "Demandes d'emplacement" (Charles Rouge - Prilly sur
Lausanne - Tir mécanique),
133AEG A86 (Exposition Nationale), 57/67, "Demandes d'emplacement" (George Smith - Amsterdam -
Tir).
134Tribune de Genève, 3 janvier 1894.
135Tribune de Genève, 1-2 janvier 1893.
136Tribune de Genève, 3 janvier 1894.
137Tribune de Genève, 19 décembre 1893.
35
laquelle nous avons vu "taper" plus haut est donc une jeune fille en chair et
en os ?
Comme les jeux de prouesse, les jeux de hasard font partie du "menu
fretin" des attractions foraines : les "tournants" ou "loteries de vaisselle" se
comptent par douzaines sur les places genevoises lors des fêtes du nouvel
an. En 1895-1896, on y voit même le "fameux Margotton, qui a donné son
nom aux loteries de vaisselle de nos kermesses et de nos fêtes champêtres"
- un peu comme si M. Hoover vous vendait un aspirateur ou M. Caran
d'Ache un crayon... Le grand homme est cependant vite rabaissé à sa
vénalité : "[c]e pauvre Margotton est un peu vieilli : il néglige le boniment,
qu'il faisait avec beaucoup de sel, pour la caisse, qui a, paraît-il, plus de
charme pour lui" . 140
"ces loteries de vaisselle sont faites pour attraper les nigauds ; on peut tourner
jusqu'à 10 fois à 20 centimes avant de gagner un objet de la valeur de 3 sous (...). N'y a-
t-il donc pas de fête de Nouvel An possible à Genève sans la présence de ces
exploiteurs étrangers ?" . 145
37
presse et des brochures s'appliquent ainsi à révéler "les secrets de la boule
suspendue, des dés, du loto" et du "tourniquet" . 146
Certainement moins dupes qu'ils n'en ont l'air, les "nigauds" - qui ne
peuvent pas ignorer que le teneur de loterie gagne sa vie avec son jeu -
semblent en réalité rechercher un plaisir - tenter sa chance, attendre le
verdict du sort, voir la tension de l'attente se dénouer par un couronnement
ou retomber - dont le prix, converti en termes monétaires, doit bien valoir
celui, minable, des lots à gagner. Ainsi les petits tournants du Nouvel An
genevois, qui ne peuvent de toute évidence ruiner les finances de personne,
ont le tort beaucoup plus pernicieux d'encourager une attitude
économiquement irrationnelle, un rapport à l'argent ludique et fataliste,
incompatible avec le bon sens bourgeois.
Comme les jeux de prouesse, les jeux de chance permettent en outre
d'exprimer rituellement la conflictualité larvée qui oppose les joueurs
sédentaires et les tenanciers forains. Face au "truc" du forain, même le plus
sceptique des badauds est toujours quelque part persuadé de posséder un
"contre-truc", qui ne relève cette fois pas de l'adresse mais de cette vague
magie, invérifiable et irréfléchie, qui investit confusément les gestes par
lesquels la vie quotidienne tente d'apprivoiser l'aléatoire. Propitiatoires face
au sort, cette gestualité magique, ces incantations élémentaires deviennent
pour le joueur des armes face à la ruse du forain, des moyens de neutraliser
son "truc". Enfin, puisque c'est malgré tout le forain qui impose le cadre et
les règles, le "nigaud" pourra toujours se consoler de la défaite en
l'attribuant à l'inégalité des conditions.
Sans doute pour ne pas donner des idées à ses lecteurs, la Tribune de
Genève fait preuve d'une discretion absolue au sujet des "nombreux jeux de
hasard" à proprement parler - c'est-à-dire faisant intervenir des sommes
147
146La brochure d'Aaron MANASSE, Les Mystères du Nouvel An, publiée à Genève à la fin des années
1880,.en est un exemple ( Tribune de Genève, 20 décembre 1890).
147Tribune de Genève, 3 janvier 1894 ; "quelques jeux de hasard" Tribune de Genève, 3 janvier 1896
148Le forain suisse, 18 mai 1895
38
divination et déchiffrement
149Cf. Alain MONESTIER, Zeev GOURARIER, Marie-France NOEL, Bénédicte VILLEMOT, Les clefs
de la fortune, Paris, Editions de la Réunion des musées nationaux, 1987, p. 12-16.
39
Le XVIe siècle voit également le grand épanouissement de
l'astrologie dans la culture savante. Au plus haut de son prestige au cours
de ce siècle, elle perd au XVIIe siècle son lustre et tombe dans le domaine
des "superstitions populaires". Le moment du renouveau, comme pour
l'ensemble des sciences occultes, viendra au XIXe siècle : l'astrologie aura
entre-temps changé, déplaçant son centre d'intérêt du devenir collectif - qui
était l'objet des prophéties de Nostradamus - au destin individuel et à
l'"astrologie judiciaire", celle de l'horoscope et du thème astral. C'est sous
cette nouvelle forme que l'astrologie conquerra la presse dans les années
1930 .150
précisément du fait que l'automate est une machine, capable donc d'injecter
le progrès scientifique et technique dans le domaine de la divination...
La grande affaire divinatoire dans la Genève fin-de-siècle, ce sont
cependant les somnambules.
L'usage thérapeutique d'un fluide mystérieux appelé magnétisme
animal est lancée dans les années 1770 par le médecin autrichien Antoine
150Ibid., p. 22-28.
151Ibid., p. 37-42.
152Amarilli MARCOVECCHIO, "Automi e giostre", in Elisabetta SILVESTRINI (éd.), La piazza
universale. Giochi, spettacoli, macchine di fiere e luna park , Milano/Roma, Mondadori/De Luca, 1987,
p. 253.
40
Mesmer et trouve son premier foyer de développement dans les cercles
jacobins de Paris. Présenté comme un moyen de guérir les maladies
nerveuses, le magnétisme vaut à son découvreur de nombreuses
accusations de charlatanisme... avant la récente réhabilitation dans une
histoire renouvelée de la psychiatrie, qui voit dans le mesmérisme la
première approche moderne de la relation thérapeutique.
Après une éclipse sous la Restauration, la doctrine réapparaît riche
d'une découverte nouvelle : le somnambulisme artificiel, qu'on obtient
facilement par la simple imposition des mains. Immergé dans l'état
somnambulique, le patient ne se contente pas de guérir : il est également
réceptif aux messages télépatiques et peut librement scruter dans l'avenir.
Malgré la surveillance tâtillonne des académies et des gouvernements, le
magnétisme se diffuse et se popularise en Europe ; ses ambassadeurs, le
théoricien Deleuze et l'abbé Faria, sont des célébrités . 153
41
Le champ de foire genevois du nouvel an 1894 présente une "voiture
de somnambule" particulièrement bas de gamme. La longue description
qu'en donne la Tribune de Genève est assez rare et riche pour mériter une
longue citation.
"Il paraît que le travail des diseuses de bonne aventure est toléré sur le champ de
foire, mais on l'interdit à domicile. C'est assez cocasse. Il est difficile d'imaginer une
plus grossière attrape, une plus naïve fumisterie que celle organisée par M. et Mme.
Hill. Voici un morceau de leur prospectus : “M. et Mme. Hill sont professeurs de
sciences occultes et font partie de plusieurs sociétés savantes. Ils sont plusieurs fois
médaillés et diplômés, talismans pour le travail d'astrologie et révélation par des secrets
connus jusqu'à ce jour d'eux seuls ; en un mot, ils consultent sur toutes espèces de
choses qui concernent leurs sciences. Ils donnent aussi des renseignements précis sur
procès, mariages, héritages et recherches de toute nature. Le public est prié de ne pas
confondre M. et Mme, Hill avec les têtes parlantes que l'on a vu jusqu'à ce jour” (...).
Beaucoup de badauds ont tenté l'aventure et voici ce qui se passe quand on entre dans la
voiture".
Après une description de la salle d'attente misérable, le chroniqueur
continue.
Il faut dire qu'on n'entre pas directement, mais que, à côté de la voiture, il y a
une espèce de salle d'attente.
"Après un temps d'attente plus ou moins long, la petite porte de la roulotte
s'ouvre et on se trouve en face d'un fourneau potager. Ce n'est qu'après avoir refermé la
petite porte en question que l'on peut observer qu'entre le potager et vous, il y a encore
un homme, accoudé à une table.
Il a le chapeau sur la tête et il est vêtu comme un ouvrier endimanché.
La conversation s'engage :
- Tirez cinq cartes monsieur.
- C'est fait.
- Bien. Vous avez beaucoup de coeur.
- Moi ?
- Dans votre jeu, monsieur, dans votre jeu. C'est très bon, ça, très bon. Vous allez
faire un grand voyage, un jour ou l'autre. Ça peut avoir des conséquences agréables
pour vous.
- Ou bien tout le contraire".
Et ainsi de suite, jusqu'à ce que le somnambule se lasse de ce client
prétentieux.
"- C'est comme ça, je vois bien que vous vous moquez de moi. Mais je vous dis
que c'est comme ça. Quant à l'avenir et à la figure de la personne que vous aimez,
faudra venir une autre fois. Je paie très cher de place, vous savez, etc.
Et notre reporter s'en va, non sans avoir, pour rendre service “au somnambule”
donné à ce dernier quelques détails sur deux ou trois personnes qui attendaient.
- Vous êtes bien aimable, monsieur. Ce que je vais les épater. Je vous ferai voir
celle que vous aimez pour rien, quand vous reviendrez !" . 156
159Ce terme, utilisé par Caillois pour caractèriser ce type de jeu, était déjà en usage à la fin du XIXe
siècle pour désigner l'expérience produite par le tour de carrousel : "[n]ous nous imaginons que les
chroniqueurs de 1946 écriront à peu près en ces termes l'histoire de la fin d'année 1896 (...). Il y avait
aussi de grandes machines circulaires, qu'on appelait carrousels (...). [N]os ancêtres étaient encore bien
innocents de perdre leur temps en payant pour provoquer le vertige" (Tribune de Genève, 1-2 janvier
1896).
160Le mot viendrait de garosselo, carossela, "petite guerre" en italien et en espagnol, selon Zeev
GOURARIER (Manèges d'autrefois , Paris, Flammarion, 1991, p. 21-26), ou de la combinaison des mots
italiens gara (compétition, épreuve) et sella (selle) ou encore du perse kurr-a (petit cheval) à travers
l'arabe kurradsch (jeu avec chevaux) selon Florian DERING ( Volksbelustigungen , Nördlingen, Greno,
1986, p. 27, 31), ou enfin du latin carrus solis (char du soleil) selon Fabienne et François MARCHAL
(La belle époque de l'art forain, Saint-Dié-des-Vosges, Musée municipal, 1989, p.24)...
44
Les jeux qui composent le carrousel ne sont pas nouveaux : le jeu de
bagues, d'origine mauresque, est pratiqué dans toute l'Europe au moins
depuis le XIIIe siècle, de même que les jeux de quintaine et de têtes,
extensions ludiques d'un simple exercice militaire consistant à frapper un
mannequin. Ces jeux semblent avoir été pratiqués aussi bien au château
que dans les milieux populaires : nul besoin, en effet, d'être cavalier pour
"courir la bague" sans pompe, à pied ou en chevauchant un bâton muni
d'une roue à son bout . Entraînement pour la guerre et manifestation
161
autres, ces anciens jeux sont revêtus d'une parure éclatante - comprenant
des chars somptueusement décorés, des machines allégoriques et des
ballets équestres et ménageant une place aux dames - et réemployés par la
163
sens de ces jeux semble résider dans le vertige produit par le mouvement
centrifuge et dans la valeur symbolique rattachée à la figure du cercle et à
tout cheminement circulaire. Préparation ou prolongement des jeux
équestres, avec lesquels il coexiste jusqu'à ce que la fête du carrousel ne
disparaisse dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle , le jeu de bagues sur 166
tourniquet - qu'on appellera plus tard manège ou, par une transposition
mimétisme chevaleresque.
Les jeux rotatifs pratiqués en Europe semblent avoir été repris de
modèles turcs, décrits pour la première fois au XVIIe siècle par des
voyageurs européens ayant pris part à la fête de Bairam à Philippopolis
(aujourd'hui Plowdiw en Bulgarie) et à Constantinople. Les guerres entre la
Chrétienté et l'Empire Ottoman contribuent probablement à diffuser la
connaissance de ces dispositifs ludiques en Europe. L'association du jeu
tournant et des jeux de la famille de la quintaine semble avoir été, elle
aussi, expérimentée par les Turcs un siècle avant les Européens : en
témoigne une image turque du début du XVIIe siècle, représentant un
tourniquet sur lequel des cavaliers armés d'épées frappent un mannequin . 168
dispositif met en jeu les corps de ses usagers est diversement apprécié : des
voix s'élèvent pour dénoncer le danger que le manège fait courir aux
enfants, d'autres louent ce jeu comme un excellent exercice corporel . 170
167Les forains francophones réservent le terme carrousel aux manèges les plus luxueux. L'identité entre
le terme désignant la fête équestre et celui qui désigne le jeu tournant se retrouve significativement, avec
une tout autre racine, en italien, où le mot giostra recouvre les deux significations.
168F. DERING, op. cit., p. 31, 32.
169Z. GOURARIER, op. cit., p. 36, 38. Les premiers de ces grands parcs comprenant des attractions
seront le Prater viennois (1766), le Hamburg-St. Pauli (deuxième moitié du XVIIIe siècle), le Brigittenau
près de Vienne (1828), Tivoli de Kreuzberg (1829), le Tivoli de Paris (début du XIXe siècle), le Tivoli de
Copenhague (1843)... (F. DERING, op. cit., p. 19-22).
170F. DERING, op. cit., p. 34.
171F. DERING, op. cit., p. 34-36 ; Z. GOURARIER, op. cit., p. 38, 42-43, 53.
46
- en tant que vulgarisation du jeu de bagues tournant qu'on trouvait
dans les parcs, il se rattache aux complexe culturel des "jardins de délices"
du XVIIIe siècle.
Construisant sur ce terrain déjà très riche, les forains multiplieront et
croiseront les références jusqu'à faire du manège un véritable microcosme
et à transformer "le tour de carrousel en un voyage merveilleux" . 172
prend des chemins analogues à ceux empruntés par les sujets tournants et
ouvre à son tour de nouvelles voies, comme celle des allégories
patriotiques, puisant dans une histoire mythifiée ou dans le répertoire
iconographique du civisme pompier propre au siècle. A travers l'explosion
de l'ornementation, le manège incorpore les nouvelles modes esthétiques
du XIXe siècle et renforce le vertige du mouvement par celui du luxe
47
visuel. L'ivresse montera encore de quelques crans avec l'apparition de
l'orgue au dernier quart du XIXe siècle , puis de l'éclairage dans les années
177
1870 : le pétrole sera plus tard remplacé par l'acétylène, enfin par
l'électricité.
Le moteur du carrousel aura longtemps resté humain : ce sont des
hommes ou des jeunes garçons qui l'entraînent en marchant, au mieux (et
surtout au XVIIIe siècle), à découvert autour de son périmètre - parfois en
échange de quelques tours gratuits sur les chevaux de bois - ou, au pire (et 178
années 1860 qu'un carrousel entraîné par la vapeur fait son apparition en
Angleterre ,. Il se diffusera dans les années suivantes sur le continent,
182
177Ibid., p. 45.
178F. DERING, op. cit., p. 44.
179"Der Ringspieltreiber oder Caroussel-Dreher [ist] ein Mensch aus des unterster Volksclasse" selon un
chroniquer viennois écrivant dans les années 1840, cité in F. DERING, op. cit., p. 39.
180Z. GOURARIER, op. cit., p. 46.
181F. DERING, op. cit., p. 41-44.
182Z. GOURARIER, op. cit., p. 64.
183Ibid., p. 60, 64.
184Ibid., p. 65.
48
au-cul", les sièges fixés au plafond sont laissés libres de se soulever en se
projetant vers l'extérieur sous l'effet de la force centrifuge . 185
185Ibid., p. 87.
186Ibid., p. 87.
187Ibid., p. 42-43, 54, 59 ; F. DERING, op. cit., p. 19.
188Z. GOURARIER, op. cit., p. 57, 58. En Italie et dans la région méditerranéenne, la prédominance des
spectacles de foire sur les machines importées d'Allemagne et d'Europe centrale (pays horlogers et
techniquement plus avancés) se prolonge au XXe siècle (Elisabetta SILVESTRINI, "La piazza
universale", in Elisabetta SILVESTRINI (éd.), La piazza universale. Giochi, spettacoli, macchine di fiere
e luna park, Milano/Roma, Mondadori/De Luca, 1987, p. 71).
49
de Pâques à Saint-Petersbourg : l'objet y apparaît chargé d'un symbolisme
agricole, lié au commencement de la nouvelle saison . 189
Bien que l'objet soit très simple et connu sous une forme ou l'autre
par toutes les civilisations, où son symbolisme se lie au cheminement du
soleil, à la fertilité humaine et agraire et à la pluie , l'usage festif de la 191
189Ibid., p.80. Ces fêtes ont été analysées par Vladimir Propp.
190F. DERING, op. cit., p. 47.
191E. SILVESTRINI, op. cit., p. 80. Dans l'Inde védique le jeu rituel de la balançoire sert à aider le soleil
à remonter au ciel.
192F. DERING, op. cit., p. 49.
193E. SILVESTRINI, op. cit., p. 79.
50
montagne russe "sans vapeur, c'est la propre gravitation qui la fait
actionner" . 194
"L'illusion est vraiment grandiose, c'est une invention (...) qui a un tel attrait sur
les personnes qui en font connaissance que celles-ci reviennent une 2e et une 3e fois. En
entrant, on se trouve dans un salon élégant, bien meublé avec une table, des chaises, un
lustre etc. et dans lequel est suspendue une élégante balançoire pouvant contenir une
vingtaine de personnes. La balançoire se met lentement en mouvement, qui augmentent
peu à peu jusqu'au moment où la balançoire c'est à dire la chambre est placée le plafond
en bas" 201
circulaire autour d'un axe horizontal ; dans les balançoires, il est pendulaire
autour d'un axe horizontal. Ces mouvements de base peuvent se
compliquer se combinant par exemple avec un va-et-vient vertical comme
dans le cas des carrousels dits "de chevaux galopants" et "vague de
l'océan".
Si certaines attractions sont dotées d'une machine à vapeur, un grand
nombre de carrousels sont toujours mis en mouvement par la force
musculaire : ce sont les employés du carrousel qui tournent la manivelle,
ou ce sont les clients eux-mêmes qui pédalent sur le "manège
vélocipédique" . Ainsi, dans le cas de la "vague de l'océan", "[l]a
203
200AEG A86 (Exposition Nationale), 57/43, "Demandes d'emplacement" (Aug. Will - Münich/Zürich -
Balançoire sorcière & Tir),
201AEG A86 (Exposition Nationale), 57/163, "Demandes d'emplacement" (Emile Haase - Hambourg -
Balançoire magique), Trois autres "balançoires sorcières" sont proposées au Parc de Plaisance : les
demandes - qui seront abandonnées - sont classées sous les cotes 57/27 (J. Kühn - Bâle - Balançoire à
illusion), 57/49 (Carl Gabriel - Münich - Balançoire sorcière ou magique + Internationales Panopticum )
et 57/87 (Kaufmann & Oberg - Lübeck - Balançoire illusion), Cf. également F. DERING, op. cit., p. 116-
117.
202... ou carrousel russe, "tournant dans le sens d'une roue de moulin, les palettes étant remplacées par des
petites voitures" (Tribune de Genève, 1-2 janvier 1892). Le terme prête à confusion : ce qu'on appelle à
Genève "carrousel russe", "carrousel montagne russe" ou "montagne russe circulaire" est en fait une
balançoire russe, une roue verticale. Les montagnes russes proprement dites ne semblent apparaître à
Genève qu'avec l'Exposition nationale de 1896. Le principe élémentaire de la pente a alors déjà croisé la
vogue des petits chemins-de-fer de divertissement, lancée présicément par les expositions industrielles et
universelles, donnant lieu aux premiers exemples de la forme actuelle des "montagnes russes", où le
principe de la pente se combine avec un itinéraire tortueux.
203... appelé également "vélocipède", "vélo-rapide", "vélodrome"...
52
rotatoire dans le sens horizontal, des hommes, en s'attachant à ses rebords,
produisent par leur poids un mouvement ondulatoire" . Dans les 204
moteur humain ajoute ici une touche de charme - "ils sont, avec les clientes
surtout, toujours aimables, avec d'accueillants sourires" - et un intérêt
206
"Place du Lac, nous avons 2 carrousels : l'un n'a de particulier que son orgue, dit
bouteillophone : ce sont des petits marteaux qui frappent sur des bouteilles aux
étiquettes les plus variées" 211
53
sensations si charmantes de voguer sur les eaux de Venise" - ; quant aux 212
54
illusions
capitaliste et bourgeoise.
On peut résumer les motivations et le fonctionnement de la
bourgeoisie depuis le début de sa constitution en tant que classe par trois
mobiles - posséder, produire, conjurer la mort -, par un principe 219
Tout au long de cette quête éperdue, les savants, les artistes, les
inventeurs et les constructeurs seront confrontés à un dilemme permanent
portant sur la chose à reproduire : s'agit-il de son apparence (approche
synthétique) ou de sa structure de fonctionnement (approche analytique) ?
Autrement dit : quelle est la meilleure forme de reproduction du réel, la
copie ou l'analogon ? En bonne logique utilitariste, il eût été rationnel de
préférer une description fidèle des fonctions plutôt qu'une imitation
saisissante des apparences. Mais la raison n'était pas seule à bord dans cette
vaste entreprise : piégé par le dilemme, prenant l'ombre pour la proie, le
projet frankensteinien débouche sur une panoplie de dispositifs
illusionnistes. Ainsi, reproduire le réel, c'est d'abord tromper les sens, leur
faire croire ce qui n'est pas.
On voit bien où ça mène : la même machine, la même technique qui
peut illusionner les sens en faisant surgir un double de quelque chose qui
existe réellement peut facilement les illusionner en faisant surgir quelque
chose qui n'esixte pas. La machine à reproduire le réel devient une machine
à produire le merveilleux.
REPRODUCTIONS (L'AUDIOVISUEL)
abîmé dans un monde réel qui éclate à perte de vue, trouve dans la
contemplation du panorama, à l'horizon immense et pourtant ramassé
autour de l'observateur, une compensation en même temps qu'une puissante
223Les "vues stéréoscopiques" sont des images photographiques prises simultanément par deux objectifs
parallèles placés à la même distance réciproque que les yeux humains (parfois il s'agit d'images peintes,
réalisées suivant le même principe). Regardées à travers un "stéréoscope", ces images se fondent en une
vue unique, donnant l'illusion du relief et de la profondeur. Le coloriage à la main et des effets d'éclairage
à l'intérieur de la machine enrichissent parfois la vision. Le procédé apparaît autour du milieu du XIXe
siècle (Stefania CIARALDI, "Stereoscopie", in Elisabetta SILVESTRINI (éd.), La piazza universale.
Giochi, spettacoli, macchine di fiere e luna park , Milano/Roma, Mondadori/De Luca, 1987, p. 244-245).
224Bernard COMMENT, Le XIXe siècle des panoramas , Paris, Adam Biro, 1993, p. 43.
225AEG A86 (Exposition Nationale), 57/178, "Demandes d'emplacement" (Lepinat - ? - Panorama à
verres),
226AEG A86 (Exposition Nationale), 57/235, "Demandes d'emplacement" (L. O. Maire - Hambourg -
Panorama optique),
227Les vues stéréoscopiques peintes ne devraient pas figurer dans cette rubrique car elles ne sont pas des
"empreintes" du réel. Il est assez troublant de constater, dans les informations - pourtant assez abondantes
- fournies par la presse sur les "panoramas" en fonction à Genève, que la technique utilisée -
photographie ou peinture - n'est jamais mentionnée. Les seules explications possibles sont qu'il s'agissait
toujours de photographies ou que, entre photographie et peinture "panoramique" illusionniste, personne
ne jugeait important de marquer la différence...
228B. COMMENT, op. cit., p. 6
57
source d'aliénation : "l'individu (...) s'en remet à une situation imaginaire
que la réalité ne lui permet plus de vivre" . 229
Cette "étrange duplication" qui envoie les foules dans les rotondes
230
pour voir une image de leur propre ville ne se retrouve pas tout à fait dans
les "panoramas" stéréoscopiques, plus cosmopolites et globe-trotters, qui
partagent pourtant avec les panoramas picturaux deux autres grands
créneaux thématiques : les événements diplomatiques de l'actualité et de
l'histoire récente et les paysages, entre l'exotisme qui coupe le souffle et le
sublime de chez nous.
Les vues "diplomatiques" diffusent "une vision de l'histoire qui est
celle des héros et des grands événements, fondée sur les appartenances
nationales et les affrontements étatiques" . : l'actualité et l'histoire sont au
231
229Ibid.
230Ibid.
231Ibid.
232Tribune de Genève, 12 mai 1895.
233N. BURCH, op. cit., p. 38.
234L'Echo de Plainpalais, 19 septembre 1895
58
L'Exposition de Chicago ; La Styrie (Stiermark) ; Siam ; Munich, Saltbourg,
Königsee ; L'Angleterre ; Berlin ; Océanie, Îles de la Mer Pacifique ; Suisse ;
Guillaume II à Albazia-Volosca au bord de la Mer Adriatique, avec scènes intéressantes
sur le bâtiment de guerre "Molthe" ; Alger ; Funérailles de Carnot ; Les Pyrénées
(Lourdes) ; L'Egypte ; Voyage sur l'Océan, de Hambourg à Cuxhaven ; L'Afrique -
Tunis ; Les magnifiques châteaux de Louis II de Bavière : Neuschwanstein et
Hohenschwangau ; La Californie ; Souvenirs de la guerre 1870-1871 ; Paris ;
Helgoland. Remise de l'Île aux Allemands ; Bordeaux, Marseille, etc. ; La Suède ; Les
Alpes pittoresques de la Haute-Italie ; La ville de Munich, avec la résidence ; La
Hollande ; Venise pendant la visite de l'Empereur Guillaume II ; La Haute-Italie. La
Riviera ; Rome ; Une visite dans l'Île Jamaïque ; La Palestine ; Un voyage sur le Rhin ;
Afrique orientale. Les stations fortifiées dans les possessions allemandes ; L'Algérie et
les Algériens ; Friedrichruh. Les fêtes pour Bismarck ; Paris et l'Exposition de 1889 ;
Le Tyrol ; Saint-Pétersbourg ; La Lorraine ; Trêves pendant les jours de l'exposition de
la Sainte Robe en Septembre 1891 . 235
Tout ceci obtient peut-être "les plus vif succès dans toutes les classes
de la population" mais concerne surtout les bourgeois. Le champ de foire
237
le phonographe
241L'expression est de Baudelaire, angoissé par "ces milliers d'yeux avides" qui "se penchaient sur les
trous du stéréoscope comme sur les lucarnes de l'infini" (cité in N. BURCH, op. cit., p. 12).
242Source : S. CIARALDI, op. cit., p. 245-246.
243AEG A86 (Exposition Nationale), 57/75, "Demandes d'emplacement" (Vve. Beaufort - Cuneo près
Saluzzo, Piémont - Musée des Célébrités du Jour), C'est la lettre de Mme. Beaufort qui nous apprend
qu'elle est une habituée de la Plaine de Plainpalais, car notre journal de référence, la Tribune de Genève,
ne cite jamais ce "panorama".
244Tribune de Genève, 20 décembre 1892.
245Tribune de Genève, 28-29 décembre 1890. Gabrielle Bompétard, "demoiselle de moeurs légères" et
Michel Eyraud, "un industriel en faillite", sont soupçonnés du meutre de l'huissier parisien Toussaint-
Augustin Gouffé 1n 1889. Suite à la diffusion de leurs portraits par la presse, ils sont signalés entre août
1889 et janvier 1890 à Londres, Chicago, Québec, Mexico, La Havane... "Leur popularité devint telle que
l'on chanta bientôt des airs à leur gloire. La “Complainte de Gabrielle Bompétard” de Poupay et Spencer
était reprise en choeur tous les soirs par les spectateurs de l'Eldorado : “Tout le monde parle d'elle /
Gabrielle Bompétard / Elle enfonce la Pucelle / Gabrielle ! Gabrielle ! Jeanne d'Arc et Sarah Bernhardt”.
Gabrielle, grisée par cette rumeur flatteuse dont elle percevait les échos, se livra à la police le 22 janvier
1890 et Michel Eyraud fut arrêté à la Havane en juin. Gabrielle prétendit avoir agi en état de sommeil
hypnotique". Pendant le procès, "des camelots vendaient sur les boulevards parisiens des petites malles à
ouverture secrète qui faisaient les délices des enfants", semblables à la "malle marron dont le fond était
taché de sang" trouvée près du lieu du crime. Eyraud fut guillotiné en février 1891, et la Bompétard fut
condamnée à vingt ans de tavaux forcés (Pierre DRACHLINE, Le fait divers au XIXe siècle , Paris,
Hermé, 1991, p. 138-141).
60
Projeté par ses créateurs à la fois comme une machine utilitaire dans
l'activité productive et comme un moyen de "préserver de la disparition la
voix de ceux qui vont mourir" , le phonographe ne prendra son essor que
246
246J. PERRIAULT, Mémoires de l'ombre et du son. Une archéologie de l'audiovisuel , Paris, Flammarion,
1981, p. 224. Ce projet est partagé par Edison et par son malheureux rival français Charles Cros.
247Patrice FLICHY, Une histoire de la communication moderne. Espace public et vie privée , Paris, La
Découverte, 1991, p. 96-97.
248Tribune de Genève, 22 décembre 1892
249Tribune de Genève, 1-2 janvier 1895
250Tribune de Genève, 16-17 décembre 1894.
251AEG A86 (Exposition Nationale), "Demandes d'emplacement", 57/12 (Casimir Sivan & Cie., -
Genève - Inventions Edison), 57/14 (G. Bartling - Hambourg - Jardin labyrinthe "Jardin Oriental des
Illusions"), 57/20 (Vernet - Paris - Kinétoscope Edison), 57/49 (Carl Gabriel - Munich - Balançoire
sorcière ou magique + Internationales Panopticum), 57/55 (Franz. Kössler - Innsbruck - Phonographes),
57/72 (H. Donat - Vevey - Photographie et phonographe), 57/81 (Aug. Bendikowski - Lübeck -
Phonographes Edison), 57/104 (I. Thomas, - Genève - Fabrication et débit de savon à détâcher), 57/112
(E. Firquet - Lausanne - Phonographe Edison), 57/119 (Société Suisse de Panorama - Zürich -Panorama
de la Bataille de Morat), 57/179 (Francesco Paladini, - Milan - Phonographes), 57/203 (Marc Pelosi -
Genève - Phonographes - Glaces - Tabac), 57/206 (J. Halder - Frankfurt am Mein -Phonographes),
57/236 (Marc Bertholet - Genève - Phonographe) (un habitué du champ de foire genevois), 57/248
(Ansani, Piehs et D'Euni - Milan - Phonographe et kinétoscope), 57/263 (F. Feinstein - La Chaux-de-
Fonds -Phonographes), 57/265 (Bernstein - Londres - Inventions d'Edison), 57/290 (Carl Enderlin- Bâle -
Phonographes système Bahre), 57/315 (A. L. Oliva - Firenze - Phonographes), 57/322 (The Anglo-Italian
Commerce Company - Gênes - Graphophones et.), 57/336 (Th. Fricker - Frick (Argovie) -
61
demandes), du reste de la Suisse (6), d'Allemagne (4), d'Italie (4), de
France, d'Angleterre et d'Autriche (1 demande chacune). Un tiers de ces
demandes présentent le phonographe en association avec d'autres appareils
de reproduction : l'horloger et constructeur d'automates genevois Casimir
Sivan , qui obtiendra la concession, présente de manière générale des
252
la photographie
le cinématographe
63
L'histoire de l'invention du cinéma et de ses débuts en société - un
des champs les plus féconds de l'histoire culturelle contemporaine depuis
les années 80 - connaît désormais des centaines de variantes. Une variante
possible pourrait se construire autour de la figure de François-Henri
Lavanchy Clarke.
François-Henri Lavanchy naît à Morges (Valais) en 1848, fils de
vigneron. "Il semble s'être préparé à la carrière de missionnaire et avoir
servi comme infirmier de la Croix-Rouge pendant la guerre franco-
allemande de 1870-1871". Il épouse Jenny Elisabeth Clarke et en adopte le
nom de famille. Dans les annés 1870 il est en Egypte, où il mûrit une
préoccupation pour le sort des aveugles qui l'accompagnera pendant toute
sa vie. Dans les années 1890 il réside à Genève et travaille comme agent de
vente pour la Suisse du savon Sunlight, de la manufacture anglaise Lever :
un produit "dont les innovations principales étaient une présentation sous
emballage, une vente à l'unité et non plus en vrac, ainsi qu'une amélioration
notable de l'aspect extérieur et de l'efficacité". Décrit comme un
excentrique aux allures de poète, Lavanchy n'en est pas moins "avant tout
un organisateur et un astucieux homme de publicité" . La convention qu'il
259
signe en octobre 1895 pour l'installation d'un "Pavillon des Fées" sur le
champ de foire de l'Exposition nationale permet de juger sur pièces :
"I. Illusions d'optique : L'attraction principale sera la reproduction de légendes
de fées de nos montagnes. Un deuxième numéro comportera une fontaine lumineuse et
une Amphitrite - En outre de ces tableaux vivants le preneur se propose de placer : 1°
Une illusion d'optique montrant le buste d'une jeune personne qui lavera dans un bol sur
lequel se lira “Sunlight Savon” ou qui lira l'almanach du Sunlight Savon. 2° Une
chambre à lessive, avec une blanchisseuse endormie près d'un cuvier (genre Musée
Tussaud) et une double apparition d'une fée et de deux personnes lavant en riant, selon
la nouvelle méthode du Sunlight Savon. La réclame sera donc indirecte. En publiant le
texte des légendes le preneur ne la mettra que sur la 4ème page de la couverture pour le
savon et sur la 3ème page pour le thé.
II. Escarpolette et chambre tournante. Pas d'autre réclame que les chromos du
preneur, encadrés à l'intérieur de la chambre pour la décorer, et une boîte de savon
posée sur une table. Une notice sur l'Escarpolette dans l'antiquité, d'après les
monuments Assyriens, Egyptiens et Grecs, avec gravures, contiendra la réclame du
preneur sur la 4ème page seulement.
III. Thé.
IV. A l'entrée de son installation le preneur se propose d'avoir : 1° Une machine
automatique donnant à chacun, moyennant une pièce de 10 centimes, l'illusion de
frapper sur place une médaille “Souvenir de l'exposition”. 2° Un orchestre automatique
tout nouveau construit spécialement pour le preneur, montrant quelques artistes
automates sur le balcon d'un châlet, jouant avec un réalisme vivant. Cette pièce
marchera chaque fois que cinq personnes auront versé 10 centimes chacune. 3° Le
preneur aura quelques appareils suisses “Klarkeoscopes” permettant 1) de prendre des
photographies.vivantes partout où le preneur le désire ; 2) en regardant dans l'objectif,
cinématographe dans son Palais des Fées sont bien celles du cinéma forain,
que l'on retrouvera sur le champ de foire genevois à partir de l'hiver 1896-
1897 : au Palais comme sur les places le jour de l'an, le nouveau procédé
s'y montre à la fois ancré dans l'univers des attractions illusionistes et
féériques et porteur d'images fidèles du réel, qui dédoublent l'ici et
maintenant ou qui font surgir des territoires lointains.
chacun.
En aval de ce tournant, la mort, soustraite au partage communautaire
et reprise par l'individu à son propre compte, est désormais vécue comme
une rupture scandaleuse, introduisant du désordre, du dérèglement dans
l'ordinaire de la vie quotidienne . C'est sur cette base que, entre le XVIe et
268
264Philippe ARIES, Essais sur l'histoire de la mort en Occident du Moyen Age à nos jours , Paris, Seuil,
1975, p. 45.
265Ibid., p. 121.
266Ibid., p. 25, 43.
267Ibid., p. 46.
268Ibid., p. 52.
269Ibid., p. 51-52, 115, 119.
270Ibid., p. 44.
66
corps désirable. Le fait que les premières retrouvailles depuis l'Antiquité
entre les artistes et le corps nu aient lieu sur la table d'anatomie contribue 271
moralisatrice chez les religieux peut aussi se mêler, sur le versant des
nouvelles attitudes expérimentales et rationalistes, à la curiosité
scientifique et emprunter la voie du morbide anatomique.
Le renouveau du savoir anatomique coïncide en effet avec la
première saison du macabre. Rien d'étonnant à cela : n'est-ce pas
précisément l'intérêt nouveau que porte l'humanité de la fin du moyen âge
aux temporalia que l'on retrouve dans la "lente reprise des dissections
cadavériques" , dans le geste par lequel l'on plonge la main et le regard
275
67
négligent rien de la fascination que le corps ouvert exerce sur eux" . 277
vue "sous glace" plus d'une année après sa mort au domicile du médecin,
"[e]lle est debout dans une armoire, les pieds et les jambes nues (...) ; la droite
est un peu plus découverte parce qu'elle relève son jupon de la main droite pour soutenir
sur sa hanche un petit renardeau, lequel tient dans sa gueule un chardonneret" . 282
277Ibid., p. 79.
278P. ARIES, op. cit., p. 114-115.
279P. ARIES, op. cit., p. 161.
280Elisabetta SILVESTRINI, "La piazza universale", in Elisabetta SILVESTRINI (éd.), La piazza
universale. Giochi, spettacoli, macchine di fiere e luna park , Milano/Roma, Mondadori/De Luca, 1987,
p. 164-165.
281Arlette FARGE, La vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarités à Paris au XVIIIe siècle , Paris, Seuil,
1986, p. 233.
282Ibid.
68
Si les cimetières et les criptes italiennes prolongent l'art funéraire par
l'exposition du cadavre apprêté, si les amateurs bricolent des fantasmes de
chair qu'ils exhibent dans leurs cabinets, la manipulation esthétique des
cadavres vit également, au XVIIIe siécle, une vogue plus ordinaire et
familiale : l'embaument est à la mode, et la figure du maquilleur de
cadavres, garant de la "beauté du mort" se professionnalise sous les traits
de l'entrepreneur de pompes funèbres . 283
69
du beau d'Edmund Burke - "tout ce qui peut éveiller des idées de douleur et
de danger, autrement dit tout ce qui est dans un certain sens terrible, ou qui
concerne des objets terribles, ou qui agit de manière analogue à la terreur,
est une cause du sublime" - s'étendra jusqu'aux années 1820 après avoir
292
292Cité in Umberto ECO, "Ascesa e decadenza del superuomo", in Il superuomo di massa. Retorica e
ideologia nel romanzo popolare, Milano, Bompiani, 1976, p. 90.
293Mary W SHELLEY, Frankenstein ou le Prométhée moderne , Paris, J'ai lu, 1994 [1818].
294... ainsi que d'autres que nous rencontrerons plus loin. U. ECO résume le roman Vathek (1786) de
William Beckford, par le catalogue suivant : "una sarabanda di iniquità, riti sanguinari in una altissima
torre in cui si immolano schiavi e famigli, massacri di bambini innocenti sotto gli occhi dei genitori,
sacrifici di concubine abbandonate alle belve, imani santoni e mullah sbeffeggiati e messi a morte,
Maometto bestemmiato, ospitalità tradita, commercio coi demoni, adorazione del diavolo, riti col fuoco,
paludi che emanano misasmi e nutrono erbe venefiche, intorno alle quali una regina nuda - seguita da due
negre orribili e da un cammello infernale - danzano evocando gli spiriti - e poi cavalcate orientali dals
fasto satrapico, schiere di eunuchi e di nani, e abissi, sale sotterranee abitate da mummie viventi,
scarafaggi parlanti e lente teorie di anime dannate" (op. cit., p. 89).
295A. FARGE, op. cit., p. 226.
296M. FOUCAULT, op. cit., p. 70.
70
la Bible de Gutenberg (1455) se répandent les premiers "occasionnels" en 297
297"On désigne sous ce nom des feuilles de grand format, imprimées au recto seulement, et relatant les
principaux événements de l'histoire contemporaine" (M. LEVER, op. cit., p. 9). Jean-Pierre SEGUIN en
recense 200 entre 1488 et 1529 (L'information en France avant le périodique. 517 canards imprimés
entre 1529 et 1631, Paris, Maisonneuve et Larose, 1961).
298M. LEVER, op. cit., p. 9.
299Ibid.
300P. DRACHLINE, op. cit., p. 11
301M. LEVER, op. cit., p. 26-27.
302Ibid., p. 27.
303Ibid., p. 45.
304A. FARGE, op. cit., p. 215.
71
Inexplicable : qui dit mieux ? Le besoin de littérature criminelle
s'enracine pour Ernest Mandel dans la "contradiction entre pulsions
biologiques et contraintes sociales" ; cette littérature serait alors investie
305
72
constantes de ces reconstitutions, "l'expression hybride des figures, qui
semblent se trouver dans un état transcendental de “encore-veille” et “déjà-
sommeil” ou “encore-vie” et “déjà-mort”" . 310
317A. FARGE, op. cit., p. 225. Desrues gardera "une présence de choix dans les musées de cire jusqu'au
second Empire" ! (P. DRACHLINE, op. cit., p. 15).
318Marian Hannah WINTER, "Le Spectacle forain", in Guy DUMUR (éd.), Histoire des spectacles ,
Paris, Gallimard, 1965, p. 1437-1438 ; R. BASCHET, op. cit., p. 11-14 ; Dorrit WILLUMSEN, Marie.
La vie romancée de Madame Tussaud , Paris, L'Arpenteur, 1989 [1983].
319M. H. WINTER, op. cit., p. 1437.
320E. SILVESTRINI, "La piazza universale", op. cit., p. 74.
321Corrado AUGIAS, "Il delitto dell'orango furioso", in La Repubblica, 5 agost0 1995.
74
l'intérêt croissant pour la représentation visuelle des états pathologiques 322
75
d'Edgard Poë". La lettre se termine par une vision fantastique du Musée
après l'heure de fermeture, projetée dans un avenir où les modèles vivants
seront mort ; faisant sa tournée dans l'obscurité, le veilleur entend les figure
murmurer : "Maintenant, c'est nous les vivants" . 328
les automates
76
Christ) ne sont "que" des machines illusionnistes ; quant à Pygmalion, il
nécessite de l'intervention d'une déesse pour que sa Galatée prenne vie. De
même, les vierges et christs articulés de certaines passions médiévales se 333
333Ibid., p. 97.
334Ibid., p. 98-99.
335Ibid., p. 100.
336Ibid., p. 101.
337Ibid., p. 99.
338J. PERRIAULT, Mémoires de l'ombre et du son. Une archéologie de l'audiovisuel , Paris, Flammarion,
1981, p. 224.
77
oeuvre divine. Le rêve frankensteinien - ou prométhéen - s'exprime 339
339Le choix des termes n'est pas innocent : choisir Prométhée comme référence revient à inscrire
l'attitude ainsi désignée dans un passé immémorial, donc à en faire une constante de l'histoire humaine, à
la naturaliser ; choisir Frankenstein revient au contraire à ancrer cette attitude dans un moment précis, à
en faire un phénomène historiquement déterminé. Prométhée est un demi-dieu - ou un surhomme : c'est
une référence apologétique, qui véhicule une adhésion à l'attitude qu'elle désigne ; Frankenstein est un
raté : c'est une référence critique, qui souligne l'entrée en crise de l'attitude qu'elle désigne.
Quoi qu'il en soit, Voltaire - qui ne connaissait pas Franlenstein - appellera Vaucanson "le rival
de Prométhée" (Edmond Haraucourt, "Préface", in Alfred CHAPUIS et Edouard GELIS, Le monde des
automates. Etudes historique et technique , Paris, 1928, p. XII).
340M H. WINTER, op. cit., p. 1438-1439.
341Edmond HARAUCOURT, "Préface", in Alfred CHAPUIS et Edouard GELIS, Le monde des
automates. Etudes historique et technique , Paris, 1928, p. XI.
342"Tubalacaïn et Prométhée, après s'être longtemps ingéniés à pasticher l'oeuvre divine en articulant des
Automates, savent maintenant enfanter des bêtes d'acier, vivantes et qui possèdent, comme leurs soeurs
de chair, des membres pour agir" (Ibid.).
343Réponse de Mont-de-Marsan à une enquête du Conseil de Salubrité sur les pratiques médicales, 1790,
cité in Jean-Pierre GOUBERT, "Les “marginaux de la thérapeutique” en France à la fin du XVIIIe
siècle", in Cahiers Jussieu n. 5. Les marginaux et les exclus dans l'histoire , Paris, UGE, 1979, p. 341.
78
Source d'émerveillement, l'automate débarque sur le champ de foire
avec l'aura d'un produit des sciences : à Rome dans la deuxième moitié du
XVIIIe siècle on présente une "statuina mattematica che balla" . Mêlé ou
344
croisé aux figures de cire, il baigne aussi dans l'imaginaire funèbre dans
lequel celles-ci sont immergées. Entouré, au XIXe siècle, de dispositifs et
de spectacles qui expérimentent l'étendue possible des états du corps -
difforme chez les phénomènes, dilaté dans ses possibilités chez les
acrobates, mesuré sur les maillets et autres machines anthropométriques,
livré aux mouvements d'une mécanique sur les attractions à vertige... -
l'automate place le corps humain à une position extrême dans l'espace entre
la nature et la machine : miroir révélateur, il donne à voir la machinisation
du corps et en même temps, par contraste, l'inimitable richesse de la vie
naturelle. Si sur le champ de foire l'humain se sent agrandi en contemplant
l'androïde, ce n'est pas parce que sa fibre prométhéenne est titillée mais
parce que la pauvre mécanique, tellement bornée, lui inspire somme toute
de la pitié.
peut que nous paraître aujourd'hui loufoque, une partie au moins des
bizarreries débitées par le bonimenteur pouvaient se retrouver au XIXe
siècle dans de sérieuses publications savantes : c'est le cas avec la théorie
345Tribune de Genève, 31 décembre 1893 - 1-2 janvier 1894.
346Robert BOGDAN, Freak Show. Presenting Human Oddities for Amusement and Profit , Chicago,
University of Chicago, 1988, p. 103.
347Tribune de Genève, 31 décembre 1893 - 1-2 janvier 1894.
80
de l'"impression maternelle", invoquée pour expliquer bon nombre
d'anomalies congénitales . Ainsi, l'aboyeur du musée Bracco
348
"racontait l'histoire d'un jeune homme italien venu au monde avec un corne au
front. - Mesdames et Messieurs, disait l'aboyeur, ce jeune homme dont la tête de cire est
au musée, est toujours vivant. Cette corne, elle provient d'une frayeur que sa mère a eue
en voyant passer un troupeau de boeufs. Maintenant, ce jeune homme est marié, et
depuis qu'il est père de famille, il lui a poussé une autre corne. Seulement, elle ne figure
pas encore au musée ; on va compléter la tête" . 349
MUSEES ANATOMIQUES
81
soient atrocement contrefaites et mentent affrontément à leur titre du
catalogue" . Quant au musée Thiele,
353
"[t]out cela est bien scientifique et cependant, le musée de cire a fait de belles
recettes ; c'était un continuel va-et-vient. Il y a certainement dans cette exhibition un
élément instructif qui a sa valeur" . 354
82
autonomiser ou épurer deux des composantes qui confluent dans le musée
de cire : un plaisir sensoriel qu'on pourrait appeler "visuel-cynétique" et qui
s'enracine précisément dans la contemplation d'une mécanique en
mouvement, et un plaisir plus intellectuel qui trouve son origine dans le
spectacle d'une ingéniosité admirable mais compréhensible, sans ombres,
sans arrière-goût d'inquiétude.
"Le palais des clowns américains semble destiné à un succès complet chez nous.
C'est un petit théâtre mécanique, intéressant, ingénieusement combiné" .
359
MUSEES VIVANTS
se faire respecter, et qui est évidemment "seul et unique dans son genre" - 362
l'exécution du même, le tout sur une plaque tournante" , et l'on peut aussi y
364
aloi
Si le salon de la famille Radonnet est bien, du point de vue de son
contenu, une variante du musée de cire, d'autres musées vivants se
rattachent à un genre spectaculaire différent et beaucoup plus ancien, qui se
trouve en plein revival à la fin du XIXe siècle : celui des mystères de la
Passion.
La grande saison des représentations dramatiques de la Passion,
d'origine médiévale - d'abord mimées en une série de tableaux vivants
reliés par les explications d'un récitant, puis jouées comme un véritable
drame - couvre le XVe et le XVIe siècle ; ce sont des compagnies - des
359Tribune de Genève, 16-17 décembre 1894.
360Tribune de Genève, 1-2 janvier 1892.
361Tribune de Genève, 7-8 janvier 1894.
362Tribune de Genève, 29 décembre 1893.
363Célèbre anarchiste, auteur d'attentats.
364Tribune de Genève, 7-8 janvier 1894.
365Tribune de Genève, 29 décembre 1893.
83
confréries - bénéficiant d'un privilège royal qui les représentent. Lorsque
les tréteaux de la foire commencent à concurrencer les théâtres "légitimes",
à la fin du XVIe siècle, la vogue des mystères, après une dérive
spectaculaire et bouffonne qui suscite les foudres ecclésiastiques, est
désormais éteinte . Les nouvelles machines à communiquer qui se
366
Dans les localités qui ont continué à les mettre en scène, les Passions
vivent à la fin du XIXe siècle, comme d'autres manifestations répertoriées
désormais sous la catégorie du "folklore", une vague de succès "culturo-
touristique" qui se concentre autour de quelques lieux tels
368
de foire est donc bien celle du musée de cire plutôt que celle du théâtre. Au
musée de cire, les Passions foraines empruntent entre autres l'enfermement
dans une baraque assombrie, nécessaire pour exclure du spectacle tous
ceux qui n'ont pas payé leur billet ; cette situation contraste fortement avec
le déroulement en plein air des Passions traditionnelles.
"Le grand “Musée vivant Pietro” est pour la première fois dans nos murs. Pour
attirer le public, il donne des représentations de poses plastiques à l'extérieur, à la
grande joie des badauds et des bonnes d'enfants qui profitent de leur jour de sortie. Le
directeur annonce que tous les décors sont “remis à neuf” - et il n'oublie pas d'insister
sur cette liaison. On y représente la passion de “N. S. Jésus-Christ”, et le crieur fait
savoir que M. Angelo fera le bon Dieu..." . 371
366Eugène D'AURIAC, Théâtre de la foire. Dix pièces intégrales avec un essai historique sur les
spectacles forains, Plan-de-la-Tour (Var), Editions d'aujourd'hui, 1985 [1878], p. 16-20
367Roland COSANDEY, André GAUDREAULT, Tom GUNNING (eds.), Une invention du diable ?
Cinéma des premiers temps et religion , Sainte-Foy/Lausanne, Presses de l'Université Laval/Payot, 1992 ;
N. BURCH, op. cit., p. 138-141.
368N. BURCH, op. cit, p. 138.
369Guido CONVENTS, "Les catholiques et le cinéma en Belgique (1895-1914)", in Roland
COSANDEY, André GAUDREAULT, Tom GUNNING (eds.), op. cit., p. 36-37.
370C'est le cas de la troupe ambulante française Musée Bonnefois, présente à la grande foire de Bruxelles
en 1896, citée par G. CONVENTS (op. cit., p. 37-38).
371Tribune de Genève, 16-17 décembre 1894.
84
Le musée Pietro s'attire aisément l'estime de la presse, prête à
certifier qu'on y "exécutait de très belles choses, dans de magnifiques
costumes" 372
Nous savons peu de choses des autres musées vivants qui visitent le
champ de foire genevois, et qui semblent en tout cas bénéficier d'une bonne
réputation, à l'image du théâtre Preiss "dont les tableaux vivants [sont] très
réussis" .373
AUTOMATES
85
trois lignées illusionnistes : celle du panorama, à qui il emprunte la
circularité et le répertoire aux larges horizons, celle des effets scéniques,
dont il reprend l'agencement tridimensionnel de perspectives illusoires et
les éclairages, et celle des boîtes d'optique, dont il partage le virtuosisme
transformiste grâce à sa "machinerie de verres, de clapets, de miroirs et de
déflecteurs" . Le machinisme monte d'un cran : la salle entière pivote pour
378
envoyer les 350 spectateurs assis face à la prochaine illusion. L'accueil est
triomphal. Parmi les premiers spectateurs, Balzac : "C'est la merveille du
siècle, une “conquête de l'homme” à laquelle je ne m'attendais
nullement" . 379
intégrés aux musées de cire, où ils fonctionnent comme décors, et dans ces
véritables grands magasins aux illusions que sont les musées de cire
allemands, les panoptikum . 381
Nous avons classé les "maquettes animées" avec les automates, car
leur lignée illusionniste se rattache à l'horlogerie plutôt qu'à l'optique et à la
scénographie. Alors que ces attractions font surtout appel à ce que nous
avons appelé le plaisir "visuel-cynétique", les miniatures ou "reliefs"
immobiles que nous rencontrons dans les archives du Parc de Plaisance
semblent attirer le regard dans une sorte de vertige de la petitesse. Comme
les panoramas, les miniatures permettent en même temps de saisir une
totalité complexe en un seul coup d'oeil, d'accroître donc le sentiment de
maîtrise de l'observateur sur le réel . 382
Enfin, les ascensions en "ballon captif" que proposait le Parc aux visiteur,
furent parfois vécues et racontées comme étant essentiellement une
expérience de miniaturisation du réel.
les environnements
383Ibid., p. 134.
384AEG A86 (Exposition Nationale), "Demandes d'emplacement", 57/21 (Aug. Magnin, architecte -
Genève - Relief du Vieux Genève). On trouve trois autres miniatures parmi les demandes : 57/41 (Imfeld
- Zürich - Relief des Alpes), 57/132 (J. Aguet - Rome - Modèle de la Place et Basilique de St. Pierre à
Rome) et 57/140 (H. Grünkorn - Hasselt (Hassiet, Belgique) - Théâtre du monde en miniature) : "Le plus
grand chef-d'oeuvre mécanique plastique actuel".
385On remarquera en passant que cette définition correspond parfaitement au Village suisse, avec cette
particularité que l'effet dépaysant vécu par les sens est déchiffré par la conscience comme un effet
repaysant...
386Les "palais du rire" et les "trains fantômes" (sorte de croisement d'une machine à vertige et d'un musée
de cire) sont des variantes plus tardives (XXe siècle) de cette même catégorie.
87
orientaux (...). Le théâtre oriental est très variant et à tout instant on remarque des
nouveaux Illusions et morceaux" 387
387AEG A86 (Exposition Nationale), 57/103, "Demandes d'emplacement" (F. A. Jost - Berne -
Labyrinthe Oriental). Les autres environnements proposés au Parc : 57/6 (Olagnon - Meximmieux (Ain)
et Machet - Decines (Isère) - Labyrinthe et Palais de Cristal ou des Miroirs), 57/14 (G. Bartling -
Hambourg - Jardin labyrinthe "Jardin Oriental des Illusions"), 57/29 (G. d'Ouvenou - Zürich et Henri
Ernst, Zürich - Jardin labyrinthe et illusions), 57/30 (Adolphe Berne - Genève - Grotte lumineuse et
Pavillon rustique), 57/123 (Georg Walther - Trieste - Labyrinthe oriental), 57/137 (C. Fehlmann - Débit
de Vins étrangers et bière suisse - Grotte attenante dans un massif de m2 100 représentant Montagne
Suisse - Bordeaux), 57/170 (Heinrich Hirdt - Miesenbach in der Pfalz - Labyrinthe (Orientalischer
Irrgarten)), 57/184 (Labyrinthe Compagnie - Amsterdam - Labyrinthe), 57/318 (Louis Reiners -
Amsterdam - Labyrinthe nouveau).
88
L'effet de cette "double postulation" de la prestidigitation - qui au
XIXe siècle aime se présenter comme physique amusante - est également
double. Au premier tour, le message rationaliste l'emporte sans conteste,
renvoyant le mystère du côté de la fable :
"ces phantasmagories nous plaisent comme tous les phénomènes qui semblent
aller contre l'ordre immuable des choses, contre les lois de la nature. L'univers étant ce
qu'il est, nous n'avons guère d'autre consolation que de rêver qu'il est autrement, et c'est
là proprement la poésie. La physique amusante, c'est de la poésie lyrique et de la fable
en action" .
388
388Jules LEMAITRE, Impressions de théâtre, 2e série, cité in Hugues LE ROUX, Les Jeux du cirque et
la vie foraine, Paris, Camille Daloy, 1889, p. 72.
389D. RAICHVARG, op. cit., p. 54-58.
390H. LE ROUX, op. cit., p. 74.
391Ibid., p. 73.
392Ibid., p. 70.
89
"un Colisée moderne, dont le programme est très divertissant “une féerie
satanique, le tout en harmonie avec la pièce”. Qu'est-ce que cela peut bien signifier" .
393
"[l]e prospectus dit que l'Aérolithe a été visité dans tous les pays par la noblesse
et la haute banque. On aimerait bien savoir pourquoi. Il paraît que c'est un spectacle fin
de siècle ; l'image est à la mode" . 395
Que viennent faire ici les fontaines lumineuses, jeu qui passionne en
cette fin de siècle comme tous ceux qui font éclater dans la nuit les
charmes subjugants de la fée électricité ? A l'évidence, elles sont là pour
enraciner l'électricité, découverte de la science, dans le merveilleux, outre
que dans l'actualité culturelle et mondaine de l'Exposition parisienne du
Centenaire.
"Les fontaines lumineuses, qu'en dirons-nous ? C'est une merveille qui reproduit
exactement celles de l'Exposition de 1889. Quelle jolie chose que ces jets tour à tour
bleus, roses, verts, argentés, dorés, diamantés et dont le ruissellement de bas en haut et
de haut en bas fait comme une jonglerie de perles du diamant le plus pur ! Allons tous
au Palladium”. C'est la première fois, sauf erreur, que cette “loge” est venue nous
visiter. Elle a dû faire des affaires" .400
399Ibid.
400Ibid.
401Tribune de Genève, 16-17 décembre 1894. Les archives du Parc de Plaisance nous permettent de
connaître le nom et la provenance du montreur d'Ondine : AEG A86 (Exposition Nationale), 57/68,
"Demandes d'emplacement" ((Richard Scheuffler, illusionniste - Crefeld - Théâtre des Illusions (Undine
die Feengöttin)).
91
monstrations
ANIMAUX
402Jusqu'à l'actualité : au-delà des comics classiques avec Mickey, Snoopy et Garfield et des sempiternels
documentaires télévisés, voir l'immense succès, au cinéma, des King Kong (plusieurs versions), Bambi,
101 Dalmatiens, Livre de la Jungle, Dents de la Mer, L'Ours, Jurassic Park, Le Roi Lion et autres Tortues
Ninja, sans parler, côté TV, des Lassie, Flipper (dauphin)... et côté cinéma des Beethoven 1 et 2 (Saint-
Bernard), Free Willy 1 et 2 (orque)...
92
L'aventurisme, le capitalisme et la science - ou l'audace conquérante,
la puissance financière et la connaissance - sont à la fois les piliers sur
lesquels repose l'existence d'une grande ménagerie et les valeurs qu'elle
illustre.
Il faut en effet d'abord arracher à la jungle ou à la savane, en bravant
les dangers conjugués de la nature sauvage et de groupes humains cruels et
sanguinaires, les précieux spécimens exotiques. Cela peut représenter une
véritable aventure, comme s'applique à le montrer le cadet des frères
Pianet, de la ménagerie Pianet Frères, dans un article publié lors du séjour
genevois de son établissement en 1894 : sortir un éléphant blanc du Siam
en échappant à la capture et aux sévices mortelles administrées par les
indigènes relève de la gageure . 403
Les fauves capturés sont ensuite écoulés sur les grands "marchés des
féroces" , Hambourg et Anvers, où un ours s'offre à 500 francs - trois fois
404
fauve est une métonymie d'un territoire, ce que le nom qui lui est attribué
vient parfois opportunément rappeler : un lion pourra ainsi s'appeler
Sultan , une panthère, Dahomey (un nom connu du public depuis que, en
412 413
1892, les Français ont fait de ce territoire un protectorat après avoir brisé
une résistance remarquée des populations locales). Enfin, le fauve femelle
est un formidable condensé de sensualité. Le journaliste fantasme, emporté
par l'odeur
"douce et forte (...), le parfum des grandes lionnes amoureuses, chauffées par
des soleils implacables et pâmées aux lisières des forêts vierges" . 414
410Michèle RICHET, "Le cirque", in Guy DUMUR (éd.), Histoire des spectacles , Paris, Gallimard, 1965,
p. 1529.
411Jules MONOD, "Un cinq sec dans la cages des lions", in Supplément de L'Etincelle, 20 janvier 1894.
412Ibid.
413L'Etincelle, 30 décembre 1893
414Ibid.
415Ibid.
94
"haleine chaude vient jusqu'à nous et nous percevons à travers la buée fétide, les
crocs affilés sous le muffle retroussé et dans la superbe face jaune, au rictus royal, les
yeux qui flambent comme des tisons" . 416
remet, de manière fantasmée, une partie du pouvoir dans les mains des
spectateurs mâles (et européens), qui se trouvent ainsi incorporés au jeu
comme acteurs virtuels.
Une comparaison des commentaires de la presse sur le dompteur
Emile Pianet et sur la dompteuse Nouma-Hawa permet de vérifier qu'il ne
s'agit pas de la même figure incarnée par des êtres des deux sexes, mais
bien de deux figures différentes.
95
Comme il convient à une femme, Mme. Nouma-Hawa nous est
présentée dans son cadre domestique. Sa roulotte respire le luxe, le calme
et la volupté.
"Une merveille, cette voiture de forain, la plus belle qu'il existe, paraît-il.
Imaginez-vous un ravissant petit salon oriental (...). Mme Rosée du Soir (Nouma-
Hawa), avec une amabilité charmante et tout en dégustant un petit verre de vieille fine
champagne, nous raconte son histoire (...). “Pourquoi je travaille encore, mais c'est bien
simple. En effet, je m'étais retirée des affaires, j'avais redoré un blason, j'étais
comptesse. Mais mes illusions s'envolèrent bien vite, quand je vis toutes mes
économies, fruits de tant d'années de travail et de danger s'évanouir en fumée, je me
séparais de mon mari et repris ma cravache (...)”" . 420
de son spectacle qui capture l'attention des journalistes, une image féérique
construite autour du corps de la dompteuse.
"Les représentations se terminent géréralement par l'apothéose des serpents ;
Mme. Nouma-Hawa, le corps entouré d'une demi-douzaine de ces dangereux reptiles,
apparaît soudain au fond de la ménagerie dans un nuage rose et la fumée du bengale
s'envole en même temps que s'engouffrent de nouveaux spectateurs" . 422
96
Dresseuse amateur, la marquise de X garde des lions dans son parc.
Que dire de "l'évidente volupté qu'elle éprouvait à irriter ces féroces
carnassiers, en les fouaillant parfois de sa coquette cravache", sinon qu'elle
révèle un appétit trouble plutôt qu'une aptitude à faire régner l'ordre ? En
effet, la marquise trompe le mari avec un valet. Informé par une femme de
chambre jalouse, le marquis se venge : étourdis au narcotique, les amants
se réveillent dans la nuit ligotés dans la cage. Agitant une torche, le mari
accable les lions. Le couple adultérin finit en bouillie sanglante. L'assassin
en fuite devient marchand forain... 427
pour que le public s'y attende et pour que la police s'en inquiète.
En janvier 1894 Jules Monod, journaliste à l'Etincelle, et son
confrère italien Ercole Mosti se livrent à une partie de cartes - un "cinq
sec" - dans la cage des lions de M. Pianet. Aperçu à travers les grillages,
429
et au dressage.
"Et nous partons avec le petit orgueil du danger surmonté et la grande fierté
d'avoir pu, pauvres journalistes que nous sommes, sans entamer notre derme, contribuer
à soulager quelques malheureux qui entrent tous les jours dans la grande cage où
hurlent la faim et le froid, ces fauves indomptables" . 433
97
spectacle" - une difficulté qui poussera Pianet à proposer "l'escamotage
434
des lions (truc nouveau)" . Une "foule énorme" peut cependant s'agglutiner
435
dompteuse qui se fait tuer sous les yeux de trois amateurs jouant aux cartes
dans la cage . Le périodique Le Forain Suisse, s'insurge : "[c]ette leçon
438
Emile Pianet, mal situé sur le champ de foire en décembre 1893, est
98
cependant contraint de renvoyer du monde : "[c]e qui prouve que, come
pour les bonnes marchandises, on sait se déranger et aller loin pour avoir
du bon" . "Du bon" : c'est-à-dire un cadre irreprochable - "[d]ès l'entrée, on
442
est frappé de la bonne tenue des animaux " -, un contenu qui ne se contente
pas d'être plaisant - "[a]u nombre des spectacles intéressants (...) nous
citons en première ligne la ménagerie Pianet" - et une vertu qu'on pourrait
443
après avoir parcouru les plus grandes villes d'Allemagne et de France" : 447
99
"Au Grand-Quai, il y a une baraque ne payant pas de mine, mais fort
achalandée. On y voit de superbes serpents, des alligators et un joli petit crocodile,
auquel sa maîtresse prodigue des baisers sur sa gueule hideuse" . 449
animaux savants
"Le public genevois est friand de ce genre de spectacle ; les enfants adorent voir
des chiens et des singes savants" . 450
"les perroquets qui ont eu cette année la grande vogue ; ont se bouscule pour
entrer et plusieurs personnes, lasses d'attendre, ont renoncé à la faveur de voir les
perroquets savants, d'ailleurs admirablement dressés" . 451
"Une des baraques les plus intéressantes, c'est le théâtre des puces de la Fusterie.
Le prospectus dit que “les visiteurs sont protégés contre la désertion des artistes”. La
précaution n'est pas inutile ! Le travail de ces petites bêtes confine à l'invraisemblance :
ce sont des puces bien vivantes, qui traînent de minuscules chars, des canons, des
brouettes. Il y en a même une qui fait de l'acrobatie. Combien de patience chez celui qui
les a dressées" .454
100
Le dernier mot n'est pourtant pas dit, car un propriétaire de cirque de
puces, recuillant le défi, promet une jolie somme à la personne qui
parviendra à trouvera un aimant dans son spectacle . Dans cette attente, la
455
animaux phénomènes
PHENOMENES HUMAINS
101
alors que ces derniers exploraient la variété infinie des formes de la mort,
les phénomènes sont au contraire une revue vertigineuse de la variété de la
vie. Mortels dans les musées de cire, les dérèglements de l'ordre corporel
témoignent ici de la capacité des forces vitales et de la nature humaine
d'étendre leurs droits bien au-delà de leur jurisdiction courante. Le morbide
qui règne au musée de cire fait donc place à une sorte de vitalisme étonné,
fondamentalement optimiste et, à sa façon, joyeux : la nature se laisse aller
parfois à des plaisanteries douteuses, mais elle sait se rattraper, en
permettant à ses malheureuses victimes de se reconstruire une certaine
normalité et même de développer des talents ou des grâces exceptionnels.
Ces phénomènes qui suscitent un engouement absolument extraordinaire
au XIXe siècle ne sont donc pas des monstres dans le sens que notre
époque donne à ce terme : pour le public qui les contemple fasciné, ce sont
bien des merveilles.
Dieu ne joue pas aux dés, mais il joue aux devinettes : pour le moyen
âge les monstres sont en premier lieu des créatures "que la Nature désigne
comme des énigmes vivantes" . Ils constituent des épreuves à surmonter,
460
102
Enigme signifiante et signe énigmatique, témoignage de l'étendue
merveilleuse de la Création toujours au-delà de ce qui est déjà connu et
avertissement, le monstre est progressivement diabolisé à la fin du moyen
âge : c'est de plus en plus souvent le diable, qui à cette époque joue encore
avec une certaine régularité le rôle d'homme de main du Créateur, qui est
désigné comme responsable de sa genèse . 467
103
combine avec le besoin de diversification propre aux métiers du spectacle
dans un contexte fortement concurrentiel, suscitant ainsi la vogue
extraordinaire du XIXe siècle, véritable âge d'or des phénomènes.
Systématiquement exhibés comme "instructifs" et "scientifiques", les
phénomènes nourrissent au XIXe siècle plusieurs débats savants et, plus
largement, plusieurs façons d'envisager les lois de la nature. Depuis le
siècle précédent on discute pour déterminer, cas par cas, si le phénomène
est un lusus naturae, un jeu ou une plaisanterie de la nature, ou le
représentant d'une espèce vivante inconnue . Mais au-delà de ce débat
470
470Ibid., p. 6.
471Ibid., p. 110. Un exemple : Ann Leak Thompson, femme sans bras célèbre à partir des années 1870.
Peu avant la naissance, la mère, seule à la maison, apprend que son mari, bagarreur notoire, a été aperçu
au milieu d'une rixe particulièrement violente ; elle attend son retour en se rongeant d'inquiétude ;
lorsqu'elle le voit rentrer, l'homme porte son manteau appuyé sur les épaules, et les manches pendent
vides. Pendant un court instant, Mme. Thompson croit que son mari a perdu les bras... (Ibid., p. 219).
472Ibid., p. 292.
473Robert MUCHEMBLED, Culture populaire et culture des élites dans la France moderne (XVe-XVIIIe
siècle), Paris, Flammarion, 1978, p. 97.
474Ibid., p. 99.
104
naissances à des êtres qui représentent une régression à des formes de vie
plus primitives . 475
société qui se livre à ces élucubrations. Par exemple chez les Hottentots
d'Afrique du Sud-Ouest . 484
Enracinée dans une société prise entre la fascination pour tout ce qui
relie - du télégraphe à la théorie de l'évolution en passant par le canal de
485
l'antique”, en lui donnant une pente en arrière, un nègre". Camper réfute pourtant "les théories courantes
selon lesquelles le nègre serait issu d'un blanc et d'un orang-outan". Un autre physiognomoniste, J.-G.
Lavater, fait état à l'extrême fin du siècle d'une théorie évolutive. Dans son Essai sur la Physiognomonie
(1781-1803), il "propose sa propre échelle de l'angle facial, qu'il nomme “ la ligne d'animalité ”, où l'on
voit un développement qui aboutit aussi à Apollon mais en partant, non pas du singe, mais d'une
grenouille" (Jurgis BALTRUSAITIS, Aberrations. Essai sur la légende des formes. Les perspectives
dépravées - I, Paris, Flammarion, 1995 [1983], p. 56, 59, 65-67).
481Man's Place in Nature, 1863.
482"The connecting link between humanity and brute creation" (R. BOGDAN, op. cit., p. 134-136).
483G. BEER, op. cit., p. 33.
484Selon l'histoire fabriquée pour présenter "What Is It?", la créature aurait été capturée par des
explorateurs remontant le fleuve Gambia (R. BOGDAN, op. cit., p. 136).
485Armand MATTELART, L'invention de la communication , Paris, La Découverte, 1994.
486"Dans Le Chien des Baskerville, d'Arthur Conan Doyle, paru à la fin du siècle, Sherlock Holmes
explique que résoudre le mystère, c'est trouver le chaînon manquant : ce terme désigne à la fois l'élément
essentiel qui manquait à l'enchaînement des indices et la découverte d'un homme qu'une régression
atavique a ramené à un type plus ancien, plus violent, et qui constitue en lui-même la partie manquante de
la démonstration" (G. BEER, op. cit., p. 17).
106
du XVIIIe siècle, où passe la limite entre l'homme et l'animal , la figure du 487
487Ibid., p. 24. Pour Lord Monboddo, comme d'ailleurs pour Descartes et Locke avant lui, cette limite
coïncidait avec le langage. Assez curieusement, Lord Monboddo arrivait à la conclusion que les seuls
êtres dotés de langage étaient l'homme et l'orang-outan (ibid., p. 35).
488John Ruskin s'en prend à ces “ignobles blasons qui proclament une parenté entre l'ascidie, le crocodile
et l'homme”" (ibid., p. 39).
489Dans un carnet de 1838 (ibid., p. 32).
490Ibid., p. 47. Dickens essaye dans ses romans d'ouvrir la conscience du lecteur à la perception des liens
sociaux entre les êtres et entre les classes : pour ce faire, il fabrique dans Bleak House (1853) un chaînon
manquant social en la personne de Jo, le balayeur de carrefour illettré, qui est "le point de connexion et de
croisement (...) entre les destins des groupes extrêmement différents dont Dickens retrace l'histoire" (G.
BEER, op. cit., p. 54). L'écrivaine Ellen Rangard utilise explicitement la notion dans un contexte de
classes (The Missing Link: or, Bible-Women in The Homes of The London Poor , 1859 ; The Missing Link
Tracts, 1871) ; elle se propose d'instruire un certain nombre de femmes des classes le plus pauvres pour
qu'elles deviennent "notre Chaînon Manquant (...) qui tirera des profondeurs de leur désespoir des êtres
égarés" (cité in G. BEER, op. cit., p. 51).
491G. BEER, op. cit., p. 22.
107
l'univers charlatanesque et vénal des baraques que dans les tribunes
respectacles de l'opinion bourgeoise.
qui semble partir en écailles est montrée comme un signe d'hybridité entre
l'humain et le poisson. Parfois les caractéristiques physiques de la personne
exhibée n'ont pas besoin d'être retouchées ou mystifiées : c'est le cas des
nains, des géants et des représentants de peuples exotiques ; ces êtres réels
sont néanmoins entièrement réinventés par le montreur qui les transforme,
en les dotant d'une identité et d'une biographie imaginaires, en créatures de
fiction. On ne naît pas phénomène : on le devient.
La transformation du phénomène - le spectacle à vendre - à travers le
discours du montreur - la réclame - peut être envisagée comme une
stratégie publicitaire. Le procédé est d'une modernité frappante : la
publicité ne se contente pas de faire le tour du produit pour le décrire
avantageusement, elle entre dans le produit, elle en fait partie, c'est elle qui
lui donne son sens et son identité, qui en fait précisément ce qu'il est.
Constatant l'actualité extrême de cette approche à la fin du XXe siècle, on a
acclamé en Barnum "l'inventeur de la publicité moderne" . En réalité, le
494
108
phénomènes - contribuent à mettre les phénomènes sur la voie du déclin.
Une revue des phénomènes exhibés sur le champ de foire genevois à la fin
du siècle - qui montre un secteur écartelé entre des attractions qu'on perçoit
désormais comme des vestiges honteux et d'autres qui sont en plein essor
mais qui font tendre ce genre d'exhibition vers autre chose - permet
néanmoins d'indentifier les stratégies de mise en scène et de mise en mots
qui fondent ces spectacles.
"la princesse Rosita, la plus petite et la plus jolie créature que l'on ait vue jusqu'à
ce jour, surnommée la poupée vivante" . 499
VARIATIONS
"Chacun sait qu'il existe deux catégories de nains : les noués et les nains
véritables. [Chez les premiers] [l]a tête devient presque toujours énorme (...) Ces noués
sont des êtres physiquement difformes (...). [J]e comprends qu'on ne se passionne pas
pour eux ; mais il en va autrement des “nains” véritables, c'est-à-dire de ceux qui,
remarquables par leur extrême petitesse, conservent cependant, dans l'exiguïté de leur
taille, la beauté esthétique des proportions" .. 503
500Maurice LEVER, Canards sanglants. Naissance du fait divers , Paris, Fayard. 1993, p. 19.
501Tribune de Genève, 6 janvier 1891.
502R. BOGDAN, op. cit., p. 148-165. Le midget est le "nain véritable", ayant les mêmes proportions
qu'une personne de taille moyenne, opposé au dwarf, le "noué".
503Hugues LE ROUX, Les Jeux du cirque et la vie foraine , Paris, Camille Daloy, 1889, p. 45-47.
110
bourgeois, friands de reproductions et de miniaturisations, s'extasient
devant eux.
Le corps du nain est ainsi une sorte de résumé, une synthèse du corps
humain dans laquelle le caractèresynthétique prend tout double sens : la
miniaturisation chosifie le corps et en fait ressortir le côté mécanique. Un
nain est donc en quelque sorte perçu comme un automate - une naine est
souvent "surnommée la poupée vivante" -, un corps-machine : ce corps où
504
tout fonctionne même s'il y a si peu de chose prouve à celui qui le regarde
que l'essentiel réside dans les principes fonctionnels, dans l'agencement des
pièces, dans la mécanique. Hugues Le Roux, amateur de la foire devenu
forain, 1889 :
"l'homme est, en effet, une machine si compliquée, qu'on éprouve à regarder des
créatures microscopiques qui gesticulent, qui parlent comme nous, quelque chose de
l'étonnement qu'on aurait à voir marquer les secondes par une montre merveilleuse,
seulement visible à la loupe" .505
Comme il fallait s'y attendre, les géants sont nettement moins prisés.
"Dans le voisinage, deux petits phénomènes : un zouave de 60 ans et un
garçonnet de 8 ans. Le zouave est plutôt laid, l'enfant est mignon - de sorte que les
bonbons, les gros sous sont pour le dernier, qui fait à l'autre une concurrence très
redoutable" .
506
111
présente une atroce difformité. Sous ses jupons, elle cache un second corps parfaitement
vivant. Il n'y a là rien que de très curieux. Le prospectus est curieux ! “Elle possède une
tête, deux bras, deux corps, quatre jambes et quatre pieds. PLus intéressantes que
Milliès Christine et les Frères Siamois. Reconnue de toutes les Académies de médecine.
Ne pas confondre ce phénomène avec tout ce que vous avez pu voir jusqu'à ce jour. Une
somme de 1000 fr est promise à la personne qui pourrait prouver le contraire”" . 509
HYBRIDATIONS
112
et 1880, des idées eugénistes commence en même temps à transformer ce
qui était perçu comme variation ludique sur le canevas de la nature en
erreur, pathologie ou dégénérescence à éviter. La perception vitaliste,
optimiste, confiante des monstres dans la culture foraine et dans les
cultures populaires commence à être érodée sous l'impulsion de la
médecine qui, dans son annexion progressive de tout ce qui touche au
corps humain, s'empare progressivement des phénomènes de foire : bientôt,
ce seront des malades , enfermés plus ermétiquement qu'avant dans leur
515
EROTISME
"A droite, une classique baraque de sauvage. La toile est neuve : “Bouffalo-
Boull-Boull” - la marchandise l'est peut-être aussi" . 523
autres monstrations
PROCEDES INDUSTRIELS
PSEUDO-MONSTRATIONS
116
Dans la même lignée mais moins grivois, le champ de foire genevois
propose en 1889-1890 une "femme invisible" (rien à voir) et "le secret de
ma soeur" (toutes hypothèses permises).
117
FORAINS ET SEDENTAIRES
528En Allemagne la saison dure d'avril à octobre (Florian DERING, Volksbelustigungen , Nördlingen,
Greno, 1986, p. 23). En France elle varie selon les régions ; en Bretagne elle dure toute l'année (Oliver B.
LERCH, Jr., "Les industriels forains, peuple des fêtes", in Cultures, vol. III, 1976, p. 118).
529Le degré de sédentarité des forains varie selon les pays en fonction de la possibilité ou moins de
tourner toute l'année et du cadre légal. En France on considère non seulement que les forains n'ont pas de
siège fixe pour leurs affaires, mais également qu'ils n'ont pas de domicile fixe : le forain est, selon le
règlement du 7 juillet 1926, "tout individu de nationalité française qui, n'ayant en France ni domicile ni
résidence fixe, se transporte habituellement pour exercer sa profession, son industrie, ou son commerce,
dans les villes et les villages les jours de foire, de marché, ou de fête locale" (cité in O. LERCH, op. cit.,
p. 126). En Allemagne on considère les forains comme des sédentaires : " Sesshafte, deren Beruf eine
Zeitliche Mobilität erfordert " (F. DERING, op. cit., p. 23).
118
Le développement des chemins de fer permet depuis les années 1830
d'élargir le rayon de mobilité et de mettre en route, les intégrant au monde
forain, les lourdes attractions mécaniques qui étaient apparues dans les
parcs au siècle précédent.
"Autrefois, mes chers amis, chaque forain devait être son propre voiturier et
veiller au transport de sa famille et de son commerce. Les roulottes, parfois
somptueuses que nous possédons aujourd'hui, étaient inconnues. Madame la Directrice
avec ses enfants, s'asseyait sur le char très ordinaire où étaient entassés les effets et le
matériel, tandis que Monsieur le Directeur cheminait à pied, surveillant l'attelage" . 530
530"Regards sur le passé. Souvenirs d'un vieux forain", in Der Komet, repris in Le forain suisse, 21 mars
1896.
531F. DERING, op. cit., p. 23.
532Les chiffres qui suivent ont été calculés sur la base des listes fournies par les concessionnaires à
l'administration pour obtenir les cartes d'accès au Parc (AEG A86 (Exposition nationale), 57/360, "Liste
déjà expédiées / Photographies"). Visiblement incomplètes, ces listes permettent néanmoins une
estimation.
119
d'appoint engagée le plus souvent sur une base saisonnière . Ces aides, 533
par L'Etincelle, un aristocrate qui, après avoir fait tuer par des lions son
épouse infidèle et son amant, disparaît du monde en se transformant en
petit marchand forain.
"Il vivait de peu, et pour ce, il avait trouvé une mine d'or qu'il exploitait :
lorsque ses ressources étaient à bout, il allait dans le premier chantier venu de
maçonnerie, piler de la brique en poudre impalpable, laquelle il vendait ensuite dans de
petites boîtes. Notre bonhomme assurait que ce produit, dont il gardait le secret, était
une mirifique invention pour le nettoyage des cuivres ; la crédulité humaine est ainsi
faite que cet être réalisait de brillantes affaires (...). Cet homme, dernier rejeton d'une
illustre famille, était..." .
535
120
Exposée dans la vitrine d'un charcutier du bourg, puis d'un cordonnier, la
moissonneuse miniature est assaillie par les curieux qui veulent la voir en
marche. Stimulés par ce succès, les Vergnani entreprennent en 1934 la
réalisation d'un théâtre mécanique, une maquette animée reconstituant la
vie et les travaux du bourg et de la campagne environnante, et commencent
en 1935 à le montrer lors des foires de la région. Petit à petit le succès,
mais aussi la nécessité de trouver des publics à chaque fois neufs pour une
attraction qui vit en grande partie sur la curiosité de la première
découverte, poussent les Vergnani à élargir leur rayon d'action...
"L'initiative offre l'opportunité d'observer la mutation radicale et soudaine
du mode de vie d'une communauté familiale qui, enracinée dans la culture
sédentaire par excellence, celle de l'agriculture, abandonnera la boutique et
le travail des champs pour se déplacer de façon quasiment ininterrompue
pendant plusieurs décennies, tout au long de la péninsule" . L'identité 536
foraine acquise par Mario Vergnani se transmet en effet à ses enfants, qui
circuleront bientôt de manière indépendante, l'un avec un deuxième théâtre
mécanique, l'autre avec une roue panoramique. "Il est suprenant de relever
la façon dont, en l'espace d'une génération, la composante itinérante de la
famille de Bondeno soit devenue, de nouveauté absolue déconnectée de
toute tradition, une condition irrenonçable" . 537
536Roberto RODA, Giovanni GUERZONI, "Un teatro meccanico nel ferrarese", in Elisabetta
SILVESTRINI (éd.), La piazza universale. Giochi, spettacoli, macchine di fiere e luna park ,
Milano/Roma, Mondadori/De Luca, 1987, p. 59.
537Ibid., p. 60.
538Anne CUNEO, "Frères forains qui vivez avec nous", in Youri MESSEN-JASCHIN, Florian DERING,
Anne CUNEO, Peter SIDLER, Le monde des forains du XVIe su XXe siècle , Lausanne, Editions des
Trois Continents, 1986, p. 23-24.
539Lettre de lecteur, Tribune de Genève, 12 janvier 1894.
121
parfois en dehors de la foire, dans des lieux et des contextes plus
prestigieux. Les seconds sont des sédentaires qui participent, mélangés aux
forains, aux fêtes foraines de leur propre ville : ils sont poussés par la
nécessité ou par une circonstance particulière qui leur ouvre une
opportunité inédite, tels le boucher qui se trouve en possession d'un boeuf
gigantesque et qui commence à l'exhiber.
Pour les invalides, l'exercice de la musique mécanique lors de fêtes
foraines est essentiellement une forme de mendicité qui fait ressurgir
l'ambiguité inscrite dans le travail de l'amuseur ambulant depuis
l'antiquité : le public paie pour l'agrément que le joueur d'orgue lui procure,
ou parce qu'en tournant la manivelle le joueur attire l'attention du passant
sur sa misère ? Si l'on s'en tient aux commentaires de la presse, le doute
n'est pas permis.
"Le long de la Corraterie, sur les ponts, s'étalaient de nouveau les misérables
éclopés : aveugles, bancals, boîteux, culs-de-jatte, pour lesquels le nouvel-an est une
excellente aubaine, longtemps escomptée à l'avance. On n'ose vraiment pas faire la
guerre à ces malheureux, qui sont à plaindre, bien que souvent fort importuns" .
540
Français sont, semble-t-il, les forains les plus "casaniers" : "la terre de
540Tribune de Genève, 1-2 janvier 1896.
541R. RODA, G. GUERZONI, op. cit., p. 61.
542F. DERING, op. cit., p. 23.
122
France est si douce à ses enfants" que le forain "se contente de faire au
543
Les forains qui animent le champ de foire genevois sont surtout des
Suisses, des Français, des Allemands, quelques Italiens. Peu de Genevois
sont cités dans les comptes-rendus de la presse, sans doute parce que, à
l'exception de quelques attractions d'une certaine envergure comme le
musée d'Otto Thiele, il s'agit surtout de "petits" forains que les journalistes
laissent dans l'ombre. Parmi les Suisses cités, les noms alémaniques
dominent, comme ils dominent d'ailleurs dans les "listes de présences" des
membres sur les champs de foire dressées par le Forains Suisse.
L'état de conservation et d'accessibilité des archives du Département
de justice et police de Genève et un certain flou, pour la fin du XIXe siècle,
dans la répartition entre les autorités communales et cantonales des tâches 545
547Robert BOGDAN, Freak Show. Presenting Human Oddities for Amusement and Profit , Chicago,
University of Chicago, 1988, p. 58-59.
548Les principaux journaux des forains sont :
- en Allemagne : Der Artist - Central-Organ zur Vermittlung des Verkehrs zwischen Directoren
und Künstlern der Circus, Varietebühnen, reisenden Theater und Schaustellungen , Düsseldorf, fondé en
1883, hebdomadaire ; Der Komet - Organ zur Wahrung der Interessen der besitzer von
Sehenswürdigkeiten und Schaustellungen jeder Art , Pirmasens, fondé en 1884, paraît trois fois par mois ;
Revue - Organ der Internationalen Artisten Genossenschaft - Central-Organ des Circus, Variete- und
Specialitäten-Bühnen sowie Concert-Etablissements, der Schausteller und reisenden Geschäfte , Berlin,
fondé en 1886, hebdomadaire ;
- en Belgique : Le Forain Belge - Seul organe officiel du Algemeene Belgische
Foorreizigersbond , foncé en 1892, bimensuel ; devise : "Moralité, Honorabilité, Aide et Assistance
Mutuelles" ;
- en France : Le Voyageur forain - Organe de la Chambre Syndicale des Voyageurs Forains ,
Paris, fondé en 1883, bimensuel, journal des "petits" forains, rebaptisé en 1886 L'Industriel forain ;
L'Union mutuelle - Organe Officiel de tous les Industriels et Artistes forains , Paris, fondé en 1887,
hebdomadaire ; devise : "bien faire et laisser dire", journal des "gros" forains ;
- en Grande Bretagne : The Era, Londres, fondé en 1837 ;
- en Suisse : Le Forain suisse - Organe officiel du Syndicat des commerçants et industriels
forains, Lausanne, fondé en 1893, habdomadaire ; devise : "Solidarité - Travail - Probité / Nos devoir et
nos droits" ; remplacé en 1896 par Die Reise - Tour du monde. Organe pour la sauvegarde des intérêts
des industriels forains et des industries similiaires , fondé en 1896, hebdomadaire ;
- aux Etats-Unis : The New York Mirror ; New York Clipper ; Billboard.
(sources : AEG A86 (Exposition Nationale), 57/352, "Journaux de Forains" ; R. BOGDAN, op.
cit., p. 70 ; F. DERING, op. cit., p. 11 s. ; Z. GOURARIER, op. cit., p. 90 ; H. LE ROUX, op. cit., p. 3, 6,
17, 18).
549H. LE ROUX, op. cit., p. 7.
124
prix des emplacements et sur la qualité des affaires qu'on peut y escompter,
et donne retrospectivement des appréciations sur la manière dont les fêtes
se sont déroulées.
Le journal se veut également le miroir fidèle de la vie d'une
communauté éparpillée : les exploits, les accidents, les mésaventures, les
décès des membres de l'association sont régulièrement relatés. Des
feuilletons - constitués souvent par les souvenirs d'un vieux forain -, des
correspondances décrivant les foires dans des pays éloignés, des synthèses
de nouvelles d'argument scientifique et technique parues dans la presse
quotidienne contribuent à former une culture commune aux horizons
temporels, géographiques et thématiques élargis, sans toutefois jamais
perdre de vue le champ de foire.
Affleurant partout dans ces articles, faisant parfois l'objet de textes
spécifiques, un débat de fond parcourt ces journaux d'un bout à l'autre. On
constate, on dénonce le fait que les forains ne sont toujours pas considérés
autant qu'ils le méritent et qu'ils le désirent. On déplore la permanence de
vieux préjugés à leur encontre, et on relève avec inquiétude l'apparition
d'hostilités nouvelles. On s'indigne des difficultés croissantes posées par les
administrations, de leurs exigences financières de plus en plus intolérables.
On s'estime discriminé par rapport à d'autres industriels, non seulement en
termes moraux mais aussi en termes bien concrets : pourquoi les forains ne
bénéficient-ils pas des rabais que les chemins de fer accordent à d'autres
branches économiques ?
L'objectif de ces plaintes n'est pas de se consoler en constatant que le
malheur est généralisé : les journaux forains entretiennent à dessein
l'indignation de leurs lecteurs pour les pousser à agir à travers une
revendication collective. Pour cela, il faut maintenir vivantes et consolider
les structures associatives qui, seules, sont en mesure de négocier en
position de force avec les administrations. Parallèlement à la culture
commune, les journaux forains participent ainsi à la formation d'une
opinion commune et d'une masse critique de mécontentement organisé
susceptible de transformer l'opinion en négociation.
La position des forains face à une société qui se durcit à leur égard
est, comme nous le verrons, une position de compromis. Les forains tentent
de gommer, au moins partiellement, au moins en surface, les traits qui leurs
semblent motiver l'ostracisme dont il sont l'objet. La dernière fonction des
journaux forains est moralisatrice et standardisante : on s'efforce de faire
adopter à tous les membres de la branche les pratiques jugées nécessaires à
la conquête de la respectabilité. Les devises choisies par les journaux
témoignent de manière éloquent de ce souci : "Moralité, Honorabilité, Aide
et Assistance Mutuelles" (Le Forain Belge), "Bien faire et laisser dire"
(L'Union mutuelle), "Solidarité - Travail - Probité / Nos devoir et nos
droits" (Le Forain suisse).
125
les forains par eux-mêmes
UN PEUPLE LIBRE
"[L]e forain aime cette existence mouvementée et variante, tout comme le marin
aime son navire" . 550
"[L]a terre n'a pas d'hôtes plus libres que ces hommes" . 551
attitude peut aller jusqu'au franc mépris à l'égard de ces ploucs immobiles,
"naïfs et bornés ; ils vivaient des vies banales et ne savaient que peu de
choses du monde en dehors de leur bourg" . 554
126
A cette hérédité s'ajoute au fil des ans "ce sens pratique que
développe, chez l'individu le moins cultivé, la constante habitude du
voyage" . 556
comme Genève (le m2 se loue 1 francs 50 dans les rues, 2 francs sur les
places) maintient au moins ses prix sans les augmenter, plusieurs villes
558
exploitent les forains sans se faire de scrupules, c'est parce qu'au fond elles
les estiment au mieux inutiles, au pire nuisibles, indignes en tout cas de la
compréhension qu'on accorde à des activités jugées honnêtes et
productives. Pour se défendre, les forains contre-attaquent : cette morale
qui prétend séparer le bon grain industrieux de l'herbe folle festive finit par
protéger des spéculations douteuses.
"Une banque de la localité [de La Chaux-de-Fonds] a suspendu ses paiements et
c'est aux comédiens, comme on daigne bien nous qualifier ici, à en supporter les
conséquences (...). L'automne dernier une feuille de cette localité s'est permise de
maltraiter ignoblement les forains, comme si nous n'étions qu'une bande de vagabonds
556Ibid., p. 3.
557Le Forain suisse, 18 mai 1895.
558"Règlement concernant les places accordées aux marchands forains à l'occasion des fêtes du 31
décembre (Du 4 Octobre 1876)", in Recueil des règlements municipaux de la Ville de Genève , Genève,
Schira, 1884, p. 297.
559Le Forain suisse, 30 novembre 1895.
560Armand PLÜCK, "Le forain", in Le Forain suisse, 28 décembre 1895.
127
et de voleurs. Lorsqu'un commerçant ou une banque font perdre des centaines de mille
francs et réduisent à la misère une quantité de familles, on les excuse en disant que leurs
spéculations à la bourse ont été malheureuses" . 561
128
les forains par les autres
montagne russe, qui fait moins de tours par heure), plus de 8'000 en 1894-
1895 et 6'400 en 1895-1896 .
568 569
est bonne et si la dame assise au comptoir est entourée de sacs de monnaie" "[L]es571
carrousels ont encaissé des recettes fabuleuses (...). On comprend que cette industrie ait
le courage de supporter de très longues saisons mortes" 572
bien rire aux dépens de ce bon public, se précipitant dans leurs carrioles, comme s'il
avait hâte de les enrichir au plus tôt" . 574
pénibilité est ignorée ou niée, mais parce que il ne produit, au mieux, que
du vent, et au pire une régression puérile, un épanouissement des penchants
les plus futiles et les plus déplorables de la nature humaine : le plaisir de
rire sur le dos d'autrui, la recherche de l'illusion, de l'étourdissement, de
l'altération, de l'épouvante... Le journal s'en prend au fond davantage au
public qu'aux forains - qui tourneront tant qu'il y aura du monde qui aimera
tourner.
"Le vélocipède Souzet n'a pas désempli : c'est un passe-temps des plus agréables
que celui d'enfourcher un bicycle imaginaire et de se persuader qu'on fait marcher la
interchangeables : la ligne qui les partage est celle qui sépare la vision du
monde bourgeoise de celle des classes populaires. Pour ces dernières le
forain est un étranger toujours prêt à tromper son public par le mensonge ;
pour le bourgeois il est au fond un concurrent, susceptible de détourner les
dépenses et l'attention du bon peuple vers des objectifs improductifs.
La Tribune mélange les deux approches, adoptant un point de vue
proche de la suspicion populaire lorsqu'elle ironise sur les "estropiés
simulés ou réels, depuis l'aveugle sans le savoir jusqu'au boîteux marchant
droit" qui tournent leurs manivelles à la Corraterie, ou lorsqu'elle s'en
584
131
yeux du journaliste cette marge d'incertitude doit être éliminée de l'échange
par la surveillance des pouvoirs publics, appelés ainsi à vérifier que le
badaud en voie toujours pour son argent, car
"[s]ous certaines annonces qui peuvent faire croire à un spectacle intéressant, on
vous présente de stupides fumisteries, bonnes à peine à tromper les goîtreux les plus
crétinisés" .
586
586Eugène PITTARD in La patrie suisse, article repris in Le forain suisse, 22 février 1896.
587Tribune de Genève, 3 janvier 1896
588Tribune de Genève, 4 janvier 1890.
589Tribune de Genève, 1-2 janvier 1892.
590Tribune de Genève, 1-2 janvier 1892.
591Tribune de Genève, 1-2 janvier 1893.
132
LA FOIRE : UN MIROIR CRUEL
"L'aboyeur de cette maison s'est plaint de la musique de ses voisins disant qu'on
faisait marcher l'orgue pour étouffer les plaintes des gens qui sortaient de cette baraque.
La concurrence, quelle belle chose !" . 594
"[A] travers les buées de la vapeur, on peut observer les employés épouser les
querelles des patrons, dévorant avec des yeux injectés d'envie et de féroce jalousie, le
voisin plus occupé" . 595
C'est dès lors sous les traits d'une image d'Epinal cruelle, faite de
monstres tristes, de culs-de-jatte, d'exploiteurs cruels, de concurrences
meurtrières, de crimes sordides, de beautés meurtries ou flétries, de faux-
592François HAGUENIN, "Un monde inconnu : mes amis les forains", in Etudes, 5 mars 1938, p. 15, cité
in Oliver B. LERCH, Jr., "Les industriels forains, peuple des fêtes", in Cultures, vol. III, 1976, p. 117.
593"Réflexions sur les sociétés d'industriels forains et leur efficacité", in Die Reise - Tour du monde.
Organe pour la sauvegarde des intérêts des industriels forains et des industries similiaires , n. 19, 9 mai
1896 (Organe officiel du Syndicat suisse des commerçants et industriels forains)
594Tribune de Genève, 1-2 janvier 1892.
595Tribune de Genève, 19 décembre 1893.
133
semblants, d'amours sans lendemain, de parcours tortueux, d'énergie brute,
primaire, violente, de contrastes, dorures et haillons, de maladies
honteuses, de savants fous, de machines sans but, de tyrans, à deux sous et
d'humanité misérable que le champ de foire du XIXe siècle s'imprimera
dans l'imagerie du XXe.
"J'estime que ces petites kermesses arrivant à des époques régulières, jettent
quelque gaîté dans notre existence habituellement terne et sombre. Il y a là pour
beaucoup de petites gens, qui méritent qu'on s'intéresse à eux comme à d'autres, le
moyen de gagner quelques sous. Donc, laissons les esprits chagrins et les faux puritains
crier contre les baraques du nouvel an, et continuons gaîment à faire notre tournée du
trente-et-un" 598
Face à cet objet exotique qu'est le "peuple des fêtes" - "ce peuple 599
encore aussi épars, aussi varié, aussi bariolé, aussi vagabond que ses aïeux
les Zingari, [c]ette tribu, carrefour de toutes les nations et de tous les
types" -, le journaliste se fait un peu ethnologue. Pour son regard et pour
600
134
Les résultat les plus amusants s'obtiennent en superposant les rôles
fictifs aux faits réels de la vie foraine, comme la naissance d'un enfant dans
la "voiture de saltimbanques" de la famille Redonnet, qui exploite un
musée vivant :
"La mère (...) avait rempli la veille au soir encore le rôle de Jeanne d'Arc (...).
On appela une sage-femme qui donna les soins les plus dévoués à Jeanne d'Arc et à son
enfant (...). Les porteurs du brancard durent passer à côté de la guillotine, qui avait servi
dimanche après-midi à l'exécution de Ravachol, et le soir à celle de Pranzini. Les braves
infirmiers ne frémirent point : ils voient la mort naturelle de trop près pour s'émouvoir
des décès artificiels du champ de foire. Une dame de la société - Vénus, sauf erreur -
monte dans la voiture avec le bébé (...). Le père, connu sous le sobriquet “Le diable” a
fait les démarches nécessaires" . 602
LA CONQUETE DE LA RESPECTABILITE
"L'une des baraques les plus brillantes, c'est le Palais des cacatoès, le paradis des
perroquets (...), dont le spectacle est des plus convenables" .
607
"M. et Mme. Hill sont professeurs de science occulte et font partie de plusieurs
sociétés savantes. Ils sont plusieurs fois médaillés et diplômés, talismans pour le travail
d'astrologie et révélation par des secrets connus jusqu'à ce jour d'eux seuls (...). Le
public est prié de ne pas confondre M. et Mme, Hill avec les têtes parlantes que l'on a
vu jusqu'à ce jour" . 609
"Le prospectus dit que l'Aérolithe a été visité dans tous les pays par la noblesse
et la haute banque. On aimerait bien savoir pourquoi. Il paraît que c'est un spectacle fin
de siècle ; l'image est à la mode" . 610
"Et pourtant, [le forain] mérite-t-il tant de dédain et tant de vexation ? Non, car
ceux qui médisent de lui ne le connaissent pas, et s'ils le connaissaient, leur opinion
changerait radicalement. S'il est un corps de métier où règne la solidarité, la probité et
l'amour du travail, c'est bien dans celui-là (...) L'enveloppe chez lui est rude, comme
rude est le métier qu'il exerce, mais le coeur est d'or (...). On en trouve quelque fois
d'aisés, voire même de riches, mais c'est à la sueur de leur front et par un travail
opiniâtre qu'ils ont réussi, car il n'est d'exemple de forain enrichi par de louches
tripotages de bourse, de faillites heureuses ou d'incendies providentiels ! Beaucoup de
ceux qui le méprisent peuvent-ils en dire autant ?" . 614
137
ces forains dont on copie tous les trucs pour les approprier à nos grandes
administrations ? Ne sont-ils pas, en un mot, les pionniers de la civilisation et du
confortable" . 615
NUISANCES ET PROFITS
"Ce stationnement provisoire n'est pas fait pour l'agrément des habitants du
boulevard, qui connaît par coeur tous les airs de tous les instruments mécaniques
employés par les “gens de baraque”. Ce n'est guère amusant" . 621
138
"Hier dimanche, le brouhaha a commencé sur la Plaine : 3 carrousels, dont un à
vapeur, 2 tirs mécaniques, tout cela faisait un bruit infernal. Et ce n'est qu'un “petit
acompte”" . 622
"[L]a colonie de fin d'année qui vient occuper la plaine de Plainpalais s'est
accrue de plusieurs nouveaux numéros, au grand chagrin des oreilles sensibles" 623
"Les baraques de tous genres, les carrousels, qui “travaillent” en ville pendant
les fêtes vont s'installer pour quelques tours à Plainpalais, au grand plaisir des uns, au
vif chagrin des autres" . 624
Le tapage de la fête foraine fait l'objet au début des années 1890 d'un
conflit qui occupe trois hivers et qui voit s'activer plusieurs groupes de
citoyens, ainsi que la municipalité de Plainpalais et le Département de
justice et police (DJP). Un grand nombre d'acteurs participent au débat, se
groupant en comités et en associations, utilisant les colonnes de la presse
pour rendre publics les arguments respectifs, se consultant les uns les
autres et agissant comme groupes de pression auprés du gouvernement
cantonal, jusqu'à atteindre un apaisement relatif du conflit. Exemplaire à
plusieurs égards, cette épisode mérite un traitement détaillé.
- Le 20 novembre 1891 "un grand nombre d'habitants et propriétaires
des communes de Genève et Plainpalais" remettent au DJP une pétition
demandant "que des mesures soient prises à l'égard des baraques de
saltimbanques, marchands forains" . 625
prouver par des factures) fr 15 000 ; aux petits commerçants, bien plus, puisque cela
constitue une ressource pour leur existence" ;
- les forains permettent à différentes associations de se
financer.
"En outre, cela a rapporté au comité du tir environ fr 30 000 ; au comité du
concours musical, fr 4 000 ; au comité du concours de gymnastique, fr 5 000. Chacun
628Recettes de la Ville de Genève pour la location d'emplacements lors des fêtes du 31 décembre
(source : Compte rendu des recettes et des dépenses de la Ville de Genève pour l'exercice de ... [1889...
1900], Genève, Soullier, 1890... 1901 :
annéerecettes (francs) pour location d'emplacements lors des fêtes du 31 décembrerecettes en %
du poste "halles et marchés"18895'911.--6.718907'894.--
8.818918'392.409.118926'910.307.218937'826.508.018947'318'607.2189510'406.2010.2189610'149.909.
2189713'031.7511.6189815'149.0513.2189914'241.65190016'466.90Le budget communal de Genève
passe, côté recettes, de 2.5 millions en 1889-1893 à 3.2 en 1894-1895, bondit à 5.6 en 1896 (suite au
démarrage de l'exploitation des Services industriels), et augmente ensuite régulièrement jusqu'à 7.3
millions en 1900.
Les comptes rendus financiers de la commune de Plainpalais, conservés aux archives
municipales de Genève, ne sont pas assez détaillés pourpermettre une comparaison des recettes pour les
locations aux forains.
140
pourra donc juger le tort immense que cela ferait sur la place aux divers commerçants,
aux administrations cantonales et communales et aux comités de fêtes" ;
- il est normal de tolérer du bruit lorsqu'il correspond à des
activités jugées socialement utiles.
"Que dirait-on si les propriétaires des environs des Voies étroites prenaient la
fantaisie de demander qu'on les supprime, parce que le bruit des trains et le sifflet des
locomotives les empêchent de dormir ; ce bruit pourtant existe jour et nuit, tandis que
sur la Plaine, il n'y a que le dimanche après-midi" ;
- si l'on cède à ces pourfendeurs du bruit, on se sait pas où cela
va s'arrêter.
"Mais, si l'on cède cette fois aux exigences de ces messieurs, ne pourront-ils pas
venir plus tard réclamer et prétendre que l'Harmonie Nautique et la Chorale la Muse en
faisant leurs répétitions leur cassent la tête et les empêchent de dormir. Quant aux
désordres, personne n'en connaît, ni le poste de gendarmerie, ni la mairie, ni le
département de justice et police. Enfin, l'affaire est entre les mains du Conseil d'Etat,
dans lequel nous avons pleine confiance, nous souvenant du discours de prestation de
serment où M. le président du Conseil d'Etat Ador a déclaré connaître les souffrances
du commerce et employer tous ses efforts pour le soutenir”" . 629
141
- Le débat reprend en décembre 1892. Un "Comité spécial des
intérêts de la commune et des habitants de Plainpalais" demande
l'expulsion des forains de la Plaine. Parallèlement, un autre groupe
demande, à l'inverse, que la présence des forains au centre-ville pour le
nouvel.an soit élargie...
"un groupe de citoyens ont demandé au Conseil Administratif de prolonger le
délai de stationnement et de le porter à quatre jours. On demandera aussi aux forains de
se disseminer un peu sur les différents points de la ville, afin de généraliser un peu le
mouvement au lieu de le concentrer sur les Rues Basses et le Grand Quai. C'est là une
excellente idée" . 632
142
autres. Quant aux arguments de fond, la majorité estime que les forains ne méritent pas
tous l'intérêt qu'on leur porte ; quelques-uns sont d'une moralité douteuse" . 637
"Rétablissons les faits : D'un commun accord, il a été arrêté entre les trois
groupes que les baraques pourraient s'établir sur la Plaine à partir du 12 décembre. Or,
le 8 décembre elles étaient déjà installées ! De quel côté les conventions ont-elles été
observées ? Nous laissons au lecteur le soin de répondre et de juger" 641
143
fait observer très strictement les dispositions, limite en quelque mesure l'activité de tous
ces industriels" .644
"Les plaintes sont moins vives et surtout moins générales que l'année
dernière" .645
"Il paraît que la jolie petite ville de Sables-d'Olonne compte dans son sein - à
l'instar de Paris, s'il vous plaît - des “foirophobes” et qu'il a été question d'expulser,
comme de simples princes, de la renommée station balnéaire les industriels forains"
144
La feuille locale d'où le Forain reprend la nouvelle - le Journal des
Sables - attribue cette initiative aux "attractions" locales craignant la
concurrence foraine. Un poème complète l'article, synthétisant avec ironie
l'ensemble des griefs traditionnels contre les forains :
"On veut vous expulser, pittoresques Forains,
Sous le prétexte faux que les charmants refrains
Des bugles, des pistons, des joyeuses trompettes
Sont pour couvrir le bruit des vieilles escopettes
Que vous braquez le soir sur les passants tardifs !
Puis vous jetez des sorts... (...)
Quoi ! n'apportez-vous pas dans les plis de vos tentes,
Que vous fixez au sol du seul droit des patentes,
des microbes nouveaux par vos gens récoltés,
Gens de corde et de sac qui nous ont envoûtés ?
Mécréants, fuyez tous les bords de notre plage,
Allez en Juifs-Errants de village en village,
Promenez-y vos ours. Montrez-y vos guignols,
Vos trucs, vos gitanas, tous vos faux Espagnols,
Vos Arabes, vos Turcs, nés natifs de Montmartre,
car nous la connaissons. Et nos museaux de martre
Valent ceux des renards dont vous vous affublez (...)" . 648
146
FORAINS, CITOYENS ET BADAUDS
"[L]a foule moutonne, elle s'égaie, elle a des promiscuités dont elle aurait rougi
hier et qui la réjouissent aujourd'hui que c'est fête (...). C'est si bon, au fond, de penser
ce que le coup de tempête d'un carrousel plus ou moins à vapeur, le contact d'un bars
potelé et l'ivresse légère d'un grog pris sans façon au café voisin, peuvent sans qu'on
s'en doute, dans le tumulte de la joie commune, faire oublier de déboires et de
rancoeurs. Et la bonne foule, bête et stupide, rit, tire de pipes, escalade des montagnes
franco-russes, fait crisser des tourniquets à biscômes où l'on gagne des vases de jour et
de nuit et des caramels du temps d'Esaü, agace les fauves de Pianet, en dépit de
l'influenza, des mômiers, de la bise, des brouillards, du bureau des Poursuites et de
toutes les calamités nationales de notre beau pays de Genève" . 650
à s'amuser.
"La volonté du peuple de s'amuser le plus tôt possible s'est manifestée d'une
façon frappante vers cinq heures et demie, place de l'Ecu. De nombreuses personnes
grandes et petites, attendaient avec anxiété le moment où le carrousel aux chevaux
galopants serait enfin débarrassé de sa toile" . 654
"ce bon public de Genève. Nous dirons “de Genève”, c'est un peu excessif, car
on ne rencontre partout que des figures nouvelles. Les habitants des communes rurales,
profitant des trains supplémentaires, sont venus nombreux ; nos bons amis de la Savoie
nous font leur grande visite annuelle" . 660
l'an, c'est
"le jour des bonnes, qui ont dû garder la maison les jours de fête pendant qu les
maîtres faisaient leur tour en ville. Et ces excellentes filles s'en sont donné ; elles
encombraient le carrousel des chevaux galopants" . 662
"La foule s'est arrêtée volontiers devant cette loge, n'y entrant pas, car les
boniments de la porte paraissent plus amusants que les réalités de l'intérieur" . 665
eux, aussi, une attraction. Des hommes regardent les bonnes tourner
663Voici à titre indicatif les prix des billets pour quelques attractions et quelques termes de comparaison :
carrousel "vieux jeu"5 ctcarrousel "vague de l'océan"10 ctphonographe10 ct l'air après les
fêtescarrousels divers20 ct, 10 ct après les fêtescarrousel montagne russe20 ct adultes, 15 ct enfants, 10 ct
après les fêteshippodrome20 cttournant (loterie)20 ctmusée vivant30 ct après les fêtesfamille de nains
premières places 50 ct, secondes 25 ctphotographie1 fr les 4 portraitssomnambule (consultation)1 fr
dimanche, 50 ct lundi1 kg de pain (1ère qualité)34 ct (moyenne des années 1890)1 kg de beurre2.49 frs
(id.)12 oeufs1.00 frs (id.)1 kg de pommes de terre7 ct (id.)1 exemplaire de la Tribune deGenève5 ct
(id.)salaire journalier d'un ouvrier agricole 2.03 frs (moyenne des années 1890)salaire annuel d'un facteur
1795.50 frs (moyenne de 1890 et de 1900)Sources : Tribune de Genève, 30 décembre 1890, 3 janvier
1891, 19 décembre 1893, 31 décembre 1893 - 1 et 2 janvier 1894, 3 janvier 1894, 7-8 janvier 1894, 1-2
janvier 1895, 6-7 janvier 1895, 3 janvier 1896 ; Paul BAIROCH, Jean BATOU, Jean-Paul BOREE,
Annuaire statistique rétrospectif de Genève , Genève, Département d'histoire économique et sociale, 1986,
p. 56, 57, 62.
Un lecteur de la Tribune se plaint du renchérissement des divertissements forains. "Ces prix sont
absolument exagérés, ce n'est plus un divertissement pour la foule". Les chiffres qu'il donne, pour les
années 1890 comme pour les années 1870, semblent pourtant peu fiables au vu des données reportées ci-
dessus, et ne tiennent pas compte de la montée générale du niveau des prix et des salaires. La fin de la
lettre fait pense que l'objectif de son auteur est un autre : "La Ville fait une affaire en louant ses places,
mais il vaudrait mieux qu'elle modérât un peu ses prétentions en vue de l'agrément public" ( Tribune de
Genève, 3-4 janvier 1891).
664Tribune de Genève, 29 décembre 1893.
665Tribune de Genève, 3 janvier 1890.
666Tribune de Genève, 1-2 janvier 1891.
667Tribune de Genève, 1-2 janvier 1893.
668Tribune de Genève, 6-7 janvier 1895.
669Tribune de Genève, 1-2 janvier 1893.
149
"Et ces excellentes filles s'en sont donné ; elles encombraient le carrousel des
chevaux galopants : leur contenance, leur maintien faisaient la joie des badauds" .670
"[U]ne sirène à vapeur, imitant à s'y méprendre la voix humaine, faisait entendre
de temps en temps des cris de joie artificiels qui faisaient tressaillir les gens de la
campagne ; “ils s'amusent trop là-dedans, dosait une jeune paysanne, c'est pas des cris
convenables”" . 674
1896. "Le soir (...) on circulait pour circuler, car il n'y avait en réalité pas une
seule “baraque” intéressante ou nouvelle" . 678
"Les bateaux sont dépassés : c'est un chemin de fer circulaire qui s'offre aux
amateurs de mouvement" . 680
source d'éclairage (la lampe à arc, utilisée dans des lieux de spectacle et de
production depuis les années 1830, dans la rue à partir de la fin des années
1870 ), puis comme moyen de transmission (le télégraphe électrique,
684
depuis les année 1840 ; le téléphone, à partir des années 1880 ), enfin 685
154
seulement un réservoir d'artifices, mais également un argument de vente :
nous avons rencontré la loge d'"Ondine la reine des mers" et son spectacle
qui "en rapport avec les nouvelles découvertes de la science" .
L'électricité est surtout utilisée pour son éclat : la loge du
"Palladium" présente des fontaines lumineuses ; les chevaux des "Gondoles
vénitiennes" ont des yeux flamboyants et des harnais de lumière ; les
grands carrousels se parent de lampes colorées qui remplacent
progressivement l'éclairage au gaz et à l'acétylène.
Féerique dans les spectacles illusionnistes, grisante dans le décor des
carrousels, l'électricité en tant que source d'étonnement se surpasse dans les
attractions audiovisuelles, les futurs véhicules de la culture de masse - le
phonographe, "la plus étonnante découverte du XIXe siècle" , puis le 692
cinématographe - qui font ici, sur le champ de foire, leur début en société.
des techniques, le champ de foire se situe quelque part dans une zone
intermédiaire entre le laboratoire du savant et l'implantation dans la vie
quotidienne des larges couches de la population. En cela, le champ de foire
n'est pas seulement un des nombreux lieux colonisés par les sciences et les
techniques à la fin du XIXe siècle : c'est aussi un lieu où les nouvelles
trouvailles sont captées, appropriées, mises en circulation selon des
modalités qui ne sont pas une simple application du protocole d'usage
élaboré par leurs inventeurs.mais qui s'enracinent dans les pratiques de
cette culture populaire nomade et marchande qu'est la culture foraine. Loin
L'ACTUALITE SOCIO-CULTURELLE
modèles dits "dans le vieux jeu" ou "du bon vieux temps" , sans vapeur et
698 699
158
qu'un sou" . L'année suivante, "les carrousels primitifs, ceux de notre
704
"A droite, une classique baraque de sauvage. La toile est neuve : “Bouffalo-
Boull-Boull” - la marchandise l'est peut-être aussi" .
711
"On ne peut pas traverser la rue du Rhône sans rencontrer deux ou trois
chanteurs ambulants, débitant les plus récentes mélodies - de celles que nous font avaler
depuis des mois les pensionnaires de nos cafés-chantants" . 712
"Le grand “Musée vivant Pietro” est pour la première fois dans nos murs (...). Le
directeur annonce que tous les décors sont “remis à neuf” - et il n'oublie pas d'insister
sur cette liaison" . 713
159
Il faut croire que nous sommes encore un bon terrain à exploiter pour les carrousels ;
cela n'aura qu'un temps" . 714
Mais il n'y a rien a faire : toute la linéarité que les journalistes tentent
d'introduire dans l'histoire qui se déroule, année après année, sous leurs
yeux est systématiquement mise à mal. Une année après ce faire-part
prématuré, pour le nouvel-an 1890-1891, les baraques sont plus
nombreuses et achalandées que jamais. Du coup, les signes présumés de
déclin ne semblent plus qu'un mauvais effet de la météorologie ou des
humeurs du journaliste. L'hiver 1893-1894, loin de se ratatiner, le champ
de foire s'épanouit.
"Il y a longtemps qu'on n'avait vu semblable quantité d'exhibitions" . 715
Quatre ans après le "cela n'aura qu'un temps", voici débarquer des
carrousels dernier cri.
"Le luxe moderne a peu à peu chassé des champs de foire les chevaux de bois de
notre enfance, dont les gros yeux aux tons verts très crus, faisaient alors notre bonheur.
Il faut être capitaliste, en 1893, pour monter un carrousel ; la vapeur a remplacé la
manivelle à bras, puis le vieux cheval, “qui tournait toujours”, come le dit la chanson. Il
y a même progrès ; le carrousel à bateaux d'il y a 10 ans est détrôné à son tour par la
montagne russe. Ici, tout est luxe : les banquettes rembourrées sont couvertes de velours
grenat et mauve ; les panneaux ne sont que dorure et sculpture - le tout suffisamment
criard" .
716
comme à la foire.
Pour remplir son rôle mobilisateur, l'exposition ne peut se contenter
de faire appel à la raison : elle doit aussi remuer les affects. Les artistes de
tout poil et les entrepreneurs du divertissement sont donc mis à
contribution pour parsemer de fête, de spectacle et d'agrément décoratif
l'encyclopédie vivante du travail humain, qui vient ainsi à ressembler à un
jardin de délices... ou à une "kermesse de barrière" . La porte ouverte au 723
finalement "le progrès n'[a] été là, dans cette submersion progressive de
722"[Q]u'est-ce que fait donc la Galerie des machines (...) sous couvert de pédagogie technique, si ce n'est
de l'esbrouffe, voire de la magie, avec de la mécanique ?" (Pascal ORY, 1889. L'Expo universelle,
Bruxelles, Complexe, 1989, p. 112).
723RASTIGNAC, "Courrier de Paris", in L'Illustration, 22 juin 1889, p. 518, cité in A. MATTELART,
op. cit., p. 152.
724Robert BOGDAN, Freak Show. Presenting Human Oddities for Amusement and Profit , Chicago,
University of Chicago, 1988, p. 47-54.
725P. ORY, op. cit., p. 111.
164
l'utile par le merveilleux, de la machine par la fête". Se rêvant comme un
modèle pour bâtir un monde raisonnable et ordonné, l'exposition finit en
effet par oeuvrer efficacement à l'inauguration d'une civilisation hédoniste,
narcissique et ébouriffée, mélange bizarre d'épanchements populaires et de
prétentions bourgeoises.
S'il est vrai que "[l]'esprit des Expos était ainsi fait qu'il tourna, pour
finir, tout en fête foraine" , il faut dire aussi que la fête foraine elle-même
726
Foire".
En octobre 1894 cette dénomination sans doute trop banale est
remplacée par celle, plus événementielle, de "Kermesse". Le Comité
décide en même temps de placer cette partie de l'Exposition sous une
administration séparée, qu'il confie à l'arbitre de commerce A.-M.
Cherbuliez : "ce nom seul est une garantie de succès pour ceux qui
connaissent son intelligence, son activité et son entente des affaires",
commentera l'Echo de Plainpalais . Selon les termes de la convention
729
devra comprendre des "spectacles forains choisis parmi les meilleurs", des
726P. ORY, op. cit., p. 126.
727AEG A86 (Exposition nationale), 57/361.18, "Rapport au Comité central sur le Parc de Plaisance".
728L'Echo de Plainpalais, 8 août 1895.
729L'Echo de Plainpalais, 8 août 1895.
165
"[a]ttractions diverses (...) pouvant présenter à raison de leur nature un
spectacle animé et intéressant" et des établissements de consommation . 731
730AEG A86 (Exposition nationale), 57/361.5, "Convention entre le Comité central et l'Administrateur du
Parc de Plaisance, 9 novembre 1894".
731"Organisation de la Kermesse / Exposé succint de la Kermesse", in AEG A86 (Exposition nationale),
57/361.9, "Deuxième projet de cahier des charges de la Kermesse".
732Lettre du Conseil d'Etat au Comité central, 16 nov. 1894, in AEG A86 (Exposition nationale),
57/361.1, "Correspondance échangée entre l'Administration du Parc de Plaisance et le Département de
Justice et Police / Forains"
733Lettre du Comité central à A.-M. Cherbuliez, 16 jan. 1895, ibid.
734Lettre du Maire de Carouge au Comité central, 7 décembre 1894, in AEG A86 (Exposition nationale),
57/361.2, "Correspondance échangée entre les Communes de Plainpalais et Carouge".
735AEG A86 (Exposition nationale), 57/361.19.
736Tribune de Genève, 16-17 décembre 1894.
737Tribune de Genève, 21 décembre 1894.
166
m2 - on se souvient que les 10 à 20 centimes que demande Vevey sont
jugés "vraiment exhorbitants" par le Forain Suisse, et que les places pour le
nouvel an à Genève coûtent entre 1 et 2 francs le m2 - devrait suffire à
écrémer les demandeurs... La tâche la plus rude pour l'administrateur sera
en effet le recrutement des "concessionnaires" : non qu'ils ne correspondent
pas aux critères, simplement ils manquent à l'appel. Pendant l'hiver 1894-
1895, le bilan est maigre : 12 demandes d'emplacement entre octobre et
février (une moyenne de deux et demie par mois) s'ajoutent aux 6
738
"rendre compte de la difficulté que j'aurais pour louer une aussi grande
superficie", mais il se rassure : les forains attendent sans doute la dernière
minute dans l'espoir d'arracher des conditions plus favorables. Les
demandes commencent entre-temps à affluer plus nombreuses : entre
septembre 1895 et avril 1896, l'administration en reçoit 245 (30.6 par
mois). Une petite dizaine suivra encore pendant les mois d'ouverture de
l'exposition, de mai à août 1896.
Au total, l'administration du Parc de Plaisance reçoit 369 demandes
d'emplacement en l'espace de deux ans. 38 dossiers sont écartés, dont 19 (4
ballons aérostatiques, 5 villages africains, 7 pavillons d'inventions Edison,
un labyrinthe oriental et une brasserie) en raison du monopole accordé à
une autre attraction de même nature, et 3 parce qu'ils proposent des jeux de
hasard. 226 demandes sont abandonnées par leurs auteurs, la plupart en
raison du loyer trop cher : "[l]e prix des places est inabordable (...) Les
sommes sont fantastiques (...), il est impossible que nos collègues puissent
participer", écrit le Forain Suisse . 105 demandes sont enfin "converties en
741
738Les dossiers des demandes d'emplacements sont classés sous les cotes AEG A86 (Exposition
nationale), 57/1 à 57/349.
739AEG A86 (Exposition nationale), 57/365.1, "Copie de lettres".
740AEG A86 (Exposition nationale), 57/361.13, "Type de la publicité faite par l'Administration du Parc
de Plaisance pour recevoir des demandes de Concessions d'Emplacements".
741Le forain suisse, 31 août 1895.
742L'Echo de Plainpalais, 8 août 1895.
167
Les textes divers - lettres, prospectus, coupures de presse - qui
composent les dossiers des demandeurs forment une véritable foire aux
superlatifs : tout y est extraordinaire, unique, grandiose. La plupart des
demandeurs mettent par ailleurs un grand soin à se démarquer des
vulgaires exhibitions foraines
"Ces exhibitions sont uniques dans leur genre et extraordinaires et il ne faut pas
les confondre avec ces exhibitions foraines. Les exhibitions auront lieu dans des
constructions en bois très luxueux" 743
"La Troupe exotique sera composée de trois nationalités exécutant des danses à
la mode de leur Pays et Fantaisie soudanaise (...) j'espère que vous serez faire respecter
le droit d'une Exposition ; a fin d'éviter ; que lon élève autour de mon Etablissement ;
des barraques Forraines" . 744
un peu plus loin, sur les terrains de la rue du Stand "ce qui m'a amené des
réclamations très vives de la part des délégués des forains du Parc de
Plaisance". Cherbuliez réécrit au Département de justice et police en
demandant que soit retirées "les autorisations qui ont dû être données par
743AEG A86 (Exposition Nationale), 57/14, "Demandes d'emplacement", (G. Bartling - Hambourg -
Jardin labyrinthe "Jardin Oriental des Illusions").
744AEG A86 (Exposition Nationale), 57/11, "Demandes d'emplacement", (Joseph Cusin - Berlincourt
/Genève - Théâtre Egyptien, Turc, Tunisien).
745Lettre de Cherbuliez au DJP, 5 mai 1896, in AEG A86 (Exposition nationale), 57/361.1,
"Correspondance échangée entre l'Administration du Parc de Plaisance et le Département de Justice et
Police / Forains"
746Lettre du DJP à Cherbuliez, 12 mai 1896, in AEG A86 (Exposition nationale), 57/361.1,
"Correspondance échangée entre l'Administration du Parc de Plaisance et le Département de Justice et
Police / Forains"
168
votre direction " . Prenant le ton du gardien de la paix sociale, le Conseiller
747
En effet, les affaires vont mal pour les forains. Dès les premiers
jours, une longue bataille s'engage entre l'administrateur du Parc de
Plaisance et ses locataires. Dix jours seulement après l'inauguration de
l'Exposition, ces derniers envoient à l'administration une pétition. Le
problème crucial y est vite repéré : le public ne paie pas pour se rendre sur
un champ de foire. Le texte de la pétition prend des accents dramatiques.
"La situation faite aux industriels de toute nature situés dans le Parc de Plaisance
par l'obligation où se trouve le public de payer pour y pénétrer est désastreuse. Il n'y pas
de qualificatif assez puissant pour peindre la désolation de tous ces industriels presque
tous pères de famille qui escomptant trouver au Parc de Plaisance un profit quelconque
de leurs peines et de leur travail n'y pressentent que la faillite et la ruine (...) Le Parc de
Plaisance a pris l'aspect d'un désert dont les coquettes et riantes installations qui
l'émaillent sont les oasis (...). L'espoir au coeur, cette étolie qui lui au firmament du plus
pessimiste chacun a accepté les lourds sacrifices du prix très élevé d'un enplacement
ingrat (...) Enfin aiguillonné par l'amour propre qui ne fait pas plus défaut aux petites
entreprises individuelles qu'aux grandes manifestations des gros capitaux aucun qui
n'ait vidé les fond de sa bourse pour donner à l'industrie qu'il édifiait tout le lustre tout
le vernis, toutle confort nécessaire. Et alors chacun ouvrait sa façade pour retrouver le
fruit de tant de sacrifices, le Néant. Mais là rien, rien, rien, En vain les orchestres
jouent, les cuivres les ors luisent le Parc de Plaisance ô ironie du mot demeure vide. (...)
Cette vie qui est absente de ce grand cadavre dont nous sommes les artères nous vous
demandons de la lui donner. C'est une ouevre d'humanité à laquelle vous ne voudrez pas
747Lettre de Cherbuliez au DJP, 18 mai 1896, in AEG A86 (Exposition nationale), 57/361.1,
"Correspondance échangée entre l'Administration du Parc de Plaisance et le Département de Justice et
Police / Forains"
748Lettre du DJP à Cherbuliez, 21 mai 1896, in AEG A86 (Exposition nationale), 57/361.1,
"Correspondance échangée entre l'Administration du Parc de Plaisance et le Département de Justice et
Police / Forains"
749Lettre de la Ménagerie Pianet au DJP, 21 mai 1896, in AEG A86 (Exposition nationale), 57/361.1,
"Correspondance échangée entre l'Administration du Parc de Plaisance et le Département de Justice et
Police / Forains"
169
faillir. Faites le avant que le vent de la débâcle n'ait soufflésa mélopée sinistre. Et pour
cela il n'y a qu'une solution possible. Décreter la gratuité complète du Parc de
Plaisance" . 750
une note manuscrite annexe à la copie de la lettre, Cherbuliez note : "Il est
à observer que la pétition est présentée par le syndicat suisse des
commerçaints et industriels forains, et que plusieurs des signataires sont
étrangers (...). Or ces étrangers n'ont pas à être protégés par le syndicat
suisse".
Le 8 juin 1896, un "Comité des Concessionnaires" remet au Comité
de l'Exposition une troisième pétition, munie de 37 signatures. Les forains
s'en prennent cette fois à l'aménagement du Parc : contrairement aux
promesses, l'administration n'a "presque rien fait pour que l'emplacement
où ses locataires sont réunis ressemble à un Parc de Plaisance (...). Ce parc
devait être un lieu de grande attraction aux dire des mandataires du Comité
surtout pour les aménagements et les distractions offertes par le Comité, or
rien n'a été fait". Pire, le parc est entouré de terrains vagues et ses accès
depuis l'extérieur comme depuis l'Exposition sont mal éclairés et presque
invisibles . Ces arguments sont balayés par le Comité central. Les
753
170
fêtes seraient données “dans l'enceinte de l'Exposition”, ce qui a lieu". Le
retard dans la résolution de certains problèmes techniques - voies d'accès,
entretien, éclairage électrique et distribution de la force motrice - dépend
pour une part du mauvais temps, pour le reste de la Mairie de Plainpalais.
En conclusion :
"Nous estimons que c'est la mauvaise saison qui est la cause importante du
manque de recettes dont vou vous plaignez (...) Il suffit de noter que le chiffre des
entrées journalières (non compris les dimanches) ne dépassait pas 2 ou 3'000 au début
et qu'il atteint aujourd'hui 14'000" .
754
172
distractions imbéciles et ordurières de venir s'y mêler aux pures
satisfactions de l'intelligence", le lecteur lyonnais applaudit la façon dont
les organisateurs genevois ont réussi à marginaliser les forains :
"Ici, rien de pareil : si l'élément forain n'a pu être absolument tenu dehors, du
moins l'a-t-on parqué dans un coin etrême, où ceux qui en sont friands le doivent aller
chercher. Dans cette région lointaine, rigoureusement délimitée, ceux qui en ont le goût
peuvent trouver à leur choix des villages noirs, des labyrinthes (...), mais tous ces
plaisirs de choix sont relégués et isolés dans un faubourg. Quant aux chanteurs de
gaudrioles, ils sont sévèrement consignés à la porte" . 759
Ce n'est pas le moindre des paradoxes dans cette histoire où les rôles
se brouillent : entre ce champ de foire chic, high-tech, bourré de jamais vu,
lancé dans une vertigineuse surenchère d'innovations et grand ouvert sur le
vaste monde, dépaysant, déroutant d'exotisme et de technicité, et le
repaysement patriotique dans une image d'Epinal en carton-pâte, entre
l'image d'une modernité qui tourne à vide et celle d'un passé préindustriel
et vierge de tout clivage, le public de 1896 - mais quel public ? il faudrait
encore voir qui a déserté le Parc de Plaisance et qui y a été - a fait son
choix.
LA DOUBLE POSTULATION
759Lettre de lecteur au Salut public, Lyon, reprise in Tribune de Genève, 22 juillet 1896.
760"Impressions d'un passant à l'Exposition nationale", in Tribune de Genève, 14-15 mai 1896.
761Tribune de Genève, 19 décembre 1893.
173
"Hier, dimanche, à deux heures, tout était prêt ! Le concert a commencé.
D'abord, les cris de cuivres de deux cirques ; les 29 orgues des cinq carrousels, du
musée Thiele, des 3 tirs mécaniques, de la baraque (...)" . 762
"Peu à peu, le bruit est devenu général, et les lions de Mme Nouma-Hawa n'ont
pas tardé à fournir leur note sauvage dans ce concert nocturne" . 765
"Dès la place Bel-Air, la lumière des baraques, les cris des lions des ménageries,
les hurlements des sirènes des carrousels indiquent que “ça commence”" . 766
"[N]on content de faire trembler les fenêtres avec des coups de sifflet
intermittents, le propriétaire jetait l'épouvante dans le public en faisant “marcher” un
piston, produisant un cri lamentable, assez semblable à celui d'une femme près de se
noyer. Et comme cela amusait les badauds !" . 767
Pour les oreilles des contemporains, la foire fait ainsi éclater dans
l'espace (relativement) policé de la ville une forme de sauvagerie panique
où des sonorités primitives (hurlement de bêtes, cri de noyé) se confondent
avec le vacarme lancinant de la civilisation industrielle.
"En résumé, quand on a passé un peu partout, on sent le besoin de se détendre
les nerfs et de retourner dans une atmosphère plus rationnelle, plus naturelle, moins
frelatée. Et cependant combien de gens qui voient revenir avec plaisir les fêtes de fin
d'années. Ils ne sont vraiment pas difficiles" . 768
176
19 septembre 1995 (version 1)
177
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Vivre et imaginer la ville, carouge, Zoé, 1988
Dorrit WILLUMSEN, Marie. La vie romancée de Madame Tussaud ,
Paris, L'Arpenteur, 1989 [1983]
Marian Hannah WINTER, "Le Spectacle forain", in Guy DUMUR (éd.),
Histoire des spectacles, Paris, Gallimard, 1965
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Table of Contents
INTRODUCTION.............................................................................................................2
échanges, mouvement, mimétisme, innovation ............................................................3
la face en ombre des cultures populaires ? ................................................................... 6
POUR UNE HISTOIRE DE LA CULTURE FORAINE.................................................. 7
le jongleur médiéval : un passeur (XIIe-XVIe siècle) ..................................................7
COTE COUR, COTE PLACE, ENTRE-DEUX..................................................... 7
UN ABREGE AMBULANT DE LA CULTURE MEDIEVALE............................8
LE PROBLEME DU REVENU : MENDICITE, SORCELLERIE OU
ESCROQUERIE ?................................................................................................... 9
LE JONGLEUR, CORNEMUSE DU DIABLE29................................................11
CHARLATANS ET OPERATEURS : LE JONGLEUR COMME MARCHAND
(XVIe-XIXe SIECLE)........................................................................................... 14
LE JONGLEUR, UNE MAUVAISE SORTE DE PAUVRE .................................16
la foire : un fait social total64 (XVIe-XIXe siècle) .................................................... 18
UN MONDE CLOS, SEPARE.............................................................................. 18
LA DRAMATISATION DE L'ECHANGE........................................................... 18
UN PROLONGEMENT MARCHAND DES RASSEMBLEMENTS VOTIFS . .19
LA VISION DE REVE, LE SUCCEDANE ET LA PARODIE............................ 20
LA SUSPICION POPULAIRE : L'AMUSEUR AMBULANT COMME FIGURE
EXTREME DE L'ALTERITE............................................................................... 21
LA SUSPICION DES GOUVERNANTS : LA FOIRE CORRUPTRICE ............23
LA FETE FORAINE : UN RESIDU LUDIQUE ?................................................25
un synchrétisme en devenir : nomades et sédentaires ................................................ 27
SOCIODYNAMIQUE DE LA CULTURE FORAINE .........................................27
UNE CULTURE DE LA NOUVEAUTE.............................................................. 28
LES ATTRACTIONS DE LA FOIRE............................................................................ 30
jeux de force et d'adresse ou de prouesse117 ............................................................. 33
jeux de hasard ou de chance....................................................................................... 37
divination et déchiffrement.........................................................................................39
jeux de vertige : les attractions mécaniques............................................................... 44
illusions.......................................................................................................................55
REPRODUCTIONS (L'AUDIOVISUEL) ............................................................ 56
les vues stéréoscopiques et les ......................................................................... 56
le phonographe.................................................................................................. 60
la photographie..................................................................................................63
le cinématographe............................................................................................. 63
RECONSTITUTIONS (LES MUSEES DE CIRE)...............................................65
l'imaginaire du corps : le cadavre, l'automate et la figure de cire ..................... 66
l'imaginaire du crime : le canard, la complainte et le fait divers ......................70
les figures de cire.............................................................................................. 72
les automates..................................................................................................... 76
musées forains et automates à Genève..............................................................79
MUSEES DE CIRE GENERALISTES OU ................................................79
MUSEES ANATOMIQUES........................................................................ 81
THEATRES ET TABLEAUX MECANIQUES...........................................82
MUSEES VIVANTS.................................................................................... 83
183
AUTOMATES..............................................................................................85
autres reconstitutions : dioramas et miniatures ................................................. 85
les environnements............................................................................................87
MANIPULATIONS (LES THEATRES DE PHYSIQUE AMUSANTE) .............88
monstrations............................................................................................................... 92
ANIMAUX............................................................................................................ 92
les ménageries et le dressage............................................................................ 92
animaux savants.............................................................................................. 100
animaux phénomènes...................................................................................... 101
PHENOMENES HUMAINS...............................................................................101
MISE EN SCENE, MISE EN VERBE...................................................... 109
VARIATIONS.............................................................................................110
HYBRIDATIONS.......................................................................................112
EROTISME................................................................................................ 113
EXOTISME : LES MONSTRATIONS D'INDIGENES ............................115
autres monstrations..........................................................................................116
PROCEDES INDUSTRIELS.....................................................................116
PSEUDO-MONSTRATIONS.................................................................... 116
FORAINS ET SEDENTAIRES.................................................................................... 118
les industriels forains................................................................................................ 118
les forains par eux-mêmes........................................................................................ 126
UN PEUPLE LIBRE........................................................................................... 126
LES FORAINS EXPLOITES..............................................................................127
les forains par les autres........................................................................................... 129
LES FORAINS EXPLOITEURS........................................................................ 129
LES FORAINS HONTEUX................................................................................132
LA FOIRE : UN MIROIR CRUEL..................................................................... 133
LES FORAINS FOLKLORISES........................................................................ 134
les forains écrémés................................................................................................... 136
LA CONQUETE DE LA RESPECTABILITE.................................................... 136
NUISANCES ET PROFITS................................................................................ 138
LES FORAINS EXPULSES............................................................................... 144
LE CHAMP DE FOIRE DEVIDE.......................................................................145
FORAINS, CITOYENS ET BADAUDS ......................................................................147
la fête foraine et son public...................................................................................... 147
la foire entre archaïsme et nouveauté....................................................................... 151
LA NOUVEAUTE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE .....................................152
L'ACTUALITE POLITIQUE ET EVENEMENTIELLE ....................................156
L'ACTUALITE SOCIO-CULTURELLE............................................................ 156
LE DERNIER CRI ET L'IMMEMORIAL..........................................................158
le rationnel et le refoulé............................................................................................ 162
LE CHAMP DE FOIRE PLUS L'ENCYCLOPEDIE : LA TRIOMPHALE
DEROUTE DE LA RAISON EXPOSITIONNAIRE ..........................................162
PARC DE PLAISANCE, GENEVE 1896 : L'ECHEC D'UNE FOIRE CHIC ....165
LA DOUBLE POSTULATION........................................................................... 173
une conclusion.......................................................................................................... 176
BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................ 178
sources primaires...................................................................................................... 178
sources secondaires.................................................................................................. 178
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