Vous êtes sur la page 1sur 11

Review

Reviewed Work(s): INTRODUCTION ET NOTE TERMINOLOGIQUE À. Cours de Linguistique


Générale by F. de Saussure and Avner Lahav
Review by: Il-Il Yatziv-Malibert
Source: Cahiers Ferdinand de Saussure, No. 67 (2014), pp. 223-232
Published by: Librairie Droz
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/24324153
Accessed: 20-02-2019 22:52 UTC

JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide
range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and
facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org.

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at
https://about.jstor.org/terms

Librairie Droz is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers
Ferdinand de Saussure

This content downloaded from 193.194.76.5 on Wed, 20 Feb 2019 22:52:20 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
CFS 67 (2014), pp. 223-232

11-11 Yatziv-Malibert

INTRODUCTION ET NOTE TERMINOLOGIQUE À


F. de Saussure, Cours de Linguistique Générale,
Avner Lahav.
Traduction en hébreu [suivie de notes] par Avner Lahav.
Tel Aviv : Resling, 2005, 356 p., ISBN : 585-200, prix 94 NIS

I. Introduction (p. 11-24) de 11-11 Yatziv-Malibert, traduite en français par elle


même pour les Cahiers

Sur l'ouvrage Cours de linguistique générale et sur son auteur

1. Introduction

L'ouvrage Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure publié pour


la première fois en 1916 et dont la traduction est proposée ci-dessous est considéré
comme l'ouvrage de référence de la linguistique moderne. Dès sa publication
l'ouvrage a proposé une nouvelle conception des principes de base de la linguis
tique et a été également considéré comme une lecture obligatoire dans la formation
des plusieurs générations de linguistes. Aujourd'hui encore le deuxième et le troi
sième chapitre sont des lectures obligatoires pour des étudiants en linguistique.
Cependant ce livre a un statut exceptionnel: Ferdinand de Saussure n'était
pas son auteur. Après son décès, deux de ses collègues, Charles Bailly et Albert
Séchehaye, ainsi qu'un de ses étudiants - Riedlinger - se sont activés pour le
publier. De plus, Ferdinand de Saussure n'a jamais été nommé comme professeur de
linguistique générale. Entre 1909 et 1911, lorsqu'il a remplacé un professeur parti
à la retraite, il a donné une série de conférences annuelles à l'université de Genève
dont le titre avait été choisi à l'avance: Linguistique générale. Bailly et Séche
haye qui étaient eux-mêmes absents des conférences ont confectionné cet ouvrage
qui a révolutionné le monde de la linguistique et a également influencé des géné
rations des linguistes mais aussi des chercheurs dans les domaines limitrophes à la
linguistique comme la littérature, l'anthropologie et même la psychanalyse et cela
à partir des notes prises par des étudiants (très peu nombreux) présents aux cours.

This content downloaded from 193.194.76.5 on Wed, 20 Feb 2019 22:52:20 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
224 Cahiers Ferdinand de Saussure 67 (2014)

Dans cette introduction je présenterai d'abord la biographie de «l'auteur» de


cet ouvrage. Ensuite je décrirai brièvement ses contenus principaux et terminerai
en décrivant l'influence de cet ouvrage sur des chercheurs et des domaines appar
tenant aux humanités.

2. Qui était Ferdinand de Saussure ?

Il est né à Genève en Suisse en 1857 dans une famille d'intellectuels et


chercheurs en sciences naturelles. Malgré le fait d'être entouré par des g
s'intéressant plutôt aux sciences naturelles, il a fait connaissance dès son enf
avec la philologie : le jeune Ferdinand de Saussure fréquentait son oncle q
rédigé plusieurs essais sur la langue française et discutait également avec
grand père maternel qui était un amateur passionné de l'histoire des peuples et
l'étymologie.
Un élément important de son enfance a été sa fréquentation d'Adolphe Pic
qui était à cette époque l'un des intellectuels suisses les plus célèbres. Sa renom
mée lui venait principalement de son ouvrage sur la culture indo-européenne e
sa recherche sur ce qu'il a nommé la paléontologie linguistique. Pictet est dev
le sujet d'admiration de Ferdinand de Saussure qui déjà à l'âge de 12 ans a lu s
ouvrage Les origines indo-européennes ou les aryas primitifs - essai de paléon
logie linguistique et FDS lui a même soumis son premier essai linguistique ré
à l'âge de 15 ans dans lequel Ferdinand de Saussure a suggéré de réduire le vo
bulaire grec, latin et germanique à 15 racines communes aux trois langue
critique sévère de Pictet a suffi à Ferdinand de Saussure pour qu'il cesse sa qu
des universaux sémantiques dans la langue et il a même décidé d'abandonner
recherches linguistiques pour un certain temps. Il s'est inscrit aux études de ch
mais à l'âge de 17 ans a recommencé l'étude du sanscrit par la grammaire de
Bopp intitulée Grammaire comparée des langues sanscrite, zend, grecque, lat
lithuanienne, slave, gothique, et allemande (traduite par M. Bréal et publiée e
1866). Il s'est également mis à faire connaissance avec les méthodes de la gram
maire comparée et a rédigé de courts articles étymologiques.
En 1876 il a été admis à la société linguistique de Paris, une société sav
de grande renommée a cette époque et y a présenté quelques travaux sur de
velles théories de description du système vocalique indo-européen. En parallè
a suivi des cours en tant qu'étudiant aux universités de Leipzig et de Berlin.
A la fin de ses études, en 1878, il a rendu un mémoire intitulé Mémoire s
le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes, que l
guiste Antoine Meillet a défini comme la plus belle grammaire comparée écr
depuis toujours. La nouveauté de la théorie présentée dans ce mémoire est qu

This content downloaded from 193.194.76.5 on Wed, 20 Feb 2019 22:52:20 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
11-11 Yatziv-Malibert: Introduction et note terminologique 225

a permis d'expliquer des phénomènes phonologiques et morphologiques que la


grammaire comparée n'a pu expliquer jusque là car l'étude des voyelles n'y était
pas assez fine. Ce mémoire comme sa thèse sur le génitif absolu en sanskrit lui ont
valu une renommée importante et des l'âge de 24 ans il a obtenu un poste de pro
fesseur a l'Ecole des Hautes études à Paris (sous la responsabilité de M. Bréal). Il
y a d'abord enseigné le haut gothique allemand ancien, le grec ancien et le latin.
Quelques années plus tard il s'est tourné vers l'enseignement de la grammaire
comparée pendant 10 ans. Il y a formé de nombreux linguistes parmi lesquels
Antoine Meillet.
En 1891 Ferdinand de Saussure quitte Paris et retourne vivre en Suisse où il
a trouvé une chaire de sanskrit et langues indo-européennes. Son activité princi
pale est l'enseignement de la grammaire comparée (en particulier la phonologie
et la morphologie) et il a même publié quelques articles à ce sujet. En 1906 il
s'est vu proposer l'enseignement d'un cours dont le titre était dicté d'avance : lin
guistique générale. Il l'a enseigné pendant trois années universitaires (1906-1907,
1908-1909, 1910-1911) à une trentaine d'étudiants de façon quasi-confidentielle.
Ce public restreint contraste avec la portée universelle des notes publiées dans
l'ouvrage post-mortem.
A la suite d'une maladie Ferdinand de Saussure suspendit ses cours en 1912. Il
mourut en février 1913. En 1916 est publié pour la première fois le cours de lin
guistique générale. Il s'agit d'un recueil de notes prises lors des conférences (qui
ne furent pas rédigées de la main de Ferdinand de Saussure) et qui n'ont jamais
été réunies en ouvrage par le professeur lui-même. Ces détails sont d'une grande
importance car les éditeurs de cet ouvrage ont malgré tout tenté de donner à ce
texte une certaine continuité.

3. Le contenu de l'ouvrage

Les notes ont été organisées en six parties et chaque partie comprend plusieurs
chapitres.
La première partie propose un aperçu critique sur l'histoire de la linguistique:
la place de la linguistique parmi les disciplines qui lui sont proches comme la
psychologie, la sociologie et l'histoire; une distinction entre la linguistique de la
langue et la linguistique de la parole. La phonologie y est désignée comme la plus
adéquate pour étudier la langue à l'opposé de la philologie qui étudie des lan
gues anciennes par des textes écrits. Une annexe présente en détail les principales
notions de la phonologie : le phonème, les principes de la phonétique articulatoire,
une critique sur la division en syllabes, la place du phonème dans le flux de la
parole et l'assimilation.

This content downloaded from 193.194.76.5 on Wed, 20 Feb 2019 22:52:20 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
226 Cahiers Ferdinand de Saussure 67 (2014)

Sur fond de critique des études des langues telles qu'elles ont été pratiquées en
fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la deuxième partie propose un nou
veau regard sur la langue et différentes notions pour l'explorer et place le signe
linguistique au centre de la recherche. Le signe linguistique a deux faces indisso
ciables: l'image acoustique et le concept, ou le signifié et le signifiant. Outre la
définition du signe, Ferdinand de Saussure établit la distinction qui révolutionnera
le monde de la linguistique - la distinction entre linguistique diachronique et
linguistique synchronique. La troisième partie est consacrée à une description de
la linguistique synchronique ou linguistique statique très novatrice. Dans cette
partie sont présentés les concepts de base de la description du système linguis
tique : valeur, rapports syntagmatiques et rapports associatifs (paradigmatiques).
La linguistique diachronique est décrite dans la quatrième partie. Cette partie
est moins novatrice que la précédente. Elle présente plutôt les principes connus
des philologues à cette époque : les lois du changement phonétique, l'assimilation
et Fétymologie populaire.
La partie qui traite de la linguistique géographique propose la description de
quelques phénomènes linguistiques en lien avec la géographie comme les rela
tions entre des langues parlées sur le même territoire et les possibilités de distinc
tion entre dialectes.
Dans la dernière partie sont exposées les méthodes pratiquées au temps de
Ferdinand de Saussure (début du XXe siècle) afin de rechercher la langue-mère
des langues indo-européennes.

4. La théorie structuraliste

Si l'on veut saisir la nouveauté de la conception saussurienne on doit se pla


cer dans le contexte des études sur les langues au 19ème siècle. A la suite de la
philologie, qui étudie les textes écrits pour décrire l'histoire de la littérature et
des traditions, et grâce à la grammaire comparée, la langue est devenue un objet
d'étude autonome (Grimm et Humboldt). De plus, sous l'influence de la zoolo
gie et la biologie les langues sont considérées comme des créatures vivantes qui
évoluent et se développent. En tant qu'objets vivants il faut les observer pour en
apercevoir des changements. Plus tard apparaît l'école des néogrammairiens qui
laisse de côté la question de l'évolution des langues et s'intéresse au système des
changements phonétiques dans les langues proches.
Ferdinand de Saussure est le premier à proposer un cadre théorique ayant
comme objet d'étude la langue (écrite ou parlée, morte ou vivante) et il ne s'est
pas limité à la récolte des données sur l'histoire des langues mais a essayé de
fonder un point de vue général sur la langue, un point de vue ayant un support

This content downloaded from 193.194.76.5 on Wed, 20 Feb 2019 22:52:20 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
11-11 Yatziv-Malibert: Introduction et note terminologique 227

théorique. L'objet n'est pas donné «a priori», il est le point de vue qui délimite
l'objet. On considère ainsi Ferdinand de Saussure comme le fondateur de la
démarche scientifique en linguistique : il a formulé les concepts et les méthodes
de recherche ; il a défini les critères pour mettre à jour le système linguistique dans
l'immense masse des données que présente la langue aux yeux du linguiste ou du
locuteur. Le cadre théorique a placé le système, c'est-à dire la structure organisée,
en tête des priorités de la recherche.
Comme c'est souvent le cas avec des ouvrages théoriques, seules quelques
idées présentées dans le livre ont été adoptées par les auteurs suivant Ferdinand de
Saussure.

La théorie structuraliste qui perçoit la langue comme un système fermé et non


pas comme une collection de détails préfère utiliser des concepts pour décrire la
langue comme un système synchronique (sans changements notables) dans lequel
les signes sont d'une part liés les uns aux autres et d'autre part opposés les uns aux
autres. La valeur de chaque signe est évaluée par rapport aux autres signes.
La théorie structuraliste peut se définir par les quatre dichotomies connues
comme les dichotomies les plus célèbres de Ferdinand de Saussure : la distinc
tion entre l'axe syntagmatique et l'axe paradigmatique, la distinction entre la des
cription synchronique et la description diachronique, la distinction entre les deux
faces du signe linguistique : le signifiant et le signifié et la distinction entre langue
et parole.

4.1. La distinction entre l'axe syntagmatique et l'axe paradigmatique

La description de la langue est la description des liens établis entre les dif
férentes unités linguistiques. Ces liens peuvent être décrits sur deux axes: l'axe
syntagmatique et l'axe paradigmatique. Le lien syntagmatique s'établit quand les
signes forment des syntagmes et les syntagmes forment des unités plus grandes
comme des phrases ou des énoncés. En général, l'axe syntagmatique suit l'axe
horizontal du flux de la parole ou de l'écriture. A l'opposé, le lien paradigmatique
se situe dans la tête du locuteur ou de celui qui écrit et il s'établit entre des signes
linguistiques appartenant la même catégorie et qui peuvent se substituer l'un à
l'autre dans la chaîne parlée. Prenons un exemple: l'enfant sympathique boit de
l'eau fraîche.
Entre le nom enfant et l'adjectif sympathique existe un lien syntagmatique. Le
même lien existe entre le nom eau et l'adjectif fraîche. Si nous changeons le nom
enfant pour le nom professeur nous effectuons un changement paradigmatique.

This content downloaded from 193.194.76.5 on Wed, 20 Feb 2019 22:52:20 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
228
Cahiers Ferdinand de Saussure 67 (2014)

4.2. La distinction entre la conception diachronique et la conception synchronique


de la langue

Ferdinand de Saussure est le premier à proposer une distinction claire entre


étude synchronique et étude diachronique de la langue et à considérer que l'une et
l'autre devait être menée séparément.
L'étude diachronique de la langue a comme objectif de décrire les change
ments d'une langue au cours de son histoire, c'est-à-dire aux cours de ses évo
lutions. Pour le faire, l'étude suit un ou plusieurs faits de langue tout au long de
son histoire. Le temps a une importance centrale dans la description diachronique.
Cette étude s'occupe des faits de langue isolés et non pas du système.
A l'opposé, l'étude synchronique traite de la langue durant une période délimi
tée: son but est de décrire les liens existant entre les faits de langue à l'intérieur
du système. D'après Saussure, l'étude synchronique présente une description
statique de l'époque étudiée. La notion de 'statique' n'exclut pas les change
ments dans la langue mais implique que les changements qui s'effectuent dans la
langue ne nuisent pas à la compréhension mutuelle de tous les usages à la même
époque. L'accent dans l'étude synchronique est mis sur le système linguistique à
un moment donné (et non pas seulement sur la langue contemporaine) et non pas
sur des faits isolés et leurs transformations. Celui qui décrit synchroniquement la
langue l'observe comme le fait un locuteur de la langue. Pour illustrer la distinc
tion entre l'étude synchronique et l'étude diachronique Ferdinand de Saussure a
utilisé deux comparaisons : la première est une comparaison entre les différentes
façons de couper un tronc d'arbre qui porte en lui les traces du temps passé et la
deuxième - une comparaison avec le déroulement d'un jeu d'échecs.
Si l'on coupe un tronc d'arbre sur sa longueur il est possible d'apercevoir
les changements qui sont apparus dans un point précis à travers le temps (une
perspective diachronique) et si la coupe du tronc est transversale nous constaterons
la représentation d'une époque précise dans la vie de l'arbre, une époque qui peut
se comparer à un état de langue comprenant plusieurs faits de langue.
Dans un jeu d'échecs la place des pions change sans cesse mais le joueur
d'échecs se réfère chaque fois à la situation présente des pions, c.-à-d. à leur situa
tion synchronique. Il n'accorde aucune importance à la question des nombre des
tours ou à l'ordre (l'aspect diachronique du jeu) des tours qui a amené à cette
situation.

4.3. La distinction entre le signifiant et le signifié, les composantes du signe


linguistique

La langue est un ensemble de signes, et ses signes ont deux faces : le signifié (le
concept) et le signifiant (l'image acoustique). En général, le lien entre le signifié

This content downloaded from 193.194.76.5 on Wed, 20 Feb 2019 22:52:20 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
11-11 Yatziv-Malibert: Introduction et note terminologique 229

et le signifiant est arbitraire, c-à-d qu'aucun lien n'existe entre l'objet ou le phéno
mène représentés et leur appellation. De plus, les signes se référant à des objets ne
sont pas isolés dans l'espace linguistique mais se réfèrent l'un dans l'autre et leur
signification ou leur valeur se détermine par la comparaison avec d'autres signes.
Ainsi, en situant le système des signes au centre de la recherche, Ferdinand de
Saussure a d'une part contribué à ce que l'on cesse de se focaliser sur la recherche
historique ayant comme objet de définir le lien primaire entre l'objet et le nom
qui le désignait et d'autre part à ce que l'on se détache de la conception nomen
claturale selon laquelle tous les objets ou les phénomènes dans le monde sont
appelés de la même façon dans les différentes langues. Cette distinction a posé les
bases de la sémiologie, la science des signes. La langue est un système de signes
liés entre eux par des rapports d'opposition. La valeur d'un signe se détermine en
l'opposant aux autres signes lui ressemblant.

4.4. Langue, parole, langage

D'après Ferdinand de Saussure, la langue représente le code linguistique neutre


accepté par tous les locuteurs et qui permet la communication entre différents locu
teurs. La notion de parole représente toutes les réalisations possibles de la langue,
y compris l'écriture. Il distingue entre le système abstrait qui sert tous les locuteurs
d'une langue et ses réalisations. Ferdinand de Saussure accorde une importance pri
mordiale à l'acte de parler. Selon lui, les réalisations individuelles sont les causes des
changements dans la langue. Ainsi, rien ne se manifeste dans le système de la langue
sans se manifester d'abord dans les réalisations linguistiques. Après des générations
de recherche en philologie (sur des textes écrits) et de mise à l'écart voire de mépris
de la langue parlée, Ferdinand de Saussure propose de privilégier la recherche de la
langue parlée, car la parole est le premier moyen de communication dans la langue
et l'écrit n'est que la représentation graphique de la parole.
Tandis que la distinction proposée par Ferdinand de Saussure entre langue et
parole s'établit selon des critères d'une grande clarté, les différences entre langue
et langage restent brèves et d'une certaine opacité. Tout ce que nous savons c'est
que d'après Ferdinand de Saussure le langage englobe les réalisations de la langue
ainsi que les réalisations de la parole. Il s'agit d'une notion faite de plusieurs phé
nomènes individuels et sociaux, de sons associés aux concepts, de phénomènes
physiques, physiologiques et psychologiques. Le langage sert de base aux disci
plines limitrophes de la linguistique comme la psychologie, l'anthropologie, la
grammaire normative et la philologie.
Du fait que le langage est représenté comme un objet multidimensionnel et très
complexe, Ferdinand de Saussure propose au linguiste de consacrer ses recherches
à la langue, un terrain plus stable ayant des frontières bien définies.

This content downloaded from 193.194.76.5 on Wed, 20 Feb 2019 22:52:20 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
230 Cahiers Ferdinand de Saussure 67 (2014)

4.5. Le modèle saussurien et sa contribution à la linguistique

La conception saussurienne de la langue comme structure a servi de modèle


pour toutes les sciences humaines, et la linguistique après Ferdinand de Saussure a
servi de discipline-mère des sciences humaines. Les concepts théoriques proposés
par Ferdinand de Saussure, et surtout la conception selon laquelle les phénomènes
se réfèrent les uns aux autres dans le cadre d'un système et non pas comme des
faits isolés -ont influencé différents penseurs en sciences humaines et en lettres
(Lévi-Strauss en anthropologie, Barthes en sémiologie et Lacan en psychanalyse).
Les idées saussuriennes ont d'abord permis de formuler des méthodes rigoureuses
de travail.
Le modèle saussurien a surtout influencé les linguistes lui ayant succédé qui
ont approfondi sa théorie tout en critiquant certains de ses aspects.
Roman Jakobson (1896-1982) a appliqué la théorie saussurienne en phonolo
gie. Dans les années 30 du XXe siècle, après avoir immigré de Moscou à Prague,
Jakobson est devenu membre du cercle linguistique de Prague et a travaillé
ensemble avec N. Troubetzkoy sur le trait distinctif ou le faisceau des traits dis
tinctifs en phonologie. Pour ce faire, Jakobson s'est basé sur le principe que les
sons, comme les signes linguistiques s'opposent les uns aux autres et c'est cette
opposition qui leur attribue leur valeur. Le trait distinctif est la plus petite unité dis
tinctive de la langue qui crée une différence de sens (cf. les mots paz 'éclat' et baz
'faucon'en hébreu). En tant que successeur de Saussure, Jakobson a étudié les sons
de la langue non pas d'un point de vue historique mais selon la fonction qu'ils ont
dans la langue. Plus tard, Jakobson a prolongé sa réflexion théorique et a appliqué
les principes structuralistes à la recherche en littérature et en poésie. La question
posée par Jakobson en littérature était la même que celle concernant les sons de la
langue : n'était-il pas souhaitable de décrire l'ensemble de l'œuvre d'un écrivain ou
d'un poète comme une structure dans laquelle chaque ouvrage remplit une fonction
poétique. En d'autres mots, chaque ouvrage porte en lui un trait poétique distinctif
qui le distingue des autres ouvrages appartenant au même ensemble.
André Martinet (1908-1999) était un linguiste fonctionnaliste qui se considérait
comme un successeur de Ferdinand de Saussure. Il accordait de l'importance à la
fonction de communication de la langue comme l'a fait Ferdinand de Saussure en
décrivant le circuit de la communication. Il cherchait à trouver dans la langue des
indices des différents choix effectués par le locuteur. Selon Martinet, la langue
est un moyen de communication doublement articulé : la première articulation est
celle où la langue est divisée en monèmes, unités de sens (semblables à des mor
phèmes ou des signes) qui peuvent se combiner entre elles pour former des syn
tagmes. Chaque monème est susceptible d'être décomposé en phonèmes et cette
décomposition représente la deuxième articulation.

This content downloaded from 193.194.76.5 on Wed, 20 Feb 2019 22:52:20 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
11-11 Yatziv-Malibert: Introduction et note terminologique 231

Les monèmes possèdent comme les signes chez de Saussure, un signifié et un


signifiant. Selon Martinet, toutes les langues du monde ont en commun plusieurs
caractéristiques: le fait d'être orales ainsi que leur double articulation. Ce sont
ces deux spécificités qui permettent d'envisager l'existence d'universaux linguis
tiques. Sinon, chaque langue a sa propre conception de la réalité.
Zellig Harris (1909-1992) appartient au courant linguistique distributionna
liste apparu aux Etats unis dans les années 30, lorsqu'en Europe se développait
la recherche en phonologie. Les principes de la théorie ressemblent aux principes
saussuriens: l'objet de la recherche est la description synchronique de la langue.
La langue est faite d'unités décomposables en morphèmes. Harris s'est préoccupé
des questions liées à l'analyse en morphèmes qui partage des traits avec l'analyse
paradigmatique de Saussure.
Emile Benveniste (1902-1976) a étudié à la Sorbonne chez Antoine Meillet,
un élève de Ferdinand de Saussure. Au début de sa carrière scientifique, ses
recherches historiques prolongeaient celles de Ferdinand de Saussure sur l'origine
des noms dans les langues indo-européennes. Plus tard, il a consacré sa recherche
à l'identification des indices de subjectivité du locuteur dans la langue. Il a mené
une réflexion sur les pronoms personnels et leur capacité à transformer la langue
en discours, sur les expressions déictiques qui ancrent la langue dans un contexte.
Plus tard, Benveniste a conçu la langue comme un dialogue et non pas comme un
circuit de la parole (telle que la décrivait Ferdinand de Saussure qui n'impliquerait
pas les notions d'interaction ou de dialogue). Ses écrits les plus influents sont
ceux sur la nature de la langue (dans les années 60) où il a démontré que la langue
a deux aspects qui peuvent paraître contradictoires - l'un est son statut individuel
(en tant que discours ancré dans un contexte).et l'autre son statut collectif à la
suite d'une objectivation de son statut individuel.
A la question posée au milieu du livre Cours de linguistique générale : quel
est l'unique objet de la linguistique? le dernier paragraphe du livre apporte
une réponse suffisante pour saisir le principe si important et si novateur dans la
conception saussurienne : La linguistique a pour unique et véritable objet la langue
envisagée en elle même et pour elle même.

II. Note sur la traduction en hébreu de la terminologie saussurienne

Nous avons demandé à Mme Yatziv-Malibert, comme Conseillère scientifique


de la traduction, de présenter aussi quelques problèmes de la traduction du CLG
en hébreu. Qu 'elle soit remerciée de sa disponibilité.
L'importance de la traduction du CLG est aussi d'être le premier ouvrage de
la tradition saussurienne qui a été traduit en entier en hébreu moderne. Avant il y

This content downloaded from 193.194.76.5 on Wed, 20 Feb 2019 22:52:20 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
232 Cahiers Ferdinand de Saussure 67 (2014)

avait la traduction incomplète de trois articles de R. Jakobson (dont 'Linguistique


et poétique'), parue dans la revue «Hasifrut, Quarterly for the Study of Litera
ture», Vol. II, No. 2, Janvier 1970. La terminologie saussurienne et structuraliste
était surtout présente dans les ouvrages de théorie littéraire écrits en hébreu.
Dans la traduction du CLG en hébreu beaucoup de termes saussuriens ont été
empruntés et hébraïcisés (conservant la ressemblance avec le terme français):
ainsi 'paradigme' est traduit par paradigma, 'syntagme' par sintagma et les adjec
tifs 'syntagmatique' et 'paradigmatique' sont traduits par sintagmati et para
digmati. L'adjectif 'diachronique' est traduit par diaxroni et 'synchronique' par
sinxroni. Ce sont tous des termes employés en hébreu moderne pour la théorie
saussurienne.
C'est la traduction des deux notions, 'langue' et 'parole' qui a suscité le plus
d'hésitations. Au départ, il était question de les traduire par lang et paroi (la
translittération de ces deux termes, comme pour les termes déjà cités). J'avais
pensé que ces termes étant suffisamment connus comme tels il n'était pas néces
saire de les traduire. Suite à des discussions avec le traducteur et les éditeurs qui
considéraient que ni la pensée saussurienne ni ses expressions ne sont suffisam
ment connues par les lecteurs hébréophones, dans la version final de la traduc
tion il a été décidé de traduire les termes avec des équivalents en hébreu, la/on
pour 'langue' et dibur pour 'parole' (tout en sachant que le terme dibur signifie la
langue parlée, et ne rend pas l'aspect accidentel et individuel de la parole, comme
la définissait Saussure).
Comme pour 'langue' et 'parole', les termes 'concept' et 'image acoustique'
ont été traduits par des équivalents en hébreu : 'concept' par musag et 'image
acoustique' par dimuj akousti. 'Signifiant' et 'signifié' sont traduits par deux par
ticipes dérivés du mot 'signe' siman en hébreu, 'signifiant' par mesamen et 'signi
fié' par mesuman. 'Arbitraire' a été traduit par/rirouti, 'système' par ma 'arexet et
'valeur' par 'erex. Tous sont des termes usités en hébreu moderne.

INALCO
ilil-yatziv.malibert@inalco.fr

This content downloaded from 193.194.76.5 on Wed, 20 Feb 2019 22:52:20 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms

Vous aimerez peut-être aussi