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La Cryptographie chez les Maures Nole sar quelques alphabels secrets duo Hodh xt MONTEIL. par Vix Le document examiné ici est joint a une lettre en arabe adressée a M. Th. Monod par Sidi Mohammed b. ‘Abd el Malik, de Néma, Cadi du Hodh (Soudan frangais). L’un et Pautre mont été commu- niqués par M.Th. Monod et sont conservés & l'Institut d’Atriqne (Dakar). La lettre est une épitre semi-ollicielle, laudative ; elle annonce Venvoi d’une piece de vers (gasida) dédiée au Gouvernement géné- ral de VA. O. F. Une seule ligne, la 162, se rapporte au document : « Je Venvoie un ti renfermant quelques spécimens d’écritures «que j'ai trouvés dans les livres ct que je n’ai pu déchiffrer. » Ce dernier aveu explique les errata du copiste. ‘TRapucrion. Le document est un feuillet de 18/11 em., écrit sur les deux faces. Ils’ouvre ainsi: «Chapitre des écritures dérivées de Varabe », Suit Pénumération de neuf systémes cryptographiques; chacun eux est nommé ct présenté en quelques mots, puis viennent les caractéres ésotériques, écrits 4 la suite les uns des autres, de droite A gauche; enfin, éventuellement, de secs commentaires. Voici le « texte : \, ELBit'i. Ecriture de la magie (hikma). Inventé par Malay ldris. Les lettres sont classées. ns ordre de leur valeur numé- rique (abujad), en unités, dizaines et centaines. 2. El-Hindi (U Indien). Transerit par Heda le Mage (hukim). Bulletin de Uifan, t. NUL. 79 1258 VINCENT MONTEIL 3. El-Qaljatiri (1). Tran numérique abujad. 4. Transerit par Ibn Yiines le Mage. 5. Transcrit par Falaluis (2) le Mage. 6. Transerit par le Mage Yasin (?) 7 ? (le nom est resté en blanc). Sache que les inventeurs de acléres étaient pas des arabophones, el que tu peux trouver un texte chiffré qui te soit incompréhensible si tule veux rendre en arabe. A Vorigine, ces alphabets ne servaient pas & transcrire Varabe; aussi, si tu trouves un texte ancien, sans doute sera-t-il écrit dans la langue des anciens, e’est--dire, d’étrangers non arabes (a‘ajim). 8. Ee-Tabi't. 9. EL-Yundni (le Gree). Ordre numérique abujad. » it par Je Mage Qalfatir Vines. Ordre Comme Les neuf alphabets ont pu étre établis sur les indications d'un Kounti et d'un Touati qui vivent avee les Ait Oussa. dans la région de Goulimine (Sud-Ouest marocain). Le premier est. Sidi Bu-Bkar uld sayh ‘Abidin ; le second, le srif Mulay Dahman. Clef 1. Les vingt huit lettres de Valphabet arabe suivant Vordre croissant de leur valeur numérique dans le léme barbaresque connu sous Ie nom @abujad {parce que les quatre premiéres sont ‘a. b, 7, d 2. A chaque signe eryptographique correspond une, deux ou trois lettres de Palphabet arabe : deux, si les dizaines ct les cen- taines sont confondues (par exemple : fe = 20 et r= 200, seront représentés par le méme caraclére); Lrois, si un seul signe traduit, avee Punité, la dizaine et la centa ke = 20 et r = 200). sont rangées ys © correspondantes (b Tableaux. — En conséquence, le tebleau 1 comprend les 4 systémes A 28 signes; le tableau Il groupe les 3 systémes a 19 signes: le tableau II renferme les 2 systémes 4 10 signes. On j@rement malaisée dans les deux voit que linterprétation est singu derniers cas, oi il faut essayer 2 ou 3 lettres pour décrypler un seul signe. (1) Le mot viendrait aa gre rei ch S, Teta, Bull, it, Orfent, Instn Fr. Damas, VILV IL, 1938, p. 173. LN CRYPTOGRAPLIE CHEZ LES MAURES 1259 Origine. — Les caractéres employés par ees différents alpha- bets proviennent : 1. soit des lettres de alphabet arabe ell -mémes, souvent non I el-Qalfat iri | el. Falalvisi HE A a\ 2 u 2oo - 6X 4 5 ‘ 1 8 ce PRO rer ele eS erSoLugecrartuesyeayg— VASSEV ASS 2 FevVaresuloevacs BU > mePeh acto beaeaeceeml cen s secrets du Modh ¢ lettres : laluist, el-yasini, el-yiinaint, 1260 VINCENT MONTEIT, diacritées; isolées, juxtaposées ou associées; parfois formant un mot connu ou une racine réelle; 2. soit des chiffres «arabes » (comme nous disons), qu'ils ap- a al-Bitti [et Yonesi | et tajami 2 ) Js! Soe 1S 2 - es y T 3 z es = seo 4 ° Sy m ab 5 »> we od rel & ° Ga as Pv 7 3 © m eee 8 zt are 7) 4 9 2 r te mn 40 os Uy m th we | S |r | 4 Je ¢ a8 so | S | 300 | q m H x to |» | see | i ol fh so | | 500 | & $ m A bo |e [600 | & Ss we ) for Cll toed ist tia sey < 1 to | c8 | too | & fo YS aa Ore eee oteale v 3 KA too | 3 | tooo |e so 6 mm athe Tanteay Il. — Alphabets secrets du Modh i 19 lettres : eLbif'i, el-yiinest, el-‘ajamt. LA CRYPTOGRAPINE CHEZ LES MAURES 1264 pellent, eux : gobari, ou encore ceux dont Jes Arabes se servent a peu prés partout (sauf au Maroc) et qwils nom hendi (in- diens) ; ~ a2 oo ts JluLo-a n oo ce BR JARS ea Luv ape] - 2 v 's = eS ey lettres 2 wy 7 2 za 3 +b é ow 3 3 Ss 2 2 ° ° 2 Q 3 & s 3 2 precteaiG, iS HHELORHH IPOH: 5 nm + é i 5 v7 oon | bets secrets du I lettres ESE 3 od Oo SP é 3 On 3 dizaines Lo 30 4o Se bo To Bo Jo doo Vannear UL abyad 4 pee 3 4 ee ‘ T 8 3 to 1262 VI SCENT MONTEML, 3. de dessins géométriques simples (dont la croix gammée); 4, des mémes, pourvus de petits ronds (caractéres 4 lunette) ; . de lassociation des éléments précédents Remarques. — 1. Tous ces systémes sont considérés par mes infor- mateurs comme « étrangers » (‘ajamiyya), saut El-Hindi, Y Indien, qui doit sans doute son nom aux chiffres qui le caractérisent. 2. Tous les autres, me dit-on, dérivent d’El-Yunant, le grec ancien (étymol, ’lonien), ce qui ne Pempéche pas d’étre attribué a Mulay Idris. A ce dernier serait da également El-Bu't. 3. Les « Mages » cités comme transcripteurs des autres systémes wont pu étre identifiés, Dans Je tableau II,;’ai appelé El-“Ajami nO7 du manuserit. El-Qaljativi ot Et-Tabv'r seraient tres anciens, puisque eomposés par Noé lni-méme dans son arche. 4, Enfin, 10 lettres engendrent toutes les autres ; ce sont celles que l'on appelle : sirr elhorf, «la clef des lettres », e’est-a-dire : khy‘shm gs q,dont les valeurs numériques respectives : 20, 5, 10, 70, 69, 8, 40, 900, 300, 100 permettent, en effet, de retrouver Pabujad et. Palphabet. Concruston, Les systémes cryplographiques, Pécriture magique, sont utili- sés pour la divination, pour Ja confection d’amulettes, de talis- mans (herz), pour la correspondance entre initiés. M. Th. Monod a relevé, dons les inscriptions rupestres du Sahara occidental, des caractéres ésotériques appartenant aux alphabets ‘ibraniyya et saryaniyya. Ibn Khaldoun, dans ses eélebres Prolégomenes, parle lures secretes en ces termes : «Quelques écrivains ont imaginé certaines régles base rv des analogies et dont ils se servent pour lire des écritures dont ils ignorent la clef. C’est ce qu’ils appellent déchiffrer » (litt. «résoudre Pénigmatique>, fakka lmu‘amma) (Trad. Slane, 14, 406). Le vieux chérif Touati m’assure, d’ailleurs, qu’au dire des anciens auteurs, & se pencher sur ces grimoires... «les nourrissons blan- chissent, ct les sages restent perplexes ». des éeri- LA CRYPTOGRAPIUE CHEZ LES MAURES 41263 Appennice (1). Pai publié en 1938 (Systémes eryptographiques (pp. 120-125), 97, pl. V1, fig. 3, in Th. Monon, Contribution & étude du Sahara cecidental, 1, Gravures, peintures et inscriptions rupestres, Publ. Com. Et. Hist. Scient. Afr. occ. fr., série A, n°7, 1938), deux alphabets ésolériques du pays maure (el-saryani et ele ‘abrani). Les neul systémes que m’'a communiqués Sidi Mohammed b. ‘Abd el Malik portent & onze le nombre de ceux qui sont connus: de ces régions. Le méme informateur m’a envoyé un alphabet saryani (fig. 3) Gee asceo} sb S j)s se@eeaeael ACR = =TTIAS APP KRKXX KEL E| GMA SEPP PY SE Sp tr ante de Valphiabet yaryane Mohammed B. ‘Abd’ el Malik loc, cil. 1988, fg. 94). qui differe légerement de ceux que j'ai publiés antérieurement (loc. cit., fig. 94). \ propos de Pabrani, il me signale ‘qu’il n’a plus trouvé per sonne, dans le Hodh, qui le connaisse mais qu’un voyageur digne de foi Faurait yu employé dans le pays des Karadan et des’Awuzqa au pays de Gaygami. Ces noms ne sont peut-étre pas entitrement impossibles a iden- Lifier, puisque M. F. Nicolas me fait remarquer : 1° que Gaygami est une prononciation usuclle, au Niger, du Nguigini des cartes: Qo que Tkaraden est le nom donné par les Tonareg nigériens aux ‘Toubous et Goranes, enfin, 3® qu’il existe sous le nom de Wuzgan un groupement maraboutique @’origine hornouane, parlant kanouri et beri-beri, et qui est précisément grand fabricant d’amulettes. Rien @étonnant, par conséquent, & ce que ces gens del’ Est soient. connus pour employer les caractéres & lunettes. Je donne enfin ci-dessous, quelques références utiles pour étude alphabets : «le ces r MONTELL Leper, M. — Amulets and Superstition, London, 1930. Casaxova, M. — Alphabets magiques arabes (Journ. Asiatique, (11), XVUIT, juillet-septembre 1921, p. 37-55, 1 tableau et XIN, avril-juin 19 p. 250-262). x, M.— Inscriptions arabes en caractéres séparés reeucillies en Maurita~ ie par P. Botry (Iespéris, NIV, fase. 1, p. 17-21, 4 fig.). — Note sur le systéme eryptographique du Mansiir (Hespéris, VIN, 28 triu, 1927, p. 220 iil). Decounpemaxene, J. A. — Note sur quatre systéme tures de notation nan rique (Journ. Asiat., (9), XIV, 1899, p. 258-271). Dewrre, E. — Magie et religion dans 'Afvique du Nord, Alger, 1909, 617 p., tableaux (renvoie & propos des carte juives). Gruswatp. — Eng London, 1936. Mac TLicuart, I. A. — History of the Arabes in the Sud; 1922 (alphabet nouba, ef. M. Delatosse, Mev. ethnogr. et Trad. popil., 1V, n° 18, 1¢F trim, 1923, p. 106). Mangves-Riyrine, J. — Amulettes, talismans et pantacles dans les t tions orientales et oceidentales, Paris, 1938, 370 p., 63 fig. (un chapi sur les alphabets magiques, p. 306-316, avec un [ac-similé reelassc des signes de la Virga aurea! Reicn, $. — Quatre coupes magiques (Bull. Cs nad res & Tunettes a des sources. phabete Sternenschirilt, in Gaster Anniversary Volume, Cambridge, voie R. P. Vincexr. — Reo. bibl, 1908, p. 33 Grou — Archiv. Ovientali, V, 19 ANN, Savrey, F. pe. — Observations sur lalph 1849, p. 247-264, 1 ph. h.- un alphabet secret. tun Wisxnen, 1. A. — Siegel und Cha herei, Berlin-Leipsig, 1930. het tifimag (Journ. asiat., (4), XU, nt, outre des alphabets touare: ktere in der Muhammedanischen Zau-

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