Vous êtes sur la page 1sur 48

RESPONSABILITÉ SOCIALE INTERVIEW LIBRE-ÉCHANGE

DES ENTREPRISES Parminder Vir OBE : La ZLEC : un nouvel accord


Un enjeu de compétition “D’incroyables possibilités pour commercial panafricain
dans l'agribusiness les jeunes agripreneurs africains” prometteur

N°189 | Juin - Août 2018

spore.cta.int

Start-up et TIC

POUR UN MEILLEUR
E-AGRIBUSINESS
Le développement agricole et agroalimentaire analysé et déchiffré
Briefings de
Bruxelles sur le
développement
Sensibiliser la communauté du
développement ACP-UE depuis 2007 aux
défis agricoles et ruraux d’aujourd’hui

www.bruxellesbriefings.net
Les Briefings de Bruxelles sont une initiative du CTA et de ses partenaires :
la Commission européenne (DG DEVCO), le Secrétariat ACP, le Comité des
Ambassadeurs ACP et la confédération CONCORD.
SOMMAIRE

ÉDITORIAL

N° 189 Poursuivre la transformation


TENDANCES
4 | Responsabilité sociale des entreprises :
un enjeu de compétition
de l’agriculture
ENTREPRENARIAT
8 | En Afrique, la production porcine Michael Hailu, directeur du CTA
devient moins taboue
9 | La purée de tomate qui vaut de l’or
Au gré de mes voyages en Afrique, dans les
SMART TECH & INNOVATIONS Caraïbes et le Pacifique, j’ai toujours beaucoup
10 | Un ratio alimentaire optimal
11 | Le secteur laitier kényan de plaisir à rencontrer des jeunes enthousiastes
se met au numérique à l’idée d’innover dans le domaine des TIC pour
l’agriculture (ICT4Ag). Promouvoir l’emploi
AGRICULTURE et l’esprit d’entreprise chez les jeunes est l’un
CLIMATO-INTELLIGENTE
12 | L’Afrique bâtit sa résilience des domaines d’intervention prioritaires du
sur la bonne santé des sols CTA. Pour cela, nous avons la chance de travailler avec d’autres
13 | Les jardins potagers au secours grandes agences, notamment la Banque africaine de développement
des communautés de Vanuatu
(BAD), l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Alliance
INTERVIEWS for Green Revolution in Africa, AGRA) et le Fonds international de
14 | Parminder Vir OBE : “L’agriculture développement agricole.
offre d’incroyables possibilités pour Le CTA fait figure de pionnier en mobilisant de jeunes entrepreneurs
les jeunes entrepreneurs africains”
autour de l’évolution rapide de la technologie. Avec notre appui,
16 | Dr Eleni Gabre-Madhin :
“Ne laissez pas la technologie beaucoup ont acquis de précieuses compétences en matière de
entre les mains des hommes” développement commercial, ont reçu des capitaux de démarrage
et ont créé des start-up qui aident les agriculteurs à améliorer leur
17 | Dossier productivité, à trouver des débouchés, à accéder au financement et
à accroître leur résilience face aux changements climatiques. Cette
Des start-up pour un meilleur e-agribusiness
édition présente plusieurs modèles ICT4Ag adoptés avec succès
dans les pays ACP, sans omettre les défis à relever pour améliorer les
29 | Agribusiness modèles pas encore rentables.
En 2018, le CTA continue d’aider les start-up ICT4Ag et accorde
DÉBOUCHÉS COMMERCIAUX une attention particulière aux femmes chefs d’entreprise avec le
30 | Les indications géographiques concours Pitch Agrihack, fruit d’une collaboration avec la BAD
aident les agriculteurs caribéens et l’AGRA. Parce qu’il ne faut pas laisser “la technologie entre les
31 | De jeunes entrepreneurs donnent mains des hommes”, comme l’affirme à Spore Eleni Gabre-Madhin,
de la valeur au manioc en RDC
fondatrice de l’incubateur d’entreprises blueMoon Ethiopia. Les
SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES finalistes du concours Pitch Agrihack auront l’occasion de s’adresser
32 | Le Cameroun mise à des personnalités de la classe politique et du monde des affaires lors
sur la multiplication semencière de l’édition 2018 du Forum sur la révolution verte en Afrique, qui se
33 | La sauce chili en mode bio en Zambie
tiendra à Kigali, au Rwanda.
34 | FINANCE & ASSURANCE Fin avril, j’ai assisté à la 14e Plateforme de partenariat du Programme
Les contrats à terme en réponse détaillé pour le développement de l’agriculture africaine. Le point
à la volatilité du marché céréalier d’orgue fut la publication du premier rapport biennal sur les progrès
36 | COMMERCE & MARKETING accomplis par les pays sur la voie de la réalisation des objectifs de la
Libre-échange : un nouvel accord Déclaration de Malabo sur la transformation accélérée de l’agriculture.
commercial panafricain prometteur L’Union africaine a également établi un classement des pays en
fonction de leurs progrès. Ce classement permettra aux décideurs
38 | PORTRAIT DE LEADERS
Kasope Ladipo-Ajai : “Pour réussir, politiques de comparer le score de leur pays à celui des autres. Comme
il faut une image de marque forte” le souligne le Dr Godfrey Bahiigwa dans l’entretien qu’il a accordé
à Spore, les responsables politiques ont maintenant la possibilité de
40 | PUBLICATIONS combler les retards et de prendre des mesures ciblées pour obtenir un
meilleur score lors du prochain examen.
44 | OPINION

PHOTO DE COUVERTURE : © DAMIAN PRESTIDGE/CTA SPORE 189 | 3


TENDANCES

RESPONSABILITÉ SOCIALE DES ENTREPRISES

Un enjeu
de compétition
dans l'agribusiness
Les multinationales de l’agroalimentaire intègrent désormais
une dimension sociale et environnementale à leurs activités
commerciales. Malgré de véritables progrès pour les
agriculteurs, beaucoup reste à faire.

Vincent Defait

P
opularisée dans les années 1950, Ce géant industriel espère toucher, Pourquoi une entreprise comme
la Responsabilité sociale des d’ici 2020, pas moins de 5,5 millions de Unilever, qui compte 169 000 employés,
entreprises (RSE), qui implique personnes avec l’objectif d’améliorer prendrait-elle la peine de former des
l’intégration au sein des opérations les conditions de vie des agriculteurs, petits agriculteurs ou d’aider des ensei-
commerciales d’une entreprise d’une d’augmenter les revenus des petits com- gnants de zones rurales malgaches ? La
dimension sociale et environnementale, merçants et d’obtenir une participation réponse est multiple.
est devenue, ces deux dernières décen- accrue des jeunes entrepreneurs au sein
nies, un phénomène global. de ses chaînes d’approvisionnement. Changer les “règles du jeu”
Après avoir longtemps cantonné la En 2016 déjà, l’entreprise affirmait que Les entreprises peuvent investir dans
RSE à leurs départements Marketing ou 650 000 petits agriculteurs et 1,5 mil- la RSE (et le faire savoir auprès du public)
Communication, les grands groupes de lion de vendeurs au détail bénéficiaient sous la pression des consommateurs
l’agroalimentaire ne peuvent désormais d’initiatives promouvant de meilleures soucieux de la traçabilité des produits,
plus échapper à leurs responsabilités pratiques agricoles ou revenus. du fait de la législation et des régulations
vis-à-vis des sociétés au sein desquelles À Madagascar, par exemple, un pro- mises en place par les autorités des pays
ils opèrent. gramme de soutien aux producteurs producteurs, ou encore pour obtenir des
Unilever, l’un des principaux acteurs de vanille lancé en 2013, en partenariat certifications donnant accès à de nou-
du secteur de l’agroalimentaire dans avec l’entreprise Symrise, l’agence de veaux marchés. Plus généralement, la
le monde, affirme ainsi avoir inscrit le coopération allemande GIZ et l’ONG motivation est économique.
développement durable au cœur de sa Save the Children, aurait ainsi déjà porté Dans son rapport intitulé Better business,
stratégie commerciale. À l’image de ce ses fruits : 3 000 petits producteurs ont better world (en anglais) et publié en jan-
qui se fait chez la plupart de ses concur- été formés à de nouvelles pratiques agri- vier 2017, la Business and Sustainable
rents, le Unilever Sustainable Living coles qui ont permis d’augmenter leur Development Commission estime
Plan partirait du principe qu’“une crois- production et de renforcer leur autono- que les 17 Objectifs de développement
sance responsable est le seul modèle qui mie alimentaire ; 160 jeunes ont reçu durable définis par les Nations unies
réussira dans un monde au sein duquel des formations en finance, en alphabé- “offrent au secteur privé une fascinante
les attentes des consommateurs et les tisation et en calcul ; des parents ont été stratégie de croissance qui ouvre de nou-
tendances des dynamiques de marché soutenus afin de couvrir une partie des veaux marchés et, en même temps, aide
changent”. frais scolaires de 77 établissements. à résoudre d’importants défis sociaux

4 | SPORE 189
© NESTLÉ SA
Les investissements de Nestlé ont aidé à réduire
de moitié le travail des enfants dans la chaîne Les objectifs de développement durable,
d’approvisionnement de l’entreprise.
une aubaine pour le secteur privé
et environnementaux”. À la clé : des D’après le rapport Better business, better world, les soixante opportunités de marché à
affaires pour une valeur de 12 billions de plus forte croissance créées par la réalisation des ODD vaudraient 9,7 billions d’euros d’ici
dollars (9,75 billions d’euros) et la créa- 2030. La moitié de celles-ci se trouveraient dans les pays en développement. De quoi
tion de 380 millions d’emplois d’ici 2030 motiver le secteur privé à investir dans l’agrobusiness.
(lire l’encadré ci-contre). Quatorze des opportunités commerciales identifiées dans le rapport sont dans le
En pratique, toutes les entreprises secteur de l’agroalimentaire et sont estimées à 1,8 billion d’euros : la réduction des
n’investissent pas dans la RSE. S’agissant pertes alimentaires dans les chaînes de valeur (126-329 milliards d’euros par an d’ici
des PME, leur taille ne leur permet pas 2030), les services d’écosystèmes forestiers (113-296 milliards d’euros par an d’ici
d’influencer l’ensemble de la chaîne 2030), les marchés alimentaires pour les faibles revenus (126-215 milliards d’euros).
d’approvisionnement dont elles ne D’autres opportunités concernent l’aquaculture, l’utilisation de technologies par les petits
sont qu’un maillon. Quant aux grands agriculteurs, la micro-irrigation et l’agriculture urbaine.
groupes de l’agrobusiness, ils “font face
à de nombreux défis environnementaux
et sociaux”, explique Charles O’Malley,
conseiller senior en partenariat du pro- d’approvisionnement. Un porte-parole en cacao ont marqué le pas du fait de
gramme “Green commodities” du PNUD. de Nestlé affirme ainsi qu’“en inves- mauvaises pratiques agricoles, néfastes
“Si une entreprise agit seule, elle risque de tissant dans la création de valeur sur le pour l’environnement. En 2009, Nestlé
compromettre sa compétitivité”, pour- long terme pour la société, nous nous a donc lancé son “plan cacao”. Après
suit l’expert. “Donc beaucoup du travail assurerons de développer notre business la mise en place en 2012 du “Système
en RSE au sein des grandes entreprises de manière durable”. Ce poids lourd de de suivi et de remédiation du travail
se concentre sur la façon de changer les l’agroalimentaire appelle cela “créer de des enfants” (Child Labour Monitoring
‘règles du jeu’ dans l’industrie en général, la valeur partagée”. Comme d’autres and Remediation System - CLMRS)
soit à travers des standards internatio- acteurs majeurs du secteur, l’entreprise et l’établissement d’un partenariat
naux, soit via la législation nationale.” a dû, dans le passé, faire face à plusieurs avec l’organisation à but non lucratif
défis : d’une part, de nombreuses cri- International Cocoa Initiative, le rapport
La RSE, un atout commercial tiques pointaient le travail des enfants “Lutter contre le travail des enfants”
La RSE peut surtout s’avérer un puis- dans les plantations de cacao d’Afrique publié en 2017 faisait état d’une réduc-
sant outil de sécurisation des chaînes de l’Ouest, d’autre part, les rendements tion de moitié du travail des enfants ›

SPORE 189 | 5
TENDANCES

Dans les Caraïbes, Sandals Resorts renforce


› dans la chaîne d’approvisionnement de
l’entreprise. De même, 163 407 membres les liens entre tourisme et agriculture
de communautés ont été sensibilisés aux
problèmes liés au travail des enfants, Dans les Caraïbes, des sociétés telles que le groupe jamaïcain Sandals Resorts,
et 1 246 personnes font office d’agents qui exploite 19 hôtels all-inclusive dans six îles, montrent l’exemple en matière de
de liaison au sein des communautés. responsabilité sociale des entreprises (RSE). En Jamaïque, où le groupe possède
La même année, Nestlé affirme avoir 14 propriétés et plus de 70 restaurants, le déficit d’importation de denrées alimentaires
fait bénéficier 431  000 agriculteurs atteint environ 1 milliard de dollars dans le secteur du tourisme. Par ailleurs, le rapport
de programmes de renforcement des de 2015 sur la demande dans le secteur du tourisme indique que celui-ci consomme
compétences et avoir offert près de 820 000 kilos de pommes de terre chaque année. Conscient de la nécessité de
160 millions de nouveaux plants à haut réorganiser l’approvisionnement de ses hôtels en denrées alimentaires, Sandals a lancé
rendement, l’objectif étant d’en distri- en mars 2018 un projet pilote d’achat direct de plants de pommes de terre, pour un
buer 220 millions d’ici 2020. montant de 22 350 dollars, au profit de cinq producteurs. Cela représente 1 300 sacs de
Très exposées médiatiquement, les plants, de quoi cultiver 20,5 hectares pour produire, selon les estimations, 341 000 kilos
multinationales du cacao investissent de pommes de terre, soit 40 % de la demande actuelle.
énormément dans la RSE. Le PNUD, Suivant cet accord, les producteurs ont un accès garanti au marché et peuvent attendre
en partenariat avec le Ghana Cocoa la première récolte pour rembourser, sans intérêts, l’achat des plants à Sandals. Sandals
Board (COCOBOD) et avec le soutien estime qu’à terme ce partenariat lui permettra de s’approvisionner en pommes de terre
financier de Mondelēz International, a exclusivement auprès de producteurs jamaïcains, ce qui contribuera aussi à réduire ses
mis en place le projet “Environmental frais d’importation et à améliorer la qualité et la durabilité de son approvisionnement. Le
Sustainability and Policy for Cocoa groupe espère par ailleurs que son projet se développera et que d’autres agriculteurs s’y
Production” au Ghana, deuxième pro- associeront, l’ambition étant de parvenir à ce que d’ici trois ans une quinzaine de produits
ducteur mondial de cacao, pour un soient cultivés et vendus à d’autres opérateurs du secteur du tourisme.
budget de 1,4 million d’euros. Dans ce Selon Jordan Samuda, le directeur des achats de Sandals Resorts International, “le
pays où 800 000 producteurs dépendent groupe Sandals est convaincu qu’il est crucial d’offrir des débouchés aux producteurs
de cette filière, 100 000 d’entre eux ont locaux, dont la croissance durable nécessite un plus grand soutien du secteur privé”.
adopté de nouvelles pratiques et 780 000 Le vice-président de Sandals Resorts International, Adam Stewart, a chargé l’équipe
semis ont été distribués pour réhabiliter responsable de la chaîne d’approvisionnement d‘établir une stratégie à long terme pour
8 600 hectares de forêts. fournir cette assistance aux producteurs.
Limiter la motivation des entreprises Cette initiative n’est qu’une première étape, puisque le groupe s’est engagé en 2018 à
à de simples intérêts économiques investir plus de 160 000 dollars par an dans l’aide aux agriculteurs dans le cadre de divers
serait toutefois réducteur. “Il y a eu projets en Jamaïque. “Notre objectif à long terme est de stimuler l’agriculture locale afin
une énorme prise de conscience des qu’elle produise suffisamment pour que Sandals et les autres opérateurs du secteur du
entreprises et une compréhension des tourisme réduisent sensiblement leurs importations”, explique Jordan Samuda.
problèmes sociaux et environnemen-
taux dans l’agriculture, allant des droits Natalie Dookie
du travail aux droits des humains, en
passant par la gestion des écosystèmes”,
affirme Charles O’Malley. “Bien des
actions entreprises sont en lien avec sans doute beaucoup à leur vendre plus efficace de l’eau, de formations
les pratiques agricoles, des rendements si ceux-ci devenaient solvables. Ces agronomiques, de nouvelles formes
à la hausse, une meilleure qualité des petits producteurs “pré-commerciaux” d’organisation, de liens aux marchés…”
produits et de meilleurs prix sur les mar- sont la cible principale de la Fondation Sur le terrain, les programmes de la fon-
chés internationaux. Pour les acteurs Syngenta pour l’agriculture durable, dation ont un impact positif certain sur la
majeurs, une large part de la RSE et de créée il y a 35 ans. “Nous voulons aider vie des petits producteurs (lire Filière pro-
la stratégie durable est en rapport avec à générer de bons revenus, d’une part metteuse cherche jeunes entrepreneurs, Spore
la sécurité de l’approvisionnement sur le en aidant les petits agriculteurs à amé- 188 - https://tinyurl.com/ybvcpkdj).
long terme. Donc la RSE est un problème liorer leurs récoltes, d’autre part en leur
très stratégique. Néanmoins, l’agricul- donnant accès à des marchés lucratifs “Notre métier évolue”
ture est un marché global et il existe sur lesquels ils peuvent vendre leurs La RSE dans l’agriculture peut aussi
beaucoup d’acteurs dans les chaînes produits”, explique Paul Castle, res- être l’œuvre d’entreprises a priori très
d’approvisionnement, des producteurs ponsable de la communication de la éloignées du secteur. L’opérateur télé-
aux commerçants et aux transforma- Fondation Syngenta. “Nous ne sommes phonique français Orange, par exemple,
teurs, qui ne sont pas au courant de ces pas une ‘deuxième équipe marketing’ a soutenu Abdou Maman Kané, un
enjeux ou ne s’en préoccupent pas.” pour l’entreprise. Beaucoup des pro- informaticien nigérien, pour développer
© IKE/UNDP GHANA

blèmes des petits agriculteurs n’ont rien sa start-up Télé-irrigation : il suffit aux
Des acteurs inattendus à voir avec les produits [d’entreprises agriculteurs d’appeler un numéro de
Certaines multinationales n’achètent comme Syngenta]. Ils ont besoin, par téléphone pour déclencher une pompe à
rien aux petits agriculteurs, mais auraient exemple, de meilleurs sols, d’une gestion eau. L’irrigation des champs peut ainsi se

6 | SPORE 189
faire à distance et à la demande, évitant porte une part de l’avenir de l’humanité modèles commerciaux de leurs chaînes
de transporter de lourds jerricans sur de et elle doit relever un formidable défi en d’approvisionnement afin de s’assurer
longues distances, dans ces zones rurales termes de croissance, d’infrastructures, que davantage de la valeur générée par
où la disponibilité de l’eau est rare. d’inclusion sociale…”. leurs produits bénéficie aux agriculteurs
“Notre métier évolue, la création de et aux travailleurs qui en produisent les
valeur se développe autour des nouveaux Des progrès indéniables, ingrédients”.
usages et services. L’enjeu stratégique mais insuffisants La difficulté tient pour beaucoup au
d’Orange est d’être le partenaire majeur En 2013, l’ONG britannique Oxfam a fait que “même les grandes entreprises
de la transformation numérique de lancé sa campagne “Behind the brand” ne peuvent avoir qu’un impact limité
l’Afrique et du Moyen-Orient. Cela passe (“Derrière la marque”) qui consistait à sur les chaînes d’approvisionnement”,
par le mobile money, l’énergie, l’éduca- noter les performances de dix grandes explique Charles O’Malley. “McDonald’s,
tion, la santé… et bien sûr l’agriculture”, entreprises de l’agroalimentaire dans par exemple, s’est fortement engagé à
justifie Bruno Mettling, PDG d’Orange sept domaines : transparence, femmes, se fournir en viande de bœuf auprès
Moyen-Orient et Afrique. travailleurs, agriculteurs, terres, eau de fermes qui ne participent pas à la
L’opérateur a ainsi développé toute une et climat. Trois ans plus tard, Oxfam déforestation. Bien que McDonald’s soit
batterie de services dits “projets m-agri”. observait que “les ‘10 grandes’ entre- clairement un gros acheteur de viande
“La RSE s’intègre de plus en plus dans prises de l’alimentation et des boissons de bœuf, il ne représente qu’un petit
notre business. Au fur et à mesure, elle se sont engagées de façon significative à pourcentage du marché global. Ses
est assimilée au sein de toutes les acti- améliorer les standards sociaux et envi- fournisseurs peuvent avoir participé à
vités et métiers de chacun, même s’il y ronnementaux dans leurs vastes chaînes la déforestation auparavant. Les fermes
a encore du chemin à parcourir.” Orange d’approvisionnement”. Unilever, Nestlé qui ont récemment participé à la défo-
est très implanté en Afrique et Bruno et Coca-Cola occupent le podium des restation peuvent facilement trouver
Mettling ne perd pas de vue que “ce mieux notées. Cependant, nuance d’autres acheteurs, puisque 95 % de
grand continent verra sa population plus l’ONG, “pour accélérer la transforma- ceux-ci n’exigent rien sur le sujet. Donc
que doubler d’ici 2050, quand celle de tion vers un système alimentaire plus la déforestation continue.” Le problème
l’Europe continuera de baisser. Avec une durable, les entreprises doivent aller plus est aussi vrai dans d’autres secteurs
telle équation démographique, l’Afrique loin et fondamentalement réécrire les de l’agroalimentaire, d’où la nécessité
d’actions aux niveaux national et inter-
national, au sein de secteurs industriels
entiers.
Il n’en reste pas moins que les grandes
firmes ont un rôle important à jouer.
“Les investissements directs dans les
communautés […] permettent aux entre-
prises de concilier les priorités de leurs
chaînes d’approvisionnement avec le
développement des communautés et les
gains environnementaux”, note un rap-
port conjoint de la FAO et de l’UNIDO (en
anglais), qui présente diverses études de
cas. “Ces exemples sont encourageants,
mais, seuls, ils n’apporteront rien au
développement de secteurs nationaux de
l’agroalimentaire compétitifs et durables
: ces projets bénéficient à des commu-
nautés sélectionnées pour des objectifs
spécifiques aux intérêts des entreprises.
Il manque les ingrédients pour une
intensification de ces projets.” À charge
pour le secteur public et la société civile,
affirment la FAO et l’UNIDO, de créer un
cadre législatif et économique propice à
la généralisation de ces succès au niveau
national. ■

Les agricultrices jouent un rôle clé dans


le projet Environmental Sustainability and Policy
for Coca Production au Ghana.

SPORE 189 | 7
ENTREPRENARIAT

En Afrique,
les agri-entrepreneurs
récoltent les fruits
de la production porcine
à petite échelle et
à faible coût.
© SEAN SPRAGUE/ALAMY STOCK PHOTO

ÉLEVAGE

En Afrique, la production porcine


moins taboue
Une nouvelle génération d’entrepreneurs africains investit dans l’élevage
de porcs, malgré les résistances culturelles pour cette viande sur le continent.

Sam Price

D
e jeunes entrepreneurs africains de volaille et de production de légumes.
exploitent aujourd’hui les nom- En 2004, Anna Phosa a ainsi investi
breux avantages de l’élevage 67 € (1 000 R) dans l’achat de quatre
porcin, ouvrant ainsi la voie à la création porcs. En six ans, son exploitation a
d’un nouveau marché sur le continent. connu une croissance exponentielle
Encore peu consommé en Afrique, du grâce à un contrat conclu en 2006 avec
fait de réticences culturelles et reli- 38 % “Pick n Pay”, le géant sud-africain de
gieuses, le porc représente 38 % de la de la production mondiale de viande la grande distribution, pour la vente de
production mondiale de viande. est du porc. 10 porcs par semaine. Depuis 2010, Anna
Les porcs produisent beaucoup plus de Phosa fournit 100 porcs par semaine,
viande que les bovins, les chèvres et les dans le cadre d’un nouveau contrat
moutons, et leur alimentation est moins nombre de bêtes est rapidement renta- conclu pour une durée de 5 ans.
coûteuse. La période de gestation d’une bilisé. Un seul porcelet, qui coûte entre Pour pouvoir honorer cette com-
truie est d’un peu moins de 4 mois et 25 € (360 rands) et 40 € (600 R), peut se mande, l’entrepreneure a demandé un
sa portée moyenne est de 10 porcelets, vendre jusqu’à 325 € (4 800 R), après six financement supplémentaire auprès
soit 20-25 porcelets par truie et par an. à huit mois. de l’ABSA Bank et de l’USAID. Avec les
De plus, les porcelets ont une croissance À Soweto, en Afrique du Sud, Anna 980 000 € (14,5 millions R) obtenus,
rapide et ont besoin de peu d’espace Phosa est l’un de ces entrepreneurs elle a pu acheter une exploitation de
pour vivre. Les coûts de démarrage pionniers. Avant de découvrir l’élevage 350 hectares, avec une capacité d’éle-
d’un petit élevage porcin sont aussi peu de porcs chez un ami, elle vivait de l’ex- vage de près de 4 000 porcs, et engager
élevés et l’investissement dans un petit ploitation d’une petite ferme d’élevage 20 personnes. “Pick n Pay a créé des

8 | SPORE 189
débouchés pour Anna”, explique Sisa TRANSFORMATION
Ntshona, responsable du développement
d’entreprise chez ABSA. “Nous avons pu
la financer grâce à ce marché potentiel.
Nous n’avons pas octroyé ce finance-
La purée de tomate
ment sur la base des garanties qui sont
habituellement demandées, car Anna ne
pouvait tout simplement pas en fournir,
qui vaut de l’or
comme presque tous les entrepreneurs
du pays.” Le togolais Ismaël Tanko a créé une entreprise
Sur la côte ouest de l’Afrique du Sud, florissante dont les purées de tomates sont vendues
Augusta Thomas ne possède qu’une
exploitation de 3 hectares. Après avoir dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. Prochaine
démarré son élevage avec deux porcelets étape : industrialiser la production et multiplier les
il y a vingt ans, elle est à présent à la tête
d’une exploitation de dix truies, ce qui lui points de vente.
permet de nourrir sa famille et de subve-
nir aux besoins des autres membres de la
communauté. Selon Augusta Thomas, la Vincent Defait
façon la plus simple de gagner de l’argent

F
grâce à l’élevage porcin est de vendre des
porcelets sevrés, destinés à la consom- ondateur et PDG de Tim Agro, Ismaël Tanko a mis sur le marché ses
mation des ménages, à des acheteurs premières bouteilles de purée de tomates en 2016. Un an plus tard, son
informels. Augusta Thomas réduit ses entreprise en produisait 30 tonnes pour un chiffre d’affaires de 10 600 €
coûts en limitant à un minimum les (7 millions de francs CFA). Objectif de production pour 2018 : 150 tonnes.
frais d’alimentation et en se procurant “L'idée de départ, en me lançant dans la transformation et la commercia-
des sous-produits du blé, habituelle- lisation de purée de tomates, était de régler le problème crucial des pertes
ment mis au rebut, auprès d’agriculteurs postrécolte des agriculteurs et d'augmenter ainsi leur niveau de vie”, explique
locaux. Ces déchets sont mis à tremper Ismaël Tanko. À chaque saison des pluies, propice à la culture maraîchère, les
pendant 12 heures et sont ensuite cuits producteurs de tomates ne savaient que faire de leurs invendus. En saison
en bouillie, ce qui en facilite la diges- sèche, les tomates deviennent rares et les prix augmentent. Ismaël Tanko a
tion. Elle vend aussi du lisier de porc à donc étudié sur Internet la meilleure façon de conserver le fruit, afin de le
0,7 € (10 R) par sac de 10 kg, ou échange vendre toute l’année. Le procédé est simple, décrit-il : collecte au village, tri,
le lisier contre des déchets de fruits et lavage, traitement de conservation, broyage et embouteillage.
légumes qui enrichiront l’alimentation L’entreprise, qui emploie huit salariés permanents et soixante saisonniers,
des porcs en nutriments. achetait les tomates sur le marché de Lomé, au début, avant de s’approvi-
L’agricultrice ougandaise Rachel sionner directement auprès de petits producteurs. Ismaël Tanko envisage
Mubiru a, elle aussi, commencé avec désormais d’établir des contrats avec des agriculteurs. “Chaque producteur
une petite exploitation avicole avant de aura une rémunération fixe et une commission variable en fonction de la
se lancer dans l’élevage porcin. Après superficie de son exploita-
© ISMAËL TANKO

des débuts avec des races locales, elle tion ainsi que de la quantité
a constaté que des races exotiques de tomates qu'il aura réussi à
– comme la Landrace et la Largewhite – obtenir”, explique-t-il. Une
se développaient beaucoup plus vite façon de s’assurer, aussi, de la
et donnaient des porcs beaucoup plus qualité des fruits.
grands qui pouvaient se vendre plus cher “Sans additifs ni conser-
sur le marché. Son exploitation, désor- vateurs”, la purée de tomates
mais lucrative, repose à présent sur un est déjà distribuée au Burkina
cheptel parental de dix têtes. Faso, en Côte d’Ivoire, au Mali
Anna Phosa, Augusta Thomas et et au Niger. Ismaël Tanko
Rachel Mubiru ont toutes développé ambitionne de vendre ses
avec succès une exploitation à petite purées, d’ici fin 2019, dans
échelle et à faible coût, grâce à des 24 pays d’Afrique. Son conseil
modèles d’entreprise différents. Le aux jeunes entrepreneurs ?
conseil d’Anna Phosa ? “C’est une bonne “Mettre un accent particulier
idée de commencer à petite échelle. sur deux éléments : la qualité
Pour réussir, il faut être passionné par ce En produisant de la purée de tomate, des produits et leur packaging.”
que l’on fait et être prêt à retrousser ses Tim Agro réduit les pertes postrécolte Ensuite, ils pourront rêver de
manches.” ■ et offre un nouveau débouché aux agriculteurs. “tutoyer les sommets”. ■

SPORE 189 | 9
SMART TECH & INNOVATIONS

APPLICATION D'ÉLEVAGE

Ratio alimentaire optimal pour le bétail


La société néerlandaise Single Spark a

© SINGLE SPARK
conçu une application qui livre la
formule alimentaire optimale en fonction
des besoins nutritionnels du bétail.
Résultat : des économies substantielles et
des revenus à la hausse pour les éleveurs.

Marc van der Sterren

L
ancée fin 2017, l’application Feed Calculator fournit aux
petits agriculteurs des pays en développement la formule
alimentaire optimale pour leur bétail. Pour cela, il suffit de
sélectionner les animaux concernés, les ingrédients disponibles
au niveau local et leurs prix : l’appli effectue le calcul. Après avoir
été testée au Malawi, au Rwanda, en Tanzanie et en Zambie, le
calculateur alimentaire a déjà été téléchargé plus de 5 000 fois,
avec 80 à 100 nouveaux téléchargements par jour.
Dans certaines régions, il est difficile de trouver des produits
nutritifs pour le bétail. Par ailleurs, la qualité des aliments Feed Calculator a réduit le coût de l'alimentation de 30 % et augmenté
composés instantanément est souvent inégale. De plus, l'ur- les revenus des agriculteurs de plus de 50 %.
banisation et l'amélioration du niveau de vie entraînent une
augmentation de la demande de viande et d'autres produits nutritive, ont entraîné une diminution des coûts de l’alimenta-
d'origine animale, comme les œufs et les produits laitiers. La tion du bétail de 30 %, ainsi qu’une augmentation des revenus
concurrence féroce sur le marché entre les produits destinés à des éleveurs de plus de 50 %. Avant d’utiliser l’appli, Amina
la consommation animale et ceux destinés à la consommation Shemshi, une Tanzanienne éleveuse de volaille, vendait
humaine a donc fait grimper en flèche les prix des aliments 300 poussins entre 71,10 € et 88,88 € (200 000-250 000 TZS)
pour animaux, qui représentent plus de 70 % des coûts contre 195,54 € à 213,31 € (550  000-600  000 TZS)
supportés par les éleveurs. aujourd’hui. “J'avais l'habitude de vendre mes pous-
Il est beaucoup moins coûteux pour les agricul- 70 % sins à l’âge de 6 semaines, mais maintenant je peux
teurs de prépaper eux-mêmes les aliments du des coûts les vendre plus tôt.”
bétail avec des ingrédients achetés localement, supportés par les Peter Meijer veut généraliser l’usage de l’appli à un
mais cela nécessite une recette fiable et une éleveurs vont aux million d'agriculteurs à l’horizon 2020. Jusqu'à pré-
connaissance des proportions exactes de nutri- aliments pour sent, les algorithmes de l'application n'ont pu générer
ments dont les animaux ont besoin en fonction de animaux. des formules que pour l'alimentation des porcs et de
leur âge. Les agriculteurs doivent également connaître la volaille – poules pondeuses et poulets à griller. “Nous
la valeur nutritive des différents ingrédients disponibles travaillons actuellement sur des recettes d'aliments pour
sur le marché local. “De plus en plus de gens ont un ordinateur poissons-chats”, indique Peter Meijer. “En collaboration avec
dans leur poche”, note Peter Meijer, directeur général de Single Oxfam Novib, Single Spark teste pour l’heure l'application
Spark et créateur de l’application. “Nous avons donc eu l’idée de auprès de 70 élevages de poissons-chats au Nigeria.”
fournir ces informations via une appli pratique et facile d’em- Feed Calculator peut être téléchargée à partir de la boutique
ploi”, explique-t-il en agitant son smartphone. Pour concevoir Google Play Store et est gratuite pour les petits exploitants
l’application, Single Spark a collaboré avec des nutritionnistes, agricoles (1 000 volailles ou 10 porcs avec un maximum de six
des développeurs de logiciels et des petits agriculteurs de pays recettes par an). Les agriculteurs dont le cheptel est plus impor-
en développement. tant doivent payer 50 € par an, mais le coût de l’abonnement est
En simplifiant une procédure complexe, l’appli permet aux amorti en quelques semaines grâce aux économies réalisées. La
éleveurs de ne plus passer par les transformateurs d'aliments plupart des utilisateurs de Feed Calculator sont originaires d’Inde,
professionnels. Les économies ainsi réalisées, combinées à la du Kenya, du Nigeria et de l'Ouganda, mais la société a reçu des
garantie d'une alimentation de haute qualité et de haute valeur témoignages positifs d’éleveurs des quatre coins du monde. ■

10 | SPORE 189
TRANSFORMATION TECHNOLO GIQUE Gestion
Le secteur laitier au Kenya des données
Traçage du sorgho
se met au numérique EN HAÏTI, une plateforme mobile de
collecte de données lancée en 2016
facilite le développement et la gestion
En minimisant les pertes et en maximisant les profits de la chaîne d’approvisionnement du
des éleveurs, les nouvelles technologies permettent sorgho. Les agents de terrain de la
plateforme SMASH Mobil dispensent
de transformer l’élevage laitier en une activité de plus aux producteurs une formation sur
en plus lucrative pour les petits producteurs kényans. la productivité et enregistrent leurs
informations chiffrées dans le système.
Avec des données en temps quasi
Stephanie Lynch et Benson Rioba réel, les agents peuvent suivre la
croissance, la qualité et les prévisions

L
de rendement, puis ensuite les achats
e système numérique de pesage pour le lait et les déductions pour les et les mouvements du produit, de
et de chaîne logistique EASYMA approvisionnements en intrants. Le l’exploitation jusqu’au stockage. Cette
6.0, mis au point en 2014 par l’en- système transmet aussi aux banques des traçabilité permet de surveiller les
treprise Amtech Technologies Limited, informations relatives aux crédits et aux volumes de production et de réduire les
permet à 22 000 éleveurs kényans d’ob- remboursements. Les éleveurs peuvent risques pour les acheteurs. Développée
tenir de meilleurs prix pour leur lait et ainsi retirer leur argent aux distributeurs par l'entreprise sociale Dimagi,
leur donne accès à des services de vul- automatiques de billets ou dans des SMASH Mobil a permis d'augmenter
garisation, à des produits financiers ainsi points de vente situés dans l’ensemble jusqu’à 75 % les revenus de plus de
qu’à des produits d’assurance pour leur du pays. 16 000 agriculteurs.
bétail. EASYMA 6.0 met les éleveurs en lien
Dans des centres de collecte désignés, avec des commerces qui proposent des
un reçu automatique est remis à l’éle- aliments pour animaux, des produits Couveuse
veur et le poids enregistré est transmis sanitaires et d’autres services. Les achats
en ligne au bureau principal du centre sont déduits des paiements lors des intelligente
de collecte. Les éleveurs sont ainsi livraisons de lait. Cet accès amélioré aux
payés dès la livraison.“Avant, le pesage intrants et aux services de vulgarisation, Des poussins
manuel n’était pas très précis. Je perdais par exemple en matière d’insémination
3 000 à 3 500 Ksh (24 à 28 €) par mois”, artificielle, ainsi que la confiance crois- bien surveillés
témoigne Richard Terer, producteur sante des éleveurs dans le processus de
laitier du comté de Bomet. Désormais, pesage et de paiement, profitent aux AU KENYA, une nouvelle couveuse
“mon lait est pesé à la décimale près et différents acteurs de la chaîne de valeur. permet de diminuer par six le taux de
j’en obtiens le juste prix”. “Avec une fidélité accrue, nous achetons mortalité des poussins et de réduire
Les transactions sont consignées dans plus de lait et faisons du commerce avec la période moyenne de maturité de 6
le système, y compris les paiements plus d’éleveurs”, se félicite Richard Soi, à 5 semaines. La technologie, mise au
PDG de Siongoroi Dairy Plant, qui utilise point par la start-up Arinifu, contrôle en
© USAID/FEED THE FUTURE KENYA INNOVATION ENGINE

le système EASYMA 6.0. temps réel la température et l’humidité


Le transport de lait sur de longues dans la couveuse à l'aide de capteurs
distances et sur des routes en mauvais numériques et d'éléments chauffants.
état donne aussi lieu à des pertes de Reliée à un ordinateur analogique,
revenus pour les éleveurs. La start-up la couveuse est programmée pour
kényane Savanna Circuit Technology déterminer l’âge des poussins et
Limited a donc créé des unités de réfri- réguler les paramètres afin de garantir
gération à énergie solaire pour motos un environnement optimal pour leur
et ânes. Les motos peuvent transporter croissance. La technologie utilise des
jusqu’à 100 litres de lait et coûtent 562 € ampoules infrarouges écologiques plutôt
(70 000 Ksh) pièce. L’entreprise a aussi que du charbon de bois. Les éleveurs
développé l’application Maziwa Plus, peuvent recevoir des informations par
Des innovations technologiques permettent qui quantifie le lait livré pour permettre SMS, notamment des alertes en cas
aux producteurs kényans d’obtenir de meilleurs aux établissements de crédit d’évaluer la de panne de courant et des rappels de
prix pour leur lait. solvabilité des éleveurs. ■ vaccination.

SPORE 189 | 11
AGRICULTURE CLIMATO-INTELLIGENTE

CONSERVATION

La résilience au changement climatique


passe par la bonne santé des sols
En Afrique de l’Est et australe, l’adoption de techniques d’agriculture de conservation
permet à plus de 235 000 familles d’agriculteurs d’améliorer la santé de leurs sols et de
renforcer leur résilience au changement climatique.

Sophie Reeve

D
es pratiques d’intensification Elles augmentent aussi le rendement essais de sélection variétale participa-
durable permettent à 235  000 du maïs et des légumineuses. Dans les tive. Des lignées de maïs résistantes à
familles de petits exploitants de plaines du Malawi, par exemple, les rota- la sécheresse et des variétés de légumi-
mieux s’adapter à la variabilité du cli- tions de culture avec des légumineuses neuses et de fourrage plus résilientes au
mat en Éthiopie, au Kenya, au Malawi, ont permis une hausse des rendements changement climatique et mieux adap-
au Mozambique et en Tanzanie. Financé de maïs jusqu’à 40 %. tées aux pratiques de conservation des
par le Centre australien de recherche La monoculture du maïs a aggravé les agriculteurs ont ainsi été sélectionnées
agronomique internationale et lancé problèmes liés à l’épuisement des sols, et distribuées plus largement par des
en 2010, le programme Intensification l’insécurité alimentaire et au manque de entreprises semencières partenaires.
durable des systèmes de production de revenus. En réponse, SIMLESA, mis en Plus de 40 nouvelles variétés de maïs
maïs et de légumineuses pour la sécurité œuvre par le Centre international d'amé- sélectionnées par les agriculteurs ont
alimentaire en Afrique de l’Est et australe lioration du maïs et du blé (CIMMYT) été commercialisées. Leur rendement
(SIMLESA) aide les agriculteurs à adopter et les instituts nationaux de recherche est de 30 % à 40 % supérieur à celui des
des pratiques d’“agriculture de conser- agronomique, encourage la diversifi- semences traditionnelles en situation de
vation”. Ceci consiste, par exemple, en cation des régimes alimentaires et des sécheresse et de 20 % à 25 % dans des
la rétention des résidus de culture, la revenus en promouvant la production de conditions optimales. “Dans le cadre du
limitation de la perturbation du sol et la cultures multiples. “Une première étape volet kényan du programme, des agri-
culture intercalaire, pour stimuler les vers la sécurité alimentaire et nutrition- culteurs collaborant étroitement avec
rendements et protéger l’environnement. nelle consiste à diversifier le système des scientifiques dans des expériences
Ces pratiques réduisent la dégradation du agricole. En plus du maïs, du sorgho et de de terrain ont pu identifier des variétés
sol et améliorent les niveaux d’humidité différents types de légumineuses, les agri- à plus haut rendement et résistantes au
des terres ainsi que la capture du carbone. culteurs participant à SIMLESA cultivent stress pour les zones agroécologiques à
des légumes et des fruits et élèvent du haut et bas potentiel”, affirme Charles
bétail”, explique Daniel Rodriguez, pro- Nkonge, coordinateur national de
fesseur associé à la Queensland Alliance SIMLESA-Kenya, qui a fait passer le
for Agriculture and Food Innovation, rendement du maïs et des haricots res-
qui fournit un soutien aux recherches pectivement de 1,6 et 0,6 t/ha à 4,5 et
de SIMLESA. Les agriculteurs sont aussi 2,5 t/ha.
encouragés à laisser tout ou une partie En Éthiopie, la collecte de données
des résidus de culture dans les champs, issues de 900 familles d’agriculteurs
à réduire le travail du sol et à alterner a montré que l’adoption de pratiques
cultures de légumes, de céréales et pro- d’agriculture de conservation a permis
duction de fourrage pour renforcer la santé une augmentation des revenus nets de
des sols et améliorer les rendements. la production de maïs à concurrence de
À travers des “plateformes d’inno- 35 %. Les revenus ont encore augmenté
vation agricole”, le programme a aussi lorsque ces pratiques ont été combinées
© APOLLO HABTAMU/ILRI

aidé les agriculteurs à participer à des à des intrants complémentaires, comme


les variétés de semences améliorées. ■
Des pratiques d’agriculture de conservation aident
les petits agriculteurs d’Afrique à améliorer la santé Pour plus d’informations :
de leurs sols et à augmenter leurs rendements. https://tinyurl.com/y9n4mg4l

12 | SPORE 189
Blé résistant RÉDUCTION DES RISQUES

Une variété adaptée


aux terres arides
Les jardins potagers au
UNE NOUVELLE SOUCHE de blé
dur résistant à des températures de
secours des communautés
40 °C a été mise au point pour les
petits exploitants du bassin du fleuve À Vanuatu, l'un des pays les plus vulnérables aux changements
Sénégal. Cette variété résistante à la climatiques, les populations apprennent à adapter leurs
chaleur et à maturation rapide a été
développée à l'aide de techniques de pratiques agricoles et à choisir des cultures adéquates.
sélection moléculaire par le Centre
international de recherche agricole

© MARK CHEW
dans les zones arides (ICARDA). Le Petra Bakewell-Stone
long du bassin du fleuve, qui traverse

À
également le Mali et la Mauritanie,
les agriculteurs produisent du riz Vanuatu, des jardins potagers de
deux fois par an mais doivent laisser démonstration aident les commu-
la terre en jachère pendant l'hiver, nautés à diversifier leurs cultures
lorsque le riz a du mal à germer. et initient les jeunes à de nouvelles
Cependant, selon le Dr Filippo Bassi techniques agricoles, afin d’améliorer la
de l'ICARDA, la culture intercalaire sécurité alimentaire en tenant compte
du blé avec le riz maximisera la du changement climatique. Depuis mai
croissance et pourrait permettre de 2016, l’ONG CARE International a créé, en À Vanuatu, les communautés apprennent
produire jusqu’à 600 000 tonnes de partenariat avec le ministère de l'Agricul- à produire des cultures résistantes aux maladies
plus dans ces zones arides. De quoi ture et du Développement rural (DARD), et au climat afin d'améliorer leur résilience
générer de nombreux emplois et des ces jardins dans dix communautés de la au changement climatique.
revenus pour les populations locales. province de Tafea. Les communautés ont
fourni les terres, le DARD a mis à leur CDCCC, organisés en partenariat avec le
disposition une série de plantes hybrides DARD et le ministère de l'Éducation et
Agriculture qui poussent avec un minimum d’eau et de la Formation, ont formé 259 membres
CARE a fourni des semences légumières de la communauté et 273 étudiants des
de demain résistant mieux à l’impact du change- provinces de Tanna et de Santo. L’accent
ment climatique. est mis sur l'agriculture résistante au
Une formation Les jardins de démonstration com- changement climatique, dont l'amé-
prennent une pépinière pour les petits lioration des techniques de plantation,
en ligne semis à base de couches d'écorces de la production de cultures résistantes au
noix de coco, faciles à se procurer, et changement climatique et aux maladies,
UN COURS UNIVERSITAIRE en une gamme de légumes : ignames, la fertilité des sols et la lutte intégrée
ligne gratuit enseigne aux étudiants taro, kumala, choux, haricots, tomates contre les ravageurs.
les principes et les applications et laitues. Les communautés peuvent La formation des CDCCC a aussi porté
pratiques de l'agriculture intelligente sélectionner les variétés légumières sur les méthodes visant à améliorer la
face au climat (AIC). Conçu par qui survivront et pousseront le mieux sécurité alimentaire. Les participants ont
l’université de Reading, Future of dans leur région. Après la récolte, les également reçu des semis ainsi que des
Farming (l’agriculture de demain) bénéficaires peuvent utiliser les semis, informations pour choisir des cultures
vise à “sensibiliser aux menaces que les rhizomes et les greffes des variétés plus nutritives, comme le kumala, le
fait peser le changement climatique résistantes pour diversifier leurs propres taro, le manioc, le pois mascate et la
sur l’agriculture et l’environnement cultures. gliricidia. “Grâce aux ateliers, j’ai appris
dans le monde”, explique le Par l'intermédiaire des comités com- à améliorer mes rendements et augmen-
chercheur Matthieu Arnoult. Avec munautaires pour la réduction des risques ter mes revenus”, explique May Saskias,
des études de cas – en particulier la liés aux catastrophes et au changement maraîchère et mère de trois enfants.
production laitière et viticole – climatique (Community Disaster and Les membres de la communauté se
ce cours de trois semaines explore Climate Change Committees, CDCCC), préparent aussi à l’inévitable épuise-
la contribution de l'agriculture aux CARE a également obtenu que la question ment des stocks de nourriture pendant
émissions de gaz à effet de serre, du changement climatique soit incluse la saison des cyclones en utilisant des
ainsi que les obstacles à l'adoption dans les programmes scolaires et la poli- séchoirs solaires fabriqués localement
de l’AIC et la façon de les surmonter. tique gouvernementale de Vanuatu. Les pour conserver les aliments. ■

SPORE 189 | 13
INTERVIEWS

PA R M I N D E R V I R O B E

“L’agriculture
offre d’incroyables
possibilités pour les
jeunes entrepreneurs
africains”
Après 30 ans de carrière en tant que productrice de cinéma et de télévision
et investisseur de fonds propres dans ce secteur, Parminder Vir a accepté,
à l’invitation de Tony Elumelu, d’intégrer la Tony Elumelu Foundation.

Oluyinka Alawode

E
n tant que PDG de la Tony Elumelu Le cadre issu de cette réflexion est en Afrique et les entreprises doivent être
Foundation (TEF), Parminder Vir a composé des sept piliers du programme en activité depuis moins de trois ans. À
notamment travaillé au lancement d’entrepreneuriat de la TEF. Ces piliers la première ouverture du portail d’ins-
du “Tony Elumelu Entrepreneurship comprennent un programme de for- cription, en janvier 2015, le nombre de
Programme”, qui soutient l’entreprena- mation de 12 semaines intitulé “Startup candidats était de 20 000. Cette année,
riat africain. Enterprise Toolkit” (Boîte à outils pour pour la quatrième édition du programme,
start-up) et destiné à développer la nous avons reçu 151 692 candidatures.
Quelle est l’histoire du lancement du capacité des entrepreneurs à gérer effica-
programme de la Tony Elumelu Foundation cement leur entreprise ; l’attribution d’un Quel est le pilier le plus important pour la
pour l’entrepreneuriat ? mentor expert ; un capital d’amorçage de réussite à long terme et la viabilité des entre-
La mission de la TEF est de soutenir 4 066 € (5 000 USD) versé à fonds per- prises des participants ?
10 000 entrepreneurs issus de 54 pays dus ; une plateforme en ligne permettant Beaucoup des entrepreneurs de la TEF
africains avec un budget de 81 millions aux entrepreneurs de nouer des relations évoquent le programme de formation,
d’euros (100 millions de dollars US) sur les entre eux ; un rassemblement annuel des ainsi que le mentorat et la possibilité
dix prochaines années. Ce sont les entre- entrepreneurs, des décideurs politiques de nouer des relations avec d’autres
preneurs africains qui créeront les emplois et des principaux acteurs du secteur privé entrepreneurs animés du même esprit
et généreront les revenus qui garantiront le de toute l’Afrique lors du Forum de l’en- et issus de tout le continent africain. Ils
développement économique de l’Afrique. trepreneuriat de la TEF organisé à Lagos ; ne mentionnent le capital d’amorçage
Je me suis donc retrouvée assise à ce une bibliothèque d’informations en ligne qu’en dernier.
bureau en avril 2014, en train d’examiner pour aider les entrepreneurs à dévelop- Nous faisons évoluer la mentalité
cette vision extraordinaire et de penser : per leurs entreprises ; et, enfin, le réseau des entrepreneurs d’une logique de
“Quel cadre devons-nous mettre en place des anciens de la TEF, qui s’enrichit de recherche de subventions à une logique
pour permettre l’institutionnalisation 1 000 nouveaux membres chaque année. de recherche d’investissements. Un
et la démocratisation du soutien aux Les entrepreneurs et les entreprises entrepreneur devient seulement prêt à
entrepreneurs ?” que nous soutenons doivent être basés travailler avec des investisseurs quand

14 | SPORE 189
© TONY ELUMELU FOUNDATION

Parminder Vir, CEO de la principale organisation


philanthropique d’Afrique, supervise le développement
stratégique et la mise en œuvre des programmes clés
de la TEF.

Il existe aussi une extraordinaire quan-


tité de ressources naturelles inexploitées :
60 % des terres arables du monde se
trouvent sur ce continent. L’Ouganda
a un cheptel de plus de 14 millions de
vaches, et pourtant ce pays importe des
chaussures usagées ! Il y a beaucoup de
pays qui cultivent du cacao, mais qui ne
mangent jamais de chocolat. Le déve-
loppement et l’entretien de chaînes de
valeur qui exploitent les ressources natu-
relles disponibles sur le continent africain
créeront de nouvelles opportunités pour
les entrepreneurs, ainsi que des emplois
pour les jeunes.

Qu’en est-il des technologies ?


des clients acceptent de payer pour les l’ampleur des revenus qu’il a générés en Les technologies offrent un immense
produits ou les services de son entre- vendant trois types de cultures par an au potentiel. Aujourd’hui, Internet et les
prise. Le défi consiste à concevoir un lieu d’un seul. Il est aujourd’hui célèbre données mobiles coûtent cher, mais la
modèle commercial capable de transfor- dans sa communauté, à tel point que le technologie joue un rôle de moteur et de
mer 4 060 € (5 000 USD) en 406 000 € président ougandais s’est rendu en per- transformateur. Si vous êtes un éleveur
(500 000 USD). Un de nos entrepreneurs sonne dans son village. Depuis, il a formé d’escargots, un transformateur de manioc
a participé à la formation et au pro- 50 autres agriculteurs, en les encoura- ou d’arachides, la technologie peut vous
gramme de mentorat, il a reçu le capital geant à se considérer comme des chefs aider à entrer en contact avec des ache-
d’amorçage et a ensuite judicieusement d’entreprise. teurs potentiels et à chercher un marché
investi ce capital et sa formation. Un an Un autre entrepreneur utilise la pour votre produit ou votre service en
plus tard, son entreprise de transforma- technologie des drones pour pulvé- dehors de votre zone locale. L’Afrique doit
tion alimentaire générait des revenus de riser de l’engrais sur ses cultures et former ses propres développeurs de tech-
980 000 € (1,2 million USD). distribuer les semences par la voie nologies. Les entrepreneurs actifs dans le
des airs. D’autres participants utilisent domaine des TIC représentent 10 à 12 %
Quels sont les secteurs dans lesquels les des applications permettant aux agri- de ceux que nous avons soutenus. Ils
entrepreneurs innovent le plus souvent ? culteurs de vendre leur production à proposent des solutions extraordinaires,
La première année, nous avons été leurs clients. Les agriculteurs utilisent uniques dans leur façon de répondre aux
impressionnés par le nombre d’idées déjà des téléphones portables pour besoins du continent.
concernant l’agriculture. Les entrepre- suivre le prix des produits de base au
neurs diversifient déjà leurs activités quotidien. Sachant que plus de 30 % Que faut-il faire de plus pour soutenir les
dans les domaines de l’agriculture, de des entrepreneurs de la TEF viennent entrepreneurs ?
l’éducation, de la formation et des TIC, du secteur agricole, nous savons que Il faut diversifier les mécanismes de
par exemple, ces secteurs étant actuel- l’agriculture, de la ferme à l’assiette, financement. À l’heure actuelle, les
lement ceux qui se développent le plus offre d’incroyables possibilités pour les entrepreneurs doivent souvent aller
rapidement en Afrique. jeunes entrepreneurs africains. dans une banque et payer des taux d’in-
térêt extrêmement élevés. Nous devons
Avez-vous des exemples d’entreprises Quelles sont les possibilités de transformer encourager les investisseurs à prendre
agricoles prospères qui se sont développées l’entrepreneuriat en Afrique ? certains risques en investissant dans des
grâce au programme d’entrepreneuriat de Ce continent a la population la plus entreprises en phase de démarrage et à
la TEF ? jeune au monde. L’Afrique compte plus forte croissance dans tout le continent.
Joel Cherop est un entrepreneur ougan- d’un milliard d’habitants, soit un capital Les gouvernements doivent aussi privi-
dais avec un terrain d’un hectare sur humain énorme. C’est l’exploitation de légier l’entrepreneuriat comme moyen
lequel il voulait faire pousser trois types ce capital et son déploiement au service de créer des emplois et améliorer les
de cultures chaque année, au lieu d’un du développement économique et social infrastructures afin de créer un envi-
seul, en canalisant les eaux souterraines. du continent qui présentent le plus ronnement favorable à l’entrepreneuriat
Il y est parvenu et vous pouvez imaginer grand potentiel. dans l’ensemble de l’Afrique. ■

SPORE 189 | 15
INTERVIEWS

DR ELENI GABRE-MADHIN

“Ne laissez pas la


technologie aux hommes”
PDG et fondatrice de blueMoon, le premier incubateur d'entreprises
agroalimentaires destiné aux jeunes en Éthiopie, Eleni Gabre-Madhin
revient sur son expérience d’entrepreneure dans le secteur agricole africain.

© MICHAEL TEWELDE
Emeline Wuilbercq majeur, en aidant ces femmes à sortir de
la pauvreté et en leur ouvrant des portes
et des opportunités.
Quels conseils donneriez-vous aux Des réseaux d'incubateurs ou de
femmes qui veulent marquer de leur em- centres d'innovation financés par le
preinte le secteur agricole ? gouvernement, avec un accès gratuit
Mon conseil, c'est de penser numé- à l'Internet, aideraient davantage de
rique. Si vous produisez du poisson ou femmes et de jeunes à créer des start-up
de la volaille, par exemple, examinez AgriTech et à faire avancer la révolu- Avant de fonder blueMoon, Eleni Gabre-Madhin
comment les technologies numériques tion numérique agricole. Ces dernières a créé la bourse éthiopienne des matières
peuvent améliorer votre entreprise : années, le gouvernement éthiopien a premières pour stimuler le commerce et
comment suivre votre processus de établi environ 2 000 centres de jeunes les revenus des petits producteurs de café.
production et mieux gérer les paie- dans le pays. Ces centres peuvent deve-
ments, comment atteindre vos clients nir des lieux où les jeunes prendront le créé une bourse de marchandises, une
plus rapidement. Aujourd’hui, l’AgTech, temps de réfléchir aux problèmes aux- initiative ambitieuse qui s’est diffusée et
au croisement de la technologie et de quels le monde est confronté et ainsi qui a eu énormément d’impact.
l’agriculture, suscite un formidable développer des idées en vue de la créa- Miser sur l’incubation de start-up et
engouement. Je dirais aux jeunes femmes tion de leur propre entreprise. l’investissement dans des idées inno-
qui sont parfois moins intéressées par les vantes à un stade très précoce est risqué.
TIC : ne laissez pas les technologies entre Qu'est-ce qui vous a motivé à créer l’incu- Les échecs, qui font partie de l'appren-
les mains des hommes. Les applications bateur d’entreprises blueMoon ? tissage de chaque entreprise et de chaque
de pointe – comme l'agriculture de Il n’existait pas de centre de ce type dans entrepreneur, sont nombreux. Toutefois,
précision, l'irrigation intelligente et les le pays. Les idées qui ont un réel potentiel créer une plateforme d'investissement
solutions technologiques respectueuses innovant, évolutif et transformationnel de capital d’amorçage pour des entre-
du climat – sont nombreuses et créeront ne sont pas suffisamment identifiées, prises à risque nous impose d’essayer de
de formidables opportunités pour les et la capacité d’alimenter et de mettre limiter les risques associés aux investis-
jeunes femmes et les jeunes hommes en œuvre des idées et d’investir dans sements. J'avais assez de relations et de
dans le secteur agricole africain. celles-ci fait défaut. Le soutien va prio- contacts dans l'agriculture ainsi qu’une
ritairement aux micro-entreprises et au grande expérience dans l’agrobusiness
Quelles mesures les responsables politiques micro-entrepreneuriat, qui sont souvent pour maximiser les chances de succès.
doivent-ils prendre pour aider les petits pro- des entreprises traditionnelles à faible En outre, ces trois dernières années, le
ducteurs, dont beaucoup sont des femmes, à risque ayant besoin d’un financement à nombre de start-up AgTech a explosé. Le
améliorer leurs revenus et développer de nou- court terme. Mais qu'advient-il des idées secteur AgTech est aujourd'hui considéré
velles agroentreprises ? à haut risque et très novatrices avec un comme la FinTech de demain, en témoigne
Pour aider les femmes des zones impact potentiel très grand ? C'est le pro- l’intérêt qu’il suscite chez les investisseurs
rurales, la mesure politique clé est de blème dont je suis tombée amoureuse : de capital-risque de la Silicon Valley,
permettre que les filles de 12 à 17 ans comment entrer dans cet univers d’idées d’Australie, du Royaume-Uni et des Pays-
poursuivent des études secondaires. Il un peu folles et aider les entrepreneurs Bas. Mais les start-up AgTech sont aussi
s’agit là d’une des principales interven- à réaliser quelque chose d'important ? de plus en plus nombreuses en Afrique
tions politiques qui aurait un impact Cette question m’a passionnée car j’ai depuis 2015. ■

16 | SPORE 189
Dossier

START-UP ET TIC :
POUR UN MEILLEUR
E-AGRIBUSINESS

L’émergence récente des start-up de technologie appliquée à


l’agriculture aide à transformer le secteur et à améliorer l’accès des
agriculteurs à des services de TIC pertinents. Mais pour profiter
pleinement de ce progrès, les entrepreneurs doivent concevoir des
modèles commerciaux durables.
ANALYSE

AG-TECH

Comment
développer
une stratégie
gagnante
L’évolution rapide des TIC offre aux
jeunes entrepreneurs de nouvelles
opportunités dans le secteur agricole.
Toutefois, avant de devenir profitables,
les agroentreprises émergentes doivent
surmonter de nombreux obstacles.
Stephanie Lynch

L
a technologie apparaît de plus en nécessaire pour mettre en place un ont été mises en place pour permettre
plus comme un facteur susceptible modèle d’activité durable. Ceci explique à un plus grand nombre de start-up
de faciliter la transformation de en partie pourquoi de nombreuses d’atteindre une croissance durable. Le
l’agriculture, du fait de sa capacité à aug- start-up ne parviennent jamais à se développement d’une stratégie commer-
menter l’efficience, la résilience et les développer. Parmi les difficultés qui ciale efficace exige toutefois des essais et
rendements agricoles tout en minima- continuent de freiner la réussite des de la réflexion et le cadre temporel des
lisant les coûts. “Le secteur AgTech est entreprises fondées sur les TIC, Christian programmes comme Pitch AgriHack est
aujourd’hui considéré comme la FinTech Merz, responsable senior de programme souvent trop court pour mener à bien ce
de demain”, a récemment déclaré à Spore pour les solutions numériques à la processus. Le CTA recommande donc
Eleni-Gabre Madhin, PDG de blueMoon, Fondation Bill & Melinda Gates, distingue aux agripreneurs d’utiliser un modèle
la première pépinière éthiopienne en particulier “le manque d’éléments d’activité comme celui proposé par
d’agroentreprises ciblant les jeunes. d’appréciation, la situation économique Strategyzer, qui encourage les start-up
Néanmnois, que faut-il faire pour créer difficile et une mauvaise compréhension à réfléchir aux principaux aspects de
une entreprise durable fondée sur les du consommateur”. leur modèle commercial : partenaires
TIC4Ag – technologies de l’information possibles, structure des coûts, flux de
et de la communication pour l’agricul- Planification stratégique revenus et circuits de commercialisation.
ture – dans un marché aussi compétitif Comme blueMoon, d’autres initia- L’investissement de ressources dans le
et exigeant ? tives, telles que African Agribusiness développement d’un modèle commer-
De nombreux jeunes agripreneurs, Incubators Network, le Programme cial réfléchi au moment de la conception
en particulier dans les régions ACP, d’entreprenariat pour l’innovation dans d’une entreprise permet d’économiser
n’ont pas le savoir-faire commercial les Caraïbes et le Pitch AgriHack du CTA, à long terme du temps et de l’argent.

18 | SPORE 189
© ESOKO
Environ un million d’agriculteurs reçoivent des informations ciblées via les SMS d’Esoko, une entreprise présente en Afrique de l’Ouest et de l’Est.

Dans le secteur des TIC4Ag, les start-up les start-up disposent consiste à cibler entre entreprises (B2B) et ceux axés
doivent considérer l’origine de leurs différents segments de clientèle en pro- directement sur les agriculteurs. Tout en
éventuels revenus, dans la mesure où la posant des solutions visant les acteurs délivrant à ces derniers des messages sur
plupart des petits exploitants agricoles des chaînes de valeur du secteur privé, de bonnes pratiques agricoles, des bulle-
ont des moyens limités pour s’offrir ce les organisations d’agriculteurs ou les tins météorologiques et des informations
genre de services ou sont peu enclins à ONG, c’est-à-dire des organisations plus sur les marchés en langue locale, l’entre-
le faire. “Il est facile de s’emballer à l’idée aptes à rémunérer des services que les prise offre aussi des services d’analyse
du grand nombre d’agriculteurs mal agriculteurs eux-mêmes. Ensibuuko, des données et des solutions avisées aux
desservis, mais ceux-ci peuvent aussi un système de stockage d’informations autres acteurs des chaînes de valeur, tels
être des clients compliqués à attirer et hébergé sur le “nuage”, propose contre que les organisations gouvernementales
dont il peut être difficile de tirer parti sur rémunération des services de gestion et les ONG, par le biais de sa plateforme
le plan monétaire”, remarque Michael financière aux coopératives ougandaises Mergdata.
Elliot, directeur régional de programme d’épargne et de crédit (SACCO). Les agri- Mergdata est utile aux agroentreprises
de TechnoServe pour Connected Farmer culteurs membres des SACCO peuvent car elle stimule la productivité des petits
Alliance. vérifier leurs soldes, effectuer des dépôts exploitants grâce à des conseils ciblés,
et retirer de l’argent en utilisant les ser- améliore la transparence dans la chaîne
Des flux de revenus multiples vices d’Ensibuuko sur leurs téléphones d’approvisionnement et permet aux
Lorsqu’ils conçoivent leurs modèles portables. fournisseurs d’intrants de proposer leurs
d’activité, les agripreneurs doivent En Afrique de l’Ouest, Farmerline, produits aux agriculteurs en utilisant un
réfléchir à la façon de diversifier leurs une société de logiciels fondée en 2013, réseau d’agents distributeurs formés.
flux de revenus. L’un des moyens dont mise à la fois sur les flux de revenus Des entreprises d’envergure mondiale ›

SPORE 189 | 19
ANALYSE

Pénétration mobile
Pénétration mobile et Internet
et Internet
Si l’utilisation de la téléphonie mobile a progressé partout dans le monde,
l’Afrique accusede
Si l'utilisation toujours un retard
la téléphonie enatermes
mobile d’accès
progressé à Internet
partout dans le monde,
l'Afrique accuse toujours un retard en termes d'accès à Internet

51 % de la population 92 % des internautes ont


mondiale est aujourd’hui accès au web via des
connectée à Internet. appareils mobiles.

81 % de la population 362 millions d’Africains


africaine – soit 995 sont des internautes actifs,
millions d’habitants – a un soit seulement 29 % de la
abonnement mobile. population du continent.

SOURCE : HOOTSUITE
Source : Hootsuite

› comme The Hershey Company, ECOM pour Spore, Parminder Vir, PDG de la atteindre son seuil de rentabilité en
Trading et Armajaro utilisent les ser- fondation Tony Elumelu. 2020, date à laquelle elle espère réunir
vices de Farmerline pour mieux gérer Sokopepe, une entreprise sociale 60 000 agriculteurs adhérents.
l’ensemble de leur chaîne de valeur en kényane, est conçue pour combler le
Afrique de l’Ouest. manque de registres précis des activités Vérifier l’utilité des services
L’application Paytime de Farmerline agricoles et résoudre les difficultés que “En plus de vous assurer que vous avez
propose aussi aux institutions finan- cette lacune fait peser sur les agricul- des flux de revenus fiables, le plus impor-
cières des sources alternatives de teurs demandant un crédit. L’entreprise a tant est d’offrir quelque chose qui apporte
données qui peuvent servir de garantie créé FARMIS, un système d’information une valeur réelle à la clientèle”, conseille
pour les agriculteurs sans antécédents de pour la gestion des registres agricoles, Ken Lohento. Le développement de ser-
crédit. En offrant une gamme de services afin d’aider les petits exploitants agri- vices fondés sur les TIC à valeur ajoutée
ciblant divers segments de clientèle, coles à commercialiser leurs activités en pour les agriculteurs exige que les entre-
Farmerline est devenue rentable en générant des comptes rendus de leurs prises testent les produits et recueillent
trois ans. “Le développement de diffé- tendances en matière de productivité, des commentaires d’utilisateurs afin
rents flux de revenus et l’exploitation de leurs profits et pertes saisonniers, ainsi d’adapter les services, avant de se lancer
divers segments de clientèle constituent que leurs prévisions de revenus. à plus grande échelle. Ignitia, qui fournit
une stratégie gagnante”, résume Ken Avec les données de ces registres, par SMS des prévisions météorologiques
Lohento, coordinateur senior du pro- Sokopepe connecte les agriculteurs aux quotidiennes aux agriculteurs ghanéens
gramme TIC4Ag pour le CTA. marchés pour leur permettre de vendre par le biais de son service iska™, est
leur production en gros tout en les l’exemple d’une entreprise ayant suivi
Analyse des marchés reliant à des fournisseurs d’intrants, des et réussi ce processus. En 2013, après la
Dans le marché de plus en plus saturé régimes d’assurance et des institutions première saison d’activité d’iska™ en
des TIC4Ag, les aspirants agripreneurs financières. “Je serais disposée à payer période pluvieuse, Ignitia a recueilli des
doivent, en plus d’identifier divers flux pour les services de Sokopepe parce commentaires sur l’utilité et la précision
de revenus, effectuer des recherches que je considère cela comme un inves- de ses prévisions en contactant des indi-
avant de lancer leurs cyberactivités. tissement et non comme une perte”, vidus et des organisations d’agriculteurs
C’est en identifiant les lacunes du mar- a expliqué Agnes Kendi Mwaki, une utilisant le service. Verdict : 93 % des
ché que les start-up peuvent espérer agricultrice kényane. Le service FARMIS adhérents consultaient les prévisions
prendre l’avantage sur leurs concurrents. de Sokopepe comble de toute évidence lorsqu’ils planifiaient leurs activités agri-
“Vous ne pouvez pas dire que vous êtes un manque au sein des TIC4Ag, ce qui coles quotidiennes et le taux de fidélité
un entrepreneur avant d’avoir effectué a permis à l’entreprise de maintenir un des utilisateurs dépassait 95 %, sans
d’intenses recherches sur votre idée”, taux mensuel de croissance de ses utili- doute en raison de la grande précision
a rappelé, dans une récente interview sateurs de 5 %. Elle compte à ce rythme (84 %) des prévisions.

20 | SPORE 189
Bien que les tests aient donné des
résultats positifs et que les prévisions Les 10 causes principales d'échec
météorologiques soient fournies en Les 10
d'une causes principales d’échec
start-up
d’une start-up
quatre langues locales, l’analphabé-
tisme reste un obstacle important à
l’adoption du service. Ce problème cou- Une enquête menée auprès de start-up ayant subi un échec a mis en évidence
Une
les enquête menée
principales causesauprès
de leurde start-up
manque deayant subi un échec a mis en évidence
réussite
rant rend indispensables la surveillance
les principales causes de leur manque de réussite
et l’évaluation constantes de l’utilité des
services pour garantir que les modifica-
tions apportées aux produits améliorent La demande du marché pour
réellement les services proposés. leurs produits est insuffisante
42 %

Formation à la vulgarisation
et à la commercialisation Manque d’argent 29 %
Farmerline prévoit des visites de suivi
aux communautés agricoles locales
utilisant ses services toutes les six à Leur équipe ou leurs partenaires
huit semaines, pour mesurer l’impact ne disposent pas des 23 %
de ses messages vocaux et offrir des compétences appropriées
formations supplémentaires en langue
locale sur l’utilisation de sa technologie
mobile. Même lorsque les services audio Elles sont victimes de la concurrence 2 19 %
sont proposés dans la langue locale,
de nombreux agriculteurs des zones
rurales n’ont aucune connaissance tech-
nologique et ont du mal à accéder aux
Leur modèle de prix n’est pas adapté € 18 %
à leur clientèle
informations sans formation.

En concevant leur Leur produit n’est pas facile à utiliser 17 %


modèle commercial,
Elles n’ont pas conçu un modèle
les agripreneurs doivent d’entreprise évolutif 17 %

penser à la façon de
Leurs efforts de marketing n’ont pas
diversifier leurs revenus 14 %
+

été bien conçus et mis en œuvre

pour une durabilité


à long terme. Leur produit ne répond aux
besoins des consommateurs 14 %
+

Des formations à la vulgarisation


Elles n’ont pas choisi le bon moment
en face à face pour l’utilisation des TIC
pour lancer leur produit
13 %
devraient être intégrées aux stratégies de
commercialisation des start-up TIC4Ag.
Wefarm, le plus grand réseau numé- Source : CB Insights’ 101 startup failure post-mortems
rique du monde pour agriculteurs qui SOURCE : CB INSIGHTS’ 101 STARTUP FAILURE POST-MORTEMS
leur permet de poser des questions liées
aux meilleures pratiques agricoles et d’y
répondre par SMS et en ligne, organise
des formations pour en faciliter l’usage Wefarm forme des agents de vulgari- Wefarm a amélioré ainsi la confiance
et promouvoir la relation d’utilisateur à sation à la promotion de la plateforme des agriculteurs en sa plateforme, qui
utilisateur. L’une des principales difficul- et capables de former d’autres agricul- compte plus de 720 000 adhérents agri-
tés a été de convaincre les agriculteurs teurs. La plateforme organise aussi des coles au Kenya et en Ouganda ; 80 %
que le réseau est utilisable gratuitement, journées de formation en concertation des utilisateurs déclarent que le service
dans la mesure où beaucoup de petits avec des coopératives agricoles et des leur est profitable. L’entreprise bénéficie
producteurs ont eu recours à des ser- campagnes radiophoniques pour sensi- en conséquence d’un taux de fidélité de
vices avec des coûts cachés. biliser le public à son offre de services. 90 %. ›

SPORE 189 | 21
ANALYSE

› Profiter des partenariats Les start-up doivent pour partager une partie des coûts de la
L’adoption des services TIC4Ag peut prestation de services et de la commer-
également être stimulée par la formation dialoguer avec leurs cialisation, un aspect important pour les
de partenariats stratégiques. Brastorne agroentreprises qui démarrent.
Enterprises s’est associée à Orange utilisateurs cibles pour
Botswana pour lancer son application Recherche de financements
mobile mAgri, qui permet aux agricul- développer des solutions Il n’est pas facile de se procurer
teurs d’accéder à l’information agricole, les capitaux permettant aux start-up
aux marchés, aux financements et à
TIC qui répondent à TIC4Ag de démarrer, en particulier dans
une communication bon marché. Grâce les régions ACP, ce qui rend d’autant plus
au partenariat avec cette entreprise
des besoins du marché. cruciale la nécessité d’avoir une structure
bien connue de télécommunications, la de coûts claire et un modèle d’activités
start-up a pu exploiter une vaste réserve agricoles satellitaires, eLEAF et aWhere, réalisable pour que les cyberentreprises
préétablie de clientèle et porter ses avec l’entreprise de télédétection EARS, agroalimentaires puissent optimiser
effectifs d’utilisateurs actifs à 300 000 et avec Ensibuuko, le MUIIS peut pro- leurs chances d’obtenir un prêt ou une
en deux ans. Le service mAgri a auto- poser aux agriculteurs des alertes subvention.
matiquement acquis une légitimité en météorologiques adaptées au contexte Seules les start-up qui ont réfléchi
s’associant avec la marque Orange. local et des conseils agronomiques sur à toutes ces questions seront prises
Les partenariats peuvent aussi aider les leurs téléphones portables, ainsi que des en considération pour l’attribution
start-up à créer un produit plus attrayant. assurances basées sur un indice météo- d’aides de la part des pépinières, des
Plutôt que de ne proposer qu’un seul rologique pour le maïs, les haricots, le programmes d’entreprenariat, d’inves-
service, les entreprises peuvent, en sésame ou le soja – le tout dans le cadre tisseurs providentiels et d’institutions
s’associant à différentes organisations d’une adhésion unique. financières. ■
dotées de capacités diverses, offrir un Étant donné les coûts et les infrastruc-
éventail de services TIC4Ag à valeur tures nécessaires pour fournir l’éventail Publié récemment par le CTA, Guide de
ajoutée. Le MUIIS du CTA (Service d’in- de services du MUIIS, cette prestation l’agripreneuriat digital : La voie du succès
formation TIC4Ag, axé sur les marchés et serait impossible sans la formation de pour les jeunes entrepreneurs des pays ACP
appartenant aux utilisateurs) est fondé partenariats avec des organisations (https://tinyurl.com/ybhaacgn) offre des
sur ce modèle. Grâce à des partena- dotées des capacités appropriées. Les informations détaillées aux jeunes intéressés
riats avec des fournisseurs de données partenariats sont donc également utiles par l’e-agrobusiness.

Le secret du succès d’Esoko


Riche de plus de dix ans de prestations performantes de services TIC4Ag, Esoko constitue un bon exemple de modèle viable
d’e-agribusiness. “La clef de la réussite durable d’Esoko réside dans nos efforts constants pour savoir ce dont les agriculteurs ont
besoin et traduire cela dans notre offre de services”, explique un porte-parole d’Esoko.
Lancée en 2005 comme une expérience visant à découvrir comment la technologie pourrait améliorer les moyens de subsistance
des communautés rurales en Afrique, Esoko a commencé à fournir aux agriculteurs des informations sur les prix du marché par SMS.
L’entreprise a rapidement mis en place un centre d’appels pour résoudre les difficultés d’alphabétisation et offrir les informations
dans les langues locales. Les agriculteurs avaient besoin de plus d’informations et l’entreprise a ajouté à ses services des conseils sur
les cultures et des alertes météorologiques, ainsi que la possibilité d’une connexion facilitée entre acheteurs et producteurs.
Pour diversifier son offre de services et ses revenus, Esoko a ensuite développé deux produits, Insyt et Knowledge Plus, sur
un modèle interentreprises (B2B). Insyt propose des outils de collecte des données mobiles et web pour aider les organismes
gouvernementaux, les agroentreprises ou les ONG à effectuer des recherches sur le marché et profiler leurs bénéficiaires. De son
côté, Knowledge Plus permet à ces organisations d’organiser le contenu et de fournir aux communautés éloignées les informations
requises sous une forme accessible hors ligne. Grâce à son réseau de recensement au Ghana, l’entreprise a profilé 2,2 millions
d’agriculteurs et cartographié plus de 42 000 hectares de terres agricoles.
La capacité d’Esoko à collecter des données et à diffuser l’information la démarque de ses concurrents. Pour élargir sa clientèle
d’agriculteurs – environ un million d’adhérents – Esoko s’est associée en 2015 avec Vodafone Ghana. Par l’intermédiaire du club
d’agriculteurs de Vodafone, Esoko propose aux exploitants agricoles les prix du marché, des prévisions météorologiques adaptées à
un emplacement géographique précis et des conseils agricoles pour un prix réduit de 0,36 € par mois. La valeur de ses services pour
les agriculteurs comme pour les entreprises garantit à Esoko que sa base d’utilisateurs continue à augmenter.

22 | SPORE 189
INTERVIEW
Martin Stimela :
“L’entreprise doit créer des liens”
Stephanie Lynch

D
irecteur de Brastorne Enterprises, une abonnements – ou le recours à un système

© BRASTORNE ENTERPRISES
société qui propose des solutions TIC de prépaiement pour les services de SMS et
pour l’agriculture africaine, Martin appels individuels. Les entreprises sont aussi
Stimela insiste sur l’importance pour une prêtes à payer pour avoir accès aux données
entreprise de s’inscrire dans le contexte des clients. Nous pouvons, par exemple,
local. fournir des données agrégées anonymisées
sur les plus de 500 000 utilisateurs de notre
Martin Stimela,
Quelle est la clé pour créer un modèle plateforme, soit une nouvelle source de
directeur de
d’entreprise ICT4Ag durable et évolutif ? revenus à exploiter. Brastorne
Vous devez offrir des contenus ou services Enterprises,
localisés, qui répondent aux demandes du Comment les partenariats public-privé qui propose des
contexte local. La plupart des travailleurs du (PPP) bénéficient-ils aux agroentreprises solutions TIC pour
secteur agricole sont défavorisés et mal basées sur les TIC ? l’agriculture
desservis, et peu parlent anglais. Donc quand Si vous faites partie d’un PPP, vous ne vous africaine.
je dis que le contenu de vos services doit occupez pas de tout, ce qui réduit les capitaux
être localisé, cela implique qu’il soit traduit nécessaires. Pour développer notre appli
dans la langue locale. mobile, mAgri, nous nous sommes associés à
L’entreprise doit aussi créer des liens avec des opérateurs de téléphonie mobile. Nous
ses clients. Dans l’ICT4Ag, même si les n’avons pas eu à développer notre propre
services sont souvent accessibles sur des base de clients puisque l’entreprise partenaire
téléphones portables, les agroentreprises en disposait déjà. S’associer à une grande
oublient souvent de les rendre attrayants et entreprise reconnue permet à une start-up
se concentrent plutôt sur le prix des produits, d’être plus crédible et de profiter de la loyauté
l’accès aux marchés, les indicateurs d’alerte des clients envers celle-ci.
rapide, etc. Or, quand votre entreprise crée
des liens, les gens peuvent interagir et Pourquoi une commercialisation efficace
discuter du produit, apprendre et partager et la formation à l’utilisation de services
des idées. Vous insufflez de la vitalité et créez ICT4Ag sont-elles si importantes pour
des formes de soutien au sein de votre favoriser l’adoption de ces services par les
groupe cible. utilisateurs finaux ?
La vulgarisation ne consiste pas seulement
Pourquoi est-il important que les à apprendre aux consommateurs comment
agroentreprises basées sur les TIC utiliser le service, mais aussi comment utiliser
envisagent différents modèles d’entreprise ? les téléphones portables ou la technologie
Les entreprises peuvent reposer sur une USSD (données de services supplémentaires
approche B2B (“business-to-business”) ou non structurées) auxquels nous avons
B2C (“business-to-customer”). Avec cette recours.
dernière, l’entreprise s’adresse directement à En outre, disposer d’un service clientèle en
l’agriculteur. Pour des raisons de durabilité, il face-à-face peut aider à renforcer la
peut s’avérer justifié d’intégrer les deux confiance des utilisateurs dans les
modèles, ce qui assure de multiples sources fournisseurs de services. Grâce aux services
de revenus et permet d’attirer différents de commercialisation et de formation sur le
partenaires. La clé du succès est de terrain, les utilisateurs rencontrent les
concevoir un modèle d’entreprise fondé sur personnes derrière le service et peuvent
plusieurs sources de revenus. nouer de meilleurs liens avec l’entreprise, ce
Le modèle B2B privilégie les paiements de qui leur donne un peu plus de confiance dans
masse. L’approche B2C implique en revanche le produit et contribue à encourager
le versement de plus petits montants – des l’adoption des services.

SPORE 189 | 23
REPORTAGE

SÉNÉGAL

La start-up Sooretul met les


produits locaux à portée de clics
Au Sénégal, la plateforme d’e-commerce permet à des PME et des petits producteurs
d’avoir accès à une clientèle urbaine, désireuse de produits locaux de qualité.

Manon Laplace

R
approcher la production rurale des consom-
mateurs urbains : telle est l’ambition de la
start-up sénégalaise Sooretul – “ce n’est
plus loin”, en wolof. Sa plateforme de vente d’ali-
ments locaux et bio, lancée en 2014, vise à rendre
les produits du terroir accessibles aux habitants de
Dakar.
Demandeurs de produits transformés, prêts à
l’emploi, normés et bien présentés, les consom-
mateurs urbains se montrent aussi exigeants sur
la traçabilité et l’éthique des produits. “Il y a eu
une prise de conscience comme quoi le local était
un levier pour l’économie sénégalaise”, explique
Awa Caba, cofondatrice de Sooretul. Mais, “dans
les supermarchés de Dakar, on trouve davantage
de produits importés que de produits locaux
transformés”.

Valoriser les produits locaux


Pour les quatre fondateurs de Sooretul, tout
a commencé en 2011, à l’occasion du concours
Imagine Cup, lancé par Microsoft. Encore élèves
ingénieurs en informatique à l’École supérieure
polytechnique de Dakar, ils créent une plateforme
de promotion et d’information sur les produits
de la pêche, de l’élevage et de l’agriculture à
l’attention des producteurs. Puis, en septembre
2014, la plateforme est finalement consacrée au
e-commerce. La PME Sooretul est lancée grâce
aux fonds propres de ses fondateurs et à une
bourse du Fonds de développement du service
© SANDRO BOZZOLO/AGRITOOLS

universel des télécoms.


Pour les transformatrices, la collaboration avec
Sooretul est aujourd’hui synonyme de soutien
matériel, de plus de visibilité et d’accès à une
nouvelle clientèle urbaine. Avec plus de 7 millions
de personnes connectées à Internet au Sénégal,

24 | SPORE 189
les femmes rurales éloignées de Dakar ont accès Pour cela, nous créons des vidéos de recettes de
ainsi à un nombre considérable de clients via la cuisine qui mettent en avant le produit, mais aussi
plateforme numérique de Sooretul. Ces PME diri- la transformatrice”, explique Awa Caba. DIGITAG
gées par des femmes ont ainsi plus que doublé leur est pour l’instant la plus grande source de revenus
chiffre d’affaires mensuel. de Sooretul.
Sooretul fournit “Beaucoup de ces femmes travaillent depuis En novembre 2016, Sooretul a aussi reçu une
aux transformatrices leur unité de transformation et n’ont pas accès aux subvention de 15 000 € du CTA, en tant que lau-
un soutien matériel, technologies nécessaires, notamment pour faire la réate du premier prix de la compétition Pitch
plus de visibilité et un accès promotion de leurs produits”, souligne Awa Caba. AgriHack dans la catégorie avancée. Un soutien
à une clientèle urbaine. “En zone rurale, elles n’ont pas forcément de lieux qui a aidé à développer l‘entreprise. Depuis, le
de vente à proximité. La vente en ligne était alors nombre de fournisseurs a été élargi de façon à
la solution la plus indiquée.” Ce nouveau marché travailler avec trois nouvelles coopératives de
permet aussi aux coopératives d’étoffer leur offre femmes et répondre à la demande des clients pour
et d’adapter leurs produits. “Grâce aux commen- des produits particuliers. Un véhicule a été acheté
taires des clients qui sont livrés à domicile, on peut pour faciliter la livraison de produits plus volumi-
orienter les transformatrices vers l’amélioration neux. Par ailleurs, Awa Caba optimise ce soutien
ou la création de nouveaux produits”, poursuit pour développer des partenariats en dehors du
Awa Caba Sénégal : Sooretul est en train de finaliser des
accords pour répliquer le modèle de la plateforme
“Le plus dur, c’est l’administration” et des partenariats avec des producteurs locaux en
Il a fallu convaincre les transformatrices de Côte d’Ivoire et a commencé à vendre ses produits
se lancer dans le commerce sur Internet, mais à un grossiste asiatique.
les premières difficultés furent surtout adminis-
tratives. “Le concours Microsoft a réveillé notre Besoin d’investisseurs
esprit d’entrepreneur, mais, au début, l’adminis- Cela ne suffit pas encore à être rentable.
tration était le plus dur”, retrace l’entrepreneure. “Jusqu’en 2017, les prix que nous pratiquions
“Notamment, les questions de fiscalité posent étaient compétitifs par rapport aux supermarchés
toujours problème car le Sénégal n’a pas de régime Casino et City Dia. L’arrivée d’Auchan a changé la
adapté aux start-up. Sur le papier peut-être, mais donne, ils ont cassé les prix. Le client a le choix :
les taxations pour une jeune entreprise qui ne notre argument est la rareté, l’origine locale et la
gagne pas encore d’argent sont rédhibitoires. Les spécificité du produit plus que son prix”, fait valoir
deux premières années, nous avons dû travailler Awa Caba.
de manière informelle, on ne gagnait pas assez Afin de soutenir la croissance de la start-up,
d’argent pour payer les taxes.” le CTA a aussi invité Awa Caba à participer à des
Aujourd’hui, la PME fait partie du réseau d’en- évènements qui ont offert à Sooretul une visibi-
trepreneurs Enablis, au sein duquel elle profite lité internationale. Des partenariats commerciaux
de conseils juridiques sur les contrats avec les en France ont ainsi été explorés, les produits
fournisseurs, la restructuration de l’entreprise ou de la PME ont été présentés à Genève lors d’une
l’aspect commercial. réunion sur les investissements sociaux. Enfin,
En phase de croissance, Sooretul a vu ses ventes les dirigeants de la start-up ont pu interagir lors
tripler entre 2015 et 2017. Ses revenus sont issus d’évènements organisés par la Banque africaine de
de trois activités : la vente en ligne, un service développement.
traiteur pour les entreprises lancé en 2016 et La PME cherche désormais des investisseurs
surtout un partenariat avec DIGITAG, une agence pour acquérir plus de matériel, accroître son acti-
qui propose un service de marketing digital des vité, professionnaliser le personnel mais aussi en
produits. Parmi ses clients, Sooretul a pu compter recruter pour répondre à la montée en charge du
sur l’USAID, qui accompagne quatre plateformes travail. Une campagne de communication intitu-
de producteurs et de femmes transformatrices à lée “Je consomme local” devrait être diffusée sur
travers le Sénégal. “Après avoir développé de nou- les réseaux sociaux et à la télévision, afin de mieux
veaux produits avec les transformatrices, l’USAID faire connaître Sooretul. Objectif : être présent
a fait appel à nous pour en assurer la promotion. dans les grandes capitales africaines. ■

SPORE 189 | 25
REPORTAGE

CARAÏBES

L’e-agriculture des Caraïbes


se cherche un modèle durable
De nouveaux modèles d’activités agricoles, basés sur des systèmes d’information
sur les marchés, améliorent la production agricole et la commercialisation.
Avec un impact positif sur les revenus des agriculteurs et concepteurs.
Natalie Dookie
© RANEIL ROBINSON

26 | SPORE 189
L
es agroentreprises des Caraïbes sont frei- “Dans l’espace TIC4Ag, le cheminement vers
nées par un manque de technologie, d’appui la rentabilité est long, mais nous approchons du
commercial et de connaissance du marché. but”, assure Ricardo Gowdie. “Pour l’instant, notre
Néanmoins, des développeurs de logiciels inno- récompense est de constater combien la technologie
vants de la Jamaïque et de Trinité-et-Tobago a aidé les agriculteurs à améliorer leurs proces-
entreprennent de remédier à ces problèmes avec sus de plantation et de vente et à augmenter leurs
les TIC. Les systèmes de revenus. Notre principal
renseignements sur les Les systèmes service consiste à fournir
e-marchés mis au point un accès aux données,
révolutionnent ainsi de renseignements sur pour lesquelles les agricul-
le secteur agricole en teurs paient une cotisation.
connectant les producteurs les e-marchés révolutionnent le Notre second service, plus
aux marchés. Revofarm, récent, relie les agriculteurs
une application jamaïcaine secteur agricole en connectant à de nouveaux marchés. Il
basée sur les SMS et le web, n’est pas encore générateur
L'appli Revofarm fournit par exemple, fournit des les producteurs aux marchés. de revenus, mais il semble
des données météo données agronomiques et prometteur.”
et agronomiques météorologiques aux agriculteurs sur leurs télé- Revofarm s’est associé avec aWhere, qui fournit
aux agriculteurs, phones, leur permettant de prendre des décisions des prévisions météorologiques par satellite en
via leur téléphones. pertinentes dans leurs champs. temps réel, des indices de présence des ravageurs et
Le modèle d’activités Revofarm est né de la maladies et des données agronomiques sur le stade
volonté de son cofondateur, Ricardo Gowdie, de de croissance des cultures. Ces services constituent
permettre à sa mère, négociante sur les marchés une partie des principaux coûts d’exploitation de
jamaïcains, d’accéder à une plus grande variété de Revofarm avec la recherche, le développement et la
cultures. “Un Jamaïcain sur trois est agriculteur, technologie SMS.
alors que l’agriculture ne contribue que pour 6,5 %
à notre PIB et que le pays importe chaque année L’adaptation aux enjeux du marché
pour environ 800 millions d’euros de nourriture”, Malgré les progrès réalisés dans les e-services,
explique Ricardo Gowdie. “Beaucoup des plus de l’un des principaux enjeux pour les agroentreprises
200 000 agriculteurs jamaïcains recensés vivent caribéennes fondées sur les TIC est le faible taux
dans la pauvreté et n’arrivent pas à atteindre leur d’alphabétisation des agriculteurs. Revofarm a sur-
seuil de rentabilité. Nous voulons donc rendre monté cet obstacle en travaillant surtout avec de
l’agriculture plus attrayante et durable en réduisant jeunes agriculteurs innovants. Pour toucher 100 %
le coût des intrants et en maximisant la produc- des agriculteurs jamaïcains, Revofarm a réorganisé
tion, afin de dégager davantage de profits pour les son modèle d’activités en incorporant la technologie
agriculteurs.” SMS à ses logiciels. L’entreprise a aussi fractionné
En 2014, la production agricole annuelle a ses services en trois solutions adaptées pour per-
diminué de 30 % après des mois de sécheresse mettre aux agriculteurs d’acheter ce dont ils ont
accompagnée de feux de brousse. Ricardo Gowdie besoin et qui convient à leur budget, en combinant
aspire donc aussi à enseigner aux agriculteurs les options suivantes : renseignements sur les mar-
comment atténuer les impacts du changement cli- chés, données météorologiques et agronomiques et
matique sur leur production agricole. liens avec les marchés. L’entreprise collabore aussi
avec des ONG comme la Jamaica Castor Industry
Un long cheminement vers la rentabilité Association, qui va utiliser ses services pour fournir
La première étape a été de s’inscrire à “Start des informations quotidiennes sur les marchés à ses
Up Jamaica”, un concours d’accélération de l’en- membres.
treprenariat et de l’innovation organisé dans “Avec notre technologie, nous espérons rendre
toutes les Caraïbes. Classé dans les trois premiers, l’agriculture plus prévisible, ce qui permettra aux
Revofarm a gagné un stage de trois mois en 2014 à agriculteurs, et à nous-mêmes, d’accéder plus
Oasis500, une pépinière d’entreprises de Jordanie. facilement aux financements”, explique Ricardo
En novembre 2014, l’équipe de Revofarm a repré- Gowdie. “Notre ambition est que 300 000 agricul-
senté la région dans la partie sud-américaine du teurs utilisent notre système de données d’ici 2030
concours hackaton du CTA organisé au Pérou. et qu’ils augmentent leurs rendements de 30 %,
Avec le mentorat d’experts, l’équipe a précisé ses ce qui diminuerait la facture des importations ali-
flux de revenus, commencé à établir sa clientèle mentaires de la Jamaïque et améliorerait le PIB.
et cherché à améliorer la durabilité de son modèle Nous changeonts notre modèle d’activités pour
d’activités. l’axer davantage sur les agriculteurs. Pour assurer ›

SPORE 189 | 27
› notre durabilité, nous prévoyons d’ajouter de nouvelles lignes propose des produits sans pesticides. L’entreprise n’offre plus
de produits et de créer notre propre matériel de surveillance de livraisons gratuites, qui constituaient ses plus importants
afin d’offrir des systèmes intégrés de surveillance sur le terrain frais de fonctionnement. Après avoir fidélisé des ménages, des
pour les exploitations agricoles.” professionnels et des individus soucieux de leur santé, l’entre-
prise a vu des firmes d’agrotransformation s’intéresser à son
activité depuis qu’elle propose des solutions commerciales
“Nous espérons rendre l’agriculture pour l’exportation.
plus prévisible, pour accroître l’accès “Au début, notre plus gros problème était l’accès à des liqui-
dités, en particulier quand nous avons commencé à offrir
au financement pour les agriculteurs l’option vente en gros qui exige d’importantes facilités de cré-
dit”, explique David Thomas, le directeur général de Market
et nous-mêmes” Movers. “Pour nous établir durablement à ce niveau, nous
avions besoin de nouveaux flux de revenus. De nombreuses
entreprises avaient du mal à commercialiser leurs produits
Au-delà de la livraison des produits du marché dans les magasins locaux et à les exporter. Notre créneau a tou-
Market Movers, de Trinité-et-Tobago, est aussi reconnue jours été l’agroalimentaire et nous avons donc décidé d’utiliser
comme une agroentreprise numérique de premier plan. En notre expérience dans ce domaine pour aider les entreprises
2016, sa croissance, l’une des plus rapides au niveau local, de transformation agroalimentaire.” Market Movers a alors
lui a valu le prix du jeune entrepreneur émergent de l’année lancé deux nouveaux services commerciaux pour aider ces
d’Ernst & Young. Depuis sa formation il y a une dizaine d’an- entreprises à se préparer pour l’exportation en leur offrant des
nées, l’entreprise, qui était à l’origine une plateforme en ligne solutions d’e-commerce via Internet et des options de création
de distribution au détail de fruits et légumes frais, a ajouté à d’emballages conçus pour les marchés internationaux. Grâce à
sa clientèle des grossistes et professionnels tout en élargissant ces nouveaux services rémunérateurs, l’entreprise a pu atté-
sa gamme commerciale aux produits laitiers et de commodité. nuer ses problèmes de trésorerie et améliorer sa rentabilité.
Son principal concurrent à Trinité-et-Tobago, HubBox Grocery, En 2016, Market Movers a créé Caribbean Papaya – le premier
livre aussi des produits frais, mais Market Movers garantit la produit local de commodité à base de fruits congelés à Trinité-
fraîcheur de son offre en s’associant avec des agriculteurs et et-Tobago – sous sa marque Farm & Function. ■

La plateforme Agrocentral envisage son avenir


avec les technologies blockchain
La plate-forme interentreprises jamaïcaine Agrocentral Nous avons donc décidé de remonter dans la chaîne de valeur
simplifie la communication entre les gros acheteurs, tels que les pour recueillir l’information auprès des acheteurs. Notre clientèle
agrotransformateurs et les restaurateurs, et les agriculteurs. Les est essentiellement en Jamaïque, mais nous avons un client à
utilisateurs paient des frais de service mensuels pour accéder à Abuja, au Nigeria, et nous prévoyons une augmentation de nos
ce “guichet unique” d’outils où ils peuvent créer et automatiser exportations. Pour la conquête des marchés internationaux,
des commandes, suivre les quotas d’exigences des produits et nous visons l’Afrique parce que son niveau de développement
mesurer leur activité. Les acheteurs placent leurs commandes technologique est semblable à celui des Caraïbes.”
en ligne et les fournisseurs sont avertis par SMS, e-mail ou Agrocentral est aussi en train d’explorer les avantages de
téléphone. Les principaux coûts commerciaux pour l’entreprise l’incorporation des technologies blockchain (BCT) dans son
sont donc la maintenance du site web, les services web et les site web. La BCT est un système décentralisé de tenue de
télécommunications. registres, mis à jour en temps réel (Lire Innovation numérique :
Selon Janice Mcleod, cofondatrice d’Agrocentral, le principal La révolution annoncée des technologies blockchain –
problème tient au fait que les parties prenantes considèrent que https://tinyurl.com/y7jwdxsw). Janice Mcleod estime que “nous
son équipe est jeune et donc inexpérimentée. Ceci a compliqué la pouvons utiliser la BCT pour gérer notre base de données de
recherche de nouveaux clients, lors des réunions individualisées, transactions économiques afin de recenser la fréquence et
par le biais du site web de l’entreprise ou à travers les médias. la ponctualité des paiements. Cela nous permettra de définir
“Les entreprises agrotechniques doivent innover ou disparaître”, comment les utilisateurs paient pour ce service, les agriculteurs
dit Janice Mcleod. “En 2013, nous avons démarré en tant que pourront partager leurs performances en tant qu’acheteurs, et
système de communications pour renforcer l’information des nous pourrons déterminer quels sont les agriculteurs les plus
agriculteurs. La fragmentation du paysage agricole a toutefois performants – ce qui nous permettra de préciser quelles sont les
rendu difficiles la collecte des données et l’accès à celles-ci. entreprises les plus fiables”.

28 | SPORE 189
Agribusiness

DÉBOUCHÉS SYSTÈMES
COMMERCIAUX AGROALIMENTAIRES
En RDC, des jeunes agripreneurs Le Cameroun mise
donnent de la valeur au manioc sur la multiplication semencière

Les indications géographiques La sauce chili


aident les agriculteurs caribéens en mode bio en Zambie

30 32

FINANCE & COMMERCE & PORTRAIT


ASSURANCE MARKETING DE LEADERS
Les contrats à terme Un nouvel accord Kasope Ladipo-Ajai :
en réponse à la volatilité commercial panafricain “Pour réussir, il faut une
du marché céréalier prometteur image de marque forte”

34 36 38
DÉBOUCHÉS COMMERCIAUX

AGRIBUSINESS

En RDC, de jeunes agripreneurs


donnent de la valeur au manioc
En République démocratique du Congo, de jeunes entrepreneurs ont ouvert des centres de
transformation du manioc afin d’offrir des opportunités d’emplois aux agriculteurs locaux,
aux femmes et aux jeunes.

James Karuga

L 500
a transformation du manioc par de jeunes agriculteurs du district de
jeunes diplômés a créé des débou- Kamanyola ont été formés à la produc-
chés à 500 agriculteurs de la région agriculteurs ont bénéficié tion de grains de maïs indemnes de toute
de Bukavu, en République démocratique de nouveaux débouchés maladie. Des jeunes agriculteurs – les
du Congo (RDC). Depuis 2015, le groupe commerciaux. Jeunes Entrepreneurs de Kamanyola
Kalambo Youth Agripreneurs (IKYA) de (JEK) – se sont aussi associés à IKYA
l'Institut international d'agriculture tro- pour la construction d’un centre de

300
picale (IITA), qui compte 21 membres, production de farine de maïs dans le
achète du manioc à ces agriculteurs et district, qu'ils approvisionneront en
le transforme en farine. Celle-ci est ven- maïs. Ce partenariat devrait faire passer
due 0,8 € (1,540 franc congolais) le kilo jeunes diplômés tirent la capacité de production d’IKYA de 7 à
à des supermarchés, des ménages locaux leurs revenus de groupes 25 tonnes par semaine, accroître l'offre
et des centres nutritionnels, à raison de d’agripreneurs comme IKYA. de farine de maïs dans la province et
2 tonnes par semaine en 2018, contre augmenter les revenus d'IKYA et des
900 kg avant. Pour permettre la transformation locale JEK. Par ailleurs, IKYA pourra exporter
Auparavant, les agriculteurs de et créer des emplois pour les jeunes et le produit vers les pays voisins, comme
Bukavu vendaient leur manioc de l'autre les femmes de la région, l'IITA a fourni le Rwanda, tout en créant indirectement
côté de la frontière, au Rwanda, où il à IKYA des capitaux de démarrage et des emplois pour 200 jeunes chômeurs
était transformé en farine et revendu. a offert une formation sur la valorisa- dans le secteur de la production de maïs.
tion du manioc, ainsi que IKYA est l'un des 14 groupes d’agri-
des plants de qualité et des preneurs basés en RDC, au Kenya, au
© H. HOLMES/RTB-CGIAR

machines pour la transfor- Nigeria, en Ouganda, en Tanzanie et


mation en farine. Huit centres en Zambie qui bénéficient depuis 2012
communautaires de transfor- des services d’incubation de l’IITA. Les
mation du manioc (CCPC) ont jeunes reçoivent un accompagnement à
été ouverts dans tout le pays. l’élaboration d’un plan d’agroentreprise
Pour répondre à la demande bancable en vue d’un financement par
croissante, IKYA achète de la des institutions financières, des dona-
farine de manioc transformée teurs ou des business angels. Les treize
auprès des CCPC après s’être autres groupes gèrent des entreprises
assuré de la qualité du produit. d'horticulture, de production de lait
Dans la région de Katana, IKYA de soja, de transformation de manioc
a acheté 14 707 kg de farine de et de patate douce, d’aquaculture, de
manioc à l'un des CCPC entre fabrication d'aliments pour poissons,
décembre 2015 et septembre d'agriculture contractuelle, de formation
2016, générant ainsi un revenu agricole, de commerce de céréales, d’éle-
net de 955 € (1,8 million FC) vage de volaille ou de commercialisation
pour ses membres. en ligne. Leurs entreprises ont fourni des
En République démocratique du Congo, de jeunes agripreneurs En 2017, IKYA s’est lancé revenus à plus de 300 jeunes diplômés et
ont mis en place des centres de transformation du manioc, ce dans la transformation de permis à plus de 2 000 jeunes de déve-
qui a créé des opportunités d’emplois pour 500 agriculteurs. la farine de maïs. Cinquante lopper leurs compétences. ■

30 | SPORE 189
CERTIFICATIONS

Les indications géographiques


boostent les prix pour les agriculteurs
Après l’obtention de certifications d’indications géographiques (IG) pour des produits
agricoles de République dominicaine, Jamaïque et Trinité-et-Tobago, les prix ont
augmenté de 200 % et la demande de 100 %. Au bonheur des agriculteurs.

© MONTSERRAT COCOA FARMERS’ CO-OPERATIVE SOCIETY LIMITED


Natalie Dookie

P
armi les États anglophones des
Caraïbes, la Jamaïque a été le pre-
mier à enregistrer une indication
géographique (IG), une certification qui
distingue les produits de niche avec une
origine géographique. D’abord pour le
mélange d’épices jerk en 2015, puis pour
le rhum en 2016.
“La majorité des matières premières
utilisées dans le jerk jamaïcain étant
d’origine locale, cela offre un marché
garanti aux agriculteurs”, davantage
incités à faire pousser les produits
certifiés, explique Lilyclaire Bellamy,
directrice exécutive de l’Office de la
propriété intellectuelle de Jamaïque. “En
outre, les IG constituent une occasion
pour le secteur touristique jamaïcain de La MCFCSL a vu la demande des acheteurs internationaux augmenter de 100 %
créer de nouvelles attractions pour pré- depuis l’obtention de la certification IG.
senter les produits aux visiteurs.”
La Montserrat Cocoa Farmers’ premier café au monde et le premier et 2017, le prix moyen à l’exportation du
Co-operative Society Limited (MCFCSL) produit agroalimentaire d’Afrique, café vert certifié CDV est de 205 % plus
a obtenu la première IG de Trinité- d’Amérique et d’Océanie à recevoir une élevé que le prix de référence à la bourse
et-Tobago, en 2017. Créée en 2010, la appellation d’origine protégée (AOP) de de New York. “Le processus a eu d’autres
MCFCSL, qui compte 48 membres, pro- l’UE. Bien que les agriculteurs exportent retombées, puisque le Conseil a pu lever
duit du cacao Trinitario dans la région vers l’Europe et les États-Unis depuis le davantage de fonds pour financer des
des Montserrat Hills, au centre de Trinité. milieu des années 1850, le Conseil de projets en soutien aux agriculteurs”,
Depuis l’obtention de l’IG pour le cacao, réglementation du café de Valdesia n’a ajoute Richard Decamps. “L’un d’entre
“nous avons pu obtenir un meilleur prix été fondé qu’en 2009, afin de représenter eux consiste à maintenir cinq pépinières
sur le marché local et la demande des la région productrice du CDV et d’obte- communautaires pour fournir des plants
acheteurs internationaux a augmenté nir le label de qualité de l’IG afin de se de café aux producteurs.”
de 100 %”, explique le président de la distinguer davantage sur la scène inter- Pour Lilyclaire Bellamy, “la protec-
MCFCSL, Christopher Paul. “L’IG montre nationale. “Grâce à l’IG, nous avons pu tion des indications géographiques n’en
que nos fèves sont uniques, garantissant étendre notre protection juridique contre est qu’à ses balbutiements dans les
ainsi aux acheteurs une qualité excep- la concurrence commerciale déloyale, Caraïbes, et nous sommes en train de
tionnelle en termes de saveur, ce qui nous tout en garantissant un niveau de qua- développer notre base de connaissances.
confère plus de poids dans les négocia- lité à nos acheteurs”, explique Richard Cependant, l’accord de partenariat éco-
tions et nous rend plus compétitifs.” Decamps, CEO du Conseil. “Nous avons nomique entre l’UE et le CARIFORUM
En 2010, le café de Valdesia (CDV) a aussi reçu des prix plus élevés pour le café permet l’échange et la reconnaissance
obtenu la première IG de République vert (matière première) et le café trans- des listes d’IG, ce qui encouragera peut-
dominicaine et, en 2016, il a été le formé (torréfié ou moulu).” Entre 2016 être la région à certifier ses produits.” ■

SPORE 189 | 31
SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES

PRODUCTIVITÉ AGRICOLE

Le Cameroun mise
sur la multiplication semencière
La disponibilité accrue de semences de qualité au Cameroun permet aux petits
exploitants agricoles d’améliorer leurs rendements et leurs revenus et d’accroître
l’autosuffisance alimentaire du pays.

© SETH LAZAR/ALAMY STOCK PHOTO


Elias Ntungwe Ngalame

P
our améliorer la productivité
agricole au Cameroun, plus
d’une vingtaine d’exploitations
de multiplication de semences de maïs,
de manioc, de haricots, d’ignames et
de bananes plantains ont été créées par
la Southwest Development Authority
(SOWEDA) à Buea, en collaboration avec
les organisations paysannes locales. Ces
exploitations assurent un approvision-
nement fiable en semences résistantes
et à un coût abordable aux petits exploi-
tants. En 2017, plus de 70 000 tonnes de
semences de maïs, 20 000 tonnes de Grâce à un approvisionnement régulier en semences de qualité et à des prix abordables, les agriculteurs
semences de haricots et 15 000 tonnes ont vu leurs rendements augmenter de façon significative.
de fragments d’ignames ont ainsi été

30 000
distribuées. Depuis le lancement du pro- améliorée SOWEDA, qui arrive à
jet en 2014, 63 groupements agricoles de maturité en 90-100 jours, contre
la région du Sud-Ouest, comptant plus 130-150 jours pour la variété tradition- agriculteurs ont augmenté
de 70  000 membres, en ont bénéficié. nelle. Depuis, le rendement de ses terres leurs revenus de
Les graves sécheresses qui ont eu lieu agricoles de 1,6 hectare est passé de 3,5

25 %
entre 2012 et 2015 ont diminué la dis- à 8 tonnes. D’après Divine Nkeng, un
ponibilité en semences de qualité et fait autre agriculteur, “les semences assurent
grimper leur prix. Le prix des semences un bon rendement même pendant les en ayant un meilleur accès
de tomates, par exemple, a quadruplé, périodes de sécheresse, ce qui n’était pas à des semences adaptées.
atteignant 240 € (16 000 FCFA) pour un le cas de celles que nous utilisions aupa-
conteneur de 5 litres. Les agriculteurs ravant”. Selon le gouvernement, plus de à l’autonomisation économique et à la
qui ont rejoint un groupe d’initiative 30 000 petits exploitants de la région sécurité alimentaire dans l’est du pays.
commune de la SOWEDA peuvent en du Sud-Ouest ont ainsi augmenté leurs Les exploitations de multiplication
revanche en obtenir au début de chaque revenus de 25 % grâce à l’augmentation semencière couvrent déjà les six divi-
année au prix de 75 € (50 000 FCFA) de la production. sions de la région du Sud-Ouest et elles
pour 5 litres. Ils reçoivent aussi des Les représentants de la SOWEDA vendent à présent leurs semences aux
intrants gratuits. “Nous pouvions parfois reconnaissent que le programme est agriculteurs d’autres régions. “Nous
nous procurer des semences de qualité confronté à certaines difficultés. “Pour nous réjouissons de l’augmentation du
auprès des centres de recherche agricole, lutter contre l’aggravation de l’insécurité nombre d’exploitations de multiplication
mais à des prix trois fois plus élevés que alimentaire, nous devons absolument semencière, car les agriculteurs d’autres
ceux des exploitations de multiplication trouver des partenaires qui soutien- régions du pays s’intéressent de plus en
semencière aujourd’hui”, explique Julius dront la création et la diversification des plus aux semences à haut rendement”,
Takem, producteur de manioc à Buea. possibilités de multiplication semen- souligne Christopher Ekungwe, délégué
Depuis 2014, Adolph Njokwe, petit cière au Cameroun”, explique Samuel à l’agriculture et au développement rural
producteur de maïs, utilise la variété Tangu, responsable du projet de soutien pour la région du Sud-Ouest. ■

32 | SPORE 189
ÉPICES ET FINES HERBES

La sauce chili en mode bio en Zambie


En Zambie, de petits exploitants agricoles fournissent de l’ail et des piments à une
entreprise locale qui produit des condiments bio et les distribue dans tout le pays
et en Afrique australe.

Doreen Chilumbu Nawa

E
n Zambie, la production biolo- cette subvention, nous avons modernisé biologique de piments et d’ail et les
gique de piments et d’ail améliore notre chaîne de production de sauce chili activités d’après-récolte, un programme
les revenus de plus de 800 petits et établi un réseau de sous-traitants pour mené par Lumuno Farms en partenariat
agriculteurs, qui vendent leurs récoltes accroître notre capacité de production et avec le ministère zambien de l’Agricul-
à Lumuno Organic Farms, une entre- passer de 9 000 à 20 000 bouteilles de ture. “Des agents de vulgarisation nous
prise de transformation située dans le sauce chili par mois”, s’enorgueillit Khama ont donné des cours sur la gestion des
district de Chongwe, à l’est de la capitale Mbewe. Les contrats de sous-traitance cultures, de la préparation de la terre
Lusaka. Celle-ci fabrique des produits ont le mérite d’accroître la production aux activités d’après-récolte”, explique
à valeur ajoutée, dont des sauces au de Lumuno, mais également d’offrir aux Chisomo Phiri, bénéficiaire du pro-
piment et à l’ail et au piment. petits maraîchers un marché durable et gramme de sous-traitance. “Je n’ai jamais
Une décennie après sa création en fiable pour leurs récoltes. “Avant, je ne autant appris de toute ma carrière dans
2007 par Khama Mbewe, l’entreprise cultivais de l’ail et des piments que pour l’agriculture.” La brigadière générale
Lumuno Organic Farms produit plus notre consommation personnelle, alors Emelda Chola, par ailleurs secrétaire
de 20 000 bouteilles de sauce chili qu’aujourd’hui j’en produis sur 80 ares. permanente de la province de Lusaka,
nature et à l’ail par mois et pèse plus de Par comparaison avec le maïs, ce sont des explique que les petits producteurs de
420 000 €. “L’agriculture, c’est l’avenir cultures plus rentables, qui demandent maïs devraient envisager de se diversi-
de la Zambie”, affirme Khama Mbewe. moins de main-d’œuvre”, se félicite ainsi fier et de se tourner vers des cultures à
En 2012, une subvention de partenariat Mercy Banda, 49 ans, productrice de haute valeur ajoutée, comme les piments
stratégique de l’USAID a permis à Lumuno piments et d’ail. et les fines herbes, et félicite Lumuno
d’acquérir les technologies et les équipe- Plus de 500 agriculteurs ont suivi d’avoir signé avec le Comité de liaison
ments et de former son personnel. “Avec une formation sur la production Europe-Afrique-Caraïbes-Pacifique un
contrat de 40 000 € (470 300 kwacha
environ) pour la formation des petits
exploitants agricoles à l’agriculture
biologique.
L’entreprise emploie 15 personnes à
temps plein et plus d’une centaine de
saisonniers. L’accroissement de sa pro-
duction lui a aussi permis de fournir les
supermarchés locaux de la chaîne Spar
et d’entamer des négociations avec la
chaîne zambienne ShopRite. Lumuno
écoule sa production sur le marché
national et exporte sa gamme novatrice
en République démocratique du Congo
et dans des pays de la Communauté de
© TOMMY TRENCHARD/ALAMY STOCK PHOTO

développement de l’Afrique australe,


dont l’Angola, le Botswana, le Malawi,
le Mozambique et le Zimbabwe, depuis
l’obtention de la subvention de l’USAID. ■

En Zambie, les producteurs de légumes ont accès


à un marché durable et fiable pour leurs piments
et leur ail.

SPORE 189 | 33
FINANCE & ASSURANCE

PRIX GARANTIS

Une réponse
à la volatilité du
marché céréalier
Le lancement de contrats à terme sur le marché céréalier zambien,
en mai 2018, vise à aider les agriculteurs et les autres acteurs
du secteur agricole à se protéger de la volatilité des prix.
D'autres pays pourraient transposer ce modèle.

Helen Castell

E
n Zambie, un nouveau contrat à Selon Chris Sturgess, directeur des et aux prix, et la finance pourrait se
terme (voir l’encadré, page 35) produits à la JSE, les participants qui développer sur une base plus solide.”
devrait permettre aux agricul- souhaitent acheter un contrat à terme Actuellement, seuls les contrats à
teurs, aux négociants, aux banques et devront s’acquitter d’un acompte, ou terme bilatéraux permettent aux négo-
à d'autres acteurs du secteur agricole “marge”, qui devrait s’élever, au départ, ciants tels que la société de services
de se protéger contre la fluctuation des à 10-12 % du prix convenu pour un lot. agricoles AFGRI de gérer le risque des
prix des céréales. Date prévue du lan- prix en Zambie. Ils achètent aux agri-
cement par la Bourse de Johannesbourg Minimaliser les risques culteurs des céréales à un prix et à
(Johannesburg Stock Exchange, JSE) En Zambie, la volatilité des prix du un tonnage fixés à l’avance, les récu-
et la Bourse des matières premières marché céréalier met en danger toute pèrent au moment de la récolte, puis
de la Zambie (Zambian Commodity la chaîne de valeur. Raphael Karuaihe, les vendent aux meuniers dans le cadre
Exchange, ZAMACE) : mai 2018. responsable des produits à la JSE, espère d'un accord similaire. Les nouveaux
Ces contrats, libellés en dollars, que l’achat de cette garantie évitera au contrats à terme “bénéficieront tant
seront cotés à la célèbre JSE. Pour la producteur de vendre ses produits préci- aux agriculteurs qu’aux négociants, aux
première fois, les participants pourront pitamment sur un marché faible. meuniers, aux transformateurs et aux
bloquer les prix des futures livraisons “Il existe très peu d'arrangements investisseurs”, explique Joof Pistorius,
de céréales produites et stockées en contractuels entre le secteur agroalimen- responsable du marketing des céréales
Zambie. Les premières céréales concer- taire et les petits agriculteurs travaillant au sein de l'AFGRI Zambie.
nées seront le maïs blanc, puis le blé et le dans la commercialisation des produits Au moment de proposer un prêt aux
soja. Afin d'encourager la participation de base et aucun ne prévoit de prix pour agriculteurs en échange d’un récépissé
d’exploitants plus modestes, chaque la pré-plantation”, confirme Rob Munro, d'entrepôt, les institutions financières
contrat sera établi pour 10 tonnes de de Musika. “Si les acheteurs, les négo- auront également la possibilité de se
céréales, moins que le lot standard de ciants et les transformateurs pouvaient servir de ces contrats pour se prémunir
100 tonnes prévu par la JSE. Chaque couvrir leurs propres positions sur le contre la baisse du prix des céréales par
année, cinq contrats seront lancés aux marché, ils pourraient donner une four- rapport au montant initialement prévu,
mois de mars, mai, juillet, septembre chette de prix à leurs petits fournisseurs, explique Jacob Mwale. Elles pourraient
et décembre, sur une durée de 12 mois ce qui aurait un impact très bénéfique ainsi être incitées à financer davantage
coïncidant avec les périodes de récolte sur le marché. Les agriculteurs seraient de récépissés d'entrepôt et à proposer
et de production. sereins face aux accords d'exploitation des tarifs plus concurrentiels.

34 | SPORE 189
© JAKE LYELL/ALAMY STOCK PHOTO
Les nouveaux contrats à terme protégeront
les agriculteurs zambiens de la volatilité
des prix du maïs blanc. Les “contrats à terme”, qu’est-ce que c’est ?
Le bon fonctionnement d’un marché Les contrats à terme sur marchandises sont des contrats standardisés négociables
à terme pourrait renforcer le marché des permettant à un acheteur et à un vendeur de s’entendre sur la livraison d'une
produits de base au sens large. Selon Rob quantité définie d'un produit, appelée “lot”. Le prix et la date de livraison, ou
Munro, les plus petits acteurs du secteur “expiration”, sont déterminés à l'avance.
profiteront “de meilleurs accords d'ex- Avant de souscrire au contrat ou à l’échange, les parties intéressées doivent régler
ploitation, d'une plus grande visibilité sur une marge à la chambre de compensation en contrepartie de tous les échanges
les prix et d'un marché moins chaotique”. commerciaux. La marge est un dépôt en espèces ou un acompte calculé en
pourcentage de la valeur totale du lot.
Intervention du gouvernement En cas de fluctuation des prix de la marchandise concernée, la marge peut
Même si Joof Pistorius encourage le augmenter jusqu'à 15 % du prix convenu. Lorsque les prix sont plus stables, le coût
concept des contrats à terme, il reste initial de la souscription au contrat est plus faible, environ 6 % du prix fixé.
sceptique quant à leur fonctionnement Pour bien fonctionner, un tel marché doit disposer d'une liquidité convenable, donc de
au sein du marché actuel. L'Agence de nombreux participants et échanges : plus les participants sont nombreux, plus il est
réserve alimentaire de Zambie (Food facile de trouver un acheteur et un vendeur pour chaque échange.
Reserve Agency) achète régulièrement
et directement aux producteurs du maïs
à des prix gonflés, ce qui les dissuade
de respecter les contrats passés avec Joof Pistorius craint cependant que, tant pour créer une plateforme d'échanges
les acheteurs commerciaux. L’année que ces interventions restent possibles, régionale. Par exemple, la JSE pourrait
dernière, le gouvernement a également l'AFGRI et d’autres acteurs hésiteront à prêter ses infrastructures aux bourses du
imposé des contrôles aux frontières, s’engager dans des contrats à terme. De Malawi et du Mozambique afin de lancer
empêchant le blocage des exportations son côté, Jacob Mwale souligne “l’appui les contrats à terme pour les produits
de maïs, avec pour corollaire des excé- solide” du gouvernement en faveur de la agricoles dans ces pays.
dents locaux et la chute des prix, passant collaboration entre la ZAMACE et la JSE et La ZAMACE est prête à renouveler sa
de 219 € à 97 € la tonne. est persuadé qu'une fois que les marchés collaboration avec d’autres bourses une
L'imprévisibilité de ces événements à terme liquides auront fait leurs preuves fois que le contrat avec la JSE aura été
a découragé les agriculteurs zambiens à le gouvernement comprendra qu'il devra lancé. “Le travail réalisé avec l'aide de
stocker leurs céréales sur le long terme et prendre ses distances. la JSE et de l’USAID l’a beaucoup aidée”,
à utiliser le système des récépissés d'en- assure Jacob Mwale.
trepôt, pourtant essentiels aux contrats à Transposer le modèle dans la région “Si ce contrat fonctionne et génère
terme, explique Rob Munro. Cependant, Le Southern Africa Trade and autant d'activités et de liquidités
les interventions du gouvernement se Investment Hub de l’USAID (SATIH), que les contrats sur le maïs blanc en
sont considérablement espacées ces qui a participé au développement Afrique du Sud, d'autres acteurs de la
derniers temps, ce qui pourrait donner des contrats à terme avec la JSE et la région pourront alors réfléchir à utiliser
aux négociants une visibilité à plus long ZAMACE, considère qu'il est tout à fait notre méthode pour mettre en place
terme sur les prix, et le marché des déri- envisageable de reproduire le modèle des contrats dérivés”, espère Chris
vés pourra se développer. de ces contrats dans les pays voisins Sturgess. ■

SPORE 189 | 35
COMMERCE & MARKETING

LIBRE-ÉCHANGE

Un nouvel accord commercial


panafricain prometteur
L’établissement d’une zone de libre-échange continentale devrait changer la donne
en stimulant le commerce intra-africain. Pour que le continent en retire des
avantages concrets, les modalités de cet accord devront être négociées et les
dirigeants africains se mobiliser durablement en sa faveur.

Yassir Islam

L
e 21 mars 2018, dans la capitale 55 États membres de l'UA auront signé que des consultations internes doivent
rwandaise Kigali, 44 États africains l’accord ZLEC – s’ils le font –, l’accord avoir lieu avant la signature.
ont signé l’accord pour l’établis- commercial “couvrira un marché de
sement de la Zone de libre-échange 1,2 milliard d’habitants et représentera Un impact sur les tarifs
continentale africaine (ZLEC). L'objectif un PIB de 2 500 milliards de dollars douaniers et le commerce
est, selon l’Union africaine (UA) qui a (2 000 milliards d’euros)”. Le CAPC souligne que les entre-
lancé ce processus en 2015, de “créer Le Nigeria et l’Afrique du Sud sont deux prises africaines doivent s’acquitter de
un marché continental unique des des plus grandes économies africaines droits de douane plus élevés pour leurs
biens et des services, prévoyant aussi la qui n’ont pas encore signé l’accord ZLEC. exportations à l’intérieur du continent
libre circulation des entreprises et des Au Nigeria, les syndicats et d’autres africain – 6 % actuellement – que
investissements”, afin de stimuler les groupes craignent que l’accord affai- pour leurs exportations en dehors de
échanges commerciaux intra-africains. blisse les entreprises locales. En Afrique l’Afrique. Selon la Commission écono-
Selon le Centre africain pour les poli- du Sud, qui a indiqué son soutien poli- mique des Nations unies pour l'Afrique
tiques commerciales (CAPC), lorsque les tique à l’accord, la constitution prévoit (CEA), les échanges intra-africains

© TRADEMARK EAST AFRICA

Signé par 44 États africains, le nouvel accord de libre-échange couvrira un marché de 1,2 milliard de personnes.

36 | SPORE 189
© ELIZABETH LEYDEN/ALAMY STOCK PHOTO
L’UA espère que la levée des taxes douanières
entre pays africains va profiter aux échanges Un autre problème, souligné par 50 % à l’augmentation des exportations
sur le continent. la CNUCED, est lié au fait qu’envi- de produits alimentaires transformés des
ron 80 % des échanges commerciaux pays africains.”
pourraient augmenter de plus de 50 % intra-africains transitent déjà par au En 2006, la Déclaration de l'UA du
si les droits à l’importation étaient moins une des huit Communautés éco- Sommet d'Abuja sur la sécurité ali-
supprimés, et même doubler, si les bar- nomiques régionales (CER) existantes. mentaire a appelé à promouvoir le
rières non tarifaires étaient également Pour Asmita Parshotam, experte du commerce intra-africain du riz, du maïs,
réduites. commerce international et du déve- des légumineuses, du coton, du palmier
Les petites nations ne peuvent tou- loppement à l’Institut sud-africain des à huile, du bœuf, des produits laitiers,
tefois pas affronter la concurrence des affaires internationales (SAIIA), “tout de la volaille et des produits de la pêche
économies plus grandes et plus déve- dépendra de la capacité du nouvel au niveau continental. “En facilitant
loppées. Dès lors, il est essentiel que accord, qui vise à consolider les efforts le commerce et en diminuant ainsi les
“l’accord apporte de réels avantages aux régionaux et continentaux, à supplanter coûts de transaction, l'accord ZLEC ren-
pays enregistrant différents niveaux de certaines CER, ou du moins à intéger, à forcera les chaînes de valeur régionales”,
développement”, souligne le Centre terme, l’une ou l’autre d’entre elles”. souligne Richard Kamajugo. “Les taux
international pour le commerce et le de croissance de plusieurs produits agri-
développement durable. Le Plan d'ac- Accroître la productivité coles devraient également augmenter.”
tion de l'UA pour le renforcement du L'une des pistes qui permettrait à cer- Toutefois, l’adhésion à l’accord semble
commerce intra-africain (Boosting Intra- tains pays de commencer à tirer profit présenter moins d’avantages pour
African Trade, BIAT), qui a identifié sept de l’accord ZLEC consiste à intégrer, certains pays. Richard Kamajugo fait
domaines programmatiques, peut jouer dans un premier temps, leurs produits observer que “l’accord ZLEC devra abso-
un rôle dans ce sens. Les membres de dans les chaînes de valeur régionales. Le lument être complété par des mesures
l'UA peuvent utiliser ce plan pour don- secteur agricole est concerné en premier favorisant l'intégration des groupes
ner la priorité aux réformes politiques lieu. Bien que l'agriculture fournisse vulnérables dont les capacités et les com-
requises dans ces sept domaines et tirer jusqu'à 60 % des emplois en Afrique et pétences sont trop limitées pour qu’ils
ainsi profit de l’accord ZLEC. Comme le représente 25 % du PIB du continent, puissent s’intégrer dans des chaînes de
souligne la CEA, le plan d'action BIAT la part des produits agricoles dans le valeur à plus grande échelle. Ces mesures
complète l’accord, le premier se concen- commerce intrarégional est assez faible devraient notamment être axées sur la
trant sur les contraintes pesant sur l’offre – moins de 30 % selon la CNUCED. simplification des procédures commer-
au niveau du commerce intra-africain “L'agriculture est un secteur dont la ciales, par exemple les exigences relatives
et le second sur l’accès au marché et les productivité pourrait être considérable- aux règles d’origine, l’offre d’un soutien
contraintes pesant sur la demande. Une ment améliorée, en particulier grâce au pour le respect des normes phytosani-
évaluation réalisée par la CEA a toutefois renforcement de l’agroalimentaire et de taires et la reconversion des entreprises,
montré que le plan d'action BIAT est l’agrotransformation”, affirme Richard afin qu’elles puissent se concentrer sur
confronté à trois grands obstacles : un Kamajugo, directeur principal de l'envi- leur compétitivité à l’exportation”. Pour
manque de structure institutionnelle, ronnement commercial chez TradeMark Asmita Parshotam, “la mise en œuvre
l'absence de mécanismes de suivi et East Africa. “Depuis 2000, le marché de l’accord ZLEC nécessitera une volonté
d'évaluation, ainsi que des ressources africain (commerce intra-africain) a en politique, ainsi que des ressources tech-
insuffisantes. effet contribué à concurrence de plus de niques, financières et humaines”. ■

SPORE 189 | 37
PORTRAIT DE LEADERS

KASOPE LADIPO-AJAI

“Pour réussir,
il faut une image
de marque forte”
Kasope Ladipo-Ajai a cofondé OmoAlata, une entreprise de
conditionnement alimentaire nigériane, en 2012. Sa firme, qui ambitionne
d’exporter ses produits à l’international, a déjà bouleversé le secteur des
aliments frais au Nigeria.

© ENIOLA ABUMERE PHOTOGRAPHY


Oluyinka Alawode

T
itulaire d’une licence en infor-
matique de l’université Babcock,
au Nigeria, Kasope Ladipo-Ajai a
renoncé à un emploi salarié pour fonder
sa propre entreprise. Six ans plus tard,
OmoAlata fournit chaque semaine 500 à
700 sachets de condiments biologiques à
des revendeurs de Lagos. Pour Spore, elle
retrace son parcours.

Pourquoi avez-vous décidé de créer une


entreprise de conditionnement alimentaire ?
Au Nigeria, la plupart de nos mets sont
préparés à partir de produits alimen-
taires frais, ce qui prend beaucoup de
temps. Les citadins occupés et les gens
qui travaillent n’ont pas le temps d’aller
acheter des aliments et de mixer tomates
et piments. J’ai vécu cela quand j’étais
salariée, et c’est ce qui m’a incitée à faire
des recherches : j’ai commencé à imagi-
ner OmoAlata.
Notre premier produit a été le mélange
pimenté OmoAlata de tomates, oignons
et piments frais mixés qui forment
une pâte conditionnée et congelée. Les
tomates et les piments entrent dans la
composition des repas pratiquement
partout au Nigeria. Bien qu’OmoAlata
signifie “vendeur de piment”, l’en-
treprise conditionne dans les règles Kasope Ladipo-Ajai explique pourquoi une commercialisation adéquate et une bonne image
toutes sortes d’aliments consommés au de marque sont capitales pour les jeunes entreprises.

38 | SPORE 189
© OLUYINKA ALAWODE
“Beaucoup disent
que l’entreprenariat
est fantastique,
mais c’est aussi
énormément
de travail.”
Nigeria à l’intention de ceux qui sont
intéressés par l’aspect commode des
produits et acceptent de payer pour ça.
Au final, ce que nous vendons, c’est de
la commodité.

Comment votre entreprise a-t-elle évolué ?


Notre usine est à Lagos. Au début, nous
nous approvisionnions sur le marché
libre, ce qui nous posait de nombreux
problèmes concernant l’origine de nos
matières premières alimentaires. Nous
nous fournissons désormais auprès OmoAlata fournit 500 à 700 paquets de mélanges de piments biologiques aux commerçants
d’agriculteurs biologiques installés en de Lagos chaque semaine.
périphérie de la ville, ce qui nous permet
de garantir qu’aucun engrais ni produit qui nous a permis de promouvoir effi- Quels enseignements aimeriez-vous
chimique n’est utilisé. cacement nos produits à moindre coût. partager avec d’autres entrepreneurs émer-
Fin 2016, notre capacité de production Lorsque les gens vont voir notre activité gents, en particulier les jeunes femmes ?
est passée de 500 à 5 000 paquets par en ligne, cela leur donne une idée des Il ne faut jamais avoir peur de ses
mois. Nous ne produisons pas encore objectifs d’OmoAlata. Nous ne les avons rêves. Si je m’étais appesantie sur la dif-
de telles quantités parce que notre acti- pas encore atteints, mais nous construi- ficulté de mon entreprise, je ne me serais
vité est en cours de croissance. Je veux sons notre image de marque. jamais lancée. Donc commencez avec ce
qu’OmoAlata devienne le plus gros que vous avez. N’attendez pas qu’un gros
conditionneur de produits alimentaires Avez-vous rencontré des difficultés pour coup se présente. Avec mon partenaire,
du Nigeria et soit connu dans le monde créer votre entreprise ? nous avons commencé petit à petit et
entier. Le plan à court terme est de Le principal problème, pour de nom- ça a été très dur. C’est encore difficile.
commencer à exporter vers les USA en breuses entreprises nigérianes, est Nous avons souvent du mal à payer les
2018 et, je l’espère, vers le Royaume-Uni l’approvisionnement électrique, néces- salaires et les factures. Mon partenaire a
en 2019. Je prévois aussi d’ajouter deux saire à l’usine et dans nos bureaux et un autre travail à temps plein et je dirige
autres produits à notre offre actuelle. entrepôts. Nous devons donc utiliser également une autre entreprise. J’ai aussi
des groupes électrogènes, ce qui coûte maintenant un bébé de quatre mois,
Quelle est la clé pour la création très cher. Nos produits doivent rester mais j’ai dû retourner au travail avant ses
d’une entreprise prospère ? congelés avant l’utilisation, ou au moins deux mois. Je dois aller à l’usine, organi-
Il est vital d’avoir une commerciali- réfrigérés, parce que nous n’ajoutons pas ser les achats auprès des agriculteurs. Il
sation adéquate et de développer une de conservateurs. faut se démener sans arrêt.
bonne image de marque. N’importe qui Les délais de paiement imposés par Beaucoup disent que l’entreprena-
peut créer une entreprise, mais c’est la les commerces de détail sont un autre riat est fantastique, mais c’est aussi
construction d’une image de marque enjeu capital. Quelques magasins énormément de travail. Je dirais donc
forte qui conditionne sa réussite. Chaque paient immédiatement, mais la plupart à toutes les jeunes femmes qui veulent
petite entreprise doit apprendre à opti- attendent d’avoir vendu tous les produits se lancer dans les affaires de ne pas se
miser les fonds, même modestes, dont fournis et commandé davantage de mar- laisser aveugler par l’apparente facilité
elle dispose pour la commercialisation. chandises avant de régler celles qu’ils du monde de l’entreprise. Mais si elles
J’ai contacté le propriétaire d’une petite ont déjà vendues. Cela crée de réelles sont prêtes à travailler de manière
société de communication commerciale difficultés de trésorerie pour les petites acharnée, qu’elles sont passionnées et
– 360 Degrees. Lorsque je prévois une entreprises. Malheureusement, tant que qu’elles sont sûres de leurs objectifs,
tournée de représentation, je l’emploie le produit n’aura pas atteint le statut de alors qu’elles persistent et elles y arrive-
comme consultant et nous accomplis- grande marque, nous ne pouvons rien ront. Sans persistance, toute entreprise
sons nous-mêmes les démarches, ce faire à ce sujet. échouera. ■

SPORE 189 | 39
PUBLICATIONS

INTERVIEW

Agriculture : mettre les


États africains face
à leurs responsabilités
Le Dr Godfrey Bahiigwa, directeur du Département
de l'économie rurale et de l'agriculture de la Commission
de l'Union africaine, revient sur les conclusions d’une vaste
évaluation de l’agriculture africaine.

Stephanie Lynch

L
e Tableau de bord de la transfor- publiques à l'agriculture d'ici 2025. À

© AU-IAR
mation de l'agriculture en Afrique cette fin, nous avons examiné le montant
(Africa Agriculture Transformation des dépenses publiques de chaque État
Scoreboard, AATS) et le Rapport inaugural consacrées à l'agriculture en 2015-2016.
d’examen biennal sur la mise en œuvre Tout pays y affectant 10 % ou plus était
de la Déclaration de Malabo permettent sur la bonne voie, tandis que tout pays
de dresser un bilan des progrès et qui dépensait moins de 10 % ne l’était
des difficultés de l’agriculture afri- pas et obtenait donc un mauvais score.
caine. Explications avec le Dr Godfrey La Déclaration de Malabo inclut aussi
Bahiigwa, de l’Union africaine (UA). l’objectif d’une croissance annuelle de
6 % dans le secteur agricole et d’une
Quel est le lien entre l’AATS et la Déclara- réduction de 50 % des pertes après
tion de Malabo ? récolte d’ici 2025. Nous nous sommes
L'AATS fait partie du Rapport inaugural également engagés à faire passer la
d’examen biennal, issu de l’appel aux États malnutrition sous la barre des 10 %. Un
membres de l'UA, lancé dans le cadre score de moins de 3,94 aujourd'hui ne
de la Déclaration de Malabo, à œuvrer signifie pas qu’un pays ne respectera pas
avec leurs partenaires pour promouvoir ses engagements. Cela permet simple-
la responsabilité mutuelle concernant ment de mettre en lumière les domaines
les actions et les résultats qui stimulent à améliorer d’ici 2015.
la transformation agricole de l'Afrique.
Chaque pays est évalué en fonction de Comment l'AATS contribuera-t-il à en-
43 indicateurs concernant les sept enga- courager les États membres de l'UA à pour-
gements de la Déclaration de Malabo. Le Dr Bahiigwa insiste sur l’importance suivre leurs progrès dans la transformation
Une note sur 10 a ainsi été attribuée de la transparence dans les décisions politiques de leur secteur agricole ?
à chaque pays. Pour 2017, une note de pour le développement agricole. Seuls 20 des 47 États membres de l’UA
référence de 3,94 a été fixée comme qui ont publié leurs indicateurs lors de
note minimale indiquant qu’un pays est la première étape sont actuellement
en passe de réaliser les engagements de Comment l’AATS mesure-t-il les avancées en voie d'atteindre les objectifs de la
Malabo à l’horizon 2025. Le Rwanda a des pays africains ? Déclaration de Malabo. Le tableau de
enregistré les meilleurs résultats, avec Les indicateurs concernent différents bord encourage les chefs d'État à exa-
une note globale de 6,1, suivi du Mali avec aspects des engagements de 2014 en miner les engagements qu'ils ont pris
5,6 et du Maroc avec 5,5. L’assemblée de faveur de la transformation de l'agricul- en 2014 et à analyser leurs résultats.
l’UA en janvier 2018 a salué la perfor- ture, comme par exemple l'engagement Tous les acteurs du secteur agricole
mance de ces trois pays. d’allouer au moins 10 % des dépenses – ministères, secteur privé, société

40 | SPORE 189
Innovation
Déclaration de Malabo Plateformes
africaines
Les bons élèves de la transformation agricole
de l'Afrique L’innovation agricole
peut s’appuyer sur des
Le Rapport inaugural d'examen biennal suit les progrès des 55 États membres de plateformes d’innovation, ainsi que le montre
l'Union africaine (UA) vers la réalisation, d’ici 2025, des objectifs de la Déclaration le projet CoS-SIS (Convergence of sciences
de Malabo sur la croissance et la transformation de l’agriculture du continent. C'est - Strenghtening innovation systems), pré-
l'Afrique de l'Est qui a enregistré le plus de progrès avec une note globale de 4,2 sur sent dans neuf zones agricoles de l’Afrique
10, suivie par l'Afrique australe, avec 4,02. Individuellement, les meilleurs résultats de l’Ouest (Bénin, Ghana, Mali) en 2011 et
sont répartis sur l’ensemble du continent, avec des scores attestant d’une forte 2013. En interaction avec leur contexte lo-
progression au Burundi (4,7), au Cap-Vert (4,6), en Éthiopie (5,3), au Malawi (4,9), en cal, avec lequel elles doivent composer, ces
Mauritanie (4,8), au Mozambique (4,1), en Namibie (4,1), au Togo (4,9) et en Ouganda plateformes peuvent, ensuite, influencer
(4,5). leur environnement technique, économique
Le rapport a été présenté à l'Assemblée des chefs d'État et de gouvernement de et social. Leur légitimité et leur influence se
l'UA à Addis-Abeba, le 29 janvier 2018. Le Lesotho a réalisé la plus forte progression construisent sur un diagnostic préalable pré-
en ce qui concerne l'engagement global à promouvoir les échanges commerciaux cis et leur aptitude à ajuster leurs actions.
agricoles intra-africains, avec un score de 5,2 pour la valeur élevée des marchandises
échangées avec le reste de la région et la stabilité des prix de celles-ci. Le Botswana Des projets et des plates-formes d’innovation
s’est démarqué, avec un score de 8,7, pour la facilitation du commerce agricole pour soutenir les petits producteurs – Quelques
intra-africain grâce à des mesures axées sur l’infrastructure physique, les TIC et expériences en Afrique subsaharienne
l’administration des frontières. Numéro thématique Cahiers Agricultures
Seuls neuf pays sont actuellement en voie d'éradiquer la faim d'ici 2025, tandis Par J.-Y. Jamin et J. Jiggins (coord.)
que dix ont atteint l'objectif d'allouer au moins 10 % des dépenses publiques à EDP Sciences, 2018, 74 p.
l'agriculture. ISBN : 978-28-7614-735-5
25 €
www.quae.com
Rapport inaugural d'examen biennal de la Commission de l'Union Africaine sur la mise
en œuvre de la Déclaration de Malabo sur la croissance et la transformation accélérées Précision
L’agronomie
de l’Agriculture pour une prospérité partagée et de meilleures conditions de vie
Département de l’économie rurale et de l’agriculture
Union africaine, 2018, 138 p. et les outils
Pour télécharger le PDF : https://tinyurl.com/y8drrzkz
Née dans les années 1980
aux États-Unis, l’agri-
culture de précision repose sur un constat
déjà ancien, l’hétérogénéité des parcelles.
civile, organisations paysannes et par- propres à son contexte. Ainsi, dans Pour Gilbert Grenier, professeur à Bordeaux
tenaires du développement – ont accès les profils individuels de pays, nous Sciences Agro, il ne faut pas confondre
à ce tableau de bord. Cette transparence adressons trois recommandations sur nouvelles technologies et projets agricoles :
incite les chefs d'État à respecter leurs la façon d’améliorer les résultats pour capteurs, vecteurs (satellites, drones…) et
engagements s'ils ne le font pas déjà, rester sur la voie de la réalisation des algorithmes restent au service d’un objectif
tout en permettant à d’autres acteurs objectifs de la Déclaration de Malabo. et d’un savoir-faire. En Afrique, aux Caraïbes
d’entamer un dialogue menant à des Le rapport inclut aussi des recom- ou dans le Pacifique comme en Europe, pas
mesures correctives. mandations plus générales, telles que d’agriculture de précision sans agronomie.
Un autre tableau de bord reprend les l'appel lancé aux pays africains pour L’intérêt de cet ouvrage, ce sont les connais-
notes obtenues par les pays selon des qu'ils augmentent les investissements sances en agronomie qu’il regroupe pour
indicateurs choisis. Un pays peut, par et le financement en faveur de l’agri- pouvoir, ensuite, exploiter les données. Un
exemple, examiner les scores obtenus par culture, et améliorent l’accès aux indispensable.
le Rwanda, le mieux noté, pour différents services financiers et de conseil pour
indicateurs et les comparer aux siens. les citoyens impliqués dans l’agri- Agriculture de précision – Les nouvelles
culture. Aucun pays ne disposait de technologies au service d’une agriculture
Quelles conclusions tirez-vous du Rapport données pour tous les indicateurs et écologiquement intensive
inaugural d’examen biennal ? huit pays n'ont soumis aucune don- Par G. Grenier
Nous avons pu nous faire une idée de née. D’où une autre recommandation Éditions France Agricole, 2018, 400 p.
la progression des pays, et formulé des clé : investir dans le renforcement des ISBN : 978-28-5557-568-1
recommandations. Chacun des pays systèmes nationaux de statistiques 45 €
est confronté à des défis différents, agricoles. ■ www.editions-france-agricole.fr

SPORE 189 | 41
PUBLICATIONS

ALTERNATIVES

L’agroécologie,
une voie d’avenir
Avec un second symposium sur l’agroécologie, à Rome
en avril 2018, la FAO confirme qu’il s’agit d’une voie
Accompagner la transition agro-écologique
à privilégier pour changer durablement la manière des agricultures des pays du Sud

de produire et de consommer les aliments. Par C. Nouaille (éd.)


AFD-CIRAD, 2018, 8 p.
Pour télécharger le PDF :
https://tinyurl.com/y6wf2r89
Yanne Boloh

L
’agroécologie, système agricole de l’agroécologie à représenter une
et alimentaire durable, associe alternative viable, économiquement
savoir scientifique et savoirs tra- et socialement, face à l’intensification
ditionnels. Elle applique des approches agricole. Ainsi, suite à la crise du chlor-
écologiques et sociales aux systèmes décone, toute la filière de la banane
agricoles en intégrant les multiples antillaise s’est mobilisée pour mettre
interactions entre plantes, animaux et en œuvre un ensemble de techniques
environnement. La FAO, qui en fait la issues d’innovations antérieures et
promotion, vient d’organiser à Rome développer une nouvelle ingénierie de
son second colloque sur l’agroécologie, plantes de service.
les 3 et 4 avril 2018. Stéphane Le Foll, Que ce soit dans les systèmes de Les sols et la vie souterraine.
député français et ancien ministre de polyculture-élevage de l’Ouest du Des enjeux majeurs en agroécologie
l’Agriculture, en a assuré l’ouverture. Burkina Faso, dotés de nouvelles fosses Par J.-F. Briat et D. Job (coord.)
Il avait lancé cette évolution en France à fumure directement dans les champs, Éditions Quæ, 2017, 328 p.
dès décembre 2014. ou pour la culture de riz pluvial imposée ISBN : 978-27-5922-651-1
“Nous devons encourager un chan- par la pression démographique sur les 49 €
gement en profondeur de la manière plateaux malgaches, le sol et sa fertilité www.quae.com
dont nous produisons et consommons apparaissent comme le premier facteur
les aliments”, a déclaré José Graziano clé du succès. D’où l’intérêt de l’ouvrage
da Silva, directeur général de la FAO. Les sols et la vie souterraine : des enjeux
“Nous devons promouvoir des systèmes majeurs en agroécologie qui, en 16 cha-
alimentaires durables qui offrent une pitres, détaille l’état des connaissances
alimentation équilibrée et nutritive, et donne des exemples concrets.
des services écosystémiques et une Mais rien ne sera possible sans les
meilleure résilience face au climat.” La acteurs eux-mêmes. Ainsi, l’agronome
FAO a profité de ce congrès pour lancer Aurélie Toillier travaille à la concep-
une “initiative sur l’agroécologie” qui tion de dispositifs d’accompagnement
propose 10 outils concrets tirés de la au changement dans les agricultures
pratique. familiales. Son expérience dans l’Est de
Sur le terrain, les scientifiques Madagascar a donné lieu à un ouvrage,
observent en effet, déjà depuis plu- paru en février 2018, dans lequel elle Évaluer et renforcer les capacités
sieurs années, les expériences pour en présente un point de vue novateur par d’adaptation des agriculteurs familiaux.
tirer les conditions de la réussite. Le rapport aux représentations classiques Les populations forestières de l’Est
Centre de coopération internationale des espaces forestiers. Au lieu d’attri- malgache face aux mesures de conservation
en recherche agronomique pour le buer aux agriculteurs un rôle purement Par A. Toillier
développement (CIRAD) et l’Agence destructif, elle propose de les considé- Éditions Quæ, 2018, 126 p.
française de développement (AFD) rer comme les propres acteurs de leur ISBN : 978-2-7592-2780-8
réalisent des essais en grandeur réelle développement et de la protection des 29 €
et des analyses pour jauger la capacité forêts. ■ www.quae.com

42 | SPORE 189
Technologie
L’agriculture de précision pour les petits agriculteurs
Le projet MUIIS (Market-led, User-owned La base de la valeur ajoutée de toutes les données collectées, notam-
ICT4Ag enabled Information Service), prévu ment par les satellites, est le lien établi entre le traitement des données
pour trois ans, est actuellement à mi-par- brutes et la valeur ajoutée perçue par l’agriculteur qui va payer, même
cours. Financé par le ministère néerlandais des une somme minimale, pour le service. Cependant, la composante so-
Affaires étrangères, il développe des services ciale est souvent plus complexe que l’aspect purement technologique
d’information innovants, axés vers le marché et il faut donc du temps pour déployer de tels services. Chacun des
et appartenant aux utilisateurs. Porté par un six partenaires du CTA a une tâche précise pour la mise en place de
consortium de partenaires dirigé par le CTA, il l’agriculture de précision : analyser des données satellitaires et les
est intégralement consacré à l’agriculture de transformer en conseils pratiques pour les agriculteurs ; évaluer les be-
précision afin que les petits agriculteurs puissent, d’une part, utiliser soins d’information des agriculteurs ; former les agents de vulgarisation
plus efficacement leurs intrants dont l’eau et, d’autre part, augmenter agricole ; dresser un profil numérique des agriculteurs ; les former pour
leurs rendements. Les données satellitaires sont ainsi transformées qu’ils puissent utiliser les informations et les conseils qu’ils reçoivent.
en conseils adaptés à leurs parcelles. Il ne s’agit pas seulement Si de plus en plus de petits agriculteurs disposent d’un téléphone por-
d’établir des cartes météorologiques, mais aussi de suivre la crois- table et peuvent recevoir les conseils par SMS, le taux d’équipement en
sance des plantes, voire de comparer des parcelles voisines pour smartphones progresse et multiplie les services possibles. ■
comprendre leurs différences. MUIIS se distingue des projets financés
classiques car il est conçu pour devenir une entreprise pérenne en ICT Update n° 86 – L’agriculture de précision pour les petits agriculteurs
intégrant, aux côtés des ONG, des entreprises à finalité économique. Il CTA, 2018, 16 p.
s’agit pour l’essentiel d’entreprises sociales actives dans le secteur de
l’environnement dont l’objectif n’est pas de gagner des millions mais
de continuer à offrir du service. Pour télécharger le PDF : https://tinyurl.com/yag3xcce

Analyse annuelle
Huiles végétales : enjeux, marchés et controverses
Depuis 1993, Le Déméter propose chaque elle en pleine mutation : elle a toujours eu une composante de produc-
année des analyses prospectives sur l’agri- tion villageoise, 95 % des productions de noix de coco sur la planète
culture, l’alimentation et le développement étant issues de petits planteurs de moins d’un hectare (10 millions de
dans le monde. Dans son édition 2018, l’un planteurs), et bio de fait dans leur immense majorité. Si l’Asie domine
de ses quatre dossiers est consacré aux la production (81 %), l’Afrique assure 9 % de la production mondiale,
huiles végétales. À l’image de l’ensemble l’Amérique du Sud et les Caraïbes 5 %, comme l’Océanie. La filière co-
des matières premières agricoles mon- prah a connu son âge d’or dans la seconde partie du XIXe siècle quand
dialisées, les filières oléoprotéagineuses elle a remplacé les graisses animales dans la production des savons en
reflètent en effet les échanges internatio- Europe. Mais le marché se contracte depuis une trentaine d’années et
naux et leur contexte géopolitique. Quatre les efforts de recherche doivent être accentués tant sur la productivité
plantes assurent 85 % des huiles végétales des cocoteraies que pour lutter contre les maladies. L’engouement pour
mises en marché sur la planète : le tournesol, le colza, le soja et la l’huile de coco pourrait contribuer à la relance.
palme, avec une forte dynamique pour ces deux dernières. Sous les Le dossier Déméter propose aussi des entrées sur la consommation
tropiques, ces filières ont connu un développement fulgurant durant les des huiles. Les auteurs relèvent, par exemple, certains aspects culturels.
vingt dernières années, à tel point que certains auteurs n’hésitent pas Ainsi, l’huile de coton raffinée, peu connue dans les pays occidentaux où
à parler d’une “révolution des huiles tropicales”. Mais cette révolution elle n’a longtemps été utilisée que pour lubrifier les petits mécanismes
génère des controverses, notamment au sujet de la déforestation (soja (notamment les machines à coudre), est très consommée dans les
au Brésil, palme en Asie) et des modèles de développement agricole pays producteurs. ■
(agriculture familiale contre agrobusiness).
L’essentiel de la production d’huile de palme est le fait de deux pays –
l’Indonésie (35 des 65 millions de tonnes) et la Malaisie (19 millions de Le Déméter 2018
tonnes) – mais des plantations se développent en Afrique. Club Déméter, 2018, 448 p.
Originaire du golfe de Guinée, le palmier à huile y reste surtout une ISSN : 1166-2115
production locale. Seuls le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Nigeria ont 25 €
une production significative en volume. La filière coprah est quant à www.clubdemeter.com

SPORE 189 | 43
OPINION

Comment mieux soutenir


les femmes entrepreneurs
dans l’agriculture ?
DR AGNES ATIM APEA

Les femmes qui réussissent


réinvestissent dans
leur communauté Dr Agnes Atim Apea,
PDG de Mama Rice

Je ne connaissais rien à l’agriculture pour produire des denrées alimentaires nombre de femmes doivent encore
– ma spécialité est le développement est effectué par des femmes. Pourtant, prendre le risque de ramener dans leur
international – mais je savais que la quand il s’agit de vendre et de commer- village l’argent qu’elles ont gagné au
majorité des femmes vivant en milieu cialiser leur production, les hommes marché. La technologie, le renforcement
rural travaillent dans ce secteur. C’est interviennent souvent et emportent alors des capacités, les services de conseil aux
pourquoi j’ai créé Mama Rice en 2016 : tous les profits. En investissant en faveur entreprises et l’accès au capital sont des
pour les soutenir. La plupart des femmes des femmes entrepreneurs, vous savez éléments essentiels pour permettre aux
africaines pratiquent une agriculture de que l’argent sera réinvesti dans l’indus- femmes de réussir dans l’agribusiness.
subsistance et je veux les aider à amé- trie et qu’il profitera aux femmes, à leur
liorer leurs rendements, à produire des ménage et à leur communauté. Soutenir les plus vulnérables
cultures de qualité qu’elles pourront On pense souvent que les femmes
vendre à un bon prix à des gens comme L’accès au financement et à la formation constituent une catégorie homogène. En
moi. Mon entreprise soutient près de Toutefois, dans beaucoup de pays réalité, il existe beaucoup de groupes de
11 000 productrices de riz dans le nord de d’Afrique, les femmes ont des problèmes femmes différents, présentant différents
l’Ouganda. Je fournis à ces jeunes agri- de garantie : nous avons du mal à accéder profils et potentiels. Je cherche surtout à
cultrices des intrants et des semences à aux services financiers parce que nous ne aider les jeunes femmes qui sont margi-
crédit et je leur offre un marché garanti possédons légalement aucune propriété. nalisées par la société, qui n’ont pas fait
pour leur production. Ce modèle d’en- Selon la loi, je ne possède rien dans mon d’études et qui ne sont pas mariées, mais
treprise leur convient et semble vraiment pays, pas même mes propres enfants. qui sont mères célibataires ou qui ont dû
bien fonctionner. Il est vraiment nécessaire de mettre en fuir la guerre. L’année dernière, j’ai acheté
place des mécanismes de financement un peu plus de 700 hectares de terres que
Pourquoi les femmes ? plus inclusifs et innovants, qui per- j’ai redistribués à des jeunes mères que
Comme la majorité des femmes afri- mettent aux femmes d’avoir accès au leur famille refusait d’héberger. J’ai donné
caines travaillent dans le secteur agricole, crédit pour pouvoir créer des entreprises environ un demi-hectare à chacune pour
il est important qu’elles aient des modèles agroalimentaires rentables. qu’elles puissent cultiver des produits et
féminins, non seulement pour les inspi- Un autre problème important à je leur ai offert un marché immédiat pour
rer, mais aussi pour leur servir de mentor. résoudre est celui de la formation et du les vendre via Mama Rice. D’après mon
Dès lors, plus il y aura de femmes qui renforcement des capacités. La majo- expérience, ce sont souvent ces jeunes
réussissent en tant que chef d’entreprise, rité des femmes qui lancent leur propre femmes qui travaillent le plus dur et qui
plus il y aura de soutien disponible pour entreprise agricole n’ont aucune expé- obtiennent les meilleurs résultats car
les autres femmes ambitieuses. rience commerciale. Je constate que ce lopin de terre représente tout pour
Une étude récente a établi qu’en Afrique beaucoup d’entreprises agricoles dirigées elles. Dans les débats sur les difficultés
80 % de la production agricole provient par des femmes ne possèdent pas les rencontrées par les femmes dans l’agri-
des petits agriculteurs dont la majorité technologies disponibles pour améliorer culture, nous ne devons pas oublier cette
sont des femmes des zones rurales. Le leurs activités, ni la capacité d’utiliser catégorie de femmes qui sont considérées
travail tout au long de la chaîne de valeur de telles technologies. Par exemple, bon comme des parias dans notre société. ■

44 | SPORE 189
ANTA BABACAR NGOM Sondage
Les femmes Comment mieux
soutenir les femmes
entrepreneurs entrepreneurs
sont la clé dans l’agriculture ?

de la croissance
Anta Babacar Ngom,
directrice générale
de SEDIMA 45 %
Créer des réseaux de femmes leaders
Lors des 30 dernières années, sur le agrobusiness, le Groupe SEDIMA a pris en agribusiness qui serviront de modèle
continent africain, d’énormes efforts ont une double option. Premièrement, nous et de soutien aux autres.
été réalisés pour compenser l’écart entre participons activement aux initiatives
les hommes et les femmes. Parmi les ini- dont la vocation est de soutenir l’autono-
tiatives qui ont réussi figurent les actions de misation des femmes. Il y a aujourd’hui
promotion des droits des femmes à l’ini- pléthore de fondations, associations, 28 %
tiative économique. Au Sénégal, celles-ci clubs d’investissement et autres solu- Développer plus de mécanismes financiers
ont permis de sensibiliser la société : tions offertes aux femmes auxquelles inclusifs.
aujourd’hui, le taux d’activité entrepre- nous participons. Deuxièmement, nous
neuriale des femmes est de 36,8 %, le plus avons mis en place un programme de
élevé de l’Afrique subsaharienne. promotion de l’entreprenariat dans
l’agrobusiness, qui implique du tutorat 23 %
Changer les attitudes et des soutiens techniques, ainsi qu’une Augmenter les opportunités de formation
Au sein du Groupe SEDIMA, spécialisé aide sous forme de garantie de débou- en gestion des affaires pour les femmes.
dans la production et la vente de pous- chés. C’est dans cette approche que
sins, de poulets, d’œufs, d’alimentation nous avons notamment mis en place
animale et d’équipements pour l’avi- un programme de fermes intégrées au
culture, nous avons érigé la mixité en Groupe SEDIMA. 6%
valeur. Cela nous permet de profiter de Le principe est d’apporter aux entre- Améliorer l’accès des femmes à la
sensibilités multiples et de construire un preneures en aviculture des poussins, téléphonie mobile et autres TIC.
développement positif. une prophylaxie, de l’alimentation et,
Traditionnellement, l’entreprenariat en fin d’élevage, de racheter toute la
féminin était plutôt informel et commu- production et de l’abattre industrielle-
nautaire à travers des micro-activités. ment dans notre entité. En fin de chaîne,
Ceci était dû à la nécessité, pour les nous assurons la distribution d’un poulet
femmes, d’avoir une activité génératrice prêt à cuire premium que nous aurons
de revenus pour subvenir aux besoins de co-élevé, co-exploité et co-distribué
leurs familles. Longtemps, les femmes avec nos fermes intégrées. Nous contri-
étaient cantonnées à des activités en aval, buons ainsi à développer la solidité des
notamment dans la petite transformation affaires de nos partenaires et aussi à
de céréales. Aujourd’hui, la tendance a développer notre entreprise.
nettement changé. Il se dit que 62,9 %
des femmes entrepreneurs au Sénégal Soutenir la prochaine génération
ont créé leur entreprise par opportunité Avec un soutien approprié, les entre- Autres débats
plutôt que nécessité. Malgré tout, je suis preneures peuvent acquérir la confiance
convaincue que nous, femmes entre- nécessaire qui leur permet de gagner Visitez les pages Opinion sur
preneurs, sommes confrontées à des leurs premiers clients et partenaires. Il le site de Spore pour lire l'avis
difficultés plus importantes lorsqu’il s’agit est important de rapprocher les acteurs d'un troisième spécialiste sur
de l’accès aux soutiens financiers et non financiers et non financiers pour mettre le sujet. Un nouveau débat est
financiers de l’entrepreneuriat. en place un accompagnement hybride mis en ligne tous les mois.
et multiforme afin d’atteindre cette
L’approche de SEDIMA nouvelle génération d’Africaines, qui
http://spore.cta.int/fr/debates.html
en faveur des femmes ont compris que c’est maintenant qu’il
Du point de vue de la promo- faut entreprendre dans l’agrobusiness en
tion de l’entreprenariat féminin en Afrique. ■

SPORE 189 | 45
Prochain numéro SERVICES AUX LECTEURS
Écrire à Spore
CTA — rédaction de Spore
190 Septembre - Novembre 2018 PO Box 380
6700 AJ Wageningen
Pays-Bas
© GEORGINA SMITH/CIAT

Fax : + 31 317 460067


E-mail : spore@cta.int

LIRE SPORE EN LIGNE


www.spore.cta.int

S’abonner à Spore
Veuillez noter que, désormais, il n’est possible que de s’abonner
à la version électronique de Spore.

Abonnez-vous à la newsletter électronique via :


https://publications.cta.int/fr/subscribers/register/Spore/

Vous pouvez également vous connecter à Spore sur les réseaux


DOSSIER sociaux pour recevoir des informations actualisées sur les
événements pertinents, ainsi que des alertes pour les nouveaux
Data4Ag
articles mis en ligne.
Bâtir les fondations de meilleurs services agricoles
Suivez Spore sur :
• Twitter @spore_mag
• Facebook @CTASpore
TENDANCES • LinkedIn @Spore Magazine
Une agriculture de reconstruction
La sécurité alimentaire après un conflit ou dans les États fragiles
Reproduire Spore
• Pour un usage non commercial, les articles de Spore peuvent
COMMERCE & MARKETING être librement reproduits sans les photos à condition de
mentionner la source. Merci d’envoyer une copie de la parution.
Transport de nourriture
• Pour toute reproduction à des fins commerciales, demandez
Ces innovations qui ouvrent un accès au marché l’autorisation préalable.

POUR OBTENIR Vous êtes abonné(e) aux publications du CTA :


LES PUBLICATIONS • Vous avez un compte sur http://publications.cta.int ? Connectez-vous et choisissez vos
titres à concurrence de vos unités de crédit en cliquant sur “Ajouter au panier” et “Passer la
Les titres précédés du signe commande”.
sont téléchargeables sur • Pas d’accès à Internet ? Continuez à utiliser le bon de commande fourni par le CTA.
http://publications.cta.int
Si vous n’êtes pas abonné aux publications du CTA, vous pouvez soit acheter les ouvrages
Les titres précédés du logo auprès des éditeurs ou en librairie, soit les télécharger sur http://publications.cta.int s'ils
peuvent être obtenus comme suit : sont en accès libre. Plus de la moitié de nos titres sont téléchargeables gratuitement !

SPORE est le magazine trimestriel du Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA). Le CTA est régi par l’Accord de Cotonou entre le groupe des pays
d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et l’Union européenne et est financé par l’UE • CTA • Postbus 380, 6700 AJ Wageningen, Pays-Bas • Tél. : +31 317 467 100 •
Fax : +31 317 460 067 • E-mail : cta@cta.int • Site Web : www.cta.int • DIRECTEUR DE LA PUBLICATION ET PRÉSIDENT DU COMITÉ DE RÉDACTION : Michael Hailu
• DIRECTEUR DE LA RÉDACTION : Anne Legroscollard • COMITÉ DE RÉDACTION : Stéphane Gambier, Isolina Boto, Benjamin Addom, Piet Visser, Toby Johnson,
Thierry Doudet • RÉDACTION : Rédactrice en chef : Susanna Cartmell-Thorp, WRENmedia, Fressingfield, Eye, Suffolk, IP21 5SA (RU) • Rédacteur de la version française :
Vincent Defait, New Delhi, Inde • CONTRIBUTEURS : O. Alawode (Nigeria), P. Bakewell-Stone (RU), Y. Boloh (France), H. Castell (RU), J. Cheaz (République dominicaine),
D. Chilumbu Nawa (Zambie), N. Dookie (Trinité-et-Tobago), O. Frost (RU), A. Gross (RU), Y. Islam (USA), T. Johnson (CTA), D. Juchault (France), J. Karuga (Kenya), M. Laplace
(Sénégal), K. Lohento (CTA), S. Lynch (RU), D. Manley (France), E. Ntungwe Ngalame (Cameroun), S. Price (RU), S. Reeve (RU), B. Rioba (Kenya), A. Shepherd (Italie),
M. van der Sterren (Pays-Bas), P. Visser (CTA), E. Wuilbercq (Éthiopie) • DESIGN : Vita, Italie • MAQUETTE : T. Paillot, M. Batard, Intactile DESIGN, France • IMPRESSION :
Latimer Trend & Company, RU • © CTA 2018 - ISSN 1011-0054

46 | SPORE 189
SPORE 189 | III
EXPLOREZ
LE NOUVEAU SPORE
+ d’infos sur
+ d’expertises votre région

+ de débats
et d’opinions
+ d’interactivité

Le développement agricole, chaque jour, à portée de clic

SMARTPHONE TABLETTE ORDINATEUR

www.spore.cta.int

Vous aimerez peut-être aussi