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Atelier International

Sous la direction de N. Roseau et C. Prelorenzo


ENPC - MS AMUR 2012/2013
Carlos BELEM - Anne-Laure IBARROULE - Pierre LE MOUAL
Grégoire ROBIDA - Lecticia SOUQUET - Philippe DE VOGÜÉ

L’ÉCHELLE DES ÉQUIPEMENTS TERRITORIAUX


Les équipements et le territoire : une interaction complexe
SOMMAIRE

Introduction 3

I. Définitions 4

II. Evolution de la notion d’équipement en France de l’Antiquité { nos jours 6

III. Comment les équipements se répartissent-il sur le territoire ? 9

IV. Quels impacts la géographie des équipements produit-elle sur le territoire? 18

Conclusion 27

Bibliographie 29

2
INTRODUCTION

Qu’est-ce qu’un équipement dit « territorial » ? Quelles relations ces équipements entretiennent-
ils avec les territoires qui les accueillent ? Quelles doctrines et quelles logiques (économiques,
politiques, sociales, spatiales…) régissent leurs modes d’implantation, et leur répartition sur le
territoire ? Comment ces équipements modifient-ils en retour le territoire qu’ils habitent ?

Pour éclairer ces questions, nous aborderons le thème de l’équipement sous le feu croisé de
plusieurs approches. A l’aide d’une approche conceptuelle et étymologique, nous tenterons tout
d’abord d’expliciter les concepts d’ « équipement », ainsi que d’ « échelle ». Au travers d’un
retour historique, nous nous efforcerons ensuite de retracer les différentes doctrines ayant
gravitées autour de cette notion en France, depuis l’Antiquité jusqu’{ nos jours. Puis, nous nous
demanderons de quelles manières et selon quelles logiques les équipements se répartissent sur
un territoire donné, en nous appuyant sur une sélection d’exemples. Enfin, nous nous
demanderons quels effets génèrent cette « géographie des équipements » sur un territoire, que
ce soit en termes de pratiques, de spatialité, de représentations, d’attractivité…

3
I. DÉFINITIONS

ÉQUIPEMENT

Le terme d’équipement peut être défini comme « l’ensemble des matériels et installations
constituant l'infrastructure nécessaire au développement d’un pays, d’une région ou d'une activité
donnée 1 ».

Ses définitions font appel à un registre tantôt organiciste, et tantôt machiniste. Dans le domaine
technique, la notion d’équipement désigne ainsi l’« ensemble des accessoires ou des dispositifs
auxiliaires nécessaires au bon fonctionnement d'un instrument, d'une machine ou d'une installation
industrielle 2 ». Ces différentes définitions tendent { présenter l’équipement comme un outil
nécessaire au bon fonctionnement de la ville ; comme un organe indispensable à sa survie. En
biologie, un organe est un « ensemble de tissus concourant à la réalisation d'une fonction
physiologique. Certains organes assurent simultanément plusieurs fonctions, mais dans ce cas, une
fonction est généralement associée à un sous-ensemble de cellules. Le niveau d'organisation
supérieur à l'organe est le système, qui remplit un ensemble de fonctions complémentaires, et le
niveau d'organisation inférieur à l'organe est le tissu 3 ». Le parallèle avec cette notion d’organe
nous semble intéressant car il permet d’introduire { la fois les notions d’échelle (du tissu, de
l’organe, du corps) et de fonction. En ce sens, l’équipement semble bel et bien être { la ville ce
que l’organe est au corps : un appareil destiné à remplir une, voire plusieurs fonctions
spécifiques et nécessaires au bon fonctionnement du corps.

Cependant, précisons d’emblée que dans le domaine de l’aménagement, l’acception du terme


« équipement », relativement floue et subjective, a beaucoup évolué au cours du temps, et
demeure bien moins précise que celle du terme « organe » dans le domaine médical. Au cours de
l’histoire, ce terme a en effet progressivement englobé des éléments toujours plus nombreux et
diversifiés, allant de l’artisanat (tels que le forgeron ou le charron au Moyen-âge) aux
infrastructures lourdes (équipements routiers et ponts). Peu à peu se sont en plus vus
rassemblés sous cette même étiquette l’offre d’équipements de première nécessité (commerces
par exemple) aussi bien que celle d’équipements de loisirs ou de confort, qu’ils soient publics ou
privés, relevant de la proximité ou d’un rayonnement plus large 4.

Ainsi au cours des siècles, { mesure que le nombre et les types d’équipements croissaient, le
concept même d’équipement a ainsi beaucoup évolué, englobant toujours un spectre plus ou
moins large de fonctions plus ou moins nécessaires au bon fonctionnement de la société.

1 Source: Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL). Url : www.cnrtl.fr


2 Ibid.
3 Source: Encyclopédie Wikipedia, « Organe », consulté le 10/03/13. Url: fr.wikipedia.org/wiki/Organe
4 IAU, Equipements et services : la métropole au quotidien, Les cahiers de l’IAU n°157, Janvier 2011, p.8.

4
ÉCHELLE

En géographie, le terme d’échelle désigne le « rapport existant entre les dimensions d'un objet et
celles de sa représentation dans l'espace ou en plan 5 ». Il désigne également un ordre de
grandeur, de dimension, d'importance. Il est synonyme de « mesure », de « taille ».

La notion d'échelle en architecture a été théorisée par Eugène Viollet-le-Duc, dans son
Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle :

« En architecture, on dit ‘‘l'échelle d'un monument... Cet édifice n'est pas à l'échelle’’. L'échelle d'une
cabane à chien est le chien, c'est-à-dire qu'il convient que cette cabane soit en proportion avec
l'animal qu'elle doit contenir. Une cabane à chien dans laquelle un âne pourrait entrer et se
coucher ne serait pas à l'échelle 6 ». On voit ici apparaître l’idée d’un rapport de proportion, entre
un édifice et l’usage auquel il est destiné, voire entre une offre et une demande. Selon Viollet-le-
Duc, la recherche de la « bonne échelle » viserait ainsi { mettre en adéquation l’envergure d’un
édifice avec l’usage pour lequel il a été conçu. Cet élément est intéressant, car il paraît déj{
contenir en lui-même une problématique récurrente au sujet des grands équipements
territoriaux, celle de leur rapport au territoire. En effet, si un édifice peut s’avérer de proportion
optimale vis-à-vis de l’usage pour lequel il a été conçu, son insertion dans un territoire peut
parfois produire des ruptures d’échelles avec son environnement. Par exemple, une autoroute
pourra être parfaitement proportionnée vis-à-vis de l’usage pour lequel elle a été conçue
(accueillir un certain flux de véhicules), et pourtant engendrer une profonde rupture d’échelle
dans un territoire (esthétique, usages, etc…). Cela traduit une caractéristique importante des
équipements : leur conception est généralement régie par une logique propre, autonome, qui
vise à répondre à un besoin, ou à une demande donnée. Dans certaines conditions, cette
structuration autour d’une logique propre, parfois fortement imperméable { la diversité des
enjeux d’un site donné, peut concourir { une certaine forme d’« autisme » de grands
équipements territoriaux - tout particulièrement lorsqu’ils confrontent un usage destiné { une
grande échelle à un territoire local (comme par exemple les grandes infrastructures de
transports).

Dans le cadre de notre questionnement sur « l’échelle des équipements territoriaux », on pourra
donc retenir deux notions principales rattachées au concept d’échelle : d’une part celle de
l’envergure, du rayonnement d’un équipement. Et d’autre part celle du rapport de proportion
entre un équipement et son territoire, entre le besoin auquel il se propose de répondre et l’offre
qu’il procure effectivement.

5Source : Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL). Url : www.cnrtl.fr


6Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Échelle, Eugène Viollet-le-
Duc.

5
II. ÉVOLUTION DE LA NOTION D’ÉQUIPEMENT EN FRANCE DE
L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS

L’approche historique et l’analyse de l’évolution de la définition même de la notion


d’équipement au cours de l’histoire permettent de comprendre la forte interaction qu’il existe
encore aujourd’hui entre les équipements, la ville, les hommes et l’aménagement.

Si la notion d’équipements émerge au cours du Moyen-âge, dès le monde antique ceux-ci ont fait
l’objet d’une réflexion dans l’aménagement des villes. En France la conquête de la Gaule par les
romains a pour conséquence première la mise en place des civitas basées sur un découpage du
sol. Cet urbanisme orthonormé était organisé régulièrement autour du cardo maximus
(Nord/Sud) et du décado maximus (Est/Ouest) définissant des ilots de même dimension à
l’intérieur desquels se trouvaient les monuments publics, les habitats privés ainsi que le
mobilier urbain public ou privé destiné aux commerces, loisirs, et transport. L’aménagement de
ces nouvelles civitas basé sur une trame présente cependant des modèles variés dans la
répartition des équipements : si à Arles (Arelate) la scénographie urbaine est basée sur le forum
et le théâtre augustéen (installation des équipements de loisirs au centre), à Limoges
(Augustoritum), on note une implantation de ces mêmes équipements aux deux extrémités de la
ville (l’amphithéâtre, situé au Nord, et le théâtre situé au Sud sont reliés grâce au cardo
maximus). D’emblée, ces premiers équipements de loisirs font ressortir les notions d’usages et
de proximité encore prégnantes aujourd’hui.

Élément fédérateur, l’équipement a créé la ville en parallèle de l’évolution de l’ordre social. .Pour
être viable, il nécessite un nombre suffisant d’utilisateurs. La notion de seuil critique
d’utilisateurs est importante dans la compréhension de l’équipement car elle contribue { une
hiérarchisation des villes : les petites villes possèdent des équipements rayonnant { l’échelle
locale tandis que la capitale possède des équipements à la fois locaux mais aussi nationaux. Il
existe donc un lien étroit entre l’importance d’une ville et ses équipements. Dès l’Antiquité, on
note que l’équipement demande un investissement émanant d’un pouvoir. Au cours du Moyen-
âge la notion d’équipement va s’affirmer et se développer. A partir du XIIème siècle, avec le
renouveau de la vie économie et celui des villes, de nouveaux équipements liés { l’activité
marchande vont se développer. Ceux-ci possèdent un caractère plus urbain : leur aire de
chalandise est plus importante et ils n’ont pas besoin d’être accessibles quotidiennement mais
régulièrement. Contrairement à la période antique, leur rayonnement dépasse leur lieu
d’implantation. Ils marquent un tournant dans l’évolution de la notion d’équipement. De la vie
quotidienne, on passe { l’utilité publique : ces équipements ne peuvent exister que dans des
lieux stratégiques. Si le carroyage est un élément fondamental dans l’établissement des trames
locales des civitas, il devient un élément structurant du territoire national au XVIIIème siècle
avec l’émergence de la notion de territoire liée { une vision structurante de l’espace par les
infrastructures de transport (canaux, routes et plus tard chemin de fer) qui vont
progressivement organiser le territoire français grâce aux grands travaux publics menés par les
Corps d’Etat. L’idée de maillage du territoire apparaît avec la notion de réseau routier qui se
développe dès 1820. Les villes-ponts, les villes de passages, ont une importance non négligeable
dans l’aménagement du territoire en permettant la circulation de marchandises et de

6
population. Ainsi dès cette époque, certains équipements participent totalement { ce que l’on
qualifie aujourd’hui de centralité et de pôle d’attractivité.

Au XIXème, on assiste à un transfert de notions, de modèles et de techniques du territoire vers la


ville. La notion de réseau figure parmi ces notions. Elle s’impose lorsqu’il s’agit de penser le
système dans sa globalité. La notion de réseau conduit { dissocier l’ancien idéal de régularité
géométrique de la régulation des flux qui constitue désormais le véritable objectif de
l’aménagement des équipements. Cette entreprise de standardisation trouve sa contrepartie
dans l’attention que continuent { porter les ingénieurs aux déterminations locales. Une telle
attention s’explique en partie par un contexte technologique encore très traditionnel qui rend
l’aménageur tributaire du site et de ses ressources. L’une des conséquences de la première
révolution industrielle sera précisément d’émanciper l’art de l’aménagement des contraintes
locales. Avec la révolution industrielle apparaissent également la multiplication des
équipements de proximité et la mise en place d’un nouveau rapport au temps qui va bousculer le
rapport { l’espace et donc la répartition des équipements. Ainsi les équipements changent peu {
peu de nature et la distinction entre public et privé, entre équipements de proximité et
infrastructures, est de plus en plus forte.

La nouvelle organisation administrative issue de la Révolution entraîne la création de tout un


réseau d’équipements publics (préfectures, mairies…), mais aussi privés (commerces, postes…),
liés au découpage administratif (1790). Les équipements ne cessent de se développer, pour se
rapprocher du service collectif ou à la personne. Ils reposent sur la définition de « besoins » plus
ou moins normés. Cette notion de besoin pour programmer des équipements sera quasiment
absente lors de la période de l’entre-deux-guerres en France. Cette notion de besoin pour
programmer les équipements sera quasiment absente durant l’entre deux guerre en France.
Durant cette période la réflexion urbanistique a essentiellement porté sur l’offre en logements et
la maitrise de la croissance urbaine. L’urbanisation s’est développée dans le désordre ou sous
contrôle de la puissance publique : les lotisseurs privés ont urbanisé des milliers d’hectares de
banlieue parisienne sans concertation et sans cadre réglementaire, conduisant à la réalisation
d’immenses zones pavillonnaires sans voirie, infrastructures ou équipements et commerces.

À l’opposé, et au cours de la même période, la réalisation des cités-jardins est promue par les
sociétés HBM 7. Elle est organisée et encadrée par l’État au moyen de fonds publics et de plans
concertés. Les cités-jardins sont installées à proximité immédiate de grandes agglomérations
(Rennes, Paris…) et des équipements et services communs y sont toujours prévus. Ces
équipements publics (parcs, galeries de commerces, lieux culturels) sont situés au centre-ville
comme en témoignent les exemples de Stains et Suresnes. En un sens, elles reprennent le
modèle antique de scénographie urbaine.

Ainsi l’évolution de la notion d’équipement en parallèle à celle de territoire montre bien le lien
étroit qui existe entre ville, habitants et équipements. Il n’y pas de ville sans équipements
contribuant au service de tous. Ce rapide survol historique des équipements montre que, dès
l’origine, les questions actuelles sont déjà posées : le partage entre les intérêts publics et privés,
le financement, le rapport au temps { l’espace. Mais, au-delà de cette constatation, la principale
leçon est celle du lien étroit et de la forte interaction qui existent depuis toujours entre la ville et
les équipements.

7 Habitation bon marché

7
La place des équipements dans l’urbanisme fonctionnaliste : le cas de Brasília

Durant l’entre-deux-guerres les CIAM et la charte d’Athènes vont conduire { la mise en place de
la ville fonctionnelle délimitant 4 fonctions urbaines (vie, travail, loisir et circulation)
spatialisées grâce au concept de zonage. A Brasília, l’urbaniste Lucio Costa a imaginé des
quartiers résidentiels qui sont fonctionnels et auto-suffisants : centres commerciaux, écoles et
parcs sont à proximité. Ici la notion de besoin est normée et, comme pour la cité radieuse à
Marseille, l’intégration d’équipements publics aux superquadras permet de créer une
microsociété.

Figure 1 - Vue aérienne d’une superquadra à Brasília

Dans l’urbanisme fonctionnaliste, pour Le Corbusier, l’aspect communautaire apparaissait


comme fondamental et les équipements prenaient naturellement place au cœur de cette
microsociété. Cette démarche n’est pas sans rappeler celle que Charles Fournier avait choisie
pour ses phalanstères un siècle plus tôt. Dans cette démarche, l’équipement collectif répondait {
un idéal communautaire, social, accessible à tous.

Pourtant, le cas de Brasília nous enseigne autre chose. En réalité, le zonage de la ville a été
poussé { l’extrême et les superquadras sont des quartiers monofonctionnels. Le quartier des
hôtels, des commerces, des ministères sont juxtaposés et la notion de proximité est discutable
quant on sait qu’une avenue moderne { Brasilia peut faire 1km de large, la notion d’échelle est
ici déformée par une approche moderne de la ville qui doit se parcourir en voiture.

8
II. COMMENT LES ÉQUIPEMENTS SE RÉPARTISSENT -ILS SUR LE
TERRITOIRE ?

Plusieurs logiques régissent la répartition des équipements dans le territoire. Son type, sa
fonction, son échelle, ainsi que la topographie naturelle et les enjeux politiques jouent un rôle
central.

Entre les logiques d’implantation, une première distinction est { opérer selon le type d’acteur
portant l’équipement. Les équipements d’intérêt général ne sont pas implantés selon la même
logique que les équipements d’intérêts privés, comme les commerces par exemple.

ÉQUIPEMENTS D ’INTÉRÊT GÉNÉRAL

Des logiques publiques régissent les équipements d’intérêt général (écoles, gares, hôpitaux ou
musées). L’implication des institutions publiques dans la construction des équipements collectifs
a toujours été très importante en France mais atteint son paroxysme avec les besoins de
reconstruction d’après guerre.

Des normes d’équipements sont élaborées : la « grille Dupont » de 1959 définit des normes et
des ratios d’équipements devant accompagner la construction de logements et être répartis
selon l’importance de plusieurs échelons urbains : l’unité résidentielle, le voisinage 8 et le
quartier. Cette grille sera actualisée { plusieurs reprises en s’appuyant sur des enquêtes auprès
des ménages pour définir les normes de besoins. Ainsi entre 1960 et le milieu des années 1970,
l’État avait pour volonté première le développement et la réalisation d’équipements collectifs
d’accompagnant le logement. Initiés ou impulsés par l’État ces équipements collectifs
d’accompagnement s’appuyaient sur la croissance économique de ces années.

Dans les années 1970, en alternative au ZUP, de nouvelles méthodes et pratiques urbanistiques
apparaissent avec l’intégration des fonctions de circulation, loisirs et participation. Le procédé
consiste à rassembler et associer différents équipements à vocation sociale, sanitaire, éducative
et culturelle. Ce principe d’intégration se matérialise dans les villes nouvelles, initiées par l’Etat9,
qui se veulent en rupture avec la politique des grands ensembles. Celles-ci offrent à leurs
habitants l’ensemble des fonctions qu’une ville doit assurer pour leur bien-être (logements,
équipements et emplois). La liste et les normes d’équipements issues de la grille Dupont

8
Au début du XXe siècle, la notion d’unité de voisinage apparaît aux États-Unis comme instrument de
planification urbaine. À une époque où l’on parle peu de mobilité, l’unité de voisinage revient à définir les
dimensions d’un quartier en ne prenant en compte que les fonctions liées à la vie quotidienne. Le cœur de l’unité
est constitué par un espace vert communautaire accompagné d’une école et de deux autres constructions. Le
nombre d’habitants est calculé en fonction de la capacité de l’équipement scolaire et la taille de l’unité de
voisinage est structurée par les déplacements de l’enfant (rayon d’un quart de mile autour du centre). Au bord
des voies de circulation sont installés les commerces accessibles à pied. Ceux ci forment les limites de l’unité.
Cette notion d’unité de voisinage, critiquée par la suite, s’est diffusée en Europe dans les années 1930 sauf en
France où elle sera reprise mais transformée à partir de 1945.

9
L’État est l’initiateur et le réalisateur de ces villes nouvelles à travers la mise en place en place des
établissements publics d’aménagement.

9
actualisée restent en vigueur et l’on réserve des terrains pour la construction de ces
équipements. L’idée de l’État est de créer un socle « lieu de vie » comprenant tout les
équipements nécessaires à X habitants dans ces nouveaux quartiers aménagés.

La répartition sur le territoire répond { des notions de grille d’équipements. C’est la loi du
nombre qui est alors reine et les équipements suivent trois principes fondamentaux :

 La simplicité : a une problématique est associé un équipement propre : l’école pour


l’éducation, le gymnase pour le sport, l’hôpital pour la santé.

 L’équivalence : il existe une égalité absolue entre les équipements français. Une école
équivaut à une autre école, une salle de sport à une autre salle de sport, etc. Ce principe
est accentué par l’existence de norme et d’expertise nationale très précise.

 L’existence : l’important est qu’un équipement existe pour un nombre d’habitant donné,
peu importe sa situation.

Le modèle de grille d’équipements à l’étranger

Ce modèle de répartition des équipements selon une grille rationnelle existe également à
l’étranger. Ainsi, en Angleterre, la base de l’urbanisme des villes-nouvelles est l’unité de
voisinage. Importée au cours des années 1930 des États-Unis, l’unité de voisinage constitue
un instrument de planification urbaine permettant de dimensions un quartier en prenant en
compte les fonctions liées { la vie quotidienne. Dans les villes nouvelles anglaises, l’unité de
voisinage comprend environ 5 000 habitants. La ville est constituée d’unités juxtaposées qui
forment chacune un tout. Chaque unité de voisinage possède des écoles primaires et
secondaires, un centre médico-social, un petit centre commercial (boulangerie, épicerie,
pharmacie…), une église et une maison commune servant { la fois de salle de réunion, de
théâtre ou de cinéma.

Au centre de l’agglomération, formée des unités de voisinage, sont situés les équipements
collectifs plus importants : mairie, et autres bâtiments administratifs, banque, poste,
restaurants, commerces nombreux, théâtres, cinémas.

Figure 2 - Crawley, ville nouvelle Anglaise

10
ÉQUIPEMENTS COMMERCIAUX

À la différence des équipements dits d’intérêt général, le commerce est régi majoritairement par
des acteurs privés (investisseurs, opérateurs, commerçants et distributeurs), inscrits dans une
logique économique commandée par le marché. La puissance publique peut néanmoins
intervenir dans cette logique de marché au travers de réglementations spécifiques. C’est le cas
par exemple de la loi Royer du 27 décembre 1973 10 .

Selon Pierre Merlin, deux critères sont importants dans la réflexion sur l’occupation de l’espace
par les équipements commerciaux :

 Le premier est le type de commerce et l’espace consommé par l’équipement, facteur plus
important pour les choix d’implantation d’entrepôts, centres commerciaux et grands
marchés, par exemple, que pour les boulangeries, pharmacies, restaurants ;

 Le deuxième critère est l’aire de chalandise ou la zone d’influence de l’équipement en


tant que point de distribution de ventes et/ou de services.

Ces deux critères sont intrinsèquement liés { la question de l’échelle des équipements : physique
pour le premier et immatérielle pour le deuxième.

Prenons deux exemples de commerces radicalement différents : les konbini japonais et


l’entreprise d’ameublement IKEA.

Les konbini, petits commerces de quartier sur le modèle des Convenience Stores américains,
sont devenus un élément structurant de la vie urbaine des japonais. On compte au Japon un
konbini pour 3 300 habitants, soit le taux le plus élevé au monde pour ce type de commerce.
Ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, on y trouve quelques soit le
quartier de la ville une offre de produits standardisés de (plus de 3 000 références par magasin,
notamment beaucoup de produits alimentaires frais). Des services (postaux, bancaires et
financiers) sont également disponibles (les japonais utilisent encore couramment leur konbini
pour régler leurs achats faits sur internet). Les konbini servent aussi de relais livraison
permettant aux japonais de se faire livrer hors de leur domicile les objets qu’ils ont achetés sur
internet.

L’espace public de la ville japonaise n’a


bien souvent rien { envier { l’univers
chaotique des grandes métropoles
modernes mais, grâce à un système
d’information sophistiqué, il parvient {
accommoder une logistique assurant au
quotidien le fonctionnement d’une gamme
de services devenus aujourd’hui
indispensables au mode de vie des
résidents des grandes villes japonaises.

10 loi d'orientation du commerce et de l'artisanat

11
Les konbini ont par nature, une aire de d’implantation très restreinte. Ces petites surfaces de
consommation courante doivent s’insérer dans un milieu urbain dense et ne réclament pas une
grande surface foncière. Approvisionnées plusieurs fois par jour, la surface dédiée au stockage
est limitée. Ces commerces s’appuient donc sur une logique de réseau où chaque habitant
trouvera, où qu’il se situe dans la ville, une gamme de produit standard assurant une certaine
égalité de traitement du territoire.

La logique d’implantation territoriale d’IKEA est radicalement différente. En plus des


composantes territoriales, le géant de l’ameublement suédois s’appuie pour la plupart de ses
centres sur le soutien des élus locaux, qui voient l’arrivée d’IKEA comme une opportunité
d’aménagement de ses territoires, quasi toujours périphériques. Selon Musereau et Gaudin,
« l’imbrication des intérêts entre les parties (privé et public) révèle un processus de
complexification et de pluralisation des stratégies et des systèmes d’acteurs ancrés dans des
territoires ». De plus, « si les facteurs traditionnels de l’attractivité territoriale sont bien connus en
matière d’accès au marché, de potentiel de développement et d’intégration économique, le choix
d’une implantation demeure toujours un enjeu stratégique, tant pour la firme que pour les
territoires d’accueil 11 ».

IKEA a ainsi créé une foncière d'immobilier commercial pour développer un pôle commercial
autour de ses magasins. Cette activité permet de :

 Mutualiser les coûts d'installation comme les accès routiers, les parkings ;

 Renforcer l'attractivité du site ;

 Créer un nouveau relai de croissance, lorsque l'enseigne Ikea sera arrivée à maturité

La chaîne suédoise se singularise également par sa zone de chalandise : c’est en effet la seule
chaîne à pouvoir miser sur un déplacement de ses clients dans un rayon de 150 km. Le modèle
économique Ikea repose sur une zone de chalandise de 1 million d'habitants. Le jour où les
clients réduiront leurs déplacements automobiles et disposeront d'une offre alternative de
proximité, le modèle Ikea pourrait être fragilisé.

Pour répondre au problème de l'éloignement de ses magasins et créer de la convivialité, IKEA a


lancé un site de covoiturage. Si le covoiturage peut intéresser une clientèle jeune à faible pouvoir
d'achat, il n'est pas adapté au cœur de la clientèle que sont les familles.

11 http://rge.revues.org/3056

12
La Bretagne offre un bon
exemple de la stratégie
d’implantation d’IKEA
(figure A). La structure du
territoire Breton se
résumerait à une
bipolarité autour des
centres rennais et
brestois, alors qu’une
bande centrale serait
exclue. Le critère de
l’accessibilité aux bassins
de peuplement prédomine
sur celui de la densité. On
comprend alors pourquoi
l’emprise des magasins
est très souvent
matérialisée par le tracé
des principaux axes
routiers. C’est ce
qu’illustre le projet de
Wuxi, en Chine, dont l’aire
de chalandise se calcule
en termes de temps de
parcours en voiture
(figure B). Grands
consommateurs d’espace,
les magasins IKEA
nécessitent de vastes
superficies pour
s’implanter : 5 { 6
hectares en moyenne d’un seul tenant, une surface standard proche de 30 000 m 2 pour le
magasin et une surface de vente atteignant en moyenne près de 20 000 m 2. Chez le géant
suédois, la pondération des facteurs de décision stratégique se résumerait donc à un triptyque
(figure C).

Il est intéressant d’observer, comme le montre la carte ci-dessous, que l’implantation des
magasins IKEA ne répond pas qu’{ une logique rationnelle de densité ou de bassin de
peuplement. En effet, la firme privilégie une logique de proximité culturelle dans l’ouverture de
ses magasins en s’implantant en priorité dans les pays d’Europe du Nord. Cette carte fait ainsi
ressortir un réseau européen de grandes surfaces principalement dense dans le nord de
l’Europe.

13
Figure 3 - Implantation d'IKEA en Europe

14
La logique d’implantation des commerces dans les gares

Les commerces s’implantent souvent l{ où il y a une polarité, comme dans les gares. En
occident, la gare préexiste généralement dans sa finalité de service public de transport, loin
de toute logique concurrentielle. Cette zone de flux offre un espace attractif pour le
commerce cherchant à capter les milliers de voyageur traversant les gares.

Au Japon, l’équipement lié au transport est dans une logique de marché, il s’agit donc d’un
espace concurrentiel qu’il convient de rendre attractif. La gare est construite dans la logique
de rentabilité, semblable { celle d’un centre commercial quand bien même il s’agit d’un
espace de service public. La ligne ferroviaire n’est pas définie selon le besoin mais pensée
selon les pôles permettant d’attirer du monde.

Les gares sont aujourd’hui conçues et exploitées davantage comme des équipements urbains
structurants. Leur fonction ne se limite plus { celui de point d’arrêt et d’échange, mais elles
sont des ressorts de dynamisation et de requalification des territoires. Elles contribuent à la
densification de l’espace urbain : la prise en compte des enjeux du développement durable
impose en effet de penser l’évolution des gares et de leurs quartiers en cohérence avec la
géographie des emplois et des logements. Le projet d’implantation d’une nouvelle gare est de
nature { accélérer le développement local. Notons qu’il peut y avoir une contradiction entre
la logique privée d’accroître la masse clientèle par une localisation dans ces lieux de passages
et la logique politique cherchant à réduire le nombre de déplacements.

Ainsi, en France, nous pouvons prendre l’exemple de la gare de Lyon Part-Dieu dont la
création s’est inscrite dans un important programme urbain visant { créer un second centre-
ville. La gare est le centre d’un vaste centre commercial et d’un centre d’affaire.

Figure 4 - Vue aérienne du quartier de la Part-Dieu, Lyon Figure 5 - Hall de la Gare Saint-Lazare, Paris

Difficile de ne pas penser au récent réaménagement de la gare Saint-Lazare à Paris,


transformant le hall (ancienne salle des pas perdus) en espace commercial sur trois niveaux
(niveau quais, niveau rue et niveau métro).

Au Japon, la gare étant au centre de l’urbanité, l’importance de la gare dicte l’importance du


commerce et des autres équipements s’implantant autour. Au bout de chaque ligne se trouve
un grand magasin agissant comme marqueur du groupe ferroviaire.

15
Après avoir étudié les logiques d’implantation des équipements selon qu’ils sont d’intérêt
général ou d’intérêt privé, une autre logique d’implantation nous intéresse : celle de l’influence
de la géographie, voir de la topographie, dans le choix du site d’implantation.

Un premier angle d’étude du dialogue site/équipement et de l’influence de l’un sur l’autre est
tout d’abord celui de l’attractivité. Ainsi, pour prendre le cas japonais, une vue sur le Mont Fuji
ou la proximité des Onsen sont les situations les plus prisées. La proximité de la montagne ou
d’une zone de loisir est attractive aussi. Les grands groupes de constructions aménage ainsi
également des zones de loisirs pour rendre attractif les quartiers.

Mais au-del{ de cette question d’attractivité, il est intéressant de noter comment, { partir d’un
paysage existant, un équipement va s’implanter pour dialoguer avec lui. Dans cette approche, la
géographie du site l’élément déclencheur de l’implantation de l’équipement mais également une
contrainte ou un levier d’aménagement dans le cadre d’une opération plus large (implantation
d’une gare, revalorisation d’un site industriel…).

L’exemple de l’implantation de la gare TGV d’Avignon illustre cela. Le site de la nouvelle gare
TGV se situe en périphérie, dans une plaine avec ses centres commerciaux et ses industries. Il
s’agissait d’un territoire abimé s’inscrivant dans un paysage du Sud avec ses haies brise-vent, ses
vergers et ses allées de platanes. Afin de tenir compte de cette histoire et de ce langage paysager,
le projet assimile la gare { un grand domaine et l’ensemble de son site { un parc. L’espace
s’organise en jeu de terrasses, { partir du niveau le plus haut (les quais). Les parkings forment
des vergers, la gare est entourée de platanes, des tulipes marquent les entrées nord et sud et un
canal d’irrigation rafraîchit les espaces d’attente. C’est ainsi que le paysagiste Michel Desvigne
explique que c’est tout un langage territorial qui a été transposé autour de la gare et pas
seulement des tracés. A partir de cela, « il est possible de redéfinir un paysage, d’organiser un
grand territoire 12 ».

12Michel Desvigne, in Penser la ville par le paysage, sous la direction d’Ariella Masboungi. Editions de la
Villette, 2002, page 55.

16
Figure 6 - Gare d’Avignon TGV, vue de l’entrée nord et vue aérienne

Un autre exemple de dialogue site/équipement est celui de l’aménagement de la péninsule de


Greenwich { Londres. La particularité de ce projet était d’aménager un terrain de façon
provisoire, afin de le rendre un jour habitable (horizon 15-30 ans). En l’absence de programme
porteur, l’équipe de Michel Desvigne s’est référé { l’échelle géographique et { une cohérence
géologique et écologique afin de proposer un espace vert provisoire offrant le cadre du quartier
de demain. Situé dans un méandre de la tamise, l’idée fut de créer une « forêt alluviale » dans
laquelle le fleuve sculpte une clairière. L’espace vert, en tant qu’équipement, épouse et tire profit
de la géographie du site et devient socle de l’aménagement de demain.

Il ressort de ces développements que de nombreuses logiques déterminent l’emplacement d’un


équipement sur le territoire. Si le portage politique et la nature de l’équipement sont les deux
facteurs centraux dans le choix du site d’implantation, la géographie du site apparait, en amont,
être un facteur non négligeable dans le choix de l’implantation de tel ou tel équipement et dans
la façon de le concevoir et de la faire dialoguer avec son environnement.

17
III. QUELS IMPACTS LA GÉOGRAPHIE DES ÉQUIPEMENTS PRODUIT-
ELLE SUR LE TERRITOIRE?

LA GÉOGRAPHIE DES ÉQUIPEMENTS

Cette géographie de l’implantation des équipements crée une hétérogénéité du territoire, qui
s’oppose pourtant { l’affichage politique d’une volonté d’égalité des territoires, caractérisée par
le nom même du Ministère chargé de son application (Ministère du logement et de l’égalité des
territoires). Cette volonté très répandue en France, mais ne faisant pas l’unanimité dans d’autres
contextes culturels et politiques dans le monde, témoigne d’un désir d’isotropie, parfois
utopique, alors que le territoire est forcément hétérogène par son relief, son climat, son
caractère urbain ou rural, son contexte social.

Pourtant la question de l’accès { l’éducation, { la culture, au sport se pose de la même façon que
nous soyons en ville ou à la campagne. Reste à identifier si les équipements qui répondent à ce
besoin ont les mêmes caractéristiques, le même rayonnement. L’égalité est-elle possible en
termes de territoire ? Est-elle souhaitable ?

Le territoire français compte une forte présence urbaine et il continue de s’urbaniser. En


parallèle, les villes étendent leur influence sur les campagnes environnantes, de plus en plus de
ménages faisant le choix de vivre à la campagne tout en travaillant en ville. Sur une grande partie
du territoire, villes et campagnes échangent des ressources, et notamment en ce qui concerne les
équipements. Néanmoins, il reste des creux dans ce maillage. Ces territoires de « creux » ont des
situations économiques et sociales diverses, mais ils ont en commun leur enclavement et la
difficulté de permettre a leurs habitants l’accès { l’offre culturelle, au réseau scolaire ou de santé
ou aux activités sportives et de loisir.

Ces ruptures nous intéressent particulièrement car elles mettent en lumière une stigmatisation
de ces territoires de « creux ». Ces territoires ne sont pas forcement des zones rurales éloignées,
quoique ce soit également une réalité, mais ce sont surtout des territoires oubliés.

« La possibilité d’accéder aux mailles de l’armature urbaine constitue un enjeu social et


territorial fort. Il s’agit notamment pour chacun d’avoir accès à l’emploi, à l’éducation, à la
santé, aux commerces et services, ou encore à la vie culturelle et sociale urbaine. Parmi ces
mailles, les plus importantes sont certainement les pôles urbains qui concentrent les emplois et
un large bouquet d’aménités et de services. Les bourgs et petites villes jouent également un rôle
dans l’organisation des bassins de vie qu’elles animent, en offrant à la population résidant sur
place et alentour une palette de commerces et de services variés. L’éloignement de ces pôles,
surtout lorsqu’il est associé à une faible capacité de se déplacer, peut être à l’origine de
désavantages sociaux dans de nombreuses dimensions de l’existence. Ce sont ces ruptures
territoriales dans l’accès, dorénavant presque généralisé, aux avantages urbains qu’il nous faut
maintenant identifier ».
Rapport pour l’égalité des territoires
Ministère du logement et de l’égalité des territoires
février 2013

18
LA DIFFICILE NOTION DE L’ACCESSIBILITÉ

Ces inégalités d’accès aux équipements se définissent généralement { travers la notion


d’accessibilité. Celle-ci est relative et peut être difficile à définir.

Elle dépend d’une part de la nature du service que procure cet équipement. Ainsi on considèrera
généralement qu’un médecin généraliste est accessible en deç{ de 1km alors qu’un équipement
sportif de type gymnase le sera en deçà de 2,5km. Cette distance minimale augmente avec la
spécificité de l’équipement, par exemple une fosse de plongé sous marine située à 1h de route
sera considérée comme accessible.

L’accessibilité dépend aussi de critères variables liés aux populations potentiellement


utilisateurs de ces équipements ainsi que de leur localisation. Elle peut se mesurer en fonction
de l’effort nécessaire pour accéder { l’équipement. Celui-ci peut s’évaluer en termes de temps, de
coûts, de peine physique mais aussi de compréhension. Cette dimension cognitive est souvent
oubliée mais elle est fondamentale puisque l’accessibilité { un équipement est notamment
corrélée au niveau d’information et de compréhension que possède un individu pour y accéder.
Les différences en termes de compréhension sont visibles dans l’utilisation des transports en
communs comme le montre une enquête réalisée en 2007 par Keolis dans laquelle 60% des
personnes interrogées éprouvent des difficultés { l’utilisation d’un plan de transport en
commun.

Ainsi c’est en fonction de la pratique de la ville d’un habitant que l’équipement sera ou non
accessible. En comparant l’utilisation de la ville de Bruxelles par des jeunes du quartier
populaire d’Anderlecht et des jeunes du quartier aisé de Woluwe-Saint-Lambert, Olivier Bailly
montre bien que l’appropriation d’un même espace peut être très différente en fonction du
niveau social. Il montre que les jeunes du quartier aisé se déplacent beaucoup plus dans la ville
et ont un usage bien plus important des équipements. De plus, alors que les adolescents du
quartier aisé de Woluwe-Saint-Lambert citent 41 activités dont 22 culturelles, théâtre et
musique en tète de liste, les habitants d’Anderlecht n’en citent que 26 dont seulement deux
culturelles. La piscine, le foot ou les pauses au snack sont leurs activités les plus fréquentes. Cet
exemple montre que l’accès aux équipements territoriaux ne se résume pas à la question de la
distance, mais qu’elle est fortement liée aux modes de vies des populations dans leur quartier.
Paradoxalement on observe que les populations situées en périphérie, socialement moins aisées
et plus captives des équipements de proximité, sont celles les moins dotées en équipements
territoriaux. C’est notamment le cas de l’offre culturelle en Île-de-France, très fortement
centralisée dans Paris.

La question de l’accessibilité doit aussi être posée en prenant en compte la question de l’usage. Si
l’équipement n’est pas bien adapté { la population visée, il ne sera pas utilisé. Ce peut être le cas
d’un équipement sportif dont les cotisations annuelles se révèlent trop élevés ou dont les
horaires d’ouverture se révèlent mal adaptés aux horaires de disponibilités des populations
visées. Si la création d’équipement structurant a généralement un impact fort, et positif, pour les
quartiers situés à proximité, encore faut-il que les caractéristiques de ces quartiers soient prises
en compte dans le projet. Ainsi alors que la patinoire de Mantes est située en plein milieu du
quartier populaire du Val Fourré, le club ne compte qu’un licencié de ce quartier ! Concernant les
équipements culturels et sportifs, la notion d’accessibilité est associée { des degrés de
proximités qui peuvent évoluer au cours du temps. Ces évolutions sont visibles dans le cas des

19
écoles de musiques et de danse qui ont connu une progression impressionnante entre les années
1973 et 1995. On observe ici un changement d’échelle de référence de cet équipement qui passe
de l’équipement départemental dans les années 70 { un équipement presque communal dans les
régions denses dans les années 90.

Cette évolution peut être interprétée comme la conséquence de la décentralisation et l’effet de la


concurrence entre les villes. Au cours de ces années, l’école de musique est ainsi apparue comme
un équipement indispensable { l’image de marque d’une ville. Comme c’est le cas pour plupart
des crèches, ces équipements favorisent généralement les habitants des communes sur lesquels
ils sont situés, ou leur appliquent des tarifs préférentiels. La frontière administrative engendre
alors un obstacle en termes d’accessibilité.

Figure 7 - Françoise Lucchini, « Les équipements culturels au service de la population des villes »

L’ASCENSEUR SOCIAL ET L’ACCÈS AUX ÉQUIPEMENTS

En analysant l’histoire de l’action sociale en France, nous nous sommes aperçus que la question
du logement social a presque toujours été associée { celle de l’accès aux équipements publics par
la plupart des théoriciens, et au sein des différentes doctrines s’étant succédées. Du phalanstère
de Fourier à la cité radieuse, en passant par le familistère de Godin et les cités jardin, les usages à
priori distincts (habitat, éducation, culture et vie sociale) ont toujours été associés, leurs
présences étant comme une garantie de bien-être social des couches défavorisées.

Dès la fin du XVIIIème, lors des premiers essais au sujet de l’habitat ouvrier, l’accès { l’éducation et
la culture sont vus comme remède au « gâchis social » et ces notions seront d’avantage
répandues au cours du XIXème siècle avec la montée des socialistes-utopistes qui sont, selon
Françoise Choay, { l’origine d’un courant « pré urbanisme progressiste ».

Dans une époque où les villes sont vues comme sales et malsaines, Fourier imagine son habitat
social idéal, le « phalanstère », à la campagne. Lieu de vie et de travail, celui-ci comprend en son
cœur des équipements collectifs : bibliothèque, salle de repos, opéra, église, tribunal, écoles se
retrouvent entre logements et ateliers. Seule véritable réalisation d’habitat utopiste social, le
familistère de Godin sera construit gardant des nombreux aspects de l’utopie sociale fouriériste,

20
c’est ainsi que, { côté des logements ouvriers se trouvent une école élémentaire mixte, un
théâtre de 900 places, une piscine-bains, une bibliothèque, entre autres équipements collectifs.
Godin est donc témoin d’une époque où l’initiative privée était { l’origine des actions pour le
bien-être de ses ouvriers.

Ces notions ont bien sur évolué, et l’État de simple médiateur est devenu l’acteur principal de la
construction de logements sociaux en France. Malheureusement, au fil du temps, cette
problématique s’est de plus en plus dégradée et l’accès au logement est devenu une urgence, ce
qui a définitivement séparé la question du logement social de celle de l’accès { l’éducation, la
culture, le loisir.

Au cours des années 1960, face à la pénurie de logements qui se prolonge, l’État décide
d’intervenir massivement : c’est l’époque des ZUP. Celles-ci sont conçues pour accueillir
simultanément logements et équipements. Les financements pour ce vaste programme et les
crédits nécessaires pour les équipements collectifs sont inscrits dans le texte de loi du 7 août
1957. Désormais les équipements deviennent une invariable dans l’aménagement urbain.
Pourtant une tout autre démarche sera mise en place. Les grands ensembles sont conçus sans
préoccupation, ni équipements ni intégration dans les agglomérations urbaines. D’ailleurs, rien
n’est prévu pour financer ces éventuels équipements: les prêts aux HLM, les primes d’État ou les
prêts du Crédit foncier ne peuvent financer que du logement.

Jusqu’aux années 1970 il existait une mobilité sociale entre les composantes du tissu urbain : les
cités d’habitat social, les lotissements pavillonnaires et les zones résidentielles des classes
aisées. Chaque niveau apparaissait accessible { ceux de l’étage inférieur par la grâce de
l’ascenseur social. A présent la tension est devenue extrême entre les zones urbaines dites
sensibles et la population qui vit a ses environs, tandis que les classes les plus aisées fuient cette
zone de combats pour investir de discrets quartiers, anciens et nouveaux, à proximité
stratégique des lieux d’excellence : lycées de prestige, espaces de culture et sites d’une nature
préservée, les classes moins favorisées restent dans des territoires éloignés, mal desservis par
les transports en commun et peu riches d’équipements publics.

Le cas de l’Île-de-France est révélateur de cette fracture. Avec l’urgence de la cause de l’accès au
logement, qui été intensifiée dans l’après-guerre, les Zones d’Urbanisation Prioritaire se sont
crées et développés sans intégrer dans l’immédiat les équipements publics. L’éloignement des
villes était compensé par la qualité des logements. La présence des équipements restait alors
une promesse, qui a pourtant tardé à se réaliser. Ces villes et quartiers qui, au début comptaient
avec une mixité sociale importante ont pourtant vu les habitants les plus aisés partir dans les
années qui ont suivi faute de services et d’équipements. La paupérisation de ces territoires,
inévitable conséquence d’une politique d’aménagement d’urgence, a contribué { les stigmatiser.

21
Les SESC : quand le privé se substitue à l’état brésilien dans l’accès à
l’éducation et à la culture

Figure 8 - SESC Pompéia ; architecte : Lina Bo Bardi

Les SESC , Services Sociaux du Commerce, sont un réseau d’équipements « pour le bien-
être » disponibles de façon prioritaire pour les employés du commerce et leurs familles mais
également ouverts à la population en général. Ils peuvent proposer des actions dans les
secteurs de l’éducation, la culture, le loisir ou la santé.

En 1946, afin d’assurer la paix sociale, des entrepreneurs proposaient au gouvernement


fédérale une « charte de la paix sociale ». Elle sera { l’origine de la création d’organismes
chargés de la formation dans le secteur du commerce (SENAC) et de l’industrie (SENAI). Le
volet social est assuré par la création du Service Social du Commerce (SESC) et son
équivalent pour l’industrie (SESI). Après le développement social qui passe par la formation
et la santé, se pose alors la question de l’aménagement du temps libre, de l’accès { la culture
et au loisir. Ce temps libre étant un acquis social des années 40 au Brésil (loi CLT).

Entreprise privée sans but lucratif, rien qu’{ São Paulo le système SESC compte avec un
réseau de 33 unités qui reçoivent chaque semaine 400.000 usagers. Ce succès repose
pourtant sur l’absence réelle d’équipements publics dans les villes brésiliennes. Si les
brésiliens peuvent compter avec un système scolaire et de santé gratuits, recouvrant une
grande partie du territoire, cette offre reste pourtant de très faible qualité, comparée { l’offre
privée. S’agissant d’équipements culturels, les grandes villes comptent un très faible nombre
de musées et bibliothèques publiques. Pour ce qui est des équipements sportifs et de loisirs
c’est uniquement le privé qui garantit l’offre.

22
TERRITOIRES SERVIS ET SERVANTS : LE CAS DE PARIS ET SA PROCHE BANLIEUE

La stigmatisation des territoires peut néanmoins passer par d’autres chemins, moins évidents
que le marquage social des populations qu’y habitent, l’implantation des équipements selon leur
fonction est un révélateur d’un de ces processus que consiste { désigner des territoires servis et
des territoires servants.

Des inégalités peuvent être liés aux services associés à ces équipements, la qualité et la
renommés de ceux-ci peuvent distinguer de manière radicale deux équipements et faire passer
un équipement standard { un statut d’équipement spécifique. C’est le cas notamment des
groupes scolaires possédant une spécialité (option cinéma, musique, enseignement d’une langue
spécifique,…) ou bénéficiant d’une bonne réputation. L’existence de ces distinctions entre des
équipements conçus initialement comme similaire se répercute sur l’image des quartiers et des
communes impliquant ainsi une hiérarchisation des territoires.

Si nous regardons de plus près le cas de Paris, le développement de la capitale et les couts
fonciers élevés dans ses quartiers centraux ont favorisé une redistribution des équipements dits
« répulsifs ». Pendant que des bâtiments prestigieux se multipliaient au cœur de Paris (Centre
Georges Pompidou, Le Forum et le jardin des Halles), d’autres équipements moins attractifs
n’ont pas trouvé leur place dans Paris intra muros. Ils ont été implantés, pour les uns en proche
couronne, et pour les autres un peu plus loin. C’est dans ce contexte que des villes comme Ivry-
sur-Seine, à proximité immédiate de Paris, se sont vu attribuer des équipements « répulsifs » :
un centres de traitement d’eau « Eau de Paris », un grand hôpital, un cimetière « Ancien
Cimetière Parisien » et des entrepôts pour les grands magasins parisiens. Ivry a donc longtemps
été une ville ouvrière, d’activité industrielle et à fort taux de chômage. En un sens, elle est
devenue un territoire servant Paris.

Avec la forte pression immobilière subie par l’ensemble des villes de la proche couronne, ces
situations tendent aujourd’hui { évoluer et les populations défavorisées historiquement
présentes dans ces villes sont poussées { s’éloigner de la capitale, laissant place { des foyers plus
aisés. Ce renversement de situation s’accompagne de projets de renouvellement urbain
d’envergure qui intensifient le changement d’image voulu par les communes.

23
Ivry Confluence : une nouvelle image pour une ancienne ville industrielle aux
portes de Paris

Figure 9 - Projets d'Ivry Confluence

Par sa localisation stratégique au confluent de la Marne et de la Seine, et de surplus aux


portes de Paris, ainsi que très bien desservie par les réseaux ferrés allant vers la capitale, la
ville d’Ivry a développé tout au long du XIXème siècle une forte activité industrielle. La ville
accueille alors une population ouvrière active qui se développe rapidement.

Dans les années 1970, le mouvement de désindustrialisation marquant la vallée de la Seine


n’a pas manqué de toucher Ivry. Le territoire abandonné par les industries se retrouve en
friche.

La population ouvrière peine { s’insérer dans un marché du travail parisien qui n’est plus
demandeur de cette main d’œuvre.

Suivant la tendance générale et souffrant d’une forte pression immobilière la ville d’Ivry-sur-
Seine lance un projet de renouveau urbain qui combine « ouverture vers le fleuve », sa façade
étant anciennement utilisée en grande partie par le port industriel et reconversion de
l’activité vers le tertiaire, avec 50% de ses 1 300 000m2 à construire pour les bureaux.

Le projet prévoit notamment une maille d’équipements nouveaux : transports en commun,


équipements scolaires et un système de parcs qui a pour ambition de mieux relier la ville au
fleuve.

Ce choix programmatique a pour objectif de renouveler non seulement le quartier des


Confluences mais aussi l’image de la ville, plus dynamique et moderne, par ses nouvelles
activités économiques, plus proches de celles que l’on trouve dans la capitale mais aussi par
son nouveau réseau d’équipements et de parcs. Un programme que ne réponds peut-être pas
à la demande de la population locale mais à la pression immobilière croissante venue des24
portes de Paris.
D’UNE DISTRIBUTION ÉTATISÉE ET ÉGALITAIRE DE L’ÉQUIPEMENT À UNE MISE EN
CONCURRENCE DES TERRITOIRES

La finalité des équipements collectifs change au cours des années 1980. Ils ne sont plus là pour
créer et organiser la vie sociale mais pour résoudre des problèmes de nature sociétale. Ainsi les
problèmes sociaux se résolvent par des équipements sociaux et socioéducatifs, les
problématiques de cohésion sociales par des équipements culturels, socioculturels ou sportifs.
On passe donc d’un modèle d’implantation unique et égalitaire des équipements { un modèle
d’implantation bien plus spécifique.

La décentralisation, en attribuant { la ville la compétence d’urbanisme, accentue cette vision


spécifique des équipements. Comme nous avons vu avec l’exemple d’Ivry chaque commune
élabore son projet de développement urbain où les équipements jouent un rôle central.
Beaucoup d’équipements sont créés dans une logique de réponse { des besoins exclusivement
communaux. C’est ainsi que l’on observe une modification des usages, l’apparition de nombreux
équipements multifonctionnels et une rupture avec la logique de simplicité. Ce constat diminue
l’interaction entre les communes, bien que la création de plus en plus nombreuse
d’intercommunalités devrait enrayer ce phénomène.

Si avant la décentralisation l’État construisait des équipements « dans » la ville, la commune est
amenée à élaborer les équipements « de » la ville, chaque équipement étant le représentant d’un
projet de ville et lui apportant une identité. Les équipements sont ainsi imaginés tels des vitrines
comme en témoigne la recherche de grand architecte ou d’importantes innovations
architecturales et environnementales. Ils deviennent des leviers permettant de développer leur
attractivité et valoriser des quartiers ayant une mauvaise image. La commune de Andrézieux-
Bouthéon près de Saint-Etienne a pour stratégie de se développer par l’émergence d’un
important pole sportif correspondant au besoin d’une ville de 50 000 habitants alors qu’elle en
compte moins de 10 000. Elle compte ainsi se distinguer par rapport aux communes
environnantes notamment celle de Saint-Etienne, dont sont originaires la majorité des licenciés
des clubs sportifs. En dehors de l’aspect économique, ces équipements donnent une nouvelle
image à la ville et attire de jeunes ménages.

25
Le centre Pompidou Metz, bâtir une nouvelle image par un équipement
culturel

Figure 10 - Centre Metz Pompidou

Le centre Pompidou-Metz, ouvert le 12 mai 2010, constitue l’élément phare de l’opération


d’aménagement du quartier de l’Amphithéâtre { Metz. Pour l’élaboration de ce bâtiment, que
l’on peut qualifier de flagship culturel, la communauté d’agglomération de Metz Métropole,
maitre d’ouvrage du projet, a fait appel { au célèbre architecte japonais Shigeru Ban. Le
projet représente un cout de près de 65 millions d’euros. Il est financé au deux tiers par la
communauté d’agglomération de Metz Métropole le reste des financements venant du
département de la Moselle, de la région de la Lorraine de l’état et de la communauté
européenne.

Le projet se révèle être une réussite puisque depuis son ouverture le centre Pompidou-Metz
est chaque année le musée le plus visité en dehors de Paris avec près de 1,3 millions de
visiteurs sur deux ans. Les visiteurs sont majoritairement originaires de lorraine et d’Île-de-
France et la ville bénéficie de sa proximité avec la Belgique, le Luxembourg et l’Allemagne
puisque les visiteurs étrangers représentent la proportion de 10,6%. L’importante
fréquentation du musée { un impact directe sur l’économie de la ville de Metz puisque sur
l’ensemble des visiteurs du Centre Pompidou-Metz la moitié se rend au centre ville et les
commerçants locaux annoncent depuis son ouverture une augmentation de leur chiffre
d’affaire allant de 30% { 40%.

Le centre Pompidou-Metz constitue la tête de proue de la stratégie urbaine de


l’agglomération qui compte profiter de cet effet d’annonce pour implanter dans la zone de
l’amphithéâtre de nombreuses entreprises ainsi qu’un centre des congrès.

Cette stratégie de valorisation urbaine dont Bilbao a été le précurseur fait des adeptes en
France comme en témoigne l’ouverture récente du Louvre-Lens. Mais toutes les villes ne
peuvent se permettre des stratégies si ambitieuses et comme le mentionne David Throsby,
spécialiste de la question de l’économie de la culture, de tel investissement peuvent entrainer
des effets de substitutions, si des personnes utilises cet équipement il est possible qu’ils
cessent de fréquenter d’autres établissements. L’enrichissement d’une ville peut donc aller
de pair avec l’appauvrissement d’une autre. 26
CONCLUSION

En conclusion de cette étude, il nous semble intéressant de retenir plusieurs points saillants
concernant la question de l’échelle des équipements territoriaux.

Tout d’abord, nous avons pu voir que la notion d’équipement, et les doctrines lui étant
rattachées, ont beaucoup évolué en France et dans le monde au cours de l’histoire.

De plus, on a pu constater à quel point les interactions entre un équipement et son


environnement sont fortes : d’une part dans la mesure où la géographie humaine et naturelle
d’un territoire influencera fortement le mode d’implantation des équipements, mais aussi parce
que chaque équipement influencera en retour le territoire qu’il habite, en en modifiant la
géographie, comme dans une sorte de jeu de go perpétuel.

Si le territoire et ses spécificités conditionnent fortement le mode d’implantation des


équipements, il faut aussi retenir que chaque type d’équipements possède sa propre logique
d’implantation, dépendant notamment du type d’acteur le mettant en place, ainsi que de la
fonction qu’il entend remplir. Ainsi, comme nous avons pu le voir dans l’exemple d’Ikea ou des
konbini, l’implantation territoriale des équipements commerciaux, organisée par des acteurs
privés, est fortement structurée par une logique de marché, et de bassin de chalandise. A
l’inverse, la répartition des équipements publics sur le territoire, dépendant d’acteurs publics,
pourra tantôt répondre à une logique de « manque » ou de « besoin » (comme par exemple pour
l’équipement scolaire ou sanitaire d’un territoire), et tantôt { une logique de compétitivité et
d’attractivité des territoires (comme par exemple dans le cas de la création d’un équipement
sportif ou culturel de rayonnement régional voire national). Cette répartition des équipements
publics pourra en outre être structurée par des impératifs ou des positionnements politiques. De
même, au sein même de la catégorie des « équipements publics », la structuration territoriale
des hôpitaux répondra à une logique différente de celles des établissements scolaires, ou des
équipements sportifs (qui sont d’ailleurs gérées par différentes personnes publiques, {
différentes échelles territoriales).

Enfin, dans la dernière partie de cette étude, nous avons pu observer comment la répartition des
équipements sur un territoire donné constitue à elle-seule une géographie de type anthropique,
qui vient se superposer à la géographie « naturelle » d’un territoire. Cette répartition vise parfois
{ réduire l’hétérogénéité produite par la géographie naturelle (comme par exemple en France,
avec la doctrine « d’égalité des territoires »), mais peut aussi conduire dans certaines
circonstances { renforcer l’hétérogénéité des territoires, voire { créer des situations d’inégalité
inédites. Par exemple, deux communes du bassin Parisien, situées à seulement quelques
kilomètres de distance, et peu distinctes sur le plan de la géographie « naturelle », pourront
présenter de fortes inégalités au regard de l’accès aux équipements. En outre, la question de
l’accessibilité des équipements ne se réduit pas { une simple question d’accessibilité physique
(selon des critères de distance, ou d’aires isochrones), mais est aussi liée aux pratiques d’une
population donnée, à sa culture et à ses représentations (toutes les populations n’ayant pas
forcément la même familiarité avec un équipement donné). Par ailleurs, la présence d’un
équipement aura toujours des « effets collatéraux », qu’ils soient jugés positivement (services
urbains, retombées économiques, emplois…) ou parfois subis (zone de bruit du trafic aérien

27
pour un aéroport, trafic routier pour un port industriel ou un stade, etc…). Dans certains cas, ces
effets collatéraux peuvent générer de lourdes conséquences locales, au nom d’un intérêt lié { la
grande échelle (suscitant parfois des réactions de rejet de type NIMBY, voire des conflits
politiques entre représentants locaux et régionaux). Enfin, il est important de noter que chaque
équipement engendre des représentations spécifiques du territoire. Qu’ils soient de nature
valorisante ou au contraire dégradante pour l’image d’un territoire, ils contribuent dans tous les
cas fortement { la constitution des identités territoriales dans l’imaginaire collectif. L’absence ou
la présence d’équipements socialement marqués influera ainsi les représentations, engendrant
parfois des hiérarchies mentales entre les territoires, voire des catégorisations (espaces
servis/servants, centres/périphéries, lieux de pouvoir/lieux de relégation, etc…).

On voit ainsi comment la question du rapport des équipements au territoire s’avère centrale
dans l’aménagement contemporain, tant sur le plan de leur mode d’implantation que sur celui de
la géographie qu’ils génèrent et transforment. Structurés par des logiques autonomes, et
suscitant des problématiques complexes de différenciation des territoires, les choix qui s’y
rattachent sont souvent lourds de conséquences, et en font d’importants leviers des politiques
d’aménagement.

28
BIBLIOGRAPHIE

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jeunes de Bruxelles enfermés dans leurs quartiers », in Le Monde diplomatique, Août 2008.

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_ RESSOURCES NUMÉRIQUES :

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : http://www.cnrtl.fr

Les cahiers de la ville responsable : www.cahiersvilleresponsable.fr

Site du « Serviço Social do Comércio » : www.sesc.com.br

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