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international

Les pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme


Jacques Mourgeon

Citer ce document / Cite this document :

Mourgeon Jacques. Les pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme. In: Annuaire français de droit international,
volume 13, 1967. pp. 326-363;

doi : https://doi.org/10.3406/afdi.1967.1935

https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1967_num_13_1_1935

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LES PACTES INTERNATIONAUX
RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME
Jacques MOURGEON (*)

Sommaire

INTRODUCTION
I. Une œuvre indispensable
II. Une œuvre universaliste
III. Une œuvre de synthèse
PREMIERE PARTIE : LA RECONNAISSANCE INTERNATIONALE DES DROITS
I. Le contenu de la reconnaissance
II. La portée de la reconnaissance
DEUXIEME PARTIE : LA PROTECTION INTERNATIONALE DES DROITS
I. Les difficultés de la protection
II. Les modalités de la protection
CONCLUSION

INTRODUCTION

1. — Le 16 décembre 1966, achevant de bâtir un édifice dont la première


pierre avait été posée vingt années auparavant, l'Assemblée générale de
l'O.N.U. adopta trois textes constituant une étape importante de l'action
internationale entreprise en faveur des droits de l'homme (1) : par 105 voix
sans opposition, un Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux
et culturels; par 106 voix sans opposition, un Pacte international relatif aux
droits civils et politiques; par 66 voix contre 2 avec 38 abstentions, un
Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits
civils et politiques (2) .

(*) Jacques Mourgeon, Maître de conférences agrégé à la Faculté de Droit et des


Sciences économiques de Toulouse, professeur à l'Université d'Abidjan, ancien directeur
d'études à l'Académie de droit international de La Haye.
n° 2,(1)p.Ces44 ettextes
suiv. sont
; et dans
reproduits
la Revue
dansdela laChronique
Commission
mensuelle
internationale
de l'O.N.U.,
de juristes,
vol. IVvol.(1967),
VIII
(1967), n° 1.
(2) Pour faciliter la rédaction, nous désignerons ces textes respectivement par les
abréviations suivantes : P.i.d.é.s., P.i.d.c, Prot.
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 327

Aussi le Secrétaire général U Thant pouvait-il traduire les sentiments


de l'Assemblée et les siens propres en exprimant sa « vive satisfaction »
de voir TO.N.U. parvenue à un « point culminant > (3) , alors que les
observateurs et commentateurs, souvent sceptiques, pessimistes ou sarcastiques,
avaient douté de la capacité de l'Organisation de mener à terme une œuvre
que d'aucuns croyaient aussi démesurée que celle d'un Titan, et que d'autres
estimaient aussi interminable que celle d'une Pénélope (4) . Même aujourd'hui,
on ne manquera sans doute pas de prétendre que, somme toute, la montagne
accoucha d'une souris.
2. — Cependant, et bien qu'il ne soit pas raisonnablement possible de
formuler des prévisions sérieuses quant à leur portée pratique, ces textes
présentent un grand intérêt. Ils ont le mérite d'exister, et de prouver ainsi
que l'O.N.U. fut capable d'accomplir une œuvre qui était certainement
indispensable, et qui a pour mérites et caractéristiques essentiels d'avoir
été conçue comme une œuvre universaliste et de synthèse.

I. — Une œuvre indispensable

3. — II est presque superflu de rappeler à quel point sont anciens les


efforts entrepris en faveur d'une action internationale pour les droits de
l'homme (5) , et de souligner que la fin de la seconde guerre mondiale avait
conféré à cette dernière une urgence toute particulière. L'œuvre à
entreprendre dans ce domaine n'avait pas pour seule finalité la protection de l'homme,
mais aussi celle de la paix, tant il est vrai qu' « un droit véritable entre Etats
est inséparable du respect de la personne humaine au sein de l'Etat » (6) et
que, plus généralement, « instaurer de meilleures conditions de vie dans
une liberté plus grande » (7) constitue l'une des voies les plus sûres vers
la préservation de la paix dans le monde (8) .
C'est pourquoi l'action internationale en faveur des droits de l'homme
est mentionnée par la Charte de l'O.N.U. parmi les buts fixés à celle-ci, de

(3) Chronique précitée, p. 43 et 44.


(4) Par ex., M. Slusny, Quelques observations sur les systèmes de protection internationale
des droits de l'homme, Mélanges Rolin, 1964, p. 387.
(5) On peut citer, par exemple, la résolution adoptée par l'Institut de droit international
à New York le 12 octobre 1929; cf. A. Mandelstam, La déclaration des droits internationaux
de l'homme, Rev. de droit international, 1930, p. 59 et suiv.; du même, La protection
internationale des droits de l'homme, R.C.A.D.I., 1931 (IV), p. 125 et suiv.
(6) Institut de droit international, projet de déclaration des droits de l'homme (art. 4),
Annuaire de l'Institut, 1947, p. 1 et suiv.
(7) Préambule de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
(8) Sur les rapports entre la protection internationale des droits de l'homme et la
préservation de la paix, cf. R. Brunei, La garantie internationale des droits de l'homme d'après la
Charte de San Francisco, 1947 ; E. Hamburger, Droite de l'homme et relations internationales,
R.C.A.D.I. 1959 (II). surtout p. 298 et suiv.
328 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

sorte qu'il est fait obligation à l'Organisation elle-même comme à chacun de


ses membres d'agir en ce sens (9). A cette fin, les Nations Unies ont mis
sur pied un système complexe qu'il n'est pas inutile de décrire rapidement,
afin de mieux mettre en lumière la place importante que les Pactes y
occupent. Il se compose de moyens d'action variés, les résultats de l'action
se situant à plusieurs niveaux.
4. — Deux catégories principales de moyens d'action sont utilisées : les
organes et les textes.
Les organes de l'O.N.U. compétents pour agir dans le domaine des droits
de l'homme sont nombreux et diffèrent sensiblement les uns des autres. D'une
part, certains organes (les organes principaux) ne sont pas spécialisés dans
l'action internationale en faveur des droits de l'homme, tandis que d'autres
le sont (10). D'autre part, si les premiers ont compétence pour exprimer la
volonté de l'Organisation dans ce domaine, les seconds, directement ou
indirectement subordonnés aux premiers (11) , ne sont habilités qu'à procéder
à des investigations (enquêtes, études) et à des rapports, ou à formuler des
recommandations, les documents qui en résultent étant destinés à être,
transmis aux organes principaux (12).
5. — Les textes émanant de ceux-ci et relatifs aux droits de l'homme
constituent l'aboutissement normal de l'activité ainsi mise en œuvre. Mais
ils sont variés, et diffèrent nettement quant à leur nature et à leur portée
juridiques.
— Les « résolutions » sont généralement prises à propos d'une atteinte
déterminée aux droits de l'homme (13) . Dépourvues de force obligatoire
à l'égard des Etats membres de l'O.N.U., leur portée, tant juridique que

(9) Charte, préambule, al. 2; art. 1er : « Les buts des Nations Unies sont les suivants :
...réaliser la coopération internationale ...en encourageant le respect des droits de l'homme et
des libertés fondamentales » ; art. 55 : « ...les Nations Unies favoriseront ...le respect universel
et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».
(10) Les organes subordonnés sont nombreux. Il faut mentionner, principalement : la
Commission des droits de l'homme à laquelle sont liés la Sous-Commission de la lutte contre
les mesures discriminatoires et pour la protection des minorités, le Comité des rapports
permanents sur les droits de l'homme, le Comité pour l'année internationale des droits de
l'homme (1968), le Comité préparatoire de la Conférence internationale des droits de l'homme
(prévue pour 1968 à Téhéran) ; la Commission de la condition de la femme ; le Comité spécial
de l'apartheid ; le Comité spécial des vingt-quatre, ou Comité de la décolonisation.
Sur l'importance des garanties des droits autres que juridiques (rapports, études
programmes...), cf. J.P. Humphrey, The United Nations and human rights, Howard Law Journal,
vol. 11-2, 1965, p. 373 et suiv.
(11) Ainsi le Comité des rapports permanents sur les droits de l'homme est indirectement
subordonné, à travers la Commission des droits de l'homme, aux organes principaux et plus
particulièrement au Conseil économique et social.
(12) Le principe de la subordination des organes spécialisés est parfois, en pratique,
sérieusement mis en échec. C'est ainsi que le Comité des vingt-quatre a pris en fait une
grande importance et qu'il se comporte en réalité comme un organe indépendant.
(13) Ainsi des nombreuses résolutions de l'Assemblée générale condamnant la politique
d'apartheid en Union sud-africaine, ou encore ses prises de position lors de la révolution
hongroise de 1956 (cf. E. Schwelb, The United Nations and human rights, Howard Law Journal,
précité, p. 356 et suiv.).
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 329

pratique, est nécessairement limitée. On peut donc les considérer comme


des textes à objet spécial dotés d'une portée purement morale (14).
— Les « déclarations » relatives aux droits de l'homme dans leur
ensemble ou à telle catégorie particulière de droits ont un objet plus général,
mais sont dépourvues de toute portée juridique, quel qu'ait pu ou que
puisse être leur retentissement (15) . C'est ainsi que l'adoption de la
Déclaration universelle par l'Assemblée générale a constitué un fait sans
précédent, d'une portée psychologique et morale considérable, même si ce
texte n'est dépourvu ni d'ambiguïtés, ni d'insuffisances, voire de
contradictions (16) . Mais il lui manque une qualité essentielle : la force obligatoire.
En lui-même dépourvu de toute valeur juridique, il ne peut être considéré
comme énonçant des règles de droit international directement applicables
aux Etats, à moins que ceux-ci décident expressément de l'incorporer à leur
droit interne (17) . Stimulant, incitation à un effort de sauvegarde des droits,
la Déclaration universelle devait être suivie d'un système international
de protection des droits qui soit coercitif, faute de quoi elle était menacée
d'apparaître comme un splendide aveu d'impuissance de l'O.N.U. dans ce
domaine.
— Les « conventions » répondent à cette nécessité, même quand elles sont
désignées sous un autre terme (18) . Elles présentent des caractéristiques
communes : d'une part, elles sont élaborées par l'O.N.U. ou par l'une de ses
institutions spécialisées (19) ; d'autre part, destinées à être ratifiées par les Etats

(14) II n'entre pas dans notre propos de reprendre ici la vaste controverse relative à la
portée juridique, à l'égard des Etats membres, des résolutions émanant de l'O.N.U. Il suffit ici
de rappeler que la pratique des Etats et une importante partie de la doctrine s'orientent vers
la négation de leur force obligatoire.
(15) Outre la Déclaration universelle des droits de l'homme (10 déc. 1948) , il faut
mentionner : la déclaration sur les droits de l'enfant (7 nov. 1959), la déclaration sur l'octroi de
l'indépendance aux pays et peuples coloniaux (nov. 1960) , la déclaration sur l'élimination de
toutes les formes de discrimination raciale (déc. 1963). Un projet de déclaration sur
l'élimination de la discrimination à rencontre de la femme est actuellement en cours d'élaboration,
(cf. Chron. mensuelle de VO.N.U., 1967, n° 10, p. 42).
(16) Sur la Déclaration universelle, suffisamment connue et commentée pour que nous
puissions nous dispenser d'y insister, cf. B. Mirkine-Guezevitch, L'O.N.U. et la doctrine
moderne des droits de l'homme, R.G.D.I.P., 1954, p. 505 et suiv.; N. Robinson, The universal
declaration of human rights, 1958 ; R. Cassin, La Déclaration universelle et la mise en œuvre
des droits de l'homme, R.C.A.D.I., 1951 (II), p. 271 et suiv.
(17) Le plus souvent, la Déclaration universelle n'a pas été incorporée au droit interne,
mais seulement mentionnée en référence dans des préambules de constitutions, dont la portée
juridique est des plus incertaines ; ainsi dans le préambule de la constitution de la République
démocratique du Congo (Kinshasa) du 24 juin 1967 : « Nous, peuple congolais, proclamons
notre adhésion à la Déclaration universelle des Droits de l'Homme ». On sait qu'il fut jugé
en France que la Déclaration, bien que publiée au Journal Officiel, n'est pas assimilable à un
traité ayant force de loi en droit interne (Conseil d'Etat, 18-4-1951, Elections de Nolay, Recueil
Lebon, p. 189; Conseil d'Etat, 11-5-1960, Car, Journ. du droit internat., 1961, p. 404).
(18) L'appellation « pacte » n'affecte en rien la nature juridique du texte ainsi désigné.
(19) Les principales conventions émanant de l'O.N.U. sont : la conv. sur la prévention et
la répression du crime de génocide, 9-12-1948 (Annuaire des droits de l'homme, 1948, p. 555) ;
la conv. relative à la répression de la traite des femmes et des enfants, 2-12-1949 (eod. loc,
1949, p. 443) ; la conv. relative au statut des réfugiés, 27-5-1951 (eod. loc, 1951, p. 680) ; la
conv. sur les droits politiques de la femme, 20-12-1952 (eod. loc, 1952, p. 422) ; la conv.
relative au statut des apatrides, 23-9-1954 (eod. loc, 1954, p. 383) ; la conv. supplémentaire
relative à l'abolition de l'esclavage, 4-9-1956 (eod. loc, 1956, p. 301) ; la conv. sur l'élimination
330 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

ou à bénéficier de leur adhésion, elles sont appelées à avoir la force juridique


obligatoire qui s'attache à tout traité multilatéral. Pour cette raison, elles
sont évidemment et de beaucoup plus « parfaites » que ne peuvent l'être
les résolutions et les déclarations. Cependant, elles ne présentent pas toutes
le même degré de perfection, manifestant ainsi que l'action de l'O.N.U.
dans le domaine des droits de l'homme se situe à divers niveaux.
6. — De façon générale, on peut distinguer trois niveaux de l'action
entreprise en faveur des droits de l'homme : celui de la prise de conscience,
ou encore de la connaissance de la nécessité d'œuvrer pour les droits; celui
de la reconnaissance, ou de la proclamation des droits; et celui de la
protection ou de la garantie des droits.
Les investigations effectuées par l'O.N.U. permettent d'atteindre au
premier niveau, de même que des manifestations plus ou moins spectaculaires,
telles que les Journées des droits de l'homme, ou l'Année internationale des
droits de l'homme.
Il en est de même de ses résolutions qui, en outre, permettent d'atteindre
au deuxième niveau, au moins implicitement : condamner par voie de
résolution la politique de l'apartheid, c'est évidemment reconnaître le droit à
l'intégration raciale.
Par définition, les déclarations permettent d'atteindre au deuxième niveau,
mais dans une certaine mesure seulement, puisque la reconnaissance des
droits qu'elles expriment ne s'impose pas et ne peut pas s'imposer aux Etats*
Seules les conventions réalisent la pleine accession au deuxième niveau
et, parfois, au troisième. Plusieurs cas sont à distinguer. D'une part certaines
conventions se limitent à une reconnaissance internationale des droits, sans
aller jusqu'à instaurer un mécanisme international de protection (20). D'autre
part, elles peuvent n'intéresser qu'un droit ou une catégorie de droits, ou
bien au contraire s'étendre au plus grand nombre possible de droits. Dès
lors, il est manifeste que les conventions les plus perfectionnées et, somme
toute, les plus progressistes, sont celles qui à la fois réalisent une
reconnaissance d'un grand nombre de droits, et accompagnent celle-ci d'un ou
de plusieurs mécanismes de protection internationale des droits reconnus.

n° 1,toutes
de p. 117).
les formes
Une convention
de discrimination
sur l'élimination
raciale, de
21-12-1965
toutes les(Chron.
formesmensuelle
d'intolérance
de l'O.N.U.,
religieuse1966,
est
actuellement en cours d'élaboration (cf. Chron. mensuelle de l'OJi.U., 1967, n° 10, p. 45).
Certaines institutions spécialisées ont apporté une importante contribution à cette œuvre ;
ainsi l'U-N.E.S.C.O. : convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine
de l'enseignement, 14-12-1960 ; et surtout l'O.I.T. : conv. sur le droit d'association, 11-7-1947
(Annuaire, 1947, p. 489) ; conv. concernant la liberté syndicale et la protection du droit
syndical, 10-7-1948 (eod. loc, 1948, p. 491) ; conv. sur l'égalité de rémunération entre la main-
d'œuvre masculine et féminine pour un travail de valeur égale, 29-6-1951 (eod. loc, 1951,
p. 549) ; conv. relative à l'abolition du travail forcé, 25-6-1957 (eod. loc, 1957, p. 311) ; conv.
relative à la discrimination en matière d'emploi et de profession, 25-6-1958 (eod. loc, 1958,
p. 315).
(20) C'est le cas, par exemple, de la convention relative à la répression de la traite des
femmes et des enfants.
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 331

7. — Les Pactes relèvent de cette dernière catégorie. C'est pourquoi


non seulement ils présentent un intérêt tout particulier, mais ils apparaissent
comme l'aboutissement nécessaire d'une vaste entreprise dont ils ne sont
qu'un élément, mais sans doute le principal.
Jusques à eux, en effet, l'O.N.U. était parvenue à élaborer soit des
déclarations, soit des conventions partielles ne prévoyant pas toutes des
mécanismes de protection internationale des droits. Or les Pactes excèdent
largement les textes conventionnels antérieurs, et ils instituent des
mécanismes de protection qui, pour s'avérer peut-être assez illusoires quant à leur
efficacité, sont pourtant révélateurs d'un remarquable effort de
perfectionnement.
En vérité, ils couronnent vingt années de persévérance, qui appelaient
un tel couronnement. Ils étaient rendus nécessaires par l'exigence croissante
de développement et de préservation des droits, d'autant plus pressante que
le Pouvoir devient partout plus exigeant, plus impérieux et plus tutélaire
que jamais, les impératifs du développement, les affrontements des
souverainetés et, en conséquence, les idéologies et mœurs autoritaires aboutissant
à écraser l'homme sous le poids de la Cité. Par ailleurs, la réalisation des buts
des Nations Unies mentionnés dans la Charte, autant que le « coup d'envoi »
donné lors de l'adoption de la Déclaration universelle, rendaient
indispensable, à plus ou moins long terme, l'élaboration de textes tels que les Pactes.
Sans faire montre d'un idéalisme excessif, on peut considérer que,
surtout compte tenu des sérieuses difficultés qu'elle avait à surmonter,
l'O.N.U. est parvenue à ses fins en répondant à ce que l'on pouvait
raisonnablement attendre d'elle : elle a su réaliser une œuvre universaliste et de
synthèse.

II. — Une œuvre universaliste

8. — Les Pactes et le Protocole peuvent être ainsi qualifiés car ils sont
et resteront l'œuvre de l'O.N.U. seule, et parce qu'ils ont vocation à régir la
quasi-totalité de la société internationale.

9. — La première caractéristique apparaît quand on considère


successivement l'esprit qui anime les Pactes, l'histoire de leur élaboration, et le rôle
joué par l'Organisation dans leur application.
10. — C'est à travers les préambules des Pactes, pratiquement
identiques (21), qu'apparaît le plus nettement l'esprit universaliste qui anime ces

(21) Sous réserve de ce que nous remarquerons infra, note 55.


332 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

derniers. Non seulement il y est fait référence aux « principes énoncés


dans la Charte des Nations Unies », ainsi qu'à la Déclaration universelle dont
le préambule est partiellement reproduit dans ceux-ci (22) ; mais il est précisé
qu'il s'agit de procéder à « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous
les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables »,
et de « promouvoir le respect universel et effectif des droits et des libertés
de l'homme» (23).
Formules extrêmement compréhensives, puisqu'elles visent la
reconnaissance et la protection des droits. Au demeurant, il n'est pas seulement indiqué,
comme dans la Déclaration de 1948, que « les Etats membres se sont engagés
à assurer... le respect universel et effectif des droits », mais que les Etats
(implicitement, membres ou non de l'O.N.U.) ont l'obligation de promouvoir
le respect des droits : ainsi la protection ne résulte-t-elle pas de la seule
action unilatérale des Etats, mais aussi, éventuellement, d'une action
concertée, voire collective; et l'obligation de respect ne se réduit pas à un devoir
d'abstention ou de passivité, mais elle s'étend jusqu'à une exigence d'action
positive en faveur des droits et libertés.
Par ailleurs, les préambules dépassent « l'homme » (ou « l'être humain »,
ou encore la « personne humaine ») pour s'étendre à « tous les membres
de la famille humaine », et donc aux groupements : famille, ethnies, peuples.
En conséquence, ce n'est point un homme abstrait qui est pris en
considération, mais un être situé dans ses conditions sociologiques d'existence et dans
ses relations avec les groupes qui l'entourent. Les Pactes tendent à embrasser
ainsi toutes les situations possibles, ce qui n'est que normal pour des textes
élaborés par l'O.N.U. seule et qui reflètent donc l'hétérogénéité et la
complexité de sa composition.

11. — Les Pactes et le Protocole furent élaborés au cours de trois


phases distinctes (24) .
— La première (1946-1948) fut celle des hésitations; non que l'on ne
s'accordât point sur la nécessité de rédiger un ou plusieurs instruments

(22) Le passage identique dans les préambules des Pactes et dans celui de la Déclaration
universelle est le suivant : « ...la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres
de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la
liberté, de la justice et de la paix dans le monde ».
(23) II est à remarquer que les Pactes font état « des droits et des libertés de l'homme »
sans restriction, tandis que la Déclaration vise « des droits de l'homme et des libertés
fondamentales ».
(24) Une obligatoire brièveté nous contraint à renvoyer sur ce point le lecteur à,
notamment : Draft international covenants on human rights, document préparé par le Secrétariat
général (U.N./A/2929, 1955, p. 5 et suiv.) ; Revue des Nations Unies (de 1955 à 1964) ; Chron.
mensuelle de l'O.N.U. (depuis octobre 1964). L'important cours précité de R. Cassin contient
de nombreuses indications utiles relatives au travail de la Commission des droits de l'homme
dans ce domaine. Par ailleurs, il n'a rien perdu de son actualité en ce qui concerne les
problèmes et difficultés soulevés par les textes ici étudiés.
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 333

conduisant à une protection internationale des droits de l'homme, mais parce


que les opinions divergeaient quant à leur nombre et à leur portée. Dès sa
première session ordinaire, l'Assemblée générale avait été saisie d'une
ambitieuse proposition de « loi internationale sur les droits de l'homme »
(international bill of human rights) (25). L'ensemble de la question fut renvoyé
à la Commission des droits de l'homme (26) , qui l'inscrivit lors de sa première
session (janv.-févr. 1947) en tête de son ordre du jour.
Très tôt des positions divergentes apparurent. Les uns (dont la Grande-
Bretagne) étaient partisans de l'élaboration d'une convention couvrant à la
fois la reconnaissance d'un grand nombre de droits et les modalités de leur
protection internationale. Certains (parmi lesquels les Etats-Unis) préféraient
qu'on se limitât à une « déclaration » proposée aux Etats pour être incorporée
à leur droit interne. D'autres enfin (comme la France) songeaient à un
système combinant une déclaration et un ou plusieurs projets de conventions.
Cette dernière solution fut retenue par la C.d.h. (27) , qui porta ses efforts
sur le projet de déclaration adopté par l'Assemblée générale le 10 décembre
1948 pour devenir la Déclaration universelle des droits de l'homme.
— La deuxième phase (1949-1954) fut donc celle de la préparation
d'avant-projets de conventions par la C.d.h. agissant selon les directives de
l'Assemblée générale et du Conseil économique et social. La Commission
réserva l'essentiel de ses sessions à cette tâche (28).
Elle parvint ainsi à dresser deux listes de droits, les uns civils et
politiques, les autres économiques, sociaux et culturels. Elle les compléta par des
préambules, par des dispositions relatives au droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes, et par des clauses détaillées concernant les mécanismes de
protection. Quelques problèmes restaient cependant en suspens, notamment
celui des réserves et celui des requêtes individuelles.
— La troisième phase (1955-1966) fut celle de la discussion au sein de
la troisième Commission de l'Assemblée générale (Questions sociales,
humanitaires et culturelles), saisie par celle-ci, en décembre 1954, des projets
rédigés par la C.d.h. Les débats, souvent âpres, portèrent principalement
sur la formulation et l'étendue des droits reconnus (29) . En revanche, il ne
fallut pas plus de huit semaines (automne 1966) pour que soient adoptées,
sous la présidence discrètement énergique de Madame Warzazi (Maroc), les
dispositions relatives aux mécanismes de protection internationale, parmi

(25) Proposition de Cuba et de Panama (cf. R. Cassin, op. cit., p. 258).


(26) Nous la désignerons désormais par l'abréviation C.d.h. Rappelons qu'elle fut instituée
en application d'une résolution du Conseil économique et social en date du 16 février 1946.
(27) Seconde session, novembre 1947. Sur tous ces points, cf. Draft international covenants,
précité, p. 5 et suiv.; R. Cassin, op. cit., p. 258 et suiv.; H. Lauterpacht, The international
protection of human rights, R.C.A.D.I., 1947 (I), p. 74 et suiv.
(28) Cinquième à dixième session incluse.
(29) Les discussions sur les projets ont eu lieu, principalement, en automne 1955,
printemps 1956 et 1957, automne 1957, 1958, 1959, 1961, 1962, 1963, 1966.
334 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

lesquelles le Protocole. Il ne restait plus à l'Assemblée qu'à entériner,


pratiquement sans débats, les propositions émanant de la Commission, ce
qu'elle fit dans les conditions déjà décrites (30) .
— Ainsi l'élaboration des projets définitifs de Pactes put-elle être achevée
avant 1968, année internationale des droits de l'homme (31). On s'étonnera
peut-être, toutefois, de la longueur de la troisième phase, a priori d'autant
plus surprenante qu'elle n'a pas abouti à des résultats sensiblement différents
de ceux auquels la C.d.h. était parvenue. La relative brièveté des sessions
de la troisième Commission (à peine trois mois), l'ampleur de son ordre du
jour (32) ne sont que des facteurs partiels d'explication. A vrai dire, la
lenteur des travaux de la Commission tient principalement au tour passionnel
et passionné qu'ont pris les discussions qui s'élevèrent en son sein. Plusieurs
dispositions des avant-projets firent l'objet de très vives controverses (33) ,
que l'entrée en lice d'Etats nouveaux issus de la décolonisation n'était pas
faite pour apaiser, bien au contraire. De multiples divergences, philosophiques,
doctrinales ou simplement politiques, sont apparues, qui demeurent à l'arrière-
plan des trois textes adoptés.
Aussi la crainte a-t-elle surgi de les voir un jour suffisamment fortes
pour qu'elles aboutissent à une mise en pièces d'instruments si péniblement
élaborés. C'est pourquoi il a paru préférable de confier à l'O.N.U. un rôle
exceptionnel dans l'application des textes, de façon à ce qu'elle conserve
la haute main sur ce qui, pour le meilleur et pour le pire, est son œuvre.
12. — Les deux Pactes et le Protocole sont des traités multilatéraux
appartenant à cette catégorie d'instruments internationaux maintenant
importante que sont les conventions dont le texte est arrêté par l'Assemblée
générale de l'O.N.U. (34) . Ils sont ouverts à la signature des Etats, et leur
entrée en vigueur est subordonnée à la ratification ou à l'adhésion d'un

(30) Cf. supra, n° 1.


(31) Le Comité pour l'année internationale des droits de l'homme avait émis le vœu que
la rédaction des Pactes soit achevée avant 1968 (cf. Chron. mensuelle, 1965, n° 4, p. 42) . Ce
vœu fut mieux exaucé que celui de l'Assemblée générale priant, en 1957, la troisième
Commission d'avoir achevé ses travaux en... 1958 ! (cf. Rev. des N.U., 1957, octobre, p. 63).
(32) Parallèlement à l'élaboration des Pactes, la troisième Commission eut à examiner,
notamment : le projet de déclaration sur les droits de l'enfant (automne 1959) ; le projet de
déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux (automne 1960) ; le
projet de déclaration sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (automne
1963) ; le projet de convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(automne 1965).
(33) Par exemple, deux semaines de débats ne suffirent pas à la Commission pour adopter
les dispositions relatives au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (cf. Rev. des N.U., 1955,
novembre, p. 43) ; il fallut 38 séances pour adopter quatre articles (et non les plus
problématiques) des Pactes (cf. eod. loc, 1957, décembre, p. 82). Le problème de l'admissibilité des
réserves fut aussi longuement discuté, jusqu'à ce que l'on finisse par décider de ne pas les
interdire.
(34) On sait que ces conventions sont tantôt élaborées par TO.N.U. à travers tels ou tels de
ses organes, tantôt rédigées au sein de conférences nullement assimilables à un organe de
l'Organisation, mais cependant étroitement liées à celle-ci (cf. Y. Daudet, Les Conférences de
codification des Nations Unies, thèse, Paris, 1967, polycopiée). Dans tous les cas, cependant,
l'Organisation est à l'origine des projets.
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 335

certain nombre d'Etats, la qualité de partie n'étant reconnue qu'aux Etats


ayant déposé un instrument de ratification ou d'adhésion (35) .
Comme tous les textes similaires, ceux-ci disposent que le Secrétaire
général de l'O.N.U. est, si l'on peut dire, leur gestionnaire. Ils sont déposés
auprès de lui, de même que les instruments de ratification ou d'adhésion.
C'est lui qui en transmet copie conforme aux Etats susceptibles d'y devenir
parties, comme il informe les Etats (déjà parties ou non) des signatures
apposées et des dépôts d'instruments de ratification ou d'adhésion. Il n'y a là
rien d'original, et ce n'est point par ce biais que l'Organisation exerce son
droit de regard sur l'évolution des Pactes. De même, les attributions dévolues
au Secrétaire général pour la mise en œuvre de la protection internationale
des droits (36) sont, à cet égard, sans importance.
C'est la procédure de révision qui fait apparaître comment l'O.N.U.
conserve la haute main sur l'avenir des trois textes. En effet, si la révision
est laissée à l'initiative des Etats parties, son entrée en vigueur est en fait
subordonnée à la volonté de l'Organisation elle-même :
« 1. Tout Etat partie au présent Pacte peut proposer un amendement et en
déposer le texte auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies.
Le Secrétaire général transmet alors tous projets d'amendements aux Etats
parties au présent Pacte en leur demandant de lui indiquer s'ils désirent voir
convoquer une conférence d'Etats parties pour examiner ces projets et les
mettre aux voix. Si un tiers au moins des Etats se déclarent en faveur de cette
convocation, le Secrétaire général convoque la conférence sous les auspices de
l'Organisation des Nations Unies. Tout amendement adopté par la majorité des
Etats présents et votants à la conférence est soumis pour approbation à
l'Assemblée générale des Nations Unies.
« 2. Ces amendements entrent en vigueur lorsqu'ils ont été approuvés par
l'Assemblée générale des Nations Unies et acceptés, conformément à leurs
règles constitutionnelles respectives, par une majorité des deux tiers des Etats
parties au présent Pacte » (37).

On constate qu'en conséquence la majorité des membres de l'O.N.U.


peut bloquer une révision décidée par la majorité au moins des Etats votant
à la conférence de révision (38) . A priori, on peut estimer étrange que des
Etats détiennent une compétence en matière de révision d'un Pacte (ou d'un
Protocole) auquel ils ne sont point partie. Cette anomalie paraît plus insolite
encore quand on considère que des Etats non membres des Nations Unies
sont susceptibles de devenir partie aux Pactes et au Protocole (39) . En
réalité, il ne peut guère en être autrement puisque ces trois instruments
sont l'œuvre des Nations Unies seules qui doivent, dès lors, conserver un
droit de regard sur leur évolution de façon à veiller, notamment, à ce que

(35) P.i.d.é.s., art. 26 ; P.i.d.c. art. 48 ; Prot, art. 8.


(36) Cf. infra, § n° 36 et suiv.
(37) P.i.d.é.s., art. 29 ; P.i.d.c, art. 51 ; Prot., art. 11.
(38) Comme nous le redirons, il suffit que 35 Etats soient parties à un Pacte pour qu'il
entre en vigueur, de sorte que la majorité des votants à la conférence de révision peut être
nettement inférieure à celle des Etats représentés à l'Assemblée générale, qui sont
actuellement 123.
(39) Cf. infra, i n° 14.
336 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

ne soit pas progressivement anéanti l'effort dont ils sont autant le résultat
que l'expression, et à éviter de mettre en échec la volonté d'universalisme
qu'ils traduisent. Il faut montrer à présent que celle-ci apparaît aussi dans
le fait qu'ils ont vocation à régir la quasi-totalité de la société internationale.

13. — C'est ce que révèle l'examen des conditions d'ouverture des Pactes
et du Protocole, et celui des conditions de leur entrée en vigueur.
14. — Les Pactes sont ouverts aux Etats membres de l'O.N.U. ou de l'une
de ses institutions spécialisées, aux Etats parties au statut de la C.I.J.,
ainsi qu'à tout autre Etat invité par l'Assemblée générale à y devenir
partie (40). Le Protocole complémentaire du P.i.d.c. est ouvert à tout Etat
partie à ce dernier. La formule ainsi retenue est la plus large de celles
pratiquement concevables (41) .
D'autre part, il est spécifié que les dispositions des trois textes «
s'appliquent sans limitation ni exception aucune, à toutes les unités constitutives
des Etats f édératif s » (42) . En revanche, rien n'est indiqué quant à leur
application à des territoires non étatiques administrés par des Etats (43) .
Mais il ne s'agit que d'une « ouverture », c'est-à-dire d'une possibilité
d'application. Or il est aussi important de savoir si un texte s'imposera ou
non, que de savoir quels Etats il est susceptible de régir. Les conditions
d'entrée en vigueur des Pactes et du Protocole répondent à cette question.
15. — Elles se sont modifiées au fil de l'élaboration des textes, en fonction
de l'accroissement des membres des Nations Unies, et des fluctuations de
l'opinion majoritaire sur ce point (44). Les textes définitifs disposent que
les Pactes entreront en vigueur trois mois après la date du dépôt, auprès
du Secrétaire général de l'O.N.U., du trente-cinquième instrument de ratifi-

(40) P.i.d.é.s., art. 26-1 ; P.i.d.c, art. 48-1.


(41) Sur la pratique de 1'O.N.U. à cet égard et les raisons que la portent à limiter la
participation à une convention à ses seuls membres ou, au contraire, à l'élargir, cf. Y. Daudet,
op. cit., p. 87 et suiv.
(42) Cette clause est importante quand, dans un Etat fédéral, le maintien de l'ordre public
et par conséquent la réglementation des droits et libertés relève des collectivités fédérées.
C'est très souvent le cas, notamment aux Etats-Unis, et c'est pourquoi cet Etat manifesta un
moment ses réticences à rencontre des projets de Pactes, parce qu'il refusait de se voir
imposer des obligations qu'il n'eût pas été juridiquement à même de répercuter, en vertu de
la suprématie de la règle de droit international, sur les collectivités fédérées (cf. R. Cassin,
op. cit., p. 31 et suiv.; P. Juvigny, Les droits de l'homme et les Nations Unies, dans : Les
Nations Unies, chantier de l'avenir, coll. Tiers-Monde, 1961, t. II, p. 201).
(43) Nous avouons ne pas pouvoir expliquer cette lacune, d'autant plus surprenante que
l'avant-projet rédigé par la C.d.h. ne la révélait pas.
(44) La C.d.h. avait initialement (1949) retenu, comme condition d'entrée en vigueur, le
chiffre de quinze ratifications ou adhésions, porté ensuite (1950) à vingt, ce qui, à l'époque,
représentait un peu moins du tiers des membres des Nations Unies (cf. R. Cassin, op. cit.,
p. 320). C'est encore le chiffre de vingt qui fut suggéré par le Chili devant la troisième
Commission, qui lui préféra celui définitivement retenu (cf. Chron. mensuelle, 1966, n° 11, p. 90).
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 337

cation ou d'adhésion; aux Etats ratifiant ou adhérant ultérieurement, les


Pactes s'imposeront trois mois après la date du dépôt de leur instrument de
ratification ou d'adhésion. Quant au Protocole, il s'appliquera initialement
trois mois après la date du dépôt de la dixième des ratifications ou adhésions
par des Etats parties au P.i.d.c; ultérieurement à d'autres Etats également
parties à ce Pacte, trois mois après la date du dépôt de leur instrument
de ratification ou d'adhésion (45) .
Compte tenu de ce que l'O.N.U. comporte actuellement 123 membres,
et de ce que les Pactes sont ouverts à davantage qu'à ceux-ci, on estimera
peut-être que l'exigence de trente-cinq ratifications ou adhésions posée
comme condition de leur entrée en vigueur est critiquable, soit parce que
ce chiffre est trop réduit puisqu'il n'équivaut pas même au tiers des
membres de l'Organisation, soit au contraire parce qu'il est trop élevé.
Il est difficile de prendre objectivement position dans cette controverse.
Cependant, il paraît certain que des textes aussi universalistes que les
Pactes doivent, soit entrer en vigueur pour ipso facto avoir une influence
et une portée pratique importantes, soit rester lettre morte : mieux vaut
ne rien imposer qu'imposer pour rien. Or, il est à craindre que si les Pactes
entrent en vigueur pour ne s'appliquer qu'à un petit nombre d'Etats, ils
ne seront pas suffisamment attractifs pour que d'autres Etats décident d'y
être partie. Au contraire, s'ils régissent, dès le départ, des Etats en nombre
important, on peut espérer que d'autres suivront un courant assez fort
pour les entraîner. C'est pourquoi il est préférable de subordonner l'entrée
en vigueur des Pactes à un nombre élevé de ratifications ou d'adhésions,
quand bien même devrait-elle être, pour cette raison, quelque peu tardive.
En outre, permettre une application limitée des Pactes serait contraire
à leur esprit puisqu'ils ont été conçus comme une œuvre de synthèse,
précisément à raison du nombre et de la diversité de leurs destinataires.

III. — Une œuvre de synthèse

16. — L'O.N.U. s'est efforcée de réaliser une œuvre qui recouvre tous
les aspects de la reconnaissance et de la protection internationales des
droits et des libertés. Il faut constater qu'elle y est parvenue dans une
large mesure malgré les difficultés qu'elle avait à surmonter. Toutefois, elle
n'a pu aller jusqu'à proposer aux Etats la loi internationale unique que
certains avaient espérée.
17. — Plusieurs conditions étaient à réunir pour que les Pactes
apparaissent comme une véritable œuvre d'ensemble.

(45) P.i.d.é.s., art. 27 ; P.i.d.c, art. 49 ; Prot. art. 9.

23
338 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

II fallait, en premier lieu, que la reconnaissance des droits et libertés


soit consolidée par des dispositions prévoyant des mécanismes de protection.
Or, ceux-ci ne manquent pas, mais nous constaterons que leur efficacité
sera probablement assez réduite (46).
Il fallait, en outre, que la reconnaissance soit aussi complète que
possible. Mais, compte tenu des divergences de vues entre les rédacteurs
des Pactes, et des différenciations idéologiques, socio-économiques ou
politiques par lesquelles se distinguent les Etats membres des Nations Unies,
on ne pouvait aboutir à une œuvre de synthèse qu'en faisant œuvre de
compromis. C'est pourquoi l'on a balancé entre une reconnaissance des
droits générale mais sommaire et laissant ainsi place à toutes les
interprétations possibles, et une reconnaissance précise et détaillée dépassant la seule
affirmation de l'existence d'un droit pour aller jusqu'à la description de
son contenu (47) . On s'est finalement rallié à cette dernière solution (48) .
C'est pourquoi les Pactes reflètent une autre tentative de compromis, entre
les Etats désireux de voir préciser les conditions d'exercice des droits, et
notamment les obligations pesant à cet égard sur la puissance publique, et
les Etats préférant qu'on se limite à une reconnaissance ne s'accompagnant
pas de la mention de ses implications (49) . En général, les premiers l'ont
emporté, si bien que les Pactes sont souvent révélateurs d'un effort de
concrétisation, voire de modernisme, qui leur confère une place éminente parmi
les autres textes internes ou internationaux relatifs aux droits de l'homme,
et qui traduit la volonté des rédacteurs de réaliser une œuvre qui soit
adaptée aux données et aux problèmes de l'homme contemporain (50) .
Mais, ce faisant, les rédacteurs se sont inévitablement heurtés à une
sérieuse difficulté. En tentant de ne pas laisser dans l'ombre la moindre part
de cette réalité complexe et diversifiée qu'est la situation des droits de
l'homme dans la société internationale contemporaine, il leur devenait très
difficile de proposer une loi unique pour la régir.
18. — Les discussions furent vives sur le point de savoir si l'on devait
élaborer un seul Pacte ou plusieurs (51) . En faveur de la première solution,
on fit valoir que les droits de l'homme sont solidaires et complémentaires les
uns des autres, et qu'une pluralité de textes aurait l'inconvénient de conduire
à des législations internationales partielles alors que le but recherché est la
protection des droits de l'homme.

(46) Cf. infra, §§ n°" 40, 47 et 48.


(47) Cf. Draft international covenants..., op. cit., p. 24 et suiv.; R. Cabsin, op. ci., pp.
310-311 ; H. Lauterpacht, op. cit., p. 89 et suiv.
(48) Cf. infra, § n° 21.
(49) A la première catégorie d'Etats appartiennent, notamment, les Etats d'inspiration
marxiste (cf. R. Cassin, op. cit., pp. 284 et suiv. et 309).
(50) Cf. les exemples donnés infra, note 60.
(51) Cf. Draft international covenants..., op. cit., p. 22 ; R. Cassin, op. cit., p. 297 et suiv.;
P. Juvigny, op. cit., p. 199.
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 339

Bien que non dépourvus de pertinence et de valeur, ces arguments n'ont


pu l'emporter, la thèse contraire étant certainement préférable. Il n'est pas
douteux, en effet, que les droits de l'homme ne sont pas tous de même nature,
et qu'ils n'ont pas tous les mêmes implications. Certains sont pour l'individu
des moyens d'action en même temps que de préservation et de résistance
à l'encontre du Pouvoir et d'autrui. Ce sont, pour l'essentiel, les droits relatifs
à la situation physique, morale et intellectuelle de la personne, et leur
reconnaissance implique, pour la puissance publique, le devoir de protéger la
personne contre autrui, mais aussi de respecter ces droits, domaine réservé
de la personne. D'autres (pratiquement, les droits économiques et sociaux)
impliquent au contraire, de la part de la puissance publique, une action
positive, parce qu'ils traduisent des exigences de l'individu devant être
satisfaites par elle. Leur reconnaissance implique donc qu'ils soient
développés. Il ne s'agit plus seulement des « libertés de ... », mais des « droits
à ... », Sans doute ne faut-il pas forcer cette distinction, toujours assez
arbitraire (52). Elle a cependant une grande portée puisqu'elle se répercute
sur les techniques et les moyens utilisables pour garantir les droits reconnus :
on ne sanctionne pas le devoir de protection et d'abstention, impliqué par
la première catégorie de droits à la charge de la puissance publique, comme
on sanctionne le devoir d'action et de développement auquel elle est assujettie
par la reconnaissance de la seconde catégorie.
C'est pourquoi les Nations Unies préférèrent élaborer deux instruments,
chacun étant relatif à l'une des deux catégories de droits et comportant des
techniques propres de protection. Au demeurant, on constate que la
distinction n'est pas tranchée, car non seulement les Pactes sont partiellement
identiques (53) et leur complémentarité apparaît à la lecture de leurs
préambules (54), mais les techniques de protection qu'ils décrivent s'apparentent
puisqu'elles réservent toujours à l'O.N.U. un certain rôle (55) .
Il n'en reste pas moins que, à l'usage, cette dualité peut présenter des
inconvénients. On peut redouter que les Pactes soient parfois difficilement
compatibles lorsqu'ils s'appliqueront à un même Etat (56). On peut, surtout,

(52) Par exemple, le droit à la vie implique certainement que nul ne soit « arbitrairement
privé de la vie » (P.i.d.c, art. 6) mais aussi que les pouvoirs publics luttent contre la
mortalité et notamment contre la mortalité infantile (P.i.d.é.s., art. 12-2).
(53) Sont similaires dans les deux Pactes : les préambules (sous réserve de ce que nous
écrirons infra, note suivante), les dispositions relatives au droit des peuples à disposer d'eux-
mêmes, les dispositions générales sur la non-discrimination, pour une part les clauses de
sauvegarde (art. 5 des deux Pactes), et les clauses finales.
(54) Le préambule du P.i.d.é.s. vise les « conditions permettant à chacun de jouir de ses
droits économiques, sociaux et culturels, aussi bien que de ses droits civils et politiques ».
Le préambule du P.i.d.c. vise les « conditions permettant à chacun de jouir de ses droits civils
et politiques, aussi bien que de ses droits économiques, sociaux et culturels ». C'est nous qui
soulignons. La complémentarité des Pactes est ainsi bien mise en évidence.
(55) Cf. infra, § n° 35 et suiv.
(56) Aux termes du P.i.d.é.s. (art. 8-2) il peut être apporté des restrictions à l'exercice
du droit syndical « par les membres des forces armées, de la police, ou de la fonction
publique ». Or, aux termes du P.i.d.c. (art. 22-2), il peut être apporté des restrictions à l'exercice
340 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

craindre qu'ils n'attirent pas tous deux les mêmes Etats, si bien que l'on
aboutirait à deux régimes internationaux des droits de l'homme qui ne
se compléteraient pas. L'œuvre de l'O.N.U. serait alors gravement compromise
et altérée dans l'un de ses aspects essentiels, car elle cesserait d'être globale.
C'est pourtant à l'inverse que l'on a tendu. Il est clair que, malgré la
dualités de textes, les rédacteurs ont voulu réaliser une œuvre d'ensemble
et non pas une pluralité d'œuvres partielles. Les Pactes sont intimement
liés, et l'un ne peut répondre sans l'autre à ce que l'on attend de lui. Cette
relation apparaît lorsqu'on les considère ensemble pour analyser l'essentiel
de leurs dispositions intéressant d'une part la reconnaissance internationale
des droits (première partie) et d'autre part la protection internationale des
droits (deuxième partie).

PREMIERE PARTIE

LA RECONNAISSANCE INTERNATIONALE DES DROITS

19. — Reconnaître des droits, c'est les énoncer, les proclamer. Par là,
c'est donner un contenu à la reconnaissance (I). Mais c'est aussi,
inévitablement, les accompagner de conditions et de restrictions, et ainsi conférer à la
reconnaissance des droits une certaine portée (II).

I. — Le contenu de la reconnaissance

20. — Une énonciation n'est significative que si l'on connaît ses aspects
tant positifs que négatifs. Il ne faut donc pas seulement dire quels sont les
droits reconnus par les Pactes et, ce faisant, décrire le domaine (A) de la
reconnaissance, mais aussi relever les imprécisions et les lacunes de la
reconnaissance, donc ses limites (B).

de ce droit « par les membres des forces armées et de la police » seulement. A supposer qu'un
Etat soit lié par les deux Pactes ratifiés en même temps, comment décider si le droit syndical
peut ou non être restreint au détriment des fonctionnaires ?
Le problème n'est d'ailleurs pas seulement celui de la compatibilité des Pactes
entre eux, mais aussi celui de la compatibilité des Pactes avec d'autres instruments
internationaux liant les Etats parties aux Pactes. Ceux-ci l'ont parfois résolu par des dispositions
expresses (P.i.d.c, art. 6, visant la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide ; P.i.d.é.s., art. 8-3 et P.i.d.c, art. 22-3, visant la convention de 1948 de l'O.I.T.
concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical). Mais les Pactes peuvent
être en concurrence avec plusieurs autres conventions (cf. supra, note 19), et soulever ainsi
des difficultés sérieuses de ...coexistence.
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 341

— A —

21. — Chacun des Pactes tend, nous l'avons vu, à englober une catégorie
de droits.
Le P.i.d.c. mentionne d'une part les droits inhérents à la personne (57) , et
d'autre part les droits permettant la participation de l'individu à la vie de la
Cité (58). Le P.i.d.é.s. recouvre, conformément à son appellation, un grand
nombre de droits intéressant la situation matérielle de l'individu (59).
L'énumération qu'ils contiennent s'accompagne de plusieurs précisions
quant au contenu même des droits. Souvent, les rédacteurs ont fait effort de
minutie afin que la reconnaissance des droits ne se réduise pas à une mention
vague car trop générale, mais qu'elle ait une signification réelle car précise.
Ceci apparaît à la lecture de plusieurs des articles des Pactes (60) . En outre, on
constate que l'O.N.U. s'est efforcée de tenir compte des différenciations qui
distinguent les destinataires des Pactes (61), de même qu'elle a insisté sur
l'aspect international de la reconnaissance à laquelle elle procéda (62) .
Si donc cette dernière recouvre un contenu riche et diversifié, elle n'est
cependant pas entière car elle connaît des limites.

22. — Celles-ci tiennent à la fois aux silences et aux imprécisions des


Pactes.

interdiction (57) Droitdesà détentions


la vie ; interdiction
arbitraires ;dedroit
la torture
de recours
et de; droits
l'esclavage
de la; défense
sûreté individuelle
; droit à la;
personnalité juridique ; libertés de circulation et de résidence ; libertés de conscience, de
religion, d'opinion, d'expression, de réunion, d'association ; droit de mariage ; droit à la
nationalité ; cf. art. 6 à 27.
(58) Droit de prendre part à la direction des affaires publiques, directement ou par
l'intermédiaire de représentants librement choisis ; droit de voter et d'être élu ; droit d'accéder
aux fonctions publiques ; cf. art. 25.
(59) Droit au travail et à des conditions de travail justes et équitables ; liberté syndicale ;
droit de grève ; droit à la sécurité et aux assurances sociales ; droit à la protection et à
l'assistance ; droit à un niveau de vie suffisant ; droit à la santé ; droit à l'éducation ; droit
de participer à la vie culturelle ; cf. art. 6 à 15.
(60) Dans le P.i.d.é.s., c'est notamment le cas en ce qui concerne le droit à la protection
et à l'assistance (art. 10) et le droit à l'éducation (art. 13), dont les implications sont décrites
avec force détails puisque l'on va jusqu'à se prononcer sur l'octroi de bourses, sur
l'amélioration des conditions de vie du personnel enseignant... Le P.i.d.c. contient un très long art. 14
relatif aux garanties de la défense et à leurs modalités.
(61) Ainsi l'art. 13-3 du P.i.d.é.s. dispose que les parents doivent être libres de choisir
pour l'éducation de leurs enfants des établissements scolaires non publics. Les Etats
connaissant l'école libre y trouvent ainsi leur compte. De même, le P.i.d.c. contient (art. 27) des
dispositions en faveur des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques.
(62) Ainsi des dispositions relatives à l'expulsion des étrangers (P.i.d.c, art. 13), à
l'assistance d'un interprète à l'audience (P.i.d.c, art. 14-3-f), au droit à la nationalité (P.i.d.c,
art. 24-3). Plus caractéristiques encore sont les dispositions de l'art. 11 du P.i.d.é.s. obligeant
à une « coopération internationale > et à un effort pour « assurer une répartition équitable
des ressources alimentaires mondiales », afin de mettre en œuvre le droit « d'être à l'abri
de la faim ».
342 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

Certains droits n'y figurent pas, alors qu'ils ont été mentionnés dans la
Déclaration universelle. Ainsi en est-il du droit de propriété, délibérément
passé sous silence pour ne pas heurter les Etats socialistes. Il en est de même
du droit d'asile. Ou bien, un droit reconnu dans l'un des Pactes a un contenu
moindre que celui décrit dans la Déclaration universelle (63) . Il est vrai
que les rédacteurs ont considéré que les Pactes opèrent reconnaissance d'un
minimum, si bien qu'ils ne peuvent pas être invoqués à l'encontre d'autres
règles (internes ou internationales) reconnaissant des droits que les Pactes
ignorent ou qu'ils énoncent avec moins d'insistance (64) .
Mais ce minimum n'est pas nettement délimité, pour la simple raison que
plusieurs articles des Pactes se prêtent à des interprétations aussi nombreuses
que les Etats parties. Il est certain que le droit à « l'enseignement primaire »
gratuit (65) n'a pas la même signification dans un pays en développement que
dans un Etat développé où la scolarité est plus longue ; de même que le droit,
pour l'individu, de recevoir notification « dans le plus court délai » de toute
accusation portée contre lui (66) est aussi variable que sont différentes les
législations des Etats parties. Or, ces exemples ne sont pas limitatifs (67).
Enfin, le contenu de la reconnaissance est indirectement limité par les
dispositions des Pactes relatives à la portée de la reconnaissance.

II. — La portée de la reconnaissance

23. — Un droit n'est pleinement reconnu qu'à deux conditions : d'une part,
s'il est dévolu en jouissance, c'est-à-dire si l'on admet que l'individu en est le
bénéficiaire au moins virtuel ; d'autre part s'il est accordé dans des conditions
telles qu'il puisse être effectivement exercé.
Or, si les conditions de jouissance (A) des droits posées par les Pactes
n'affectent pas la portée de la reconnaissance des droits, il n'en est pas de
même des conditions auxquelles leur exercice est subordonné (B).

— A ——

24. — Dans l'esprit des auteurs des Pactes, la première des conditions à
réunir pour que l'homme jouisse véritablement de ses droits est que le peuple

(63) Tandis que la Déclaration envisage « un recours effectif devant les juridictions
nationales compétentes », le P.i.d.c. se borne à reconnaître un droit de « recours utile »
devant « l'autorité compétente ».
(64) P.i.d.é.s.. art. 5-2 ; P.i.d.c. art. 5-2.
(65) P.i.d.é.s., art. 13-2-a.
(66) P.i.d.c, art. 9-2.
(67) Mentionnons les dispositions relatives aux « conditions de travail justes et
favorables » (P.i.d.é.s., art. 7), celles relatives à l'objection de conscience (P.i.d.c, art. 8-3-c-ii), et
toutes celles interdisant d'agir « arbitrairement ».
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 343

auquel il appartient puisse disposer de lui-même. C'est pourquoi les deux


Pactes contiennent un article 1er ainsi rédigé :
« 1. Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de
ce droit, ils déterminent librement leur statut politique, et assurent librement
leur développement économique, social et culturel.
« 2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement
de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations
qui découlent de la coopération économique internationale fondée sur le principe
de l'intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne
pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.
« 3. Les Etats parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la
responsabilité d'administrer des territoires non autonomes et des territoires sous
tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la
Charte des Nations Unies ».

Cet important texte appelle quelques remarques. On constate qu'il donne


au droit à la libre disposition des richesses et ressources naturelles une base
conventionnelle qui lui manquait jusqu'alors, et que viennent renforcer
d'autres articles des Pactes (68). On relève aussi que, par le biais d'instruments
conventionnels relatifs aux droits de l'homme, l'O.N.U. se prononce une fois
de plus sur l'émancipation des territoires non autonomes ou sous tutelle, en
rappelant une obligation déjà inscrite dans la Charte, mais ici renforcée en
ce qui concerne les territoires non autonomes (69). Les Pactes apparaissent
ainsi comme le prolongement et l'affermissement de la célèbre Déclaration
sur l'octroi de l'indépendance aux peuples coloniaux (70), et le reflet de
l'importance prise à l'O.N.U. par les Etats nouveaux issus de la
décolonisation.
Surtout, ils viennent nourrir (peut-être à leur détriment...) la vaste
querelle relative au contenu et à la portée du droit des peuples à disposer d'eux-
mêmes. Il serait hors de notre propos de la reprendre ici. En revanche, on
peut se demander si la reconnaissance de ce droit doit être, comme c'est le
cas dans les Pactes, le préalable nécessaire à la reconnaissance des droits de
l'homme. On l'a parfois vigoureusement nié, en faisant valoir qu'il n'y a pas
de jouissance possible des droits de l'homme hors d'une société «
démocratique », et que l'émancipation des peuples conduit ou peut conduire à
l'instauration de sociétés qui, pour se dire « libres », n'en sont pas moins oppressantes
pour l'homme et donc peu propices à la reconnaissance et à l'épanouissement

(68) Le droit à la souveraineté sur les ressources naturelles fut proclamé par des
résolutions de l'Assemblée générale en 1952 et plus nettement en 1962 (cf. G. Fischer, La
souveraineté sur les ressources naturelles, A.F D.I., 1962, p. 516 et suiv.).
Les autres articles sont les art. 25 du P.i.d.é.s. et 47 du P.i.d.c, ainsi rédigés : < Aucune
disposition du présent Pacte ne sera interprétée comme portant atteinte au droit inhérent de
tous les peuples à profiter et à user pleinement et librement de leurs richesses et ressources
naturelles ».
(69) Les art. 1" des Pactes font bénéficier les territoires non autonomes du droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes, ce qui implique pour eux un droit à l'indépendance. Dans
son art. 73, relatif aux territoires non autonomes, la Charte n'évoque pas, même implicitement,
cette éventualité.
(70) Déclaration du 28-11-1960 (cf. Rev. des Nations Unies, janv. 1961, p. 98).
344 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

de ses droits (71) . A l'inverse (et cette position est notamment celle des Etats
nouveaux) , on a soutenu qu'il n'y a pas de liberté pour l'homme dans un
peuple asservi, et que la libre détermination de chacun passe par la libre
détermination de tous. En d'autres termes, « il ne peut y avoir de jouissance des
droits de l'homme s'il n'y a pas jouissance du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes... On a considéré que le droit des peuples à disposer d'eux-
mêmes est le premier de tous les droits de l'homme et qu'il est la condition de
la jouissance des autres droits de l'homme » (72) .
Quelle que soit l'opinion que l'on entretienne, il faut admettre qu'un texte
soulevant autant de passions et de difficultés d'interprétation n'est pas fait
pour favoriser l'entrée en vigueur et une large application des Pactes.
25. — La seconde condition de jouissance des droits est à la fois plus
traditionnelle et moins sujette à controverses, puisqu'elle consiste dans
l'obligation de non-discrimination. Connaissant le souci des Nations Unies d'éliminer
toutes les formes de discrimination, on ne sera pas surpris de constater qu'elles
énoncent cette obligation avec une insistance particulière ; d'une part de façon
très générale, tout en prévoyant curieusement son assouplissement en faveur
des pays en voie de développement (73) ; d'autre part en la rappelant à propos
de certains droits (74).
Bien que stipulée en ce qui concerne l'exercice des droits, l'obligation de
non-discrimination intéresse au premier chef la jouissance des droits,
puisqu'elle interdit de priver une catégorie d'êtres humains de la qualité de
bénéficiaires des droits. Il est certain, toutefois, qu'elle conditionne largement
l'exercice des droits,, puisqu'elle impose, tant à la puissance publique qu'aux
particuliers, de n'introduire aucune différenciation dans la mise en œuvre des
droits. Mais elle n'est alors qu'une condition d'exercice parmi d'autres, qui sont
assez sévères pour considérablement restreindre la portée de la reconnaissance
des droits et libertés.

(71) Cf. en particulier B. Mirkine-Guezevitch, op. cit.


(72) C. Chaumont, La décolonisation aux Nations Unies, dans : Les Nations Unies, chantier
de l'avenir, op. cit., p. 42.
(73) Le P.i.d.é.s. (art. 2-2) et le P.i.d.c. (art. 2-1) interdisent très généralement que, dans
l'exercice, le respect et la garantie des droits, soit effectuée une discrimination « fondée sur la
race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion politique, ou toute autre opinion,
l'origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».
Pourtant, le P.i.d.é.s. porte (art. 2-3) que « les pays en voie de développement, compte
dûment tenu des droits de l'homme et de leur économie nationale, peuvent déterminer dans
quelle mesure ils garantiront les droits reconnus dans le présent Pacte à des
non-ressortis ants >. A notre avis, ce texte (au demeurant mal rédigé) signifie que, par dérogation à l'ai. 2
du même article, l'exercice des droits économiques peut être refusé par les pays en
développement à des non-ressortissants. Il reste à savoir quels sont exactement les droits économiques
par opposition aux droits « sociaux » et « culturels» , et quels sont les pays « en voie de
développement »...
(74) P.i.d.c, art. 4-1 (droit de dérogation aux dispositions du Pacte), art. 24 (protection
de l'enfant) , art. 25-c (accès aux fonctions publiques) , et 26 (égalité devant la loi et protection
de la loi).
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 345

— B —

26. — Les conditions restrictives de l'exercice des droits sont de trois


sortes. Il s'agit, d'abord, des obligations directement imposées par les Pactes
aux bénéficiaires des droits ; ensuite, des obligations qui leur sont
indirectement imposées, par le biais des législations de chacun des Etats parties ; enfin,
des obligations imposées à ceux-ci et susceptibles autant de favoriser l'exercice
des droits que de lui être funeste.
27. — Dans les préambules des Pactes, il est proclamé de façon très
générale que :
« ... l'individu a des devoirs envers autrui et envers la collectivité à laquelle
il appartient et est tenu de s'efforcer de promouvoir et de respecter les droits
reconnus dans le présent Pacte. »
En conséquence de cette affirmation, en elle-même difficilement discutable,
il est déclaré que :
« Aucune disposition du présent Pacte ne peut être interprétée comme
impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque
de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des
droits ou libertés reconnus dans le présent Pacte ou à des limitations plus
amples que celles prévues dans ledit Pacte» (75).
Un texte pratiquement identique se trouve dans la Déclaration universelle
(art. 30) ainsi que dans la Convention européenne (art. 17). Il est délicat
de l'interpréter de façon satisfaisante. Certes, il aboutit à sanctionner sur le
plan international l'atteinte à la sûreté de l'Etat (76). On peut aussi admettre
qu'il « a pour objectif la sauvegarde des droits que cette Convention énumère
par la sauvegarde du libre fonctionnement des régimes démocratiques » (77) ,
à condition de poser comme postulat qu'il n'y a pas d'exercice possible des
droits hors d'une société démocratique et qu'en conséquence la sauvegarde de
celle-ci est la condition de la sauvegarde de ceux-là. Les problèmes ne sont
pas résolus pour autant, car il reste à définir la société démocratique, et les
exigences que sa sauvegarde implique en sorte de justifier les interdictions et
restrictions impliquées par ce texte. Or il est évident qu'à cet égard les
conceptions sont très variables et que, par suite, l'application des art. 5-1 des
Pactes peut aboutir aussi bien à préserver un certain libéralisme qu'à faire
peser sur les individus assez de restrictions à l'exercice des droits pour que
leur reconnaissance soit, en fait, illusoire.
28. — Les restrictions à l'exercice des droits peuvent résulter, en second
lieu, des décisions émanant de la puissance publique. Deux catégories de
restrictions sont autorisées par les Pactes.

(75) P.i.d.é.s., art. 5-1 ; P.i.d.c, art. 5-1.


(76) Cf. K. Vasak, La Convention européenne des droits de l'homme, 1965, p. 71 et suiv.
(77) Commission européenne des droits de l'homme, req. 250/57, décis. 20-7-1957, Annuaire
de la Commission, vol. I, p. 222.
346 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

Tout d'abord, l'Etat peut subordonner l'exercice des droits à des


limitations prévues par la loi, dans la mesure où elles sont nécessaires à la
protection de la sécurité nationale, de l'ordre public, ou des droits et libertés d'au-
trui. Ces restrictions sont prévues dans le P.i.d.é.s. autant par une clause
générale et assez imprécise (78) que par des dispositions plus nettes et
relatives à certains droits en particulier (79). Le P.i.d.c. ne les envisage qu'à
propos de droits déterminés, et non pas de façon générale (80).
En revanche, ce Pacte contient une clause de sauvegarde autorisant un
Etat partie à suspendre temporairement l'application du Pacte, mais sous
certaines réserves tendant à limiter l'application de la clause. Il faut que
soient réunies deux conditions : un « danger exceptionnel » menaçant «
l'existence de la nation », et sa proclamation « par un acte officiel ». Dans tous les
cas le droit de dérogation est d'une portée limitée, car il faut que les mesures
prises sur son fondement « ne soient pas incompatibles avec les autres
obligations que leur (aux Etats parties) impose le droit international et qu'elles
n'entraînent pas une discrimination uniquement fondée sur la race, la couleur,
le sexe, la langue, la religion ou l'origine sociale » ; de plus, il ne peut jamais
être dérogé à certains articles du Pacte (81) . Enfin, l'exercice du droit de
dérogation doit être accompagné d'une publicité, puisque l'Etat qui en fait usage
est tenu de signaler aux autres Etats parties, par l'intermédiaire du Secrétaire
général de l'O.N.U., les motifs des dérogations, les dispositions auxquelles elles
sont relatives et, ultérieurement, la date à laquelle il y est mis fin. Cette
publicité doit permettre aux autres parties d'exercer un contrôle sur l'utilisation du
droit de dérogation, selon des modalités que nous examinerons plus loin.
29. — Enfin, les conditions d'exercice des droits sont indirectement
influencées par l'exécution des obligations imposées par les Pactes aux Etats.
Deux catégories d'obligations, sensiblement différentes, sont mentionnées
respectivement par chacun des Pactes.
En ce qui concerne les droits économiques, sociaux et culturels, il est fait
un devoir à chacune des parties d'
« agir, tant par son effort propre que par l'assistance et la coopération
internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum
de ses ressources disponibles, en vue d'assurer progressivement le plein exercice
des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés,
y compris en particulier l'adoption de mesures législatives» (82).
(78) P.i.d.é.s., art. 4 : « Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent que, dans la
jouissance des droits assurés par l'Etat conformément au présent Pacte, l'Etat ne peut
soumettre ces droits qu'aux limitations établies par la loi, dans la seule mesure compatible avec
la nature de ces droits et exclusivement en vue de favoriser le bien-être général dans une
société démocratique ».
(79) P.i.d.é.s., art. 8 (liberté syndicale).
(80) P.i.d.c, art. 12 (libertés de circulation et de résidence), art. 18 (libertés de conscience
et de religion), 19 (liberté d'expression), 21 (liberté de réunion), 22 (liberté d'association et
liberté syndicale).
(81) Art. 6 (droit à la vie), 7 (torture), 8 (esclavage), 11 (prison pour dettes), 15 (non-
rétroactivité de la loi pénale) , 16 (droit à la personnalité juridique) et 18 (libertés de conscience
et de religion).
(82) P.i.d.é.s., art. 2-1.
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 347

Et, à maintes reprises, le Pacte impose aux Etats d'« assurer » le


développement des droits, de « prendre des mesures » en faveur de leur « plein
exercice », et « notamment » plusieurs d'entre elles qui sont décrites sans que,
bien évidemment, cela leur confère un caractère limitatif. Bref, parce qu'il
s'agit de droits dont l'exercice ne dépend pas d'abord d'une action de la
personne, mais initialement et principalement d'une entreprise conduite par la
puissance publique, tout repose sur le bon-vouloir de celle-ci et sur l'ardeur
qui l'anime pour réaliser l'œuvre que le Pacte lui enjoint d'accomplir.
Par nature, les droits civils et politiques dépendent davantage, quant à
leur exercice, de l'action personnelle que de celle du Pouvoir. Aussi les
obligations imposées à ce dernier sont- elles davantage des obligations de protection
et de respect des droits, que des obligations de « développement » ou de «
promotion ». C'est pourquoi le P.i.d.c. dispose que les Etats
« s'engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur
leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent
Pacte» (83).

Cependant, une obligation de cette nature implique, elle aussi, que soient
adoptées des lois, et, plus généralement, prises des mesures permettant une
protection et une garantie effectives de ces droits : lois de procédure, lois
réprimant les atteintes aux droits, lois relatives aux réunions, aux moyens
d'expression, etc. Par conséquent, l'exercice des droits mentionnés dans le
P.i.d.c. est très largement conditionné par les décisions de la puissance
publique qui, a priori du moins, peuvent lui être aussi bien favorables que funestes.
30. — De façon plus générale d'ailleurs, il apparaît que les trois catégories
de restrictions à l'exercice des droits que nous venons de décrire réservent une
place considérable au pouvoir discrétionnaire des Etats. Qu'il s'agisse de
l'interdiction faite aux groupements et aux individus d'accomplir des actes visant
à détruire les droits et libertés reconnus par les Pactes ; de l'exercice du droit
de limitation par l'édiction de lois internes, ou de l'exercice du droit de
dérogation; ou de prendre des mesures permettant le développement ou la
protection des droits, dans tous les cas les Pactes s'en remettent aux Etats
et abandonnent au Pouvoir le soin d'être seul juge des limites dans lesquelles
pourront être exercés les droits qu'ils reconnaissent.
Il est vrai que l'on ne peut aboutir à une solution inverse qu'après avoir
franchi les obstacles constitués par les souverainetés. Nul projet de traité
multilatéral relatif aux droits de l'homme, si grandiloquent soit-il et si
nombreux qu'en aient été les auteurs, ne peut, par lui-même, porter atteinte au
monopole que l'Etat possède sur les conditions de jouissance et d'exercice des
droits de l'homme, bref, sur leur régime. Il ne peut y être mis fin que dans
la mesure où les Etats acceptent de se soumettre à un contrôle international,

(83) P.i.d.c, art. 2-1.


348 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

et à la condition, bien entendu, que celui-ci soit doué de quelque efficacité.


Les Pactes ont le mérite d'avoir prévu ce contrôle. Il n'est pas
actuellement possible de dire s'il sera ou non accepté. En revanche, il est possible de
rechercher si, dans l'affirmative, il présentera assez d'efficacité pour que l'on
puisse considérer que la reconnaissance internationale des droits s'accompagne
véritablement d'une protection internationale des droits.

DEUXIEME PARTIE

LA PROTECTION INTERNATIONALE DES DROITS

31. — Le principal mérite des Pactes est de révéler une tentative sérieuse
effectuée en faveur de cette protection. Elle a pu aboutir à des résultats
appréciables, mais d'une complexité qui, de prime abord, peut déconcerter. Pour
l'expliquer et la comprendre, il faut avoir présentes à l'esprit les difficultés de
la protection internationale des droits de l'homme (I), avant d'analyser les
modalités de la protection (II) .

I. — LES DIFFICULTES DE LA PROTECTION

32. — Les principales d'entre elles sont d'ordre politique (A). D'autres
corrélatives de celles-ci, sont d'ordre technique (B).

33. — Les obstacles politiques qui se dressent sur le chemin de l'action


internationale en faveur des droits de l'homme sont tous réductibles à une
donnée : la souveraineté des Etats. C'est en l'invoquant que des Etats
marqués par le volontarisme (tels que les Etats d'obédience marxiste) , ou les Etats
nouveaux très soucieux de préserver une souveraineté trop fraîche, contestent
le droit pour tout autre ou pour toute organisation internationale, de porter le
regard en direction du régime des droits de l'homme qui est le leur. C'est
aussi en l'invoquant qu'ils se retranchent derrière l'article 2 § 7 de la Charte
pour prétendre que les décisions et actions de l'Etat dans le domaine des droits
de l'homme relèvent « essentiellement » de sa compétence, bien que cette
opinion ait été depuis longtemps combattue, et avec des arguments décisifs (84).

(84) Cf. H. Lauterpacht, op. cit., p. 17 et suiv.; R. Cassin, op. cit., p. 251 et suiv.; S.
Glaser, Les droits de l'homme à la lumière du droit international positif, dans Mélanges Rolin,
1964, p. 112 et suiv. ; R. Brunet, La garantie internationale des droits de l'homme depuis la
Charte de San Francisco, Rev. égyptienne de droit international, 1950, p. 110 et suiv.
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE l'hOMME 349

En outre, il faut bien admettre que, indépendamment de toute la


répugnance que peut susciter chez certains la perspective d'être internationalement
contrôlés, l'action en faveur des droits de l'homme se heurte à un obstacle plus
sociologique que politique constitué par les différences de tradition et
d'évolution des Etats. Ces différences, pour avoir des conséquences politiques, sont
cependant d'un autre ordre (psychologique, philosophique, économique...).
Il est donc difficile de les atténuer au point d'attraire tous les Etats sous
l'empire d'une règle unique. En d'autres termes, l'hétérogénéité actuelle de la
société internationale n'est pas favorable à l'épanouissement d'une effective
et efficace législation internationale des droits de l'homme.
Il en résulte que le choix entre les techniques possibles de contrôle et de
protection est compliqué d'autant.

— B —

34. — Dans la pratique, on peut relever deux catégories principales de


techniques de contrôle international des Etats en matière de droits de
l'homme : les techniques juridictionnelles et les autres. Les premières se
caractérisent moins par le statut des organes qu'elles mettent en œuvre que par le fait
que ceux-ci se prononcent en droit pour rendre des décisions dotées d'une
force juridiquement obligatoire. Les techniques non juridictionnelles, plus
diversifiées, permettent d'aboutir à des décisions qui ne sont pas forcément
rendues exclusivement en droit et qui, par suite, ne sont pas obligatoires en
vertu d'une règle, mais qui, à raison de leur caractère non juridictionnel,
peuvent avoir, en fait, une plus grande portée que les décisions
juridictionnelles, trop dogmatiques et rigides.
Les techniques non juridictionnelles sont, pour l'essentiel de deux sortes.
Certaines sont nettement politiques, lorsqu'elles font appel à l'activité
d'organes exprimant la volonté d'Etats. D'autres prennent appui sur des
organes qui ne sont pas juridictionnels, mais qui ne sont pas davantage
politiques parce qu'ils ne sont pas les porte-paroles des Etats. On peut, non
sans approximation, les qualifier de techniques « quasi » ou « para »
politiques (85).
Par ailleurs, les organes politiques et parapolitiques ont un domaine
d'activité d'étendue variable. Ils peuvent se limiter à une tâche d'investigation.
Ils peuvent aussi aller jusqu'à une décision, rendue ou non sur le fondement
d'une plainte ou d'une accusation, mais qui, par hypothèse, n'est dans aucun
cas assimilable à une décision juridictionnelle.

(85) Une autre distinction est celle faite entre les techniques politiques, juridictionnelles,
et parajuridictionnelles (cf. G. Guyomar, Nations Unies et organisations régionales dans la
protection internationale des droits de l'homme, R.G.D.I.P., 1964, p. 687 et suiv.).
350 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

Le choix entre ces techniques variées n'est évidemment pas simple. Il


l'est d'autant moins qu'il n'est commandé ni par la logique ni par un a priori.
Il ne peut être qu'empirique, voire opportuniste, et résulter de l'examen
attentif de la nature des droits à protéger, des conditions sociologiques et
politiques de leur protection, et des chances de succès et d'efficacité de telle ou
telle technique.
Aussi peut-on comprendre (compte tenu de la diversité des droits à
protéger, de la variété des Etats en cause, et de l'importance des réticences à
vaincre) que les rédacteurs des Pactes aient retenu une pluralité de
techniques, soit politiques, soit parapolitiques, et qui tantôt ne dépassent pas le
stade de l'investigation, tantôt permettent d'aller plus loin. C'est ce qui
apparaît à l'examen des modalités de la protection internationale des droits.

II. — Les modalités de la protection

35. — Chacun des Pactes met en œuvre une technique de protection qui
lui est propre. Parce que les droits économiques, sociaux et culturels (A) sont,
pour la plupart, des droits à « développer » plutôt qu'à « respecter » (86) , leur
protection doit reposer sur le contrôle de ce développement plutôt que sur une
mise en accusation de l'Etat manquant, par défaillance ou par négligence, à la
tâche que le P.i.d.é.s. lui assigne. C'est d'autant plus nécessaire que la
majorité des Etats susceptibles d'être partie au Pacte sont des Etats en
développement, souvent incapables d'atteindre rapidement les objectifs désignés
dans le Pacte. C'est pourquoi le contrôle doit consister davantage à aider les
Etats à atteindre ces objectifs, qu'à les sanctionner au motif de leur incapacité
ou de leur indigence. En conséquence, la protection de ces droits repose
principalement sur l'investigation.
En revanche, le respect et la garantie des droits civils et politiques
n'impose pas aux Etats une action difficile et de longue haleine, mais une simple
tâche de préservation. De plus, la violation d'un droit de cette nature est
aisément déterminable puisqu'il est porté atteinte à une prérogative préexistant
à la violation, tandis qu'il est plus difficile de cerner la violation d'un droit
économique ou social, droit potentiel et à développer bien plutôt que droit
déjà existant. C'est pourquoi la protection des droits civils et politiques (B)
repose sur la mise en accusation de l'auteur de leur violation.

(86) Cf. supra, § n° 18.


LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 351

36. — La protection par investigation, organisée par le P.Ld.é.s., est


effectuée au moyen de rapports dont il faut dire qui les examine, quel est l'objet
de l'examen, et quelle est sa portée.
37. — Le Conseil économique et social de l'O.N.U. est l'organe
principalement et normalement chargé de l'examen des rapports, qui lui sont transmis
par le Secrétaire général (art. 16-2-a). Mais les institutions spécialisées sont
également compétentes pour y procéder quand les rapports (transmis par le
même intermédiaire) émanent d'Etats qui en sont membres, et à condition
qu'ils aient trait à des questions relevant de leur compétence (art. 16-2-b).
38. — Le Conseil est amené à examiner deux catégories de rapports.
D'une part il s'agit de ceux que les Etats parties s'engagent à présenter, par
étapes et selon un programme que le Conseil établira, « sur les mesures qu'ils
auront adoptées et sur les progrès accomplis en vue d'assurer le respect des
droits reconnus dans le Pacte » (art. 16-1). Ils peuvent faire connaître les
facteurs et difficultés empêchant les Etats de s'acquitter pleinement des
obligations prévues au Pacte. Si les parties ont déjà eu l'occasion d'adresser à
l'O.N.U. ou à l'une de ses institutions spécialisées des renseignements relatifs
à ces progrès, il suffit d'y faire référence dans les rapports (art. 17-2 et 3).
D'autre part, il s'agit des rapports émanant des institutions spécialisées
et relatifs aux progrès accomplis quant à l'observation des dispositions du
Pacte, dans les domaines relevant de la compétence des institutions
spécialisées. Comparés aux précédents, ces rapports ont un caractère subsidiaire,
puisqu'ils ne seront présentés au Conseil que dans la mesure où celui-ci
conclura à cet effet des « arrangements » avec les institutions spécialisées (art.
18).
39. — Cet examen par le Conseil peut avoir plusieurs suites,
concurremment
Tous les rapports peuvent être envoyés à la Commission des droits de
l'homme aux fins d'étude et de recommandation d'ordre général ou pour
information» (art. 19), et, par la suite, les Etats parties et les institutions
spécialisées intéressées peuvent présenter au Conseil des « observations » sur toute
recommandation d'ordre général faite par la Commission (art. 20).
Le Conseil peut porter à l'attention des autres organes de l'O.N.U., de
leurs organes subsidiaires, et des institutions spécialisées s'occupant de
fournir une assistance technique, toute question soulevée par les rapports et
pouvant aider ces organismes à se prononcer sur « l'opportunité de mesures
internationales propres à contribuer à la mise en œuvre efïective et progressive du
présent Pacte » (art. 22) ; mesures qui « comprennent notamment la conclusion
de conventions, l'adoption de recommandations, la fourniture d'une assistance
352 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

technique et l'organisation, en liaison avec les gouvernements intéressés, de


réunions régionales et de réunions techniques aux fins de consultation et
d'études» (art. 23).
Le Conseil peut présenter « de temps en temps » à l'Assemblée générale
des rapports contenant « des recommandations de caractère général » et un
résumé des renseignements contenus dans les rapports examinés par le
Conseil (art. 21).
40. — Cette description volontairement sèche appelle quelques remarques.
D'abord, on constate que le contrôle, effectué concurremment par l'O.N.U.
et par ses institutions spécialisées, est le fait d'organes politiques, car ils sont
tous composés de représentants d'Etats, siégeant et se prononçant en tant que
tels. Ensuite, on observe que le contrôle n'est pas laissé aux Etats parties et se
surveillant mutuellement, mais qu'il est dévolu à des organisations et à des
organes dont la composition est tout à fait indépendante de la participation au
Pacte. C'est, en réalité, la société internationale qui exerce un droit de regard.
Ce système étonne quand on sait à quel point les Etats répugnent à se laisser
mettre sans contrepartie en observation. Il est moins surprenant quand on
observe que le Pacte ne vise pas tant à instaurer un contrôle des Etats ou une
protection des droits économiques et sociaux, qu'à être le moyen pour les
Etats parties de bénéficier d'une assistance internationale.
Il est clair que ces derniers ne seront pas soumis à une quelconque
contrainte. Le Pacte reste vague quant à la teneur des rapports à présenter au
Conseil économique et social, auquel il appartiendra d'être assez exigeant
quant à leur contenu et à leur périodicité si l'on veut éviter qu'ils soient
inutiles. Il est en outre permis de douter de la portée effective des investigations
effectuées par le Conseil et par la Commission des droits de l'homme, dont les
membres ne manquent ni de compétence ni de bonne volonté, mais ne cessent
d'être surchargés. Surtout, il est manifeste que les examens de rapports ne
conduiront ni à des condamnations, ni même à des mises en garde, puisque les
« recommandations » du Conseil et celles de la Commission des droits de
l'homme seront « d'ordre général » ou de « caractère général » (art. 19 à 21) ,
et n'aboutiront qu'à des propositions en faveur d'une action internationale
bénéficiant aux Etats parties (art. 22 et 23) .
En d'autres termes, le Pacte ne donne à l'O.N.U. ou à ses institutions
spécialisées aucun moyen d'action ou de pression directe sur un Etat partie
négligeant d'exécuter ses obligations. Tout au plus peut-on obtenir de lui
qu'il indique en quoi et pourquoi il les exécute mal ou ne les exécute pas,
pour suggérer, en termes d'ailleurs généraux, des solutions qui lui permettent
de mieux les exécuter ensuite. Sans doute peut-il en résulter des conséquences
non négligeables au profit des droits économiques et sociaux, notamment dans
les pays en développement. Mais ce système ne peut pas permettre d'aboutir
à une protection des droits chaque fois que l'absence de leur mise en œuvre
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 353

résulte, non pas du sous-développement, mais de la mauvaise volonté, de la


négligence, ou de l'arbitraire de l'Etat.
En définitive, il est à craindre que le Pacte ne contribue que
modestement à l'épanouissement des droits économiques et sociaux, et qu'il ne puisse
permettre une action internationale de protection en cas de violation. A cet
égard, le P.i.d.c. s'en distingue, car il peut avoir des résultats plus tangibles et
plus effectifs, bien que limités.

— B —

41. — Son entrée en vigueur doit normalement conduire à une protection


des droits civils et politiques grâce à la mise en accusation de l'Etat y ayant
porté atteinte. Il ne prévoit pourtant aucun mécanisme juridictionnel de
garantie, malgré quelques propositions contraires (87). Si l'on a préféré un
système plus souple et moins spectaculaire, ce n'est pas seulement afin de ne
pas effaroucher les Etats ayant habituellement peu de sympathie pour la
juridiction internationale (l'Union soviétique et les démocraties populaires,
entre autres), mais aussi parce que l'on a pu s'inspirer d'un mécanisme ayant
déjà beaucoup fonctionné et de façon satisfaisante : la Commission
européenne des droits de l'homme (88). Celle-ci a servi de modèle à l'occasion de
diverses tentatives de protection internationale des droits effectuées dans des
cadres régionaux, en Amérique (89) et en Afrique (90), ou dans un cadre
plus large et presque universel (91).
(87) Le représentant de l'Australie à la Commission des droits de l'homme avait proposé,
en 1947, que soit instituée une Cour internationale des droits de l'homme ouverte tant aux
Etats qu'aux individus et aux groupements privés (cf. H. Lauterpacht, op. cit., p. 84).
(88) Cf. principalement, R.J. Dupuy, La Commission européenne des droits de l'homme,
A.F.D.I., 1957, p. 449 et suiv. ;Juris-classeurs de droit international, fasc. 155 F ; La protection
internationale des droits de l'homme dans le cadre européen, Annales de la Faculté de Droit
de Strasbourg, 1961 ; P. Reuter, Organisations européennes, p. 119 et suiv.
(89) Le Conseil interaméricain des juristes acheva l'élaboration, en été 1959, d'un projet
de Convention panaméricaine pour la protection des droits de l'homme (dont le texte est
reproduit dans la Revue de la Commission internationale des Juristes, vol. IV, 1962-1963,
p. 172 et suiv.). Ce projet fut examiné par la Conférence interaméricaine extraordinaire
(novembre 1965) qui décida (résolution XXIV) que son élaboration serait poussée plus avant.
Dans son état actuel, le projet est très similaire à la Convention européenne des droits (cf.
F.V. Garcia-Amador, The Inter-American system, 1966, p. 39 et suiv.).
(90) Un congrès de juristes africains relatif à la primauté du droit (Lagos, janvier 1961),
a envisagé l'élaboration d'une convention panafricaine des droits de l'homme comportant un
mécanisme de protection des droits (Cf. Revue de la Commission internationale des juristes,
vol. IV, 1962-1963, p. 172 ; K Vasak, De la convention européenne à la convention africaine
des droits de l'homme, R.J.P.O.M., 1962, p. 59 et suiv.). Restée jusqu'à présent sans suite,
l'idée a été reprise par le congrès des juristes africains francophones (Dakar, janvier 1967),
mais sans que son commencement d'exécution ait été envisagé (cf. Bulletin de la Commission
internationale des juristes, 1967, n° 29, p. 16); cf. K. Vasak, Les droits de l'homme et
l'Afrique2, (pour
n° p. 273une
et suiv.
convention africaine des droits de l'homme). Rev. juridique et politique, 1967,
(91) II faut mentionner le Protocole de l'U.N.E.S.C.O. du 10 décembre 1962 instituant une
Commission de conciliation et de bons offices pour régler les différends entre les Etats parties
à la Convention du 8 décembre 1960 concernant la lutte contre les discriminations dans le
domaine de l'enseignement. Ce texte {Yearbook on human rights, 1962, p. 398) , prévoit
l'institution d'un organe plus perfectionné que celui prévu par le P.i.d.c. et assez proche de la
Commission européenne des droits.

24
354 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

Toutefois, les rédacteurs du P.i.d.c. ont dû tenir compte des vives


resistances que certains Etats opposent aux tentatives de contrôle international,
et harmoniser des points de vue plus nombreux et plus divergents que dans
le cadre du Conseil de l'Europe. C'est pourquoi le système finalement institué
par le Pacte constitue un compromis et comporte des traits originaux.
Ils apparaissent moins dans le statut de l'organe chargé d'assurer la
protection internationale des droits, que dans les moyens variés dont il dispose
pour y parvenir.
42. — La protection des droits est confiée à un organe qui a pour
caractéristiques d'être une émanation des Etats parties au Pacte, tout en étant
indépendant d'eux.
Un « Comité des droits de l'homme ■», réunissant dix -huit membres, est
élu par les Etats parties sur une liste dressée par le Secrétaire général de
l'O.N.U., transmise aux parties, et qui comprend toutes les personnes
présentées par celles-ci, chacune d'entre elles présentant deux personnes devant
être de ses ressortissants. L'élection a lieu au scrutin secret, au cours d'une
réunion des Etats parties convoquée par le Secrétaire général, où le quorum
est constitué par les deux tiers des parties, l'élection ayant lieu à la majorité
absolue des Etats présents et votants, chacun ayant une voix (92) (93). Les
membres sont élus pour quatre ans (94), et rééligibles s'ils sont à nouveau
présentés. Il est précisé, pour éviter des déséquilibres dans la composition du
Comité, que l'on peut élire plus d'un ressortissant d'un même Etat, et qu'il doit
être tenu compte d'une répartition géographique équitable et de la
représentation des diverses formes de civilisation ainsi que des principaux systèmes
juridiques.
L'indépendance du Comité est à la fois organique et fonctionnelle. D'une
part, ses membres siègent à titre individuel, et ils sont élus ès-qualités
puisqu'ils « doivent être des personnalités de haute moralité et possédant une
compétence reconnue dans le domaine des droits de l'homme » (art. 28-2) .
Dans le même esprit, ils sont tenus, avant d'entrer en fonctions, de prendre
en séance publique l'engagement solennel de s'acquitter de leurs fonctions en
toute impartialité et en toute conscience. D'autre part, leur indépendance
fonctionnelle est assurée : d'abord par la liberté laissée au Comité d'élire son
bureau (pour deux ans) et d'établir son règlement intérieur, le Pacte précisant
seulement que les décisions sont prises à la majorité des membres présents,
le quorum étant de douze membres ; ensuite par le fait que l'O.N.U., et non
pas les Etats parties, fournit au Comité ses moyens de fonctionnement (locaux

(92) II n'est pas utile de donner des détails relatifs aux délais de la présentation par les
Etats, et aux délais de l'élection (cf. art. 30-1 et 2).
(93) Les règles relatives au remplacement des membres en cas de vacance sont
pratiquement identiques (cf. art. 33).
(94) Après la première élection, le mandat de neuf des membres du Comité, désignés par
tirage au sort, expire au bout de deux ans (art. 32).
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 355

et autres moyens matériels) et même les émoluments de ses membres, dans


des conditions précisées par l'Assemblée générale ; enfin, par les dispositions
de l'art. 43 spécifiant que les membres du Comité et ceux des commissions de
conciliation ad hoc, qui seront étudiées plus loin, ont droit aux facilités,
privilèges et immunités reconnus aux experts en mission pour l'O.N.U., tels qu'ils
sont énoncés par la Convention sur les privilèges et immunités des Nations
Unies.
Ceci permet de considérer le Comité comme un organe subsidiaire de
l'O.N.U., bien qu'elle n'ait aucune influence sur sa désignation. Mais le Comité
exécute une mission définie par l'Organisation et répondant à ses buts. Il
participe donc à la fois de la volonté des Etats parties au Pacte et de celle des
Nations Unies.
43. — Les dispositions que l'on vient de décrire suscitent deux catégories
d'observations. Tout d'abord, on constate que le mode de désignation du
Comité et sa composition en font un organe qu'on ne peut considérer comme
étant politique, car il n'exprime pas la volonté des Etats. Parce que les
membres sont élus et siègent à titre individuel, mais aussi parce que leur nombre
(dix-huit) est inférieur au nombre minimum d'Etats parties (trente-cinq), il
est impossible de voir dans le Comité un représentant des parties. A cet égard,
le statut du Comité représente un progrès par rapport à celui de la
Commission des droits de l'homme, dont on sait qu'elle est composée de délégués des
Etats membres de l'O.N.U. (95).
On remarque, ensuite, que les Etats parties ont pourtant la haute main
sur sa composition. Des propositions en sens contraire avaient cependant été
faites, qui tendaient à confier l'élection soit à la C.I.J., soit à l'Assemblée
générale (96). On avait aussi suggéré que, quel que soit l'organe électeur, il
puisse choisir des personnes qui ne soient pas des ressortissants des Etats
parties ((97). Cette solution aurait permis d'accentuer l'indépendance du
Comité et de confier la protection des droits à une autorité nettement
distincte des parties. Nous savons que c'est le système retenu pour
l'application du P.i.d.é.s., puisque la mise en œuvre des droits y est dévolue à l'O.N.U.
elle-même et à ses organes. Ici, au contraire, les Etats parties restent entre
eux, si l'on peut dire, aucun Etat non partie ne détenant un droit de regard
sur la protection internationale des droits énoncés par le P.i.d.c, du moins par
le biais de la désignation du Comité. Nous allons voir, en décrivant les moyens
d'action du Comité, qu'ils ne permettent pas davantage à l'O.N.U. en tant que
telle, ou à des Etats non parties au Pacte, d'avoir une influence sur la
protection des droits.

(95) Beaucoup ont vu dans cette composition un facteur d'affaiblissement de la


Commission (cf. H. Lauterpacht, op. cit., p. 65 et suiv.).
(96) Ce problème était lié à d'autres : à ceux de savoir si l'organe serait ou non
permanent ; s'il serait un organe principal ou un organe subsidiaire de l'O.N.U.; cf. R. Cassik,
op. cit., p. 339 et suiv. ; Draft international covenants..., op. cit., p. 28 et suiv.
(97) Cf. les références citées passim.
356 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

44. — Trois moyens d'action sont prévus dans le Pacte. Le premier est
laissé à l'initiative du Comité, et il permet une information. Le second est à
l'initiative des Etats parties et il conduit à une accusation. Le troisième est à
l'initiative des individus placés sous la juridiction des Etats parties, et il aboutit
également à une mise en accusation.
45. — Dans le délai d'un an à compter de l'entrée en vigueur du Pacte,
et, ensuite, chaque fois que le Comité le demandera, les Etats parties devront
lui présenter, par l'entremise du Secrétaire général, des « rapports sur les
mesures qu'ils auront arrêtées et qui donnent effet aux droits reconnus dans
le présent Pacte et sur les progrès réalisés dans la jouissance de ces droits »,
étant précisé que les rapports devront indiquer « les facteurs et les difficultés »
qui affectent la mise en œuvre des dispositions du Pacte (art. 40-1 et 2) .
La présentation des rapports au Comité aboutit seulement à des
informations et à des échanges d'observations. Le Comité peut transmettre les rapports
aux institutions spécialisées, dans la mesure où ils ont trait à leur domaine de
compétence. Il peut aussi les transmettre, accompagnés de ses observations
« générales » et « appropriées » au Conseil économique et social, mais il n'est
pas précisé si ces instances sont compétentes pour y donner une quelconque
suite, ou pour prendre position à leur sujet. Par ailleurs, le Comité « étudie »
les rapports pour en élaborer d'autres à son tour, qui seront adressés aux
parties, accompagnés de « toutes observations générales qu'il jugerait
appropriées », les Etats pouvant, en retour, présenter au Comité des « commentaires »
sur ces observations.
On constate que ces dispositions sont assez vagues. La plus grande latitude
est laissée au Comité pour décider un calendrier de présentation des rapports
et préciser quels devront être les principaux éléments de leur contenu. En
outre, il semble qu'ils n'auront d'autre résultat que celui de permettre au
Comité d'être informé afin de pouvoir émettre des suggestions, ou formuler
des remarques d'ensemble relatives, par exemple, au contenu de telle ou
telle législation, à ses imperfections ou à ses lacunes, mais non pas à une
violation des droits dans tel ou tel cas précis. Ce moyen d'action est donc
assez similaire à celui prévu dans le P.Ld.é.s. (98) . Mais il est moins énergique,
pour deux raisons. D'une part on n'indique pas que les rapports puissent
donner lieu à des « recommandations ». D'autre part ils sont plus confidentiels que
ceux imposés par le P.i.d.é.s. puisqu'ils ne sont pas obligatoirement soumis à
l'examen du Conseil économique et social, et qu'il n'est pas prévu que
l'Assemblée générale puisse être amenée à en connaître (99). Dans ces conditions, il
est permis de douter de la portée pratique de ce premier moyen d'action.
46. — Le second a l'avantage, sur le précédent, de permettre au Comité
de se prononcer sur des atteintes précises aux droits énoncés dans le Pacte, en

(98) Cf. supra, §§ n<" 37 à 39.


(99) Cf. infra, note 102.
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 357

agissant sur le fondement d'une accusation portée par un Etat partie contre
un autre. La procédure consécutive à l'accusation comporte trois phases, dont
les deux dernières sont assorties de conditions très restrictives.
— La première est une phase de négociations directes entre Etats. Si un
Etat partie estime qu'un autre n'applique pas les dispositions du Pacte, « il
peut appeler, par communication écrite, l'attention de cet Etat sur la
question ■». Trois mois après réception de la communication, son destinataire fera
parvenir à son auteur toutes explications pouvant élucider la question, telles
que des indications sur ses règles de procédure, ou bien sur les moyens de
recours déjà utilisés, en instance, ou encore ouverts. Si la question n'est pas
réglée à la satisfaction des Etats en cause dans les six mois à compter de la
date de réception de la communication, chaque Etat peut unilatéralement
saisir le Comité. Mais la saisine est subordonnée à deux conditions. En effet, si le
Comité est compétent pour
« recevoir et examiner des communications dans lesquelles un Etat partie
prétend qu'un autre Etat partie ne s'acquitte pas de ses obligations au titre
du présent Pacte» (art. 41-1),
c'est à condition : d'une part que l'Etat dont la communication émane et
celui qu'elle vise aient fait, auprès du Secrétaire général qui en communique
copie aux autres parties, une déclaration reconnaissant la compétence du
Comité (déclaration pouvant être retirée à tout moment, sans que le retrait ait
une incidence sur les cas dont le Comité est déjà saisi) ; et d'autre part que
dix Etats aient déjà déposé une déclaration d'acceptation de compétence, faute
de quoi le Comité ne pourra jamais examiner une affaire, même si les Etats
intéressés ont accepté sa compétence (art. 41-1 et 2) (100).
— A supposer que ces conditions soient réunies, le Comité peut être
saisi, en sorte que se déroule la seconde phase : celle de la tentative de
conciliation par le Comité. Elle n'aura lieu, toutefois, que si le Comité a constaté
que tous les recours internes disponibles ont été utilisés et épuisés «
conformément aux principes du droit international généralement reconnus >, cette
exigence étant cependant écartée lorsque les procédures de recours excèdent
« les délais raisonnables ». Dans l'affirmative, le Comité
« met ses bons offices à la disposition des Etats parties intéressés afin de
parvenir à une solution amiable de la question, fondée sur le respect des droits
de l'homme et des libertés fondamentales, tels que les reconnaît le présent
Pacte» (art. 41-1-e).
A cet effet, il examine les communications à huis clos, demande aux
intéressés tous renseignements pertinents et prend connaissance des observations
orales ou écrites formulées par leurs représentants (101) . Dans les douze mois

(100) II y a là une importante différence par rapport au système européen, puisque la


Commission européenne des droits peut être saisie par tout Etat partie à la Convention
européenne sans déclaration préalable d'acceptation de compétence.
(101) Le Pacte ne s'étend pas davantage sur la procédure devant le Comité. Il faut
prévoir qu'elle sera précisée par le règlement intérieur.
358 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

à compter du jour où il a été saisi, il présente un rapport, communiqué aux


intéressés, et dont il ne semble pas qu'il puisse être rendu public (102). Son
contenu varie en fonction des résultats de la tentative de conciliation. Si une
solution amiable a pu être trouvée, le rapport expose brièvement les faits
ainsi que la solution retenue. Dans le cas contraire, le bref exposé des faits est
accompagné des observations écrites présentées par les Etats ainsi que du
procès-verbal de leurs observations orales. En outre, la troisième phase de la
procédure peut alors s'ouvrir.
— Comme la précédente, elle est une phase de conciliation, mais elle en
diffère à deux titres : d'une part elle n'a pas lieu à l'initiative d'un seul Etat,
mais avec l'accord préalable de tous les Etats intéressés (103) ; d'autre part,
la conciliation est tentée, non par le Comité, mais par une commission ad hoc,
mettant ses
«bons offices à la disposition des Etats... afin de parvenir à une solution
amiable de la question... après avoir étudié la question sous tous ses aspects »
(art. 42-1-a et 42-7) (104).
Bien que la Commission ne soit pas nécessairement une émanation du
Comité, elle lui ressemble tant par son statut que par ses attributions. Les
cinq membres qui la composent siègent à titre individuel. Ils sont normalement
désignés par le Comité avec l'accord des Etats intéressés. Il n'est pas spécifié
qu'ils doivent être toujours membres du Comité. Ce n'est que lorsque- les Etats
sont en désaccord sur la composition de la Commission que les membres au
sujet desquels l'accord ne s'est pas fait sont élus par le Comité et parmi ses
membres, au scrutin secret et à la majorité des deux tiers (art. 42-1-b). Dans
tous les cas, les cinq membres doivent être ressortissants d'Etats ayant accepté
la compétence du Comité, à l'exception des Etats intéressés dans l'affaire (105) .

(102) Le « rapport sur ses travaux » que le Comité adresse annuellement à l'Assemblée
générale par l'intermédiaire du Conseil économique et social (art. 45) peut mentionner que
des rapports ont été envoyés par des Etats parties en application de l'art. 40, et que des
affaires ont été examinées en vertu des art. 41 et 42. Mais nous ne croyons pas qu'il puisse
décrire le contenu des rapports fournis en application de l'art. 40, ou celui des rapports
émanant du Comité. De toute évidence, on a voulu écarter, pour des raisons politiques, les Etats
non « intéressés », c'est-à-dire, selon le cas, soit non parties au Pacte, soit étrangers à une
affaire.
(103) C'est, du moins, ce que nous pensons pouvoir déduire d'un texte obscur : « Le Comité
peut, avec l'assentiment préalable des Etats parties intéressés, désigner une commission
de conciliation ad hoc... » (art. 42-1-a) . L'assentiment préalable est-il nécessaire seulement
pour la désignation des membres de la commission, auquel cas la décision de recourir à elle
ne dépendrait que du Comité ; ou bien est-il nécessaire pour prendre cette décision ? Nous
inclinons en faveur de la seconde hypothèse, car elle est la plus conforme à l'esprit du Pacte,
qui laisse à l'Etat l'initiative de la procédure de conciliation.
(104) Ce deuxième degré de la conciliation différencie nettement le P.i.d.c. de la
Convention européenne des droits, qui organise deux instances postérieures à celle ayant lieu devant
la Commission européenne des droits, dont l'une est politique puisqu'elle se déroule devant
le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, et l'autre juridictionnelle puisqu'ayant lieu
devant la Cour européenne des droits de l'homme. La seconde instance prévue par le Pacte
n'est assimilable à aucune de celles-ci.
(105) Cette clause peut s'avérer inapplicable. Il faut supposer le cas où, d'une part dix
Etats seulement (le nombre minimum) ont accepté que cette procédure fonctionne, et où,
d'autre part, les Etats intéressés ne sont d'accord sur aucun des cinq membres appelés à
composer la commission ad hoc. Dans cette hypothèse, les cinq membres de la Commission
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 359

La Commission bénéficie des mêmes immunités et des mêmes facilités de


travail que le Comité (art. 42-3 à 6, 9 et 10). Comme lui, elle utilise les
renseignements et observations écrites ou orales émanant des Etats intéressés
(art. 42-6 et 42-7-c combinés).
Douze mois après qu'elle ait été saisie, elle doit remettre au président du
Comité un rapport, ensuite transmis aux intéressés, et dont le contenu est
fonction des résultats auxquels elle a pu parvenir. Si l'examen de la question
n'est pas achevé, le rapport indique jusqu'à quel point la Commission y a
procédé et, semble-t-il, la procédure s'arrête là. Si une solution a pu être
trouvée, le rapport indique brièvement les faits et la solution. Mais (et c'est
sur ce point que le rapport de la Commission diffère nettement de celui du
Comité dans la même hypothèse), si l'on n'a pu parvenir à un règlement
amiable de l'affaire, le rapport contient, outre le rappel des faits et les
observations écrites ainsi que le procès-verbal des observations orales des
intéressés, les conclusions de la Commission « sur tous les points de fait relatifs à la
question », et ses « constatations sur les possibilités de règlement amiable de
l'affaire » (art. 42-7-c), les Etats faisant ensuite savoir au président du Comité,
dans les trois mois suivant la réception du rapport, s'ils en acceptent ou non
les termes. Cette obligation de réponse n'est aucunement sanctionnée.
Précisons, enfin, que le rapport, quel qu'en soit le contenu, ne paraît pas recevoir la
moindre publicité (106) .
47. — II est manifeste, au terme de cette rapide description, que l'on a
voulu faire du Comité et de la Commission des amiables compositeurs, ayant
pour rôle, non pas de juger un Etat à la demande d'un autre, mais de
rapprocher des points de vue divergeant quant à une appréciation de faits, ou à la
conformité au Pacte du comportement d'un Etat, ou bien encore à la conduite
qu'il devrait adopter ou aux mesures qu'il devrait décider pour ne pas ou ne
plus être dans une situation contraire aux obligations que le Pacte lui
impose. C'est pour accroître les possibilités de succès du Comité et de la
Commission qu'on leur a laissé une grande liberté dans le domaine de la procédure,
et que l'on a évité de donner une publicité gênante à leur activité et à ses
résultats. C'est dans le même but que l'on a prévu une conciliation à deux
degrés, dont la seconde a pour avantages, non seulement d'allonger la durée
de la tentative de conciliation, mais de l'entourer de conditions favorables
puisqu'elle a lieu si tous les intéressés la désirent, et qu'elle est effectuée par
un organe dont le mode de désignation lui permet d'attirer leur confiance
plus facilement peut-être que le Comité ne peut le faire. Surtout, parce que

doivent être élus par le Comité parmi huit des leurs (dix moins les deux Etats en cause).
Trouvera-t-on huit personnes qui à la fois siègent au Comité et sont ressortissants de huit
Etats ayant accepté la compétence du Comité, de façon à élire cinq d'entre elles à la
commission ? Ce n'est nullement certain. C'est pourquoi il eût été préférable de prévoir que les
membres de la commission seront des ressortissants d'Etats parties au Pacte, et pas seulement
des Etats ayant accepté la compétence du Comité.
(106) Cf. supra, note 102. On peut penser que cette discrétion est excessive.
360 ORGANISATION DES NATIONS UNIES

tant celui-ci que la Commission examinent la question « sous tous ses


aspects », ils ne sont pas liés par des données et des considérations strictement
juridiques. Leur champ de manœuvre n'en est que plus étendu, et leurs
chances de réussite plus nombreuses.
Ni politiques, ni diplomatiques, ni juridictionnels, pas même «
quasi-juridictionnels », ils apparaissent comme des organes techniques chargés de
procéder à des investigations afin de formuler des propositions de règlement. Ils
ne disposent d'aucun pouvoir de contrainte, et d'aucune compétence de
décision au fond. Leurs seuls moyens de pression sont leur autorité morale et leur
habileté. Il est possible que, en pratique, ces armes s'avèrent plus efficaces
que des pouvoirs de décision ou de jugement. Tout dépend, à cet égard, à la
fois de la nature et des circonstances de l'affaire, de l'attitude des Etats
intéressés, et de la confiance qu'ils portent au Comité et à la Commission. Mais,
dans tous les cas, la protection de l'homme reste subordonnée à l'initiative
d'un Etat dont il n'est pas ressortissant, et les efforts du Comité et de la
Commission se heurtent inévitablement au contexte (pour ne pas dire à l'ambiance)
inter-étatique dans lequel l'affaire est examinée. C'est pourquoi le troisième
moyen d'action du Comité paraît, a priori, plus perfectionné que le précédent,
car il permet d'agir sur l'initiative de l'individu qui se trouve directement
opposé à l'Etat ayant violé le Pacte à son détriment.
48. — Lors des travaux préparatoires du P.i.d.c, les discussions furent
vives sur le point de savoir s'il y avait lieu de donner compétence à un organe
international pour examiner les requêtes individuelles (107). Les oppositions
ayant été nombreuses et souvent catégoriques, on tourna la difficulté en
élaborant le Protocole facultatif complémentaire qui prévoit ce moyen d'action,
pour permettre aux Etats qui lui sont favorables de s'y rallier, sans détourner
les Etats qui lui sont hostiles de devenir parties au Pacte (108). Pourtant,
force est de constater, non sans regret, que les dispositions du Protocole ne
contiennent rien qui puisse effrayer un Etat.
Le Comité est, aux termes du Protocole, compétent pour
, «recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant
de sa (de l'Etat partie au Protocole) juridiction qui prétendent être victimes
> d'une violation, par cet Etat partie, de l'un quelconque des droits énoncés
dans le Pacte» (art. 1) (109),

mais l'examen des communications ne peut avoir lieu que si plusieurs


conditions sont réunies.

(107) La tendance dominante fut longtemps hostile aux requêtes individuelles (cf. Draft
international covenants..., op. cit., pp. 239-241 ; R. Cassin, op. cit., p. 343 et suiv.) .
(108) D'autres projets de conventions multilatérales élaborées sous l'égide de l'O.N.U.
sont accompagnés d'un protocole facultatif complémentaire ; par exemple les conventions de
1958 sur le droit de la mer, le protocole étant relatif au règlement obligatoire des différends;
sur l'utilisation et les avantages de cette technique, cf. Y. Daudet, op. cit., p. 452 et suiv.
(109) Ecarter le mot « requête » pour lui préférer celui de « communication > sous-entend
que le Comité n'est pas chargé d'une tâche juridictionnelle.
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 361

La première est que le Protocole soit en vigueur, ce qui suppose que dix
Etats parties au Pacte l'aient ratifié ou y aient adhéré (110) . Ensuite, la
communication doit intéresser un Etat partie au Protocole, et émaner de
particuliers relevant de sa juridiction (111). En troisième lieu, sa recevabilité est
subordonnée à plusieurs conditions. La communication doit être écrite,
désigner son auteur, ne pas constituer un abus de droit et n'être pas
incompatible avec les dispositions du Pacte. Enfin, il est nécessaire que les recours
internes disponibles aient été épuisés, sauf si les procédures de recours
« excèdent des délais raisonnables », et qu'aucun recours international parallèle
ne soit pendant (112) .
La procédure est écrite. La communication est transmise à l'Etat intéressé
pour que, dans les six mois qui suivent, il soumette par écrit au Comité « des
explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas
échéant, les mesures qu'il pourrait avoir prises pour remédier à la situation »
(art. 4-2). Au vu des informations éventuellement fournies par l'Etat et de
celles, également écrites, soumises par le particulier, le Comité examine à
huis clos les communications émanant de ce dernier. Ensuite, et sans être cette
fois tenu de respecter un délai, le Comité « fait part de ses constatations à
l'Etat partie intéressé et au particulier » (art. 5-4) . Rien de plus !
Ce n'est guère. Il n'est plus question des « bons offices » du Comité aux
fins de « conciliation ». Celui-ci se borne à une étude sur pièces conduisant à
émettre une opinion confidentielle qui ne s'extériorise même pas dans un
rapport relatif à l'affaire (113), et qui est dépourvue de portée juridique. A
supposer, en effet, que le Comité se livre à des « appréciations », bien que le
Protocole lui permette plus pudiquement des « constatations », elles n'ont en
principe d'autre portée que morale, puisque l'Etat intéressé n'est pas tenu d'y
donner suite d'une façon ou d'une autre, et qu'aucune instance, de quelque
nature que ce soit, n'intervient après l'examen de l'affaire par le Comité (114) .
En d'autres termes, non seulement le Comité ne tranche pas un différend entre
l'Etat et le particulier, mais il n'est pas même habilité à faciliter son règlement
en suggérant ou en recommandant une solution. Dans ces conditions, on voit
mal quel intérêt sa saisine présente pour le particulier, et l'on ne comprend
pas que cette éventualité ait pu inquiéter plusieurs Etats.

(110) Cf. supra, § n° 15.


(111) Cette disposition permet que des communications soient présentées par des étrangers
placés sous la juridiction de l'Etat intéressé, ce qui est normal puisque le Pacte leur reconnaît
des droits (en matière de défense et d'expulsion, notamment).
En revanche, il n'est pas indiqué que des communications puissent être présentées au nom
de groupements, car le Pacte vise « les particuliers » ou « le particulier », sous-entendant
ainsi que le ou les particuliers doivent se prévaloir d'un intérêt personnel, et non pas agir
pour un intérêt collectif. Toutefois, il est précisé que le Protocole n'apporte aucune restriction
au droit de pétition accordé aux peuples coloniaux par la Charte ou par d'autres conventions
et instruments internationaux conclus sous les auspices de l'O.N.U. ou de ses institutions
spécialisées (art. 7).
(112) Ces conditions constituent un minimum difficilement contestable. Il est à noter
qu'aux termes de la Convention européenne des droits, l'exercice du droit de requête indivi-
362: ORGANISATION DES NATIONS UNIES

CONCLUSION

49. — Plus généralement, il apparaît que, si ambitieuse qu'ait été l'œuvre


des Nations Unies, elle ne répond pas aux espoirs que l'on avait pu placer
en elle.
Certes, il est satisfaisant pour l'esprit de constater qu'une reconnaissance
internationale et presque universelle des droits, plus large et plus complète
à beaucoup d'égards que celles qui l'avaient précédée, pourra être dotée d'une
force juridique obligatoire, et source d'obligations juridiques positives. Mais
pour que le système soit parfait, il conviendrait que celles-ci soient assorties de
sanctions, et que la reconnaissance internationale des droits s'accompagne
d'une protection internationale véritable, qui ne peut être telle que si elle
comporte des moyens de contraindre les Etats. Nous avons constaté que les
Pactes et le Protocole n'en prévoient pas. D'aucuns estimeront, sans doute,
qu'il aurait fallu, à cette fin, laisser place à des mécanismes juridictionnels de
contrôle et de sanction. Il est patent que les rédacteurs ont pris grand soin de
les écarter (115). A vrai dire, ils ne sont pas indispensables, et l'expérience
prouve que d'autres permettent d'aboutir à des résultats non négligeables
(116). Mais encore faut-il qu'ils existent autrement que dans des textes dont
la longueur trompeuse ne dissimule pas la pauvreté de la substance. Dès lors,
on peut se demander si les Pactes et le Protocole entreront un jour en
vigueur. Deux catégories de raisons portent à répondre par la négative.
D'une part, les conditions de leur entrée en vigueur ne sont pas faites,
nous l'avons vu, pour la favoriser (117). Quand on constate que des projets
de conventions multilatérales, pourtant moins sujets à controverses que les
Pactes et plus facilement applicables, ont attendu plusieurs années avant

duelle est subordonné à l'acceptation expresse, par les Etats intéressés, de la compétence de
la Commission européenne pour en connaître.
(113) II est précisé (art. 6), que le Comité inclut dans son rapport annuel un résumé de
ses activités au titre du Protocole, ce qui nous semble signifier que le Comité peut mentionner
les affaires dont il eut à connaître, mais sans préciser quels en furent les éléments. Il est vrai
que rien n'empêche le particulier de donner toute publicité aux « constatations » du Comité.
(114) Par suite, le système organisé par le Pacte et son Protocole complémentaire est
très inférieur à celui régi par la Convention européenne des droits.
(115) II est à cet égard significatif que la C.I.J. n'intervienne nulle part, malgré des
propositions contraires faites lors des travaux préparatoires, et tendant à autoriser le Comité
à demander au Conseil économique et social de solliciter un avis de la Cour sur toute
question juridique se posant à lui (cf. Draft international covenants..., op. cit., p. 263 ; R. Cassin,
op. cit., p. 349) . Pourtant, cette possibilité a été reconnue à la Commission de conciliation
prévue dans le protocole de l'U.N.E.S.C.O. du 10 décembre 1962 (cf. supra, note 91).
(116) On a souvent souligné la supériorité de la Commission européenne des droits sur la
Cour européenne, dont le passé et l'avenir laissent assez sceptique (cf. H. Rolin, Has the
European Court of human rights a future ?, dans Howard Law Journal, op. cit., p. 463 et suiv.) .
(117) Cf. supra, § n° 15. Dans son rapport pour l'année 1967, le Secrétaire général a lancé
un pressant appel aux Etats afin qu'ils ratifient ces instruments (cf. Chron. mensuelle de
VO.N.U., 1967, n° 9, p. 131) .
LES PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME 363

d'entrer en vigueur ou n'y sont pas encore parvenus, on peut douter de


l'avenir de ceux-ci (118) .
D'autre part surtout, de deux choses l'une. Ou bien les Etats sont
résolument hostiles à une protection internationale des droits de l'homme, de sorte
que l'on doit exclure qu'ils deviennent parties aux Pactes. Ou bien ils y sont
favorables, mais, pour cette raison, ils se sont déjà soumis (ou paraissent
disposés à se soumettre) à des systèmes de protection présentant au moins
autant de qualités, sinon davantage, que les Pactes, qu'il s'agisse de systèmes
régionaux intéressant plusieurs droits, ou de systèmes plus universalistes
concernant tel ou tel droit (119) . Pour eux et pour les individus soumis à leur
juridiction, les Pactes ne présentent pas d'intérêt et ils pâtiront de leur
indifférence. Les rédacteurs avaient sans doute présente à l'esprit cette
éventualité lorsqu'ils ont écrit, en substance, que les Pactes ne modifient en rien
ce qui existe déjà pour le développement et la protection internationaux des
droits de l'homme (120).
Pourtant, on ne peut nier qu'est remarquable l'effort d'une organisation
internationale aussi complexe et diversifiée que l'O.N.U., ayant permis
d'établir des textes qui, si déficients soient-ils, constituent néanmoins les premiers
projets de conventions internationales à vocation universelle pour la
reconnaissance et la protection des droits de l'homme. S'il devait ultérieurement
apparaître que cet effort est voué à rester sans lendemain, il faudrait en
conclure que l'accord qu'il permit n'était que provisoire, et qu'aucun accord
général et durable sur les droits de l'homme n'est possible tant qu'il n'y en a
point sur l'homme.
Eté 1967.

(118) Par exemple, la convention de décembre 1966 sur l'élimination de toutes les formes
de discrimination raciale, qui subordonne son entrée en vigueur à vingt-sept ratifications ou
adhésions, n'en avait fait l'objet que de dix en avril 1967. La convention de Vienne de 1963 sur
les relations consulaires n'entra en vigueur qu'en mars 1967, quand furent obtenues les vingt-
deux ratifications ou adhésions nécessaires.
En revanche, l'absence d'interdiction de réserves peut attirer plusieurs Etats et être un
facteur d'extension des Pactes et du Protocole, mais au risque de porter atteinte à leur
intégrité et de les dénaturer si les réserves sont nombreuses ou importantes.
(119) Cf. supra, notes 19, et 88 à 91.
(120) P.i.dés., art. 24 ; P.i.d.c, art. 44. En d'autres termes, les Pactes constituent le droit
commun.

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