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"In the country of the Kobolds": Walter Benjamin as Proust's Translator
How does Benjamin's unfinished translation of "Remembrance" (partly with Franz Hessel) clarify "The Task of the Translator" ?
Comparison with the only other-complete-German version does justice to both Benjamin's work and theoretical coherence.
Kahn Robert. « Au pays des Kobolds » : Walter Benjamin traducteur de Marcel Proust. In: Littérature, n°107, 1997. Récits
anterieurs. pp. 44-53;
doi : https://doi.org/10.3406/litt.1997.1587
https://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1997_num_107_3_1587
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44
LITTÉRATURE
n° 107 oct. 97 ^1 Walter
dillac, Paris,
Benjamin
Denoël,: Mythe
Gesammelte
1971, p.et 89.
violence,
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« SurII, le1,langage
Frankfurt/M,
en général...
Suhrkamp,
», trad,1977,
française
p. 140-157.
par Maurice de Gan-
BENJAMIN TRADUCTEUR DE PROUST ■
n'était pas besoin de se battre avec la valeur de communication des mots. » (3)
Or, le véritable héros de la Recherche n'est-il pas le nom ? Dans une esquisse de
Du côté de chez Swann, ébauche de la grande rêverie sur la toponymie, Proust
avait écrit cette phrase qui aurait tant plu à Benjamin : « Les noms parce qu'ils
sont l'asile des rêves sont les aimants du désir. » (4) Ce caractère cratyléen du
nom (qui n'est certes qu'une étape dans la quête de l'anonyme Narrateur), ce
refus de « l'arbitraire du signe », héritage, pour ce qui concerne Benjamin, des
théories linguistiques de la kabbale via le romantisme allemand (5), nous semble
rapprocher de manière décisive le romancier français et son traducteur, avant
même qu'ait lieu la première lecture. Proust lui-même a d'abord été le
traducteur inspiré de Ruskin. L'essentiel est la conviction, sans cesse réaffirmée, que le
langage n'est pas « communication » au sens instrumental du terme, que la
nomination correspond à une présence réelle du divin ou de la transcendance. La
quête semble échouer, les villes réelles déçoivent, mais pour le lecteur, la Balbec
imaginaire est pour toujours « entrée dans la série des siècles. » (ô) Le nom est la
trace d'une épiphanie, réelle d'avoir été imaginée. La Berliner Kindheit refera le
même parcours dans le labyrinthe.
L'essai Die Aufgabe des Ûbersetzers (7) prolonge le texte de 1916, mais il
est destiné à la publication, sert de préface à la traduction des Tableaux parisiens.
Il a beaucoup fait, d'après Gershom Scholem, pour la réputation d'«
hermétisme » de Benjamin. Il structure toute la pratique de Benjamin traducteur. La
première phrase est sans concessions : « En aucun cas, en face d'une œuvre d'art
ou d'une forme d'art, la référence au récepteur ne se révèle fructueuse pour la
connaissance de celles-ci ». (s) L'original n'étant pas adressé au lecteur, la
traduction ne peut l'être non plus.
Ce qui serait en jeu dans la traduction serait un processus de régression
vers l'avant-Babel, vers des retrouvailles avec une langue « pure », c'est-à-dire
originelle. La somme des « intentions » de toutes les langues, au-delà de leur
devenir historique serait d'atteindre cette langue pure, étant bien entendu qu'ici
« intention » ne signifie pas vouloir abstrait, mais la tension vers la formation
langagière. La traduction est donc ce qui permet à l'œuvre littéraire de se révéler
à elle-même dans son devenir-autre. Pour Benjamin, la traduction n'a donc pas
pour seul enjeu la restitution d'un ou du sens, mais a une fonction eschatologi-
que : avancer vers ce que Mallarmé (cité dans l'essai) appelait « la suprême ». Ce
que nous dit une métaphore très caractéristique de la tonalité religieuse de
l'essai : celle du vase brisé. Les langues réelles seraient autant de tessons,
complémentaires mais jamais semblables, dont le recollement donnerait une idée de
3 Walter Benjamin : Origine du drame baroque allemand, trad, par S. Muller avec le concours de A. Hirt, Paris,
Flammarion, 1985, p. 34.
4 Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, 1. 1, Paris, Gallimard, coll. « la Pléiade », 1987, p. 957. Édition
publiée sous la direction de Jean- Yves Tadié.
5 Voir Winfried Menninghaus : Walter Benjamins Théorie der Sprachmagie, Frankfurt/M, Suhrkamp, 1980.
6 Du côté de chez Swann, III, p. 378. 7 In Walter Benjamin : G. S. IV, 1, p. 9-21. LriTÉRATURE
8 Trad. Martine Broda, in Poésie, n° 55, Paris, éd. Belin, 1991, p. 150. n° 107 • ocr. 97
■ RÉCITS ANTÉRIEURS
9 Ibid., p. 156.
. * 1 0 « Le mur et l'arcade », in Nouvelle Revue de psychanalyse, n° 37, printemps 1988, Paris, Gallimard.
46 T 1 Trad- M- Broda> op- "*■> P- 157.
1 2 « Die Interlinearversion des heiligen Textes ist das Urbild oder Ideal aller Ubersetzung. » G.S. IV, 1, p. 21.
LITTÉRATURE
n° 107 ■ oct. 97 Privât,
'3 J--R-1981
Ladmiral
p. 73. «Entre les lignes, entre les langues», in Revue d'Esthétique n"l, «Walter», Toulouse,
BENJAMIN TRADUCTEUR DE PROUST ■
Par ailleurs, je suis très travailleur, tout au moins lorsque je traduis, ce qui, chose
étonnante, me devient très aisé. Pour ce faire j'ai, à vrai dire, découvert un régime
qui attire magiquement les Kobolds à mon aide et qui consiste en ceci que,
lorsque je me lève le matin, sans m'habiller, sans me passer sur les mains ou le
corps la moindre goutte d'eau, sans même boire, je me mets au travail et, avant
d'avoir achevé le pensum de la journée entière, je ne fais rien, surtout pas
prendre le petit déjeuner. Cela produit les effets les plus étranges que l'on puisse
imaginer. (21)
Une nationalité a des traits particuliers plus forts qu'une caste. Or ils se
traduisirent (22) devant moi, non par un discours où je croyais d'avance que j'entendrais
48
LITTÉRATURE 20 Walter Benjamin : Correspondance, tome 1, trad. G. Petitdemange, Paris, Aubier-Montaigne, 1979, p. 393.
n° 107 - oct. 97 21 Ibid., p. 384. 22 Nous soulignons.
BENJAMIN TRADUCTEUR DE PROUST ■
le frôlement des Elfes et la danse des Kobolds, mais par une transposition qui ne
certifiait pas moins cette poétique origine : le fait qu'en s'inclinant, petit, rouge et
ventru, devant Mme de Villeparisis, le Rhingrave lui dit : « Ponchour, Matame la
Marquise », avec le même accent qu'un concierge alsacien. (23)
min connaissait fort bien les analyses de Leo Spitzer sur « l'effet retardateur » du
style de Proust. Mais l'allemand présente cette particularité d'exiger, dans les
subordonnées, que le verbe soit placé à la fin. Le choix de la traductrice
d'essayer, autant que faire se peut, de respecter la syntaxe, lui coûtera très cher à
d'autres niveaux. Qu'en est-il de la nomination des personnages ? On rencontre,
hélas, dans la version Benjamin, un Herr von Charlus, une Frau von Guerman-
tes, etc. Il y a là, clairement, un désir de se rapprocher du lecteur qui est
contraire à la théorie même de Benjamin, piège dans lequel l'autre traduction ne
tombe pas. Boehlich a aussi reproché à Benjamin des omissions. Celles-ci sont
peu nombreuses, touchent à un phénomène qui pose problème pour les
traducteurs de Proust dans toutes les langues : l'existence de langages « auto-
référentiels » pour certains personnages. Il en va ainsi du lift de Balbec, dont
l'idiolecte disparaît en effet. Rechel-Mertens contourne la difficulté en
conservant, très « benjaminienne » sur ce point, les mots français dans le texte
allemand. Ce qui doit poser des problèmes aux lecteurs non francophones... Un
autre exemple montrera bien la difficulté de la tâche du traducteur de Proust.
Dans sa grande tirade antisémite devant le narrateur médusé, Charlus
s'écrie, à propos de Bloch : « II pourrait même, pendant qu'il y est, frapper à
coups redoublés sur sa charogne, ou comme dirait ma vieille bonne, sa carogne
de mère. » Quelques lignes plus loin, le narrateur explique la particularité de
prononciation de ce mot si lourd de sens par le "patois moliéresque" de la vieille
bonne. (29)
Fantasme de profanation de la mère, opposition entre la femme-juive et la
« vieille » et « bonne » française : sans aucun doute un des nœuds de la trame
proustienne. Benjamin traduit en jouant sur la paronymie (30), mais il élide la
remarque sur le patois moliéresque. Ce qui, d'une certaine façon, est cohérent
car le mot « carogne », forme normande ou picarde, ne peut trouver
d'équivalent en allemand, et ce n'est certes pas le moment d'interrompre la
fantasmatique élaborée par le texte en y insérant des mots français ou une note du
traducteur. Tel est le problème posé par la traduction des langues vernaculaires.
Rechel-Mertens gratifie la bonne d'un « molierisches Kauderwelsch », perdant
l'idée de patois pour celle, inexacte, d'un galimatias. Il en va de même pour
Scott Moncrieff, qui parle d'un « Moliéresque vocabulary ». Point obscur de la
traduction, le terroir, le sol. Dans ce cas, la meilleure stratégie est peut-être, en
effet, la non-traduction. Elle peut être le résultat d'une interprétation du texte,
un « sacrifice » nécessaire, qu'une machine automatique ne fera jamais.
Mais la traduction de Benjamin ne vaut pas seulement par ce qu'elle ne
traduit pas. Venons-en à ses très grandes réussites. En général, Benjamin donne
à entendre, dans la mesure du possible, et contrairement aux exemples ci-dessus,
les langages des différents personnages, voire leur humour. Françoise surprend
le narrateur et Albertine au lit et demande, faussement serviable : « Faut-il que
n° 107 - oct. 97
LITTÉRATURE 29 Le Côté de Guermantes, I, p. 584. 30 Guermantes, p. 282.
BENJAMIN TRADUCTEUR DE PROUST
fiction du sujet lui-même qui se dissout, pauvre sujet humain qui n'est que
l'illusion d'une conscience souveraine et que l'approche de la mort transforme
en un animal souffrant, qui ne signifie plus rien qu'une présence vide de sens, la
traductrice tente, par tous les moyens linguistiques à sa disposition, de rétablir
une continuité de la personne humaine. En effet, la grand-mère et la bête qui a
pris sa place peuvent toutes deux être remplacées par « elle » : « Toute cette
agitation ne s'adressait pas à nous qu'elle ne voyait pas. » Or, en allemand il faut
choisir : die Grossmutter, das Tier. Eva Rechel-Mertens fait le choix du premier
terme (39), Benjamin opte pour le second : « eine Art Tier ». (40) Le traducteur
se soucie peu, en un tel passage, de l'élégance du style, mais son respect de la
littéralité du texte lui permet d'assurer une transmission fidèle du terrible
message de Proust, qui n'est autre que la vieille parole de l'Ecclésiaste (3, 19).
De même, la crudité du désir est souvent évacuée par la version des
années cinquante. Le Narrateur nous propose ce raisonnement qui résume toute
son aventure avec Albertine :
Quelle différence entre posséder une femme sur laquelle notre corps seul
s'applique parce qu'elle n'est qu'un morceau de chair, et posséder la jeune fille qu'on
apercevait sur la plage avec ses amies, certains jours... (41)
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