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Roach Eléanor. La tradition manuscrite du Roman de Mélusine par Coudrette. In: Revue d'histoire des textes, bulletin n°7
(1977), 1978. pp. 185-233;
doi : https://doi.org/10.3406/rht.1978.1165
https://www.persee.fr/doc/rht_0373-6075_1978_num_7_1977_1165
Abstract
The verse version of the Roman de Mélusine, by Coudrette, was written ca. 1401, some ten years
after Jean d'Arras had composed his prose romance. As Coudrette himself mentions, the history
of the Lusignan family had been told in rime before ; but no manuscript of this earlier version has
been preserved. Since Francisque Michel's publication of Coudrette's romance is only the printing
of a transcription of ms Q (which is incomplete), I am preparing the first critical edition of this text.
There are twenty manuscripts of the verse romance : A Amiens, Bibl. mun. 411 ; Β Oxford,
Bodleian Library Bodley 445 ; C Cambridge, Univ. Library 1. 2. 5 ; D. and Ε Carpentras, Bibl. mun.
406 and 407 ; F. Baltimore, Walters Art Gallery W 317 ; G Grenoble, Bibl. mun. 368 ; H Paris, Bibl.
de l'Arsenal 3475 ; L London, British Library Additional MS 6796 ; M through U Paris, Bibl. nat. fr. :
M : 1458, Ν : 1459, O : 1483, Ρ : 1631, Q : 12575, R : 18623, S : 19167, Τ : 20041, U : 24383 ; V
Valenciennes, Bibl. mun. 461, and W Aberystwyth, Nat. Libr. of Wales 5030 C.
These manuscripts may be divided into two main groups : ADEHNQUV and BCFGLMOPRSTW. In
the first group, the most important manuscripts for establishing the text are D and E, but Ε was
copied by a scribe so careless that it can only be used for support and emendation, not as the
basic text. Ν appears to be copied from a manuscript practically identical with D, and yet not D
itself. U is the only manuscript which was corrected systematically. Η is too late and faulty to be of
any use in establishing the text.
In the second group, BW are the work of careful, correcting scribes who lack imagination. CGLR
and FM are manuscripts of no great merit except as witnesses to the evolution of the language.
The copyists of OT and PS borrow from both groups, though more often from the second. Ρ and S
are very likely the work of the same scribe. Τ copied the first two thousand lines from O, then
followed an exemplar of the D group.
LA TRADITION MANUSCRITE DU ROMAN DE MÉLUSINE
PAR COUDRETTE
(cf. les explicit dans les descriptions), nous ne connaissons guère que le nom.
Π a mis le roman en vers pour Guillaume Larchevêque, seigneur de Parthe-
nay, mort le 17 mai 1401. Notre versificateur ajoute que ce triste événement
est arrivé avant l'achèvement de la mise en vers, et il remercie Jean de
Mathefelon, fils de Guillaume, de lui avoir donné l'ordre de terminer son
ouvrage.
Goudrette déclare n'avoir eu aucun mérite à composer le roman, car
il avait été mis en français autrefois, et même dans une version rimée.
Il se réclame de deux livres en latin trouvés dans la Tour Maubergeon du
palais de Poitiers, traduits en français, et d'un troisième livre qui était entre
les mains du comte de Salisbury. Quant aux conjectures concernant
l'identification de ces textes et leur rapport possible avec l'œuvre de Jean d'Arras,
on consultera L. Hoffrichter, Die âltesten franzôsischen Bearbeitungen der
Melusinensage, Halle, 1928, pp. 9-13, 22-23, 29-30 ; et L. Stouff, Essai sur
Mélusine..., Paris, 1930, pp. 43-49.
Le texte du roman de Goudrette comprend sept mille vers, auxquels
s'ajoute une litanie. Nous donnons le classement des copies à la suite des
descriptions de manuscrits. Les particularités les plus curieuses de ceux-ci
sont : les reliures anciennes des manuscrits Carpentras 407 (ms. E) et
Valenciennes 461 (ms. V) ; la ressemblance des écritures des manuscrits
Bibl. nal, fr. 1631 et 19167 (mss. Ρ et S) ; et l'histoire du ms. BodUy 445
(ms. B), qui semble indiquer un transfert en Angleterre survenu très tôt.
Gomme il y a neuf manuscrits de l'œuvre de Goudrette à la Bibliothèque
nationale de Paris, nous avons été guidée, dans l'attribution des sigles, par
le désir de réserver à ces manuscrits une série continue de lettres ; ce sont
donc les manuscrits M à U. Pour les autres manuscrits, dans la mesure du
possible, le sigle correspond alphabétiquement au nom du lieu où ils se
trouvent à présent. Nous n'avons pu faire cet accord pour les manuscrits
D, E, F et H.
Pour les filigranes, nous donnons les dimensions lorsque le dessin de
Briquet ne semble pas assez proche du nôtre pour faire croire que le papier
en question soit sorti du même battoir. Gomme nous n'avons pas vu les
documents dont Briquet s'est servi, il est entendu que tous nos
rapprochements sont donnés sous réserve.
Les écritures des textes de Mélusine dans les vingt manuscrits ont
été comparées avec les planches des cinq tomes parus jusqu'à présent de
G. Samaran et R. Marichal, Catalogue des manuscrits en écriture latine
portant des indications de date, de lieu ou de copiste, Paris, t. I, 1959 ; t. II,
1962 ; t. III, 1974 ; t. V, 1965, et t. VI, 1968.
coup du ms. Angers, Bibl. mun. 548, surtout dans les deux cents vers de
la fin, qu'il cite en entier pour le manuscrit d'Angers à, partir du vers 950
de l'édition Raynaud et Foulet1. A titre de comparaison, nous citons
aussi la fin à, partir du vers 950.
Titre : Copie des lettres escriptes au Roy des Romains par mon seigneur
Philippe de Clèves par lesquelles il se declare a V entretenement de la
'
paix faicte a Bruges ou mois de mai l'an mil iiii0 iiii™ viii.
Texte inc. : Mon tres redoublé seigneur, le plus déplaisant que jamais fus puis
Titre rubriqué : Le Here des meurs et offices des nobles sur le jeu des eschez,
translaté de latin en françoys.
Prologue : A tresnoble et excellant prince Jehan de France, duc de Normandie,
ainsné filz de Philippe par la grace de Dieu roy de France, frère Jehan
du Vignay vostre petit religieux entre les autres en vostre seigneurie...
par frère Jehan de Vignay hospitalier de V ordre de St Jacques [effacé
et corrige] militaire du S. Esprit.
fî. 113-120 : Facet en français (c'est une des cinq traductions des deux
Facetus latins éditées par Morawski)1.
au fol. 118 v° : liste d'ouvrages d'une bibliothèque, d'une main du xve siècle.
Ce sont, pour la plupart, des auteurs latins classiques.
LA TRADITION MANUSCRITE DU « ROMAN DE MÉLUSINE » 199
initiales et peintures laissées en attente, des notes dans les marges, en petite
cursive du xv^ siècle, donnent des indications pour les peintures, qui
devaient être nombreuses ; les emplacements laissés en blanc sont de la
largeur d'une demi-colonne, de la hauteur d'un demi-feuillet ou plus ; reliure
du xvne siècle, veau brun, filets dorés, dos à six nerfs, portant deux G
entrelacés : chiffre de Gaston d'Orléans, pièce de titre au dos : « Noble
Methafisique ».
Cette fin est en milieu de folio ; les douze derniers vers du texte, la
litanie et Pexplicit manquent.
Possesseurs : Ce manuscrit provient de la bibliothèque de Gaston
d'Orléans, réunie à, la Bibliothèque royale en 1667 (cf. H. Omont, Anciens
inventaires et catalogues de la Bibliothèque nationale, t. 4, Paris, 1913, p. 278).
Au fol. 1 : « 7541 » (ancienne cote à la Bibl. roy.).
Bibl. mun. 396 : 1479) ; initiales (deux lignes) laissées en attente ; reliure
xvie-xvne siècle, parchemin teinté noir, dos à cinq nerfs ; titre au dos :
« Le roman de Lusig en. vers M. S. ».
Contenu : ff. 1-120 v° : Coudrette, Mélusine.
Texte inc. : [L]e philosophe fut moult saige
Qui dit en la premiere paige
De sa noble Methaphisique . . .
expl. : Nommés le comme il vous plaira.
Tantost con Couldrete se taira
Mais qu'il ait faicte s'oroison
Qu'a present çeult, c'est bien raison,
Mettre en fourme de letanie
Pour toute la noble lignie
De Partenay devant nomnee ;
Et quant elle sera finee
Et en façon de lay comprise,
Dont la taille souvent on prise,
Toute Vouvraige sera faicte ;
Adonc se taira Couldrette.
Litanie incomplète : [Gjlorïeuse Trinité
Imcompregnable deltté...
... Doulx Dieux, doulz Père charitable,
Garde nous des las du deable.
Possesseurs : Ce manuscrit appartenait à la bibliothèque de Colbert,
d'où il passa à. la Bibliothèque royale (cf. B. de Montfaucon, Bibliotheca
bibliothecarum manuscriptorum nova, Paris, 1739, t. 2, p. 973 a). Anciennes
cotes : « Codex Colb. 2721 » et « Regius 7541.3. » (fol. 1).
feuillets ont été coupés), 2-516, 62 (répartis 1-1 ; à. l'origine 8/8, il ne reste
que les premier et dernier feuillets), 78 (fol. 80, 81 et 82 ; ce sont les trois
premiers feuillets d'un cahier incomplet dont on ne voit plus la
composition), 81 (début de Mélusine, au vers 548 ; peut-être un cahier de 12 feuillets
à l'origine) ;, 9-1712, et 189 (répartis 5-4 ; à l'origine 5/5, le dernier feuillet
a été coupé) ; réclames au texte de Troie, signatures au texte de Mélusine.
Nous avons utilisé le ms Bibl. nat., fr. 785 pour la reconstitution des cahiers
du texte de Troie.
Écriture cursive (cf. Samaran et Marichal, II, PI. 135, Bibl. nat.,
lat. 6713 : 1465 ; PL 158, Bibl. nat., lat. 4661 A : 1479 ; PI. 162, Bibl. nat.,
lot. 3459 A : 1482 ; ΙΓΓ, PL 163, Bibl. nat., lat. 17013 : [1456-1458]). Ce
manuscrit et le ms Bibl. nat., fr. 19167 (ms S de Mélusine) ont des écritures
très proches ; il n'est pas impossible qu'ils soient de la main du même
copiste. Le texte de Troie n'est pas de la même main que celui de Mélusine,
quoique d'une écriture cursive ; initiales (deux lignes) rouges ; reliure du
xixe siècle, veau racine, fers dorés, dos à cinq nerfs, recouvert de maroquin
rouge au chiffre de Napoléon I, pièce de titre au dos : « Destruction de
Troye Roman de Mélusine ».
Contenu : ff. 1-82 v° : Roman de Troie en prose (copie datée de 1485).
L. Constans connaissait notre manuscrit, et huit autres du roman
en prose, mais signale que la rédaction n'est pas uniforme 1. D'après
l'édition de Constans et Faral, le début de notre manuscrit correspond au
chapitre 5, p. 5 (éd. C. F. M. A.)z. La vigile de S. Mathieu tombe le 20
septembre.
Texte inc. : / /-ment Calcas les fist a force demourer. Si vous dirons après comment
Hz furent tous empoisonnez de la puantise des corps pourris pour ce
qu'ilz n'estaient pas enterrez, comment il leur couvint requerre paix et
trêves pour les corps ardoir et mettre en terre...
expl. : Mais a esté la vraie histoire au vray translatée et cy escripte par droite
compte comme je Vay trouvée sans y couvrir nulle mençonge en telle
maniere que nul n'y pourroit riens adjouster qui pour vérité deust
estre tenu. Et fut acomply. parfait, finy et achevé la vigile Saint Mathieu
Van mil CCCC m'íxlí et cinq. Cy fine Vistoire de la destruction de la
Grant Troye.
1. Fr. Michel, Mellusine : poème relatif à cette fée [...] par Couldrelte, Niort, 1854.
LA TRADITION MANUSCRITE DU (( ROMAN DE MÉLUSINE » 209
1. G. Raynaud, Œuvres complètes de Eustache Deschamps, Paris, 1901, t. 10, pp. xxxvi-
xxxvii, pièce XXIX [S. A. T. F.~\ ; pour l'attribution, cf. pp. ii-m.
LA TRADITION MANUSCRITE DU « ROMAN DE MÉLUSINE » 211
xviiie siècle, maroquin vert, filets dorés, dos à six nerfs, pièce de titre au
dos : « Histoir de Melusine ».
Titre de la table : Chi s'ensieult la table et la maniere de trouver ce qui est deter-
minet en ce Here par parties comme s'ensieult.
Prologue inc. : Prologue. Au temps que ly roys Modus donnoit doctrine de tous
desduis, il disoit a ses apprentis : Seigneurs vous avez veu enti-
tulés les bestes asquelles pour les prendre on a de bons déduis..
Texte expl. : ... car la elaretet du feu fait souvent esbahir et esgarir les compai-
1. A. Langfors, Les incipit des poèmes français antérieurs au XVIe siècle, Paris, 1917,
p. 175.
2. G. Tilander, Les livres du roy Modus et de la royne Ratio, Paris, 1932, 2 vol. [S. A.
T. F.] ; voir le t. I, p. vin et §§ 3-137 de l'édition.
LA TRADITION MANUSCRITE DU « ROMAN DE MÉLUSINE » 219
gnons et especiaîement par nuyt. Il est ychi pourtrait comment
Hz doibvent aler.
Explicit les livres de cacherie, de vénerie, faulconnerie et d'ar-
cherie etc.
1. Cf. Michaux aîné, Chronologie historique des seigneurs de la terre et prairie d'Avesnes,
Avesnes, 1844-1868, p. 375. Renseignements complémentaires dans les manuscrits 1001
(Généalogie des Croy) et 1034 (Catalogue des manuscrits de leur bibliothèque au xvme siècle)
de la bibliothèque de Valenciennes.
220 ELEANOR ROACH
lot. 5848 : 1403) ; initiales (deux lignes) rouges avec de l'encre noire, bleues
avec du rouge ; une grande, au fol. 1 (trois lignes) : bleue avec feuilles,
rouge, bleu, or ; une peinture, au fol. 1 (94 X 98 mm.) : Mélusine, dragon,
s'envole d'un château devant lequel se trouvent deux hommes avec un
sanglier entre eux ; reliure du xixe siècle, maroquin rouge, filets dorés, dos
à cinq nerfs, pièce de titre au dos : « Mélusine M.S. »
dans toutes les copies. Néanmoins, quand nous regardons de près le détail
des variantes, des groupements se laissent distinguer, qui ont deux pôles :
les manuscrits D et B. La supériorité de ces deux manuscrits s'impose à
la suite de sondages de collationnement effectués sur plusieurs centaines
de vers à, des endroits différents dans le texte. L'adoption de D comme
manuscrit « de base » n'a été effectuée qu'après une comparaison in extenso
de B avec D.
Après avoir présenté la répartition des manuscrits, nous traiterons le
groupe de D en premier lieu à cause de son importance et de son uniformité.
Π comprend les mss ADE(H)NQUV. Les autres manuscrits se répartissent
ainsi : BW, CGLR, FM (« les groupes autour de Β »). Quant à OT et PS,
ils suivent tantôt le groupe de 2), tantôt, et plus souvent, celui de B.
Rappelions ici les lacunes les plus importantes : L ne commence qu'au
vers 243, Ρ au vers 548 ; à Ν manquent les vers 307 à 409, et à W les vers
40 à 1668.
Nous n'avons pu relever jusqu'à présent que les variantes des vers 1
à 4000 *. La discussion qui suit ne se rapporte donc qu'à cette première
moitié du texte.
1. Cet article a été écrit en 1976. Au moment de la correction des premières épreuves
la collation des manuscrits est achevée pour tout le texte.
2. Le vers numéroté est celui sur lequel porte notre commentaire.
222 ELEANOR ROACH
Le groupe de D : D et N.
De tous les manuscrits du groupe de D, ADE(H)NQUV, Ν est le plus
fidèle à D. On pourrait croire que Ν est copié sur D, tellement ils se
ressemblent. Nous ne pouvons pourtant tirer cette conclusion, car Ν a par-
LA TRADITION MANUSCRITE DU « ROMAN DE MÉLUSINE » 223
fois des vers qui manquent dans D ; il faut donc penser qu'il est copié
sur un manuscrit très proche de D. Voici deux premiers exemples qui
démontrent que Ν dépend d'un modèle très semblable à D.
Lorsque Raymond, qui a de graves soucis, rencontre Mélusine, il la trouve
si belle que
541 II entf oublia ses amis
Et ne scet s'il est mors ou vis.
D et U ont bien amis au vers 541, tous les autres manuscrits ont ennuis.
Ν s'est repris : II entre oublia ses ennuis [barré sur le ms] amis.
Raymond jure de tenir le serment qu'il fait à Mélusine, mais Goudrette
nous prévient :
Helas, dolent, il en menti,
Dont depuis grant douleur souffry
Et s'en perdit sa dame chiere,
684 Que tant perdy et tenoit chiere.
Β omet le vers, PS ont une autre leçon, mais à, l'exception de N, tous les
autres manuscrits lisent Que tant amoit et tenoit chiere ; Ν Que tant perdi
s'en tenoit chiere.
Par contre, voici deux cas où Ν maintient la tradition du texte face
à l'omission du vers par D.
Le comte de Poitiers avait une fille,
Eue fut moult belle et doulcette
172 [manque dans D]
D seul omet le vers 172, tous les autres, y compris N, ont bien : Laquelle
on appelloit Blanchette.
Mélusine dit à, Raymond qu'il ne doit jamais douter
Que pas de par Dieu je ne soye
620 [manque dans D]
D est de nouveau seul à omettre le second vers, tous les autres manuscrits
disent : Et qu'en ses vertus je ne croye.
Il est évident que Ν n'a pu être copié sur D.
Le groupe de D : Ε et V.
Ces deux manuscrits ont un caractère indépendant : ils ajoutent des
vers, quand la rime ou le sens sont difficiles, Ε fait des bourdons, et F a
des traits de dialecte du Nord. Mais ils vont souvent ensemble et il arrive
à E, en dépit de sa négligence, d'avoir la meilleure leçon pour le texte.
Lorsqu'il manque un vers à, D et que la tradition textuelle du groupe en est
bouleversée, nous retrouvons Ε et V allant de pair.
Dans le prologue, Coudrette nous dit qu'il a accepté de mettre en vers
l'histoire, et qu'il fera de son mieux
Au plaisir du doulx Jhesu Crist.
120 [manque dans ADNOQ]
EV, Τ et S ont les leçons suivantes, parmi lesquelles celle de EV est évi-
224 ELEANOR ROACH
demment la meilleure : Qui m'en (V nous) doint faire bon escript; T, qui
suit 0, est obligé d'inventer : Qui pour nous mort en croix sousfrist ; S
introduit également une banalité : Qui le monde crea et fist ; les huit autres,
y compris U, qui porte ici une correction, donnent : Mon seigneur respont :
« C'est bien dit. »
Dans un autre exemple, D et Β omettent un vers (434). Raymond, futur
mari de Mélusine, est dans un mauvais pas et s'en prend à, Fortune :
II est plus fol que beste mue
Qui point se fie a ton affaire
434 [manque dans ABCDG(H)LNOQU]
Cette omission amène les variantes suivantes : Ε Et est deceu qui ce vuelt
faire ; V II est deckeu sans nul contraire ; T, qui copie sur O, est obligé
d'inventer : Car tantost tourne ton viaire ; F MS Ha faulce, que m'as tu fait faire?
fí change la rime des deux vers :
Qui point se fie en son art
Or bien maintenant m'en apport.
Par ailleurs, les variantes montrent bien que ni Ε ni V n'ont été copiés
l'un sur l'autre.
Le groupe de D : le correcteur de U.
Quand U se range du côté des autres manuscrits contre le groupe de
D, c'est aux endroits où il a subi une correction. Il est le seul de nos
manuscrits qui ait été corrigé de façon systématique. La plupart du temps, on
ne peut pas identifier le manuscrit qui a servi de modèle au correcteur.
Mais dans deux cas très nets, nous pouvons affirmer que ce modèle fut ou
bien C ou bien un autre manuscrit similaire.
A la mort du conte de Poitiers,
823 Pleurent prestres, pleurent chanoine,
824 Par Poitiers chascun dueil demaine.
C'est la leçon de tous les manuscrits sauf C et £7, qui ont :
Pleurent prestres, pleurent chanoinnes,
Pleurent les ordres et les moinnes,
Par Poitiers chascun dueil demaine
Non pas ung jour mais la sepmaine.
Giefîroy, fils de Mélusine, est en colère contre l'abbé de Maillezais, car il est
convaincu que celui-ci a forcé son frère cadet, Fromont, à, devenir moine. L'abbé
plaide son innocence, et fait appel au frère lui-même, qui parle à son tour :
3595 Froymont lui dist : « Frère, vrayement,
3596 Et par le mien vray serement
II n'est que de par moy venu
3598 Que moyne estre m'a convenu... »
C et U, seuls et ensemble, portent :
Ce dit Froumont : « Frère, vrayement,
C'est par le mien esmouvement.
LA TRADITION MANUSCRITE DU « ROMAN DE MÉLUSINE » 225
Le groupe de D : conclusions.
La discussion précédente du groupe ADE(H)NQUV a relevé les
points suivants : Ν semble être copié sur un manuscrit semblable à D,
ce qui lui donne une valeur particulière dans la tradition du texte ; EV
vont parfois de pair ; U a été corrigé systématiquement d'après un
manuscrit qui doit ressembler fort à, C ; H est tardif et sans importance pour
l'établissement du texte.
Il nous reste donc à parler de A et de Q, et de la tradition textuelle
du groupe en général. Pour démontrer l'indépendance de A à l'égard des
15
226 ELEANOR ROACH
n'est pas décisif; le second, semble-t-il, montre que Ρ aurait été copié
sur S. Voici ces deux cas :
Les nobles de Bohême protestent qu'ils n'accepteront comme roi que celui
que leur souverain voudra bien leur donner :
2619 Ne ne recevrons chevalier
Fors cilz que vous vouldrez bailler.
Ρ Maiz ne recepvrons chevallier] S Maiz ne reffuserons chevallier (+ 1)·
S a dû comprendre, « Mais nous ne refuserons pas un chevalier que vous
aurez choisi pour être notre roi. » Que S ait copié son texte sur P, en faisant
une erreur, cela est possible. Mais rien ne prouve que P, copiant sur S,
et s'étant aperçu de sa faute, n'ait pas corrigé de lui-même reffuserons en
recepvrons.
Raymond n'a pas tenu sa parole, et Mélusine est obligée de le quitter pour
toujours. Avant de s'envoler, elle lui prédit son sort et celui de ses
descendants :
Saches qu'il te mesavendra
Ne jamaiz bien ne te prendra.
3969 Tousdiz déclineront tes faiz
3970 Ne jamaiz ne seront reffaiz
Et sera ta terre après toy
Partie par pars, or le croy.
Les mss APV omettent les vers 3969 et 3970, S écrit
Tousjours desclineront tes faiz
Tes tours, tes champs et tes palláis.
Si le copiste avait transcrit d'abord i5, il semblerait fort surprenant que
dans le ms S il ait retrouvé pour le vers 3969 la même leçon que les autres
manuscrits. Par contre, il n'y a rien d'étonnant qu'au vers suivant il ait
inventé quelque chose de son propre cru, car cela lui est arrivé ailleurs.
Du vers 3969, nous déduisons donc que notre copiste a transcrit
d'abord le ms S. Ensuite, en recopiant Ρ sur S, il a omis les vers 3969
et 3970, faute d'autant plus facile à faire que l'intelligence du passage n'en
est pas gênée.