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Armand Colin

Les "Principia" de Spinoza


Author(s): Pierre-François Moreau
Source: Revue d'histoire des sciences, Vol. 58, No. 1 (JANVIER-JUIN 2005), pp. 53-66
Published by: Armand Colin
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/23634099
Accessed: 20-09-2019 19:56 UTC

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Les Principia de Spinoza
Pierre-François Moreau (*)

RÉSUMÉ. — Les Principia de Spinoza se donnent explicitement comme une


réécriture des Principia de Descartes. On a longtemps interprété cette réécriture, à
partir de la préface rédigée par Lodewijk Meyer, comme un travail pour faire pas
ser le texte de l'ordre analytique à l'ordre synthétique. Une étude des textes de
Descartes et de Spinoza montre que les relations des deux ouvrages sont plus com
plexes.
MOTS-CLÉS. — Analyse ; synthèse ; ordre ; méthode ; démonstration.

SUMMARY. — Spinoza's Principia are explicitly presented as a rewriting of


Descartes' Principia. The prevailing interprétation of this rewriting, following Lode
wijk Meyer's préfacé, has been that it aimed at shifting the text from the analytical
order to the synthetical order. A the texts of Descartes and Spinoza shows that their
relations are more complet.
KEYWORDS. — Analysis ; synthesis ; order ; method ; démonstration.

Dans un livre qui emprunte son nom aux palimpsestes,


Gérard Genette distingue les différentes manières de tirer un texte
d'un autre (1). Il voit même dans cette possibilité un des signes de
la littérarité. Parmi ces manières, il dénombre notamment le méta
texte (tout ce qui est de l'ordre du commentaire) et l'hypertexte (le
livre produit à partir d'un autre, comme Ulysse à partir de
Y Odyssée, ou le Quichotte de Pierre Ménard à partir de celui de
Cervantes). Sans doute ce type de regard et cette distinction peu
vent-ils s'appliquer aussi aux œuvres philosophiques. L'un des inté

(*) Pierre-François Moreau, École normale supérieure des lettres et sciences humaines,
15, parvis René Descartes, BP 7000, 69342 Lyon Cedex 07.
(1) Gérard Genette, Palimpsestes : La littérature au second degré (Paris : Seuil, 1992).

Rev. Hist. Sci., 2005, 58/1, 53-66

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rêts des Principia de Spinoza (2)


que l'on ne sait pas bien s'il s'agit
Ou plutôt, ils ne peuvent être un
texte. Une partie de leur sens, et
port ambigu qu'ils entretiennent
Pour évaluer le dessein de l'ouvrage, et l'horizon où
l'attendaient ses lecteurs, rappelons les circonstances de son écri
ture et de sa diffusion. Nous avons la chance d'être bien informés
là-dessus. Elles nous sont en effet connues par quatre documents
- et par un texte tout à fait extraordinaire sur lequel je reviendrai
plus longuement. On voit dans ces documents, malgré la diversité
de leurs destinataires, s'articuler avec cohérence les trois registres
du risque, du vrai, de l'ordre.
— Le premier de ces documents est une lettre de Spinoza à de
Vries. Spinoza donne alors des leçons à un étudiant, futur pasteur
aux Indes néerlandaises, Casearius. À Simon de Vries, qui dans une
lettre précédente enviait la proximité de Casearius « qui peut avoir
avec vous des entretiens sur les plus hauts sujets (3) », Spinoza
répond :
« Vous n'avez pas de raison de porter envie à Casearius ; nul être ne
m'est plus à charge et il n'est personne de qui je me garde autant. Je vous
avertis donc et voudrais que tous fussent avertis qu'il ne faut pas lui com
muniquer mes opinions [ne ipsi meas opiniones communicetis], si ce n'est
plus tard quand il aura mûri. Il est encore trop enfant et trop inconsis
tant, plus curieux de nouveauté que de vérité. J'espère cependant qu'il se
guérira, dans quelques années, de ses défauts de jeunesse, je dirai plus,
autant que j'en puis juger par ce que je sais de son naturel, je tiens pour
presque certain qu'il s'en guérira, et pour cette raison son caractère
m'invite à l'aimer (4). »

Le contenu de cette lettre trouve bien son axe entre le côté du


risque et le côté du vrai (mes opinions, puisque le terme n'est évi
demment pas péjoratif). Se garder (cavere), avertir (monere) :
voilà le registre du danger. Mais on apprend aussi deux traits de

(2) Renati Descartes Principiorum Philosophiae pars I et II, More Geométrico demons
tratae... (Amsterdam : Rieuwerts, 1663). Dans la suite, les citations latines sont empruntées à
l'édition Gebhardt (Heidelberg : Cari Winter, 1925) (notée G dans la suite), les traductions à
Charles Appuhn (les lettres sont notées L).
(3) « Félix, imo felicissimus tuus socius Casearius sub eodem tecto remorans, qui inter
prandendum, coenandum, ambulandumque tecum optimis de rébus sermones habere potest. »
(L. 8, G IV, p. 39 (24 février 1663).)
(4) L. 9, sans date (réponse à la précédente, donc février ou mars 1663).

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l'élève : son inaptitude actuelle à ent


côté de la vérité ; son aptitude à é
mots faux ou erreur n'apparaissent
des tendances de Casearius, ce qui co
faux que la distance à l'égard du vra
devra réduire. On ne peut dès lors qu
enseigner en attendant ? Spinoza ne
tout en formulant ce jugement, accep
le formule. Il faut sans doute lui pr
charme de la nouveauté et qui, sans
lument opposé ou du moins ne co
acquisition. Nous n'apprenons pas ici
vrai qui peut servir de propédeutiqu
vante nous le dira.
— Il s'agit d'une lettre à Oldenbourg, écrite quatre ou cinq
mois plus tard :
« Après avoir, au mois d'avril, transporté ici [à Voorburg] ma
demeure, je suis parti pour Amsterdam. À mon arrivée, certains de mes
amis me demandèrent un certain Traité, contenant de façon résumée la
deuxième partie des Principes de Descartes démontrée géométriquement
[more geométrico demonstratam] et les plus importantes questions de
métaphysique, Traité dicté par moi, il y a quelque temps, à un jeune
homme à qui je ne voulais pas enseigner de façon ouverte mes propres
opinions. Ils me prièrent en outre d'exposer le plus tôt possible, selon la
même méthode, la première partie des Principes (5). »
Toujours le registre du risque : ne pas enseigner ouvertement
(aperte) - et celui du vrai {mes propres opinions, encore). Nous
retrouvons donc la nécessité d'un enseignement préparatoire. Cette
fois cependant, nous apprenons deux choses nouvelles : d'abord
que cet enseignement propédeutique, c'est celui du cartésianisme ou
plus exactement des Principia. Ensuite qu'il s'agit bien d'un ensei
gnement qui, aux yeux des premiers spinozistes - et de Spinoza lui
même, puisqu'il accède à leur requête - n'est pas totalement de
l'ordre du faux - sans cela pourquoi le lire, pourquoi en redeman
der, pourquoi consentir à le distribuer ? Et cet intérêt ne va peut
être même pas à Descartes seulement, car après tout ils peuvent le
connaître ailleurs - ce sont des cartésiens déjà. Donc ils veulent lire
ce traité moins pour savoir ce que dit Descartes que pour savoir ce
que l'on peut faire de Descartes.

(5) L. 13, 17/27 juillet 1663.

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Mais la lettre continue :

« [...] mes amis alors me demandèrent l'autorisation de publier le tout.


Ils l'ont obtenue sans peine sous la condition que l'un d'eux, moi présent,
améliorerait le style de cet écrit et y joindrait une petite préface où il aver
tirait les lecteurs et montrerait par un ou deux exemples que je ne recon
nais pas tout son contenu pour mien et que sur plus d'un point je pensais
le contraire. »

La formule « ce que je tiens pour mien (6) » vient relayer « mes


opinions ». Remarquer une nouvelle fois cette caractérisation
moins par le faux que par la distance à l'égard du vrai, qui vient
scander ces différents textes où est retracée la naissance des Princi
pia. Spinoza explique ensuite pourquoi il a autorisé cette parution :
« [...] peut-être quelques personnes d'un rang élevé se trouveront-elles
dans ma patrie qui voudront voir mes autres écrits où je parle en mon
propre nom (caetera quae scripsi atque pro meis agnosco), et feront-elles
que je puisse les publier sans aucun risque (extra omne incommodi
periculum). »

Les Principia entrent donc dans une stratégie (comme chez Des
cartes, mais ce n'est pas la même) et la place de lecteur ou
d'auditeur de cette opinion non vraie est finalement assez occupée :
Casearius ; les autres amis ; les personnes d'un rang élevé ; et fina
lement Oldenbourg lui-même à qui on promet de l'envoyer à défaut
de Y Éthique (c'est assez étonnant quand on y pense - après ce qui
lui a été dit sur le statut du livre).
— Je ne mentionne que pour mémoire le troisième document :
une lettre à Lodevijk Meyer qui prouve que celui-ci est déjà au tra
vail de révision/préparation de l'ouvrage, le 26 juillet. Enfin
quelques jours plus tard (le 3 août) une nouvelle lettre de Spinoza à
Meyer : la lettre 15 qui insiste de nouveau sur les conditions de
rédaction du texte :

« Io) À la p. 4 vous faites connaître au lecteur à quelle occasion j'ai


composé la première partie ; je voudrais qu'en ce même endroit ou ail
leurs, comme il vous plaira, vous l'avertissiez en outre que ce travail a été
fait en deux semaines. Ainsi prévenu, nul ne pensera que mon exposé soit
donné comme si clair qu'on ne puisse en éclaircir davantage le contenu, et
de la sorte on ne se laissera pas arrêter par un ou deux mots qui pour
raient paraître obscurs (7). »

(6) « Pro meis agnoscere », G IV, p. 63.


(7) L. 15, 3 août 1663.

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Les Principia de Spinoza 57

Donc (c'était peut-être un des sens


cédente) un texte composé rapide
une clarté extrême : voilà qui est
donc pas comme plus clair qu'il rev
Descartes.

« 2°) Je voudrais que vous fissiez observer que beaucoup de pro


positions sont démontrées par moi autrement qu'elles ne le sont par Des
cartes, non que j'aie voulu corriger Descartes, mais seulement pour
mieux conserver l'ordre que j'ai adopté [ut meum ordinem melius reti
neamj et ne pas augmenter en conséquence le nombre des axiomes. Pour
la même raison, j'ai dû démontrer beaucoup de propositions simplement
énoncées sans démonstration par Descartes et ajouter des choses omises
par lui. »

Voilà enfin une différence qui ne s'explique pas par la hâte, et qui
s'énonce deux fois en termes de surplus : un surplus effectif de
démonstrations ; un surplus possible d'axiomes - évité seulement
par un recours à des démonstrations différentes. Ainsi ce qui
pourrait être lu comme deux écarts - le surplus, la variation
démonstrative - renvoie en fait à un double surplus, lui-même
expliqué par une unique décision : m'en tenir à mon ordre (meum
ordinem). Nous tenons donc là la première indication, sous la
plume de Spinoza, de la façon dont il voit son rapport au
texte - à l'hypotexte, en langage genetien. Le même mais avec un
autre ordre ; et un ordre aux exigences assez fortes pour bou
leverser, afin simplement d'être maintenu, le texte qu'il sert à
exposer.
C'est donc le registre de l'ordre qui vient remplacer le registre
du vrai pour justifier les modifications opérées dans le texte. On
remarquera que c'est le mot ordre et non le mot méthode qui sert
à tracer la frontière. Méthode n'est utilisé qu'une fois dans la
lettre 13, pour désigner en général ce qui réunit la première partie
et la seconde (Appuhn traduit en émoussant un peu par façon, et
le contexte ne lui donne pas tort) ; mais - j'y reviendrai - quand
Spinoza veut caractériser son procédé, il dit seulement more
geométrico.
L'ouvrage paraît avant la fin de l'année 1663 ; il est traduit en
néerlandais l'année suivante par Peter Balling. Son histoire ne
s'arrête pas là : il fournit l'occasion de la controverse épisto
laire avec Blyenbergh ; il est cité dans l'Éthique (I, 19, scolie ; à
propos de l'éternité de Dieu) et dans les notes posthumes du

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58 Pierre-François Moreau

Traité théologico-politique ; peut-


texte même du traité (8). Je lai
Cogitata.
Ce qui nous intéressera en revanche est la préface de Meyer,
puisque c'est vers elle que convergent toutes ces précautions et ces
préparations. C'est à Meyer que Spinoza confie le soin de désigner
au lecteur le statut du livre, et la règle pour le lire. Voyons donc
comment il s'acquitte de sa tâche.
Il commence par une théorie de la méthode, énoncée d'abord de
façon abstraite, puis dans sa mise en œuvre historique.
« C'est le sentiment unanime de tous ceux qui veulent s'élever au
dessus du vulgaire par la clarté de la pensée que la méthode
d'investigation et d'exposition scientifique des Mathématiciens [Mathema
ticorum in scientiis investigandis ac tradendis] (c'est-à-dire celle qui
consiste à démontrer des conclusions à l'aide de définitions, de postulats
et d'axiomes) est la voie la meilleure et la plus sûre pour chercher et ensei
gner la vérité [veritatis indagandae atque docendaej. »

Nous ne retrouvons donc pas tout à fait le même lexique que dans
les lettres de Spinoza : ce qu'avance Meyer n'est pas d'abord une
thèse sur l'ordre ; c'est une thèse sur la méthode.
— Il faut remarquer que cette thèse sur la méthode ne distingue
pas entre investigation et exposition du vrai. Ou plutôt elle men
tionne deux fois les deux pour les juxtaposer et non pas les distin
guer. C'est la même méthode qui est légitimée d'emblée pour les
deux tâches.
— En quoi consiste cette méthode des mathématiciens ? Elle
« consiste à démontrer des conclusions à l'aide de définitions, de
postulats et d'axiomes » (c'est-à-dire, est-il expliqué un peu plus
loin, des « notions communes de l'esprit (communes animi notio
nes) ». En commençant par elles, on pose à la base un fondement

(8) Chap. III : « Nous avons déjà montré ailleurs, que les lois universelles de la nature,
qui produisent et déterminent tout, ne sont rien d'autre que les décrets éternels de Dieu, qui
impliquent toujours une vérité et une nécessité éternelles. » Gebhardt et Appuhn interprètent
« Nous avons déjà montré ailleurs » comme renvoyant aux Cogitata metaphysica II, 9 : De
potentia Dei. Cela supposerait que Spinoza donne le moyen de briser l'anonymat du Traité
théologico-politique. Il peut s'agir aussi d'une référence à Γ Éthique alors inédite (supposition
évoquée puis rejetée par Appuhn). Saisset jugeait évident « que Spinoza désigne ici la pre
mière partie de l'Éthique (Pr. 16, 17, 29)» (Œuvres de Spinoza, trad. par E. Saisset (Paris,
1861), t. II, 56). En tout cas, la note marginale VI au chapitre VI n'hésitera pas à renvoyer
aux Principia - sans dire explicitement que leur auteur est le même que celui du Traité théo
logico-politique.

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Les Principia de Spinoza 59

solide, parce que personne, pour pe


peut leur refuser son assentiment
méthode mathématique, c'est que, p
l'apodicticité de ses démonstrations,
Meyer passe ensuite à la mise en
méthode : l'opposition est entre un
— Malgré cette force probante, e
dehors des mathématiques ; on pré
tions, divisions, questions et explic
blances - que Meyer condamne évid
— Mais désormais les choses ont
ont entrepris d'étendre le bénéfice d
à toutes les sciences - qui vont do
méthode et avec la certitude mathém
dine mathematica demonstratas). P
rang : René Descartes. Il a posé les
philosophie - fondements sur lesq
plupart des vérités dans l'ordre et
(ordîne ac certitudine mathemati
terme d'ordre, absent quand il s'ag
général, réapparaît quand il s'agit d
rique cartésien. Comme si le nom
cette idée d'ordre pour l'accrocher
Du coup, Meyer se trouve conduit
cartésienne et il remarque que, cer
ratio demonstrandi et l'ordre des m
selon celle qui est commune depuis
les propositions et leurs démonstra
tulats et des axiomes posés d'abor
multum ab hac diversa, et qu'il ap
rappelle alors la distinction canoniqu
en tire d'autres conclusions que Desc
texte cartésien, en le découpant soig
la vraie voie par laquelle une chose
et comme a priori » ; la synthèse
définitions, de demandes ou d'axi
blèmes afin que si on lui en nie qu
voir comment elles sont contenues
arrache ainsi le consentement au le
qu'il puisse être ».

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60 Pierre-François Moreau

Que faire face à cette dualité de


distinguent non par la certitude m
dit Meyer, également utiles pour
« n'étant pas versés dans les sci
ainsi complètement et la méthod
thèse) et celle par où elles sont in
saisir par eux-mêmes, ni expos
dans ces livres (9) ». Beaucoup on
leur mémoire ce qu'a démontré D
démontrer eux-mêmes. Ce trait e
vient pas des Secondes réponses
quelqu'un comme Regius, par ex
sens qui n'est certainement pas c
voir dans de tels hommes des vic
haitable que quelqu'un qui soit
ordres (et dans les écrits de Desca
ce que celui-ci a exposé en ordr
aurait souhaité faire lui-même s'i
Spinoza a fait.
En somme, alors que Spinoza rattachait tout à son ordre,
Meyer inverse la question : il y a une unique méthode mathéma
tique qui peut s'exprimer sous deux ordres différents - l'ordre ana
lytique, propre à Descartes, et qui a les dangers que l'on sait ;
l'ordre synthétique, commun à tous les géomètres, et auquel Spi
noza a heureusement ramené l'exposé canonique du cartésianisme.
Voici donc caractérisé l'effort de Spinoza en même temps qu'est
énoncée la différence entre le livre de Descartes et le livre de Spi
noza. Il vaut la peine de s'y arrêter un instant. D'autant que cette
même différence peut s'utiliser aussi ailleurs - par exemple pour
différencier les livres de Descartes entre eux. On sait que Martial
Gueroult, en s'appuyant il est vrai sur un autre texte - l'entretien
avec Burman -, distinguait grâce à ce critère le statut des Médita
tions et celui des Principes. Pour expliquer l'inversion des places
respectives de la preuve par les effets et de la preuve a priori, Des
cartes déclarait à Burman que dans les Principes il avait procédé

(9) « Plurimi enim Mathematicarum scientiarum plane rudes, adeoque Methodi, quae illae
conscriptae sunt, Syntheticae, et qua inventae sunt, Analyticae, prorsus ignari, res, quae his in
libris pertractantur, apodictice demonstratas, nec sibimet ipsis assequi, nec aliis exhibere
queunt. »

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Les Principia de Spinoza 61

synthetice. Donc : les Méditations


l'ordre analytique, et les Principia
dans l'ordre synthétique (10).
Le problème est évidemment que
de Gueroult sont vraies toutes le
s'appuyer toutes les deux sur des t
résulte que Spinoza a dépensé beau
ordre synthétique un ouvrage qui
Est-ce vrai? Pour le savoir, il n
textes cartésiens sur lesquels ces
des Secondes objections les théol
senne a recueilli les avis proposen
la façon des géomètres (more g
guant « in modo scribendi geom
ratio demonstrandi.
— L'ordre « consiste en cela seulement que les choses qui sont
proposées les premières doivent être connues sans l'aide des sui
vantes, et que les suivantes doivent après être disposées de telle
façon qu'elles soient démontrées par les seules choses qui les précè
dent ». Cet ordre semble bien demeurer le même : la phrase sui
vante déclare qu'il a déjà été suivi dans les Méditations (donc cette
question de l'ordre n'est pas discriminante entre les Méditations et
Y Abrégé géométrique). Nulle part dans ce texte Descartes ne parle
d'un ordre analytique et d'un ordre synthétique.
— La ratio demonstrandi. C'est là qu'on distingue analyse et
synthèse. Elles sont caractérisées comme des voies (viae) ou
comme ayant recours à des voies. Analysis veram viam ostendit per
quam res methodice et tanquam a priori inventa est. C'est la
démarche qui a été suivie dans les Méditations. Quant à la syn
thèse, elle procède contra per viam oppositam et tanquam a poste
riori quaesitam. « Elle se sert d'une longue suite de définitions, de
demandes, d'axiomes, de théorèmes et de problèmes afin que, si on
lui nie quelques conséquences, elle fasse voir comment elles sont
contenues dans les antécédents. » C'est la démarche qui va être
suivie dans Y Abrégé. C'est aussi la formule que Meyer réutilise
en 1663 pour caractériser l'ordre synthétique. L'analyse, précise
Descartes, fait voir comment les effets dépendent des causes : donc

(10) Notes 57 et 58 de Martial Gueroult, Descartes selon l'ordre des raisons (Paris :
Aubier, 1952), t. I, dernier chapitre.

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62 Pierre-François Moreau

si le lecteur la suit il entendra la chose démontrée comme si lui


même l'avait inventée. L'analyse, c'est donc la voie par laquelle la
transmission répète l'invention. Elle est « la plus vraie et la plu
propre pour enseigner », notamment en métaphysique. Notons que
Meyer n'a cité que la définition, mais aucune de ces caractéris
tiques. Enfin Descartes souligne deux dangers liés aux deux viae, et
visiblement pour lui ils ne sont pas équivalents : le danger de
l'analyse, c'est de ne pas convaincre les lecteurs opiniâtres ou peu
attentifs (ils laisseront échapper des chaînons de la démonstration)
le danger de la synthèse, c'est qu'elle n'enseigne pas la manière par
laquelle la chose a été inventée.
Dans l'entretien avec Burman - dont il faut rappeler que le sta
tut de texte cartésien n'est peut-être pas aussi solide que celui des
Méditations et des Réponses (il s'agit d'une discussion rédigée aprè
coup par un autre) -, on retrouve la distinction entre analyse e
synthèse : «[...] quia alia est via et ordo inveniendi, alia docendi ; in
Principiis autem docet et synthetice agit. » Cette fois via et ordo
vont ensemble ; mais il n'est pas sûr que le mot ordre ait le même
sens ou du moins la même fonction que dans le texte précédent ; la
preuve, c'est que Descartes y distingue ordre d'invention et ordre
d'exposition (et qu'il reporte donc sous la rubrique ordo ce que les
Secondes réponses indiquaient quant à la ratio demonstrandi). En
tout cas, il ne s'agit toujours pas de méthode.
Nous pouvons donc faire le point sur la lecture de Meyer : il
construit une opposition entre ordre analytique et ordre synthé
tique qui ne se trouve pas comme telle dans le texte cartésien ; il
le fait en transformant l'opposition partielle analyse/synthèse en
opposition générale ; et en faisant passer les caractères de la
synthèse pour les caractères généraux de ce qu'il nomme méthode
mathématique. Or ce n'est pas une simple substitution de mots,
puisque Descartes (on l'a vu) distingue les deux ordres non
seulement par leur démarche, mais par leur usage : découvrir,
enseigner. Mais précisément on avait vu que Meyer envisageait
ces deux tâches pour les attribuer toutes les deux à ce qu'il appe
lait la méthode mathématique. Cette préface de 1663 constitue
donc bien un texte extraordinaire, dans la mesure où elle compose
une distinction d'origine cartésienne et une précaution spinoziste
pour tracer une frontière entre Descartes et Spinoza dans des
termes qui ne sont ni vraiment cartésiens, ni, en toute rigueur,
spinozistes.

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Les Principia de Spinoza 63

Quant à la question de savoir si les


écrits analytiquement ou synthétiqu
d'en juger. Mais on peut au moins no
pas sans poser quelques problèmes
avec Burman semble inverser le rap
(Gueroult s'en tire en distinguant
ensuite parce qu'on ne peut dire qu
forme que l'Exposé géométrique qui
On sait que Jean-Marie Beyssade a
sens) que les Principia ne sont pas
l'ordre synthétique (11). Ce qui est sû
dit, c'est que les Méditations utili
l'Abrégé celle de la synthèse. Plus gé
caliser à outrance des différences ver
définitions explicites ; néanmoins on
toute signification.
Il existe quand même une différen
nous intéresse aujourd'hui, et elle es
§ 13 des Principia, Descartes suit le
deux exceptions près : il dit nous au
descriptions interrogatives (comment
tir de l'isolement du cogito). Mais le
tout au présent. Or pourquoi est-il im
personne ? Parce que cette vocalisatio
terme à Genette) permet mieux au le
découvre. Elle a donc partie liée avec
est peut-être même, très exactem
l'analyse. Or, à partir du § 13, on n'
mière personne. C'est la pensée qui f
c'est là que s'amorce l'inversion de
qu'on peut parler d'une autre voie
que sur ces questions de tonalité, S
sième position.
Nous avons donc trois et même qu
sement parallèles : les Méditations m
trique des Secondes réponses, les Pri
pia de Spinoza.

(11) Cf. Scientia perfectissima, in Jean-Marie Beyssade, Éludes sur Descartes : L'histoire
d'un esprit (Paris : Seuil, 2001), 181-216.

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64 Pierre-François Moreau

Ce n'est pas le tout de lire des l


rédigées par autrui, même s'il e
faut-il regarder ce qui se passe effe
la pratique textuelle d'un philoso
tique avec ce que proclame son
ne sont pas non plus nécessairem
peut exprimer l'effort plus comple
glissements ou transposition da
maintenant Spinoza. Je ne parler
Lécrivain l'a fait remarquableme
première ; c'est-à-dire celle qui a
lement pour la publication. Cette
à qui y recherche l'illustration de
— Première surprise : sa premiè
de Meyer ; il commence par un «
à cause d'un défaut de l'ordre ma
s'était bien gardé de nous révéler
aussi des défauts ; quant au fait
lecteur de l'Éthique n'en sera p
tuelle correspond à la théorie : o
l'enjeu et le récit que l'ordre géo
— Seconde surprise : Spinoza n
géométrique ». Ni ici, ni d'ailleur
il n'emploie jamais les expression
tique », ni même analyse ou synt
attribue couramment à Spinoza s
préface de Meyer. Cela ne signif
Mais si on les utilise il faut savoi
— Troisième surprise : il ne dit
au passé. Autrement dit, jamais i
ralité cartésienne. C'est un récit
leurs (dans le prologue du Traité
qu'il était capable d'user de la pre
Il reste à comparer les modes d
par le début puisque, jusqu'à la
verra avec quelle modification,
différence de l'Abrégé à l'égard d

(12) Voir Fabrice Audié, Spinoza et les mat


Sorbonne, 2005)

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Les Principia de Spinoza 65

est censé mettre sous forme synthé


qu'elle est double :
— Formellement, il commence par
nitions et axiomes : nombreux, qui m
sable pour arracher le consentement
qui sera nécessaire à la démonstratio
— Matériellement, il commence d
par le doute et le cogito. Les quatre
puisqu'il s'interrompt à la quatrième
démonstrations de l'existence de Die
de l'âme et du corps.
Ainsi il commence par Dieu, c'est-à
ment, puis « redescend » à l'homme,
avoir l'impression d'une inversion
Méditations ou des Principia ; on peu
trouver dans un climat plus spinozie
ce que Spinoza fera dans Y Éthique, c
traité. On devrait donc s'attendre à
si cette réécriture doit être une prop
Or c'est exactement le contraire
début des Principia spinoziens. Spino
texte cartésien, à deux exceptions :
— Il supprime les dix postulats e
introduction que l'on vient d'examin
— Surtout, il introduit quatre pro
IV) et les propositions de Descartes d
aux axiomes, il n'en garde que trois a
(augmentés) entre les propositions IV
propositions qu'il a ajoutées et celles
Que contiennent ces nouvelles pr
ment l'analyse du cogito ou plutôt d
mais le déroulement de ses condition

« [...] nous ne pouvons être absolumen


longtemps que nous ne savons pas que n
connu de lui-même ; le je suis, en tant q
n'est pas la première vérité, et n'est pa
être première vérité qu'en tant que nous

Autrement dit, Spinoza restaure au d


ce qui était caractéristique de l'analy

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66 Pierre-François Moreau

sait pas, il explique que les axiom


tique du je suis et les démonstr
peuvent en fait être compris q
tique : « [...] j'ai décidé de place
nous est maintenant nécessaire po
au nombre des axiomes. » Pourqu
que Descartes les met au nombr
être plus rigoureux que lui. « Tou
Yordre que j'ai adopté, je m'app
sible et à montrer comment ils d
dent tous de ce principe : je suis
par l'évidence et la raison. » C
place ; l'ordre encore qui les ratt
cogitans.
On voit les conséquences : comm
anciennes propositions I à IV)
axiomes, il en ressort que l'ord
l'ordre spinozien du cartésianism
Y ego sum. Spinoza quand il parle
dimensions de ce que Descartes
trandi : d'une part la dispositi
démonstrations - caractéristique
démarche commençant par Yego
La leçon à tirer de l'étude de ces
pas superposables : ils ne parlent
Non qu'il n'y ait rien à comparer
difficulté, on perdrait aussi l'e
qu'en passant par une analyse dif
ces questions passent par la const
- ce n'est pas un hasard - sont dé
transformation spinozienne du t
indiquée par cette idée d'ordre,
jamais la thématiser. Elle marque
la disposition formelle des défini
un automatisme de la production
formation que Meyer a aperçue e
déquats d'ordre synthétique et d
termes inexacts peuvent porter eu
philosophie.

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