La Mort de Sparte, pièce en tîois actes et vingt tableaux
de M. Jean Schlumberger, au théâtre du Vieux-Colombier.
Lapièce de M. Jean Schlumberger n'est pas indigne
de Plutarque qui l'inspira, et c'est le plus bel éloge que nous lui puissions donner. La noblesse des grands An¬ ciens anime les personnages et pénètre l'oeuvre entière. On l'imagine, avant la Révolution, écrite pour les élèves du collège de Clermont par un jeune jésuite humaniste et ami 'des muses. En dépit de l'austérité du sujet, la Mort de Sparte retiendra le public, d'abord — est-ce utile de le noter? à cause de ce miracle — que Copeau renou¬ velle à chaque création : après tant de réussites, il sait nous surprendre encore. Sans aucun décor, tout est ici suggéré : Agiatis, femme de Cléomène, roi de Sparte, s'appuie, immobile, à un mur et nous sommes sur l'Acro¬ pole ; les Spartiates s'agenouillent, suppliants, aux pieds de Cléomène, et une frise soudain vit et boftge. Sparte s'offre à nos yeux comme l'aurait vue Poussin. La Mort de Sparte intéresse encore par tout ce qu'elle nous oblige d'imaginer touchant les destins d'un peuple victorieux mais affaibli. Elle nous représente l'agonie et la mort d'une cité, non seulement détentrice de la gloire mili- taire, mais dont les institutions, les lois et d'un mot la ' doctrine soutint longtemps la Grèce. C'est en vain que le roi Cléomène immole les éphores, trop prudents « civils », et méprise l'avis des financiers et des hommes d'affaires ; après de grands succès remportés sur la ligue achéenne, il est lui-même vaincu par Antigone, roi de Macédoine, qui, pour la première fois dans l'histoire du monde, viole Lacédémone. La ville austère, depuis trop longtemps, avait méconnu son propre génie ; les Spartiates dégénérés, oublieux des lois de Lycurgue, ne purent soutenir l'effort qu'exigeait d'eux Cléomène. Nous songions à ce grand débat enfre Péguy et Maurras, tel que l'imagine M. Daniel Halévy dans son beau livre sur Péguy et les Cahiers de la quinzaine. Péguy gardait une foi mystique en la LE THÉÂTRE 351
France éternelle et ne croyait pas qu'elle pût jamais
périr. Maurras lui montre l'histoire, faite de civilisations mortes. Il ne pense pas qu'aucun peuple méconnaisse impunément les institutions et les lois qui sauvegardent l'existence de la cité. Cléomène avait en Sparte la foi de Péguy en la France ; et Sparte victorieuse, mais oublieuse de ses vieilles lois, ne résiste pas à l'alliance de la Macé¬ doine avec Aratus, chef de la ligue achéenne. Sparte meurt ; les plus grands peuples meurent : c'est la terrible leçon que nous rappelle M. Jean Schlumberger ; — et il nous montre aussi, dans le roi Cléomène, la condition misérable de ces grands anciens de qui le nationalisme était intégral, au point qu'ils confondaient Dieu avec la cité. Cléomène refuse de croire à la mort de sa patrie, parce que c'est aussi l'anéantissement de son Dieu. Nous imaginions un Maurras dans une France asservie.... Ainsi la Mort de Sparte nous propose les plus hauts sujets de méditation. Faut-il insister sur les mérites de la jeune
compagnie du Vieux-Colombier? Tous, et d'abord
M. Paul Œttly dans le rôle de Cléomène, servent les moindres intentions de l'auteur. Ici, il n'est pas un figu¬ rant qui ne soit un artiste. Chacun d'eux, lorsqu'il dit un mot ou fait un geste, sait qu'il est, à ce moment-là,
le principal interprète et que sur lui repose la destin de