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BRÈVE HISTOIRE

CONTEMPORAINE
DE L'AFRIQUE NOIRE
Collection « AFRIQUE-MONDE »

Gabriel dA
' RBOUSSIER :
L'AFRIQUE VERS L'UNITE
Francis BEBEY :
LA RADIODIFFUSION EN AFRIQUE NOIRE
Maurice POLLET :
L'AFRIQUE DU COMMONWEALTH
de Louis C. D. Joos :
BREVE HISTOIRE DE L'AFRIQUE NOIRE
* Exploration des âges.

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(Ç) Copyright 1964 by Editions Saint-Paul
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation
réservés pour tous les pays.
Imprimé en France.
LOUIS C. D. JOOS

BRÈVE HISTOIRE
CONTEMPORAINE
DE L'AFRIQUE NOIRE
De la colonisation is l'indépendance

EDITIONS SAINT-PAUL - PARIS


IÇ) 1964 —Editions Saint-Paul, Paris
6, rue Cassette, Paris (6e)
et 184, avenue de Verdun, Issy-les-Moulineaux (Seine)
INTRODUCTION

L'histoire contemporaine de l'Afrique est celle


de la colonisation « classique », depuis son renou-
veau, en 1830, jusqu'à son extinction, aujourd'hui
presque complète. Dans un premier volume :
Brève histoire de l'Afrique noire, le passé du
continent africain avait été étudié « de l'intérieur »,
c'est-à-dire en suivant les Etats africains et les
sociétés autochtones dans leur évolution propre,
en dehors des influences politiques européennes.
(Il faut insister sur le terme « politique », car des
interférences plus générales ont toujours existé
entre l'Afrique et le monde extérieur).
A partir du XIXe siècle, c'est l'Europe qui
imprime sa direction à l'histoire de l'Afrique. Il
est donc normal que l'époque contemporaine soit
étudiée « de l'extérieur ». Ainsi pourra-t-on décou-
vrir le commencement de la colonisation, puis
suivre son épanouissement et enfin constater son
déclin, jusqu'au moment où l'Afrique reprend en
main ses destinées, mais dans un monde entière-
ment changé, où, cependant, le passé récent a
laissé des traces profondes.
L'irruption du colonialisme en Afrique noire
est le résultat d'une assez lente évolution qui, par
ailleurs, n'est pas aussi rectiligne que les résultats
pourraient le laisser supposer.
La révolution industrielle en Europe, la néces-
sité de trouver des matières premières en quan-
tités toujours plus grandes pour alimenter une pro-
duction toujours croissante et approvisionner des
marchés de plus en plus vastes, telles sont sans
doute les causes principales de la poussée de
l'Europe vers les autres continents et notamment
l'Afrique. Il ne faut pas oublier non plus l'influence
du romantisme ni la renaissance concomitante
d'un sentiment missionnaire au sens large duterme.
Ces facteurs ont peut-être joué un rôle beau-
coup plus décisif qu'on ne l'avait généralement
escompté, ou que les tenants de la thèse purement
économique ne le veulent admettre : des faits aussi
divers que l'abolition de la traite des esclaves, le
voyage de René Caillié et l'œuvre de David Living-
stone, par exemple, se ramènent tous à cette même
impulsion de l'Europe du XIXe siècle. Mais ni ces
deux dernières raisons, ni les mobiles économiques
ne suffisent à expliquer la ruée finale de l'Europe
sur le continent noir. Il faut manifestement tenir
compte des considérations d'ordre militaire. Certes,
bien avant le partage de l'Afrique, pratiquement
achevé au début du XXesiècle, les puissances euro-
péennes avaient conçu une stratégie qui englobait
l'Afrique. L'occupation du cap deBonne-Espérance
par les Hollandais, en 1652, sa conquête par les
Britanniques en 1795, en sont des exemples carac-
téristiques. Cependant, jusqu'à la fin du XIXesiècle,
■l'utilisation de l'Afrique comme base stratégique
restait épisodique et limitée à quelques points
bien précis. C'est alors seulement que les commu-
nications maritimes acquirent, avec le bateau
à vapeur une perfection telle que n'importe
quel point du globe pouvait être atteint
dans des délais raisonnables et militairement
utiles. Au moment où apparaissaient des limites
absolues à l'expansion continentale des puis-
sances européennes et où, par contre, la Terre
tout entière devenait accessible, une concurrence
devait nécessairement s'instaurer et se dévelop-
per entre puissances coloniales pour accaparer
les points stratégiques actuels ou virtuels restant
disponibles dans les continents non européens et
notamment en Afrique. C'était en somme un phé-
nomène identique à celui qu'on observe en cas de
rationnement d'une denrée qui se raréfie : cha-
cun essaie de se procurer, même s'il n'en a pas
besoin, toute marchandise distribuée avec parcimo-
nie. Ainsi furent poussés vers l'impérialisme colo-
nial, des pays qui n'y étaient prédestinés ni par
leurs traditions, ni par leurs relations économiques,
ni même par l'intérêt national du moment.
Etant donné le déséquilibre des forces et la
supériorité technique écrasante des conquérants,
d'expansion « occidentale » en Afrique fut pratique-
ment réalisée entre 1880, environ, et le début du
xxe siècle, en sorte que la colonisation a été un
phénomène historique extrêmement bref.
Mais les pays européens ne réussirent pas à
intégrer dans leur aire nationale respective les
territoires qu'ils s'étaient partagés. Quelle qu'ait
été la méthode utilisée : assimilation, peuplement,
encadrement, mise en valeur, administration directe
ou indirecte, fédération, protectorat libéral, etc.,
l'Afrique, en général, ne plia que sous la force
réelle ou potentielle. Or, cette force, qui était
irrésistible au XIXe siècle, apparut soudain dans
une lumière problématique quand les Européens
combattirent contre des Européens sur le sol de
l'Afrique. Ce fut le cas en 1914-1918 et en 1940-
1945. Quel que fût en effet le vainqueur de tels
combats, il devenait évident que la supériorité des
colonisateurs pourrait être brisée en utilisant des
moyens équivalents. Les deux guerres mondiales,
menées souvent avec l'aide de soldats africains,
compliquèrent cependant la prise de conscience
des pays colonisés, eux-mêmes très différents, très
dispersés et très divisés. Une profonde crise morale
secouait tout le continent après l'anéantissement
du mythe de la solidité et de l'invincibilité de
l'Europe. Si, jusque-là, l'assimilation avait pu
apparaître comme une nécessité et un moyen de
promotion, elle n'était plus possible après la tra-
gique démonstration de la vulnérabilité et des
contradictions de l' « Occident ».
Une génération entière d'Africains eut alors
à se poser, sur le plan intellectuel et moral, la
question de savoir vers quels nouveaux idéals
elle devait se tourner après la chute des anciens
« dieux » et l'épuisement — d'ailleurs momen-
tané — de l'Europe. Les séquelles de la seconde
guerre mondiale offrirent à la solution du pro-
blème des facilités inespérées et d'autant plus
efficaces que les Européens avaient perdu la force
d'impulsion et la résolution farouche de défendre
coûte que coûte leurs possessions d'outre-mer, à
l'issue d'une lutte sans merci, dont le salut des
métropoles était l'enjeu.
Enfin, une constellation bénéfique apparut for-
tuitement dans le ciel politique du monde et vint
favoriser les nationalismes locaux : c'était la
guerre froide entre l'Est et l'Ouest. On peut bien
dire que l'Afrique lui doit son indépendance
autant qu'à la bonne volonté des anciens colonisa-
teurs. Aussi, dans presque tous les cas, la décolo-
nisation de l'Afrique est-elle le résultat d'ententes
politiques et non d'affrontements militaires : ni la
révolte mau-mau, ni la révolution manquée de
l'V.P.C. au Cameroun, par exemple, n'ont été
déterminantes dans le processus de « libération »
des pays où elles ont éclaté. C'est là une diffé-
rence fondamentale entre l'émancipation de
l'Afrique et celle de l'Amérique du Sud, un siècle
plus tôt. Pourtant, par sa soudaineté, par sa simul-
tanéité et par ses conséquences mondiales, la fin
de l'Empire espagnol et de la mainmise portugaise
est comparable à la dissolution des colonies euro-
péennes de l'Afrique. (Nous n'insistons pas ici
sur les autres différences profondes, notamment le
rôle des créoles, c'est-à-dire des colons de souche
européenne, essentiellement responsables des soulè-
vements en Amérique centrale et méridionale,
tandis que l'Afrique doit à l'initiative des chefs
aborigènes ou des puissances coloniales elles-
mêmes la cessation de la tutelle). Le succès de la
seule action politique confère donc à l'indépen-
dance de l'Afrique noire une atmosphère parti-
culière. Parce qu'elle a échappé à la guerre et
parce qu'elle peut compter encore sur l'aide de la
métropole, l'Afrique noire moderne pourrait être
tentée de sous-estimer les risques inhérents à son
indépendance. Tendant par contre à surestimer,
dans la conjoncture historique présente, le poids
de son intervention dans le destin du monde, elle
pourrait se trouver désarmée devant des périls
réels. Après avoir figuré parmi les continents les
plus humiliés, elle bénéficie aujourd'hui d'une
position apparente de prestige qui, cependant, ne
doit pas masquer les graves insuffisances de la
plupart de ses Etats quant aux infrastructures éco-
nomique, scolaire, militaire et sociale. Les meil-
leurs des leaders africains se rendent compte de
ces réalités et veulent exploiter au maximum le
délai qui leur est imparti sur l'horloge du Temps
pour rattraper leur retard et combler leurs lacunes.
C'est dans cette perspective qu'il faut voir
l'histoire actuelle de l'Afrique noire, cette histoire
que nous vivons tous et qui conditionne dans une
certaine mesure l'avenir des deux continents, si
complémentaires et si étroitement unis par la
géographie, par leur passé récent, et par leurs
langues d'origine ou d'adoption.
1. Depuis 1807, la Grande-Bretagne organise sur les côtes africaines LA
CHASSE AUXNÉGRIERS : le navire Acorn arraisonnant le négrier Gabriel au
large de la Sierra Léone (gravure de 1841).
2. Stanley rencontre Livingstone, le
3 novembre 1871, à Ujiji, sur le lac
Tanganyika. Stanley, à gauche,
accompagné du drapeau américain,
s'approche de Livingstone, à droite,
entouré de quelques Zanzibarites.

3. Légende héroïque du COLONIALISME


. CONQUÉRANT : illustration d'un livre
du colonel Baratier.
4. Un adversaire de la puissance colo-
niale : SAMORY, après sa défaite,
sur le point d'être embarqué pour le
Gabon (1898).

5. La crise de Fachoda : la flottille


de Kitchener parvenant devant la
position française. Face aux puissan-
tes canonnières, le représentant fran-
çais, Marchand, ne disposait que
d'une chaloupe et de quelques piro-
gues (1898).
6. LECOLONIALISMESATISFAIT,ver-
sion anglaise : gouverneur britan-
nique en grand uniforme serrant
la main d'un juge africain qui
porte l'indispensable perruque.

7. Version française : chef


(lamido) du Nord-Cameroun re-
cevant l'hommage de ses sujets
sous l'œil vigilant de l'adminis-
tration coloniale.
8. Vieille photo mon-
trant une colonne alle-
mande, à dos de dro-
madaires, au cours
d'opérations, au Sud-
Ouest africain, contre
l'Afrique du Sud (1914-
1918).

La RÉSISTANCE du
'uple éthiopien (octo-
-e 1935) : départ de la
irde impériale d'Ad-
s-Abéba ; elle défile
1e dernière fois devant
Négus.
10. Une RÉVOLTE pré-
maturée : les Mau-
Mau. Le « général
Chine », grièvement
blessé, est transporté^
sous escorte à l'hôpital;
11. LE RÉVEIL INTELLECTUEL de l'Afrique : 2E Congrès des Intellectuels
noirs à Rome (1956). Au premier rang, deux des principaux animateurs du
mouvement « Présence africaine » : Alioune Diop et Jacques Rabema-
nananjara.
Page suivante :
12. LIN
' DÉPENDANCE : sa célébration à Dar es-Salam (Tanganyika), 1961.
13. L'Assemblée Nationale Sénégalaise en session. Le palais de l'ancien
Grand Conseil de l'A.-O.F. est devenu Parlement.
14. LU
' NITÉ AFRICAINE : l'affiche qui l'exprimait à l occasion de la Confé-
rence d'Addis-Abéba (1963).
I. Les P r é c u r s e u r s

La période de l'histoire africaine qui CODl-


mence vers 1783 et s'achève vers 1910 envi-
ron, période qui devait aboutir à la conquête
quasi totale du continent noir, s'ouvre pour-
tant, par une curieuse ironie, sur une série
d'abandons européens. Nous aurons à expli-
quer ces événements.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le
système commercial européen traditionnel
d'échanges avec l'Afrique se mourait. Durant
deux siècles, le grand commerce avait été entre
les mains de sociétés à monopole, lesquelles se
réservaient l'exploitation soit de simples comp-
toirs, soit de régions plus vastes. Presque tou-
jours, l'exercice de l'administration réelle se
bornait à des étendues étroitement circons-
crites mais dominées par un fort, le plus sou-
vent établi sur un îlot. Ce point d'appui pro-
tégeait les entrepôts abritant les marchandises
qui attendaient leur acheminement vers l'inté-
rieur pour y former la contrepartie des esclaves
qui devaient être « exportés ». La « colo-
nie » était en principe propriétaire de jure
d'étroites terres achetées aux souverains locaux,
mais, dans la pratique, elle ne pouvait se main-
tenir dans les bonnes grâces du vendeur que
par des cadeaux plus ou moins réguliers, qui
n'étaient donc autre chose qu'un tribut. L'al-
liance locale était presque partout la condition
sine qua non du succès commercial. La Compa-
gnie n'avait guère d'autre moyen d'écouler ses
produits dans l'hinterland et d'acquérir des
esclaves. Ceux-ci étaient fournis par les diri-
geants locaux. Inutile de rappeler ici quel rôle
devait jouer ce système dans la décomposition
des Etats africains. Car le souverain côtier
était naturellement tenté de faire la guerre
chaque fois que se présentait une occasion
favorable pour se procurer cette monnaie
d'échange si commode qu'était le prisonnier,
vendu ensuite comme esclave au commerçant
européen. Même quand celui-ci le rétrocédait
ultérieurement à son pays d'origine — ce qui
se pratiquait, par exemple, parmi les Yoroubas
d'Abeokouta par le jeu d'une véritable caisse
pour le rachat des esclaves — il faisait encore
une bonne affaire.
Toutes les côtes africaines, à la fin du
XVIIIe siècle, étaient donc constellées de ces îlots,
sièges d'un comptoir, défendus par la nature
et pourvus d'ouvrages militaires. Arguin, sur
la côte nlaurétanienne, était un centre du trafic
de la gomme, tout comme Saint-Louis, sur son
île du bas Sénégal. Gorée était un comptoir à
esclaves, comme James Island, dans la Gambie
ou plusieurs îles de la Guinée portugaise. Sur le
littoral rectiligne et sans îles côtières qui
s'étend du Libéria au Nigeria, les buttes ro-
cheuses, au bord de la mer, offraient les mêmes
possibilités défensives. Ainsi, tout le long de la
côte ghanéenne, les fortifications hollandaises,
anglaises, danoises, remplaçant les vieilles ins-
tallations portugaises, couronnaient les som-
mets encore bas mais abrupts, des premières
hauteurs de l'arrière-pays. Là où le trafic était
particulièrement fructueux, les commerçants
tentèrent même de se fixer sur des points beau-
coup plus exposés comme la côte du Bénin,
mais à la première occasion les îles reprenaient
leurs droits. Ainsi Fernando Poo, acquise dans
le but d'y établir un tremplin pour le com-
merce espagnol (1776), servait en fait — jus-
qu'au milieu du xixe siècle — de base à la péné-
tration britannique au Nigeria ; l'île basse de
Luanda, point de départ de la conquête de l'An-
gola, fut remplacée en 1576 par la forteresse
Sâo Miguel, située comme les forts du Ghana
sur un « morro » bien protégé de la terre
ferme. Sur les côtes de l'océan Indien, les îlots
de Mozambique et de Mombasa (avant sa
conquête par les Onlanites) jouaient le même
rôle pour les Portugais, tandis que Zanzibar
prenait de l'importance, depuis la fin du
XVIIIe siècle, comme base de la pénétration ODla-
nite sur les côtes du Tanganyika.
Mais, où que fussent établies les Compa-
gnies et quel que fût l'objet de leur commerce
— gomme, esclaves, ivoire ou or — elles s'ef-
forçaient partout, en vertu des monopoles accor-
dés par des chartes nationales, d'écarter les
rivaux.
Selon la force propre de ces compagnies et
celle du gouvernement sous lequel elles étaient
enregistrées, cette théorie du commerce à mo-
nopole était appliquée avec rigueur ou avec
souplesse, si ce n'est avec faiblesse. Bien que les
compagnies se soient tenues le plus longtemps
possible en dehors des conflits entre Etats, elles
y furent entraînées de plus en plus fréquenl-
ment. D'abord, par la multiplication des guerres
« mondiales » dans la seconde moitié du
XVIIIe siècle, guerres qui affectaient presque
toujours l'ensemble des puissances dites colo-
niales : Grande-Bretagne, France, Espagne et
Portugal. Aussi les conséquences pour les éta-
blissements commerciaux du littoral de
l'Afrique noire en furent-elles désastreuses.
Pris et repris, les comptoirs étaient finalement
ruinés pour la plupart. Les compagnies ten-
taient-elles de se préserver de la conquête de
leurs établissements ? C'étaient alors les frais
mêmes de la défense qui absorbaient la totalité
des bénéfices.
C'est là ce qui explique la dissolution d'un
certain nombre de grandes compagnies dans
la seconde moitié du XVIIIe siècle. Certes, les
finances de ces sociétés — au moins en ce qui
concerne la France et la Grande-Bretagne —
avaient toujours donné des signes de faiblesse,
mais, jusque-là, chaque banqueroute avait été
suivie d'une prompte reconstitution, le capital
étant confiant dans le succès final de l'entre-
prise. Or, dans la seconde moitié du xvine siècle,
les compagnies ne se reforment plus au même
rythme. On peut citer l'exemple de la Royal
African Company britannique, dissoute en
1752, celui de la Compagnie française des Indes
orientales, disparue en 1763 et celui de la
Compagnie néerlandaise des Indes, qui n'avait
plus payé de dividende depuis 1782 et fut mise
en faillite en 1794. Une indication précise sur
la stagnation du commerce africain de la
Grande-Bretagne est fournie par l'Appen-
dice VI des Voyages de Mungo Park. On y
relève que, de 1767 à 1787, le commerce d'im-
portation de la Grande-Bretagne en provenance
de l'Afrique occidentale y compris le Maroc,
n'atteignit que la moyenne de £ 72 000 par an,
les trois dernières années de la période mar-
quant un progrès relatif avec une moyenne
annuelle de £ 90 500.
Après ces changements profonds dans les
formes du commerce, des influences nouvelles
modifièrent la pensée coloniale. En 1776,
l'économiste britannique Adam Smith publia
son fameux livre sur The wealth of nations, qui
devait devenir la Bible de l'école libérale.
D'après ses théories, il était inutile de mainte-
nir des compagnies et même d'accabler l'Etat
de colonies dont l'administration et la protec-
tion devenaient fort onéreuses. Bien qu'appli-
quées tout d'abord à l'exemple des Etats-Unis —
qui devinrent indépendants quelques années
plus tard — les idées de Smith ne pouvaient
jouer que dans le sens d'un abandon général
du commerce traditionnel en Afrique.
Toutefois, ni les considérations stratégiques,
ni celles qu'inspiraient les thèses des écono-
mistes, n'expliquent à elles seules le déclin du
vieux mouvement colonial vers la fin du
XVIIIe siècle. Il faut également tenir compte des
opinions philosophiques de l'époque et, par
contrecoup, du réveil de la conscience chré-
tienne — surtout protestante — contre le com-
merce des esclaves. Ce sursaut de la chrétienté
se manifeste à un moment où la traite est encore
florissante. On ne peut donc y voir le résultat
exclusif d'une évolution économique. Aux
causes religieuses de l'abolitionnisme s'ajou-
tent bientôt les revendications des philosophes
français quant à l'égalité et à la liberté de tous
les hommes. Les dates sont significatives. En
1771, Raynal publie en France son livre à suc-
cès : Histoire philosophique des deux Indes,
plaidoyer pour la suppression de l'esclavage.
Ainsi déclenchée, la campagne conduit, en 1787,
à la fondation de la Société des amis de l'homme
noir, société dont l'abbé Grégoire fut un lnili.
tant notoire. Quelques années plus tard, en
1794, la Révolution abolit l'esclavage, ce qui
entraîne, en 1797, l'évacuation du fort de
Ouidah, entrepôt d'esclaves.
La Grande-Bretagne connaît une transfor-
mation parallèle. Dès 1772, le mouvement aboli-
tionniste s'organise. Des quakers et des angli-
cans, rassemblés autour de Wilberforce, don-
nent le signal de départ à une agitation qui
aboutit, en deux étapes, au triomphe de leurs
idées : en 1807, la traite est interdite dans
l'Empire britannique et, en 1830, l'esclavage
lui-même est banni de ses territoires. Comme
la France, le Brésil — qui devait être pourtant
le dernier pays à libérer les esclaves (1888) —
peut se vanter d'avoir eu, parmi ses écrivains,
des champions de l'abolitionnisme. Dès 1782,
en effet, dans son Historia de Angola, da Silva
Correia condamnait la traite, puis l'esclavage
lui-même. Le Danemark, quoique encore pré-
sent en Afrique et dans les Antilles, interdit suc-
cessivelnent, sous l'influence de l'Aufkliirung,
l'esclavage et la traite (1792-1802). Le Congrès
de Vienne décide d'abolir la traite aussitôt
que possible. La France applique cette décision
en 1818 ; l'Espagne, officiellement du moins, en
1820, tandis que le Portugal et le Brésil —
indépendant en 1822 — ne suppriment tout
d'abord la traite qu'au nord de l'équateur. Mais,
en 1826, le Brésil échange la reconnaissance
britannique contre l'abolition de la traite et le
Portugal suit enfin, en 1836, toujours sous la
pression britannique. La papauté condamne
elle aussi officiellement, l'esclavage, en 1839.
En fait, la traite ne meurt que lentement. Sur
la côte occidentale, Espagnols, Brésiliens et
Sardes (Italiens) fournissent longtemps encore
des bateaux négriers, cependant que, sur la
côte orientale, le sultanat d'Oman-Mascate et
la Turquie restent en marge du mouvement et
continuent le trafic de l' « ébène humaine ».
Au réveil de la pensée antiesclavagiste
s'ajoutent bientôt les premiers efforts en vue
de rapatrier les Africains « exportés » en Amé-
rique. Les motifs des partisans de ce retour à la
terre des ancêtres sont peut-être moins avouables
que ceux des apôtres de l'abolition pure et sim-
ple d'une pratique déshonorante. On sent à
l'arrière-plan de leur action philanthropique,
le souci d'une ségrégation, complément inéluc-
table à leurs yeux de l'abolition de l'esclavage.
Quoi qu'il en soit, le mouvement en dépit de la
complexité de ses mobiles, aboutit, dès avant
la fin du XVIIIe siècle, à des résultats tangibles,
par la fondation de Freetown. Nous aurons à
en reparler.
Les tentatives de rapatriement illustrent net-
tement l'ambiguïté des courants de l'époque qui
précède de quelques lustres le début du colonia-
lisme moderne. Si le commerce extérieur croit
— du moins en la personne de ses meilleurs
théoriciens — pouvoir renoncer au lourd appa-
reil administratif sans lequel il n'existe pas de
véritable colonisation, ce retour massif des
Africains n'en nécessite pas moins une inter-
vention des puissances précédemment « escla-
vagistes », ne serait-ce que pour assurer aux ra-
patriés des conditions de vie minima, interven-
tion qui ne se borne d'ailleurs pas à une aide
aux anciens « colons » redevenus africains et
qui implique des négociations avec les Etats
intéressés. Une « présence » européenne sur le
continent s'ensuit donc nécessairement, même
en l'absence de toute volonté de conquête.
Un autre facteur va contribuer à mettre un
terme aux apparences de l'abandon. En cette
fin du XVIIIe siècle, on assiste à l'éclosion d'un
intérêt purement scientifique pour les régions
du globe encore inconnues des Européens. Or,
le continent africain, resté le plus ignoré, offre
à ce besoin d'exploration un terrain de choix. II
devait donc, plus que les autres parties du
monde, exalter l'enthousiasme des candidats au
voyage et à la découverte. Il est difficile de se
faire aujourd'hui une idée de ce que fut ce
mouvement, qu'on peut appeler une « mode ».
L'excitation qui en résulta ne peut se comparer
qu'à celle que soulève de nos jours un voyage
spatial ou une médaille d'or gagnée aux jeux
Olympiques...
Les témoignages sont tellement nombreux
qu'on ne peut mettre en doute ce côté pure-
ment scientifique et sportif de la grande aven-
ture africaine. Bien entendu, le commerce sui-
vait avec attention l'expansion des connaissances
géographiques. Il s'y intéressait d'autant plus
que l'ère des monopoles était révolue et qu'il
fallait contrebalancer la perte de cette assu-
rance de vente, fût-elle souvent illusoire, par
un élargissement des marchés.
Un des phénomènes les plus caractéristiques
des tendances de l'époque est le vigoureux dé-
part de l'African Society de Londres. Fondée en
1787, elle organise très rapidement la plupart
des expéditions dont il sera question au cha-
pitre suivant. Ses deux fondateurs ne sont nul-
lement des commerçants, encore moins des
conquérants. Le major Rennell, longtemps au
service de lindian Sltrvey, est un géographe
enthousiaste qui rêve de résoudre les grands
problèmes encore en suspens, concernant l'Afri-
que. Finalement, Joseph Banks, biologiste,
amène à Rennell les lords influents qui don-
nent au projet de la fondation d'une société
savante le poids qui lui manquait. C'est sous
les auspices de ces érudits et de leurs suppor-
ters que commence l'exploration de l'Afrique
d'où devait sortir, deux générations plus tard, la
conquête militaire.
1. DE BRUCE A HORNEMANN

Le premier explorateur « moderne » de l'Afrique, l'Ecos-


sais James Bruce, mari malheureux, était par surcroît un
chercheur scientifique. Il se proposait de découvrir le point
d'émergence des eaux du Nil. En fait, il dut se contenter des
sources du Nil bleu. Il se lança en isolé à l'intérieur du conti-
nent. Un séjour à Alger, en qualité de consul britannique,
l'avait préparé à cette entreprise. En 1769, il pénétra en Abys-
sinie, fasciné par des lectures consacrées à ce pays. L'Ethiopie
était alors dans une anarchie quasi totale, mais Bruce se tira
fort bien d'affaire en recourant à quelque improvisation auda-
cieuse, comme le commandement des troupes d'un ras... Fait
particulièrement intéressant : il put voyager à travers les
régions musulmanes de l'empire sans dissimuler ses obser-
vations et recherches scientifiques, ni même renier sa foi chré-
tienne. Son succès est généralement attribué au fait qu'il
passait pour être médecin et un peu sorcier, mais il est éga-
lement permis de supposer que les sentiments antieuropéens
n'étaient pas encore très vifs dans les populations du Nord-
Est africain. Bruce ne publia qu'en 1788 le récit de son péri-
ple abyssin, qui avait duré jusqu'en 1772 ; ses contempo-
rains refusèrent alors d'accorder à sa réussite le crédit qu'elle
méritait. Il apparaît cependant que, malgré son caractère un
peu fantasque, l'ouvrage est absolument sûr quant à l'essen-
tiel des renseignements fournis. De longues années devaient
encore s'écouler avant que d'autres voyageurs scientifiques
ne pénètrent en Abyssinie.
L'African Society existait déjà lorsque parut le livre de
Bruce. Aussi put-elle fournir au major Houghton une assis-
tance valable quand il tenta l'attaque de l'Afrique du côté
opposé. Il avait été adjoint au gouvernement de l'île de Gorée,
alors anglaise, et connaissait donc la Gambie, considérée
comme une voie de pénétration vers le Niger. Le cours du
Niger était encore une énigme et Houghton, dans le meil-
leur esprit du temps, était hanté par ce problème. En
automne 1790, il quitta la Grande-Bretagne pour le Sénégal,
remonta la Gambie sur 300 milles, puis s'enfonça vers l'est.
Son ultime message indiquait qu'il était en route vers Tom-
bouctou ; il ajoutait qu'il avait été dépouillé par les indigènes.
Cefut ensuite le silence. Il semble que Houghton ait été assas-
siné ou qu'il soit mort sur le chemin du retour, près de Jarra,
en septembre 1791. Ainsi, le Niger et Tombouctou, symboles
de l'Afrique mystérieuse, restaient inviolés.
En 1793, un autre Britannique, Brown, réussit à s'avancer
jusqu'au Darfour, à partir de la vallée du Nil. Retenu trois ans
par les Darfouriens, il parvint enfin à regagner l'Egypte.
Brown était encore en Afrique alors que le malheureux
Houghton trouvait un successeur en Mungo Park. Lui aussi
avait une mission essentiellement scientifique : découvrir la
vallée du Niger et identifier ce fleuve par rapport au Sénégal.
Il suivit à peu près le même chemin que Houghton. L'Ouest-
africain était alors saupoudré de nombreux Etats minuscules.
LesMauresrazziaient si avant versle sud que les rois bambaras
vivaient dans une angoisse perpétuelle. Celui de Ségou, par
exemple, refusa de recevoir Mungo Park, de peur de se
compromettreauprès des Maures, mais il l'aida enlui envoyant
secrètement une certaine somme, sous forme de cauris. Ségou,
avec ses quelque 30 000 habitants, apparut encore comme
une ville relativement prospère, mais l'existence des Noirs
sédentaires était manifestement troublée par les Maures et
les Touaregs nomades. D'ailleurs, Park notait chez ceux-ci
un vif sentiment antieuropéen fondé sur des préjugés religieux.
Chez les Noirs, au contraire, il rencontrait habituellement
une attitude correcte, parfois même une réelle sympathie.
Seuls, quelques chefs de canton se firent remarquer par leur
cupidité et leur prétention de lever des impôts sur le voyageur
isolé. Park eut la bonne fortune de revenir, ayant résolu la
première partie de l'énigme du Niger : ce fleuve coulait bien
vers l'est et ne pouvait donc plus être confondu avec le haut
Sénégal.
Si Mungo Park ébauche parfois dans ses récits la perspec-
tive d'un commerce florissant, nulle part il ne propose, pour
le soutenir, la conquête de l'Afrique. A ce moment-là, il est
encore bien loin de ressembler à un précurseur du colonia-
lisme.
Après le voyage de Park, l'African Society reporta de
nouveau ses vues sur l'est de l'Afrique. Un jeune Allemand,
Friedrich Hornemann, s'offrit à explorer, en partant du Caire,
le Fezzan et les marches de l'Afrique noire, donc ce qui est
aujourd'hui le nord du Tchad. Entre-temps s'était déroulée
l'expédition de Bonaparte en Egypte ; les Français ne firent
aucune difficulté au voyageur allemand, qui se déplaçait au
nom d'intérêts britanniques — nouvelle preuve que n'était
pas encore en honneur la théorie qui sera plus tard celle de
l'impérialisme, théorie suivant laquelle la visite d'un ressor-
tissant national crée des droits à l'occupation, au profit de
son pays. Les instructions dont Hornemann était porteur
confirmaient d'ailleurs le caractère scientifique de son entre-
prise, bien qu'y fût également évoquée la possibilité d'un
commerce profitable pour la Grande-Bretagne. Hornemann
recueillit sur les Haoussas des renseignements et en fit un
rapport montrant qu'il n'était pas encore systématiquement
prévenu, comme le seront bien des explorateurs ultérieurs,
contre les Africains. Après avoir donné un aperçu de leur
civilisation matérielle, il conclut : « Leur agriculture est aussi
parfaite que celle des Européens, mais leurs méthodes de
travail sont très pénibles. En un mot, nous avons une idée
très inexacte de ce peuple, non seulement en ce qui concerne
sa civilisation et ses talents naturels, mais aussi au sujet de
ses possessions, qui ne sont pas, à beaucoup près, aussi consi-
dérables qu'on les a représentées. »
Enfin, Hornemann fournit peut-être la clé de la méfiance
croissante des Africains musulmans à l'égard des Européens
après la campagne d'Egypte : « Il s'écoulera peut-être plus
de cinq ans avant qu'il soit possible aux chrétiens de voyager
comme tels. On ne saurait croire quelle impression vive et
profonde l'expédition des Français a faite sur les esprits des
pèlerins qui vont à La Mecque et qui en reviennent. Dispersés
dans leurs pays respectifs, ils propageront de toutes parts
et dans le cœur de l'Afrique un surcroît de prévention contre
les chrétiens. » Homemann touche ici un problème qui devait,
en effet, jouer un rôle important dans les efforts de pénétra-
tion de l'Afrique par le nord. Le climat formait un autre
obstacle. Hornemann lui-même en fut victime, puisqu'il
mourut en 1800, au bord du Niger, du moins si l'on en croit
les récits rapportés, dix-neuf ans plus tard, par un marchand
arabe de Mourzouk.
Les expéditions scientifiques européennes n'étaient pas
limitées géographiquement au nord et à l'ouest de l'Afrique.
Vers la fin du XVIIIe siècle, on trouvait également des savants
à l'œuvre dans d'autres secteurs du continent : les botanistes
Afzelius, suédois, et J.-B. L. Durand, français, visitèrent la
Guinée, la Sierra Leone et le Sénégal. Un autre Français,
Palissot de Beauvais, se rendit dans le sud du Nigeria. Les
Britanniques, de leur côté, après avoir occupé le Cap en 1795,
lancèrent plusieurs missions scientifiques vers le nord.
Enfin, une tentative hardie, malheureusement au-dessus
des moyens du moment, fut entreprise en 1798 par le docteur
Lacerda, gouverneur du Mozambique portugais. Essayant
l'exploration du haut Zambèze, il parvint jusqu'au Katanga
actuel mais succomba en cours de route. Lacerda, comme les
autres voyageurs cités, était un homme de science, nullement
un conquérant. En marge de son rôle de savant, il avait eu pour
souci majeur l'ouverture de l'Afrique au commerce libre.
Visionnaire progressiste d'un type répandu au XIXe siècle, il
croyait que la pénétration du continent suffirait pour abolir
l'esclavage et apporter aux Africains une promotion générale.
Il avait compris, dès 1798, que la Grande-Bretagne, installée
depuis trois ans au Cap, menacerait un jour les possessions
portugaises, ce qui se réalisera un siècle plus tard.
Avec le second voyage de Mungo Park, en 1085, les mili-
taires apparaissaient pour la première fois dans l'exploration
africaine. Encore ne s'agit-il nullement d'une troupe conqué-
rante, mais simplement d'une escorte censée protéger l'explo-
rateur, qui avait fait, plusieurs années auparavant, de si
fâcheuses expériences avec les Maures. Dans cette deuxième
tentative en vue d'élucider complètement le secret du Niger,
le mobile commercial s'avère tout aussi déterminant que le
motif scientifique. Mungo Park veut, bien entendu, savoir enfin
où le Niger a son embouchure : dans le lac Tchad ou dans le
golfe de Bénin. En même temps, il rêve de mettre sa décou-
verte au service des navires britanniques qui viendront
commercer par l'artère naturelle qu'il espère atteindre. On
connaît la fin dramatique de cette deuxième expédition du
grand Ecossais. Les soldats, totalement inaptes aux tâches
qu'on leur imposait, moururent presque tous avant d'avoir
trouvé le fleuve. Les rescapés s'embarquèrent sur un voilier
improvisé au moyen de plusieurs grandes pirogues et que
Park baptisa du nom de Djoliba (Niger). Attaché dans les
rapides de Boussa, à quelque 500 kilomètres seulement de
l'embouchure du Niger, but qui lui était assigné, le Djoliba
coula, cependant que les membres de son équipage péris-
saient tués ou noyés 1.

1 Après Hornemann, dont on avait également rapporté l 'assassinat,


Park serait donc le second explorateur européen tué par les Africains. On
est aujourd'hui moins affirmatif. Dans une étude très fouillée, K. Lupton
(voir Nigeria-Magazine, n° 72, mars 1962) essaye d éclaircir les circons-
tances de la mort du grand Ecossais à Boussa. Il n exclut pas la possibilité
d'une méprise. Les gens de Boussa ont peut-être simplement voulu avertir
Park du danger que courrait le Djoliba dans les rapides tout proches et
ce serait Park qui, devant l'attroupement, jugé menaçant, aurait ouvert le
feu. Ceci s'expliquerait par l extrême nervosité de l explorateur presque
épuisé après plusieurs escarmouches avec les Touaregs. Autre hypothèse .
la population de Boussa a pris Park pour un envahisseur peul. LEmpire
de Sokoto était à cette époque en pleine expansion ; la confusion était donc
possible et plausible.
L'intérêt de l'essai de Lupton est de montrer que les Africains noirs,
contrairement à ce qui fut avancé plus tard, ne tuaient pas systématiquement
les Européens. Leur réputation ne doit pas être confondue avec celle des
Maures et des Touaregs, qui, eux, sont des blancs. Encore les nomades
du Sahara se voyaient-ils menacés par les Européens dans leur commerce
et leur religion. Lupton souligne d ailleurs que Park est le seul Européen
qui ait jamais été tué dans le Nigeria septentrional. Ce qui n empêchait pas
les Européens de la côte nigérienne d'informer, en 1893, Lugard, que
« jamais aucun blanc ayant pénétré dans la région de Boussa n 'en était
revenu vivant ». On reconnaît, là aussi, une des thèses préconçues et
tendancieuses du colonialisme de la fin du XIX. siècle.
2. LES PREMIERS RETOURS

Al'aube même des mouvements européens en faveur des


Noirs, l'intervention sur le continent africain apparaît déjà
comme une perspective inévitable. Rien n'illustre mieux
l'enchaînement paradoxal du fait philanthropique et du fait
colonial. Pourtant, les premiers antiesclavagistes étaient pro-
fondément différents des colonisateurs de la fin du XIXesiècle.
Le plus marquant des hommes de la première génération
fut un petit fonctionnaire anglais, Granville Sharp. Après
avoir été mêlé, en 1765, à la lamentable histoire d'un esclave
sévèrement maltraité, puis jeté à la rue parce que déclaré
inguérissable, non seulement Sharp s'occupa du malheureux,
il voulut encore libérer tous les esclaves vivant en Grande-
Bretagne, généralement comme domestiques chez les planteurs
revenus, fortune faite, des Antilles britanniques. En 1772, il
réussit à porter devant les tribunaux le cas d'un autre esclave,
James Somerset, dont il revendiqua la libération parce que,
dit-il, l'esclavage était contraire aux lois anglaises. Dans un
jugement retentissant, Lord Mansfield déclara nettement
qu'aucun esclave fugitif ne pouvait être réclamé par son
maître en Grande-Bretagne puisque « au moment même où
l'esclave met le pied sur le sol anglais, il devient libre. »
La liberté n'apporta pas pour autant le bonheur aux
domestiques congédiés, ni, un peu plus tard, aux anciens
soldats esclaves qui avaient combattu les Américains. Un
médecin naval, Henry Smeatham, qui avait chassé les papil-
lons lors d'un séjour en Sierra Leone, crut avoir trouvé une
3. Développement et équipement 214
4. Equipement et éducation 225
5. La société coloniale 232
VI. TROIS CASAFRICAINS : AFRIQUE DUSUD, ETHIOPIE, LIBÉRIA. 245
1. L'Afrique du Sud et l'Arparthied 249
2. Italie, Ethiopie, Libéria 255
VII. DUCOLONIALISME INQUIET ALIN ' DÉPENDANCE (1937-1963). 263
1. La seconde guerre mondiale 268
2. Les voies anglaises de la décolonisation 276
3. Les voies françaises vers l'indépendance ......... 303
4. La décolonisation au Congo belge 316
5. Et l'Afrique australe ? .......................... 323
Conclusion 331
I. BIBLIOGRAPHIE 333
II. CARTES ........................................... 346

Imprimé en France.

Imp Saint-Paul, 184. av. de Verdun. Issy-les-Moulineaux (Seine).


Dépôt lésai 11, trÍm. 1964. — N° dlmp. 2 442. — N° d'Ed. 840.
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