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Ouvrages de Dames
Ouvrages de Dames
Extrait
Mlle PETITPAS : Non. Je l’ai suivi, aussi. Un matin. Sous la neige. Jusqu’à son
travail.
LA VEUVE : Il faut lui dire que vous l’aimez
Mlle PETITPAS : Jamais ! D’ailleurs, il ne me regarde pas. Il ne m’a jamais vue,
vraiment. Sauf une fois chez Mme Mouilletard, la femme du bistrotier, à qui j’allais
chercher ses cigarettes quand elle soignait son cancer de la gorge puisqu’il n’a jamais
voulu faire "tabac", son mari ! Il m’a tenu la porte du café, mon Roger, je me souviens et
il m’a dit : « Passez. Je vous en prie, madame ! » Madame ! Vous vous rendez compte ?
J’aurais voulu lui crier : « Je suis encore une jeune fille ! » Mais ma gorge s’est nouée. Je
n’ai pas pu. Si vous aviez vu son regard ! Il avait les yeux d’un bleu !Horizon.
SOPHIE : Oh ! Là ! Là ! Méfiez-vous du bleu horizon, mademoiselle Petitpas… Mon
mari avait justement les yeux…Mon mari a justement les yeux bleu horizon.
Mlle PETITPAS : Je suis restée des heures au comptoir, moi qui ne boit jamais ! C’est
comme ça que j’ai su qu’il s’appelait Roger...
LA VEUVE : Enfin bref, vous l’avez dans la peau, cette brute !
Mlle PETITPAS : Je n’aurais pas dû vous dire ça.
LA VEUVE : Allons ! Nous nous connaissons assez. Elle lui chuchote : Et nous
sommes toutes passées par là. Puis elle gueule : Pauvre gourdes que nous sommes !
Mlle PETITPAS : Tout de même. C’est gênant. Je n’ai même pas osé le dire au curé
en confession.
LA VEUVE : Vous avez eu raison. Ça l’aurait tué.
Mlle PETITPAS : Vous croyez ?
LA VEUVE : Ben voyons ! Voilà vingt-cinq ans qu’il amoureux de vous, le
curé. Et qu’il veille sur votre vertu comme une mère sur son enfant.
Mlle PETITPAS : Vous croyez ?
LA VEUVE : J’en suis sûre.
SOPHIE: C’est quoi, son nom de famille, à Roger ?
Mlle PETITPAS : Je ne sais pas si je dois vous le dire.
LA VEUVE : Au point où nous en sommes !
Mlle PETITPAS : Foideveau ! Et elle ajoute : Je l’ai entendu au café. Mais
maintenant je ne sais plus rien de lui. Je vous ai tout dit. Et je n’aurais pas dû. De toute
façon, je crois que je ne lui appartiendrai jamais, à mon Roger !
LA VEUVE : C’est probable. Voyez ailleurs !
Mlle PETITPAS : Je ne pourrai jamais aimer personne d’autre ! Je veux être une
femme fidèle.
LA VEUVE : Mais vous n’êtes pas sa femme, mademoiselle Petitpas !
Mlle PETITPAS : Si. Moralement. Enfin… je l’ai imaginé, le soir, dans mon lit. Si
vous saviez !
SOPHIE : Vous la connaissez, sa femme ? La vraie. A Roger.
Mlle PETITPAS: Non. Je ne veux pas savoir qui c’est. Je serai capable de …
LA VEUVE : De quoi ?
Mlle PETITPAS : De la tuer.
(Elle lui donne le sac contenant la tête de Roger et sort)