Vous êtes sur la page 1sur 63

Autour de l’art minimal

ou comment
New York mit fin au modernisme
1962-1974

Les artistes mènent le débat théorique

Structures primaires vs formalisme moderniste

No more boring art : objets, protocoles, séries, concepts, site


Ce qu’on appelle l’art contemporain
De manière concomitante, entre la fin des années 1950 et celle des années
1960s naissent des mouvements artistiques qui mettent à mal les médiums
traditionnels :

- Gutai au Japon
- l’actionnisme Viennois
- Fluxus en Allemagne
- le Pop Art aux Etats-Unis, les Nouveaux Réalistes en France
- l’art minimal, l’art conceptuel
- le happening, la performance
- le land art, earth art aux US, l’arte povera en Italie (… )

En 1969, l’exposition de Harald Szeeman est la première à faire l’état des lieux,
et à prendre la mesure de transformations nécessaire pour le musée.
New York délire
l’expression est de Rem Khoolhas, titre d’un livre de 1978 où il analyse comment
Manhattan, depuis le milieu du XIXe siècle est devenu le laboratoire d'une nouvelle culture
- celle de la congestion - ; dans l’architecture se réalise l'inconscient collectif d'un nouveau
mode de vie métropolitain, une usine de l'artificiel où naturel et réel ont cessé d'exister.

Les années 1960s à New York, mais aussi sur la côté Ouest, où l’art se renouvelle aussi mais loin des
débats théorique, bénéficient d’un intérêt tout nouveau pour l’art.

- les galeries naissent à New York. Une douzaine => trois fois plus. Les artistes sont « découverts »
très jeunes : Léo Castelli expose des artistes qu’il a rencontrés quelques mois plus tôt.
C’est aussi la première fois où les idées artistique circulent si vite, de NW à LA à Paris (ex femme de
Castelli, Ilea Sonnabend), d’amérique en Europe (Rauschenberg, Twombly, Tinguely, Raysse, Morris,
Serra, Cunningham, Hesse, Bourgeois, Duchamp : tous font de longs séjours en France ou Italie)

- le public, qui avait massivement rejeté l’art moderne comme élitiste, européen, coupés des réalités
américaines, s’est massivement converti. Le « modernisme » est même devenu un style, qui envahit
aussi bien la mode que l’architecture, les vitrines, le design.
Le choc perpétuel du nouveau, bien vite absorbé, est devenu la norme

- les artistes, pour la première fois de l’histoire, ont une formation universitaire en histoire de l’art.
Concentrès dans quelques rues de Manhattan, ils discutent dans les ateliers, dans les cafés, les
galeries, au MOMA où plusieurs sont gardiens de musées, amis des conservateurs. Enfin, ces artistes
nourri de théorie par ces discussions, sont aussi critiques : Donald Judd, Sol Le Witt, Richard Serra,
Mel Bochnr, Robert Morris, ils sont nombreux à participer activement aux débats et publient dans les
nouvelles revues dédiées à l’art contemporain.

- le renouvellement est aussi bien-sûr social, avec les révolutions étudiantes et de la contre culture
Le MOMA,
ancêtre du Musée d’art moderne

Le musée moderne/white cube sont une


invention américaine : avec la création du
MOMA (1929, premier bâtiment
permanenent en 1939, page suivante) et
dont la surface double en 1951 et 1964.

Un nouveau type d’exposition s’y invente,


où le contexte social de l’oeuvre est
gommé, tandis que les murs blancs, les
lumières sans ombres, l’architecture
transparente (verre, puits de lumière)
effacent progressivement les limites entre
shopping, lèche vitrine, et contemplation
esthétique. L’art entre dans l’ère
marchande, mais les murs blancs
préservent l’illusion d’une aura spéciale.

Escalier de 1939, rénové lors des travaux


de 2004.
Le « High Modernism »
Au moment où émerge l’art minimal, le modernisme est à son apogée à New York.
Les Etats-Unis ont finalement su s’imposer sur la scène internationale grâce aux
« néo avant-gardes » nées à New York après la guerre.
Clément Greenberg écrit les essais qui vont permettre de théoriser cette peinture, et
d’en faire l’héritière des recherches de Manet et Cézanne. Il les nomme aussi :

- Abstract Expressionism (Greenberg – Pollock, de Kooning, Frankenthaler,


Kline)
- Color Field Painting (Rothko, Barnett Newman)

Greenberg s’en fait le supporter. Il y a voit une peinture « typiquement américaine »,


une epxression sublime de l’homo americanus, de sa vitalité comme de sa capacité
à transcender le personnel.

Mais c’est aussi un accomplissement de la peinture moderniste, commencée avec


Manet, Cézanne : aplatissement du tableau, grille moderniste, détachement de
l’illusion de profondeur pour finalement embrasser l’abstraction, puissance du cadre
et du plan, recherche de l’essence du médium…

A force d’épuiser le sujet dans une recherche formelle, la définition du tableau


moderniste se fait de plus en plus contraignante, pour aboutir à des tableaux qui ne
sont plus que l’idée moderniste.
La rigueur intellectuelle
de l’analyse formelle
proposée par les tenants
du modernisme explique
son influence, dans les
années 1960s et
longtemps après.

Mais c’est d’autres


aspects de la peinture de
Rhotko, de De Kooning,
et autres « vieux
maitres » qui vont
inspirer les jeunes
artistes récemment
arrivés à Manhattan.

Rosenberg les avait


perçu, et plutôt 1948 Pollock Number 1A Oil Enamel Paint (détail), 127x264 cm, MOMA
qu’« expressionisme “Sometimes I use a brush but often prefer using a stick. Sometimes I
abstrait », il préfère le pour the paint straight out of the can. I like to use a dripping, fluid
terme « action painting », paint.”
mettant l’accent sur des
aspects de la peinture le geste, l’alléatoire, l’obssessif, la série, les dimensions, l’aspect de
qui vont nourrir la performance qui engage tout le corps, le passage du mur au sol, du
réflexion des artistes de pinceau au pot de peinture la fin de l’illusionisme du all-over,
la génération suivante : accompagnée de titres « neutres », l’accent mis sur la matière avec le
choix d’une peinture industrielle moins visqueuse et plus brillante.
1950 51 Barnett Newman Vir Heroicus Sublimis, MOMA 1949 Marc Rhotko N3 Magenta, Black,
Green on Orange, MOMA
Dans un essai intitulé The Sublime is now, Newman demande « if we Mouvement des couleurs, capacité à suggérer l’espace
are living in a time without a legend that can be called sublime, how par leurs relations, mais au-delà :
can we be creating sublime art ? » « "I'm interested only in expressing basic human
emotions—tragedy, ecstasy, doom," he said. "If you . . .
« It’s no different, really, from meeting another person. One has a are moved only by . . . color relationships, then you miss
reaction to the person physically. Also, there’s a petaphysical thing and the point. »
if a meeting of people is meaningly, it affects both their lives »
Comme Newman , pour Rothko "A picture lives by
(notice lors de sa première expo en 1951) : « there is a tendency to companionship, expanding and quickening in the eyes of
the sensitive observer. It dies by the same token. It is
look at large pictures from a distance. The larges pictures in this
therefore a risky act to send it out into the world."
exhibition are intended to be seen from a short distance. »
Un certain nombre de peintres sape cependant les principes de l’abstraction
moderniste : avec Franck Stella, Robert Ryman, Rauschenberg, Jones, le
tableau devient un objet, parmi les autres objets qui peuplent l’espace.

Les tableaux de Robert Ryman ne sont


pas des monochromes blancs :
inséparables du murs, ils déclinent
toutes les possibilités pour leur
épuisement : mat, brillants, touches
visible et chaotique, à l’huile, en variant
la matière, il attire l’attention sur le
processus (crayon, craie, gouache,
huile, caséine, toute matière susceptible
d’être blanche). Même variété dans la
manière d’accrocher les tableaux au
mur. Perdu au musée, fait pour être
série.

 « White paintings as being not passive


but hypersensitive »

Ci-contre : Forever white, 1961, MOMA,


et accrochage en galerie, 2003.
Ad Reinhardt (US, 1907-1967), Painting, 1954-58, 152x152cm comme tous ses tableaux à
partir de cette date où ne peint plus que « the last paintings », monochromes puis noirs.

Le carré, accroché de manière à être de même


hauteur qu’un homme, ni petit ni grand, « sans
taille ».
Sans composition, la verticale niant l’horizontale.,
plus de direction, de haut de bas.
Sans texture, sans marque, sans brillance, sans
angles (le bleu du bord atténuant les angles du
cadre), mais sans trop adoucir les bords pour ne
pas les ouvrir vers l’extérieur.

Un objet, sans transcendance, sans dimension


temporelles ni spaciale, un état sans
changement.
Ad Reinhardt, 1957, Douze règles pour une
nouvelle académie
« My painting is based on the fact that only what can be seen there is there. It
really is an object...you can see the whole idea without any confusion...what
you see is what you see. » - Franck Stella

Franck Stella, The Marriage of Reason and Squalor, II, 1959


Après la série des Black
Paintings Franck Stella
commence la série des
Copper Paintings (1960-
1962).

En 1964, ses Shaped


Paintings sont exposés
par Léo Castelli, puis au
MOMA dans l’exposition
16 Americans.
L’objet

L’autre force d’opposition à l’art moderniste vient du monde réel.

Pendant que le Pop Art s’engage dans des processus de détournement de


l’objet, utilisent l’objet de consommation pour questionner l’objet d’art, le
minimalisme lui fait face à l’invasion d’objets d’une manière différente, en
donnant le statut d’ « objet spécifique » à des œuvres inclassables qui ne sont
plus ni peinture ni sculpture, mais qui, par leur statut d’objet,n’ont plus rien à
exprimer, plus de sens à avoir, et peuvent se contenter d’être.
Deux ans plus tard, Michael Fried protestera contre cet état d’objet qui s’empare
de l’art dans « Art and Objecthood », un essai de 1967 (parfois traduit
« objectité »)
« single object » réclame Mel Bochner
«Painting relates to both art and life....(I try to act in that gap
between the two). »

Rauschenberg fait des « combine paintings » de 1955 à


1965 (il arrête après avoir reçu le premier prix de la biennale
de Venise en 1963), intégrant dans sa peinture des objets
trouvés, des collages.

1955 Robert Rauschenberg, Bed,


combine painting : oil and pencil on pillow, quilt
and sheet on wood supports 19×80×20 MOMA
1955 Robert Rauschenberg, Monogram

Comme la roue de bicyclette de Duchamp, un objet


ordinaire de la vie quotidienne est utilisée pour remettre
en question des jugements artistiques (originalité,
création, ce qui constitue une sculpture, le rapport entre
peinture et sculpture).
L’aigle : trouvé sur un tas de
détritus par un ami
Chemise à col, photo de son fils en
ganymède, caisse de batterie
aplatie, tube de peinture vide sont
inclus.

Exposé au MOMA dès 1961, dans


l’exposition The Art of assemblage.

1959, Robert Rauschenberg,


Canyon, MOMA
Les objet mous de Oldenburg : burlesque
contre le sublime.
Oldenburg est l’un des artistes qu’analyse Donald
Judd lorsqu’il il tente de définir ces nouveaux
« objets spécifiques », ni peinture, ni sculpture.
Selon Judd, ses objets mous parodient les idées de
grandeur, de sublime ou transcendance, mais
parviennent à fonctionner comme un tout : sujets
agressifs, connotation sexuelle, taille, couleur,
inscription dans l’espace réels : ces objets insistent
sur leur caractère spécifique, tout en parodiant ou
reproduisant les objets ordinaires.
L’insistance sur la couleur, la matière donne un côté
tactile à l’objet : il réintroduit les idées d’opacité,
masse, poids contre l’idéalisme de la sculpture
d’alors.
« Le vinyle des objets mous d’Oldenburg paraît
toujours pareil, satiné, flasque et légèrement
désagréable, et, de ce fait, objectif. » Judd.
En 1966, année de réalisation du Ventilateur,
Oldenburg déclare « si je ne croyais pas que ce que
je fais permet de repousser les limites de l’art, je ne
continuerais pas à le faire»
"The Fan’s first placement was on Staten Island,
blowing up the bay. Later, I sited it as a replacement
for the Statue of Liberty...[guaranteeing] workers on
Lower Manhattan a steady breeze." [Claes
Oldenburg, 1967, quoted in MoMA Highlights]

Claes Oldenburg Giant Soft Fan 1966-67, h. 305cm, MOMA,


vinyle empli de mouse sur bois, toile, cousu main par sa femme Pat
« My art object always
represents something, usually
something simple. I do not
believe inrepresenting
something too involved for it
takes the emphasis from the
art. On the other hand I
choose something simple in
which is concentrated as
muchas possible, as certain
objects meantrs a way of life
for the cubists. I proceed this
way too : something not
meaningless and of my own
experience. »

1962 View of Claes Oldenburg The Store,Green Gallery NY

Comme Kienholz The Appel Shrine, c’est initialement


dans son studio au rez de chaussée que l’exposition a
lieu. Elle parodie l’appétit d’art qui s’est emparée du
marché en offrant à la vente d’appétissant gateaux
réalisés en plâtre peint.
1969 exposition de Claes Oldenburg au MoMA
1964 Edward Kienholz Back Seat Dodge 38
"revolting, pornographic and blasphemous"
(1938 Dodge, femme : platre, homme : chicken wire, musique enregistree, bouteilles de bière)

Devant le scandale provoqué par sa sculpture (LACMA 1966) l’artiste accepte que la porte soit
fermée, un garde l’ouvrant pour laisser le spectateur jeter un bref coup d’oeil.
1968 Edward Kienholz Portable War Memorial, Köln

Plaster casts, tombstone, blackboard, flag, poster, restaurant furniture, photographs, working Coca-Cola
machine, stuffed dog, wood, metal, and fiberglass - Museum Ludwig, Cologne
Oldenburg
I am for an art that is polititcal erotical mystical, that
does something other than sit on its ass in a museum.
I am for an art that embroils itself with the everyday
carp and still c omes out on top.
I am for an art that imitates the human, that is comic if
necessary, or violent, or whatever is necessary.
---
Everything I do is completely original. I came up for it
when I was a kid.
Même utilisation de l’ironie et du burlesque dans les sculptures que Robert
Morris réalise à cette époque.
Untitled (Tangle) feutre, 1967 et Untitled, (Pink Felt) 1970, dimensions variables.

Dans son essai sur l’Antiforme (1968) Morris explique que “l’informe” permet d’échapper
au poids historique du rectangle, de la composition, de la rationnalité, et se démarque du
minimalisme.

Le feutre est disposé alléatoirement à


chaque exposition. La présence de
l’artiste n’est pas nécessaire.
It is part of the work's refusal to continue
aestheticizing form by dealing with it as a
prescribed end.
1966 Primary Structures
L’exposition au Jewish Museum, suivant de peu
l’exposition de Robert Morris (ci-dessous)
rassemble pour la première fois les artistes que
l’on appellera minimalistes et sert de manifeste.

Avant que le terme s’impose, les critique en


utilisent d’autres, trahissant leur frustration :
littéral, BA-BA (abc art), minimal, childish…

Robert Morris, 1963, exposition à la Green


Gallery, bois peint. L’artiste parle à cette
époque de Gestalt – formes capables d’être
comprises immédiatement par le spectateur.
Protocoles

Au début des années 1960s, Richard Serra se fit une


« liste de verbes », dans l’espoir qu’elle lui permettrait
de se débarrasser des automatismes et afin de
forcer l’imprévu : « to work in an unanticipated
manner and provoke the unexpected".
Cette liste lui servit à soumettre divers matériaux
(plomb, caoutchouc, acier) aux différentes actions
énumérées.
One Ton Prop est une œuvre réalisée à partir du verb
« prop ». L’artiste commentera l’oeuvre : "Even
though it seemed it might collapse, it was in fact
freestanding. You could see through it, look into it,
walk around it, and I thought, ‘There’s no getting
around it. This is sculpture. »

Si le protocole protège la sculpture de la subjectivité


de l’artiste, elle reste cependant offerte à celle du
spectateur. De cette œuvre, Serra dira aussi qu’elle
partage avec le spectateur d’être soumise aux lois de
l’équilibre.
On retrouve des idées proches dans les
commentaires de Morris sur le feutre, qu’il compare à
la peau humaine, et la dance comme inspiration pour
les deux artistes.
A la fin des années 60s, Morris abandonne les formes géométriques et la production industrielle de la
sculpture minimaliste, et commence à utiliser des matériaux dotés d’un pouvoir plus expressif. Dans
un essai de 1968, il appelle anti-forme le processus qui consiste à soumettre des matériaux
malléables et tactiles à des action simples comme découper, faire tomber. Dans l’anti-forme, le
contrôle du créateur cède la place au hasard :
“Random piling, loose stacking, hanging, give passing form to the material. Chance is accepted and
indeterminacy is implied since replacing will result in another configuration. Disengagement with preconceived
enduring forms and orders for things is a positive assertion. It is part of the work's refusal to continue
aestheticizing form by dealing with it as a prescribed end.”
La Série
contre l’auteur, la subjectivité, l’originalité, l’expressivité
du geste (Pollock et les Expressionistes abstraits)

En 1967, Mel Bochner (art sériel, systèmes, solipsismes) est le premier


texte critique à tenter d’analyser le caractère sériel dans l’art récent.
Mais l’on retrouve des pratiques sérielles chez de nombreux artistes, aux
styles et aux buts différents.
Parmi les précurseurs de l’art sériel, Monet, et ses 28 version de la Cathédrale de Rouen réalisées entre
1892 « ( 1894, parfois 7 à la fois : il s’attire les critiques de ses contemporains de vendre des œuvres de
série au prix de l’originalité. Elles seront exposées une seule fois ensemble avant d’être dispersées au grès
des ventes).

On fait la même critique aux Spots Paintings de Damien Hirst, qui de plus ne les réalise pas lui-même.
Toujours en Europe, mais contemporains du minimalisme : Opalka commence sa série de tableaux de 1 à
l’infini, le groupe BMPT (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni) annonce aux critiques dans une lettre de 1966
qu’ils ne sont plus peintres, mais ont adopté une forme unique qu’ils répèteront pendant des années, ON
Kawara ses dates paintings… quelles fonctions la sérialité joue-t-elle pour les artistes qui gravitent autour du
minimalisme ?
1963, Andy Warhol, Orange Car Crash Fourteen Times, MOMA.

Quel sens donner au fameux « Je pense que tout le monde devrait être une machine » ? Embracer la
modernité, ou survivre devant le drame ?
Warhol prétend aussi que le monochrome ajouté au premier tableau est affaire de rapidité et de prix.
La répétition insiste sur la perte du sens : « Toutes mes images sotn à la fois semblables et différentes.
Elles sont modifiées par la couleur ou la lumière, par l’instant ou l’humeur. La vie n’est-elle pas une série
d’images qui changent en se répétant? »
En 1965, Donald Judd annonce, dans son artist
statement pour Primary Structures, l’expostion qui
rassemble pour la première fois les œuvres qu’on
appelera plus tard minimalistes
« La moitié des meilleurs œuvres produites ces
dernières années n’étaient ni de la peinture ni de la
scultpure ».
En faisant sortir des structures colorées du mur, en
empruntant des matériaux et des procédures de
fabrication industriels, il s’attaque aussi à l’originalité,
à l’expression, au geste de l’artiste.
Enfin, il rend la structure modulable. La
« composition » ne règle plus le rapport du tout et
des parties : on peut supprimer un module, si la
hauteur de la pièce ne permet pas de respecter les
228 mm de distance entre chaque bloc.

On peut penser à Yves Klein,


pour qui l’essence de la
peinture s’exprime dans des
éponges imbibées de bleu :
 « Pour atteindre cet «
indéfinissable » de Delacroix
qui est l’essence même de la
peinture, je me suis mis à la «
spécialisation » de l’espace, qui
est mon ultime façon de traiter
la couleur. Il ne s’agit plus de
voir la couleur, mais de la «
percevoir ».« Ma position dans
le combat entre la ligne et la
couleur ,» 1958.
1962 Yves Klein L’esclave de Michelange, 35cm
1963 Dan Flavin, The Nominal Three (Guillaume d’Ockham)
Aujourd’hui au Gugenheim NY, exposé pour la première fois solo show, Green Gallery, 1964.

« Ne pas énoncer plus d’unités qu’il est nécessaire » Ockham, père de la philosophie
nominaliste.

Lorsque Dan Flavin commence à utiliser les tubes fluorescents, ils existent en 4 couleurs (rouge,
bleu, rose, jaune, ultraviolet), différents blancs, et en 4 tailles. Dan Flavin va donc les utiliser
comme des ready-mades, utilisant les différentes combinaisons. Dan Falvin refuse l’appelation de
sculptures, car pour lui l’important est l’espace autour du tube, éclairé et inondé de couleur. Les
titres, par leur ironie, contredisent les interprétations esthétiques.
En plaçant les œuvres dans des coins de la pièce, Dan Flavin oblige le spectateur à chercher sa position par rapport à l’oeuvre, à s’interroger
sur sa perception de l’espace, de la couleur, des murs, par conventions invisibles dans la peinture de chevalet. Comme Judd, il dépasse
l’opposition que le modernisme a voulu faire entre peinture et sculpture.

Les tubes vendus par Dan Flavin sont accompagnés par un certificat de l’artiste qui précise comment les remplacer. Cependant, la mort de
l’oeuvre est sa fin : « je veux transformer une lampe ordinaire en un objeet magique. Et pourtant c’est toujour une lampe qui brûle jusqu’à son
terme comme n’importe quelle autre de son espèce. Avec le temps le système électrique tout entier sera relégué au musée de l’histoire. Mes
lampes ne seront plus en état de fonctionner, mais il faudra se souvenir qu’elles donnèrent autrefois de la lumière.  »
Comme Donald Judd affranchit la peinture du cadre, du mur, Carl André
affranchit la sculpture de ses déterminations traditionnelles

1964 Carl Andre building Cedar Piece

Socle => sol


Occupe un lieu qu’elle consacre => découpe l’espace,
trace des lignes potentiellement infinies
Volume (plein ou vide) => fragment, ruptures
Forme contenue => lignes dans l’espace, vers le spectateur
Unité et permanence => modulable
Création => assemblage d’objets ordinaires
Structure => poids, masse 1966 Equivalent VI, 120 briques réfractaires,
Composition => répétition du même élément 12x274x57cm

Carl Andre accepte l’étiquette de minimal, rejette celle de conceptuel : I was always fighting the rise of conceptual art," he
says. "There was Joseph Kosuth’s statement, 'Art as idea as idea.' And I said an idea in the head is not a work of art. A
work of art is out in the world, is a tangible reality." He adds: "My work doesn't come from ideas – my work comes from
Exposition 2013, avec left Trabum (1977, sapin, 91cm, Guggenheim) et 1981 Phalanx
Comme Sol Lewitt, le philosophe Gilles Deleuze croit à la force politique et artistique de la
répétition. Il publie en 1969 son premier livre, Différence et répétition, une étude
philosophique fort sérieuse des vieux concepts d’unité et différence (Aristote, Platon...),
contrairement aux philosophes anciens célèbre la répétition, en particulier celle qui permet
à l’art de s’opposer à la standardisation de la vie moderne :

consommation, plus l’art doit s’y attacher et lui arracher cette petite
différence…. Reproduire esthétiquement les illusions et mystifications
qui font l’essence réelle de cette civilisation pour qu’enfin la Différence
s’exprime avec une force elle-même répétitive de colère…
Sol le Witt, exposition à Los Angeles, 1967

Les premiers critiques cherchent à faire rentrer les œuvres de Sol le Witt dans des schémas
anciens : représentation du cerveau, ode à la rationalité humaine, les grilles de Sol Lewitt
continueraient sous une forme épurée la longue tradtition de l’art comme « cosa mentale ».

Rosalind Krauss s’élève vigoureusement contre cette interprétation : au contraire, pour elle,
la clef de lecture est le caractère incomplet, imparfait de ces formes en perpetuelle
transformation, indépendamment du spectateur.
« The idea becomes a machine that makes art »
- Sol Lewitt
Dans une lettre à son amie Eva Hesse « Drawing-clean-clear but crazy like machines, larger and bolder…
real nonsense.” That sounds fine, wonderful – real nonsense. »
Il écrit aussi, à la même époque : « Toute œuvre implique certaines attitudes philosophiques, sociales et
politiques. Les meilleures œuvres se créent en opposition aux principaux pouvoirs et contre beaucoup
d’attitudes dominates ».
Par ses écrits et ses œuvres, Sol LeWitt est une influence autant sur l’art minimal que sur l’art conceptuel.
Il popularise d’ailleurs le terme d’art conceptuel dans un article de 1967, Artforum, Phrases sur l’art
conceptuel.
1. Les artistes conceptuels sont des mystiques plus que des rationalistes. Ils en viennent à des
conclusions qui échappent à toute logique.
7. la volonté de l’artiste est secondaire dans le processus qu’il initie de l’idée à la réalisation. Sa volonté
n’est que son égo.
8. Lorsque l’on utilise des mots tels que peinture et sculpture, on évoque toute une tradition et on suggère
l’acceptation impliocite, imposant des limites à l’artiste déjà peu enclin à produire de l’art au-delà de ces
limites.
10. Les idées à elles seules peuvent être des œuvres d’art ; elles font partie d’une chaine de
développement susceptible de trouver une forme. Toutes les idées n’ont pas besoin de trouver une forme.
32. Une belle réalisation ne sauvera jamais une idée ordinaire.
33. Il est difficile de rater une bonne idée.
34. Lorsqu’un artiste connaît trop bien son métier, il fait de l’art superficiel (Baldessari, qui brûle ses
tableaux à cette date : no more boring art)
C’est dans ces années qu’il commence à vendre des certificats décrivant l’oeuvre, ou téléphone des
instructions pour que d’autres réalisent le dessin.
Ainsi pour une exposition à Nova Scotia, où le dessin est présenté accompagné d’un cartel explicatif :
« Une œuvre qui utilise l’idée d’erreur ; une œuvre qui utilise l’idée d’infini, une œuvre qui est subversive,
une œuvre qui n’est pas originale »
Aux étudiants de Nova Scotia qui ont réalisé l’oeuvre il explique :
‘If I do a drawing on a wall I do a drawing on paper as a plan because I don’t do the actual drawing on
the wall. It’s just too much work and usually I have a very short time to do it. So other people do it
and they have to have a plan to work from so I do that, so that’s another kind of drawing.’
Wall Drawing #443, deux réalisations
Concept
« Le monde est déjà plein d’objets, inutile d’en
rajouter davantage.» Douglas Huebler, 1969

Douglas Huebler, Variable piece 39, 1969

21 photos du film King Kong (plus


quelques clichés « pour terminer la
pellicule ». 6 images sont ensuites
choisies par 6 étudiants, afin d’illustrer au
mieux 6 mots commençant par K : Kooky,
kitterish, killjoy, kissable, kosher.

Lawrence Weiner,
1969
« The art I call conceptual is such because it is based on an inquiry into the nature of art. Thus, it
is...a thinking out of all the implications, of all aspects of the concept 'art.'"

Joseph Kosuth, 1965 One and Three Chairs, MOMA

Wood folding chair, mounted photograph of a chair, and mounted photographic enlargement of the dictionary definition of "chair",
Art as Idea as Idea

A partir de 1966 Joseph Kosuth


The First Investigation, Art as Idea as Idea
Photostat on carboad 120x120cm
A partir de 1966, On Kawara commence à peindre un tableau quotidien,
- en tout 3000 car lorsque l’effort quotidien échoue, il détruit le tableau
commencé.

Date, jour, année, rendu méticuleusement à la main en « sans serif » sur


des fonds rouge, bleu ou gris sombre, adoptant l’orthographe de chaque
pays où voyage pour rendre la date.
Une boite contient une page d’un journal local du jour – sans
apparemment choisir la coupure pour son sens, mais plus pour la nostalgie
et les évènements passés qu’elle évoque, loin de la temporalité
suspendue du tableau.
La tâche devient de plus en plus compliquée au fur et à mesure que On
Kawara s’impose d’autres routines : la liste des I Met (personne
rencontrées dans la journée), le télégramme I am still alive à partir de 1970
et l’heure de son lever, envoyée sur une carte postale à un ami de 68 à 79.
Le « post minimalisme »

Rapidement, les structures géométriques du minimalisme


sont critiquées :

- neutralisées par le musée, réinterprétées dans un sens


moderniste, une interprétation qui perdure
- proches des structures de pouvoir du gouvernement
- une critique féministe conteste l’aspect « masculins »
de ces formes et matières aux angles durs

De ces différentes critiques naissent plusieurs voies


explorées par ceux que faute de meilleur terme on
regroupe sous l’appellation de post minimalisme.
Eva Hesse (left) Accession II 1967 galvanized steel, rubber tubing, c. 30”square
Hesse with Accession II in 1968
Eva Hesse (American born Germany,1936-1970, 34 years), Metronomic Irregularity,
1966.

Première de trois versions de cette oeuvre, avec 3 et 5 panneaux : la seconde et plus


grande (120x590cm) explose littéralement à l’accrochage sous la tensions des fils.
Hesse, Sans II (two views),1968 fiberglass polyester resin 5 units

detail

Donald Judd, Untitled, 1964


Hesse, notebook page, 1965-66; Hang Up, acrylic on wood, cloth, steel, 1966
Hesse in New York apartment holding Ingeminate, 1966; Hesse Ingeminate 1965,
surgical hose, papier-mâché, cord and sprayed enamel over balloons (detail)
Le corps de l’artiste, le corps du
spectateur
Pour Carl Andre « la
sculpture idéale est
une route »

C’est dans la même


démarche quen
lorsque Richard Long
enregistre le
déplacement dans
l’espace d’une boule
de neige, d’un
homme qui marche, il
ne réalise pas une
œuvre de « land
art », mais explore
les limites de la
sculpture.
Bruce Nauman (US, b. 1941) (left) Eating My Words, and (right) Self
Portrait as a Water Fountain, from Eleven Color Photographs" (1966-1967/70)

“If I was an artist and I was in the studio, then whatever I was doing in the
studio must be art. At this point art became more of an activity and less of a
product.”
Bruce Nauman (US 1941) (left) Wax Impressions of the Knees of Five
Famous Artists, 1966, fiberglass and polyester resin (not wax), 15 5/8 in. x
85 1/4 in. x 2 3/4 in. Collection SFMOMA . Knee impressions are all Nauman’s
(right) Hand to Mouth, wax over cloth, 1967 (cast from wife’s body)
Bruce Nauman, Art Makeup, White, Black, Pink, Green, 1967-8, performance
video stills
http://www.vdb.org/smackn.acgi$artistdetail?NAUMANB
Bruce Nauman, Slow Angle Walk (Beckett Walk) (1968). Video, 60 min

My name as though it were written on the surface of the moon.


(Window or Wall Sign), 1967. Neon tubing with clear glass tubing suspension
supports; 59 X 55 x 2 in

L’emblématique enseigne est à l’origine réalisée pour être suspendue au


dessus de la fenêtre du studio de l’artiste. L’oeuvre d’art fonctionne comme
une publicité pour bière, essence, et ces autres signes de la civilisation
consommatrice que Ed Ruscha a commencé à photographier et reproduire.

L’art conceptuel est ici une manière poétique de s’immiscer dans l’espace
public et de perturber les habitudes inconscientes (du désir, du sens).
"The most difficult thing about the whole
piece for me was the statement. It was a
kind of test - like when you say something
out loud to see if you believe it. Once
written down, I could see that the
statement [...] was on the one hand a
totally silly idea and yet, on the other hand,
I believed it. It's true and not true at the
same time. It depends on how you interpret
it and how seriously you take yourself. For
me it's still a very strong thought."
- Nauman
Le site
« Une sculpture qui réagit physiquement à son
environnement ne doit plus être considérée comme un
objet. Elle se fond ainsi avec l’ environnement dans un
rapport qu’on peut mieux décrire comme système de
processus interdépendants » Hans Haacke, 1967.

Processus, lieux, système, espace… et leur rapport à la


sculpture : c’est le terme « site » qui s’impose dans les
débats sur le lieu de l’art, la relation de l’oeuvre au
spectateur.
Site/Sight
https://www.youtube.com/watch?v=zSPabgOyS
2w
Robert Morris intitule ainsi un accessoire de
théâtre, boite contenant le son de sa
réalisation, le lieu « originel » de la sculpture.
L’accessoire est repris dans une performance,
puis à la fin de cette trajectoire devient une
œuvre.
Même si Robert Smithson est plus
connu pour ses œuvres de land art ou
earth art, où il manipule le paysage,
Corner Mirror with Coral est un exemple
d’oeuvre qu’il appelait "non-site."
En combinant des matériaux naturels et
industriels, les « non -site » se
présentent le plus souvent comme
l’apport d’éléments extérieur à l’intérieur
de la galerie ou du musée, dont ils
perturbent le fonctionnement – attirant
l’attention du spectateur sur des
conventions implicites dans leur rapport
avec l’art.
« Instead of putting a work of art on
some land, some land is put into the
work of art. »

Pour Smithson, la galerie est semblable


à une prison, le musée à un cimetière,
et ses « non lieu » en font la critique de
l’intérieur. Ici, par l’usage de :
- Miroir
- Absence de Piédestal, coin
- Mouvement du spectateur "I’m using a mirror because the mirror in a sense is both the physical mirror and the
reflection: the mirror as a concept and abstraction; then the mirror as a fact within
the mirror of the concept."

Vous aimerez peut-être aussi