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FOCUS

TRICK

LED : dangereux pour la santé ?


ÈNE

ALICIA TORRIGLIA1, FRANCINE BEHAR-COHEN1, 2


1. Centre de recherche des Cordeliers, Inserm UMR S1138 ; Sorbonne Université ;
Université de Paris, Sorbonne Paris Cité.
2. OphtalmoPôle, hôpital Cochin, AP-HP, 75014 Paris.

L’
œil est exposé aux ondes électro- L’énergie d’une onde électromagné- La Commission internationale de
magnétiques solaires, de l’ultra- tique étant inversement proportionnelle protection contre les rayonnements
violet (UV) à l’infrarouge, mais à sa longueur, la lumière bleue (400- non ionisants (ICNIRP) a fixé la valeur
aussi aux sources de lumière arti- 460 nm) en porte plus que la rouge limite d’exposition à la lumière bleue à
ficielle : éclairages domestiques, (800 nm). Le risque de toxicité pour la 2,2 J/cm2. Ainsi, une ampoule à risque 0
publics ou professionnels, écrans rétine est lié à la production de radicaux atteint cette dose en plus de 10 000 s
et objets munis de lampes… libres oxygénés par l’épithélium pigmen- ( tableau ). Toutefois, ces directives ne
Les effets de l’éclairage sont liés : taire lors de l’absorption des photons. s’appliquent qu’aux expositions aiguës
– à la source : puissance, intensité lu- En application de la directive euro- (uniques et inférieures à 3 h) et aux éclai-
mineuse, spectre, papillotement (scin- péenne n° 2005/32/CE sur l’écoconcep- rages domestiques et professionnels.
tillement perceptible ou non par l’œil tion, le retrait du marché des lampes Jouets, lampes torches, objets de déco-
résultant d’une fluctuation de tension à incandescence et halogènes classiques ration… échappent à la réglementation.
électrique), température de couleur, a induit un fort développement des éclai-
rendement énergétique, variation tem- rages à diode électroluminescente (LED
porelle ; [light-emitting diode]). Ces derniers ont LED : QUELS RISQUES ?
– à sa perception par l’utilisateur : lu- une composition spectrale différente de En 2019, l’Anses a publié un nouveau
minance, indice de rendu de couleur celle de la lumière naturelle et des autres rapport d’expertise sur les effets sani-
(indicateur de la propension d’une sources de lumière (à incandescence, ha- taires liés à la lumière bleue (phototoxi-
source lumineuse à bien restituer les logènes, fluocompactes… )1 avec un net cité, perturbation des rythmes circa-
couleurs ; par exemple, avec certaines enrichissement en lumière bleue (fig. 2). diens), au déséquilibre spectral (rapport
lampes, les couleurs semblent jaunes des intensités lumineuses entre le bleu
par rapport à l’éclairage naturel), et le rouge) et à d’autres caractéristiques
éblouissement, papillotement. QUELLES NORMES ? de l’éclairage à LED (éblouissement,
La cornée et le cristallin absorbent Les ampoules destinées au public sont modulation temporelle de l’intensité
la majeure partie des rayonnements classées en 4 groupes (tableau) : lumineuse).
UV (dont l’excès endommage la cornée – – 0 : aucun risque ; Le risque phototoxique d’une surex-
kératites solaires – et induit des cata- – 1 : risque faible (pas de danger en condi- position aiguë est avéré. De ce fait, les
ractes). Seuls ceux compris entre 380 et tions d’utilisation normales) ; lampes de niveau de risque 2 devraient
780 nm (dits visibles) atteignent la rétine – 2 : modéré ; être retirées du marché français de
et sont convertis par les photorécepteurs – 3 : élevé même pour des expositions l’éclairage domestique. Cependant, les
en influx nerveux. courtes et momentanées (ne sont pas phares automobiles et certaines lampes
La proportion de lumière bleue trans- sur le marché de l’éclairage domestique torches font partie de cette classe.
mise décroît avec l’âge, étant d’autant en France mais peuvent être utilisées Concernant l’exposition cumulée, au-
plus absorbée par le cristallin vieillissant dans certains cadres professionnels cune étude prospective n’a montré une
qui devient jaune (fig. 1). (milieu du spectacle : projecteurs). association à des pathologies oculaires.
Les arguments expérimentaux et les mé-
ta-analyses récentes plaident pour un
TABLEAU RISQUE DE LA LUMIÈRE BLEUE SELON LA SOURCE LUMINEUSE*
rôle favorisant de la lumière solaire dans
Groupe de risque en lumière bleue 0 1 2 3 la DMLA.2 Des études sur des sujets vivant
Temps d’exposition (en s) 10 000 à ∞ 100 à 10 000 0,25 à 100 < 0,25 dans des conditions extrêmes (guides
Le seuil de sécurité (norme ISO 15004-2) a fixé la valeur limite d’exposition humaine à une source lumineuse à 2,2 J/cm2. de haute montagne, pêcheurs de la baie
Ainsi, une ampoule à risque 0 atteint cette dose en plus de 10 000 s. * Selon la norme NF EN 62471. de San Francisco, nones irlandaises)

122 LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GÉNÉRALE - TOME 34 - N°1035 - FÉVRIER 2020


L’ESSENTIEL
Une surexposition aiguë L’utilisation chronique des La lumière bleue, même à faible luminance,
à la lumière bleue peut être lampes à LED pourrait contribuer perturbe le sommeil et les rythmes circadiens,
phototoxique pour la rétine. à la survenue d’une DMLA. particulièrement chez les enfants.

Fig. 1 Les UV B et A sont absorbés par la cornée et le cristallin ; la lumière bleue Fig. 2 Décomposition spectrale de la lumière de différentes sources :
est la partie du spectre la plus énergétique à atteindre la rétine. soleil, lampe incandescente et ampoule LED de 5 000 K).

semblent confirmer cette hypothèse. Or, EN PRATIQUE : COMMENT SE PROTÉGER ? testés, la capacité de filtrage du rayonne-
dans ces rayonnements, la composante ment bleu dans la bande mélanopique est
phototoxique est liée au spectre bleu. Le Il est recommandé d’utiliser des lampes très variable : très faible pour les verres
cumul du stress oxydatif induit par l’ex- à LED toujours recouvertes d’une enve- traités voire inexistante, malgré les reven-
position serait un des facteurs impliqués loppe qui cache la diode (ce qui n’est pas dications des fabricants ou distributeurs
dans le vieillissement pathologique de la le cas de certaines torches). Il faut aussi de ces produits. Impossible d’affirmer
rétine. privilégier des luminaires à éclairage in- que ce filtrage est suffisant pour empê-
Les risques de perturbation des direct ; limiter le nombre de lampes déco- cher l’effet de l’exposition vespérale sur
rythmes circadiens sont établis. La ratives dans les pièces. La luminance doit la mélatonine ainsi que le retard à l’en-
stimulation des cellules ganglionnaires être confortable. Préférer une lumière dormissement. Pour les écrans testés re-
à mélanopsine par la lumière bleue (460- blanc chaud (2 700-4 000 kelvin) plutôt vendiquant une limitation de l’émission
480 nm) réprime la sécrétion de mélato- que blanc froid. de lumière bleue, aucune efficacité réelle
nine par la glande pinéale, favorisant Éviter au maximum les écrans avant n’a été observée. La baisse de la tempéra-
l’éveil et inhibant le sommeil. de dormir ou utiliser les logiciels qui ture de couleur (passage au blanc chaud)
L’exposition à des lampes à LED, même permettent de les jaunir. Plusieurs sont et de la luminosité des écrans a montré
à très faible luminance (tablette, smart- disponibles gratuitement, ils réduisent une certaine efficacité sur la diminution
phone, veilleuse…), le soir ou la nuit peut l’émission de bleu en fonction de l’ho- de la quantité de bleu dans le spectre.
perturber l’endormissement, altérer la raire (la géolocalisation permettant de
Les déclarations publiques d’intérêts
qualité du sommeil, retentir sur les fonc- s’adapter au fuseau horaire). Pour les en- des auteurs sont consultables sur le site
tions physiologiques rythmiques. fants : pas de veilleuses et autres jouets de l’Anses.
Les enfants seraient particulièrement à qui émettent de la lumière bleue la nuit
risque.3 ou le soir ; les exposer à la lumière du
La modulation temporelle de la lu- jour, à différentes heures de la journée. RÉFÉRENCES
mière (perçue comme un papillote- Les verres (lunettes et lentilles) dits pro- 1. Behar-Cohen F, Martinsons C, Viénot F, et al.
ment), due à une sensibilité des LED aux tecteurs ont des performances variables, Light-emitting diodes (LED) for domestic lighting: any
risks for the eye? Prog Retin Eye Res 2011;30:239-57.
variations des courants d’alimentation, rendant le choix difficile.
2. Sui GY, Liu GC, Liu GY, et al. Is sunlight exposure a
provoque des fatigues visuelles et des Selon l’Anses, les lunettes spécifiques risk factor for age-related macular degeneration? A
céphalées. de protection ont une efficacité de fil- systematic review and meta-analysis. Br J Ophthalmol
2013;97:389-94.
Enfin, le lien entre composition spec- trage plus importante que les verres
3. Lee SI, Matsumori K, Nishimura K, et al. Melatonin
trale de la lumière et myopie est étudié ophtalmiques traités. Aucun de ces deux suppression and sleepiness in children exposed to
depuis longtemps. Encourager les jeunes systèmes ne peut être considéré comme blue-enriched white LED lighting at night. Physiol Rep
enfants à sortir à la lumière du jour et évi- un équipement de protection indivi- 2018;6:e13942. doi:10.14814/phy2.13942
ter une exposition intense aux lampes ar- duelle contre le risque de phototoxicité 4. Ho CL, Wu WF, Liou YM. Dose-response relationship of
outdoor exposure and myopia Indicators: a systematic
tificielles4 seraient des mesures efficaces rétinienne aiguë après exposition prolon- review and meta-analysis of various research methods.
contre la progression de la myopisation. gée à une LED intense. Selon les moyens Int J Environ Res Public Health 2019;16:2595.

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