Jean-Luc Marret Maître de recherche, Fondation pour la re- cherche stratégique Louis Baral Fonctionnaire, ministère de l’Intérieur
Résumé Le nombre de candidats français, binationaux
Le grand nombre de ressortissants français ou non, pour le djihad en Syrie est à ce point voulant faire le djihad en Syrie a des élevé qu’il est nécessaire aujourd’hui d’envi- conséquences nombreuses pour la sécurité sager des mesures concertées de prévention1. nationale et entraîne de nombreux défis : il Ces mesures proposées ci-dessous, doivent paraît temps de mettre en place des mesures être considérées comme accompagnant le préventives, publiques et privées, de travail policier d’antiterrorisme. Le projet de déradicalisation, y compris en milieu carcéral. loi actuellement en examen comporte une dimension sécuritaire certes nécessaire, mais sans doute insuffisante au regard de la Abstract situation actuelle et d’un avenir vraisem- The number of French citizens willing to blablement incertain. make Jihad in Syria, or already there, has and will have substantial consequences for 1. Au demeurant, de nombreux pays, occidentaux ou non, sont concernés par ce phénomène. Ainsi, les Pays- national security and is extremely Bas disposent de données précises sur les profils des challenging. It seems time for that reason to individus concernés (surreprésentation des individus support deradicalization initiatives, public d’origine marocaine, influence des médias sociaux ou d’organisations radicales sur le territoire des Pays-Bas), and private, including in jails. etc. (Source : Algemene Inlichtingen-en Veiligheidsdienst (AIVD) et “Sharia4Holland speelt rol bij jihad-reizen,” De Volkskrant, 24 avril 2013 ; “Nederlander vast in Marokko om ronselen voor Syrië,” De Volkskrant, 25 mai 2013). Cette note entend faire le point sur l’ampleur plutôt de l’ensemble des réseaux. Sans du problème, l’attitude traditionnellement doute est-ce l’indice de l’ampleur du méfiante de la France à l’égard de la phénomène, en vertu du principe que la prévention du terrorisme et les solutions clandestinité est inversement proport- possibles, dans un contexte où la « déra- ionnelle au nombre des individus dicalisation » commence ici ou là à être perçue concernés. Par contraste, les individus comme possiblement utile et où la France, des réseaux franco-belges qui tentaient pour la première fois depuis le début des de se rendre en Irak entre 2003 et 2005 années 1980, pense au terrorisme en terme de étaient à la fois beaucoup plus discrets et prévention. infiniment plus réduits en nombre. Ensuite, ce n’est pas parce qu’on veut faire le djihad en Syrie qu’on y réussit, L’ampleur du problème dès lors que sont dépassées les simples Le nombre de ressortissants français tentant déclarations d’intention. De l’argent est de se rendre en Syrie atteint un record nécessaire, ensuite une volonté, enfin historique. Jamais, par le passé, d’autres une opportunité, voire de la chance. « terres de djihad » (Bosnie, Tchétchénie, Irak, Afghanistan) n’avaient autant mobilisé De surcroît, le voyage à destination de la dans notre pays. Même la guerre civile qui Syrie nécessite de rester non-détecté au frappa l’Algérie dans les années 1990 ne départ (ou insensible en cas de détection suscita sans doute pas autant de vocations à un entretien préventif d’avertissement pour le combat et l’action. par la police3) et à l’occasion du passage par des pays intermédiaires (en parti- Un très grand nombre de raisons, certaines culier la Turquie, voire le Liban sunnite, historiques, sociales ou culturelles, d’autres l’Irak ou la Jordanie). L’existence de enfin plus circonstancielles, président à ce filières de passage des frontières terres- phénomène. Contentons-nous ici d’évoquer le tres et d’accueil est ici un élément développement et la dissémination d’un crucial. « romantisme djihadiste » vers le bas, fait d’héroïsation, d’une esthétique naïve et Enfin, concernant le retour, il n’est pas clinquante, d’autant plus à même de séduire certain que le pire soit systématique- que la théologie djihadiste, même traduite et ment à craindre, quoiqu’un exemple simplifiée en français, est souvent hors de récent au moins (dans le sud de la portée intellectuelle des jeunes gens qui se France) montre que certains, de retour, laissent séduire. souhaitent clairement frapper la France. Ceux qui sont partis faire le djihad ne Les médias sociaux, certes, mais aussi un vont pas forcément le poursuivre en entourage familial parfois lui-même radical, France, voire se lancer un jour, si les favorisent la diffusion d’une propagande circonstances les incitent à le faire, dans simple, efficace et active. Le discours, si l’on des actions violentes ou de prosélytisme. veut, s’est rapproché de la cible et les Certains, comme cela a été observé pour recruteurs échangent quotidiennement avec des djihads précédents, partent en terre les candidats au djihad par le biais de forums d’Islam autant pour faire le djihad que sociaux qui n’ont rien de clandestin. pour vivre selon leurs préceptes, loin de L’évaluation du nombre et des profils des l’Europe, perçue comme une terre ressortissants français n’est pas aisée à faire. mécréante. Le retour en France pourrait Les statistiques fournies par le ministère de en réalité signifier une période l’Intérieur2 font apparaître 350 individus déjà d’inactivité, en particulier parce que la présents en Syrie pour « combattre », 400 France serait une sorte de sanctuaire candidats potentiels en transit ou ayant dans lequel il est possible et habituel de manifesté des velléités de départ, 180 vivre pour ces individus, et/ou si leur personnes revenues du théâtre d’opérations et famille ou leurs amis exercent sur eux 36 morts. Il n’est évidemment pas pris en une pression en faveur d’une compte le « chiffre noir » des individus non- réintégration pacifique. détectés et ceci conduit à différentes En revanche, le simple nombre des remarques : individus concernés par le retour et D’abord, la transparence qui prévaut 3. D’où le projet de loi actuel qui prévoit un retrait 2. Interview de Bernard Cazeneuve, JDD, 14 septembre administratif du passeport pour ce genre de cas. 2014. ayant occupé des positions combattantes internationale au Nord-Mali a empêché (de l’ordre de plusieurs centaines ?) rend la « cristallisation » d’une terre de envisageable la constitution sur le djihad sanctuarisée dans l’ensemble du territoire national de groupes ou réseaux Mali. avec des effectifs opérationnels beau- On notera de surcroît que les positions coup plus importants que ceux observés officielles françaises à l’encontre du jusqu’alors, ayant du même coup la taille régime d’Assad, tout comme certaines critique pour effectuer des attentats de opinions d’origine judiciaire, ont pu être grande envergure (type prise d’otages comprises par certains comme un massive ou attaque urbaine massive, « appel au djihad » républicain, dans type Mumbai). Toutefois, les attentats tous les cas comme un soutien explicite ou tentatives d’attentats observés ou implicite à aller faire le djihad, jusqu’à ce jour, depuis deux ou trois ans, spécialement quand celui-ci était ne sont pas de ce type. entendu un peu naïvement comme une In fine, il est à craindre que les chiffres activité humanitaire parmi d’autres. officiels doivent être considérés néces- Tous ces aspects ont enfin été aggravés, sairement comme une hypothèse basse, comme on le sait, par la suppression des dans la mesure où par définition, un autorisations de sortie du territoire certain nombre d’individus restent non- (AST) individuelles et collectives pour détectés. En outre, combien y a-t-il de les mineurs français voyageant à djihadistes de nationalité française l’étranger sans leurs parents depuis le 1er parmi les djihadistes partis depuis les janvier 20135. Dans les faits, un mineur pays du Maghreb et considérés comme français pouvait désormais franchir les Algériens, Tunisiens ou Marocains ?4 frontières, avec son seul passeport en cours de validité ou de sa carte nationale d’identité (pour les pays de l’UE). Pourquoi ? L’opposition parentale à titre conser- Une question mérite d’être posée ici : vatoire et sans délai existait toujours, pourquoi tant de candidats au Jihad sont-ils mais dans l’attente d’obtenir une déci- attirés en France, en Europe et dans le monde sion judiciaire d’interdiction de sortie du par la Syrie et pas par le Sahel ? Plusieurs territoire. réponses peuvent être apportées : Meilleure maîtrise des technologies modernes et des réseaux sociaux par les Des tensions capacitaires de réseaux djihadistes francophones à sécurité ? l’œuvre en Syrie. Un simple principe de précaution exige une Prestige traditionnel supérieur dans détection et une surveillance policière afin de l’imaginaire arabo-musulman et protéger a) les citoyens en général et b) djihadiste de la Syrie et de Damas en d’empêcher ces individus, le plus souvent comparaison du Sahel où l’Islam est jeunes, de s’engager dans pareille cause. parfois suspecté d’être pétri d’animisme Or, les choses sont difficiles, spécialement ou de pratiques jugées déviantes par une compte-tenu du volume de la population vision théologique salafiste-djihadiste concernée. A cela s’ajoute la nécessaire (Cf. la problématique du culte des saints surveillance des individus condamnés pour à Tombouctou). terrorisme et sortant de prison après avoir En corollaire, au moins jusqu’à présent, purgé leur peine – de ce point de vue, la sous-représentation des cas de logique du système anti-terroriste français est djihadisme parmi les diasporas d’arrêter préventivement, c'est-à-dire très tôt, subsahariennes vivant en Europe. les individus suspectés d’activité terroriste. En conséquence, la durée moyenne des peines de Plus grande facilité d’accès à la Syrie (un prison est de sept ans en France quand elle est voyage Paris-Mersin, ville turque à de dix-sept ans en Espagne, selon des sources proximité de la frontière avec la Syrie ne de l’Union européenne. Si cette caractéristique coûte que quelques centaines d’euros). française est l’application maximale d’un La rapidité de l’intervention principe de précaution, elle a aussi pour 4. On s’interrogera aussi sur le faible nombre de 5. Circulaire du 20 novembre 2012. djihadistes en provenance d’Algérie. inconvénient majeur d’entraîner des entrées et à deux types de pratiques dont il n’existe pas sorties de prison très rapides des individus une définition unanime : condamnés, ce qui n’est pas un problème aussi La déradicalisation, par exemple aïgu dans d’autres pays comparables à la religieuse, qui consiste dans un France. ensemble d’actions sociales, Concernant le djihad en Syrie, la psychologiques ou comportementales caractérisation judiciaire du délit en droit destinées à aider les individus français nécessite une claire identification de radicalisés à renoncer à aller plus loin la katiba, affiliée à un groupe terroriste dans le processus conduisant à la (aujourd’hui, le fait d’appartenir au Jabat Al violence physique ou verbale et à revenir Nosra, affilié à Al Qaida, est plutôt « dédoua- à un mode de vie légal et pacifique. nant » en opposition à l’appartenance à l’EI), Le désengagement qui se réfère le plus dans laquelle les ressortissants français sont souvent à la sortie d’un ou de plusieurs suspectés de combattre (ce qui exige à coup individus de la violence politique active sûr des budgets et des moyens de (cas de figure des ex-djihadistes renseignement - y compris humains - très revenant de Syrie et d’Irak). importants qui pourraient être utilisés plus utilement). Il faut aussi que ces individus La nature relative de ces concepts est reviennent sur le territoire français, ce qui davantage perceptible encore selon qu’on les n’est pas garanti (cas des migrations appréhende avec une acuité variable : religieuses définitives). Une approche « micro » s’attachera à la Dans le même temps où ce flux histo- (dé-)radicalisation individuelle et se riquement élevé de filières et de candidats concentrera sur des variables de psycho- pour le djihad en Syrie se développe, sociologie comme la victimisation, perdurent d’une part les djihadistes français l’humiliation vécue, la recherche de désireux de frapper la France sur son territoire sensation ou d’attention, une phase du et d’autre part AQMI. développement de l’identité personnelle, de l’immaturité, voire des éléments À titre prospectif, il semble primordial de psychiatriques de personnalité. réfléchir à ce qui se passerait si un pays dont sont issues les diasporas musulmanes vivant Une analyse de niveau moyen (méso) en France était frappé par une guerre civile du verra davantage le contexte social, les type syrien, compte tenu de la proximité inégalités sociales réelles ou perçues, géographique, culturelle et démographique du une éventuelle dynamique de groupe en pays considéré. Cette simple éventualité, action, ou la socialisation dans une heureusement peu probable à ce jour, nous micro-communauté (rôle de l’amitié, des paraît de nature à confirmer plus encore la relations, caractère transitionnel de la nécessité d’une prévention et d’une approche cellule ou du réseau terroriste), etc. plus globale que strictement sécuritaire. Enfin, une approche plus générale (ou Aujourd’hui est grave, demain pourrait être macro) s’intéressera aux relations entre pire encore. une minorité ou communauté consi- Il semble que les capacités françaises aussi dérée et le reste de la population. Elle bien extérieures qu’int ernes sont s’attachera à l’étude des facteurs particulièrement mobilisées, voire en tension collectifs d’intégration ou d’exclusion, à de capacité, alors même que l’affaire Merah a l’influence de la globalisation ou des peut-être eu des conséquences sur le moral pays d’origine sur la diaspora au sein de des personnels. Nous considérons que cette laquelle peuvent prospérer, ici ou là, des situation, en plus de celles décrites plus haut, dynamiques de radicalisation. justifie de réfléchir à des mesures de Les travaux de l’équipe internationale prévention, car les problèmes actuels engagée pendant plus de quatre ans pourraient bien dépasser l’antiterrorisme au dans le programme européen SAFIRE sens traditionnel du terme. (dont la FRS)6 ont montré combien les facteurs explicatifs de la radicalisation (violente) étaient nombreux (près de De quoi parle-t-on ? 200), interactifs et combien la La prévention du djihadisme (mais aussi radicalisation était un processus non- d’autres formes de terrorisme, par exemple d’extrême-droite) se réfère schématiquement 6. www.safire-project-results.eu linéaire dans lequel différentes phases couvert par notre législation anti- pouvaient être distinguées et pendant terroriste, à la différence de ce qui lesquelles, au demeurant, certaines prévaut dans d’autres pays, en actions pouvaient freiner la radica- particulier européens du Nord. lisation vers la violence. Il convient aussi de rappeler que De surcroît, la perception de ces l’amnistie accordée aux militants phénomènes change selon le point de d’Action directe après le 10 mai 1981 et vue de l’observateur. Par exemple, pour l’adoption d’un « antiterrorisme pré- simplifier, il va de soi qu’un policier aura ventif » à leur égard, comme à celui de ces notions une perception différente d’autres groupes en particulier étran- de celle d’un travailleur social. Ce gers, cherchant à distinguer entre constat implique que toute élaboration irréductibles et ceux qui pouvaient être d’un programme public de déradi- réintégrés dans la société, aboutit à des calisation/désengagement en France résultats plutôt négatifs. devrait sans doute faire l’objet d’une Il paraît indéniable au demeurant que les pays concertation interservices. d’Europe du nord étaient et sont cultu- rellement plus ouverts, par exemple en raison du poids du protestantisme et de l’exigence Politiques d’interventions morale individualisée qui en découle, à l’égard Un certain nombre de programmes et de programmes qui placent l’individu au d’initiatives, nationaux ou locaux, sont centre d’un changement comportemental. apparus ces dix dernières années en Force est de constater que c’était aussi pour Europe, souvent d’ailleurs dans les pays des Etats qui soutinrent souvent activement protestants où préexistait une logique les Etats-Unis lors de l’invasion de l’Irak, un individuelle et communautaire favo- moyen d’obtenir un « supplément d’âme » en risant le travail moral individuel. Un semblant accorder une place à une approche certain nombre de ces programmes était non-sécuritaire de la violence d’essence aussi un moyen pour les Etats d’amoin- djihadiste ou d’extrême-droite. Faisant cela, drir au plan intérieur les inconvénients ils laissèrent de côté les violences politiques politiques d’un soutien, voire d’une d’extrême-gauche et celles, inconnues dans participation, à l’invasion américaine de ces pays, mais pas ailleurs en Europe, des l’Irak. Sans doute était-ce aussi, enfin, séparatistes. une manière préventive d’aborder le terrorisme, un sujet que les événements du 11 septembre 2001 avaient semblé Que faire ? réserver à une approche de sécurité seule. Mineurs et départs pour le djihad La France, vers 2003-2005, a refusé de La mise en place d’une ligne se lancer dans ce type de programme à téléphonique d’alerte donne une idée de la fois pour se démarquer de ce qui était la conception générale qui prévaut en perçu à l’époque comme les velléités de France – celle du ministère de l’Inté- l’administration Bush de modifier rieur, c’est-à-dire un appui à l’action politiquement le monde arabe, pour ne policière. Cette initiative a le mérite pas s’aliéner les soutiens des pays arabes indéniable d’exister et permet au moins amis (et souvent autoritaires) et enfin, d’avoir un recueil rapide et direct d’un mais cet aspect, selon nous, ne tient pas certain nombre de profils intéressant au regard de l’exemple de certaines l’antiterrorisme. politiques sociales limitées et spéci- Il reste pour autant à savoir si certaines fiques, parce que la législation française familles n’hésiteront pas à contacter ne saurait concerner une catégorie de cette structure d’essence policière. A population en particulier. De surcroît, le l’image de ce qui existe en Allemagne, système français de sécurité dans son une structure privée de type associatif ensemble, implique jusqu’à présent, que pourrait, dans certains cas, être plus tout ce qui ne relève pas de l’antiter- facilement contactée. Par ailleurs, au rorisme est considéré comme libre/légal. regard des expériences étrangères Il n’y a ainsi pas de continuum légal ou identiques, il est à craindre un nombre opérationnel entre « société légale significatif de dénonciations calom- ouverte », radicalisation et ce qui est nieuses ou sans fondement. Enfin, devra également être mesurée à terme, Remise en cause des revenus sociaux l’efficacité des mesures A l’identique, et tout aussi politique, il est d’accompagnement des individus tentés possible que la menace d’une suppression des par le djihad. revenus sociaux dont bénéficie la famille du Une solution déjà en vigueur dans candidat au djihad, ou le candidat lui-même, d’autres pays européens pourrait être la soit un élément important pour empêcher un formation d’une structure associative de départ vers une terre de djihad. Plusieurs complément à même d’être contactée affaires dans un passé récent, ont montré que par les familles, amis ou par les de nombreuses organisations politiques individus eux-mêmes pour engager avec violentes demandaient à leurs militants ou eux, sur une base volontaire, une sympathisants une redistribution des revenus discussion sur les conséquences d’un sociaux qu’ils percevaient. départ pour le djihad, ceci en utilisant des travailleurs sociaux et des Lutte contre la radicalisation en prison psychologues (en particulier sur les et ex-prisonniers problématiques adolescence et famille, Selon Europol, la durée moyenne d’une peine voire de psychologie culturelle). Au de prison pour terrorisme est de sept ans en demeurant, le dialogue pourrait se France. Ceci s’explique par la logique poursuivre même en cas de départ, afin d’arrestations très en amont du passage à de tenter de convaincre l’individu l’acte terroriste par le système antiterroriste concerné de revenir. Les services français, tandis que d’autres pays condamnent policiers compétents seraient clairement beaucoup plus lourdement en raison d’une au courant du contact et de la démarche, collection de preuves jusqu’à l’ultime moment a priori, à partir du moment où le avant le passage à l’acte. Le corollaire est départ pour le djihad a lieu. qu’un extrême turn-over entrée-sortie caractérise le système pénitentiaire, ce qui Déchéance de nationalité entraîne une mobilisation de moyens policiers Il faut rappeler que le Code de nationalité pour la surveillance (aléatoire et non prévoit que « pour perdre sa nationalité, il systématique) des ex-prisonniers. faut l’avoir acquise » et que la Déclaration A ce premier défi s’ajoute la radicalisation en universelle des droits de l’Homme précise que prison, phénomène désormais bien connu, en « tout individu a droit à une nationalité » et particulier par le renseignement pénitentiaire. « nul ne peut être arbitrairement privé de sa En soi, cette situation nécessiterait d’adopter nationalité ». dès à présent des mesures de déradicalisation D’un point de vue de sécurité, dans à destination des prisonniers condamnés pour l’hypothèse où l’on connaisse le nombre de terrorisme. Plusieurs expériences existent djihadistes binationaux (ce qui est difficile), la depuis plusieurs années en ce domaine déchéance de nationalité pourrait avoir (Europe du nord et monde musulman). plusieurs conséquences : Le retour de la cohorte de djihadistes français Rendre plus difficile la surveillance de de Syrie et d’Irak va à terme sensiblement ces individus par les services de augmenter le nombre des détenus pour renseignement, voire, pour un certain activité terroriste dans nos prisons, nombre, une radicalisation violente augmentant dans le même temps les risques accrue davantage encore. de radicalisation et de prosélytisme. L’expulsion, par exemple à l’issue d’une L’adoption de mesures de déradicalisation en peine de prison, ce qui augmenterait milieu carcéral aurait plusieurs avantages : mécaniquement la sécurité de notre Action contre la radicalisation in situ. pays, et ce sans considération pour le régime de droit et des libertés publiques Appui à la réinsertion des prisonniers en vigueur dans l’autre pays de sur le point d’être libérés. nationalité. Identification/évaluation des individus In fine, faute d’appréciation sérieuse de les plus radicaux, voire dangereux, d’où ces divers aspects, cette possibilité est un surcroît de prévisibilité pour les typiquement une décision politique. services policiers compétents. Il existe un grand nombre d’expériences compte de l’ampleur de la radicalisation qui réussies étrangères en ce domaine (Europe du s’opère sur Internet. nord, Grande -Br etagne, Indo nésie, La production et la diffusion ciblée de contre- Philippines, monde arabe) dont il conviendrait propagande anti-djihadiste, promouvant par d’étudier les présupposés, les profils de exemple un islam pacifique, sont certainement population, les bonnes pratiques et les aspects politiquement sensibles pour un Etat sécuritaires afin d’en tirer des éléments utiles républicain et laïc, même si un certain nombre pour la France. Celles-ci associent des de pays occidentaux le fait (par exemple les approches comportementales (distanciation à Etats-Unis). En revanche, favoriser l’égard de la violence, amélioration de l’estime l’émergence d’une expertise et de structures de soi) et socio-psychologiques. Dans ce cadre, associatives ou privées sur ce plan devrait être la dimension religieuse modérée à apporter une priorité. n’est qu’un élément parmi d’autres. Concernant le djihadisme, une des difficultés, particulièrement en Europe où l’Islam est Prévention et répression toujours une importation diasporique, est la Un certain nombre de ces programmes de crédibilité de référents religieux qui appor- déradicalisation, ou ce qui les sous-tend, teront le cas échéant une contre-argu- coïncident avec une vision qui tend parfois à mentation. Il arrive en effet que ceux-ci soient opposer prévention et répression, travailleurs perçus a priori comme des « collabos de pays sociaux et police, voire même à évoquer un mécréants » qui n’ont pas la légitimité peu angéliquement – telles des formules théologique des référents religieux djihadistes. magiques qui régleraient tous les problèmes – C’est une difficulté que les imams français la vertu de « dialogues interculturels », etc. actifs en prison connaissent. On notera Cela ne devrait jamais être opposé de la sorte, toutefois qu’il n’est pas forcément nécessaire car un simple principe de précaution exige d’affronter directement les opinions d’utiliser tous les moyens possibles pour théologiques des individus, mais de travailler protéger la société. De surcroît, il est clair que autour de cette question, en l’évitant, en ces programmes ou interventions n’ont pas – abordant des thèmes d’essence psycho- et ne peuvent pas avoir une réussite absolue. Il sociologiques (estime de soi, victimisation, existe ainsi des individus (par exemple en construction alternative de projet), etc. Arabie saoudite) qui ont bénéficié d’un programme de déradicalisation et qui ont En matière de recueil de renseignement en ensuite rejoint la clandestinité la plus violente. milieu carcéral, nous considérons que le recueil clandestin de renseignement devrait D’un point de vue français, en théorie, et à clairement être envisagé. l’examen des pratiques étrangères, la centralisation comme la décentralisation des En revanche, pour plusieurs raisons, il paraît programmes ont des avantages et des inenvisageable, sauf au cas par cas, de faire inconvénients : passer l’ensemble de la population des djihadistes de retour sur le territoire, dans un Si l’on assistait à la multiplication en processus de désengagement qui blanchirait France d’initiatives locales, par exemple leurs comportements de guerre. En clair, les depuis un centre communautaire ou une djihadistes de retour en France, dont le mosquée, un inconvénient majeur renseignement ou pouvoir judiciaire estiment pourrait être l’évaluation permanente de leur dangerosité faible devraient aussi ces activités, leur identification, sans bénéficier d’un programme de parler de la question très sensible du déradicalisation pour des raisons identiques. suivi à long terme des individus passés par ces programmes. En revanche, on doit postuler qu’une proximité Contre-radicalisation en ligne géographique, sociale, diasporique ou La propagande djihadiste passant désormais familiale peut aider à nouer des liens par les médias sociaux et Internet, la contre- solides et crédibles a priori avec les narration anti-djihadiste devrait être une individus qui pourraient être les sujets priorité. La fermeture de sites Internet de ce type d’interventions. radicaux décidée récemment marque un Une centralisation d’un programme de tournant, puisqu’auparavant, les sites Internet déradicalisation/désengagement suspects étaient plutôt considérés comme un pourrait avoir cet inconvénient majeur lieu de recueil de renseignement. Nous d’être perçu comme trop lié à l’origine considérons que c’est l’indice de la prise en de son financement, en particulier s’il travaillent en prison. En revanche, tous s’agit de l’Etat. Il en irait possiblement les aspects de l’évaluation et du suivi dès lors de la crédibilité des pourraient s’en trouver améliorés. intervenants, perçus comme des Une approche intermédiaire, mixte, « collaborateurs », en particulier si associant partenaires locaux et l’approche privilégiée est celle de la nationaux, publics et privés est le plus contre-argumentation religieuse. Cet souvent celle majoritairement adoptée aspect, au demeurant, est dans le cas par les pays européens. français déjà observé avec la perception des imams « de la République » qui
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Jean-Luc Marret a été et est engagé dans plu- sieurs programmes de recherche européens et - David Rigoulet-Roze, « Arabie saoudite : la américains sur le sujet de la radicalisation/ question de la succession et l’équilibre interne déradicalisation (SAFIRE, IMPACT), etc. Il est et externe du royaume », note n° 12/14, 2 juil- membre du réseau d’experts du Bundeskrimina- let 2014 lamt sur le sujet. Il fut aussi Conseiller principal - Bruno Tertrais, « 1914-2014 : une grande (ANPE). Il remercie les fonctionnaires de police et guerre est-elle encore possible ? », note les travailleurs sociaux européens pour leurs com- n° 11/14, 26 juin 2014 mentaires et critiques. Louis Baral est fonctionnaire au ministère de l’Intérieur français.